chapitre 9, cours

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Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
Introduction : Depuis la Révolution française, nombreux sont les hommes politiques français
à la recherche d'un système politique stable, pérenne, capable d'être accepté par la plus grande
majorité des Français. Cette recherche explique la multitude de régimes que connaît le pays à
partir de 1789 : monarchies, empires, républiques, tous plus ou moins libéraux et/ou
autoritaires, se succèdent jusqu'à la chute du Second Empire, le 4 septembre 1870. Est alors
fait le choix d'un nouveau régime, républicain, qui apparaît pourtant très contesté, non
seulement à cause de l'opposition nette d'une partie de la classe politique monarchiste ou
bonapartiste, mais aussi à cause de la division entre les républicains eux-mêmes. Les
premières années de la IIIe République sont donc des années de questionnement et de combat
pour les républicains, qui doivent définir ce qu'est pour eux la République afin d'assurer le
fonctionnement de ses institutions et d'éviter qu'elle ne disparaisse.
Progressivement, une idée clé se met en place : en France, seule la République1 peut
incarner la démocratie2. La victoire de la République est donc aussi celle de la démocratie, ce
qui explique que, depuis 1870, ce système politique n'a véritablement été remis en cause
qu'une seule fois, entre 1940 et 1944. Cependant, la République n'est pas figée : trois systèmes
successifs (IIIe, IVe et Ve Républiques) ont été appliqués en France en un siècle et demi, ce
qui montre bien l'importance des débats politiques, encore présents aujourd'hui, autour des
valeurs de la République et de la démocratie.
Problématique : Quel est le caractère complexe de la République en France et comment ce
modèle s’est-il enraciné depuis les années 1870, sans pourtant être exempt de crises et de
remises en cause ?
I.
L’enracinement de la culture républicaine dans les décennies 1880-1890 :
Comment l’enracinement de la culture républicaine contribue-t-il à rendre incontournable la
République en France dans les années 1880-1890 ?
A. Une République minoritaire dans les années 1870 :
Documents à utiliser : discours de Léon Gambetta du 9 octobre 1877, document 2 p. 303.
Document 1 : L’éloge du suffrage universel et du système républicain :
Aujourd'hui, citoyens, si le suffrage universel se déjugeait, c'en serait fait, croyez-le bien, de
l'ordre en France, car l'ordre vrai – cet ordre profond et durable que j'ai appelé l'ordre
républicain – ne peut en effet exister, être protégé, défendu, assuré, qu'au nom de la majorité
qui s'exprime par le suffrage universel. (Très bien ! très bien ! - Bravo ! bravo !)
Et si l'on pouvait désorganiser ce mécanisme supérieur de l'ordre, le suffrage universel,
qu'arriverait-il ? Il arriverait, Messieurs, que les minorités pèseraient autant que les majorités ;
il arriverait que tel qui se prétendait investi d'une mission en dehors de la nation, d'une
mission que l'on qualifierait de providentielle, en dehors et au-dessus de la raison publique,
que celui-là irait jusqu'au bout, puisqu'on lui aurait donné la permission de tout faire jusqu'au
bout...
1
Forme d'organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l'exercent en vertu d'un mandat conféré
par le corps social – en ce sens « république » s'oppose à « monarchie », mais ne se confond pas avec
« démocratie », dans l'hypothèse, par exemple, d'une restriction du suffrage –,
2
Fondé sur la valorisation de l'individu et sur l'égalité juridique, l'idéal démocratique moderne émerge à l'aube
du XVIIIe s. d'une nouvelle conception de l'homme dans laquelle celui-ci, libre et doué de volonté autonome,
n'est plus soumis à la divine Providence. La liberté est définie comme une faculté inhérente à la personne
humaine et se réalise pleinement à travers la reconnaissance de droits naturels, inaliénables et sacrés.
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Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
Mais, Messieurs, il n'est pas nécessaire, heureusement, de défendre le suffrage universel
devant le parti républicain qui en a fait son principe, devant cette grande démocratie dont tous
les jours l'Europe admire et constate la sagesse et la prévoyance, à laquelle, tous les jours, de
tous les points de l'univers, arrivent les sympathies éclatantes de tout ce qu'il y a de plus
éminent dans les pays civilisés du monde. Aussi bien, je ne présente pas la défense du
suffrage universel pour les républicains, pour les démocrates purs ; je parle pour ceux qui,
parmi les conservateurs, ont quelque souci de la modération pratiquée avec persévérance dans
la vie publique. Je leur dis, à ceux-là : Comment ne voyez-vous pas qu'avec le suffrage
universel, si on le laisse librement fonctionner, si on respecte, quand il s'est prononcé, son
indépendance et l'autorité de ses décisions, – comment ne voyez-vous pas, dis-je, que vous
avez là un moyen de terminer pacifiquement tous les conflits, de dénouer toutes les crises, et
que, si le suffrage universel fonctionne dans la plénitude de sa souveraineté, il n'y a plus de
révolution possible, parce qu'il n'y a plus de révolution à tenter, plus de coup d'État à redouter
quand la France a parlé ? (Très bien ! très bien ! Applaudissements.)
C'est là, Messieurs, ce que les conservateurs, c'est là ce que les hommes qui, les uns de bonne
foi, les autres par entraînement et par passion, préfèrent le principe d'autorité au principe de
liberté, devraient se dire et se répéter tous les jours.
C'est que, pour notre société, arrachée pour toujours – entendez-le bien – au sol de l'ancien
régime, pour notre société passionnément égalitaire et démocratique, pour notre société qu'on
ne fera pas renoncer aux conquêtes de 1789, sanctionnées par la Révolution française, il n'y a
pas véritablement, il ne peut plus y avoir de stabilité, d'ordre, de prospérité, de légalité, de
pouvoir fort et respecté, de lois majestueusement établies, en dehors de ce suffrage universel
dont quelques esprits timides ont l'horreur et la terreur, et, sans pouvoir y réussir, cherchent à
restreindre l'efficacité souveraine et la force toute puissante. Ceux qui raisonnent et qui
agissent ainsi sont des conservateurs aveugles ; mais je les adjure de réfléchir ; je les adjure, à
la veille de ce scrutin solennel du 14 octobre 1877, de rentrer en eux-mêmes, et je leur
demande si le spectacle de ces cinq mois d'angoisses si noblement supportées, au milieu de
l'interruption des affaires, de la crise économique qui sévit sur le pays par suite de l'incertitude
et du trouble jetés dans les négociations par l'acte subit du seize mai, je leur demande si le
spectacle de ce peuple, calme, tranquille, qui n'attend avec cette patience admirable que parce
qu'il sait qu'il y a une échéance fixe pour l'exercice de sa souveraineté, n'est pas la preuve la
plus éclatante, la démonstration la plus irréfragable que les crises, même les plus violentes,
peuvent se dénouer honorablement, pacifiquement, tranquillement, à la condition de maintenir
la souveraineté et l'autorité du suffrage universel. (Profond mouvement.)
Je vous le demande, Messieurs : est-ce que les cinq mois que nous venons de passer auraient
pu maintenir l'union, l'ordre, la concorde, l'espérance et la sagesse, laisser à chacun la force
d'âme nécessaire pour ne pas céder à la colère, à l'indignation, aux mouvements impétueux de
son cœur, si chacun n'avait pas eu la certitude que le 14 octobre il y aurait un juge, et que,
lorsque ce juge se serait exprimé, il n'y aurait plus de résistance possible ?... (Vive
approbation et bravos prolongés.)
C'est grâce au fonctionnement du suffrage universel, qui permet aux plus humbles, aux plus
modestes dans la famille française, de se pénétrer des questions, de s'en enquérir, de les
discuter, de devenir véritablement une partie prenante, une partie solidaire dans la société
moderne ; c'est parce que ce suffrage fournit l'occasion, une excitation à s'occuper de
politique, que tous les conservateurs de la République devraient y tenir comme à un
instrument de liberté, de progrès, d'apaisement, de concorde. C'est le suffrage universel qui
réunit et qui groupe les forces du peuple tout entier, sans distinction de classes ni de nuances
dans les opinions.
Léon Gambetta, discours devant l’assemblée nationale, 9 octobre 1877.
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Chapitre 9 : La République, trois républiques
Questions :
1. A l’aide de votre livre, présentez le document.
Ce discours a été prononcé le 9 octobre 1877 à la chambre des députés par Léon Gambetta, un
des principaux leaders des républicains durant les années 1870 : défenseur de la France et de
Paris contre les Prussiens en 1871, il veut soutenir la poursuite de la guerre mais se résout
finalement à l’armistice. Principal défenseur d’un système républicain, il fait partie de ceux
qui poussent à la mise en place d’une réelle république, fondée sur le suffrage universel en
1877 par opposition au camp des monarchistes et au maréchal de Mac Mahon, alors dirigeant
de l’Etat français. C’est cette position qu’il reprend dans son discours faisant l’éloge du
système représentatif républicain, de l’usage du suffrage universel et refusant en bloc la
monarchie et tout système fondé sur une base autoritaire.
2. En vous appuyant sur le texte, donnez la vision de la République telle que Gambetta la
met en avant.
La République est d’abord définie en miroir : ce ne peut être un régime héréditaire, personnel
et monarchique. Gambetta garantit la République en s’appuyant sur le suffrage universel car,
selon lui, seule la souveraineté nationale, pleinement respectée peut permettre au nouveau
régime de se stabiliser et éviter les écueils connus par les régimes précédents : dérives
autoritaires et héréditaires des monarchies, plébiscites sous le second Empire sans que le
suffrage universel soit réellement respecté.
La République doit donc être fondée sur le respect des droits et des libertés, conquises de
1789, héritage dont se réclament les Républicains et la majorité des Française selon Gambetta
– ce qui n’est pas aussi sûr pour la population. Il veut donc fonder le régime sur un système
parlementaire, fondé sur la représentation nationale et s’oppose à l’idée d’un exécutif fort
risquant d’amener à nouveau les spectres de la monarchie, de l’Empire, voire d’une nouvelle
révolution.
3. A quelle autre vision du nouveau régime s’oppose-t-il dans son discours ? Qui sont les
soutiens d’un tel régime ?
Gambetta s’oppose fermement aux conservateurs, monarchistes et bonapartistes qui sont
encore membre de l’assemblée à ce moment-là. Ces derniers sont les partisans d’un exécutif
fort, qui plongerait ses racines dans la tradition de l’Etat monarchique, soit un pouvoir
héréditaire, fort qui ne s’appuierait pas sur le vote de la Nation entière et nierait une partie de
la représentativité et de la souveraineté nationale.
4. Au prix de ces oppositions, quel est le modèle qui sort vainqueur de cette lutte entre
conservateurs et républicains ? (Utilisez le document 2 p. 303)
Les élections de 1877 sont décisives pour la survie du régime républicain. Alors que les
républicains restent majoritaires, malgré une perte de 40 sièges (323 sièges au lieu de 363
précédemment), les ultra-conservateurs ont progressé de 77 sièges (200 contre 123 sièges
précédemment) sans pour autant obtenir la majorité. Mac Mahon refuse la sanction du
suffrage universel et nomme un gouvernement de combat avec à sa tête, le général
Rochebouët. Les députés refusent par 325 voies contre 218 d’entrer en communication avec le
ministère pour la défense « des droits de la nation et des droits parlementaires ». Mac Mahon
accepte de se soumettre et finit par démissionner le 30 janvier 1879 ce qui marque la défaite
du camp monarchiste et conservateur. Peut alors se mettre en place la IIIème République,
régime de type parlementaire, fondé sur le suffrage universel masculin. Cependant, la mise en
place du régime ne veut pas dire son enracinement immédiat dans la société. Tout un
processus doit alors se mettre en place pour diffuser et faire accepter les valeurs de la
République.
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Chapitre 9 : La République, trois républiques
B. Enraciner et diffuser les valeurs républicaines :
1) La République s’enracine dans le paysage par ses symboles
Document à utiliser : la célébration du 14 juillet 1883, estampe anonyme conservée au Musée
Carnavalet à Paris.
Document 1 : La Célébration de la République le 14 juillet.
République
Française
Marianne,
allégorie de
la liberté
Allégorie de
la fraternité
Mairie
Allégorie de
la justice et
de l’égalité
devant la loi
Drapeau
tricolore
L’école
républicaine
Bataillons
républicains
Le
peuple
triomphant
défenseur
des droits.
Bonnet
phrygien,
symbole de
liberté,
héritage de la
Révolution
Questions :
1. Qui est le principal défenseur de la République et de la démocratie selon cette estampe ?
Quelle image de ce peuple est donnée dans l’estampe ?
Le principal défenseur de la nation est ici le peuple représenté par le lion sur la statue mais
aussi présent dans l’ensemble de la cérémonie : hommes – y compris ceux venus des colonies
– comme les soldats, les instituteurs, les bourgeois issus de tous horizons, les femmes et les
enfants qui défilent dans les bataillons scolaires, tandis que les petites filles ont pris
l’apparence de Marianne (en bas à gauche de l’image). Le peuple est donc agissant et
souverain, à même de protéger les droits, les libertés, la démocratie, la patrie et la République.
Cela est aussi souligné par le lion, qui pose sa patte sur une stèle représentant les droits de
l’homme.
2. Quels sont les lieux symboliques de la République sur cette estampe ?
Deux lieux sont particulièrement symboliques de la République dans cette estampe : la mairie
et l’école.
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Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
La première est à la fois siège d’institution, lieu de pouvoir et lieu symbolique. La mairie est
républicaine par définition, puisque la France elle-même l’est depuis le 4 septembre 1870, et
que les mairies sont les sièges les plus nombreux du fonctionnement des institutions. Elles
forment les lieux le plus proches des citoyens et les plus universellement présents. La mairie,
depuis 5 avril 1884, doit être associée à un hôtel de ville, qu’elle en soit propriétaire ou
locataire et qu’il ne doit être en aucun cas le logement du maire, du secrétaire de mairie ou de
l’instituteur. Ce devait être un local indépendant loué par acte spécial. La commune devait
meubler son local de mobilier et du matériel nécessaire à l’exercice de ses fonctions
administratives et à le maintenir en bon état. Désormais, partout la Mairie, entre dans le
paysage, dans la vision banale de l’espace rural ou urbain, et au-delà, dans les traditions
républicaines.
La deuxième est le lieu dans lequel les valeurs républicaines sont diffusées, notamment depuis
les lois scolaires de 1881 et 1882. , qui donnent à tous l’accès à l’instruction primaire. Les
valeurs républicaines sont alors inculquées aux enfants durant les heures de classe. L’école
devient donc le deuxième lieu symbolique, que toute commune doit posséder et par
l’intermédiaire de laquelle s’enracine la culture républicaine (voir 2)
3. Quelle est la place de l’armée dans cette représentation de la République ?
L’armée est célébrée comme une institution essentielle de la République. Dans cette optique,
l’armée est une institution choyée, la majorité des gradés, même compromis par l’Empire ou
la répression de la Commune, étant maintenus. En 1889, une loi réduit le service militaire à 3
ans au lieu de 5.
L’école apparaît comme une institution complémentaire de l’armée : on éduque au
patriotisme, on crée des bataillons scolaires avec entrainement avec des fusils de bois (même
si l’expérience échoue et ne dure pas longtemps). Des transformations progressives ont lieu
amenant les officiers de l’Etat Major à être indépendants du corps politique et à se renouveler
progressivement.
D’ailleurs, le 14 juillet, outre les bals populaires et autres manifestations, se marque par la
prise d’armes où la garnison se déploie dans des éclatants uniformes et le retentissement des
fanfares.
Vincent Duclert décrit le premier 14 juillet comme l’expression d’une volonté républicaine de
créer un lien indéfectible avec l’armée mais qui les entraîna à refuser toute démocratisation du
monde militaire. La cérémonie d’Etat eut lieu le 14 juillet 1880 à Longchamp où 400 colonels
commandant les régiments récurent des drapeaux de la part du président de la République,
Jules Grévy élu chef d’Etat en janvier 1879 pour 7 ans démontrant comme le dit Jean-Marie
Mayeur que « la patrie et la nation sont bien au coeur de la culture politique républicaine ».
Les images naïves célèbrent la République triomphante présidant à la grande fête, en insistant
sur le ralliement de l’armée au nouveau régime mais aussi mettent en avant les sens de liberté
et de fraternité.
4. Que symbolisent le drapeau tricolore et l’allégorie de la liberté, appelée depuis les années
1880 Marianne ?
La couleur du drapeau, bleu, blanc et rouge est héritier de la révolution. La Légende a voulu
que ces trois couleurs aient été réunies le 17 juillet 1789 lorsque le roi arrivant à l’hôtel de
ville de Paris et accueilli par Bailly ait accepté de joindre à la cocarde blanche fixée à son
chapeau, les couleurs de la ville de Paris – le bleu et le rouge. Il semble que ces trois couleurs
aient déjà été associées quelques jours plus tôt par Lafayette qui voulait trouver un signe de
ralliement pour la garde nationale nouvellement créée : ainsi unit-il le blanc de l’uniforme des
gardes françaises, ralliées au mouvement insurrectionnel, au bleu et rouge de la milice
parisienne. Cette cocarde tricolore apparaissait donc comme un témoignage d’unité retrouvée
un symbole d’alliance et de concorde. Cependant, l’utilisation du drapeau bleu, blanc et rouge
avec les bandes dans le sens vertical est longue et semée d’embûches. Le drapeau devient un
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Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
symbole de plus en plus fréquent dans la geste militaire, lorsque des territoires sont conquis
sur l’ennemi : l’Algérie, la Crimée, la guerre prussienne de 1870.
Autour du même drapeau, dans la célébration d’un même culte, se trouvent réunis la
Monarchie de Juillet, les deux Empires, les trois Républiques (Ière, IIème et IIIème Républiques).
L’emblème au trois couleurs tend à apparaître comme l’emblème de la seule patrie. Cela se
complète donc bien le poids de l’armée et de la Patrie dans le nouvel idéal républicain.
Marianne, elle, est le symbole de la liberté, utilisée par les Républicains depuis la Révolution.
De posées et fortes dans les moments où la République dominent, elle se fait révoltée et
insurgée dans les moments où les Républicains sont rejetés dans l’ombre. Dans le cadre de la
cérémonie, elle est au cœur de la place centrale. Elle est le symbole de la liberté associée à la
celle de la fraternité et de la justice.
5. Pourquoi célébrer la fête du 14 juillet et quel est le chant qui peut-être joué et chanté par
les membres des bataillons scolaires ?
La première cérémonie est celle de 1879 qui est davantage un rappel de la fête de la
Fédération de 1790. Il s’agit certes de faire le lien entre la République et la Révolution, mais
dans la phase démocratique (paradoxalement, celle-ci est liée à la monarchie constitutionnelle
et non à la première République identifiée aux dérives autoritaires). La fête est donc vue
comme une fête civique, populaire et laïque. La loi qui instaure le 14 juillet comme fête
nationale fut votée par la Chambre des députés le 8 juin et le Sénat le 21 juin 1880 avant
d’être promulguée le 6 juillet 1880 (cela met fin à la fête nationale fixée le 15 août par
Napoléon Ier et réinstaurée par Napoléon III après sa prise de pouvoir).
On peut remarquer que la Marseillaise devient hymne national dès 1879 ce qui provoqua
débats et polémiques jusqu’en 1914.
Dans les années 1880, les républicains s'emploient alors à diffuser leurs valeurs à l'ensemble
de la société française : pour eux, la République doit permettre d'implanter la démocratie sur
tout le territoire français.
Une véritable culture républicaine se met donc en place dans les années 1880 : elle combine
des lieux (mairie, école), des symboles (Marianne, le drapeau tricolore), des gestes (chanter la
Marseillaise), des fêtes (la célébration du 14 juillet) visant à enraciner les valeurs et le
système républicain en France.
Celui-ci s'impose donc rapidement, entraînant un déclin réel des mouvements monarchistes au
début des années 1890.
2) La République s’enracine dans les lois :
a. L’œuvre scolaire au cœur de l’enracinement républicain.
C’est dans le domaine scolaire que la politique de liberté et de laïcité se combine. L’école est
le drapeau de la république : celui de la laïcité car il laisse la possibilité pour tout citoyen de
recevoir une formation indépendante de tout dogme religieux (surtout catholique) et celui de
la liberté en affranchissant les esprits de la prégnance de l’Eglise, en créant des esprits
critiques capables de s’opposer aux notables et en favorisant toutes les possibilités de l’esprit
humain. Les pédagogues ne peuvent, en raison de la sacralisation de la valeur sacrée du savoir
et de l’esprit critique, devenir des prêtres de la religion positive et sont donc très libres (même
si les pratiques pédagogiques peuvent le contredire). Par ailleurs, il s’agit d’affirmer une unité
de la Nation au-delà des divisions sociales et régionales comme le traduit l’ouvrage «Le Tour
de la France par deux enfants » de G. Bruno, en réalité Augustine Fouillée.
Un dispositif complet est mis en place pour y parvenir :
- la diffusion de l’instruction élémentaire : celle-ci s’inscrit dans une longue durée ….loi
Guizot de 1833…la gratuité (1881), l’obligation (ce qui est rendu possible par la mise en
place d’un réseau d’écoles accessibles) et laïque (le jeudi est laissé libre pour les enfants
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Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
chrétiens). Des réseaux de formation d’instituteurs sont crées avec les Ecoles normales ce
qui permet d’améliorer le niveau d’enseignement.
- Le développement d’un réseau d’enseignement primaire supérieur qui prépare au brevet
élémentaire après 12 ans et ouvre les portes des concours de recrutement. Celui-ci est mis
en concurrence avec la filière des collèges et des lycées qui mènent au baccalauréat,
établissements élitistes et payants réservés à la bourgeoisie.
Cet ensemble offre alors une voie d’ascension sociale, certes étroite et compétitive mais
possible sur deux générations. Cette mesure scolaire s’inscrit dans un combat politique entre
les républicains et la droite conservatrice. Celle-ci qui préfère les solutions de tradition et
d’autorité, défend la solution monarchique avec l’appui d’un clergé largement nourri au
Syllabus. C’est pourquoi Ferry veut épurer la France du « mal catholique » : épuration du
Conseil d’Etat et de la magistrature, article VII de la loi scolaire de 1880 qui interdit aux
congrégations d’enseigner d’où de des débats violents au Parlement après la fermeture d’une
école tenue par des Jésuites (Ferry y apparaît soit trop extrémiste soit trop modéré).
Cependant, Ferry veille à ne pas envenimer la situation : il se montre conciliant avec les
congrégations, respecte le Concordat et maintient dans les faits « les devoirs envers Dieu »
dans le contenu de l’enseignement moral du primaire.
b. L’instauration de lois sociales fondamentales
Multiples, elles portent l’empreinte démocratique des politiques des républicains lors de leur
arrivée au pouvoir. Dans une optique historique, les républicains pensent que le pouvoir doit
être limité afin de garantir les libertés et de se prémunir de toute répression éventuelle future.
Les lois fondamentales de 1879-1884 constituent le socle fondamental de la République :
- loi de 1880, en mettant fin à l’autorisation administrative pour ouvrir un café ou un débit
de boisson (une simple déclaration en mairie suffit désormais), permet de créer des lieux
de vie publique et d’expérience politique (on restreint en même temps l’ivresse publique),
- liberté du colportage,
- loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui comprend la liberté d’imprimer, de
librairie, d’affichage, de vente sur la voie publique. Les éventuels délits relèvent de la
justice et seul subsiste le droit de réponse,
- loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion. Il n’existe qu’une déclaration préalable et la
nécessité de créer un bureau responsable de la réunion. Cependant, pour éviter de favoriser
les congrégations religieuses, la liberté d ‘association fut restreinte (par l’introduction
d’une autorisation). Cette loi fut complétée en 1884 par la loi Waldeck-Rousseau qui
autorise la formation de syndicats par branche professionnelle,
- loi du 04 mars 1882 qui autorise la liberté communale : les maires sont élus par les conseils
municipaux (sauf à Paris).
Enfin, d’autres mesures veulent inscrire la République dans un contexte laïque même si le
Concordat de 1801 est maintenu : dès 1880, on autorise le travail le dimanche. Cette mesure
qui veut dégager la loi civile du commandement religieux est un avantage pour le salarié
confronté à des patrons souhaitant le « travail en continu » (obligation du repos hebdomadaire
en 1906). Cela démontre que pour les républicains, le combat pour la laïcité est plus important
que le conflit social.
Autre loi : la loi Naquet de 1884 qui légalise le divorce (introduit par la Révolution, aboli en
1816). Loin de toute considération égalitaire, l’adultère des femmes y plus sévèrement
sanctionné que celui des hommes.
c. Une adhésion progressive en raison des possibilités offertes par la République
Les Français s’approprient ce régime en raison des possibilités qu’il offre :
- une ascension sociale par le biais de l’école
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Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
- une garantie contre l’arbitraire politique
Par ailleurs, le monde ouvrier, plus réticent envers le régime républicain, y adhère de fait.
L’école est présentée comme la solution au problème social : pour les notables au pouvoir, la
République et son école peuvent permettre de réintégrer le peuple dans le jeu politique et
permettre l’ascension sociale. En 1876 à Paris, 1878 à Lyon et 1879 à Marseille, se tiennent
les trois premiers congrès ouvriers où les mouvements marxistes se définissent opposés à la
République en raison de la priorité accordée à la lutte des classes. Ce refus de se rallier au
nouveau régime s’explique de plusieurs manières :
- l’ambiguïté de la fondation de la République : Thiers, son fondateur, a réprimé dans le
sang la Commune dont les acteurs, amnistiés le 14 juillet 1880, profitent de la liberté pour
revendiquer une révolution sociale,
- les forces économiques dominantes du patronat des houillères, des transports, etc. se sont
ralliés à la République par pragmatisme d’où son qualificatif de bourgeoise (à un moment
où l’Etat accorde des avantages dans le secteur des transports par des conventions aux
patrons),
- les difficultés économiques des années 1880 d’où le chômage, les troubles, les
manifestations, etc. en l’absence de véritable législation sociale.
Cependant, ces partis marxistes, divisés et peu organisés, ne captent pas électoralement ce
mécontentement des classes populaires qui se tournent vers les républicains radicaux ou plus
tard les boulangistes. Cela marque cependant une opposition entre deux tendances chez les
républicains : ceux tels Gambetta et Ferry prêts aux concessions, les opportunistes et ceux qui
comme Clémenceau, Rochefort ou Naquet qui veulent aller plus loin, les radicaux, ces deux
tendances se divisant sur les questions institutionnelles et sociales.
C. L’Affaire Dreyfus : une crise des valeurs républicaine ?
Documents à utiliser : ensemble documentaire (sauf le document 1) p. 306-307.
Questions :
1. A l’aide de votre livre, reconstituer les trois étapes et les faits qui leur sont associés au
cours de l’affaire Dreyfus.
Les faits sont connus et peuvent être divisés en trois parties :
- la première va de la découverte à l’été 1894 de l’affaire jusqu’à l’arrestation et la
déportation de Dreyfus en 1895 ce qui ne suscite pas d’intérêt malgré les tentatives des
mouvements antisémites d’exploiter l’affaire,
- la deuxième entre 1897 et 1899 caractérise la période marquée par une offensive des
défenseurs de Dreyfus et des antidreyfusards appuyés par le gouvernement qui se termine
par une crise politique : Dreyfus est condamné à nouveau, lors du procès de Rennes, avant
d’être libéré et gracié le 9 septembre 1899,
- la troisième étape : grâce à l’action de Jaurès et la présence d’un gouvernement dit de Bloc
de gauche, Dreyfus est innocenté définitivement par la décision de la Cour de cassation le
12 juillet 1906.
2. Quels sont les enjeux politiques de l’affaire Dreyfus ?
Il s’agit donc d’une crise politique qui met à mal le régime : face à l’offensive de la presse
extrémiste ou populaire, la République, à travers ses élites, s’identifie à la raison d’Etat au
dogme de la nation. Ce qui menace alors le régime constitutionnel et la société démocratique,
ce n’est pas le risque de coup d’Etat (écarté depuis l’affaire Boulanger et que l’échec de la
tentative de Déroulède le 23 février 1899 confirme) mais l’arbitraire des pouvoirs
administratifs (notamment une armée encore antisémite) et la faillite des institutions,
incapables de restaurer l’autorité du pouvoir civil.
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Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
Cependant, cette crise politique contribue à un reclassement des forces politiques autour de la
crainte du nationalisme, la défense des Droits de l’Homme et du citoyen, la primauté du
pouvoir civil sur la force armée, la souveraineté et l’indépendance de la justice. Ce sont ces
arguments d’indépendance de la justice, du nécessaire respect des droits de la personne et du
refus de la partialité de l’Etat qui sont invoqués par les Dreyfusards pour justifier leur
engagement pour défendre Dreyfus alors que beaucoup ne cachent pas leur tendance à croire
la version étatique au début de l’affaire – c’est le cas de Gabriel Séailles, professeur de
philosophie à la Sorbonne.
C’est ce contexte de nécessité de réponse démocratique, à laquelle l’armée échappe dans un
premier temps, jusqu’à après la Seconde Guerre Mondiale, qui explique alors les lois
fondamentales du début du XXe siècle : la loi sur les associations du 1 juillet 1901 et la loi de
séparation des Eglises et de l’Etat du 3 juillet 1905.
3. Quel est l’impact de l’affaire Dreyfus :
- chez les intellectuels ?
Cette affaire marque aussi de manière nette l’entrée des intellectuels dans l’arène politique : le
6 juin 1898, est créée la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen. Ceux-ci sont
l’avant-garde d’une souveraineté civique, celle où les citoyens interviennent dans la place
publique et exigent des explications quant ils pensent leurs indépendances menacées. Cela
met en avant une nouvelle modernité démocratique que Péguy définit comme le devoir de
l’Etat et du politique de reconnaître le droit à la justice d’un citoyen.
- dans la société française en général ?
L’Affaire Dreyfus est un moment d’éducation à la démocratie, d’expérience de la politique et
de fraternité dans la société. Elle constitue un pilier identitaire : les valeurs dreyfusardes sont
des valeurs d’apprentissage démocratique pour des catégories de populations exclues du débat
politique comme les femmes, les jeunes et les ouvriers, qui nourrissent par la suite les
mouvements de résistance alors que les mouvements antidreyfusards, incarnés par l’Action
française, trouvent de puissants ressorts intellectuels que Vichy et la collaboration de
l’Allemagne incarneront.
- dans l’expression des personnes au sein de la vie politique ?
Vincent Duclert évoque même «la révolution du dreyfusisme», une révolution morale et
sociale :
- la naissance d’un engagement civique qui imprègne le corps social des enjeux politiques du
pays à travers des réseaux d’Universités populaires mais aussi la presse. Même si la majorité
de la presse, surtout régionale, adopte une position plutôt antidreyfusarde, plus par
conformisme que par réelle conviction, cela ne crée pas un sentiment antidreyfusard majeur
dans le pays : les manifestations sont surtout parisiennes et se limitent au temps du procès,
l’opinion publique s’intéressant à l’Affaire qui lui permet d’accéder à une véritable réflexion
sur l’Etat et la place de l’individu,
- la naissance d’un débat sur le contenu de l’éducation civique et de la philosophie de
l’enseignement. Dans « La République des instituteurs », Jacques et Mona Ozouf montrent
que des instituteurs n’hésitent pas à en parler et cherchent volontairement à faire émerger une
réflexion personnelle,
- l’émancipation des groupes jusque là marginalisés ou réprimés comme les ouvriers et les
femmes : l’Affaire Dreyfus raconte une histoire qui les concerne, celle d’un combat pour la
justice et l’égalité, combat qui rejoint leur propre préoccupation,
- une nouvelle représentation de la démocratie. La caricature et le genre de l’image devinrent
des enjeux de représentation politique. On assiste à une opposition entre la caricature
antidreyfusarde, répétitive et obsessionnelle à une image dreyfusarde différente. Ainsi, les
peintres et dessinateurs de celle-ci (comme Pierre-Emile Cornilier, Jules Grandjouan, Henri9
Thème 5 : Les Français et la République
Chapitre 9 : La République, trois républiques
Gabriel Ibels, Félix Vallotton, Théophile Steinlen) choisissent de représenter les valeurs de
justice et de vérité sous les traits de femmes jeunes et lumineuses se dressant graciles et
fragiles devant les haines sombres et masculines. Cette représentation inédite de l’évènement
démocratique rencontre un succès certain en France et à l’étranger. Cela annonce aussi le
visage d’un monde que l’on espère meilleur qui se reconnaît alors dans le mouvement des
femmes vers l’égalité et la liberté.
Cette image de la femme, plus fine et gracile, plus jeune s’oppose à celle que les
antidreyfusards représentent : rondes, fécondes, guerrières, un brin vulgaires ...
L’historien Vincent Duclert, dans l’ouvrage La République imaginée, 1870-1914 décrit ainsi
l’affaire Dreyfus : « Son impact politique et moral comme ses représentations intellectuelles
et sociales, ses conséquences nationales comme ses répercussions internationales, en font un
véritable passé-présent régulièrement réactivé dans les mémoires individuelles ou collectives
et dans les discours populaires ou savants. L’affaire Dreyfus incarne à la perfection la forme
« affaire », [...] à savoir un événement qui polarise l’opinion publique, domine la vie
politique, traverse les institutions, mobilise les personnes, les groupes, les croyances, suscite
ses mots et son langage ». Pour l’historien, elle marque l’entrée de la France et du monde
dans le XXème siècle caractérisé par la puissance du nationalisme et le pouvoir de l’Etat qui se
confronte à la résistance des individus et la défense des libertés, des droits fondamentaux et
l’égalité civique.
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