La dermatite atopique Témoignages d’IDE en milieu hospitalier © Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016 ➲ Armelle Sirvent et Isabelle Dalmazzone, hôpital de la Timone, Marseille : « Nos ateliers sont centrés sur la personne et sur ce qu’elle vit. Les thématiques sont souvent récurrentes d’un patient à l’autre: hygiène, hydratation, alternatives au grattage, peur de la cortisone… » ➲ Nathalie Bauduin, Centre hospitalier d’Arles (Bouches-du-Rhône) : « Les moments dédiés à l’ETP sont des temps forts où l’on instaure un climat de confiance, ce sont des moments propices à l’écoute et à l’empathie, c’est finalement tout ce que demandent les patients. » ➲ Virginie Verdu, hôpital Lyon-Sud, Lyon (Rhône) : « Les patients en ont assez des discours divergents à propos de la maladie et des traitements, ils veulent des informations claires et validées. À l’issue du programme, ils se sentent moins seuls et mieux armés pour faire face à la maladie. » Et en milieu libéral? relationnels sont essentiels dans la profession infirmière, qu’elle s’exerce en milieu hospitalier ou libéral. Même si le format des ateliers est pour le moment propre à l’hôpital, les Idels connaissent beaucoup mieux les patients que nous et font déjà de “l’éducation thérapeutique” sans le savoir [même si l'ETP s'inscrit en théorie dans un cadre précis, NDLR]. L’important, c’est la répétition des mêmes messages et leur homogénéité tout au long du parcours de soins du patient. » < D’après les différentes IDE interrogées à l’hôpital, « les aspects éducatifs et *Voir notre hors-série de novembre 2016, le Mémento de la prescription infirmière, 10e édition. Quand le traitement fait peur Mme H., 42 ans, a une prescription pour des soins locaux dans le cadre d’une dermatite atopique sévère. En arrivant chez elle, elle vous dit qu’elle ne fera sans doute pas le traitement à base dermocorticoïdes: «Ce n’est pas efficace et, en plus, je suis sûre que c’est dangereux pour ma peau et mon corps.» Elle redoute les phénomènes d’accoutumance et de rebond: «Ma mère en a pris longtemps pour sa polyarthrite et c’est revenu encore pire.» Vous interrogez la patiente: « De quoi avez-vous peur exactement? Vous avez lu ou entendu des choses négatives? Quoi exactement? » Vous lui dites également que vous entendez ses craintes, mais que de nombreuses études et des dizaines d’années de recul permettent aujourd’hui d’utiliser ces produits en toute sécurité, selon des modalités d’application bien précises que vous abordez avec elle au moment du soin. Vous rappelez également que les dermocorticoïdes permettent uniquement de traiter la poussée en cours. Quant à l’argument concernant sa mère, vous expliquez à la patiente qu’il faut distinguer les dermocorticoïdes de la cortisone par voie systémique. LA CORTICOPHOBIE Définition Aussi appelée dermocorticophobie ou corticoréticence, la corticophobie est la crainte, la peur, voire le refus d’utiliser des dermocorticoïdes. Fréquence Selon une étude française datant de 2011, 80 % des personnes interro- gées, parents d’enfants atopiques ou adultes atteints de dermatite atopique, se déclarent corticophobes. De quoi ont peur les corticophobes? ➲ D’effets secondaires locaux: les personnes craignent une atrophie cutanée, c’est-à-dire un amincissement de la peau et sa fragilisation : retard de cicatrisation, vergetures… Ils redoutent d’autres effets cutanés comme le blanchiment de la peau, l’acné, la pousse des poils. ➲ D’une atteinte systémique: sont redoutés un retard de croissance, une prise de poids…, par analogie avec les corticoïdes oraux et en supposant que la totalité des principes actifs passent dans le sang. ➲ D’une dépendance: les corticophobes ont peur de la dépendance et de la perte d’efficacité au long cours. Les dermocorticoïdes sont aussi souvent accusés, après avoir fait “rentrer l’eczéma”, de faire “sortir l’asthme”. Facteurs d’anxiété ■ Poids de l’histoire et de la culture Dans l’imaginaire collectif, il peut par exemple subsister la doctrine des “humeurs” qui suppose que la peau est un émonctoire – une voie d’élimination des déchets – et que les dermatoses sont un moyen naturel de rétablir l’équilibre interne... ■ Professionnels non raccords Le manque d’homogénéité des discours des différents professionnels DÉCEMBRE 2016 - N° 331 - L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE ■■■ 39 Cahier de formation n° 96 de santé, par exemple entre le dermatologue qui prescrit et le pharmacien qui délivre, renforce la peur. Point de vue « L’IDE renforce le dialogue » ■ Médias bavards, Dr Sandrine Rappelle, Centre hospitalier d’Arles (Bouches-du-Rhône) La désinformation peut aussi être présente dans l’environnement non médical du patient : ne pas négliger le rôle potentiellement délétère de l’entourage, des médias et des forums de discussion sur Internet. ■ Notices – trop? – exhaustives © Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016 La corticophobie est entretenue par la lecture des notices, qui peuvent être vues comme anxiogènes par le patient, puisqu’y figurent notamment les effets les plus graves, rarrissimes voire exceptionnels si l’utilisation est conforme. Conséquences délétères ■ Vers l’échec, sans doute La corticophobie conduit immanquablement à l’échec thérapeutique. Le traitement, démarré trop tardivement ou à des doses trop faibles, DR à tort et à travers « Dans la dermatite atopique comme dans toutes les maladies chroniques, l’IDE, qu’elle exerce en milieu libéral ou hospitalier, apporte son soutien au patient et le remotive dans la poursuite du traitement quotidien. Elle peut aussi réorienter un patient vers la consultation alors que ce dernier avait baissé les bras pensant qu’il n’y a plus rien à faire après une prise en charge ancienne. Sur le plan strictement clinique, l’IDE renforcera le dialogue pour éventuellement désamorcer une peur des traitements dermocorticoïdes et sera capable de dépister une complication de la dermatite atopique, due à la maladie elle-même ou à son traitement. » ne soulage pas efficacement le patient, ce qui expose à un risque de complications. L’inconfort et le prurit s’aggravent, les lésions de grattage sont plus nombreuses. La peau se lichénifie et le risque de surinfection augmente. ■ Fuite en avant Tant que le traitement n’est pas compris ni appliqué correctement, Et si j’étais corticophobe... Et moi, Idel, suis-je un peu corticophobe? N’ai-je pas tendance à mettre en garde exagérément contre les corticoïdes locaux? ➜ Faire le point Évaluer sa propre corticophobie en repérant ses automatismes face aux corticoïdes locaux. Le questionnaire Topicop, initialement destiné aux patients (lire ci-après), ne propose pas de score pour l’interprétation, mais il permet de révéler ses propres méfiances. 40 ➜ Se (re)former C’est la clé pour oublier ses idées préconçues sur les corticoïdes locaux et délivrer un message exact aux patients. Insister sur le mode d’action, la pharmacocinétique et rassurer quant à l’apparition d’effets indésirables. ➜ Le questionnaire Topicop Le terme CC désigne les crèmes aux corticoïdes (ou dermocorticoïdes ou crèmes à la cortisone). L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE - N° 331 - DÉCEMBRE 2016 tant que la dermatite atopique n’est pas perçue comme une dermatose chronique évoluant par poussées, les familles continuent de chercher des solutions, consultent de nombreux médecins avec un nomadisme médical fréquent. Les patients renoncent parfois aux traitements de base et se tournent alors exclusivement vers les médecines alternatives. Pour chaque item, se positionner en choisissant l’une des quatre réponses possibles: Pas du tout d’accord Pas vraiment d’accord Presque d’accord Tout à fait d’accord ➜ Croyances ➊ Les CC passent dans le sang ➋ Les CC favorisent les infections ➌ Les CC font grossir ➍ Les CC abîment la peau ➎ Les CC ont des effets sur ma santé future ➏ Les CC favorisent l’asthme ➜ Comportement ➊ Je n’en connais pas les effets secondaires mais j’ai peur des CC ➋ J’ai peur d’utiliser une dose de crème trop importante ➌ J’ai peur d’en mettre sur certaines zones où la peau est plus fine, comme les paupières ➍ Je me traite le plus tard possible ➎ Je me traite le moins longtemps possible ➏ J’ai besoin d’être rassuré vis-à-vis du traitement par CC Questionnaire en ligne : bit.ly/1Ta997p La dermatite atopique CONTRER LA CORTICOPHOBIE La marche à suivre consiste à traiter les doutes de la personne les uns après les autres en reprenant ses termes pour ne pas donner l’impression de les passer sous silence ou de les minimiser. Bien entendu, le soignant ne doit pas être corticophobe lui-même… (lire l’encadré en bas de la page ci-contre). © Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016 Entendre la peur La corticophobie n’est pas un simple caprice à balayer d’un revers de main, mais une vraie peur qu’il faut entendre sans la juger ni la minimiser. Il ne faut pas accabler les patients ou les parents, mais plutôt les rassurer. Dans tous les cas, il ne faut pas rompre avec la vision des patients ou des parents, mais écouter leurs angoisses. Démonter les idées reçues ■ « Ce n’est pas efficace » Les dermocorticoïdes constituent un traitement purement symptomatique de la dermatite atopique. Si celle-ci se manifeste de nouveau, ce n’est pas à cause d’un manque d’efficacité du produit, mais bien en raison du caractère chronique et cyclique de la maladie. Une sous-consommation au moment de la crise conduit à sa non-résolution tandis qu’une utilisation optimale permet de soulager rapidement. ■ « C’est très dangereux pour ma peau et pour mon organisme » La survenue d’effets secondaires cutanés résulte des propriétés métaboliques et immunosuppressives des molécules prescrites. Mais ces réactions locales sont rares, souvent réversibles. De plus, l’action locale se concentre au niveau épidermique, là où siègent les plaques d’eczéma. Se souvenir que l’épiderme n’étant pas vascularisé, le passage dans le sang est très faible, voire inexistant. Les effets indésirables généraux tels que prise de poids, diabète, retard de croissance… ne sont qu’exceptionnellement observés. ■ « Ce traitement conduit à des risques d’accoutumance et de rebond » Contrairement aux corticoïdes systémiques qui doivent être manipulés avec précaution et faire l’objet d’une décroissance progressive en cas de traitement au long cours, les dermocorticoïdes peuvent être utilisés de façon plus binaire : appliquer dès l’apparition des plaques, arrêter dès leur disparition. En revanche, un épuisement de l’effet est parfois observé après un nombre plus ou moins grand d’applications – c’est la tachyphylaxie. Lorsque cette tolérance s’accompagne d’une augmentation des doses, le risque d’effets secondaires cutanés peut être majoré. Le phénomène est réversible à l’arrêt ou à l’espacement des applications. Enfin, la survenue d’un asthme chez un patient qui a souffert d’une dermatite dans son enfance peut être liée à l’évolution naturelle de l’atopie, mais pas aux dermocorticoïdes. LE BON USAGE DES DERMOCORTICOÏDES Quand les appliquer? Une application par jour le soir sur une peau encore un peu humide, jusqu’à disparition totale des lésions. Reprendre le traitement quotidien dès les premiers signes d’eczéma. Où les appliquer? Les dermocorticoïdes ne s’appliquent que sur les plaques d’eczéma ; un émollient est appliqué partout ailleurs sur la peau saine pour lutter contre la sécheresse cutanée. Appliquer sur les lésions inflammatoires actives en dépassant un peu en couche ni trop fine, ni trop épaisse, puis masser légèrement. Quelle quantité utiliser? La quantité à passer est très variable d’un patient à l’autre et d’une poussée à l’autre. La “bonne” quantité est celle qui permet de traiter efficacement le patient à un moment donné. Si possible, il faut compter le nombre de tubes consommés entre deux consultations et établir un calendrier des poussées, afin que le médecin puisse se faire une idée de la façon dont les dermocorticoïdes sont utilisés et apporter son aide le cas échéant. < VRAI-FAUX ? Les dermocorticoïdes favorisent les infections. Faux. Leur utilisation conforme aux recommandations et de façon suffisamment précoce permet de lutter efficacement contre l’inflammation, de restaurer la fonction barrière de la peau et donc de prévenir les phénomènes de surinfection. En revanche, en cas d’infection cutanée constituée, suspendre transitoirement l’application car il s’agit d’une contre-indication à leur usage. Ils sont incompatibles avec l’exposition solaire. Faux. Les dermocorticoïdes ne sont pas photosensibilisants. Certains patients développent une allergie aux dermocorticoïdes. Vrai. Cela se traduit par une résistance au traitement bien conduit d’une dermatose classiquement “corticosensible” ou par l’apparition de nouvelles lésions sur des zones inhabituelles, sur les mains ou autour des lésions préexistantes. Cet eczéma de contact reste néanmoins très rare. DÉCEMBRE 2016 - N° 331 - L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE 41