Travailler avec une maladie chronique Dominique LHUILIER CRTD-CNAM [email protected] Introduction • La plupart des recherches privilégie un type de maladie chronique et n’offre pas de perspectives comparatives permettant de dégager des problématiques communes et des spécificités. • Prendre en compte différentes sphères d’activités et régulations adaptatives et développementales: l’unité dialectique des activités humaines = réarticuler vie de travail et vie hors travail pour étudier leurs régulations • Ces régulations ont une visée adaptative: prévenir la menace de précarisation sanitaire et sociale (dégradation de l’état de santé, perte de « l’employabilité »). Et une visée développementale: accroître le pouvoir d’agir du sujet sur lui-même et sur son environnement. Vivre et travailler avec une maladie chronique • Une recherche qualitative • Des entretiens individuels (87)et collectifs (10) • Comparaisons entre 4 pathologies: cancer, VHC, VIH, diabète • Financée par l’ANRS • Conduite par des chercheurs du CRTD-CNAM • Un ouvrage à paraître Editions ERES (2016) Diagnostic et annonce Cancer VHC VIH Diabète A partir d’examens de routine ou consultations vu symptômes (attribués à fatigue/ stress, surmenage). Diagnostic synonyme d’angoisse majeure, de profonde mise en vulnérabilité d’attentes ; Idée de mort et rupture biographique La découverte du VHC est toujours fortuite: l’annonce jamais anticipée Absence de connaissances sur VHC et modes de transmission. Quête de sens, d’informations, de l’origine de la maladie (mais écart temporel entre la contamination et le diagnostic) Tests de dépistage Choc de la révélation (soit lors l’annonce ou premiers symptômes ou mise sous traitement). L’acceptation de la maladie diffère selon l’appartenance à un groupe social dit à risque (gay, toxicomane, migrant) ou non. Diagnostic effectué de façon fortuite et/ou à partir de symptômes particuliers Réactions à l’annonce variables suivant l’âge : enfance= absence évocation des difficultés rencontrées/plus tardivement= renoncements, réaménagement du mode de vie. Traitements cancer VHC VIH Diabète DES traitements. Temporalité spécifique : interventions, contrôle, hospitalisations, consultations Un « travail à temps plein » .La rémission n’est pas la guérison : l’ombre de la récidive. Guérison maladie n’est pas guérison du trauma. Longtemps silencieuse, traitement différé. Entrée dans traitement laissée à la décision du patient Le « bon moment »: incidences sur la vie professionnelle et familiale, ressources physiques et psychiques. Effets collatéraux du traitement. Expérience des progrès dans le traitement du VIH : peu d’effets secondaires. Différencier le avant/après trithérapies. Infections opportunistes, comorbidités, symptômes du vieillissement à traiter aussi Contrôle permanent taux glycémie. Observance durable difficile. Une activité = un apprentissage important Décalage entre visions des soignants/celles des malades : vivre « normalement »= méconnaissance de la réalité de la vie sous traitement. Travail de santé cancer VHC VIH diabète Prise en charge médicale=délégatio n, voire régression. « S’écouter » pour se ménager. « Prendre soin de soi » et se protéger des autres « Se sentir vivant malgré tout » : l’entretien de la vitalité Apprentissages qui peuvent se transmettre entre pairs. Intense activité de prospection d'informations. Construction de savoirs et savoirfaire : écouter son corps, interpréter signaux, anticiper troubles provoqués par les médicaments, régler son mode de vie. Trouver « le bon médecin » Prendre soin de soi : auto-observation. Auto-prescriptions Coordination spécialités médicales.Apprendr e à faire avec l’incertitude, les fluctuations de l’énergie et du moral. Importance de l’activité qui permet de mettre la maladie à distance, à la Un travail essentiel ici; apprentissage nécessaire : formation à l’insulinothérapie fonctionnelle = acquisition de compétences pour devenir autonome, organiser la compatibilité traitement et mode de vie. Poids des exigences au quotidien Trajectoires professionnelles et aménagement de son travail cancer VHC VIH diabète Arrêts de travail Ambivalence maintien lien au milieu de travail + reprise du travail : lien rassurant et menaçant, désir et craintes du retour. Reprise du travail= confrontation à une double altérité, à soi-même, aux autres. diag : absence d’impact sur vie professionnelle. Rupture lors entrée traitement. Interrogation sur le « dire / taire »:arrêt de travail inscrit la maladie sur la scène du travail. L'impact de l'arrêt dépend durée, répétitivité, statut d'emploi et qualité des relations professionnelles. Changement de métier et/ou de conditions d’emploi : visée d’allègement des contraintes du travail et d’accroissement des mages de liberté. Modification des manières de travailler, de gérer son rythme de travail tout au long de la semaine ou de la journée. Absence d’interruption de la vie professionnelle mais recherche d’un travail qui permette de satisfaire aux contraintes de la maladie. Jeunes= la maladie déterminant de l’orientation professionnelle. Autres= réorientation des trajectoires professionnelles et suite cancer VHC VIH diabète Le retour au travail : place perdue, à reconquérir, à reconstruire, à déplacer ? = un travail d’emplacement dans lequel s’engager pour trouver sa place et pas seulement une place. Importance de l’histoire antérieure. Retour : aménagements formels (ex :mitemps thérapeutique) ou informels, pour réduire la charge de travail Ou rupture (démission, licenciement, invalidité). Cacher sa maladie et troubles et consultations, examens associés Quête de stabilité de l’emploi et des conditions de travail (régularité des horaires et rythmes de travail dans l’activité), anticipation, prévention du stress. Le travail comme moyen de se décentrer de la maladie, de la mettre à distance Transformations du rapport au temps, à soi, aux autres cancer VHC VIH diabète Métamorphose de soi :déconstruction, reconstruction; la figure de la mort. Une expérience traumatique = des séquelles manifestes. L’urgence vitale redistribue les engagements : se concentrer sur ce travail de résistance sur la construction d’une nouvelle « allure de vie ». Transformations temporaires ou durables. L’ambivalence à l’égard du vieillissement : un luxe, un cadeau/ voir son corps de dégrader, voir les stigmates du temps écoulé Etre vieux avant l’âge : brouillage des temps chronologiques, des catégories d’âge= interrogation sur la définition du vieillissement Une chronicité sans perspective d’évolution. L'expérience de la maladie = restrictions, renoncements mais aussi gains. La nécessité de vivre avec modération, réévaluer la place à accorder au travail dans la vie, mesurer son implication. La guérison n'est pas synonyme de retour à l'état antérieur. L'expérience de la maladie est synonyme de pertes mais aussi de gains : « opportunité » d'une réévaluation de sa vie passée suite cancer Un soi affaibli + grandi :être abîmé, fragilisé/les « bénéfices secondaires » de la maladie : ce qu’elle a contribué à révéler, à faire découvrir, ce qu’elle a permis d’apprendre, d’expérimenter. Recentrement sur soi et distance des autres. VHC VIH diabète Vieillissement et discriminations : un stigmate de plus ou une nouvelle expérience du stigmate, visible celui-là. Pertes associées au vieillissement à la maladie mais aussi gains : l’émergence de nouveaux modèles de vie. Isolement social, difficultés socioéconomiques des femmes Intensification du rapport à soi : nécessité de s’observer, d’être attentif à sa santé et son alimentation. Complexification du rapport aux autres : comment accepter d’être différent sans renoncer à être comme les autres ? Réduction de l’acceptation de la différence dans les milieux de travail. Des problématiques transversales aux maladies chroniques • Transformation du rapport au temps, à l’action, à soi-même, aux autres. • Pour les personnes atteintes de maladies chroniques, l’horizon n’est pas la guérison mais la viabilité d’une vie, dans la conscience de la fragilité. La vie est modifiée par l’événement qu’est la maladie et qui implique une vie autre, marquée par des ruptures biographiques, par la labilité des états psychiques et somatiques, par une précarité vitale et sociale. Une tension qui contribue à l’usure - Une vie traversée par des tendances contradictoires. La maladie = réduction des possibles, ralentissement de l’existence, désocialisation / exaltation des désirs, intensification du rapport à soi et aux autres, accélération du temps de l’exister. - Des régulations, arbitrages, compromis à construire et reconstruire en fonction des évolutions, tant internes (de la pathologie, fluctuation des ressources physiques, psychiques, usure et vieillissement…) qu’externes (transformations du monde du travail et de ses exigences, changement de métier, de poste de travail, d’activités, de collègues…). - Ces changements affectent les manières de vivre et de faire, les trajectoires professionnelles, les projets de vie, les équilibres construits entre les différentes sphères d’activités - Ajustements biographiques: actions entreprises par les personnes malades pour retenir et/ou regagner un certain degré de contrôle de leurs biographies rendues discontinues par la maladie Travail de santé • Des activités de soin ( care et cure) de soi, auto-prescriptions qui règlent le style et l’hygiène de vie, réorganisation du travail demandé par la prescription médicale pour ajuster à la fois aux exigences et contraintes des autres sphères d’activités et aux désirs et aspirations du sujet. Aménagements des activités professionnelles • Le milieu professionnel = le cadre où se déploie ce travail de santé. Il oriente, transforme les activités professionnelles - aménagements des rythmes et horaires de travail (formels et informels) , évitement des tâches les plus éprouvantes physiquement, stratégies de compensation des altérations fonctionnelles, de la fluctuation des ressources productives, réévaluation des urgences et priorités, réduction de l’exposition à des risques pour soi et pour autrui, composition avec les jugements des autres (suspicion) . Le poids du secret = une impossible gestion partagée dans les milieux de travail de la compatibilité état de santé / activité professionnelle = un coût physique et psychique très lourd. L’activité de dissimulation et de gestion solitaire de l’ajustement à / de l’activité et du maintien au travail est source d’usure, d’épuisement, de précarisation de la santé somato-psychique et d’isolement. Les activités de recherche d’emploi • La maladie chronique peut conduire à un réaménagement des projets et situations professionnelles, comme elle peut orienter les choix de formation et de métiers = des activités de réaménagements en quête de constructions de compromis entre exigences contradictoires : continuité / rupture, préservation de soi / développement de soi, altérité / conformité… • Les activités de recherche d’emploi = usage des dispositifs d’accompagnement (de droit commun ou spécifiques au « handicap »), et des démarches personnelles prospectives. • Au cœur de ses activités se situent l’épreuve du dévoilement : la présentation du parcours = risque de la révélation de la maladie ou de la réduction de soi au « déficit » supposé par le recours aux dispositifs spécialisés (inaptitude, handicap…). Maintien dans l’activité professionnelle et usure • Apprendre à construire et utiliser les ressources pertinentes comme à esquiver ou limiter les contraintes du contexte de travail est un processus qui dépend de la possibilité de construire des marges de manœuvre dans et entre sphères d’activités. Il n’est pas sans coût • L’épuisement, l’usure, peuvent favoriser le passage vers la dépression et l’éviction du travail; ils contribuent au vieillissement éprouvé. À paraitre en février 2016