LA LIBERTÉ AD INFINITUM CHEZ D.A.F. SADE –LUMIÈRE OU OBSCURITÉ ? Ana GUTU Docteur ès-lettres ULIM La modernité des Lumières au début du troisième millénaire Le XVIIIe siècle revisité Galaţi, Roumanie, les 29-30 avril 2015 Donatien Alphonse François de Sade (1740-1814) dates de la biographie pénale de Sade • Le 29 octobre 1763 (à 23 ans) Sade est condamné à 15 jours d’emprisonnement pour « débauche outrée » ; • Le 3 avril 1768 Sade est accusé de flagellation et blasphème sur la personne d’une jeune mendiante – Rose Keller ; • Le 27 juin 1772 (Sade a 32 ans) il est accusé avec son valet d’avoir fouetté, drogué et sodomisé quatre jeunes prostituées de Marseille ; • De scandale en scandale, Sade est arrêté le 13 février 1777 pour être emprisonné d’abord à Vincennes, puis à la Bastille jusqu’en 1790, pour être à nouveau incarcéré en 1794 où il échappe de justesse à l’échafaud, avant d’être arrêté en 1801, cette fois soi-disant pour ses écrits, et enfin enfermé dans l’asile de fous de Charenton jusqu’à sa mort en 1814. Charles Henry. « On a déjà remarqué, pour son temps de volupté franche et polissonne, Sade est une anomalie » Thèses de Charles Henry • Charles Henry, chercheur, chimiste et historien des mathématiques, fut le premier à lancer en 1887 la thèse selon laquelle Sade serait un écrivain moraliste, qui aurait peint le vice jusqu’à le faire détester. • L’accumulation et la répression des instincts au sein de la famille de Sade ont préparé, selon Henry, la déflagration volcanique délivrée par Sade dans ses écrits, et, dans ses actes. • Henry présente Sade plutôt comme une victime d’un jeu de circonstances, d’un jeu de multiples malentendus qu’un bourreau. Michel Onfray. « Sade était un délinquant sexuel et, en même temps, écrivain » Thèses de Michel Onfray • Onfray définit Sade comme un philosophe « radicalement matérialiste, athée », prônant l’idéologie de la nécessité. • Plus encore, Onfray considère que la philosophie de la nécessité développe un déterminisme qui exclut la liberté. Ainsi, selon lui, Sade est le dernier philosophe de la féodalité médiévale, et non pas le premier philosophe des Lumières. • Sade est un jacobin d’occasion, le philosophe faisant allusion à la nullité des visions politiques de Sade. Onfray conteste le fait que Sade s’était insurgé contre la peine de mort. Annie Le Brun « Le temps ne serait-il pas venu de penser qu’il est des volcans plus éclairants que la bienséance esthétique ou philosophique ? » Thèses de Le Brun • Selon Le Brun Sade dépasse le matérialisme de la négation des formes, sa façon de penser, allant au-delà du Bien et du Mal, emporte tout sur son passage, en balayant les repères conceptuels, qui perdent leur utilité. • elle affirme que tout ce qui est lié à Sade et à son ouvrage, le réel et le virtuel, se confond dans un théâtre – celui de l’athéisme. « chuchotement en faveur de Sade »: la dialectique de ses attitudes basée sur la contradiction Attitudes de Sade – corpus « La Philosophie dans le boudoir » (1795/2014) Sade contre l’Etre Suprême • « Dieu est le seul tort que je ne puisse pas pardonner à l’homme ». • « Que de crimes épargnés sur la terre, si l’on eût égorgé le premier imbécile qui s’avisa de parler de toi ! Montre-toi donc si tu existes ; ne souffre pas surtout qu’une faible créature ose t’insulter, te braver, te bafouer comme je le fais, qu’elle ose renier tes merveilles et rire de ton existence, vil fabricateur de prétendus miracles ! » • « Oui, citoyens, la religion est incohérente au système de la liberté ; vous l’avez senti. Jamais l’homme libre ne se courbera près des dieux du christianisme ; jamais ses dogmes, jamais ses rites, ses mystères ou sa morale ne conviendront à un républicain. » • « Profaner les reliques, les images des saints, l’hostie, le crucifix, tout cela ne doit être, aux yeux du philosophe, que ce que serait la dégradation d’une statue païenne ». Sade et la nature • « Que sommes-nous ? Un instant dans le temps, un point dans l’espace, une impuissance dans la toute-puissance de la nature ! » • « Comment une action qui sert aussi bien la nature pourrait-elle jamais outrager ? » • « Ce droit est dans la nature… il est incontestable» • « Quelle autre voix que celle de la nature nous suggère les haines personnelles, les vengeances, les guerres, en un mot, tous ces motifs de meurtres perpétuels ? » • « Les lois de la nature » Sade plaide contre la peine de mort • « De ces premiers principes il découle, on le sent, la nécessité de faire des lois douces, et surtout, d’anéantir pour jamais l’atrocité de la peine de mort, parce que la loi qui attente à la vie d’un homme est impraticable, injuste, inadmissible. » • « La seconde raison pour laquelle on doit anéantir la peine de mort, c’est qu’elle n’a jamais réprimé le crime, puisqu’on le commet chaque jour aux pieds de l’échafaud. On doit supprimer cette peine, en un mot, parce qu’il n’y a point de plus mauvais calcul que celui de faire mourir un homme pour en avoir tué un autre, puisqu’il résulte évidemment de ce procédé qu’au lieu d’un homme en moins, en voilà tout d’un coup deux, et qu’il n’y a que des bourreaux ou des imbéciles auxquels une telle arithmétique puisse être familière. » Sade contre la pénalisation de la calomnie • « J’avoue avec la plus extrême franchise que je n’ai jamais cru que la calomnie fut un mal, et surtout dans un gouvernement comme le notre… De deux choses l’une : ou la calomnie porte sur un homme véritablement pervers, ou elle tombe sur un être vertueux. On conviendra que dans le premier cas il devient un peu plus indifférent que l’on dise un peu plus de mal d’un homme connu pour en faire beaucoup… La calomnie porte-t-elle au contraire sur un homme vertueux ? Qu’il ne s’en alarme pas… La calomnie, pour de tels gens, n’est qu’un scrutin épuratoire dont leur vertu ne sortira que plus brillante. » • « Le législateur, dont toutes les idées doivent être grandes comme l’ouvrage auquel il s’applique, ne doit jamais étudier l’effet du délit qui ne frappe qu’individuellement ; c’est son effet en masse qu’il doit examiner ; et quand il observera de cette manière les effets qui résultent de la calomnie, je le défie d’y trouver rien de punissable… » Sade contre l’amour • « Le cœur trompe, parce qu’il n’est jamais que l’expression des faux calculs de l’esprit. » • « Qu’est-ce que l’amour ? On ne peut le considérer, ce me semble, que comme l’effet résultatif des qualités d’un bel objet sur nous ; ces effets nous transportent ; ils nous enflamment ; si nous possédons cet objet, nous voilà contents ; s’il nous est impossible de l’avoir, nous nous désespérons. Mais quelle est la base de ce sentiment ?... Le désir. Quelles sont les suites de ce sentiment ?... La folie. » Sade contre la vertu • « Va, la vertu n’est qu’une chimère, dont le culte ne consiste qu’en des immolations perpétuelles, qu’en des révoltes sans nombre contre les inspirations du tempérament. » • « C’est une extravagance de nos parents que ces prédictions de malheur dans la voie du libertinage ; il y a des épines partout, mais les roses se trouvent au-dessous d’elles dans la carrière du vice. » • « La fausseté, d’ailleurs, est presque toujours un moyen assuré de réussir; celui qui la possède acquiert nécessairement une sorte de priorité sur celui qui commerce ou qui correspond avec lui : en l’éblouissant par de faux dehors, il le persuade ; de ce moment il réussit. » Sade contre la bienfaisance • « Il n’y a de dangers dans le monde que la pitié et la bienfaisance ; la bonté n’est qu’une faiblesse dont l’ingratitude et l’impertinence des faibles forcent toujours les honnêtes gens à se repentir ». • « elle (la bienfaisance) accoutume le pauvre à des secours qui détériorent son énergie, il ne travaille plus quand il s’attend à vos charités, et devient, dès qu’elles lui manquent, un voleur ou un assassin. » • « …la bienfaisance est bien plutôt un vice de l’orgueil qu’une véritable vertu de l’âme ; c’est par ostentation qu’on soulage ses semblables, jamais dans la seule vue de faire une bonne action ; on serait bien fâché que l’aumône qu’on vient de faire n’eut pas toute sa publicité possible ». Sade contre la punition des crimes • Sade contre la punition du vol : « Or, je vous demande maintenant si elle (la loi) est bien juste, la loi qui ordonne à celui qui n’a rien de respecter celui qui a tout. Quels ont les éléments du pacte social ? Ne consiste-t-il pas à céder un peu de sa liberté et de ses propriétés pour assurer et maintenir ce que l’on conserve de l’un et de l’autre ? » • Sade justifie la destruction et les meurtres : « Si l’éternité des êtres est impossible à la nature, leur destruction devient donc une de ses lois. » « L’homme qui détruit son semblable est à la nature ce qui est la peste ou la famine ». « Quelles autre voix que celle de la nature nous suggère les haines personnelles, les vengeances, les guerres, en un mot, tous ces motifs de meurtres perpétuels ? » « N’est-ce pas à force des meurtres que Rome est devenue la maitresse du monde ? N’est-ce pas à force des meurtres que la France est libre aujourd’hui ? » « L’homme qui détruit son semblable est à la nature ce qui est la peste ou la famine. » Conclusions Bien Mal Conclusions • La biographie de Sade corroborée à ses écrits semble constituer un autre pôle du siècle des Lumières, pas forcément le pôle obscur. Voici quelques arguments en faveur de cette affirmation : Sade est un partisan farouche de la raison, on peut considérer Sade déiste, l’athéisme de Sade va de pair avec la liberté de conscience des Lumières qui s’insurgeaient contre la Providence. • Or, Sade est l’écrivain de la révolte, il garde l’esprit de la Révolution. Mais sa révolte est celle de l’imaginaire infini contre le matériel fini. Une révolte motivée par le désir de liberté (Sade a passé 29 ans en prison) qui s’est transposée en fureur de l’écriture. C’est en prison que Sade devint écrivain. Sources: • Henry, Charles. La vérité sur le marquis de Sade. Paris, Editions de la Bibliothèque, 2010. 95 p. • Le Brun, Anne. On n’enchaine pas les volcans. Paris, Gallimard, 2014. 182 p. • Lacombe, Christian. Lire et interpréter Sade. In : Henry, Charles. La vérité sur le marquis de Sade. Paris, Editions de la Bibliothèque, 2010. 95 p. • Onfray, Michel. La passion de la méchanceté. (Sur un prétendu divin marquis). Paris, éd. Autrement, 2014. 186 p. • Sade D.A.F. La philosophie dans le boudoir. Paris, Gallimard, 1976 (impression 2014, Barcelone, Espagne). 314 p. • Sade D.A.F. Contes étranges. Paris, Gallimard, 2014. 385 p. • Sade D.A.F. Discours contre Dieu. Bruxelles, Editions Aden, 2008. 173 p. • Sollers, Philippe. Sade contre l’Etre Suprême. Paris, Gallimard 1996, imprimé en 2014. 123 p. Liens vers la présentation de l’exposition « Sade: attaquer le Soleil », décembre, Musée d’Orsay, Paris. • https://www.youtube.com/watch?v=3tyTgINy3EE • https://www.youtube.com/watch?v=NIeGIoF6hIc • https://www.youtube.com/watch?v=sRiC4pmX8Tg Merci de votre attention! Ana GUŢU •[email protected] •www.anagutu.net