RÉFLEXION SUR LA GENÈSE DU LANGAGE (700

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RÉFLEXION SUR LA GENÈSE DU LANGAGE :
PERTINENCE D’UN REPÉRAGE PARENTAL PRÉCOCE
DU TROUBLE SPÉCIFIQUE DU LANGAGE ORAL
CHEZ L’ENFANT.
Étude comparative entre une population « dysphasique »
et une population témoin.
Hélène Charbonneau-Souchet
Thèse de Doctorat en Médecine,
le 12/10/2009 à Poitiers.
Introduction
• Le langage oral est généralement acquis en 4 années … mais pas par tous.
• Les enfants atteints d’un Trouble Spécifique du Langage Oral (TSLO)
permettent de réaliser combien le processus d’acquisition du langage est
complexe.
• Le Trouble « Spécifique » du langage oral est défini grâce à des critères
d’ exclusion dans les classifications de la littérature internationale (CIM10,
DSM IV):
 Pas de retard mental
 Pas de handicap sensoriel
 Un environnement affectif et social adapté
 Pas de pathologie mentale expliquant le trouble langagier
 Pas de lésion cérébrale.
• De nombreux auteurs préfèrent parler de troubles complexes du langage
oral qui donnent une perspective plus globale à ce trouble, en évitant de
réduire le langage à sa fonction instrumentale.
Introduction (suite)
• Le Trouble du langage oral a une évolution variable en fonction de la
sévérité du trouble. En France, on distingue:
 Le retard « simple » de langage: déficit fonctionnel et transitoire.
 Le trouble spécifique du développement du langage oral: déficit
sévère structurel et persistant. On parle aussi de dysphasie.
• Des marqueurs psycholinguistiques du TSLO de type dysphasique sont à
rechercher:
 Le critère de gravité
 Le critère de durabilité
 Le critère de déviance.
• Il peut exister différents types d’atteintes: déficit de la production, déficit
de la compréhension, ou bien les atteintes mixtes.
• Touche environ 1% des enfants par classe d’âge.
Introduction (fin)
• Le repérage d’un trouble du langage a été reconnu comme enjeu de santé
publique du fait du risque des conséquences néfastes sur les
apprentissages scolaires fondamentaux puis du risque de désinsertion
sociale. (rapport Ringard (2000); plan interministériel Education
Nationale- Santé (2002)).
• En France, les recommandations de la HAS en 2005 concluent au
caractère systématique du dépistage des TSLO chez l’enfant entre 3 et 6
ans même en l’absence de plainte.
• Mais:
 Est-il possible de repérer un TSLO de façon précoce (avant 3 ans)?
 Qui doivent être les acteurs du repérage?
 Les parents en tant que 1ère communauté linguistique de l’enfant,
sont-ils des informateurs pertinents?
 Quelles actions mettre en œuvre alors?
Les compétences « socles », préalables au
langage.
• Un environnement psycho affectif sécurisant. SPITZ, BOWLBY.
• L’étude des interactions mère-bébé permet de dégager 3 modes successifs
de communication:
 La communication d ’émotions par la mimique et le regard. SPITZ.
 La communication d’intentions par le recours au geste. DANONBOILEAU
 Le pointage proto impératif et proto déclaratif.
 Les tours de rôles, ébauche de la situation dialogique.
 Les premiers gestes symboliques.
 Puis vers 1 an: recours à la communication orale, à proprement dit.
Les étapes de l’acquisition du langage oral
• La phase prélinguistique. (1ère année)
 Entre 0 et 2 mois: production de vocalisations
 Entre 1 et 4 mois: production de syllabes archaïques
 Entre 3 et 5 mois: production du babillage rudimentaire
 Entre 5 et 10 mois: production du babillage canonique. (étape clé)
 Vers 1 an: production du premier mot et compréhension de 50 mots.
• La phase linguistique. (2ème année)
 Entre 18 et 30 mois: explosion lexicale (+ 5 à 10 mots par jour!)
 Vers 2 ans : combinaison de 2 mots. Début de la syntaxe (phrases
rudimentaires: agent- action).
 Vers 3 ans : apparition du « je ». Organisation grammaticale dans les
énoncés (S-V-C). Compréhension des phrases complexes.
« le génie grammatical » PINKER.
Le langage et la naissance du sujet
« symbolique »
• Bien au-delà de sa fonction instrumentale, le langage propulse l’enfant,
grâce aux représentations, dans un système symbolique complexe, lieu
d’émergence de la pensée.
• Les psychanalystes se sont intéressés à l’origine de la pensée. Ils ont
montré qu’elle prend racine dans les interactions précoces et la langue
maternelle en constitue la trame de fond.
• L’accès aux représentations:







Le pictogramme. AULAGNIER
Processus primaire et secondaire. FREUD
Le symbole pour surmonter la perte. KLEIN
La fonction maternelle α. BION
L’aire transitionnelle. WINNICOTT
Moi-peau. ANZIEU
Enveloppe prénarrative et Soi-noyau. STERN.
« Soi verbal » et intersubjectivité chez
l’enfant dysphasique
• Un trouble de la communication orale va avoir des incidences sur la vie
relationnelle de l’enfant qui en est atteint. (UZE)
• La maîtrise de la langue maternelle permet au sein d’une communauté
d’édifier notre capacité à penser et à se penser, de construire notre « Soi
verbal » (BERNARDI)
• Ce Soi verbal, véritable organisateur du monde interne et naissant vers 18
mois prend ses racines dans l’intersubjectivité.
• Chez l’enfant dysphasique, le Soi verbal se retrouve « ébranlé », du fait de
la difficulté rencontrée lors des échanges langagiers.
• Le risque est donc de voir apparaître des troubles émotionnels de
l’enfance.
Présentation de notre étude:
évaluation de l’intérêt d’un
repérage parental précoce d’un
trouble du langage oral.
Etude comparative incluant 50
enfants atteints d’un TSLO et 50
enfants « témoins »
I- Contexte de l’étude.
• Les recommandations d’experts préconisent un dépistage des troubles du
langage entre 3 et 6 ans.
• Questionnaires adressés aux enseignants ou aux professionnels de la
santé: DPL3, QLC, ERTL4, BSEDS 5-6, ERTL6, BREV.
• Aucun des outils n’utilise l’information parentale or certains travaux
indiquent que les parents devraient participer au repérage des TSLO. (Mass
2000; Callu et col. 2003).
• 2 outils sont utilisables chez l’enfant avant 3 ans, évaluant la performance
communicationnelle et langagière lors d’une observation directe:
 Les IFDC (adaptation du questionnaire parental CDI de Mac-ArthurBates)
 Le Dialogoris
• Quelle pertinence des informations parentales ?
II- Objectifs de l’étude
• Première partie du questionnaire:
 Recherche de différences cliniques significatives entre 2 populations
 Recherche de signes « d’alerte » faisant évoquer un TSLO grâce aux
informations parentales.
 Recherche d’une différence comportementale imputable au trouble
du développement langagier de l’enfant dès les 1ères expériences de
socialisation.
• Deuxième partie du questionnaire:
 Etude en population « dysphasique »
 Evaluation du parcours de soins
 Estimation du délai à la prise en charge.
• Pouvoir décliner de nos constatations un nouveau mode de prise en
charge.
III- Matériel et méthode
• Étude rétrospective de type enquête « cas-témoins »
• Populations étudiées:
 50 enfants « TSLO » ayant consulté au CRTL entre 1999 et 2009
 50 enfants «contrôle» fréquentant le milieu scolaire ordinaire recrutés
de manière aléatoire au cours de l’année scolaire 2008-2009.
• Entretiens téléphoniques réalisés auprès des parents
• Présentation des questionnaires:
 Antécédents de l’enfant
 Communication verbale (versants expressif et réceptif) et non verbale
 Qualité des praxies
 Accès au jeu symbolique
 Évaluation psychoaffective
 +/- Contenu et qualité du parcours de soins.
 Items distracteurs
• Analyse statistique effectuée auprès du service de Bio statistiques Poitiers
IV-Résultats
• 100% réponses
• Information des parents sur les TLO : 88% des parents non informés.
• A) Etude clinique des populations.
1. Descriptif des populations:
 Population de cas: 35 garçons (70%) et 15 filles (30%) dont un
couple de sœurs jumelles
 Population témoin: 33 garçons (66%) et 17 filles (34%)
2. Existence d’antécédents familiaux de TLO:
 62% chez les cas vs 12% en population témoin
 p=3.063E-07. OR=12. IC 95%= [3.9; 39.9]
70
60
50
28%
(N=14)
2ème degré
40
30
20
1er degré
34%
(N=17)
10
8% (N=4)
4% (N=2)
0
CAS
TEMOINS
3.
ATCD personnels ORL:
 56% en population TSLO (N=28) ont eu ATCD d’infections ORL
répétées vs 30% en population témoin (N=15).
 40% en population TSLO (N=20) ont eu des Otites à répétition vs
16% en population témoin (N= 8).
amygdalectomie, ablation végétations
N=7
angine,laryngo-pharyngite
N=7
bouchons de cérumen
N=6
2
déficit audiométrique
TEMOINS
N=9
CAS
paracentèse
2
Pose d'ATT
1
1
otites à répétition
N=11
N=8
0
N=20
5
10
15
20
25
30
4.
Sensibilité/ Spécificité des items sur la communication non verbale et
verbale classées en ordre chronologique d’apparition.
90
96
96 95.7 97.9
100
92
88
88
83.3
89.6
80
94
91.8
92
70
50
62
68
20
92
91.8 93.7
91.8
82
78
80
76
68
60
57.1
56
40
30
93.7 100
93.9
78
70
60
96
94
64
58
sensibilité (en%)
34.8
32
29.2
spécificité (en %)
10
0
5.
Pointing: différence non significative entre les 2 populations (p=6.77E-01)
6.
Evaluation comportementale en population TSLO après 3 ans
(scolarisation en école maternelle)
TROUBLES
EXTERNALISÉS (14%)
ABSENCE DE TROUBLE
DU COMPORTEMENT
(38%)
TROUBLES
INTERNALISÉS ET
EXTERNALISÉS (24%)
TROUBLES
INTERNALISÉS (24%)
7.
Sensibilité/ Spécificité des items relatifs
psychoaffectif et à l’accès au jeu symbolique.
100
90
83.7
92
92
96
87.8
79.6
80
75
65.3
70
60
retentissement
98
83.7
80
au
61.2
62
53.1
63.8
50
40
49
40
43.7
sensibilité (en%)
30
20
10
0
spécificité (en %)
22.5
26.5
• B) Evaluation du parcours de soins dans la population d’enfants TSLO
1.
2.
3.
4.
5.
6.
Âge moyen auquel les parents se sont inquiétés pour le
développement du langage: 2 ans ½.
Premier professionnel rencontré à 3 ans en moyenne.
 Initiative parentale: 50% des cas (N=25)
 Repérage à l’école maternelle: 46% des cas (N=23)
 Conseil de l’entourage familial: 4% des cas (N=2)
Délai médian calculé entre première inquiétude des parents et
consultation auprès d’un 1er professionnel: 3 mois.
Le premier professionnel était le médecin généraliste dans 38% des
cas et l’orthophoniste (28%) puis le pédiatre (18% ).
Le second professionnel rencontré était l’ORL dans 44% des cas,
l’orthophoniste (36%) puis le pédiatre (10%).
Délai médian de prise en charge en orthophonie après 1ère
consultation auprès d’un professionnel: 4 mois.
Pour 58% des parents :bonne coordination entre soignants.
V-Discussion
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
Un intérêt suscité pour notre étude
Sexe ratio: 3-4 garçons pour 1 fille (comparable aux résultats de la
littérature : Billard, 2004).
ACTD otites (OSM/OMA) et TSLO: Bilan +/- traitement ORL recommandé.
Les ATCD familiaux de TLO constituent un facteur de risque sans qu’il y
ait un déterminisme génétique du trouble (Bishop,2006) d’où la
nécessité d’une prévention primaire auprès des parents.
Des signes qui doivent alerter avant 1 an : un bébé silencieux, une
absence de vocalise ou de babillage canonique
Autre signe d’alerte: l’absence de premier mot à 18 mois
Un marqueur non verbal utile au diagnostic différentiel avec un TED: le
pointing
Un « retard » à la prise en charge en orthophonie (délai médian=7 mois)
9.
Un profil psychopathologique et psychodynamique particulier: le rôle du
« psy »:
 L’enfant atteint d’un TSLO n’est pas compris par une personne
« étrangère » (94% )
 Utilisation d’un « langage codé » (78 %) avec une personne de
l’entourage ( d’où une dépendance linguistique)
 Pas de progrès langagier lors de la mise à l’école maternelle, voire
même apparition de troubles du comportement (62% chez les cas vs
16.3% chez les témoins)
 Troubles externalisés (14%) (TOP, agressivité)
 Troubles internalisés (24%) (retrait, isolement, régression)
 Troubles exter- et internalisés (24%)
 Crises de colère si non compris (80%) voire automutilations (20%)
 Appréhension du monde extérieur (49%) et angoisse de séparation
(61.2%).
 Comorbidités fréquentes: TDAH, dyspraxie, dyslexie
Rôle clé du pédopsychiatre dans la prévention des troubles
psychopathologiques secondaires.
VI- Critique
• Limites:
 Faible puissance statistique: petit échantillon
 Biais relatif aux réponses parentales: basés sur des souvenirs et pas
une observation directe
 Utilisation d’un questionnaire non validé par des études antérieures
• Intérêts:
 Etude contrôlée
 Mise en évidence de signes d’alerte précoce
 Implication directe des parents qui sont la première communauté
linguistique auprès de l’enfant en développement.
Conclusion et Perspectives…
• Les parents sont de « précieux » informateurs concernant le
développement de leur enfant.
• Ils pourraient être impliqués dans le repérage d’un TSLO notamment
grâce à des outils d’observation directe (ex: IFDC). Intérêt de réaliser
des études prospectives à l’avenir.
• Un nouveau mode d’information : des associations de parents au
« Café des parents ».
• Vers un nouveau mode de prise en charge en orthophonie… incluant
les parents.
• Aménagements lors des 1ères expériences de socialisation : recréer la
dynamique conversationnelle, favorisant le processus de pensée.
• Au-delà de sa fonction instrumentale, le langage participe à la
structuration de la personnalité de l’enfant.
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