Quelle psychologie morale pour l`écocentrisme

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Quelle psychologie morale pour
l’écocentrisme
Présentation pour le premier colloque de l’ADEPUM sur la nature humaine
(UdM, mars 2010)
J. Baird Callicott
Aldo Leopold
Contenu :
1. Problématique
2. Le modèle CAD
3. É.E. de l’individu
4. É. E. de la communauté
5. É. E. de l’ordre naturel
par Antoine C. Dussault
(doctorant à l’Université de Montréal et prof. au Collège Lionel-Groulx)
1. Problématique
1.1 Le débat Hobbes/Hume et la solution darwinienne
Hobbes : Toute action comportementalement altruiste est
motivationnellement égoïste. Réduction égoïste.
Hume : Nous avons des motivations altruistes authentiques
irréductibles à de l’égoïsme.
Solution darwinienne : Hume a raison au plan de notre vécu
psychologique, mais Hobbes a raison sur l’origine. La S.N. a
implanté en nous un sentiment altruiste authentique pcq la vie
communautaire qu’il permet favorise la survie de l’espèce.
1.2 Leopold, Callicott et l’éthique environnementale humienne
L’éthique est un type de symbiose régulée par des sentiments
moraux.
Le progrès de l’éthique s’est, dans l’histoire, dirigé vers un
élargissement de la communauté morale. Le prochain
élargissement adaptativement nécessaire est l’écocentrisme.
Impératif écocentriste : stabilité, l’intégrité, la beauté de la
communauté biotique.
Il s’agit d’une évolution culturelle de l’éthique vers un mode de vie
plus adaptatif.
Rupture avec Hume : l’éthique varie selon les cultures et peut donc
changer selon les époques.
1.3 Le problème de Callicott
Tourne les coins trop ronds en ce qui concerne l’analyse du sentiment moral qui
peut susciter un respect des écosystèmes.
Il évoque une extension de la sympathie humienne et une redirection de notre
respect pour l’intérêt public (supposément humien) vers la communauté
biotique.
Sympathiser avec les écosystèmes semble peu plausible.
La psychologie morale a progressé dans les dernières décennies et un modèle de
la sensibilité morale a été proposé : le modèle CAD.
Je me propose de tenter de pallier à cette faiblesse de Callicott en explorant
comment peut s’incarner l’écocentrisme dans notre sentiment moral si le
modèle CAD est vrai.
2. Un trinôme (big three) de la morale
2.1 Le modèle CAD
Résultat d’une étude empirique menée par Shweder et al. (1993) en Inde dans la
région d’Orissa.
En analysant les données, Shweder et al. se sont aperçus que l’on pouvait
répartir leurs réponses dans 3 classes :
1) éthique de l’autonomie : respect des individus (le soi comme une structure
individuelle de préférences)
2) éthique de la communauté : respect des règles de hiérarchie et
d’interdépendance (le soi comme ayant une identité déterminée par sa
place dans une collectivité plus grande ayant une histoire propre)
3) éthique de la divinité : respect des règles de l’ordre sacré et naturel des
choses, des règles de pureté (le soi comme une entité spirituelle
connectée à un ordre des choses sacré ou naturel. Idée classique de
vivre en accord avec la nature).
D’où CAD.
Ils concluent que leur étude suggère l’existence d’un « big 3 », d’un
trinôme (ma traduction) de la morale.
Permet d’expliquer la variation culturelle des sensibilités morales :
- Variation de ce qui s’incarne dans chacun des domaines
- Variation de l’importance relative des 3 domaines
(ex. : l’occident exacerbe l’éthique de l’autonomie et inhibe les éthiques
de la communauté et de la divinité, alors que l’Inde fait l’inverse).
Remarque terminologique de Prinz (2007, p. 73) : Il faut remplacer
« divinité » par « ordre naturel »
« Within religious cosmology, nature is subsumed by the devine; the
natural order is the order that has been established by the gods. […] Such
violations are first, and foremost, unnatural acts. Therefore, I will say that
[…] [the third ethical domain concerns] transgressions against the
perceived natural order. »
2.2 Les émotions morales associées
Une étude subséquente (Rozin et al. 1999) a tenté d’établir une relation
entre chacun de ces 3 domaines et 3 émotions morales réactives :
Autonomie : Colère (anger)
Communauté : Mépris (contempt)
Ordre naturel : Dégoût (disgust)
Rôle de la sympathie comme véhicule pour l’éthique de l’autonomie
Quels véhicules pour les deux autres domaines ?
Suggestions (à valider) :
Communauté : respect, appartenance
Ordre naturel : humilité, révérence (profond respect), awe (crainte
avec admiration)
Ma question maintenant : dans lequel des trois domaines éthiques
de Shweder et al. l’écocentrisme peut le mieux s’incarner ?
Jusqu’à maintenant, ce qui a été tenté par les éthiciens
environnementaux :
- Autonomie
- Communauté
Ne marchent pas (j’expliquerai pourquoi)
Mon hypothèse :
L’éthique de l’ordre naturel est le domaine le plus approprié.
3. Éthique environnementale de l’individu
3.1 Le biocentrisme de Taylor et Sterba
Paul W. Taylor (1986) défend une position « biocentriste » selon laquelle
tout organisme vivant individuel a une valeur intrinsèque. C’est parce
qu’ils sont conatifs (ont un telos, une impulsion interne, un effort dirigé)
que les êtres vivants méritent une valeur intrinsèque.
James P. Sterba (1995) Élargit le biocentrisme pour qu’il puisse inclure
des touts biologiques comme les espèces et les écosystèmes, en
redéfinissant le critère de conativité en termes thermodynamiques.
Peuvent être des patients moraux les « living systems in a persistent state
of low entropy sustained by metabolic processes for accumulating energy
whose organic unity and self-identity is maintained in equilibrium by
homeostatic feedback processes » (p. 19, s’inspire de Lawrence Johnson
1991).
3.2 Problèmes :
1) Requiert une trop intense anthropomorphisation des écosystèmes
2) Difficulté de sympathiser avec les écosystèmes
(Partridge 2002, p. 24 et Barkdull 2002, p. 45).
Frierson (2006) réplique dans « Adam Smith and the Problem of
Sympathy with Nature ».
3) Notre domaine de l’autonomie est déjà saturé
4. Éthique environnementale de la communauté
4.1 L’écologie d’Elton et l’écocentrisme classique
Elton développe l’écologie sous une métaphore communautaire.
systèmes naturels = sociétés
- Interactions économique (chaine alimentaire)
- Organisation hiérarchique (pyramide de la prédation)
Aldo Leopold : L’humain doit retrouver sa place dans l’économie de la
nature, afin de préserver l’intégrité et la stabilité de sa communauté
biotique.
Callicott : La découverte par l’écologie que nous appartenons à une
communauté biotique doit nous conduire à rediriger nos sentiments
naturels pour l’ordre social (l’intérêt public) vers la communauté biotique.
4.2 Problèmes
1) Abus de la métaphore de la communauté
2) Malaise avec l’idée de hiérarchie et retournement possible de
celle-ci contre les objectifs des écocentristes
1) Domaine possiblement saturé : Ordre de priorité selon Callicot
: famille, municipalité, nation, humanité, communauté biotique
5. Éthique environnementale de l’ordre naturel
5.1 L’origine de l’inhibition de ce domaine moral en
occident
Conception mécaniste moderne vidant la nature de tout telos
Les « lois de la nature » au sens scientifique sont aveugles
implacables.
Pas d’ordre harmonieux du cosmos pouvant être perturbé si
l’humain s’y intègre mal, comme dans l’antiquité et beaucoup
de cultures traditionnelles (idée jugée superstitieuse).
Descartes :
« Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la
physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela
naturelles. » (Descartes, Principes de la philosophie, quatrième partie, § 203)
Francis Bacon :
« Nature to be commanded must be obeyed » (III) et «we cannot command
nature except by obeying her » (CXXIX)
La science écologique ramène une telle idée d’une harmonie du
« cosmos » pouvant être perturbé
L’inhibition de l’éthique de l’ordre naturel en occident n’a plus sa
raison d’être.
Pas d’inférence fallacieuse de l’être au devoir être :
(1) L’harmonie d’un tout naturel T requiert que nous fixions la limite L à notre
liberté (fait causal)
(2) Nous nous soucions de l’harmonie du tout naturel T (fait psychologique à
propos de nos sentiments)
(3) Lorsqu’un agent se soucie de quelque chose, il est enclin à ressentir un devoir
d’observer la limite à sa liberté qui favorise cette chose (fait
psychologique à propos des relations causales entre nos sentiments)
(4) Donc, l’humain ressentira un devoir de respecter la limite L (fait
psychologique à propos des prescriptions que l’on s’impose)
5.2 Avantages de ce domaine sur les deux autres
1) Envisageable envers des entités abstraites (et non conatives)
2) Domaine éthique libre et disponible en occident laïc et assez
flexible chez les non laïcs
3) S’accorde bien avec les intuitions anti-anthropocentristes
Conclusion
Si le modèle CAD est exhaustif…
3e voie inexplorée par l’éthique environnementale académique,
mais qui rejoint
bien les intuitions environnementalistes.
Assumer que l’É.E. est une éthique de l’ordre naturel au lieu
d’essayer de la faire entrer dans un moule qui n’est pas le sien.
Je n’ai pas répondu de manière satisfaisante au problème du
sentiment associé à cette éthique, mais il y en a forcément un.
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