Présentation

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Histoire de la
Pologne, des
origines à nos jours
Troisième cours :
Du déclin à l’effacement
(1572-1795)
Troisième cours :
1 — À la recherche d’un roi
2 — La dynastie suédoise des Wasa (1587-1672)
3 — Une brève éclaircie : Jan III Sobieski (1674-1696)
4 — La dynastie saxonne des Wettin
5 — Le grand règne de Stanislas auguste
1 — À la recherche d’un roi
• À la mort de Zygmunt II (1572), la pratique de l’élection est
confortée par les règles l’Union de Lublin.
• Mais si le principe est admis, ses modalités sont imprécises.
Si le roi avait eu un héritier, les choses auraient été plus
simples, mais ce n’était pas le cas, et il fallait trouver un
candidat.
• Les magnats expérimentés disposaient d’un avantage sur la
szlachta, malgré l’égalité es des deux groupes. Les intérêts
des différentes composantes du pays compliquaient la
situation, chacune d’elles ayant un candidat favori.
• Le Sénat convoqua la Diète à Varsovie et comme cela
risquait d’avantager les catholiques, majoritaire en Mazovie,
les principe de vote par région et d’égalité des confessions
furent réaffirmés.
• Les candidatures furent nombreuses mais c’est le plus
improbable des candidats qui fut choisi, son éloignement
géographique faisant de lui un candidat neutre.
• Le 11 mai 1573, Henri de Valois fut élu roi de Pologne. Une
ambassade se rendit à Paris pour ramener le souverain, qui
s’était entre-temps engagé à respecter les privilèges de la
noblesse.
• Il dut aussi fournir au pays un certain nombre de soldats,
dispositions qui prirent le nom de Pacta conventa,
dorénavant élaboré pour chacun des rois à venir.
• En plus du Pacta, Henir dut s’engager à respecter les
« articles henriciens », dispositions encadrant son pouvoir et
qui constitueront la base des relations entre noblesse et roi :
rejet de l’hérédité de la couronne, obligation de convoquer la
Diète aux deux ans pour, recours à la Diète pour de
nouveaux impôts, pour une levée militaire, déclarer la guerre
ou conclure la paix, respect de la diversité religieuse.
• Le texte mettait en place un Conseil de 16 résidents, élus
pour deux ans par la Diète parmi les membres du Sénat et
chargés de la surveillance du respect par le roi des lois.
• Si le roi s’écartait de celles-ci, les articles introduisaient le
« droit de sédition », permettant de ne pas lui obéir.
• Le système politique devient clairement une monarchie sous
haute surveillance et une république oligarchique aux mains
de la haute noblesse, le Sénat devenant l’instance suprême
et le défenseur des droits de la noblesse.
• Henri souscrivit sans enthousiasme à ces limitations et après
le décès de son frère, il préféré s’enfuir de Pologne en juin
1574 pour ceindre plutôt la couronne de France...
• Il fallut donc recommencer. Ou presque, car le prochain roi
devrait lui aussi souscrire aux articles henriciens. Après
quelques mois d’attente, la Diète jeta son dévolu, parmi
encore de nombreux candidats, sur le voïvode transylvain
Étienne (Stefan) Bathory.
• Après avoir souscrit au Pacta et aux Articles, Bathory fut
couronné le 1er mai 1576 sous le nom de Stefan 1er. Il devait
régner jusqu’à sa mort en 1586.
• Le règne de Bathory fut marquée sur le plan intérieur par la
marginalisation de la Diète (et donc de la szlachta) au profit
des magnats du Sénat, car connaissant mal le pays et étant
avant tout préoccupé de la situation internationale, il s’appuie
sur le Grand chancelier de la couronne (sorte de premier
ministre) pour gouverner.
• Celui-ci, Jan Zamoyski, bien qu’issu de la noblesse moyenne,
se construisit un pouvoir qui fit de lui un magnat, désormais
intéressé à limiter le pouvoir de la szlachta.
• Il encouragea le roi à contourner fréquemment la Diète en
s’adressant aux diétines locales, jouant celles-ci les unes
contre les autres et marginalisant la szlachta au bénéfice des
magnats.
• C’est surtout sur le plan militaire et diplomatique que le règne
de Stefan 1er est important, car après être parvenu à renouer
des liens plus solides avec Gdańsk, il se tourna vers l’est et
par des victoires en 1579, 1581 et 1582, obligea Ivan IV de
Moscovie à conclure une trêve de dix ans très profitable à la
Pologne, qui récupérait ainsi la majeure partie des territoires
perdus au cours des premières décennies de la guerre de
Livonie.
• La passion militaire de Stefan 1er, qui désirait s’en prendre à
la Turquie, contribua à l’éloigner de la Diète, fort peu
intéressée par ces aventures militaires, jusqu’au moment où
il mourût subitement en 1586, à l’âge de 53 ans.
2 — La dynastie suédoise des
Wasa (1587-1672)
2.1 — Des rois sous surveillance
• À partir de 1579, il est moins pertinent de suivre les rois, leur
pouvoir étant encadré par la « république nobiliaire » qui va
prendre son envol au cours du XVIIe siècle, avec des
conséquences qui s’avéreront catastrophiques.
• Car malgré le fait qu’ils tiennent leur pouvoir d’une élection,
les rois au XVIIe siècle se sont employés à s’émanciper de
cette tutelle pour reconstruire un pouvoir central et
évidemment, s’opposant ainsi à
• De sorte que, le pays sera plongé dans une lutte stérile
opposant roi et noblesse, l’affaiblissant et en faisant
éventuellement une proie pour ses voisins.
• C’est le grand paradoxe de l’histoire polonaise : à l’avantgarde de l’Europe au XVe et XVIe siècle, la Pologne du XVIIe
siècle s’enfonce dans l’attentisme et la stagnation.
• Car au XVIIe siècle, sa noblesse s’est employée à obtenir le
pouvoir, non pour développer le pays, mais à l’image des
monarques absolus, simplement pour défendre becs et
ongles ses prérogatives. De facteur de progrès, elle devient
facteur de sclérose.
• Pouvait-il en être autrement? Probablement pas, car le « bien
public » et la « conscience nationale » n’existent pas encore.
• La base de la puissance de la noblesse a reçu dans
l’historiographie le titre de « Liberté dorée » : aux éléments
déjà évoqué s’ajoutera en 1652 le Liberum veto, l’imposition
de l’unanimité des membres de la Diète pour qu’une loi soit
votée.
• Lorsque cette disposition sera étendue en 1656 aux Diétines
provinciales, le pays tout entier deviendra ingouvernable.
• Après la mort de Bathory, il fallut trouver un remplaçant.
Grâce à ses liens avec les Jagellon, Zygmunt de Suède,
neveu de Zygmunt II et héritier présomptif de Suède était
favorisé par une moitié du Sénat.
• Comme l’autre moitié du Sénat appuya le candidat
Habsbourg, Maximilien II, la force régla la question lors d’une
bataille remporté par Zygmunt, qui avait déjà été couronné en
septembre 1587.
• Zygmunt III régna un peu à son corps défendant car en 1592,
après qu’il eut hérité du trône de Suède, il tenta de vendre
aux Habsbourg son trône de Pologne.
• Mais Il dut abandonner la couronne de Suède, car,
catholique, son arrivée sur le trône suscita une levée de
boucliers de la noblesse de ce pays calviniste.
• Cela contribua à accentuer la méfiance de la szlachta à
l’endroit du roi, suspecté de vouloir établir une monarchie
puissante en s’appuyant sur les magnats.
• Sa proximité avec les Jésuites et sa sympathie pour la
contre-réforme ne firent rien pour arranger les choses.
• L’opposition entre le roi et la szlachta pris la forme d’une
« opposition constitutionnelle » en 1606 : la noblesse refusa
de se plier à l’ordre de convocation de la Diète à Warszawa
tenant celle-ci dans différentes villes du pays et réclamant de
nouvelle réductions des pouvoirs royaux.
• La révolte fut mâtée en 1607, mais le roi dû à nouveau jurer
fidélité aux articles henriciens et amnistier les rebelles. Les
deux pôles du pouvoir, avec entre les deux les magnats, se
regardèrent en chien de faïence jusqu’à la mort de Zygmunt.
• La noblesse ne fit pas de difficulté en 1632 pour élire comme
successeur au trône le fils de Zygmunt III, Władisław IV, qui
régna jusqu’en 1648 sur un pays de plus en plus figé par les
égoïsmes régionaux, alors que les nuages s’amoncellent aux
frontières et aux confins.
• Après l’enthousiasme contre-réformiste de son père,
l’indifférence religieuse de Władisław IV est vue comme une
garantie de paix sociale
• Après certaines tentatives, qui devaient échouer, d’élargir
son pouvoir par l’accroissement du domaine foncier de la
royauté il se consacra à une politique étrangère qui s’avérera
désastreuse.
• C’est au moment où s’abattait l’orage que Władisław IV
décéda peu après son fils unique, laissant le pays confus et
irrésolu.
• La Diète se tourna vers le frère de Władisław, Jan II
Kazimierz, homme timoré couronné en octobre 1648, alors
que le pays avait besoin d’un capitaine. Il tenta de régner
pendant 20 ans avant d’admettre son échec et d’abdiquer.
• Son règne fut tout entier occupé par la lutte contre les
envahisseurs et les rebelles, de sorte que sur le plan
politique, les initiatives furent limitées.
• Mentionnons en 1656 sa proclamation de la Vierge Marie
comme « reine » de Pologne et son engagement (qui restera
lettre morte) à atténuer le servage une fois le calme revenu.
• L’accalmie du début des années 1660 aurait pu donner lieu à
une remise en question du modèle politique, mais la
noblesse vit plutôt dans cet apaisement la preuve de
l’efficacité du système et décida de ne rien changer.
• De sorte que les tentatives désespérées du roi pour utiliser la
trêve afin d’améliorer les finances du royaume et, partant,
ses capacités militaires, rencontrèrent l’hostilité de la Diète,
• Après avoir vaincu une nouvelle fronde armée de la part de la
szlachta et tirant la seule conclusion qui s’imposait, épuisé
par une lutte stérile, déprimé par la mort de son épouse, Jan
Kazimierz abdiqua en 1668, pour aller mourir en France, ou
son cœur repose encore aujourd’hui à l’église de SaintGermain des Prés, dont il fut l’abbé jusqu’à sa mort en 1672.
• La dynastie des Wasa de Pologne s’éteint avec lui.
2.2 — Le « déluge »
• La fin des Jagellon a vu le début de la contraction de la
puissance que fut la Pologne-Lituanie, mais à la mort de
Zygmunt II, le pays demeurait très puissant.La période qui
commence avec l’Union de Lublin va accélérer ce retrait et
voir la fin même de l’existence de l’État.
• Il y aura au début un sursaut en Moscovie, car la mort sans
enfant de Fiodor 1er, amorce un « Temps des Troubles »,
alors que Boris Goudonov lui succède sans parvenir à établir
son pouvoir.
• Grigori Otrepiev, après avoir obtenu l’appui de certains
magnats polonais et de la papauté, parvient à se faire
proclamer tsar en 1605.
• Mais il ne survivra que peu de temps, à la différence des
ambitions des élites polonaises, qui voient une occasion
d’éliminer un dangereux rival, et de reprendre la poussée
vers l’est du catholicisme.
• Après avoir soutenu l’un des boyards moscovites
revendiquant la couronne, la Pologne, avec cette fois l’appuii
du roi, va parvenir à s’emparer de Moscou en 1610, et à faire
couronner Władisław par une assemblée de boyards.
• Mais une insurrection populaire parviendra à chasser en
1611 les Polonais du Kremlin, puis de Moscou. La guerre
s’étirera encore quelques années, avant de se conclure en
1618 par le traité de Deulino, qui laisse quelques gains (dont
Smolensk) aux Polonais.
• L’esprit de croisade de Zygmunt III est aussi mis en évidence
par la remise en question de la « Paix éternelle » de 1533
avec la Sublime Porte.
• Mais l’élément déclencheur de la guerre contre les Turcs se
trouve ailleurs, en Crimée, d’où le sultan multiplie les
incursions en territoires polonais et en Ukraine, territoire à
partir
duquel
les
remuants
cosaques
attaquent
périodiquement les vassaux de la Porte.
• Sans l’esprit de croisade de Zygmunt III et des élites
polonaises, la guerre aurait peut-être été évitée.
• L’attaque des armées polonaises contre Gabor de
Transylvanie, vassal de la Porte, obligea le sultan à répondre
en 1618 et à rompre la paix de 1533.
• À ce moment Władisław IV était roi et son regard était
d’abord tourné vers la Suède, dont il espérait le trône. Des
opérations militaires couronnées de succès permirent de
reprendre le contrôle du rivage de la Baltique et de Gdańsk,
mais par le traité de 1635, Władisław dut renoncer à ses
prétentions suédoises.
• Ses espérances baltes enterrées, il se tourna vers la Turquie
et encouragée par la France, Venise et le pape, la szlachta
accepta l’idée d’une croisade pour libérer les Balkans, grâce
aux Cosaques
• Mais la cosaquerie est alors devenu une force considérable,
qui n’est plus que nominalement attachée à la Pologne.
• C’est vers elle que se tourne la population orthodoxe et
paysanne de la région pour défendre ses intérêts.
• En 1648, l’hetman Khmelnitski souleva la cosaquerie contre
les magnats polonais, propriétaires des terres de la région et
infligea une série de défaites aux forces polonaises.
• Les opérations se poursuivirent l’année suivante, après la
mort de Władisław. Contraint de négocier une trêve en 1649,
Khmelnitski se tourne vers la Moscovie, avec laquelle il signe
en 1654 le traité de Pereïaslav, par lequel il se plaçait sous la
protection du tsar, impliquant Moscou dans la guerre.
• Les Moscovites s’emparent de Vilnius en 1655, avant de
signer une trêve avec la Pologne en 1656, devant les succès
d’un nouvel acteur dans le conflit : la Suède, désireuse de
participer à la curée.
• Attaquant depuis la Poméranie, les forces suédoises
s’emparèrent de la Grande Pologne dès l’été 1655, tout en
convainquant la Prusse de se joindre à elle.
• Puis les Suédois se tournèrent vers la Mazovie et la Petite
Pologne : Warszawa et Kraków furent occupées.
• Alors que les magnats envisageaient de s’entendre avec les
Suédois, le reste de la population, excédée, se souleva
contre eux, avec l’appui du Danemark et des ProvincesUnies, qui craignaient la consolidation suédoise. Dès lors, les
forces de Charles X refluèrent.
• Encore aux prises avec la Suède et la Prusse, la Pologne fut
alors attaquée par le sud, en 1657, par la Transylvanie. De
tous les côtés, les frontières historiques étaient menacées. Il
fallut donc négocier.
• Un accord fut trouvé avec la Prusse à l’automne 1657, par
lequel la Pologne renonçait à toute influence dans la zone
silésienne et reconnaissant la domination de Berlin.
• Cela permit de faire refluer les forces transylvaines, après
que le roi suédois eut été contraint par la Moscovie d’évacuer
la Pologne. La paix sera signée avec la Suède en 1660.
• Restait le problème qui avait amorcé la débandade : la
question cosaque, à laquelle était désormais liée la
Moscovie.
• Alors que certains chefs cosaques étaient prêts à se rallier à
un compromis qui aurait donné aux territoires ukrainiens un
statut semblable à celui de la Lituanie, d’autres refusèrent
cette offre, préférant s’entendre avec Moscou.
• De sorte que la guerre contre repris dès 1659 et s’éternisa
jusqu’en 1667, alors qu’épuisée, la Pologne dut consentir à
une paix douloureuse (Androussovo) qui repoussait la
frontière polonaise sur le Dniepr, faisant de Kiev une ville de
Moscovie. C’est désormais celle-ci qui domine le paysage
est-européen.
2.3 — Engourdissement et Sclérose
• Jusqu’au « déluge » et à l’effondrement de la Pologne, la
prospérité du siècle précédent se poursuit, même si la
puissance tend à se concentrer entre quelques mains.
• L’exportation de céréales demeure le fer de lance de
l’économie : le long de la Vistule, les greniers à blé se
multiplient, jusqu’à Gdańsk, dont le rôle de plaque tournante
du commerce céréalier sur la Baltique continue.
• Mais ce développement se poursuit aux frais de la
détérioration de la condition paysanne, particulièrement sur
les grandes propriétés terriennes de l’est, dans l’actuelle
Ukraine.
• La crise monétaire européenne de l’époque qui voit la
dévaluation des monnaies, entraîne une diminution des
profits qui ne peut être compensée que par un accroissement
de la production.
• Or, en l’absence de changements techniques, cet
accroissement n’est possible qu’en pressurant la
paysannerie. Le servage s’installe et la corvée se généralise,
même si la situation est moins pénible sur les terres royales
et ecclésiastiques.
• La bourgeoisie continue de voir ses pouvoirs rognés par la
puissance nobiliaire, qui cherche à s’assurer le monopole de
la possession de la terre et une Diète en 1635 proclama le
monopole de la noblesse sur la terre.
• Les villes qui n’étaient pas impliquées dans le commerce
céréalier furent affectées par le développement du servage,
car les paysans attachés à leurs propriétaires ne peuvent
plus se déplacer et les flux qui avaient assuré la croissance
des villes précédemment s’estompent.
• Aa part de la population juive dans la population urbaine croit
alors, les communautés juives ayant généralement plus
d’enfant, et l’expansion démographique de nombreuses villes
dépend désormais des Juifs qui y habitent.
• En 1650, 5 % de la population polonaise est juive, soit près
de 400 000 personnes. Devant le mépris affiché par la
noblesse pour le commerce et l’artisanat, c’est la
communauté juive qui s’impliqua dans ces domaines.
• Avant les grandes catastrophes du milieu du siècle, la
population du pays atteignait environ 11 millions d’habitants,
mais les guerres, les destructions et les pillages des troupes
d’occupation vont entraîner une violente contraction de la
population, de près de 4 millions, soit environ 40 % de la
population.
• Par manque de bras, de nombreuses terres ne seront plus
cultivées et conséquemment, ce qui restait du dynamisme
économique du pays disparaît alors.
2.4 — La contre-réforme en Pologne
• La période voit un changement fondamental, alors que la
tolérance d’un pays depuis longtemps multiculturel et
multiethnique est remplacée par un catholicisme rigide et
ombrageux, cause et conséquence des guerres menées
contre des voisins musulmans et orthodoxes.
• Les principes légaux ne sont pas remis en question, mais le
changement est évident dans la pratique, alors que les
résultats des efforts de jésuites se manifestent par la
reconversion au catholicisme de nombreux « égarés » du
siècle précédent.
• Dès la deuxième décennie du siècle, les temples protestants
sont détruits et à part en Prusse royale et en Lituanie, les
communautés protestantes s’étiolent et disparaissent,
pendant qu’orthodoxes de Galicie et sociniens de Petite
Pologne voient leur liberté de culte remise en question.
• Les catastrophes ne feront rien pour inverser la situation :
alors que le calme revient en Europe et que dans les terres
germaniques, les traités de Westphalie instaurent la
tolérance religieuse, la Pologne suit le chemin inverse et en
1668, l’apostasie devient passible de mort...
• Dans les zones orthodoxes, où religion, politique et économie
sont intimement liées, les communautés se virent dépouillés
de leurs lieux de culte avec l’approbation de Rome.
• Mais les principales victimes de ce retournement de situation
furent les Juifs, traditionnels boucs-émissaires de la
chrétienté qui, jusqu’alors étaient mieux en Pologne que
partout ailleurs en Europe.
• Une chasse aux sorcières se déploya contre les Juifs et les
procès, assortis de châtiments moyenâgeux se multiplièrent,
comme en 1663, lorsqu’un pharmacien juif de Cracovie fut
brûlé pour avoir écrit un pamphlet contre la Vierge, pendant
que l’on accusaient des membres de la communauté juive
d’infanticides rituels et de meurtre sataniques...
• La noblesse polonaise, jadis fer de lance du progressisme du
pays, s’enfonçait dans le souvenir de sa grandeur passée,
aigrie par les défaites du siècle dont elle faisait porter la
responsabilité sur tout un chacun, sauf elle-même.
• Rien n’illustre mieux le détachement de cette noblesse de la
réalité que le « sarmatisme », symbole de cette époque et de
la volonté de la noblesse de s’élever au-dessus du reste de
la population, en s’inventant de glorieux ancêtres (les
Sarmates) qui les auraient distingués des autres Polonais.
• La période est très pauvre du point de vue culturel, le portrait
funéraire peint à l’extrémité du cercueil constituant la seule
originalité de la création artistique de l’époque,
• Pour le reste, la production polonaise n’est alors bien souvent
qu’une imitation des modes occidentales et au moment ou le
baroque triomphe en Europe, le conservatisme sous toutes
ses formes s’impose partout en Pologne.
3 — Une brève éclaircie : Jan III
Sobieski (1674-1696)
• La dynastie suédoise étant éteinte, il fallut trouver un
candidat au trône et les magnats se tournèrent vers un
personnage pâlot, dont le mérite était d’être le fils de l’un des
héros de la guerre contre les cosaques et en 1669, pour la
première fois depuis les Piast, un Polonais, Michał
Wisniowiecki, devint roi de Pologne.
• Il ne régna que quatre années et présida à la poursuite de la
débâcle, alors que la Podolie dût être cédée à la Sublime
Porte par le traité de Bucazc (1672), qui imposa aussi à la
Pologne un tribut de 100 000 zlotys annuel.
• Le 10 novembre 1673, Michel mourût et le lendemain,
l’hetman Jan Sobieski vengeait un peu de l’honneur national
bafoué en infligeant une défaite aux Turcs.
• La victoire qui ne remit pas en question le traité de 1672,
mais permit à l’hetman de se faire bien voir des magnats, qui
en juin 1674 lui confièrent le trône.
• Le règne de Jan III Sobieski constitue le dernier sursaut de
l’institution royale avant sa mise sous tutelle internationale.
Malgré la lourde main des magnats, Jan III parviendra à
s’illustrer de façon éclatante en Europe.
• Mais peu en Pologne, car la situation dont il ne lui pas laissé
le temps de s’occuper des affaires intérieures, si d’aventure
le Senat lui en avait donné la possibilité.
• Après avoir caressé l’espoir d’une alliance avec la France,
Jan III fut contraint par une noblesse ne jurant alors que par
son rôle de « rempart de la chrétienté » à reprendre les
opérations contre les Turcs.
• C’est donc vers Vienne que se tourna Jan III pour trouver un
allié, car en 1682, les Turcs assiègent la ville et la Diète
donne son accord à la levée d’une armée.
• Grâce à celle-ci, le 12 septembre 2682, le roi polonais put
contraindre les Turcs à abandonner le siège de Vienne.
• Cette victoire donnera un bref moment de gloire à la Pologne,
dont elle ne tirera aucun avantage.
• Le vent en poupe, Jan III se lancera ensuite à la poursuite de
l’armée du sultan et rejoindra en mars 1684 la papauté,
Vienne et Venise au sein de la Sainte Ligue, destinée à
libérer les Balkans.
• Mais les forces polonaises ne recevront aucune aide de leurs
alliés, obligeant Jan III à se tourner vers Moscou pour obtenir
une aide qu’il paya en donnant à la Moscovie un droit de
protection sur les orthodoxes, lequel constituera l’un des
prétextes aux démembrements du siècle suivant.
• Jan III mourut sans voir la fin de la guerre contre la Turquie
qui se terminera en 1699 avec le traité de Karlowitz, par
lequel la Pologne récupérera la Podolie.
4 — La dynastie saxonne des
Wettin
• Avec la mort de Jan III se ferme l’histoire de la Pologne
indépendante jusqu’en 1918. Le pays survivra encore un
siècle, mais son autonomie sera graduellement réduite, alors
qu’à l’intérieur, l’anarchie ne fera que croitre.
• Plus que jamais désireuse de préserver la « liberté » du
« peuple », la noblesse est convaincue que la menace ne
provient pas de l’extérieur du pays, mais bien de l’intérieur,
de la volonté des rois de restaurer un pouvoir central.
• Les rivalités l’élection d’un roi polonais, une partie des
magnats se tourna vers François-Louis de Bourbon-Conti,
alors qu’une autre se tourna vers Frédéric-Auguste de Saxe,
qui réussit à s’imposer en 1698 grâce à sa promesse de se
convertir au catholicisme et à la pression de Pierre 1er.
• La majeure partie du règne d’Auguste II (1697-1734) est
occupée par la Guerre du Nord (1700-1721), au cours de
laquelle il se joint aux forces russes et danoises dans le bau
d’expulser la Suède de la rive sud de cette mer.
• La guerre fut d’abord très défavorable aux alliés, car le jeune
Charles XII de Suède mettra peu de temps à s’imposer,
transformant la Pologne en champ de bataille.
• Charles XII capturera Warszawa et Kraków dès 1702, ce qui
conduisit à la déposition du roi par la Diète en 1704 et à
l’élection d’un client du roi de Suède, le voïvode de Poznań,
Leszczynski, qui signa un traité d’alliance avec la Suède et
abandonna à celle-ci la Courlande et la Livonie.
• Mais Charles XII fut ensuite défait à la bataille de Poltava en
1709 par les Moscovites et contraint à s’enfuir avec
Leszczynski. Pour prix de sa victoire et du retour sur le trône
d’Auguste II, Pierre s’empara de la Livonie et de la
Courlande.
• La guerre s’étirera encore une décennie, mais les batailles ne
concerneront plus la Pologne, mais en tant que vainqueur, la
Moscovie s’érige en « protecteur » de la Pologne et de son
roi (souvent malgré lui).
• Réuni en 1717, une « Diète muette » vota, sous la pression
des forces du tsar, les premières contraintes à la
souveraineté de la Pologne, soit la limitation de ses forces
armées à 24 000 soldats.
• En échange, Pierre s’engageait à garantir les « libertés de la
Pologne », c’est-à-dire les droits de la noblesse. En signant
des traités de paix avec les puissances régionales
intéressées par le sort de la Pologne, la Russie verrouilla sa
domination.
• Pendant que la Pologne s’enfonce dans l’intolérance
religieuse, Russie, Autriche et Prusse signent en 1732 une
« Alliance des trois aigles noires » par laquelle elles
s’arrogent le droit de régler les troubles politiques en Pologne
d’un commun accord.
• À la mort d’Auguste II en janvier 1733, alors qu’une partie de
la szlachta vote l’élection de Leszczynski, 3 000 nobles
appuyés par l’Empire russe, votent en faveur du fils du roi.
Retranché jusqu’en 1734 à Gdańsk, Leszczynski finit par
abandonner la lutte et par s’enfuir en France.
• Auguste III (1733-1763) ne fut pas vraiment un roi, mais un
gouverneur aux ordres des patrons internationaux. Il ne
réside même pas en Pologne la plupart du temps, laissant
ses favoris gouverner un pays qui ne l’est plus guère.
• Certains membres de la szlachta voient et comprennent la
situation et le péril, mais leurs initiatives, si elles ne sont pas
bloquées à l’intérieur par les partisans de l’immobilisme, sont
rejetées par les puissances tutélaires, qui préfèrent une
Pologne chaotique et faible.
• Un exemple : en 1744, alors que le clan des Czartoryski, à ce
moment aux commandes, parvient à convaincre la Diète de
voter diverses réformes, incluant l’abolition du Liberum veto,
la Prusse fait interrompre les débats et dissoudre la Diète.
• Le gouvernement n’est même plus capable de faire respecter
son territoire et les troupes des États voisins y entrent et en
sortent librement, le pays n’étant plus que le champ de
batailles de conflits qui ne le concernent pas, comme
pendant la Guerre de sept ans (1756-1763).
• La szlachta, dont le pacifisme était surtout la manifestation de
son égoïsme et de son conservatisme, se satisfaisait de la
situation car, pour elle, la conjoncture économique demeurait
favorable : la croissance de la production s’effectuait
essentiellement sur le dos d’une paysannerie soumise à un
servage de plus en plus lourd.
• La période voit la multiplication des offices gouvernementaux,
assortis de dotations en terres et en argent, que le roi et ses
collaborateurs utilisent pour accroître leur réseau de clientèle.
• La politique intérieure de cette époque semble se limiter à
des luttes d’influence entre les clans pour l’obtention de ces
charges.
• Le clergé participait lui-aussi et continuait de peser
lourdement sur l’évolution politique et économique du pays,
l’Église détenant alors 20 % des terres polonaises.
• Malgré tout, certains indices sur le plan culturel permettent
d’entrevoir le sursaut à venir, car la richesse des magnats ne
s’illustre pas que par les châteaux, mais aussi par le luxe
dont ils s’entourent et qui favorise la pénétration de l’esprit
culturel du siècle des Lumières.
• À côté du clinquant, des efforts sont entrepris par certains
membres de l’élite pour « rénover » le cadre intellectuel par
des projets de réformes ou des actions concrètes, comme la
fondation en 1747 par deux frères, évêques de leur statut, de
la première bibliothèque publique du pays, à Warszawa.
• La mort du roi et la recherche de son remplaçant constitue la
première manifestation de ce relèvement moral des élites, et
sa première conséquence concrète.
5 — Le grand règne de Stanislas
auguste (1763-1795)
5.1 — L’ambition de Stanislas
• L’incapacité et le manque de volonté du roi à agir pour
défendre le pays avait finit par le rendre très impopulaire.
• À sa mort, comme une certaine noblesse s’était remise à
s’intéresser au sort du pays et à s’émanciper de sa vision
étriquée de l’intérêt national, elle était en mesure de
présenter au pays une candidature intéressante.
• Stanislas Auguste Poniatowski avait de nombreux
avantages : issu de l’un des clans progressiste du pays,
c’était un homme cultivé et intelligent et qui, en tant qu’ancien
amant de Catherine de Russie, pouvait espérer une
sympathie particulière de la part de la Russie.
• Cet appui est alors d’autant plus important qu’après la guerre
de Sept ans, la Russie apparait comme la première
puissance régionale, sinon d’Europe.
• C’est avec la bénédiction de Catherine II que la Diète
couronne Stanislas Auguste roi de Pologne en novembre
1764.
• Son désir de remettre en question le Liberum veto fut rejeté,
mais l’impératrice avait permis quelques réformes
administratives et sociales, comme la création de
commissions, ancêtres des ministères.
• L’enthousiasme du nouveau roi put s’exercer dans le
domaine de l’instruction, d’autant qu’il put compter, dans un
premier temps, sur l’appui de l’impératrice.
• C’est à cette volonté que répond la fondation d’une école de
cadets, destinée à former la noblesse dans l’esprit du service
de l’État. C’est de cette école que sortira, entre autres,
Tadeusz Kosciusko.
• Son esprit de réforme, touchant des domaines variés,
remettait en question l’engourdissement d’une grande partie
de la noblesse, mais inquiétait la Prusse, qui craignait une
renaissance de la Pologne.
• La Russie aussi finit par s’en émouvoir et en 1766, les deux
alliés rappelèrent au roi qu’il était hors de question de
remettre en cause la Liberté Dorée de la noblesse.
• Afin d’accroître son contrôle sur le roi, l’impératrice activa les
dispositions concernant son droit à la défense des
orthodoxes de Pologne et exigea que les nobles noncatholiques récupèrent les droits politiques dont ils avaient
été privés au fil de la contre-réforme.
• Partageant l’ouverture d’esprit de l’impératrice à ce sujet, le
roi s’était abstenu de soulever ce problème, craignant une
fronde de la part la plus conservatrice de la noblesse, mais
en 1767, il dut se soumettre aux exigences russes.
• La décision souleva l’opposition de la noblesse la plus
réactionnaire, qui proclama en 1768 la création de la
Confédération du Bar pour s’opposer aux réformes, au roi et
à l’impératrice. La guerre civile se déchaîna
• Guerre civile politique, opposant les tenants des réformes à
ceux du maintien du statu quo, drapés dans l’idée de
l’indépendance nationale,
• Mais aussi guerre civile socio-économique, la paysannerie,
surtout en Ukraine, loin de se soulever aux côtés des
confédérés, se lança dans le massacre de ces derniers. Les
Juifs, souvent employés comme métayers, furent très
affectés.
• Les puissances tutélaires ne surent d’abord pas comment
réagir, car une partie de l’opinion était opposée à leur tutelle,
un appui manifeste au roi pouvait lui être défavorable.
• Mais devant l’anarchie, elles se laissèrent gagner par une
solution radicale.
5.2 — Le premier partage
• C’est une triste ironie que ce soit les trois plus remarquables
défenseurs de la théorie du Despotisme éclairé qui se soient
rendus coupables d’une des plus grandes ignominies de
l’époque moderne : la destruction de l’État polonais.
• Par ce geste, Frédéric II, Marie-Thérèse et Catherine II firent
la démonstration de l’inanité de cette idéologie qui ne fut pas
grand chose de plus qu’un slogan publicitaire.
• Au printemps 1772, constatant que Prusse et Autriche
favorisaient l’annexion de certaines parties du territoire
polonais pour résoudre le problème de l’instabilité politique,
Catherine II envisagea de dépecer la Pologne, pour ne pas
laisser ses adversaires régionaux agir seuls.
• L’Autriche, qui fut la première à agir, fit avancer ses troupes
et proclama autrichiens 83 000 kilomètres carrés, 2,6 millions
d’habitants, de même que la cité de Lwow.
• Frédéric II suivit en s’emparant de l’embouchure de la Vistule
et de 36 000 kilomètres carrés et de 2 millions d’habitants, la
Russie se « contentant » de 92 000 kilomètres carrés de
terres peu peuplées de Biélorusses et de Lituaniens.
• Le partage fut entériné par un traité signé le 5 août 1772 et
accepté par une Diète spécialement composée pour
l’occasion le 30 septembre 1773. L’Europe laissa faire et
dans leur majorité, les Polonais aussi.
• Cette Pologne réduite disposait encore de 500 000
kilomètres carrés et d’une population de de 9 millions
d’habitants, fut à la longue réveillée par cette humiliation,
même s’il fallut du temps pour constater ce réveil.
• L’influence russe demeurait prépondérante, l’ambassadeur
de Russie à Warszawa manifestant l’autorité d’un proconsul
et en 1775 il choisit les membres du Conseil permanent,
gouvernement de tutelle, avec lequel le roi devait composer.
Mais Stanislas Auguste trouvera le moyen de faire
progresser le pays.
• Sur la question de l’instruction, la création d’une Commission
de l’Éducation nationale, qui récupéra le réseau des écoles
des Jésuites constitua le fer de lance d’une relative
démocratisation de l’instruction.
• Au sein du Conseil permanent, des hommes résolus et
progressistes tentèrent une réforme de la Justice qui aurait
limité le pouvoir de la noblesse au profit de la bourgeoisie et
amélioré la condition paysanne, mais elle fut refusée par le
proconsul en 1778.
• De 1778 à 1788, les membres du Conseil abandonnent les
réformes au profit d’une approche gestionnaire qui eut une
influence fortement positive.
• Les rentrées fiscales, assurées par un service de l’impôt plus
efficace, améliorèrent la situation économique du
gouvernement, qui put investir dans les infrastructures de
transports, entre autres, favorisant le développement du
commerce.
• L’époque voit l’apparition de banques commerciales et des
premières industries modernes, consacrées à l’exploitation
des ressources naturelles, bois et charbon, même si
l’agriculture, et l’exportation de grains, demeurent le socle de
l’économie
• Le pays connut une certaine unification administrative et un
service des postes fut mis sur pieds. De même, le système
de poids et mesures fut unifié sur l’ensemble du territoire.
• Mais l’État demeurait faible, avec une armée de moins de
20 000 hommes et une diplomatie contrainte par la tutelle. Si
on tient compte de la survivance des clans des magnats, on
constate les limites du pouvoir réel du souverain.
• Mais la pacification du territoire, les réformes de l’éducation
et la gestion intelligente du pays donnèrent naissance en un
peu plus d’une décennie à une nouvelle classe noble,
éduquée dans l’esprit des Lumières et détachée des intérêts
égoïstes de ses ancêtres.
• L’influence des idées de l’époque se développa et les
membres de cette intelligentsia s’abreuvaient au libéralisme
avec d’autant plus d’enthousiasme qu’ils y voyaient
l’antithèse des systèmes politiques des États tuteurs.
• Comme il arrive fréquemment, un esprit national, à défaut
d’être déjà nationaliste, naissait ainsi sous les bottes des
puissances dominantes.
• Certes, la rénovation était loin d’être totale, car les vielles
habitudes demeuraient. L’élite intellectuelle, libérale, était
concentrée dans les grands centres urbains et son esprit
pénétrait peu les campagnes.
• Warszawa, avec ses 100 000 habitants, était importante,
mais à part Kraków, Gdańsk et quelques autres centres
urbains régionaux, la bourgeoisie demeurait peu nombreuse.
• La très forte communauté juive (900 000 personnes) était
toujours aussi mal intégrée, à l’exception de ses membres
fortunés, qui habitaient les villes.
• Dans les campagnes, le statut discriminatoire adopté à son
encontre en faisait une catégorie de population à part, très
campée sur ses distinctions religieuses.
• Et il y avait bien sûr la question paysanne, lancinante, les
quelques 70 % de la population du pays pour qui misère et
arriération était le seul horizon.
• La période vit quelques tentatives d’améliorer leur sort dans
certaines régions, en supprimant les corvées, par exemple,
mais toute remise en question significative de l’ordre paysan
était porteur de changements politiques si fondamentaux
que, même si la grande noblesse s’y était risquée, la tutelle
de la Russie l’en aurait empêchée.
5.3 — Le sursaut et la Constitution de 1791
• Le travail « de sape » de la tutelle réalisée par l’intelligentsia
fut en 1787 assez avancé pour que soit tenté une remise en
question.
• L’occasion fut fournie par la guerre russo-turque, à laquelle
participa aussi l’Autriche, pendant que la Prusse laissait
entendre qu’elle était favorable à une révision de la situation
au profit de la Pologne.
• Le 7 octobre 1788, devançant le roi, la Diète abolit le Liberum
veto au profit du principe majoritaire et se dota d’un
président, le maréchal Malochowski, qui décréta
l’augmentation des forces armées à 100 000 hommes.
• En janvier 1789, la Diète décréta la dissolution du Conseil
permanent. Le roi refusa de se désolidariser de son
parlement et la Diète se proclama permanente.
• La censure fut levée, le nombre de publications explosa et
même les magnats ne purent rester en dehors du
mouvement : le Sénat accepta que l’impôt soit étendus aux
propriétaires terriens et au clergé, donnant au gouvernement
les ressources financières pour l’Armée.
• Stimulées par la Révolution française, les élites de Pologne
envisagent l’idée d’un contrat social entre le « peuple » et
l’État, suscitant la sourde méfiance de Catherine II, qui craint
la contagion révolutionnaire.
• Si certains radicaux se firent entendre, la majorité de la Diète
était beaucoup plus modérée, proposant un accroissement
des droits de la bourgeoisie et une codification des pouvoirs
des différentes instances de l’État.
• Malgré ce début prometteur, la « révolution nobiliaire »
polonaise perdit un temps précieux en discussions stériles,
alors que la défaite éventuelle des Turcs laissait entrevoir à
brève échéance le retour de l’ingérence russe.
• Diète et roi éprouvant de grandes difficultés à s’entendre, on
choisit d’abord de procéder par étapes : loi sur les Diétines
imposant un cens élevé, loi sur la bourgeoisie conférant des
pouvoirs politiques limités à celle-ci.
• Mais la victoire des Russes obligea à accélérer le processus
et on se mit à l’élaboration d’une constitution pour mettre
Saint-Péterbourg devant le fait accompli.
• La rédaction du texte constitutionnel fut menée rondement,
mais il n’y eut pas de consultations et celui-ci représentait
essentiellement le point de vue des rédacteurs.
• Le vote eut lieu le 3 mai 1791 et fut très serré. Ce n’est que
par le ralliement du roi, qui jura fidélité à la Constitution, que
100 des 180 députés entérinèrent le texte.
• Ainsi que fut adoptée la deuxième constitution au monde, la
première en Europe, qui porte le nom de « Statut
gouvernemental ».
• La postérité a voulu en faire un précurseur de la constitution
française, mais le texte en est très loin. Point ici de messages
universels et pas de remises en question de la domination
nobiliaire.
• Alors que le texte français voudra réduire le pouvoir du roi,
celui de la Pologne cherchait à l’augmenter.
• Le catholicisme est déclaré religion d’État, les privilèges de la
noblesse sont confirmées et seule la bourgeoise fortunée
accède modestement aux droits politiques.
• Rien n’était prévu pour la paysannerie, à part qu’elle est
déclaré sous la protection du gouvernement. Aucune
limitation du servage n’est envisagée.
• Les articles 6 et 7 du texte étaient plus novateurs : la
couronne devenait héréditaire, le Liberum veto était aboli et
une Garde des Lois était créée pour appuyer le roi, qui
recevait le pouvoir exécutif, le législatif restant entre les
mains de la Diète et du Sénat, essentiellement nobles.
• Quant au pouvoir judicaire, le principe médiéval des
tribunaux par ordres était maintenu.
• Il ne s’agit pas ici d’un texte révolutionnaire et si la postérité
lui a donné le nom de Constitution, c’est que dans le contexte
de sa proclamation, il prit une valeur symbolique et
patriotique importante.
• Ce n’est pas un renversement de l’ordre, mais la codification
en langage moderne de l’ordre traditionnel, et féodal, de la
Pologne, qui entérine juridiquement la domination de la
noblesse, avec quelques concessions importantes à la
monarchie, et symboliques à la bourgeoisie.
• Mais après près de deux siècles de sclérose, le Statut
témoignait du réveil des élites polonaises.
• C’est ce réveil, ainsi que la contagion révolutionnaire qu’il
pouvait engendrer, qui suscita les craintes des puissances
tutélaires et les poussa à régler « définitivement » la question
polonaise.
5.4 — Les deux derniers partages et la mort de la Pologne
• Le 9 janvier, la Russie imposa aux Ottomans la paix et dès
avril, les nobles s’opposant au Statut, appuyés par SaintPéterbourg, proclamaient l’union de toutes les forces hostiles
au texte du 3 mai 1791. Le 18 mai 1792, les forces russes
entraient sur le territoire polonais.
• Les armées polonaises ne purent offrir qu’une résistance
symbolique. Stanislas fut contraint de se dédire et de renier
le Statut au profit du statu quo ante. Le chef des forces
armées, Kosciusko, démissionna.
• Alors que Catherine tergiverse, Frédéric-Guillaume II profite
de l’occasion pour s’emparer de la Grande Pologne et de
Gdańsk.
• L’Autriche resta à l’écart et par le traité russo-prussien du 23
janvier 1793, la Prusse obtenait 60 000 kilomètres carrés
supplémentaires, la Russie en avalant 250 000.
• La Pologne de janvier 1793 ne comptait plus que 4 millions
d’habitants et 212 000 kilomètres carrés. La Diète fut
convoquée pour se soumettre aux dictats des vainqueurs et
le système d’avant le Statut fut restauré.
• L’élite ne désarma pas, même si la situation économique
était très difficile. Soldats et officiers de l’armée restaient
attachés au Statut et lorsque le Conseil imposa le retour à la
limitation des forces armées d’avant 1791, les officiers
convergèrent vers Kraków, lieu de résidence de Kosciusko,
qui déclara le 24 mars 1794 l’insurrection générale.
• Proclamé « chef » et disposant de tous les pouvoirs,
Kosciusko mit en place un Conseil national suprême et l’effet
de surprise aidant, le brillant général remporta une victoire à
Racławice contre les Russes le 4 avril 1794.
• Opportuniste ou sincèrement désireux de modifier l’ordre
social, Kosciusko en appela à l’insurrection de la paysannerie
le 7 mai 1794, par la Proclamation de Polaniec.
• Mais comme la proclamation fut mal diffusée et ne comportait
pas de promesse d’abolition du servage, son effet fut limité et
à peine 2 000 paysans se joignirent à l’armée.
• L’insurrection se limita aux grandes villes (Kraków,
Warszawa et Wilno) et elle était dépourvue d’unité, les forces
gouvernementales s’employant à contenir le radicalisme
révolutionnaire des populations pauvres, qui ne voyaient pas
plus que dans les campagnes d’intérêt à lutter pour le
maintien du pouvoir économique et politique traditionnel.
• Dans ces conditions, la défaite des insurgés était inévitable.
Le 7 mai, la Prusse entrait sur ce qui restait de la Pologne,
avant de s’emparer le 15 juin de Kraków.
• Wilno capitula en août mais Warszawa, entourée de tranchés
et hérissée de barricades, résista deux long mois.
• De l’est, les forces de Souvorov, après avoir défait et capturé
Kosciusko, s’emparèrent alors de la capitale, soumise à une
violente répression.
• L’Autriche ne resta pas les bras croisés et dès la chute de
Kraków, attaqua au sud et s’empara de Lublin et
Sandomierz.
• La radicalisation des insurgés servit de prétexte à la
destruction définitive de la Pologne : en luttant contre ceux-ci,
les grandes puissances faisaient œuvre sanitaire en Europe,
abattant l’hydre jacobine...
• Après que les trois Aigles aient failli en venir aux coups
en 1795 sur la question des dépouilles de la Pologne, elles
finirent par s’entendre et le 24 octobre 1795, leurs frontières
communes furent définies. La Pologne n’était plus.
• Sur ordre de l’éclairée Catherine, les chefs de l’insurrection
polonaise, Kosciusko en tête, furent déportés en Sibérie,
alors que, après avoir abdiqué officiellement en juillet 1796,
le dernier roi de Pologne, Stanislas Auguste Poniatowski,
s’éteignait en 1798 à Saint-Péterbourg.
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