HIGHLIGHTS 2003 Forum Med Suisse No 1/2 7 janvier 2004 18 Médecine intensive: Pas trop de sucre, s’il vous plaît! Michel Niederberger Correspondance: Dr Michel Niederberger Service universitaire de Médecine CH-4101 Bruderholz L’hyperglycémie est un désordre métabolique fréquemment observé chez les patients de soins intensifs. Les facteurs qui y contribuent sont nombreux: sécrétion accrue d’hormones hyperglycémiantes (catécholamines, cortisol, hormone de croissance, glucagon), résistance tissulaire à l’insuline induite par des taux élevés de cytokines. Les facteurs iatrogènes, tels que médicaments ou solutions glucosées, y jouent également un rôle. Jusqu’à maintenant, il était tentant de considérer l’apport supplémentaire de glucose aux organes et tissus vitaux comme une réponse appropriée au stress. Ainsi l’approche conventionnelle était de ne pas traiter l’hyperglycémie si elle n’était pas excessive. Expérimentalement, il est cependant démontré que l’hyperglycémie joue un rôle dans la réduction des défenses immunitaires par la diminution du pouvoir d’adhésion des neutrophiles influençant la chémotaxie et la phagocytose et donc le pouvoir d’éliminer les agents pathogènes. Elle influence également la glycosylation des immunoglobulines. Cliniquement, elle est connue pour être un facteur prédictif du développement des infections du sternum après chirurgie cardiaque et de l’augmentation de la production d’acide lactique en cas de lésion ischémique cérébrale. Les tentatives de manipulation des paramètres biologiques chez les patients de soins intensifs ne se sont pas toujours montrées à leur avantage: amélioration du transport d’oxygène, administration d’hormone de croissance, correction de l’anémie, etc. Malgré ces antécédents, Greet Van den Berghe et ses collègues de l’Université de Louvain ont conduit une étude chez des patients nécessitant une ventilation mécanique en soins intensifs. En assignant les patients à 2 groupes selon une glycémie cible à atteindre par l’utilisation d’insuline en perfusion continue: 4,4–6,1 mmol/l versus 10,0– 11,1 mmol/l, ils ont pu observer une diminution de la mortalité en soins intensifs et hospitalière (4,6% versus 8%), une diminution de la durée de séjour en soins intensifs ainsi qu’une diminution des complications habituelles (septicémie (–46%), insuffisance rénale aiguë (–41%), polyneuropathie (–44%)). Il n’est pas surprenant que les épisodes d’hypoglycémie furent plus nombreux dans le groupe au contrôle glycémique plus strict (5,2% versus 0,8%). Cependant, en raison des prises de sang rapprochées, celles-ci n’ont été que de courte durée et n’ont pas eu de conséquences cliniques. La principale limite de l’étude réside dans l’échantillonnage des patients: il s’agissait principalement de patients en phase postopératoire après chirurgie cardiaque (63%) ou après chirurgie abdominale, thoracique, vasculaire ou de transplantation. Le bénéfice de l’intervention est-il dû au contrôle de la glycémie ou à l’administration d’insuline? En effet, l’insuline est connue pour avoir un effet sur la sécrétion des cytokines en ayant un effet inhibiteur sur la sécrétion de TNF-a et du facteur inhibiteur des macrophages. D’autre part, il a été déjà observé qu’une perfusion d’un mélange «insuline – glucose – potassium» réduit la mortalité et la morbidité après infarctus myocardique ou après pontage coronarien. Comme la réduction de la mortalité a été principalement obtenue chez les patients après chirurgie cardiaque, il a été suggéré que le bénéfice obtenu par l’administration d’insuline pouvait s’expliquer par une amélioration de l’inotropie myocardique. Cependant, dans un article publié ultérieurement, le même groupe de chercheurs a analysé l’influence du contrôle de la glycémie vis-à-vis des besoins en insuline sur les effets bénéfiques de leur intervention. Par une analyse de régression logistique multivariée, il s’est avéré que c’est l’abaissement de la glycémie plutôt que la dose d’insuline qui était responsable de la diminution de la mortalité (p <0,0001), de la polyneuropathie (p <0,0001), des bactériémies (p = 0,02) mais pas de la prévention de l’insuffisance rénale, pour laquelle la dose d’insuline était un facteur prédictif indépendant (p = 0,03). Ces résultats ont été récemment confirmés par Simon Finney et ses collaborateurs du Royal Brompton Hospital de Londres. Pour répondre à cette même question, ils ont adopté une méthodologie complètement différente consistant en une analyse observationnelle prospective de patients admis en soins intensifs après chirurgie cardiaque et thoracique ou pour raisons dites médicales. Des 531 patients admis aux soins intensifs, 523 ont pu faire l’objet d’une analyse de leur contrôle glycémique. Utilisant HIGHLIGHTS 2003 Forum Med Suisse No 1/2 7 janvier 2004 19 également une analyse de régression logistique multivariée, ils ont pu montrer que l’administration accrue d’insuline était associée de manière positive et significative à la mortalité aux soins intensifs, suggérant que l’effet bénéfique sur la mortalité est à attribuer au contrôle de la glycémie plutôt qu’à l’administration d’insuline. Ils ont pu également observer que le bénéfice sur la mortalité s’étendait jusqu’aux glycémies situées entre 8,0 et 11,1 mmol/l, avec une limite spéculative de 8,0 mmol/l pour la glycémie cible à atteindre. Sur le plan méthodologique, l’acquisition des données ayant été faite de façon automatisée et l’étude n’étant pas interventionnelle, les auteurs ont pu contourner l’obstacle de la randomisation à double insu, impraticable dans la première étude. Dans les deux études, il s’agit en majorité de patients en phase postopératoire après chirurgie cardiaque. Bien que les résultats d’une intervention peu invasive et sans grand risque si elle est bien conduite soient spectaculaires, avec une réduction de la mortalité de 32%, il paraît malheureusement toujours prématuré de recommander cette thérapie chez les patients de soins intensifs médicaux ou pédiatriques. Retenons cependant qu’une hyperglycémie, considérée jusqu’ici comme modérée (10 à 11 mmol/l), doit déjà être une indication à traiter un patient de soins intensifs et qu’une perfusion continue d’insuline associée à un contrôle rapproché de la glycémie représente le traitement de choix. «Un peu d’albumine, de sucre, d’arythmie cardiaque, n’empêche pas la vie de continuer normale pour celui qui ne s’en aperçoit même pas, alors que seul le médecin y voit la prophétie de catastrophes.» (Marcel Proust – A la recherche du temps perdu.) Références 1 Van den Berghe G, Wouters P, Weekers F, Verwaest C, Bruyninckx F, et al. Intensive insulin therapy in the critically ill patients. N Engl J Med 2001;345:1359–67. 2 Van den Berghe G, Wouters PJ, Bouillon R, Weekers F, Verwaest C, et al. Outcome benefit of intensive insulin therapy in the critically ill: insulin dose versus glycemic control. Crit Care Med 2003;31:359–66. 3 Finney SJ, Zekveld C, Elia A, Evans TW. Glucose control and mortality in critically ill patients. JAMA 2003; 290:2041–7.