L`EXCEPTION ENVIRONNEMENTALE

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L’EXCEPTION ENVIRONNEMENTALE :
L’EXEMPLE DU SYSTÈME COMMERCIAL
MULTILATÉRAL
Véronique GUEVREMONT
L’émergence de valeurs environnementales au sein du système
commercial multilatéral est née d’une union, celle de la règle et de
l’exception, dont le couple « est au cœur de la plus élémentaire
herméneutique juridique »1. L’exception est d’ailleurs particulièrement bien
adaptée à la prise en compte de valeurs « étrangères » à un système
puisqu’elle permet de moduler l’application de la règle lorsqu’un objectif
légitime le justifie. Elle se fonde en effet « sur l’idée de préservation, de
protection, de défense, de sauvegarde d’un intérêt jugé supérieur au respect
scrupuleux pour la règle à un moment donné »2. Dans le contexte d’un
système orienté vers la poursuite d’intérêts économiques et commerciaux,
cette technique intervient alors au profit de préoccupations inspirées d’autres
valeurs, notamment environnementales. L’exception n’est cependant pas
synonyme d’incorporation des valeurs qu’elle défend et seul un regard sur sa
mise en œuvre permet de mesurer son efficacité en tant que mode de
circulation des valeurs environnementales au sein d’un système. Pour rendre
compte de cette dynamique, l’exception doit toutefois être définie3.
1
S. REGOURD, L’exception culturelle, Paris, Puf, Que sais-je ?, 2002, pp. 21-22. L’auteur
poursuit : « Or, lorsqu’un traité international est tout entier bâti sur le principe de la libéralisation de
l’échange marchand, à quel dispositif plus adapté que l’exception peut-on recourir, s’agissant
d’écarter l’application du principe à certaines activités ? ».
2
D. ALLAND, S. RIALS, (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Puf, Paris, 2003, p. 675.
3
Et ce, d’autant plus que le sens attribué à l’exception varie d’un champ d’étude à un autre.
Ainsi, doit-on distinguer l’exception en droit privé, national ou international, de l’exception en droit
international public. En outre, l’exception en droit international public ne saurait être assimilée à
l’exception du système commercial multilatéral. Par exemple, dans ce système, l’exception n’en est
pas une au sens d’une « exception de procédure », c’est-à-dire « d’un moyen de défense qui tend,
138
V. GUEVREMONT
Dans un langage courant, l’exception désigne « ce qui est hors de la
règle commune »4. On l’assimile ainsi à la « dérogation », à l’« exclusion »,
à la « réserve », voire à la « restriction »5, et l’exception signifie alors
simplement un « cas soustrait à l’application normale de la règle par l’effet
d’une mesure individuelle (exorbitante) de dérogation »6. Mais « [p]lus
souvent (et plus proprement) », il s’agirait d’un « cas soumis à un régime
particulier par l’effet d’une disposition spéciale dérogeant à la règle »7.
L’exception permet ainsi de sortir du régime général ou d’écarter
l’application de la règle dans certains cas spécifiques, sous réserve que
certaines conditions soient respectées. En ce sens, l’exception introduit
l’idée d’une rupture du fonctionnement normal d’un système en limitant le
champ d’application de ses règles. Mais, paradoxalement, on dira également
que « [l]’exception ne doit son existence qu’à la règle de droit »8. Elle
entretient donc un lien très étroit avec cette règle car « elle tient une place à
côté de [celle-ci] mais lui reste en principe étrangère »9. Par ailleurs, d’un
point de vue procédural, l’exception constitue un moyen de défense et peut
être alléguée par la partie reconnue coupable de violation d’une règle. De ce
fait, elle « influence directement le résultat d’un litige »10.
Enfin, en ce qui concerne spécifiquement le système commercial
multilatéral, l’exception permet de soustraire définitivement une catégorie
de mesures, poursuivant certains objectifs jugés légitimes et d’intérêt
supérieur, de l’application des règles et principes généraux dictés par
l’accord qui la contient11. Son caractère est « définitif » puisque la règle ne
pourra s’appliquer tant que les conditions posées seront respectées et sans
avant tout examen au fond ou contestation du droit d’action, à faire déclarer la procédure irrégulière
ou éteinte (exception d’incompétence, exception de nullité), soit à en suspendre le cours (exception
dilatoire) », in G. CORNU, (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 1987, 925 p.
4
Le Petit Larousse, 2007.
5
H. BERTAUD DU CHAZAUD, Dictionnaire de synonymes et de contraires, Le Robert, Les
usuels, Paris, 2000, 768 p.
6
G. CORNU, op. cit., note 3.
7
Id. Il est à noter que de nombreux dictionnaires juridiques n’offrent aucune définition de
l’exception. En outre, certains observateurs ont noté l’absence d’une définition de l’exception
généralement acceptée en droit international. V. notamment C. CARMODY, « When "cultural
identity" was not as issue: thinking about Canada – Certain measures concerning periodicals », Law
and policy in international business, Vol. 30, 1999, p. 309.
8
D. ALLAND, S. RIALS, op. cit., note 2, p. 673.
9
Id., p. 674.
10
Ibid., p. 675.
11
D’autres l’ont qualifiée de « technique de modulation des obligations, à savoir ici de la mise
en échec des conséquences normales de leur non-respect ». V. H. HELLIO, L’Organisation
mondiale du commerce et les normes relatives à l’environnement. Recherche sur la technique de
l’exception, Thèse Université Paris II-Panthéon-Assas (Paris II), 2005, p. 30.
EXCEPTION ET OMC
139
qu’aucune formalité préalable n’ait à être accomplie12. Cette définition ne
fournit toutefois qu’un portrait statique de l’exception et, pour rendre
compte de sa fonction réelle dans un système, notamment en tant que mode
de circulation des valeurs environnementales, il est indispensable de se
pencher sur son évolution. Une analyse en deux temps permet alors de
traduire ce mouvement qui, en réalité, reflète un certain « renouvellement »
de la technique de l’exception depuis son intégration dans le premier accord
commercial multilatéral jusqu’à ce jour.
En effet, l’exception s’est initialement révélée être la voie privilégiée
pour exclure un certain nombre de politiques nationales du champ
d’application des règles du système commercial multilatéral. En ce sens, la
technique de l’exception est d’abord apparue comme un moyen d’écarter la
prise en compte de valeurs environnementales dans la mise en œuvre de la
règle (I). L’évolution de l’exception a cependant permis à une autre logique
de se dessiner, soit celle d’une intégration de ces valeurs dans le système
(II). L’histoire de l’exception révèle ainsi une double impulsion dans la
circulation des valeurs environnementales au sein de l’OMC, ces valeurs
étant d’abord apparues comme un obstacle à la poursuite d’objectifs
commerciaux, puis, ultérieurement, comme une composante de l’action des
États dans la poursuite de ces objectifs.
I. L’EXCEPTION : TECHNIQUE D’EXCLUSION DES VALEURS
ENVIRONNEMENTALES DU SYSTÈME
La nature même de l’exception, destinée à faire échapper une mesure
du champ d’application de la règle, a conduit les négociateurs du premier
accord commercial multilatéral à envisager cette technique pour permettre à
des objectifs légitimes jugés supérieurs de prévaloir dans certaines
circonstances. Des préoccupations de nature environnementale exprimées à
cette époque avaient reçu ce statut et les mesures liées à ces dernières
devaient par conséquent tomber à l’extérieur de cet accord. Cette exception
12
L’exception, telle qu’envisagée par le système commercial multilatéral, se distingue ainsi de
la dérogation qui impose une limite dans le temps et qui doit faire l’objet d’un accord préalable des
autres parties à l’accord. Elle se différencie également de l’exemption et de la réserve. À cet égard, il
a été souligné que « [a]s broad as some of the exceptions may be, they are the only means that
GATT provides to individual Contracting Parties for escaping obligations without approval of the
CONTRACTING PARTIES ». V. M. J. HAHN, « Vital interests and the law of GATT : an analysis
of GATT’s security exception », Michigan Journal of International Law, Vol. 12, nº 3, 1991, p. 591.
Pour un exposé plus détaillé sur les distinctions entre ces diverses techniques de « modulation des
obligations » (exception, exemption, réserve, dérogation), v. H. HELLIO, op. cit., note 11, pp. 27 à
29.
140
V. GUEVREMONT
dite « environnementale » a toutefois été élaborée avant même que la notion
« d’environnement » ne voie le jour. Un retour sur l’origine de cette
exception (A) doit donc précéder l’analyse de cette technique et de sa portée
initiale (B).
A. – L’origine de l’exception environnementale
Pour retracer l’origine de l’exception environnementale, un regard sur
l’histoire du système commercial multilatéral doit d’abord être posé. Car ce
sont les exceptions négociées à l’époque de la Charte de la Havane (1), et
incorporées dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
(ci-après dénommé le GATT de 1947), qui constituent aujourd’hui
l’essentiel de l’exception environnementale du système commercial
multilatéral.
1. L’exception négociée à l’époque de la Charte de la Havane
Les origines du système commercial multilatéral remontent à la
Conférence internationale sur le commerce et l’emploi du 24 mars 1948 –
communément appelée Conférence de la Havane – qui devait instituer
l’Organisation internationale du commerce (OIC). La Charte de la Havane
n’ayant toutefois pas été ratifiée, la nécessité d’établir un organe
international destiné à appliquer les règles commerciales mondiales incita
les négociateurs à procéder à une « opération de sauvetage » et à accepter,
sous réserve de quelques amendements et ajouts, les dispositions sur la
politique commerciale contenues dans la partie IV de cette Charte. Les
nouvelles dispositions ainsi regroupées donnèrent naissance au GATT de
1947 et entrèrent en vigueur le 1er janvier 1948.
La Charte de la Havane situait toutefois les questions relatives au
commerce dans le contexte plus large de l’ensemble des préoccupations
économiques internationales de l’époque13. Les préoccupations
environnementales n’y figuraient pas expressément, le concept
d’« environnement » n’ayant pas encore reçu une attention de la
13
V. D. K. TARULLO, « The relationship of the WTO obligations to other International
Arrangements », in Marco Bronckers and Reinhard Quick (ed.), New directions in International
Economic Law – Essays in Honour of John H. Jackson, La Haye, Kluwer Law International, 2001,
pp. 155-159.
EXCEPTION ET OMC
141
communauté internationale14, mais la Charte intégrait un certain nombre de
préoccupations non commerciales partagées par les négociateurs de
l’époque. Il s’agissait notamment de la protection de la vie ou de la santé des
personnes ou des animaux ou la préservation des végétaux15, de la
conservation des ressources naturelles susceptibles d’épuisement16 et de la
protection des espèces menacées17, préoccupations aujourd’hui associées
essentiellement à la préservation de l’environnement18. Ainsi, dès le
lancement des négociations de la Charte, les exceptions semblaient destinées
à exclure du champ d’application de ce vaste accord commercial un grand
nombre de mesures mises en œuvre par les États pour promouvoir des
objectifs environnementaux. Mais, au-delà de cette exclusion, les exceptions
devaient surtout permettre de ménager la souveraineté des États dans les
domaines ne relevant pas de la sphère commerciale.
Depuis les origines du système commercial multilatéral, les exceptions
constituent en effet un précieux instrument de gestion de la tension entre
souveraineté et intégration, c’est-à-dire entre la volonté des États de
libéraliser leurs échanges et leur souhait de conserver une marge de
manœuvre dans la poursuite d’objectifs non commerciaux19. Les
14
L’absence du mot « environnement » s’explique par la non-existence de préoccupations de
cette nature à l’époque de l’élaboration du GATT. Ainsi que le souligne S. SHRYBMAN,
« [e]nvironmental protection was simply not a public issue in 1947 […] nor was this provision
intended for that purpose ». V. « International trade and the environment : An environmental
assessment of the General Agreement on Tariff and Trade », The Ecologist, Vol. 20, nº 1, 1990, p.
33.
15
Art. 45.1 (a)(iii) de la Charte de la Havane. Le texte peut être consulté à
http://www.wto.org/French/docs_f/legal_f/havana_f.pdf.
16
Art. 45.1 (a)(viii) de la Charte de la Havane.
17
Art. 45.1 (a)(x) de la Charte de la Havane.
18
D’autres considèrent que l’exception relative à la moralité publique était aussi susceptible
d’incorporer des considérations environnementales. V. notamment A.-M. DE BROUWER, « GATT
Article XX’s environmental exceptions explored – Is there room for national policies? Balancing
rights and obligations of WTO members under the WTO regime », in Anton Vedder (ed.), The WTO
and concerns regarding animals and nature, Nijmegen, Worlf Legal Publishers, 2003, p. 11.
19
Cette tension s’était d’ailleurs exprimée bien avant l’élaboration de la Charte de la Havane.
En effet, les négociations portant sur l’élaboration d’une Convention internationale pour l’abolition
des prohibitions et restrictions à l’importation et à l’exportation (signée à Genève le 8 novembre
1927) avaient antérieurement permis à un certain nombre d’États d’identifier diverses catégories de
lois nationales devant être exemptées de l’application d’un éventuel accord en matière de commerce.
Parmi celles-ci, figuraient les mesures relatives à la protection de la santé publique ou à la protection
des animaux et des végétaux contre les maladies, les insectes ou les parasites nuisibles. Ces
exceptions étaient néanmoins soumises au respect de quelques conditions : l’application de ces
mesures ne devait pas constituer un moyen de discrimination arbitraire entre les pays où les mêmes
conditions existent, ni une restriction déguisée au commerce international. V. sur ce point L.
BRIGGS, « Conserving "exhaustible natural resources" : The role of precedent in the GATT Article
XX(g) exception », in Edith Brown Weiss et John H. Jackson (ed.), Reconciling environment and
trade, New York, Transnational Publishers Inc., 2001, p. 263. V. également S. CHARNOVITZ,
« Exploring the environmental exceptions in GATT article XX », Journal of World Trade, Vol. 25,
142
V. GUEVREMONT
négociateurs de la Charte de la Havane devaient donc trouver les moyens de
gérer le rapport concurrentiel entre les valeurs stimulant ce mouvement de
libéralisation et celles inspirant l’élaboration de politiques liées à des
considérations environnementales, sans menacer les fondements de ces deux
ensembles de normes20. Le défi était d’autant plus grand que, dès le début du
XXème siècle, une pratique courante consistait à utiliser des mesures
commerciales pour la poursuite d’objectifs environnementaux21. Ces
mesures étaient utilisées soit dans le contexte de la mise en œuvre d’un traité
multilatéral22, soit unilatéralement23.
nº 5, 1991, p. 41. Pour le texte de cet accord, v. Recueil des traités de la société des Nations, 1933,
p. 411. Enfin, il existe au niveau bilatéral un exemple encore plus ancien. En effet, le Traité de paix,
d’amitié et de commerce (13 Mai 1881) conclu entre Madagascar et les États-Unis édictait que le
commerce entre les deux pays devait être parfaitement libre, bien qu’il était permis au gouvernement
de Madagascar de limiter les importations tendant à causer des dommages « à la santé ou à la
moralité des sujets de sa majesté ». V. S. CHARNOVITZ, « The moral exception in trade policy »,
Virginia Journal of International Law, Vol. 38, nº 4, 1998, p. 708.
20
J.H. JACKSON, « World trade rules and environmental policies: congruence or conflict,
Symposium: Environmental quality and free trade: interdependent goals or irreconcilable
conflict ? », Washington & Lee Law Review, Vol. 49, 1992, p. 1232.
21
En effet, depuis longtemps les États utilisent des mesures commerciales pour protéger la
santé et la vie des personnes, des animaux et des végétaux. Cette pratique fut longtemps tolérée, bien
qu’en 1870, un premier conflit commercial d’importance ait éclaté au sujet de mesures liées à des
normes vétérinaires et de mise en quarantaine. S. CHARNOVITZ, op. cit., note 19, pp. 38-39.
V. également S. De BOER, « Commodity or drug: legal aspects of international trade in tobacco
products (Lessons on the application of article XX of the GATT in environmental matters », in
Michael Bothe and Peter H. Sand (ed.), Environmental Policy – Form regulation to economic
instruments, La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 2003, p. 233. L’auteur note que « [t]he use of
trade instruments in international environmental agreements is not a new phenomenon (…) There
are numerous examples in agreements dating from 1936 ». Id., note de bas de page nº 70. Les
instruments suivants constituent quelques exemples : Convention on Nature Protection and Wildlife
preservation in the Western Hemisphere, 161 UNTS 193 ; African Convention on the Conservation
of Nature and Natural Resources, 1001 UNTS 3, Convention between the U.S.A. and Mexico for the
Protection of Migratory Birds and Game Animals, 178 LNTS 310, International Convention for the
Protection of Birds, 638 UNTS 185. V. Cameron and Robinson, « The Use of trade provisions in
international environmental agreements and their compatibility with the GATT », Yearbook of
International Environmental Law, 1992, Vol. 2, p. 7, note 15.
22
S. CHARNOVITZ énumère une série de conventions datant du début du XXème siècle.
Parmi ces accords, figurent notamment une convention conclue en 1906 autorisant les restrictions à
l’importation d’allumettes fabriquées à partir de phosphore blanc (un produit chimique dont
l’utilisation comporte des risques pour la santé des personnes), un traité signé en 1911 pour la
préservation et la protection des phoques et des loutres de mer, deux espèces chassées pour leur
fourrure (les parties au traité s’engageaient à interdire l’importation de ces fourrures) et un traité
conclu en 1916 afin de protéger les oiseaux migratoires « utiles pour l’homme ou inoffensifs » (le
traité interdisait l’exportation de ces oiseaux durant des périodes d’interdiction de chasse). S.
CHARNOVITZ, op. cit., note 19, p. 39.
23
Id., p. 40. L’auteur utilise l’exemple des États-Unis qui, dès 1927, comptaient une douzaine
de lois utilisant des mesures commerciales pour la poursuite d’objectifs environnementaux.
EXCEPTION ET OMC
143
2. L’exception incorporée au système commercial multilatéral
C’est dans cette perspective que le contenu de l’article XX du GATT
de 1947 fut défini. L’opération de sauvetage de la Charte de la Havane a
toutefois engendré certaines conséquences pour les exceptions liées à des
préoccupations environnementales, l’une d’entre elles n’ayant pas été
reprise par l’article XX du GATT. En effet, l’exception visant à exclure du
champ d’application de l’Accord les « mesures prises en application
d’accords intergouvernementaux qui ont pour seul but la conservation des
ressources des pêcheries, la protection des oiseaux migrateurs ou des
animaux sauvages »24 a été éliminée. Les deux autres exceptions ont
néanmoins survécu à l’échec de la Charte et constituent aujourd’hui les
fondements de ce qu’il est convenu d’appeler l’exception environnementale
de l’OMC.
Par ailleurs, afin de prévenir d’éventuels abus25, une clause introductive
destinée à encadrer l’application des exceptions fut insérée. Cette
proposition présentée par le Royaume-Uni visait précisément à limiter le
risque que ces dispositions ne soient utilisées par les États pour adopter des
24
Il s’agissait du § 45 x). Cette exception, de même qu’une disposition similaire intégrée dans
le chapitre VI portant sur les Accords intergouvernementaux sur les produits de base (art. 70 § 1 d),
avait fait l’objet d’intenses discussions au cours des négociations de 1946-48. Bien que figurant dans
les toutes premières ébauches de l’art. 45 (Chap. IV), cette exception avait par la suite été
supprimée, au motif que « les pêcheries et la faune sauvage » se trouvaient couverts par l’expression
« conservation des ressources naturelles épuisables ». Compte tenu du fait que cette même exception
avait subsisté dans le chap. VI (Produits de base) et par souci de cohérence, certains États avaient
alors manifesté le souhait que cette disposition soit réintroduite dans la liste des exceptions au Chap.
IV. Finalement, l’alinéa concerné ne fut pas repris dans l’art. XX sur les exceptions générales du
GATT de 1947. Bien qu’à l’époque, les Américains aient soutenu que les pêcheries et la faune
sauvage se voyaient couverts par le § XX g) consacré aux ressources naturelles épuisables (v., à ce
sujet, S. CHARNOVITZ, op cit., note 20, p. 47), des doutes persistèrent durant plusieurs décennies.
Ce n’est qu’à l’issue du règlement du différend dans l’affaire États-Unis – Crevettes que la situation
fut clarifiée, l’Organe d’appel ayant noté que le texte de l’art. XX g) ne se limitait pas à la
conservation des ressources naturelles « minérales » ou « non vivantes », et que les espèces vivantes,
qui sont en principe « renouvelables », « peuvent dans certaines circonstances se raréfier, s’épuiser
ou disparaître ». V. le § 128 du rapport de l’Organe d’appel, WT/DS58/AB/R, 12 oct. 1998. Ce
rapport ayant été rendu public en 1999, on ne saurait en déduire que ce même article aurait été
interprété de la même façon lors de l’entrée en vigueur du GATT en 1947. L’on rappellera à cet effet
les commentaires de l’Organe d’appel selon lesquels l’expression « ressources naturelles
épuisables » « doit être analysée […] à la lumière des préoccupations actuelles de la communauté
des nations en matière de protection et de conservation de l’environnement ». V. le § 129 du rapport
de l’Organe d’appel.
25
S. CHARNOVITZ, op. cit., note 19, p. 743, référant au document U.N. Doc. EPCT/C.II/50,
§ 7.
144
V. GUEVREMONT
mesures en apparence fondées sur des valeurs environnementales, mais
poursuivant des objectifs protectionnistes26.
Depuis son origine, le cadre juridique du GATT de 1947 se compose
donc « de règles et d’une mosaïque d’exceptions »27. Ces exceptions existent
encore aujourd’hui et, en dépit d’une réforme en profondeur du système
commercial multilatéral intervenue au cours du cycle d’Uruguay (19861994), elles n’ont fait l’objet d’aucune actualisation. En effet, au fil de
l’élargissement de ce système et de l’intégration de nouveaux domaines de
compétences, la liste d’exceptions générales aurait pu être affinée et adaptée
aux réalités contemporaines et aux nouvelles problématiques d’ordre
global28. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’une nouvelle exception visant
expressément la protection de l’environnement avait été suggérée29. Cette
26
Plus précisément, « [l]e préambule a été inséré dans l’article relatif aux exceptions du
chapitre sur la politique commerciale du projet de Charte de l’OIC au cours de la session de la
Commission préparatoire tenue à Londres ». À l’époque, une délégation a déclaré que « la
protection indirecte constitue un système de protection d’un emploi peu souhaitable et dangereux…
Il arrive fréquemment qu’on abuse des stipulations qui ont pour but "de protéger la vie ou la santé
des animaux ou des plantes" à des fins de protection indirecte ». Cette délégation a alors
recommandé « d’insérer une clause interdisant expressément [l’utilisation de] pareilles mesures
[comme moyen de] protection indirecte… ». V. OMC, Index analytique du GATT, Genève, 1995, p.
609.
27
O. LONG, « La place du droit et ses limites dans le système commercial multilatéral du
GATT », RCADI, Tome 182, 1983, p. 17.
28
Les débats relatifs à la transposition de l’art. XX du GATT au cadre du futur Accord général
sur les services (ci-après l’AGCS) avaient en effet conduit à l’expression de vives préoccupations à
l’égard de la liste d’exceptions de 1947 et une volonté de parer à certaines de ses lacunes s’était
clairement faite sentir. V., sur ce point, GATT, Note sur la réunion tenue du 18 au 22 septembre
1989, MTN.GNS/25, 23 oct. 1989. Mais, derrière une apparente convergence de vues concernant la
nécessité de revoir le libellé de cette disposition, se profilaient de profondes divergences d’opinion
au sujet de l’éventuel contenu d’une nouvelle liste d’exceptions générales. V. GATT, Négociations
d’Uruguay – Groupe de négociation sur les services – Projet – Éléments pour l’Élaboration d’un
texte qui permette de procéder à des négociations en vue de l’achèvement de toutes les parties du
cadre multilatéral, MTN.GNS/28, 18 déc. 1989. Les crochets insérés dans la section (h) consacrée
aux exceptions attestent de ces divergences de vues, aucune exception ne semblant faire l’objet d’un
consensus : « 1. Des exceptions aux dispositions du cadre seront autorisées dès le début pour faire
face à des situations concernant, par exemple, [la protection de l’ordre public, la sécurité nationale,
la moralité publique, la santé, les valeurs culturelles ou sociales, l’environnement, la sûreté et [le
développement]]. Ces exceptions ne seront pas utilisées comme un moyen de tourner les objectifs du
cadre, ni comme des restrictions déguisées au commerce international des services ».
29
Il s’agissait notamment d’une proposition formulée par les pays nordiques. V. le document
MTN.GNS/W/25, § 232. Plusieurs observateurs ont également manifesté le souhait que l’art. XX
soit amendé afin d’y incorporer explicitement une référence à l’environnement au § b), le libellé
actuel étant jugé trop restrictif. V. par ex. D. C. ESTY, Greening the GATT : Trade, Environment
and the Future, Institute of International Economics, Washington D.C., 1994, p. 222 : « The current
focus on human, animal, or plant life or health is too narrow and overlooks important ecological
resources such as the atmosphere and other elements of the global commons. […] the addition of the
words "or the environment" to the definitional list of legitimate policy goals in Article XX b) would
be important ». V. également E.-U. PETERSMANN, International and European trade and
EXCEPTION ET OMC
145
proposition a toutefois été rejetée et, bien que le cycle d’Uruguay ait permis
de réaliser la plus grande réforme du système commercial mondial depuis la
création du GATT, la tentative d’actualisation des mécanismes d’exceptions
se solda par un échec.
Ainsi, de façon générale, l’exception environnementale du système
commercial multilatéral continue d’être représentée par deux dispositions
élaborées il y a plus d’un demi-siècle. Ces dernières font uniquement
référence à la « protection de la vie et de la santé des personnes et des
animaux et à la préservation des végétaux », ainsi qu’à « la conservation des
ressources naturelles », les États ayant été incapables de s’entendre sur une
nouvelle exception environnementale digne de ce nom.
B. – La portée initiale de l’exception environnementale
La définition de la portée initiale de l’exception environnementale
exige dans un premier temps une analyse de son champ d’application (1) et
dans un deuxième temps un examen de l’approche adoptée par ses premiers
interprètes (2).
1. Un champ d’application limité
L’exception environnementale du système commercial multilatéral se
décline principalement en ces termes30 :
environmental law after Uruguay Round, Londres, Kluwer Law International, 1995, p. 50 : « GATT
Article XX needs to be clarified in several respects. For instance : Is Article XX broad enough to
cover all trade-related environmental objectives since the ultimate purpose of environmental
measures is "to protect human, animal or plant life or health" ? ».
30
Il est à noter que le texte de l’art. XIV b) de l’AGCS reprend textuellement l’énoncé du § b)
de l’art. XX du GATT. Par ailleurs, l’Accord sur les ADPIC incorpore également une forme
d’exception environnementale. L’art. 27 § 2 stipule en effet que « [l]es Membres pourront exclure
de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale sur
leur territoire pour protéger l’ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie
des personnes et des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à
l’environnement, à condition que cette exclusion ne tienne pas uniquement au fait que l’exploitation
est interdite par leur législation ». Cet accord s’inscrivant dans une logique totalement différente de
celle du GATT et de l’AGCS, l’exception précitée ne sera toutefois pas examinée dans le cadre de
cette étude.
146
V. GUEVREMONT
GATT - Article XX - Exceptions générales
« Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à
constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les
pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au
commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme
empêchant l’adoption ou l’application par toute partie contractante des
mesures :
b)
nécessaires à la protection de la santé et de la vie des
personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ;
g)
se rapportant à la conservation des ressources naturelles
épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des
restrictions à la production ou à la consommation nationales ».
En dépit de l’absence du mot « environnement », il est largement
reconnu que ces exceptions incorporent des considérations de cette nature.
L’analyse de la portée initiale de l’exception environnementale repose donc
essentiellement sur l’article XX du GATT31 dont la liste de mesures est
considérée exhaustive, rien dans le chapeau de cette disposition n’indiquant
que les bénéfices de l’exception pourraient s’étendre à d’autres mesures32.
Bien entendu, des États pourraient adopter des mesures visant d’autres
objectifs environnementaux que ceux expressément énumérés à ces articles.
Cependant, si une politique visant à protéger l’environnement s’avère
discriminatoire, une justification ne pourra être recherchée que sur la base
des paragraphes XX b) et g) du GATT et XIV b) de l’AGCS33. Le champ
d’application de l’exception environnementale est donc bel et bien
circonscrit aux seules politiques visant à atteindre les objectifs mentionnés
dans ces articles. La prise en compte des valeurs liées à l’environnement
31
Et, par association à l’art. XIV du GATT, puisque l’Organe d’appel a estimé que « les
décisions antérieures au titre de l’art. XX du GATT de 1994 sont pertinentes pour [l’]analyse au titre
de l’art. XIV de l’AGCS ». V. le rapport États-Unis – Mesures visant la fourniture transfrontière de
services de jeux et de paris, WT/DS285/AB/R, 7 avr., 2005, § 291.
32
Les groupes spéciaux et l’Organe d’appel ont d’ailleurs eu l’occasion de se prononcer sur
cette question et ils ont clairement affirmé que cette disposition devait être considérée comme
« limitée » et « conditionnelle ». V. notamment sur ce point A. E. APPLETON, « Shrimp/Turtle :
Untangling the nets », Journal of International Economic Law, Vol. 2, nº 3, p. 482 ; référant au
rapport du Groupe spécial dans l’affaire : États-Unis – Section 337 of the Tariff Act of 1930, L/6439,
adopté le 7 nov. 1989, BISD 36S/345, § 5.9.
33
A. MATTOO, P.C. MAVROIDIS, « Trade, Environnement and the WTO : The Dispute
Settlement Practice Relating to Article XX of GATT », in Ernst Ulrich Petersmann (ed.),
International trade law and the GATT/WTO dispute settlement system, La Haye, Kluwer Law
International, Vol. 11, 1997, p. 335.
EXCEPTION ET OMC
147
s’en trouve alors directement affectée puisque l’exception environnementale
ne permet d’articuler qu’un nombre limité de mesures nationales avec les
règles multilatérales en matière de commerce.
Cette limitation n’est pas sans conséquence et le fait que les
paragraphes susmentionnés aient pu être qualifiés d’« exception
environnementale » du système OMC, sans pour autant recevoir
expressément cette appellation dans les accords concernés, pourrait soulever
de nouveaux doutes sur la portée réelle de ces dispositions. La confusion
découle précisément de la possibilité que des mesures poursuivent des
objectifs environnementaux autres que la protection de la vie et de la santé
des personnes et des animaux, ou la préservation des végétaux, et qu’elles ne
visent pas non plus à conserver des ressources naturelles épuisables. Cette
hypothèse fut envisagée par le Groupe spécial chargé de trancher l’affaire
Brésil – Mesures visant l’importation de pneumatiques rechapés34.
Souhaitant clarifier « le champ des intérêts qui doivent être protégés au titre
de l’article XX b) »35, il a alors statué que, dans la mesure où un État
invoque « l’existence d’un risque pour la santé et la vie des animaux ou la
préservation des végétaux au sens de l’article XX b), il doit établir
l’existence non seulement de risques pour ‘l’environnement’ en général,
mais plus particulièrement de risques pour la santé et la vie des animaux ou
la préservation des végétaux »36. Le recours à l’exception environnementale
se veut donc limité aux mesures qui poursuivent les objectifs
environnementaux visés aux paragraphes b) et g) de l’article XX du GATT
et au paragraphe (b) de l’article XIV de l’AGCS.
Le recours à l’exception environnementale est en outre limité par la
clause introductive de l’article XX, la fonction principale du chapeau
consistant à « prévenir l’abus des exceptions » contenues dans cette
disposition37, c’est-à-dire « to prevent Article XX from becoming a large
34
WT/DS332/R, 12 juin 2007, ci-après l’affaire Brésil – Pneus rechapés.
§ 7.221. Dans cette affaire, le Brésil estimait « que les exceptions inscrites dans l’art. XX b)
préservent la capacité des Membres d’interdire les importations qui portent atteinte à la santé et à la
vie des personnes et à l’environnement », alors que les Communautés européennes considéraient
« que l’article XX b) n’est pas une disposition qui englobe des mesures destinées à protéger
l’environnement en général ». § 7.222. Le Groupe spécial devait donc déterminer si une mesure
« destinée à protéger d’autres intérêts, y compris les aspects liés à la protection de l’environnement
qui ne se rapportent pas à la santé et à la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des
végétaux [pouvait] être justifiée au regard de l’article XX b) ».
36
Ibid., § 7.223.
37
K. URAKAMI, « Unsolved problems and implications for the chapeau of GATT article XX
after the reformulated gasoline case », in Edith Brown Weiss et John H. Jackson (ed.), Reconciling
environment and trade, New York, Transnational Publishers, Inc., 2001, p. 171. Cette fonction a été
reconnue par l’Organe d’appel dans son rapport États-Unis – Normes concernant l’essence nouvelle
35
148
V. GUEVREMONT
loop hole that governments can use to justify almost any measures that are
motivated by protectionist considerations »38. Le chapeau conditionne ainsi
la validité du recours à l’exception environnementale39 puisque les mesures
visées par les différents alinéas de l’article XX ne devront pas être
« appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire
ou injustifiable […] soit une restriction déguisée au commerce international »,
ce qui limite nécessairement les mesures pouvant être couvertes par cet
article. La rédaction de cette clause dans des termes assez généraux semble
néanmoins laisser une importante marge d’interprétation au juge dans
l’appréciation de la mise en œuvre des mesures environnementales, le
chapeau ayant été considéré comme « [a] general guidance to both the
[Members] governed and the [Panel or Appellate Body Division] charged
with applying the law »40.
Une analyse de la portée de l’exception environnementale ne saurait
néanmoins esquiver les difficultés liées à l’ambiguïté des termes utilisés. En
ce qui concerne d’abord ce chapeau, certains ont soutenu que « [i]t is clear
that the words and phrases used [...] are ambiguous, and this
"incompleteness of specification" falls short of being considered a rule that
can be followed in advance by Members »41. Des problèmes similaires se
posent en ce qui concerne certains alinéas de l’article XX qui incorporent
des termes sujets à diverses interprétations.
Ces incertitudes ne suffisent toutefois pas à occulter la volonté initiale
des États d’exclure les mesures environnementales du système commercial
multilatéral. Et puisque les exceptions constituent une forme d’interface
entre les intérêts commerciaux des Membres et leurs préoccupations
environnementales, c’est l’articulation harmonieuse de ces divers intérêts
qui a initialement été compromise par cette approche d’exclusion. À cet
égard, l’interprétation restrictive adoptée à l’occasion du règlement des
premiers différends fondés sur l’application de l’exception
environnementale n’aura pu qu’accentuer la difficile articulation de valeurs
initialement considérées conflictuelles.
et ancienne formules (ci-après dénommée l’affaire États-Unis – Essence), WT/DS2/AB/R, 29 avr.
1996, p. 22.
38
J.H. JACKSON, op. cit., note 22, p. 1240.
39
J.H. JACKSON, W.J. DAVEY, A.O. SYKES Jr., Legal Problems of International
Economic Relations – Case, Materials and Text, American Casebook Series, 4e ed., St-Paul
Minnesota, 2002, p. 552.
40
J.P. TRACHTMAN, « The domain of WTO dispute resolution », Harvard International
Law Journal, Vol. 40, nº 2, 1999, p. 351.
41
Id.
EXCEPTION ET OMC
149
2. Une interprétation restrictive
L’interprète joue un rôle crucial dans la circulation des valeurs
environnementales au sein d’un système. Son approche permet en effet de
définir les modalités d’articulation des règles commerciales avec des
politiques visant à poursuivre des objectifs environnementaux, et par
conséquent de clarifier la marge dont disposent les États quant à la
détermination et à la mise en œuvre de ces politiques. Cet exercice se révèle
intimement lié au respect de la souveraineté des Membres du système,
laquelle pourrait être définie dans ce contexte comme étant la liberté des
États d’élaborer les politiques environnementales de leur choix42.
L’interprétation de l’exception environnementale conduit ainsi à la
définition d’une marge de manœuvre au profit des États dans l’élaboration
de telles politiques. Cette marge de manœuvre se révèlera d’autant plus
grande que l’interprétation de l’exception environnementale sera extensive.
À l’inverse, une interprétation restrictive limitera le droit des États d’adopter
des politiques environnementales affectant la libre circulation de certains
biens ou services. L’interprétation de l’exception environnementale
détermine donc les modalités de coexistence de diverses valeurs, c’est-à-dire
d’une valeur non commerciale dont l’importance est susceptible de varier en
fonction des États, et d’un intérêt commercial uniformément défendu par la
mise en œuvre des règles et principes fondamentaux du système commercial
multilatéral43.
L’approche initialement adoptée par les groupes spéciaux dans
l’interprétation de l’exception environnementale a semblé traduire une
difficile coexistence de ces valeurs, voire une apparente confrontation44. Ce
constat se fonde sur l’interprétation restrictive de l’exception
42
L. BRIGGS, op. cit., note 19.
En ce sens, il a été soutenu que l’art. XX g) « represent a negotiated standard that attempts
to govern the linkage between different degrees of environmental concern, and the need to supervise
adherence to the obligations of national treatment and most-favoured nation status contained in the
WTO/GATT ». Id.
44
Notons que les trois premiers rapports de groupes spéciaux ayant examiné une mesure
environnementale au regard des conditions posées par l’art. XX sont demeurés silencieux sur la
question de l’approche à privilégier en matière d’interprétation. V. les rapports États-Unis – Thon et
produits du thon de 1982, IBDD S29/96, 22 févr.1982 ; Canada – Saumons et harengs de 1988,
IBDD S35/106, 22 mars 1988 ; Thaïlande – Taxe sur les cigarettes de 1990, DS/10R, 07/11/1990. À
l’occasion de l’affaire Thaïlande – Taxe sur les cigarettes, les États-Unis ont cependant défendu
l’idée « qu’en raison du caractère fondamental de l’interdiction des restrictions quantitatives
énoncées à l’art. XI:1, les exceptions éventuelles à la règle devaient nécessairement être prises au
sens étroit ». Le groupe spécial s’était toutefois abstenu de se prononcer sur ce point. V. le rapport
du groupe spécial, § 18.
43
150
V. GUEVREMONT
environnementale apparue en 1991 et initialement privilégiée par les
groupes spéciaux45. Rappelant un rapport antérieur qui avait traité de
l’article XX d), le Groupe spécial avait indiqué que la pratique avait été
d’interpréter l’exception de façon étroite46. D’autres groupes spéciaux ont
par la suite confirmé cette interprétation « restrictive » de l’exception
environnementale. Ainsi, non seulement l’exception environnementale
souffrait-elle d’un champ d’application limité, mais son interprétation
aboutissait quasi-automatiquement à la disqualification des mesures en
apparence fondées sur cette exception. Les valeurs environnementales
paraissaient à la fois exclues du système et niées par ce dernier, sinon
considérées secondaires par rapport aux considérations d’ordre commercial
et économique. Ce traitement résultait en réalité d’une approche fondée sur
l’application de méthodes d’interprétation différentes pour les règles et pour
les exceptions contenues dans les accords de l’OMC.
Cette méthode fut toutefois révisée par l’Organe d’appel qui privilégia
une approche fondée sur la préservation de l’équilibre entre les droits et les
obligations des parties47. À l’occasion de son rapport Communautés
européennes – Mesures communautaires concernant les viandes et les
produits carnés (hormones)48, il remit donc expressément en question le
principe d’interprétation restrictive des exceptions. Il fit remarquer que « le
simple fait de qualifier une disposition conventionnelle d’exception ne
justifie pas en soi une interprétation plus stricte ou plus étroite de cette
disposition que ne le justifierait l’examen du sens ordinaire du libellé du
traité dans le contexte et à la lumière de l’objet et du but de ce dernier ou,
autrement dit, en appliquant les règles normales d’interprétation des
traités »49. Cette approche ensuite reprise par les groupes spéciaux et
l’Organe d’appel demeure celle privilégiée encore aujourd’hui50.
45
V. États-Unis – Restrictions à l’importation de thon I, DS/21/R, 3 sept. 1991, § 5.22. Ce
rapport n’a toutefois pas été adopté.
46
Id.
47
Curieusement, l’Organe d’appel mit toutefois un certain temps à clarifier son approche en la
matière. Pourtant l’un des enjeux de l’affaire États-Unis – Essence « résidait évidemment dans la
portée [qu’il] entendrait conférer aux exceptions envisagées par l’article XX ». Mais ce n’est que
quelques rapports plus tard que les ambiguïtés furent levées. V. ce point H. RUIZ FABRI,
« Chronique du règlement des différends de l’OMC (1996-1998) », Journal du droit international,
Vol. 2, 1999, p. 455.
48
WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R, 16 janvier 1998. Ci-après dénommée l’affaire CE –
Hormones.
49
V. le rapport de l’Organe d’appel, p. 104.
50
Hélène RUIZ FABRI souligne que « [l]a position prise en matière de charge de la preuve
dans le Rapport Essence avait néanmoins conduit à se demander si l’interprétation du chapeau de
l’article XX n’aboutissait pas en pratique à une interprétation stricte des exceptions ». Elle conclut
cependant que le rapport États-Unis – Crevettes « paraît l’exclure en plaçant très explicitement
l’interprétation de ce chapeau sous le signe de l’équilibre ». V. op. cit., note 47, p. 500.
EXCEPTION ET OMC
151
Cette évolution s’est révélée déterminante pour la prise en compte des
valeurs environnementales défendues par les Membres de l’OMC. Elle a en
effet permis au juge de s’investir dans la recherche d’un équilibre entre des
valeurs perçues comme conflictuelles : d’un côté, le développement du
système
commercial ;
de
l’autre,
la
poursuite
d’objectifs
environnementaux51. Ce revirement jurisprudentiel a par conséquent été le
début d’une ère nouvelle pour la circulation des valeurs environnementales
au sein du système commercial multilatéral. Il a surtout reflété la transition
entre une approche visant initialement à faire de l’exception une technique
d’exclusion des valeurs environnementales du système, vers une nouvelle
approche aspirant à prendre en compte l’importance de ces valeurs dans la
mise en œuvre des règles de ce système. L’exception devait ainsi se
transformer en un mécanisme d’intégration des valeurs environnementales
dans le système commercial multilatéral.
II. L’EXCEPTION : MÉCANISME D’INTÉGRATION
DES VALEURS ENVIRONNEMENTALES DANS LE SYSTÈME
L’existence d’une exception environnementale ne permet pas de
préjuger de l’effectivité de la prise en compte des valeurs sur lesquelles elle
se fonde. Il en va de même concernant la marge de manœuvre et la marge
d’appréciation nationale dont bénéficient les Membres dans l’élaboration et
la mise en œuvre de mesures aspirant à protéger ces valeurs. Seul un examen
minutieux de la jurisprudence relative à l’exception révèle l’efficacité de
cette technique et son impact sur la circulation des valeurs
environnementales à l’intérieur du système commercial multilatéral.
Cette jurisprudence traduit une évolution positive du rapport entre
intérêts commerciaux et ces autres valeurs. Au fil du temps, et des différends
portés devant l’ORD, l’exception est en effet apparue comme un mécanisme
efficace non pas d’exclusion, mais de prise en compte des intérêts
environnementaux des Membres (A). Au-delà de cette prise en compte, le
contrôle exercé par le juge sur les mesures inspirées de ces valeurs doit
cependant être analysé car celui-ci détermine non seulement la capacité
réelle d’un État de mettre en œuvre les mesures environnementales, mais
également la contribution de l’exception à la recherche d’un équilibre entre
intérêts de diverses natures (B).
51
P. LEYTON, « Evolution of the "necessary text" of article XX b): From Thaï cigarettes to
the present », in Edith BROWN WEISS et John H. JACKSON (ed.), Reconciling environment and
trade, New York, Transnational Publishers Inc., 2001, p. 99.
152
V. GUEVREMONT
A. – La prise en compte des valeurs environnementales par l’exception
Bien que le libellé de l’exception environnementale soit demeuré
inchangé depuis sa rédaction en 1947, l’essence et le contenu des valeurs
visées par cette exception ont été modulés par l’histoire, les progrès
scientifiques, le développement des connaissances, la matérialisation de
certains risques et la survenance de grandes catastrophes écologiques. Ainsi,
au fil des décennies, l’exception environnementale a fait l’objet d’un large
éventail de mesures52.
Dès lors, la prise en compte « effective » des valeurs environnementales
ne peut que reposer sur l’aptitude et la volonté du juge d’adapter son
interprétation de l’exception aux préoccupations des Membres du système.
Une analyse de la jurisprudence révèle que la méthode privilégiée par le
juge repose essentiellement sur la manifestation d’une grande déférence à
l’égard de l’objectif environnemental poursuivi par un État (1), et sur une
interprétation évolutive des objectifs légitimés par l’exception
environnementale (2).
1. Le respect de l’objectif environnemental poursuivi
Conformément à la méthodologie interprétative développée par
l’Organe d’appel à l’égard des exceptions générales, l’interprétation de
l’exception environnementale requiert dans un premier temps un examen de
l’objectif poursuivi par la mesure contestée53. Cette première étape se révèle
52
Dans le même sens, certains ont affirmé que « different countries have legitimate diversity
in what industry-specific measures they will deploy, and in what sequence, even if they were to
share (as they need not, since they can have different priorities between different social agendas as
well) the same commitment to labour or environmental standards ». J. BHAGWATI, « Moral
obligations and trade », Conference on International Trade in Omaha, 12 déc. 1998, disponible en
ligne : http://www.columbia.edu/~jb38/moral_obligations.pdf, dernier accès le 31 août 2008.
D’autres ont affirmé que « [d]ifferent governments have different policies […] not least because the
content and strength of these concerns differ among the Members States. The plurality between the
different Member States on these issues frustrates the WTOs ambition to harmonize world trade ».
V. F. MEIJBOOM, F.W.A. BROM, « Intransigent or reconcilable : The complex relation between
public morals, the WTO and consumers », in Anton VEDDER (ed.), The WTO and concerns
regarding animals and nature, Nijmegen, Worlf Legal Publishers, p. 91.
53
Rappelons que le premier rapport de l’Organe d’appel a permis d’édicter des prescriptions
très claires au sujet des étapes de l’examen de l’art. XX et l’analyse de cet article doit se faire en
deux temps : « premièrement, justification provisoire de la mesure au motif qu’elle relève de [l’une
des exceptions] ; deuxièmement, nouvelle évaluation de la même mesure au regard des clauses
introductives de l’article XX ». V. le rapport États-Unis – Essence, rapport de l’Organe d’appel,
page 22. Dans un autre rapport, l’Organe d’appel a précisé que « l’ordre […] à suivre pour analyser
une allégation concernant une justification au titre de l’article XX ne dénote pas un choix fortuit ou
aléatoire, mais plutôt la structure et la logique fondamentales de l’article XX ». V. États-Unis –
Crevettes, rapport de l’Organe d’appel, § 119. Cette approche continue d’être respectée par les
EXCEPTION ET OMC
153
particulièrement délicate car une remise en cause de cet objectif sous-tend
une certaine substitution de l’appréciation du juge à celle de l’État.
L’Organe d’appel s’est révélé parfaitement conscient des sensibilités
qu’aurait pu éveiller une telle substitution et, en l’état actuel de la
jurisprudence, le contrôle du but légitime se veut relativement souple. Le
juge se montre en effet plutôt réticent à intervenir dans les choix politiques
des Membres et à remettre en cause la légitimité d’un objectif
environnemental poursuivi par une mesure. Il préfère adopter une attitude
déférente à l’égard des autorités nationales d’un Membre au stade de
l’identification de l’objectif de politique nationale fondé sur des valeurs
environnementales54. Cette déférence manifestée pour la première fois à
l’époque du GATT55 a été confirmée dès le premier rapport de l’Organe
d’appel. Selon ce dernier, les membres de l’OMC « disposent d’une large
autonomie pour déterminer leurs propres politiques en matière
d’environnement (y compris la relation entre l’environnement et le
commerce), leurs objectifs environnementaux et la législation
environnementale qu’ils adoptent et mettent en œuvre »56. Les plus récentes
affaires fondées sur l’exception environnementale démontrent la cohérence
du raisonnement de l’Organe d’appel à cet égard57.
groupes spéciaux et l’Organe d’appel, et une certaine constance dans l’interprétation des exceptions
générales est désormais clairement identifiable. V. les rapports de l’Organe d’appel Communautés
européennes – Mesures affectant l’amiante et les produits en contenant (ci-après dénommée
l’affaire CE – Amiante), WT/DS135/AB/R, 12 mars 2001 ; et États-Unis – Mesures visant la
fourniture transfrontière de services de jeux et paris, WT/DS285/AB/R, 07 avril 2005 (ci-après
dénommée l’affaire États-Unis – Jeux et paris).
54
S. CHARNOVITZ rappelle que « [t]he authors of the GATT had no intention of using trade
rules to review how sensible domestic policies were. Instead, Article XX establishes a strong
deference to sovereignty and national decision-making ». V. « Free trade, fair trade, green trade:
defogging the debate », Cornell International Law Journal, Vol. 27, nº 3, 1994, p. 478. Cette
déférence est toutefois circonscrite par les frontières juridiques tracées par les mécanismes
d’exceptions générales, prises en compte à un stade ultérieur de l’interprétation. Il semble donc utile
de rappeler que l’admission du but légitime ne représente que la première étape de l’examen de la
compatibilité d’une mesure avec l’article XX du GATT ou XIV du GATS, les critères imposés par
le chapeau devant ultimement circonscrire l’étendue de la souveraineté des États. V. sur ce point
J.H. JACKSON, « Remarks – The limits of International Trade », Proceeding of the 94th annual
meeting, American Society of International Law, 5-8 avril 2000, Washington D.C., 2000, p. 223.
55
Dans le rapport États-Unis – Restrictions à l’importation de thon I par exemple, le Groupe
spécial avait fait remarquer que le contrôle devait s’exercer sur la mesure, et non sur l’objectif
poursuivi par celle-ci, soit la préservation de certaines espèces de dauphins menacés. Le groupe
spécial avait notamment soutenu que « les conditions énoncées à l’article XX b) […] ont trait à la
mesure commerciale qui doit être justifiée au regard de l’article XX b), et non pas à la norme
concernant la vie ou la santé choisie par la partie contractante ». V. le § 127 de ce rapport.
56
États-Unis – Essence, Rapport de l’Organe d’appel, p. 30.
57
V. notamment le rapport de l’Organe d’appel dans l’affaire Communautés européennes –
Amiante, où il est réitéré qu’un Membre dispose du « droit de fixer le niveau de protection de la
santé qu’[il] juge approprié dans une situation donnée ». V. le § 168 de ce rapport. V. également le
154
V. GUEVREMONT
Ainsi, chaque fois que l’exception environnementale a été invoquée, le
Groupe spécial ou l’Organe d’appel a statué que la mesure contestée
poursuivait effectivement l’objectif allégué. Cette déférence ne peut être que
positive pour la prise en compte des valeurs environnementales par le
système et toute intervention extérieure conduisant à nier les allégations
d’un Membre à l’effet qu’une mesure poursuit effectivement certains
objectifs liés à l’environnement ne pourrait être qu’inopportune.
Les effets de cette déférence pourraient toutefois être limités si cette
dernière ne s’accompagnait de la manifestation d’une sensibilité du juge à
l’égard de l’influence des préoccupations contemporaines des États sur la
détermination des objectifs susceptibles d’être poursuivis par des politiques
environnementales. L’adoption d’une méthode d’interprétation évolutive a
permis à cette sensibilité de se manifester librement.
2. L’interprétation évolutive des préoccupations environnementales
Il ne suffit pas de saluer la déférence des groupes spéciaux et de
l’Organe d’appel pour rendre compte de la finesse de leur approche à l’égard
de l’exception environnementale. En réalité, s’il n’avait été d’une
interprétation évolutive de cette exception, cette déférence aurait bien pu
s’essouffler. Le libellé de cette exception ayant été rédigé près d’un demisiècle avant l’éclatement des différends en cause, seul le recours à une
interprétation évolutive fondée sur la règle de l’effet utile pouvait permettre
de rendre compte des défis du moment et de la responsabilité des États à
l’égard de ces préoccupations contemporaines58. Soucieux de parvenir à une
telle prise en compte, l’Organe d’appel s’est donc tourné vers cet outil
interprétatif.
C’est dans ce contexte que doit être appréhendé le rapport de l’Organe
d’appel dans l’affaire États-Unis – Crevettes, l’un des plus contestés de
rapport du Groupe spécial dans l’affaire Brésil – Pneus rechapés, WT/DS332/R, 12 juin 2007, §
7.274. Dans ce rapport, le groupe spécial soutient qu’il n’est pas tenu « d’examiner l’opportunité de
l’objectif général déclaré en tant que tel », c’est-à-dire qu’il n’est pas tenu « d’évaluer le choix
général déclaré par le Brésil, qui consiste à protéger la santé et la vie des personnes et des animaux
ou à préserver les végétaux contre certains risques, ni le niveau de protection que le Brésil veut
atteindre ». Le Groupe spécial a enfin rappelé que, dans « l’affaire CE – Amiante, l’Organe d’appel a
dit clairement que chaque Membre de l’OMC avait "... le droit de fixer le niveau de protection de la
santé qu’i[l] jug[eait] approprié dans une situation donnée" » (se référant au § 168 de ce rapport).
58
V. sur ce point : H. RUIZ FABRI, op. cit., note 47, pp. 499-500.
EXCEPTION ET OMC
155
l’histoire de l’ORD59. Objet de nombreuses condamnations de la part des
environnementalistes, lesquels ont qualifié le système commercial
multilatéral d’obstacle à la poursuite d’objectifs de développement durable,
le rapport adopté par l’ORD contient toutefois des avancées majeures pour
l’intégration des valeurs environnementales dans le système OMC.
Le règlement du litige exigeait que le juge se positionne sur la question
de savoir si les tortues marines pouvaient être considérées comme des
« ressources naturelles épuisables » au sens du paragraphe g) de l’article
XX. L’Organe d’appel exposa son raisonnement en ces termes :
« L’expression "ressources naturelles épuisables" figurant à
l’article XX g) a en fait été façonnée il y a plus de 50 ans. Elle
doit être analysée par un interprète des traités à la lumière des
préoccupations actuelles de la communauté des nations en
matière de protection et de conservation de l’environnement.
L’article XX n’a pas été modifié pendant le Cycle d’Uruguay,
mais le Préambule de l’Accord sur l’OMC montre que les
signataires de cet accord étaient, en 1994, tout à fait conscients
de l’importance et de la légitimité de la protection de
l’environnement en tant qu’objectif de la politique nationale et
internationale. […] Si nous nous plaçons dans la perspective
du Préambule de l’Accord sur l’OMC, nous observons que le
contenu ou la référence de l’expression générique « ressources
naturelles » employée dans l’article XX g) ne sont pas
« statiques » mais plutôt « par définition évolutifs ». Il
convient donc de noter que les conventions et déclarations
internationales modernes font souvent référence aux
ressources naturelles comme étant à la fois des ressources
biologiques et non biologiques »60.
Les retombées de l’adoption d’une telle approche sont significatives
puisque le juge s’autorise une actualisation du droit, opération qui pourrait
reposer sur la négociation et la diplomatie, mais qui s’avère difficile à
réaliser dans le contexte d’une organisation comptant 153 Membres61.
59
W. J. DAVEY, « Has the WTO dispute settlement system exceeded its authority ? A
consideration of deference shown by the system to member government decisions and its use of
issue-avoidance techniques », Journal of International Economic Law, Vol. 4, nº 1, 2001, p. 88.
60
V. le rapport de l’Organe d’appel, § 129-130.
61
De par la nature des exceptions générales, et les confrontations auxquelles se sont heurtés
ceux qui ont tenté d’en modifier la liste, il semble peu probable que des changements soient
formellement apportés au libellé des art. XX (GATT) et XIV (AGCS).
156
V. GUEVREMONT
L’organe juridictionnel de l’OMC a donc pris l’initiative de s’approprier ce
rôle.
Certes, l’interprétation évolutive comporte des limites inhérentes au
mandat confié aux interprètes62 et aux outils qu’ils utilisent pour s’acquitter
de cette tâche. Elle est également gênée par le caractère exhaustif des listes
d’exceptions générales63 qui a pour effet de réduire les possibilités
d’intégration dans le système OMC de nouvelles valeurs environnementales
reconnues légitimes par la communauté internationale. Il est vrai que les
références à l’environnement et au développement durable contenues dans le
préambule de l’Accord instituant l’OMC ont déjà permis de repousser ces
limites64 et stimuleront sans doute de nouvelles avancées quant à la
circulation des valeurs environnementales au sein du système. Mais même la
plus évolutive des interprétations pourrait un jour ne plus suffire à la prise
en compte de ces valeurs et des nouveaux objectifs susceptibles d’être
poursuivis par les États en matière de protection de l’environnement.
L’audace dont a fait preuve jusqu’à présent l’Organe d’appel dans son
interprétation de l’exception environnementale et la sensibilité qu’il a
manifestée à l’égard des défis environnementaux du troisième millénaire
demeure toutefois une source d’espoir. Il est en effet apparu soucieux
d’adapter le droit de l’OMC aux préoccupations du moment65. L’Organe
62
Rappelons que ce mandat consiste à « préserver les droits et les obligations résultant pour
les Membres des accords visés, et de clarifier les dispositions existantes de ces accords
conformément aux règles coutumières d’interprétation du droit international public » et que les
« recommandations et décisions de l’ORD ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et
obligations énoncés dans les accords visés ». En outre, les règles et procédures du Mémorandum
d’accord ne s’appliquent qu’au règlement des différends fondés sur les accords de l’OMC. V. les art.
1 et 3 § 2 du Mémorandum d’accord.
63
C’est ce que constatent Robert HOWSE et Donald REGAN lorsqu’ils affirment que « [i]t is
important to bear in mind, however, that not all public policy purposes widely viewed as legitimate
or important in liberal democratic societies are covered by the exception in Article XX ». V. « The
Product/Process distinction – An illusory basis for disciplining "unilateralism" in trade policy »,
European Journal of International Law, Vol. 11, nº 2, 2000, p. 253.
64
Le premier paragraphe du Préambule de cet accord indique que les Membres
« Reconnaissant que leurs rapports dans le domaine commercial et économique devraient être
orientés vers […] l’accroissement de la production et du commerce de marchandises et de services,
tout en permettant l’utilisation optimale des ressources mondiales conformément à l’objectif de
développement durable, en vue à la fois de protéger et préserver l’environnement et de renforcer les
moyens d’y parvenir d’une manière qui soit compatible avec leurs besoins et soucis respectifs à
différents niveaux de développement économique ». L’Organe d’appel s’est notamment appuyé sur
ce paragraphe pour interpréter l’exception environnementale. V. le rapport États-Unis – Essence, p.
30, ainsi que le rapport États-Unis – Crevettes, § 129 à 131.
65
Ainsi que le souligne S. CHARNOVITZ, l’Organe d’appel « gave little attention to the
historic roots, preferring instead to formulate is environment-friendly holding as an "evolutionary"
approach to interpretation ». V. « The WTO’s environmental progress », Journal of international
economic law, Vol. 10, nº 3, 2007, p. 686.
EXCEPTION ET OMC
157
d’appel a également démontré « sa volonté de se situer dans une logique non
seulement de conciliation mais de complémentarité, en insistant notamment
sur le fait que les préoccupations environnementales sont intégrées par
l’OMC »66. Ainsi, plutôt que de l’envisager comme une simple technique
visant à exclure l’environnement du système, l’Organe d’appel a plutôt fait
de l’exception un précieux mécanisme d’articulation des valeurs
environnementales avec les règles du système.
B. – Le contrôle de la mesure et la recherche d’un équilibre entre valeurs
environnementales et intérêts commerciaux
L’intégration des préoccupations environnementales dans le système
OMC s’est également réalisée grâce à l’évolution de la méthodologie
interprétative développée par l’Organe d’appel à l’égard des exceptions
générales. Plus spécifiquement, c’est à l’étape de l’évaluation de la relation
que doit entretenir la mesure choisie par l’État avec l’objectif
environnemental poursuivi, c’est-à-dire lors de l’examen du lien de causalité
exigé par l’exception67, que les valeurs environnementales ont
graduellement été prises en compte dans le droit de l’OMC. La
jurisprudence tend alors à démontrer que la circulation de ces valeurs est
bien réelle, mais demeure conditionnée par un exercice de mise en balance
de ces dernières et des intérêts commerciaux des Membres conduit par le
juge (1), ainsi que par la reconnaissance d’une marge nationale
d’appréciation au bénéfice de l’État dans le choix des mesures fondées sur
ces valeurs (2).
1. La mise en balance des valeurs en présence
Dans le contexte d’une interprétation de l’exception environnementale,
le lien de causalité entre la mesure et l’objectif poursuivi est défini en
fonction de deux critères alternatifs, soit d’une part celui de la « nécessité »,
et d’autre part celui des mesures « relatives à »68.
66
H. RUIZ FABRI, op. cit., note 47, p. 500.
Divers qualificatifs, tels que « nécessaires » et « relatives à » précisent ainsi le lien de
causalité exigé entre l’objectif environnemental et la mesure. Dans son premier rapport, l’Organe
d’appel a accordé une attention particulière à ces divers critères et compte tenu de la méthodologie
interprétative qu’il a privilégiée, en particulier l’approche par étape fondée en premier lieu sur une
interprétation du sens ordinaire des termes d’un traité, ces qualificatifs ont été interprétés
différemment. V. États-Unis – Essence, Rapport de l’Organe d’appel, pp. 17-18.
68
Ce dernier critère étant assorti d’une condition supplémentaire selon laquelle la mesure doit
être appliquée « conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation
nationales ».
67
158
V. GUEVREMONT
Le second critère s’applique uniquement aux mesures liées à la
conservation de ressources naturelles épuisables et la jurisprudence relative
à cette clause a très tôt établi que cette exception soulevait « la question de
savoir si n’importe quel rapport avec la conservation et n’importe quelle
conjonction avec des restrictions à la production suffisent pour qu’une
mesure commerciale relève de l’article XX g) ou si une conjonction et un
rapport particuliers sont requis »69. Plusieurs affaires ont par la suite permis
à des groupes spéciaux d’affiner l’interprétation de ce paragraphe70. Des
clarifications ont enfin été apportées par l’Organe d’appel dans son rapport
États-Unis – Essence à l’occasion duquel il a précisé qu’une mesure peut
être considérée comme « se rapportant à la conservation des ressources
naturelles » si elle témoigne d’une « relation substantielle » avec la
conservation des ressources naturelles71, ce qui se traduit par l’existence
d’une « relation étroite et réelle » entre la mesure et l’objectif
environnemental poursuivi72. La circulation de valeurs environnementales se
réalise donc sans qu’un véritable soupesage d’une diversité d’intérêts ne soit
réalisé par le juge.
La mise en balance d’intérêts environnementaux et commerciaux se
réalise donc davantage par l’application du test de nécessité des articles
XX b) du GATT et XIV b) de l’AGCS. Cette autre forme de lien de
causalité a généré une importante jurisprudence et son analyse permet de
69
V. le rapport Canada – Saumons et Harengs, IBDD S35/106, 22/03/1988, § 4.5. Constatant
que plusieurs paragraphes de l’article XX requièrent un lien de causalité différent entre les divers
objectifs et les mesures reliées, le Groupe spécial statua que « s’il n’était pas impératif qu’une
mesure commerciale soit nécessaire ou essentielle pour la conservation d’une ressource naturelle
épuisable, il fallait cependant que cette mesure vise principalement à la conservation d’une ressource
naturelle épuisable pour qu’elle soit considérée comme se ‘rapportant à’ la conservation, au sens de
l’article XX g) ». Id., § 4.6.
70
V. OMC, Pratique du GATT/de l’OMC en matière de règlement des différends se
rapportant à l’article XX, § b), d) et g) du GATT de 1994, WT/CTE/W/203, 8 mars 2002, p. 19.
Dans l’affaire États-Unis – Thon I, le Groupe spécial s’est attardé sur le caractère imprévisible des
conditions sur lesquelles se fondait la mesure en cause, et a conclu « qu’une limitation des échanges
fondée sur des conditions aussi imprévisibles ne pouvait pas être considérée comme visant
principalement à la conservation des dauphins ». V. le § 5.33 du rapport du Groupe spécial. Dans
l’affaire États-Unis – Thon II, le Groupe spécial statua que « les mesures prises de manière à
contraindre d’autres pays à modifier leurs politiques, et qui n’avaient d’effet que si ces
modifications étaient effectuées, ne pouvaient pas viser principalement à la conservation d’une
ressource naturelle épuisable ». V. le § 5.27. Enfin, dans l’affaire États-Unis – Automobiles, le
Groupe spécial conclut qu’« une mesure qui ne favorisait pas la réalisation des objectifs de
conservation d’une ressource épuisable ne saurait être considérée comme visant principalement à la
conservation de cette ressource ». V. le § 5.60.
71
V. le rapport États-Unis – Essence. V. également OMC, Pratique du GATT/de l’OMC en
matière de règlement des différends se rapportant à l’art. XX, § b), d) et g) du GATT de 1994, 26
oct. 1998, WT/CTE/W/53, p. 20.
72
V. le rapport de l’Organe d’appel dans l’affaire États-Unis – Crevettes, § 141.
EXCEPTION ET OMC
159
dégager trois grandes périodes de la courte histoire du critère de nécessité
dans le droit de l’OMC.
Cette histoire semble en effet relativement courte car, bien que le critère
de nécessité date de 1947, ce n’est qu’en 1989 qu’un véritable « test de
nécessité » a été appliqué73. Le Groupe spécial interpréta le terme
« nécessaire » comme signifiant que l’État ne devait pas disposer « d’une
autre mesure dont on pourrait attendre raisonnablement qu’[il] l’emploie et
qui n’est pas incompatible avec d’autres dispositions de l’Accord général »,
précisant qu’une partie contractante avait « l’obligation d’utiliser, parmi les
mesures dont elle dispose raisonnablement, celle qui comporte le moindre
degré d’incompatibilité avec les autres dispositions de l’Accord général »74.
Cette interprétation a été confirmée dans l’affaire Thaïlande – Taxe sur les
cigarettes où il est apparu que le critère de nécessité ne se trouvait satisfait
que si aucune alternative moins restrictive pour le commerce ne pouvait
raisonnablement être employée par l’État pour atteindre les objectifs visés75.
Le passage du GATT à l’OMC ne devait pas immédiatement affecter
l’interprétation traditionnelle de la « nécessité »76. Pourtant, l’approche
privilégiée jusqu’alors n’était pas à l’abri des critiques puisque la
méthodologie interprétative ne possédait aucun fondement juridique. En
outre, elle imposait aux États la charge onéreuse d’examiner les effets de
73
Il est à noter que cette affaire impliquait l’interprétation du § d) de l’art. XX. Puisque ce §
énonce le même critère que celui qui est contenu à l’art. XX b), il est donc tout à fait pertinent d’en
rendre compte dans cette analyse, d’autant plus qu’un autre groupe spécial déclara ultérieurement
qu’il « ne voyait pas pourquoi, dans le cadre de l’article XX, le terme "nécessaire" n’aurait pas à
l’alinéa d) le même sens qu’à l’alinéa b) ». V. sur ce point Thaïlande – Taxe sur les cigarettes, § 74.
74
V. États-Unis – L’article 337 de la Loi douanière de 1930, rapport adopté le 7 nov. 1989,
L/6439, § 5.26.
75
V. sur ce point Thaïlande – Taxe sur les cigarettes, § 81. Dans cette affaire, il a été
considéré « qu’il y avait diverses mesures compatibles avec l’Accord général dont la Thaïlande
disposait raisonnablement pour maîtriser la qualité et la quantité des cigarettes fumées et qui, prises
ensemble, pouvaient lui permettre d’atteindre les objectifs de sa politique en matière de santé ». Le
Groupe spécial a alors constaté que « la pratique suivie par la Thaïlande […] était incompatible avec
l’Accord général et n’était pas "nécessaire" au sens de l’article XX b) ». La même approche a été
suivie dans les affaires États-Unis – Thon I et États-Unis – Thon II. Dans la première affaire, le
Groupe spécial a notamment insisté sur le fait qu’il appartenait à la partie qui invoque l’exception de
prouver qu’elle avait épuisé toutes les autres options raisonnablement disponibles pour réaliser
l’objectif à l’aide d’une mesure compatible avec le GATT. V. le rapport non adopté du Groupe
spécial, § 5.27 et 5.28. Dans la seconde affaire, le terme nécessaire a été interprété comme un
synonyme d’« indispensable » ou d’« inévitable ».
76
En effet, dans l’affaire États-Unis – Essence, le Groupe spécial adopta l’approche
privilégiée par les groupes spéciaux constitués à l’époque du GATT. Quant à l’Organe d’appel, son
mandat ne portait pas sur l’interprétation du § XX b), mais uniquement du § XX g). Dans l’affaire
États-Unis – Crevettes, l’art. XX b), invoqué à titre subsidiaire par les États-Unis, ne fut interprété ni
par le Groupe spécial, ni par l’Organe d’appel.
160
V. GUEVREMONT
chaque mesure envisageable sur toutes les dimensions de sa sphère
commerciale. Cette approche devait donc être révisée, ce qui fut réalisé à
l’occasion de l’affaire Corée – Mesures affectant les importations de viande
de bœuf fraîche, réfrigérée et congelée77, début de la seconde phase du test
de nécessité.
Considérant qu’« une mesure "nécessaire" se situe beaucoup plus près
du pôle "indispensable" que du pôle opposé : "favoriser" simplement »,
l’Organe d’appel élabora une nouvelle approche en vue de déterminer « si
une mesure qui n’est pas "indispensable" peut néanmoins être
"nécessaire" ». Selon lui, il fallait alors dans chaque cas « soupeser une série
de facteurs parmi lesquels figurent au premier plan le rôle joué par la mesure
d’application dans le respect de la loi ou du règlement en question,
l’importance de l’intérêt commun ou des valeurs communes qui sont
protégés par cette loi ou ce règlement et l’incidence concomitante de la loi
ou du règlement sur les importations ou les exportations »78. Cette affaire
opéra donc le passage d’un critère unique (la mesure la moins restrictive
pour le commerce) à une liste de trois critères prenant en compte les valeurs
environnementales ayant inspiré la mesure. Elle permit surtout d’introduire
dans le droit de l’OMC un véritable exercice de mise en balance de valeurs
en apparence conflictuelles et souvent jugées irréconciliables, traçant ainsi
« le portrait type d’un contrôle de proportionnalité »79.
Cette approche fut reprise par l’Organe d’appel dans une affaire à
l’issue de laquelle une mesure environnementale, et plus précisément une
mesure d’ordre « sanitaire », fut pour la première fois reconnue comme
pouvant satisfaire au critère de nécessité énoncé par le paragraphe (b) de
l’article XX : il s’agissait de l’affaire CE – Amiante80. Cette fois, l’Organe
77
V. WT/DS 161/AB/R, 11 déc. 2000, ci-après dénommé l’affaire Corée – Viande de bœuf.
V. Corée –Viande de bœuf, Rapport de l’Organe d’appel, § 164.
V. H. RUIZ FABRI, « Chronique de règlement des différends de l’OMC (2000) », Journal
de Droit International, Vol. 128, nº 3, 2001, p. 932. M. HILF et S. PUTH associent l’émergence
d’un critère de proportionnalité non seulement à l’affaire Corée – Viande de Bœuf, mais également
aux affaires État-Unis – Essence et États-Unis – Crevettes. Selon eux, les trois rapports de l’Organe
d’appel dans ces affaires « give effect to certain aspects of the principle of proportionality or have at
least a direct connection to the components and single elements of this principle ». Les auteurs
associent néanmoins le critère de proportionnalité non seulement à l’interprétation des exceptions
générales visées par les divers paragraphes de l’art. XX, mais également à l’interprétation du
chapeau et à l’exercice d’équilibrage qui en découle. V. « The principle of proportionality on its way
into WTO/GATT law », in Armin von Bogdandy, Petros C. Mavroidis and Yves Meny (ed.),
European integration and international co-ordination, Studies in transnational economic law in
honour of Claus-Dieter Ehlermann, La Haye, Kluwer Law International, 2002, p. 215.
80
Il est utile de rappeler qu’en l’espèce, les produits en cause n’avaient pas été considérés
« similaires » par l’Organe d’appel au sens de l’art. III du GATT ; la mesure en cause ne
contrevenait donc pas à l’exigence de non-discrimination découlant de cet article. Néanmoins, les
78
79
EXCEPTION ET OMC
161
d’appel insista sur le fait que « [p]lus [l’] intérêt commun ou [l]es valeurs
communes [poursuivis] [étaient] vitaux ou importants, plus il sera[it] facile
d’admettre la "nécessité" de mesures conçues pour atteindre ces
objectifs »81.
Il s’agissait là d’une évolution positive car, outre l’analyse de l’impact
« commercial »
d’une
mesure,
l’interprétation
de
l’exception
environnementale autorisait désormais la prise en compte de l’importance de
l’intérêt commun ou des valeurs communes qu’elle protège. Cette
interprétation de l’exception consacrait donc l’intégration des valeurs
relatives à la protection de l’environnement dans la mise en œuvre du droit
de l’OMC. Elle confirmait par le fait même la volonté du juge de réaliser
une mise en balance des valeurs et intérêts en présence par le biais d’une
approche fondée sur la proportionnalité82.
Des doutes subsistent toutefois sur l’opportunité qu’un tel test soit
effectivement incorporé au système commercial83. Le paysage fort séduisant
juges s’étaient livrés à un examen hypothétique de la justification de la mesure adoptée par les
Communautés européennes au regard de l’art. XX b). Il s’agissait principalement de préciser le
« test de nécessité » imposé par ce §, tel que revu dans l’Affaire Corée – Viande de Bœuf.
81
V. le rapport Corée – Viande de bœuf, § 162 ; cité dans CE – Amiante, § 172.
82
Certains auteurs prétendent néanmoins que le principe de proportionnalité se trouvait déjà
présent dans plusieurs autres dispositions du GATT. Meinhard HILF va même jusqu’à affirmer
que « the principle of proportionality is one of the more basic principle underlying the multilateral
trading system, although there is no explicit reference to it in WTO law ». Les art. 2.2 de l’Accord
OTC et l’art. 5.4 de l’Accord SPS constitueraient deux exemples. V. « Power, rules and principles –
which orientation for WTO/GATT law? », Journal of international economic law, Vol. 4, nº 1,
2001, p. 120. L’auteur suggère également qu’un test de proportionnalité fut utilisé par l’Organe
d’appel dans l’interprétation du chapeau de l’art. XX dans son rapport États-Unis – Crevettes. Id., p.
121. Pour un exposé sur le principe de proportionnalité dans le droit de l’OMC, v. M. HILF, S.
PUTH, « The principle of proportionality on its way in WTO/GATT law », in Armin von Bogdandy,
Petros C. Mavroidis and Yves Meny (ed.), European integration and international co-ordination,
Studies in transnational economic law in honour of Claus-Dieter Ehlermann, La Haye, Kluwer Law
International, 2002, pp. 199-218. Les auteurs rappellent que, dans son rapport États-Unis — Mesure
de sauvegarde transitoire appliquée aux fils de coton peignés en provenance du Pakistan, l’Organe
d’appel « explicitly acknowledged the principle of proportionality as on of the basic principles
underlying the multilateral trading system ». Id., p. 217. Citant le rapport WT/DS192/AB/R, 7
novembre 2001. V. notamment les § 120 et suivants de ce rapport.
83
En outre, ce processus paraît encore inachevé car si l’on peut effectivement discerner
certaines composantes de ce test dans l’approche privilégiée par l’Organe d’appel, il n’est pas
certain que l’on puisse véritablement parler d’un test de proportionnalité entièrement intégré au droit
de l’OMC. Selon M. HILF et S. PUTH, les éléments identifiés au titre du critère de nécessité ne
constituent qu’une partie du test de proportionnalité de l’article XX, lequel est complété par les
composantes relevant du chapeau de cet article : « In the interpretation and application of Article
XX, elements of the principle of proportionality are relevant both in the examination of the design of
a measure in order to assign it to one of the paragraphs and in the appraisal of the application of the
measure under the chapeau clause ». Id., pp. 215-216. Certains auteurs prétendent que l’Organe
d’appel s’est en réalité limité à introduire « an alternative, less-strict proportionality test into those
162
V. GUEVREMONT
du critère de « nécessité » tel qu’esquissé par l’Organe d’appel entraîne en
effet l’interprète sur un terrain parsemé d’incertitudes. Il est vrai que, de
prime abord, « le type de contrôle […] paraît dans son principe bien adapté à
l’approche complexe qu’impose la confrontation de mesures prises au nom
d’objectifs non commerciaux aux engagements pris au titre des règles
régissant le commerce »84. Cependant, un regard plus attentif sur les
diverses étapes du contrôle permet d’apercevoir à l’horizon les prémisses
d’une démarche dont la légitimité pourrait être questionnée.
Cela concerne notamment ce critère relatif à l’importance ou au
caractère vital d’un intérêt commun ou d’une valeur commune, qui soulève
« la question de savoir qui apprécie ce qui est vital et qui est juge en cas de
contestation »85. Le qualificatif « commun » ne sera pas non plus à l’abri
d’éventuels débats. L’appréhender dans le sens des intérêts ou des valeurs
partagés par la communauté internationale serait ouvrir la porte à la seule
prise en compte de valeurs environnementales communes à une large
majorité d’États. Par ailleurs, lui donner une dimension nationale (les
intérêts communs ou les valeurs communes d’une collectivité nationale) ne
pourrait être qu’à contre-courant des préjugés favorables de l’Organe
d’appel à l’égard du multilatéralisme, particulièrement en matière de
protection de l’environnement.
Pourtant, si les valeurs « communes » devaient triompher, il n’est pas
certain que le test de nécessité ainsi appréhendé pourrait être transposable à
d’autres exceptions requérant le même lien de causalité, et en particulier à
l’exception relative à la protection de la moralité publique visée au
paragraphe (a) de l’article XX du GATT et XIV de l’AGCS86. En effet,
identifier les intérêts communs ou les valeurs communes des Membres de
l’OMC en matière de protection de la moralité publique ou de l’ordre public
se présente comme un défi plutôt difficile à relever. Des concepts empreints
head of Article XX where the word ‘necessary’ is found », ce qui veut dire qu’il n’a donc pas
introduit un test de proportionnalité « as an additional requirement ». V. sur ce point M. J.
TREBILCOCK, R. HOWSE, op. cit., p. 543. Pour d’autres, « the boundaries of an unwritten
proportionality principle are still largely unexplored ». A. DESMEDT, « Proportionality in WTO
law », Journal of International Economic Law, Vol. 4, nº 3, 2001, p. 447.
84
V. H. RUIZ FABRI, op cit., note 79, p. 932.
85
Id.
86
D’ailleurs, Steve CHARNOVITZ a manifesté des inquiétudes similaires à l’égard des §§
XX b) et XX d) : « although the Thai Cigarette Panel saw no reason why "necessary" should not
mean the same in Article XX b) as in Article XX d), there is a distinction which can be drawn. Since
Article XX d) applies to measures "necessary to secure compliance with laws or regulations…",
considering other means of securing compliance seems appropriate. By contrast, Article XX b) does
not say "necessary to secure compliance with laws or regulations". It says necessary to protect
health ». V. op. cit., note 19, p. 50.
EXCEPTION ET OMC
163
d’une telle subjectivité semblent difficilement conciliables avec une
approche centrée sur les valeurs partagées par la communauté internationale.
Certes, s’il est facile d’identifier ce qui lui est vital au sens biologique du
terme, il semble plus hasardeux de rechercher ce qui est important pour « la
morale » de l’humanité, hormis peut-être certains cas extrêmes.
Au regard de la définition de mesures fondées sur des préoccupations
environnementales, c’est toute la discrétion dont jouissent les Membres dans
le choix et l’adoption de telles mesures qui entre alors en jeu. Les affaires
Corée – Viande de bœuf et CE – Amiante soulèvent en effet la délicate
question de la marge de manœuvre dont ils bénéficient. Dans cette dernière
affaire, l’analyse portait sur des produits menaçant la vie des personnes ; la
marge de manœuvre devait donc être considérable. Mais quelle aurait été la
réaction de l’Organe d’appel si la mesure adoptée par un État avait eu pour
objectif d’interdire l’importation d’un produit moins menaçant pour la santé
des personnes87, ou ne présentant une menace que pour les animaux ou les
végétaux ? Ces nuances sont importantes au regard des considérations
environnementales car ces dernières, par définition, ne se fondent pas
systématiquement sur un critère « objectif » de nécessité, mais sur une
nécessité déterminée en fonction de certaines valeurs, lesquelles ne peuvent
être que subjectives88.
Outre ces questions, quelques commentaires s’imposent au sujet du
troisième critère dégagé par l’Organe d’appel, soit la relation entre la mesure
et son impact sur la libre circulation d’une marchandise. L’évolution récente
de ce critère marque d’ailleurs le début de la troisième phase du test de
nécessité.
En effet, depuis le rapport États-Unis – Jeux et paris, ce critère joue un
rôle plus important dans l’application du test de nécessité, l’évaluation de
l’impact sur le commerce étant presque devenue autonome par rapport à
l’examen des autres critères89. Cette approche a été confirmée dans le
87
J.H. JACKSON, W.J. DAVEY, A.O. SYKES Jr., op. cit., note 39, p. 539.
Pour le moment, il serait toutefois hasardeux d’extrapoler, sur la base de la jurisprudence
actuelle, le comportement susceptible d’être adopté par des juges interpellés sur d’éventuelles
questions de cette nature. L’affaire Communautés européennes – Mesures communautaires
concernant les viandes et les produits carnés (hormones) aurait pu constituer une occasion pour le
développement d’une réflexion sur le sujet. Cependant, cette affaire fut tranchée sur la base de
considérations d’ordre procédural. V. OMC, WT/DS26/AB/R et WT/DS48/AB/R, 16/01/1998. Ciaprès dénommée l’affaire CE – Hormones.
89
Dans cette affaire, l’Organe d’appel a réitéré l’approche développée dans son rapport Corée
– Viande de bœuf. Toutefois, après avoir mentionné les trois critères du test de nécessité, il a déclaré
qu’il « faudrait donc procéder à une comparaison entre la mesure contestée et les solutions de
88
164
V. GUEVREMONT
rapport République dominicaine – Mesures affectant l’importation et la
vente de cigarettes sur le marché intérieur90, puis à l’occasion de l’affaire
Brésil – Pneus rechapés.
Dans cette dernière affaire, les deux étapes du test de nécessité sont
clairement apparues lorsque l’Organe d’appel a rappelé que, pour déterminer
si une mesure est nécessaire, un groupe spécial doit dans un premier temps
« considérer les facteurs pertinents, en particulier l’importance des intérêts
ou des valeurs en jeu, l’étendue de la contribution à la réalisation de
l’objectif de la mesure, et le caractère restrictif de cette mesure pour le
commerce ». Puis, dans un deuxième temps, c’est-à-dire « [s]i cette analyse
aboutit à une conclusion préliminaire selon laquelle la mesure est nécessaire,
ce résultat doit être confirmé par une comparaison entre la mesure et les
solutions de rechange possibles, qui peuvent être moins restrictives pour le
commerce tout en apportant une contribution équivalente à la réalisation de
l’objectif »91.
Cette évolution n’est pas sans conséquence sur la circulation des
valeurs environnementales. D’abord, le contrôle de la mesure est renforcé
puisqu’une étape supplémentaire vient s’ajouter au processus du soupesage
et de mise en balance élaboré dans le rapport Corée – Viande de Boeuf, ce
qui restreint la marge de manœuvre des États dans le choix de leurs mesures
environnementales. De plus, la prise en compte de l’importance des valeurs
et des intérêts protégés se voit diluée, au profit d’un renforcement de la prise
en compte des intérêts commerciaux des Membres.
À ce stade, « le degré d’incompatibilité avec le droit de l’OMC »92
devient un élément pertinent, « une mesure ne pouvant être considérée
nécessaire s’il existe une autre mesure raisonnablement disponible moins
incompatible »93. Il n’est donc plus question de statuer sur la légalité d’une
mesure, mais plutôt de qualifier son degré de compatibilité, ce qui semble
rechange possibles », ajoutant que « les résultats de cette comparaison devraient être examinés à la
lumière de l’importance des intérêts en cause ». Il a enfin ajouté que « [c]’est sur la base de ce
"soupesage et [de cette] mise en balance" et de la comparaison des mesures, compte tenu des intérêts
ou valeurs en jeu, qu’un groupe spécial détermine si une mesure est "nécessaire" ou à titre
subsidiaire, si une autre mesure, compatible avec les règles de l’OMC, est "raisonnablement
disponible" ». Le test de nécessité venait donc d’être scindé en deux parties. V. le § 307 du rapport.
90
WT/DS302/AB/R, 25 avril 2005, ci-après dénommé l’affaire RD – Cigarettes.
91
§ 178 du rapport de l’Organe d’appel.
92
H. RUIZ FABRI, P. MONNIER, « Organisation mondiale du commerce – Chronique du
règlement des différends 2004 », Journal du Droit International, Vol. 132, nº 3, 2005, p. 993. Ce
commentaire a été formulé à propos du test de nécessité de l’affaire RD – Cigarettes.
93
Id.
EXCEPTION ET OMC
165
difficilement conciliable avec le mandat d’un Organe d’appel chargé de se
prononcer sur des questions de droit94. En outre, seul le niveau de protection
recherché semble demeurer pertinent, les valeurs protégées n’étant plus
considérées. Dès lors, les mesures visant à interdire totalement l’entrée de
certains produits sur le territoire d’un État deviennent difficilement
justifiables.
Il est aussi préoccupant de constater que la nouvelle approche est
uniquement destinée à renforcer la prise en compte des conséquences de la
mesure sur les importations et les exportations, à l’exclusion de tous les
effets possibles ou envisageables sur les autres sphères de l’activité d’un
État, y compris les coûts sociaux inhérents à certaines mesures moins
dommageables pour les échanges internationaux95. En ce sens, elle apparaît
critiquable et ce, d’autant plus que le contrôle effectué au titre du chapeau
des exceptions générales permet justement de considérer l’ensemble des
droits et obligations des Membres, et donc de réintégrer des considérations
davantage mercantiles dans la seconde étape du processus d’interprétation.
Plus positive est néanmoins l’évolution du fardeau de la preuve depuis
le rapport États-Unis – Jeux et paris, dans lequel l’Organe d’appel sera
moins soucieux « de "codifier" le test de nécessité que de préciser le
balancement et la séquence de la charge de la preuve ». Comme toujours, le
Membre qui invoque l’exception doit démontrer la nécessité de la mesure
contestée96. L’Organe d’appel a toutefois statué qu’il n’incombe pas à ce
Membre « de montrer, d’emblée, qu’il n’y a pas de mesures de rechange
raisonnablement disponibles pour réaliser ses objectifs »97, précisant
qu’« une partie défenderesse n’a pas besoin d’indiquer l’ensemble des
mesures de rechange moins restrictives pour le commerce puis de montrer
qu’aucune de ces mesures ne réalise l’objectif souhaité »98. Par ailleurs, si
« la partie plaignante invoque une mesure de rechange compatible avec les
règles de l’OMC […], la partie défenderesse sera tenue de démontrer
pourquoi sa mesure contestée reste néanmoins "nécessaire" à la lumière de
94
En effet, cette approche qui consiste à traduire en termes juridiques « une approche
économique qui consiste à préférer les mesures qui altèrent le moins possible les échanges […]
s’intègre mal dans le vocabulaire de la légalité qui renvoie plutôt vers une alternative (ou c’est légal,
ou cela ne l’est pas) que vers une échelle (c’est plus ou moins légal) ». Ibid.
95
En ce sens, P. LEYTON souligne que « it seems inexplicable that the concept "necessary"
of Article XX b) has been interpreted as the "least trade restrictive" approach. This approach
strongly limits the manoeuvrability that Member States require to normally conduct their internal
affaires ». Op. cit., note 51, p. 99.
96
V. le rapport de l’Organe d’appel, § 309.
97
Id.
98
Ibid.
166
V. GUEVREMONT
la mesure de rechange en question ou, autrement dit, pourquoi la mesure de
rechange proposée n’est pas, en fait, "raisonnablement disponible" »99. Il
s’agit là d’une évolution positive pour la prise en compte des préoccupations
environnementales puisque « l’Organe d’appel facilite incontestablement
l’invocation des exceptions »100.
Pour toutes ces raisons et dans l’état actuel de la jurisprudence, le test
de nécessité doit alors être considéré sous deux angles. Si l’on prend en
compte l’évolution générale de la méthodologie interprétative et de
l’attribution de la charge de la preuve, les critiques sont généralement
positives. En effet, ce qui constituait à une époque le seul critère à prendre
en compte (soit les effets de la mesure sur les échanges) est devenu l’un des
trois critères désormais utilisés. Par conséquent, toute mesure moins
restrictive pour le commerce ne peut être prise en compte qu’à condition que
l’atteinte de l’objectif ne s’en trouve pas menacée101. En outre, au niveau de
la charge de la preuve, l’État qui a recours à l’exception n’a pas à prouver
que sa mesure est la moins restrictive pour le commerce, cette responsabilité
incombant au Membre qui allègue qu’une autre mesure moins restrictive est
raisonnablement disponible et que celle-ci pourrait permettre d’atteindre le
niveau de protection souhaité.
D’un autre côté, les fondements juridiques de la scission du test de
nécessité en deux parties sont difficilement identifiables. En outre, les
intérêts commerciaux occupent toujours une place considérable au sein d’un
mécanisme pourtant destiné à intégrer dans le droit de l’OMC des
préoccupations d’autre nature, et contenant une clause introductive
précisément destinée à prévenir les recours abusifs aux exceptions générales.
Le juge de l’OMC a peut-être ici pêché par excès de prudence et il est à
souhaiter qu’un retour de balancier soit opéré en faveur de la prise en
compte des préoccupations non commerciales des Membres, et notamment
de la place qu’occupent les valeurs environnementales au sein de leur
société. Finalement, plusieurs ambiguïtés subsistent quant à la définition des
critères attachés à ce test de nécessité. Par conséquent, il en résulte une
marge nationale d’appréciation très incertaine qui pourrait nuire à la
circulation des valeurs environnementales au sein du système OMC.
99
Ibid, § 311.
H. RUIZ FABRI, P. MONNIER, op. cit., note 92, p. 979.
101
V. R. QUICK, C. LAU, « Environmentally motivated tax distinctions and WTO law – The
european commission’s green paper on integrated product policy in light of the "like product" and
"PPM" debates », Journal of International Economic Law, Vol. 6, nº 2, 2003, p. 440.
100
EXCEPTION ET OMC
167
2. La reconnaissance d’une marge d’appréciation nationale
L’exception soulève l’ultime question de la marge de manœuvre dont
disposent réellement les États dans la définition de leur politique
environnementale. À cet égard, les techniques auxquelles le juge a recours
détermineront la liberté d’action des États dans le choix et la mise en œuvre
de cette politique. Un regard doit donc être posé sur la marge nationale
d’appréciation dont bénéficient les États dans le choix des mesures
« nécessaire » à la protection de leur environnement. Le processus de
« soupesage et de mise en balance » est alors déterminant puisqu’il introduit
des éléments d’un test de proportionnalité susceptibles d’influencer la nature
du contrôle réalisé par le juge. Pour en rendre compte, il est utile de
reprendre certains éléments de ce processus de mise en balance.
Un premier élément pertinent concerne la détermination du niveau de
protection, certains observateurs craignant que le juge ne remette en cause le
choix des États à cet égard. Bien que ces craintes soient apparues fondées
suite à l’affaire Corée – Viande de Bœuf102, le rapport de l’Organe d’appel
dans l’affaire CE – Amiante est venu confirmer la liberté de l’État de fixer le
niveau de protection désiré103. La détermination du niveau de protection
semble donc écartée d’un contrôle intégrant des éléments de
proportionnalité, le juge exerçant une grande déférence à l’égard des choix
effectués par l’État à ce stade de son analyse.
Néanmoins, une fois identifié, le niveau de protection devient un
élément fondamental pour déterminer si la mesure contestée répond aux
conditions posées par le test de nécessité. Le contrôle du juge variera alors
en fonction du niveau de protection souhaité par le Membre, de l’efficacité
de la mesure privilégiée et de l’importance des valeurs protégées. La
proportionnalité ne concerne donc pas simplement la relation entre le but et
la mesure, mais plus précisément la contribution de la mesure à l’atteinte du
niveau de protection recherché, par rapport à la valeur sous-tendant
l’objectif de protection. C’est précisément cette relation qui déterminera le
102
En effet, dans cette affaire, l’Organe d’appel a d’abord reconnu le droit des Membres de
décider eux-mêmes du niveau de protection souhaité. Au fil de son analyse, il s’est toutefois permis
de questionner les intentions réelles de la Corée quant à l’élimination des fraudes relatives à
l’origine de la viande de bœuf, ce qui lui a permis d’en arriver à la conclusion que la Corée aurait pu
obtenir « la rigueur souhaitée dans l’application de la Loi sur la concurrence déloyale en ce qui
concerne l’origine de la viande de bœuf vendue par les détaillants en ayant recours à des mesures
d’exécution classiques compatibles avec l’Accord sur l’OMC ». V. les § 178-180 de ce rapport.
103
L’Organe d’appel a clairement affirmé dans son rapport CE – Amiante que « les Membres
de l’OMC ont le droit de fixer le niveau de protection de la santé qu’ils jugent approprié dans une
situation donnée ». V. le § 167 de son rapport.
168
V. GUEVREMONT
degré du contrôle exercé par le juge et, par le fait même, la déférence
manifestée à l’égard de l’État.
L’affaire CE – Amiante offre une illustration de ce type de contrôle104.
Dans cette affaire, le niveau de protection souhaité par l’État et l’importance
de la valeur protégée ont eu pour effet de réduire au minimum le contrôle
effectué par le juge. L’État a par conséquent bénéficié d’une marge de
manœuvre importante dans le choix de la mesure qui devait permettre
d’atteindre l’objectif qu’il s’était fixé et ce, en dépit des effets restrictifs sur
le commerce. Ainsi, il est apparu que compte tenu de sa contribution à la
réalisation de l’objectif poursuivi, « une mesure ‘indispensable’ [devait être]
soumise à un processus de mise en balance plus souple que dans le cas d’une
mesure utile mais non indispensable à la réalisation de cet objectif »105.
L’analyse de la jurisprudence démontre donc que la marge
d’appréciation nationale « n’est pas indéfinie et peut varier selon les intérêts
en cause »106. Le juge dispose par conséquent d’une large marge
d’appréciation des valeurs protégées. En d’autres mots, l’émergence
d’éléments de proportionnalité dans le test de nécessité a directement pour
effet d’accorder au juge un vaste pouvoir discrétionnaire sur la légalité
d’une mesure selon les valeurs protégées par cette dernière. Il est alors
permis de se questionner sur l’opportunité et les implications de l’émergence
de tels éléments de proportionnalité dans le test de nécessité de l’exception
environnementale de l’OMC. Pour ce faire, un rapprochement entre le droit
européen et le système commercial multilatéral doit être effectué.
Il n’est pas nécessaire de s’attarder longuement sur les deux ensembles
pour constater que des différences substantielles les distinguent l’un de
l’autre. Si les deux systèmes favorisent notamment la libre circulation des
biens et des services, le niveau d’intégration européenne, non seulement en
104
Dans cette affaire, l’Organe d’appel a reconnu que le niveau de protection choisi par la
France « arrêtait » la propagation des risques pour la santé liés à l’amiante. Il déclara ensuite que la
protection de la vie et de la santé des personnes était une valeur « à la fois vitale et importante au
plus haut point ». Considérant le niveau élevé de protection souhaité par la France et l’importance de
la valeur en cause, la mesure d’interdiction des importations fut considérée comme nécessaire à la
protection de la vie et de la santé des personnes. V. les § 168 et 172 du rapport de l’Organe d’appel.
105
V. sur ce point, J. NEUMANN, E. TÜRK, « Necessity revisited : proportionality in World
trade organization after Korea – Beef, EC – Asbestos and EC – Sardines », Journal of World Trade,
Vol. 37, nº 1, p. 213.
106
M. DELMAS-MARTY, Le pluralisme ordonné. Les forces imaginantes du droit (II), Seuil,
2006, p. 22, citant H. RUIZ FABRI, P. MONNIER, « Organisation mondiale du commerce –
Chronique du règlement des différends 2003 », Journal du droit international, Vol. 131, Nº 3, 2004,
p. 1025. Les commentaires visaient précisément l’évaluation du risque dans le contexte d’une
interprétation de l’Accord SPS, mais ils apparaissent transposables à l’interprétation de l’art. XX(b).
EXCEPTION ET OMC
169
termes économiques et commerciaux, mais aussi au niveau des politiques
environnementales, outrepasse largement celui atteint à l’échelle mondiale
grâce à l’OMC107. Cet écart se manifeste tout particulièrement dans les
degrés d’harmonisation des politiques publiques des Membres de ces
systèmes. Jan Neumann et Elisabeth Türk soulignent, à ce titre, que :
« EC/EU law creates a regional constitutional order integrating societies
with more or less homogenous cultural values. Europe’s economic
integration through the four freedoms and through a common currency has
been complemented with mechanisms to harmonise public politicise
entangled with free trade. […] WTO law, on the other hand, remains
classical economic law. It lacks any harmonisation of non-trade
policies »108.
En matière d’environnement, cet écart d’harmonisation est manifeste.
L’organe juridictionnel de chaque système utilise néanmoins un test de
proportionnalité (ou certains de ses éléments en ce qui concerne l’OMC)
pour « mettre en balance » divers intérêts, économiques d’une part, et nonenvironnementaux de l’autre. Les approches ne sont pas entièrement
communes, mais révèlent plusieurs similarités109. Pourtant, sur une échelle
d’intégration des économies, les deux systèmes dans lesquels s’articule cette
approche se situent à deux niveaux très éloignés l’un de l’autre, le système
européen étant beaucoup plus évolué que le système OMC.
Cet écart dans le degré d’intégration devrait normalement engendrer
une disparité importante au niveau de l’intensité du contrôle d’une mesure
environnementale par l’organe juridictionnel chargé de se prononcer sur un
différend110. En ce qui concerne le système commercial multilatéral, l’OMC
n’a réalisé à ce jour qu’une harmonisation limitée des politiques
107
Pour une analyse comparative des deux systèmes au regard du rôle du juge, voir N.
McNELIS, « The role of the judge in the EU and WTO : Lessons from the BSE and Hormones
cases », Journal of International economic law, Vol. 4, Nº 1, 2001, p. 205. L’auteur remarque que
« […] the goals of the EU reach much further than those of the WTO. The EU strives for a more and
more far-reaching union, and this also permits its Court to be more exigent. […] … unlike the EU,
the WTO does not have such an overarching goal of an ever-closer union. The WTO is, at its basis,
simply a market-liberalizing arrangement, and its adjudicators are limited by that scope ».
108
J. NEUMANN, E. TÜRK, « Necessity revisited – Proportionality in WTO law after EC –
Asbestos », in Martin Nettesheim and Gerald G. Sander (ed.), WTO – Recht und Globalisierung,
Berlin, Duncker & Humblot, 2003, p. 106.
109
Pour un exposé du concept de proportionnalité dans le droit européen et une comparaison
avec le test de nécessité de l’art. XX b), v. Id, p. 105 et s.
110
D’ailleurs, des divergences se remarquent également au sein d’un même système selon le
secteur concerné et l’harmonisation des règles réalisée dans ce secteur par l’Union européenne en
témoigne. En effet, « [a]s long as standards of protection have not been harmonised, the Court will
rarely interfere with the Member State’s own balancing of economic vs. non-economic interests ».
V. J. NEUMANN, E. TÜRK, op. cit., note 108, p. 110.
170
V. GUEVREMONT
environnementales de ses Membres et presque uniquement à l’égard de
mesures sanitaires et phytosanitaires. D’ailleurs, l’organisation ne possède
généralement pas la légitimité pour le faire111. Par conséquent, on
s’attendrait à ce que le juge de l’OMC adopte une attitude moins
interventionniste que le juge de la CJCE ou de la CEDH. Il est enfin
pertinent de souligner le fait que « [t]he EU’s goals are far loftier than those
of the WTO, and in the EU, Member States have explicitly accepted some
limitation of their sovereignty so that such goals may be achieved »112, ce
qui n’est pas le cas des Membres de l’OMC. Ainsi, compte tenu du mandat
de l’Organisation, on pourrait en conclure que le processus de soupesage et
de mise en balance des intérêts des Membres de l’organisation implique
l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à la fois excessif et illégitime113.
La principale préoccupation ne concerne pas tant la marge variable
d’appréciation nationale susceptible d’être accordée à l’État par le juge,
mais le fait que les variations de cette marge seront tributaires d’une mise en
balance des intérêts des Membres, exercice qui devrait normalement être
réalisé dans le contexte d’une intégration plus poussée que celle qui
caractérise le système commercial multilatéral. Le juge de l’OMC ne
dispose pas de la légitimité requise pour cette mise en balance, notamment
lorsque cet exercice implique des considérations fortement subjectives114.
La réflexion qui précède incite en outre à revenir sur la question de la
marge d’appréciation nationale et à s’interroger sur son existence et son
ampleur. Les affaires précitées semblent confirmer l’existence d’une telle
marge. En effet, si les valeurs protégées sont importantes et si la mesure
111
Selon Natalie McNELIS, « the WTO does not have the legitimacy with regard to its
Members that the ECJ has with regard to the EU Member States ». V. Op. cit., note 107, p. 206.
L’auteur ajoute : « The ECJ is better placed to evaluate the consequences of its judgments, and its
judgments are more likely to be accepted by a Community closely linked to it (geographically,
politically, ideologically] that are similar judgements of the WTO ».
112
Id., pp. 206-207.
113
C’est ce que conclut également Natalie McNELIS : « For those reasons, it is submitted that
for the WTO Appellate Body to be as intrusive as the ECJ is in judging its Member States would be
a bridge too far ». V. Op. cit., p. 207.
114
À cet effet, les mesures relatives à la santé constituent certainement un cas d’espèce :
« […] there is a case to be made for an interpretive principle of protection for health that takes the
form of heightened deference to member states’ health policies instead of an affirmative
transnational duty. This case rests on the intensely subjective, highly variable nature of people’s
beliefs about health danger. We appreciate and respond to health risks in ways shaped much less by
statistical magnitudes than by the feeling these risks evoke and by our sense of control over these
risks. Our feelings about risk, in turn, are shaped by our character styles, values and culture, and
personal and social experience ». V. G.M. BLOCHE, « WTO deference to national health policy:
toward and interpretive principle », Journal of International Economic Law, Vol. 5, nº 4, 2002, p.
845.
EXCEPTION ET OMC
171
choisie permet efficacement d’atteindre l’objectif que s’est fixé l’État, cette
mesure pourra être considérée nécessaire en dépit de ses effets sur le libre
commerce. Ainsi, une marge d’appréciation « protects Members from
having to change their national law in favour of a rather small gain of
freedom of commerce ». La marge nationale d’appréciation apparaît alors
comme une évolution positive du droit de l’OMC en ce qu’elle « rend
possible un pluralisme de juxtaposition qui tolère la coexistence de systèmes
partiellement différents »115. En d’autres mots, la marge nationale
d’appréciation constitue une forme de reconnaissance de la diversité, non
seulement des États mais également des systèmes et des ordres juridiques.
En outre, sa reconnaissance garantit, dans une certaine mesure (c’est-à-dire
selon l’ampleur de la marge effectivement accordée), une prise en compte
des objectifs environnementaux poursuivis par les États.
La marge nationale d’appréciation présente néanmoins le défaut de ses
qualités. La souplesse que procure cette marge et la simple exigence de
proximité engendrent par le fait même une seconde marge, cette fois au
bénéfice du juge116. Il s’agit plus précisément d’une marge d’interprétation,
elle aussi susceptible de multiples variations117. En réalité, « [l]e contrôle
exercé par le juge sur les conduites des États varie de façon inversement
proportionnelle à la marge d’appréciation qui est laissée aux instances
étatiques »118. Et ce qui porte davantage à la critique, c’est le fait que le
degré de contrainte soit susceptible de varier d’une affaire à une autre, c’està-dire que le degré de contrôle devienne fonction de la subjectivité du juge
qui pourra alors décider « de laisser aux États une marge nationale
d’appréciation plus ou moins étroite »119.
Dès lors, si on accepte que la marge varie selon les circonstances et le
contexte (risque, niveau de protection désiré, valeur en cause), on autorise
115
M. DELMAS-MARTY, M.-L. IZORCHE, « Marge nationale d’appréciation et
internationalisation du droit: réflexion sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste », Revue
de droit de McGill, Vol. 46, nº 4, 2001, p. 927.
116
Selon Elias KASTANAS, « [l]a marge d’appréciation n’est pas un privilège des États. […]
Elle (la Cour) cautionne l’usage raisonnable par les autorités nationales du pouvoir discrétionnaire
qui leur revient tout en étant prête à en censurer l’usage abusif ou arbitraire ». V. Unité et diversité :
Notions autonomes et marge d’appréciation des États dans la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 440.
117
Pour reprendre l’expression de Paul MAHONEY, la marge nationale d’appréciation
« comprises both an inherent element of constraint binding on the Court and a judicial-policy
element allowing the Court to decide when and where to place the constraint ». V. « The doctrine of
the margin of appreciation under the European Convention on Human Right : Its legitimacy in
theory and application in practice », Human rights law Journal, Vol. 19, nº 1, p. 4.
118
M. DELMAS-MARTY, M.-L. IZORCHE, op. cit., note 115, p. 952.
119
Id.
172
V. GUEVREMONT
par le fait même le juge à s’accorder une marge d’interprétation variable.
C’est précisément ce qui risque de se produire dans le contexte d’une
interprétation de l’exception environnementale de l’OMC. La marge
engendre donc inévitablement un critère d’examen versatile, rendant plus
incertaine la prise en compte des valeurs environnementales défendues par
les membres du système.
La question consiste alors à trouver le parfait « équilibre entre la
nécessaire préservation d’une marge et sa maîtrise »120, ou entre la déférence
manifestée à l’égard de l’État et l’inévitable contrôle que doit exercer un
juge pour s’assurer du respect de la règle par ses destinataires. Force est
toutefois d’admettre que cet équilibre variera en fonction de la mesure
examinée.
Ainsi, la tension entre la souveraineté des États et le respect de la règle
multilatéralement agréée ne semble malheureusement pas allégée par
l’émergence d’une marge nationale d’appréciation dans le droit de l’OMC.
En effet, si la marge peut être considérée comme le « produit national d’une
distribution des pouvoirs », celle-ci apparaît encore trop imprécise pour
remplir cette fonction de « dividing line »121 entre les pouvoirs des États et
les règles multilatérales. Considérant le niveau actuel de son développement,
l’Organisation ne dispose pas des outils lui permettant de régler de façon
efficace et durable les interactions entre les règles commerciales et les
préoccupations environnementales de ses Membres.
Enfin, l’impact de cette marge sur l’équilibre des droits et obligations
des Membres et sur l’évolution des règles du système commercial
multilatéral doit également être évoqué. Il est utile de faire un parallèle avec
certains commentaires formulé à propos de l’évolution de la marge dans le
domaine des droits de l’homme : « The concept of the "margin of
appreciation" has become as slippery and elusive as an eel. Again and again
the Court now appears to use the margin of appreciation as a substitute for
coherent legal analysis of the issues at stake […] The danger of continuing
to use the standardless doctrine of the margin of appreciation is that […] it
will become the source of a pernicious "variable geometry" of human rights,
eroding the "acquis" of existing jurisprudence and giving undue deference to
local conditions, traditions, and practices »122.
120
Ibid, p. 938.
P. MAHONEY, op. cit., note 117, p. 3.
Lord Lester of Herne Hill, QC, « The European Convention on Human Rights in the new
architecture of Europe : General Report », Proceedings of the 8th international colloquy on the
121
122
EXCEPTION ET OMC
173
Des solutions novatrices devront donc être recherchées afin de mettre à
l’abri de la subjectivité des juges les valeurs environnementales que les États
pourraient souhaiter protéger. L’amélioration de la circulation des valeurs
environnementales dans le système OMC commandera par conséquent une
nouvelle forme de contrôle des mesures fondées sur l’exception, plus
respectueuse du pluralisme et de la diversité de ses Membres.
CONCLUSION
Terminer cette analyse de l’exception environnementale par un exposé
sur la marge nationale d’appréciation, c’est admettre que cette exception
représente aujourd’hui beaucoup plus qu’une simple technique d’exclusion
de l’environnement du champ d’application du système OMC ; c’est
témoigner de l’intégration des valeurs environnementales au sein de ce
système.
Cette brève étude consacrée à l’exception environnementale ne permet
toutefois pas de rendre compte de tous les canaux par lesquels circulent les
valeurs environnementales au sein du système commercial multilatéral. Pour
en rendre compte, il aurait été nécessaire de se pencher non seulement sur
l’exception, mais également sur les règles contenues dans plusieurs accords
chapeautés par l’OMC, en particulier l’Accord SPS, l’Accord OTC et
l’Accord sur l’Agriculture.
Même l’exception mériterait davantage de considération. D’une part,
parce qu’elle permet d’articuler le système avec les ordres juridiques
nationaux, lesquels demeurent compétents pour élaborer et mettre en œuvre
une série de mesures non commerciales. D’autre part, parce qu’au sein de
l’ordre juridique international, l’exception symbolise la charnière entre
l’OMC et les autres sous-systèmes internationaux, notamment en matière
d’environnement. L’exception n’est donc pas simplement le complément de
la règle ; elle articule l’un et le multiple, à savoir l’unité du système et la
diversité des ordres nationaux d’une part, et l’unité du système avec le
pluralisme des ordres internationaux d’autre part.
Au fil du temps, cette charnière s’est révélée être un précieux outil à la
disposition du juge de l’OMC pour « ouvrir » le système commercial
multilatéral aux préoccupations environnementales de ses Membres et pour
European Convention on Human Rights (Council of Europe), 1995, pp. 236-237, cité dans
P. MAHONEY, id., p. 1.
174
V. GUEVREMONT
concilier des valeurs longtemps considérées conflictuelles. Bien qu’initiée,
l’intégration des valeurs environnementales dans le droit de l’OMC demeure
toutefois inachevée, notamment en raison des limites de l’exception
environnementale et de l’insuffisance d’autres mécanismes d’articulation
des valeurs environnementales avec les règles du système commercial
multilatéral (ce dernier point n’ayant toutefois pu être exploré dans le cadre
de cet article).
Dès lors, une pression continuera à s’exercer sur le système et il ne fait
aucun doute que les multiples problèmes et défis environnementaux
auxquels la communauté internationale est confrontée se chargeront
d’accomplir cette tâche. La circulation des valeurs environnementales au
sein du système commercial multilatéral ne semble donc destinée qu’à
s’intensifier. Loin d’être une menace pour l’OMC, la gestion de cette
interaction entre intérêts commerciaux et préoccupations environnementales
constitue même une formidable occasion de faire du système commercial
multilatéral non seulement un pilier, mais également une passerelle reliant
plusieurs piliers de la gouvernance mondiale.
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