Cours05 La réponse inflammatoire muqueuse au cours des MICI Introduction La maladie de Crohn (MC) et la rectocolite hémorragique (RCH) sont des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), évoluant par poussées entrecoupées de périodes de rémission. Cette évolution particulière est à l’origine de lésions d'âge différent que l'on peut distinguer macroscopiquement et histologiquement en lésions aiguës et chroniques. L’origine des MICI est encore inconnue et la susceptibilité génétique ne suffit pas à expliquer leur développement. L’hétérogénéité spatiale et temporelle des MICI, l’étude des jumeaux homozygotes et des populations migrantes plaident en faveur de facteurs environnementaux. Le tabagisme et l’appendicectomie sont à ce jour les deux seuls facteurs environnementaux clairement impliqués dans le développement et l’évolution des MICI. La consommation active de tabac a des effets opposés au cours des MICI : elle protège contre la RCH et améliore son évolution mais favorise le développement de la MC et l’aggrave. De nombreux facteurs environnementaux ont été impliqués dans la physiopathologie des MICI tels que l’allaitement maternel, certains aliments, les contraceptifs oraux, les vaccinations, le stress et certains microorganismes. Ces facteurs en cours d’investigation restent discutés. Les modifications de notre mode de vie depuis quarante ans pourraient participer à l’augmentation de la fréquence des MICI : l’hygiène, la modification de l’alimentation et la pollution industrielle sont trois changements majeurs qui pourraient directement ou par la modification de la flore intestinale participer à l’apparition des MICI. Les avancées récentes dans la physiopathologie des MICI ont permis de mettre en évidence le rôle important de la flore intestinale, l’implication de microorganismes spécifiques et une perturbation des interactions hôte/bactéries. Les MICI sont caractérisées par une dysrégulation de la réponse immunitaire muqueuse, dirigée contre des éléments de la flore intestinale, survenant chez des patients génétiquement déterminés. L’activation de cette réponse immunitaire se traduit par la mise en jeu d’une cascade de mécanismes. Le premier est la stimulation anormale des cellules résidentes dans la muqueuse intestinale, à l’origine de l’activation de voies de transduction (voies de NFκB et des kinases de stress). Cette activation permettra la production de médiateurs inflammatoires (cytokines et chimiokines) qui 1 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 seront également impliqués dans le recrutement de nouvelles cellules inflammatoires sanguines dans la paroi intestinale via la surexpression de molécules d’adhésion (Figure 1). Ces deux premiers mécanismes vont aboutir à la formation, dans la paroi intestinale, d’un infiltrat de cellules proinflammatoire activées. Un dernier mécanisme pathologique, caractérisé par une inhibition des mécanismes de mort naturelle des cellules (apoptose), entraînera une augmentation de la survie de ces cellules pro-inflammatoires dans la muqueuse intestinale et donc la chronicité de l’inflammation. Cette activation anormale du système immunitaire intestinal est associée à une rupture de la tolérance vis-à-vis de sa propre flore intestinale faisant intervenir une augmentation de la perméabilité de la barrière intestinale, des anomalies fonctionnelles des cellules épithéliales/cellules de Paneth, et des anomalies de lymphocytes T particuliers appelés lymphocytes T régulateurs. Activation des voies de transduction Les deux principales voies de transduction du signal impliquées dans les phénomènes inflammatoires sont les voies de NFκB/IκB et des kinases de stress ou protéines kinases activées par des mitogènes (MAPK)(Figure 2). L’hétérodimère NFκB/IκB est présent dans le cytoplasme de toutes nos cellules. Après activation de la cellule, une cascade de phosphorylation entraîne une dégradation de la protéine inhibitrice IκB permettant la translocation de NFκB du cytoplasme vers le noyau de la cellule. Lors de sa translocation nucléaire, NF-κB se fixe sur l’ADN est induit l’expression de nombreux gènes impliqués dans la production de cytokines inflammatoires, de facteurs de croissance, de chimiokines, de molécules d’adhésion, d’enzymes … (1). Classiquement, ce facteur est considéré comme un élément clef dans l’initiation d’une réaction inflammatoire systémique mais pourrait avoir également un rôle protecteur en fonction des stades évolutifs de la maladie (2). La voie des MAPK est constituée d’une cinquantaine de facteurs de transcription cytoplasmiques organisés en 3 modules : les MAP kinases kinases kinases (MAPKKK), les MAP kinases kinases (MAPKK) et les MAP kinases (MAPK). L’activation de ces 3 modules par des facteurs de stress sera essentiellement à l’origine de 3 facteurs (p35, JUNK et ERK) qui vont pouvoir passer dans le noyau de la cellule et activer des gènes impliqués dans la réaction inflammatoire (Figure 2). Dans les MICI, plusieurs travaux ont mis en évidence une augmentation dans la muqueuse intestinale de l’activation des voies de NFκB/IκB et des MAPK. Le rôle pathologique de cette activation 2 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 locale a surtout été apprécié dans les modèles de colite expérimentale où des inhibiteurs de la voie de NFκB (oligonucléotide antisens codant pour la p65 de NFκB ou inhibiteur enzymatique (OXIS)) ou des MAPK (anti p38) ont été utilisés avec succès pour le traitement de ces animaux. Plusieurs essais thérapeutiques ont été réalisés chez des patients atteints de MC ou de RCH. Les résultats actuels pour cette classe de médicaments sont très décevants avec notamment, pour le seul essai de phase III réalisé, une absence d’efficacité d’un inhbiteur de MAPK (BIRB 796) chez les patients atteints de MC active (3). Cette absence d’efficacité peut s’expliquer par la dualité fonctionnelle de l’activation de la voie NF-κB par les cellules épithéliales intestinales, capable d’induire une inflammation systémique mais également de protéger localement l’intestin de phénomènes apoptotiques provoqués par des facteurs physiques, chimiques ou infectieux (Figure 3)(2). Ces résultats sont importants à considérer pour le développement d’inhibiteur de NF-κB capable en théorie de diminuer l’inflammation systémique mais inversement de l’augmenter localement. Production de cytokines et de chimiokines Classification des cytokines et chimiokines Les cytokines sont des protéines solubles de faible poids moléculaire impliquées dans la communication entre les cellules. Elles peuvent être synthétisées par plusieurs types cellulaires. Elles sont produites localement en faible quantité et ont une demi-vie courte, ce qui rend difficile leur détection et explique l’intérêt des techniques d’identification par amplification génique (PCR). Les cytokines sont exprimées à l’état physiologique dans la muqueuse intestinale et des techniques quantitatives d’analyse sont nécessaires pour leur attribuer un éventuel rôle physiopathologique. Depuis la mise en évidence de la première cytokine en 1957, plusieurs classifications basées sur la structure et les principales fonctions de ces médiateurs ont été proposées. Malgré l’existence de nombreuses boucles de régulation et l’étonnant pléiotropisme fonctionnel des cytokines, 3 grands groupes ont été caractérisés : les cytokines inflammatoires/anti-inflammatoires, les cytokines immunorégulatrices et les chimiokines (Figure 4). La balance entre les cytokines inflammatoires (IL-1, IL-6, IL-8, TNFα) et antiinflammatoires (antagoniste du récepteur de l’IL-1 (IL-1RA), IL-10, TGFβ) gère localement l’intensité et la durée de la réaction inflammatoire. Elle peut-être également à l’origine d'effets systémiques tels que la diminution de la synthèse de l'albumine et l'augmentation de la synthèse de protéines inflammatoires. Les cytokines immunorégulatrices interviennent dans i) la susceptibilité/résistance aux agents 3 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 infectieux, ii) les mécanismes allergiques et iii) la régulation des cytokines inflammatoires. Elles sont classées en 2 types appelés chez l’homme type 1 ou type 2 par analogie avec la classification proposée par Mossman et collaborateurs chez la souris pour les clones lymphocytaires T CD4+ (profils Th1 et Th2)(Figure 4). Les cytokines immunorégulatrices de type 1 sont représentées par l’IL-2 et l’IFNγ. Elles sont impliquées dans l'activation du système immunitaire cellulaire et la résistance aux infections bactériennes, les réactions d'hypersensibilité retardée et la synthèse d'IgG2a. Les cytokines de type 2 (IL-4, IL-5 et IL-13) interviennent préférentiellement dans la synthèse d’IgE, l'activation et le recrutement des éosinophiles, la résistance aux infections parasitaires, les mécanismes allergiques et la susceptibilité aux infections bactériennes. Récemment, une nouvelle famille de lymphocytes T exprimant le récepteur nucléaire RORγ appelée Th17 (4), induits par l’IL-6-TGFβ, stabilisés par l’IL-23, et caractérisés par leur capacité à produire de l’IL-6 et IL-17 a été mise en évidence au sein du système immunitaire muqueux intestinal (Figure 5). Ces lymphocytes Th17 et cette production d’IL-23 jouent un rôle important dans l’immunité muqueuse spécifique et innée, la défense contre les pathogènes extracellulaires et les infections fungiques, l’initiation de mécanismes inflammatoires chroniques intestinaux (4), dépendants ou non de la présence de lymphocytes T ou B (Figure 5). Les chimiokines définissent un sous groupe d’une cinquantaine de médiateurs caractérisés par leurs propriétés chimioattractantes (5). En fonction de leur structure, on distingue essentiellement 2 sousfamilles : les CXC chimiokines représentées notamment par l’IL-8, GROα, β, γ impliquées dans le recrutement et l’activation des polynucléaires neutrophiles et les CC chimiokines dont MCP-4 et 5, RANTES et l’éotaxine impliquées avec l’IL-5 dans l’activation et le recrutement des éosinophiles dans les tissus. Les cytokines agissent sur les cellules cibles en se fixant sur des récepteurs spécifiques qui vont activer une cascade d’événements intracellulaires et notamment les voies de NFκB/IκB et des MAPK. Il y aura donc des boucles autocrines et/ou paracrines entre ces signaux de transduction et la production de cytokines inflammatoires dont les éléments régulateurs restent actuellement mal connus. La découverte de ces signaux intracellulaires a permis de mieux comprendre les mécanismes d’action des cytokines et de développer des molécules capables de bloquer à leur base la transcription de gènes induite par plusieurs cytokines (Figure 2). 4 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 Cytokines et modèles animaux de colite Trois groupes d’une cinquantaine modèles animaux développant des colites inflammatoires ont été décrits (Tableau 1)(6). Le premier groupe est représenté par les modèles de colite spontanée survenant chez des animaux manipulés génétiquement. Ces animaux peuvent être invalidés pour un gène (animaux knockout), ou exprimer anormalement un gène (animaux transgéniques ou transfert de gène dans un tissu). Les deux autres groupes développent des colites induites soit par le transfert de cellules activées (transfert de lymphocytes T chez la souris immunodéficiente SCID), soit par des agents chimiques (indomethacine, acide trinitrobenzène sulfonique (TNBS), sulfate de dextran sodique (DSS), acide acétique), soit par des produits bactériens (peptidoglycane-polysaccharide (PGPS)). La majorité des lésions chroniques dans ces modèles animaux est située dans le côlon (Figure 6). Les lésions intestinales dans tous ces modèles sont associées à une augmentation de la synthèse des cytokines inflammatoires. Si l’on considère les cytokines immunorégulatrices, les lésions de colite chronique sont associées à une augmentation de la synthèse de cytokines de type 1 (IL-2 ou IFNγ)(7). Ainsi, l’IFNγ joue un rôle important dans l’induction et la chronicité des lésions dans les modèles de souris invalidées pour le gène codant pour l’IL-10 ou pour la protéine inhibitrice de transduction Gαi2 ainsi que lors du transfert de cellules T activées (CD45RBhigh) chez la souris SCID (Figure 7). Plus récemment, il a été également montré que les lymphocytes Th17 via l’IL-23 ont une plus grande capacité d’induction d’une colite que les lymphocytes Th1 dans le modèle de transfert chez des souris SCID. Plusieurs travaux ont mis en évidence l’importance des cytokines de type 2 dans l’induction des lésions coliques (Figure 8). Dans les modèles de colite spontanée (souris invalidée pour la chaîne α du récepteur T) ou induite par des agents chimiques (TNBS), les profils de cytokines évoluent en fonction de l’ancienneté des lésions intestinales: les lésions aiguës sont associées à une augmentation de la synthèse d’IL-4 et à la production locale d’IgE, l’évolution des lésions vers la chronicité est précédée par une modification des profils de cytokines immunorégulatrices d’un type 2 vers un type 1. Enfin, des lésions inflammatoires iléales et coliques mimant des MICI ont été décrites chez les souris transgéniques pour l’IL-5 et l’IL-4, deux cytokines de type 2. 5 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 Cytokines/chimiokines et MICI La détection de cytokines dans le sang périphérique n’est pas le reflet des modifications immunologiques intestinales. Nous ne résumerons dans cette revue que les études réalisées localement dans la muqueuse intestinale de patients atteints de MICI. Les cytokines inflammatoires TNF-α, IL-6 et IL-1β sont impliquées dans les lésions inflammatoires intestinales chroniques de patients atteints de MC ou de RCH. Dans la MC, l’expression de TNF-α est présente dans les lésions au niveau de la muqueuse, de la sous muqueuse et de la séreuse. La principale source cellulaire dans la lamina propria est le macrophage. Un marquage en immunohistochimie est également trouvé dans d’autres structures telles que les granulomes, les centres germinatifs des follicules lymphoïdes et la graisse mésentérique de patients atteints de MC (8). Le rôle de cette synthèse anormale de TNFα par les adipocytes et les macrophages du mésentère est inconnu mais elle pourrait expliquer en partie la localisation préférentielle des lésions muqueuses intestinales de la MC le long du bord mésentérique et la fréquence des adhérences des anses intestinales (Figure 9). Quantitativement, il semble que la synthèse de TNFα en général soit plus importante dans la muqueuse lésée de patients avec MC que dans la RCH. Des résultats similaires ont été obtenus pour l’IL-6 et l’IL-1β. Bien que des résultats contradictoires aient été publiés, il ne semble pas exister d’anomalie primitive de la synthèse des cytokines inflammatoires ou du TGFβ dans la muqueuse saine de patients avec MC ou RCH. En conclusion, les lésions intestinales de MC et de RCH sont associées à une augmentation de la synthèse des cytokines inflammatoires et probablement à un déficit relatif en cytokines anti-inflammatoires. Cette anomalie de la balance des cytokines inflammatoires / anti-inflammatoires paraît secondaire à l’inflammation et n’existe pas dans la muqueuse saine de patients avec MICI. Comme dans les modèles animaux, les profils de synthèse de cytokines immunorégulatrices varient au cours de l’évolution de la MC (9). Les lésions iléales aiguës survenant 3 mois après chirurgie sont associées à un profil de synthèse de cytokines de type 2 et notamment d’IL-4 ainsi qu’à une augmentation de l’expression d’ARNm productif codant pour l’IgE. Ces cytokines sont synthétisées essentiellement par les lymphocytes T, les mastocytes et les éosinophiles. Chez ces mêmes patients, un profil de cytokines de type 1/Th17 est associé aux lésions chroniques. Concernant la présence de lymphocytes Th17, ils seraient notamment en nombre plus important dans la muqueuse intestinale de malades atteints de MC et associés à une augmentation de la production d’IL-17. Ces résultats suggèrent que des mécanismes immunologiques différents sont à l’origine de l’induction et de la 6 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 chronicité des lésions. Des protocoles thérapeutiques différents pourraient ainsi être nécessaires pour éviter la récidive de la maladie après chirurgie ou pour traiter des lésions chroniques. L’IL-8 est la chimiokine la mieux étudiée dans les MICI. Plusieurs travaux ont mis en évidence une augmentation de l’IL-8 dans la muqueuse colique inflammatoire de patients avec MC ou RCH. Les principales sources cellulaires sont les macrophages et les polynucléaires neutrophiles. Cette augmentation de synthèse est secondaire à l’inflammation puisque les quantités d’IL-8 sont comparables dans les muqueuses saines de patients avec MICI ou de témoins. La synthèse des autres chimiokines impliquées dans le recrutement et l’activation des PNN mais aussi des macrophages dans la muqueuse intestinale telles que GRO, MCP-1, MIP-1 α et β est également augmentée dans les MICI. Augmentation de l’expression des molécules d’adhésion Au cours de la MC et de la RCH, les lésions intestinales sont caractérisées par une infiltration de la muqueuse par des leucocytes périphériques. Ces leucocytes circulants, essentiellement des polynucléaires neutrophiles et des lymphocytes, vont adhérer aux cellules endothéliales intestinales via différents récepteurs de surface cellulaires appelés molécules d’adhésions. L’expression de ces molécules d’adhésions est régulée en partie par les cytokines. On distingue 2 grandes familles de molécules d’adhésions : les molécules apparentées aux immunoglobulines et les sélectines. La liaison entre les molécules lymphocyte function antigen (LFA)-1 / intercellular adhesion molecule (ICAM)-1 ou ICAM-2 va permettre le recrutement des leucocytes périphériques dans les tissus intestinaux. D’autres interactions entre les molécules very late antigen (VLA)-4 / vascular cell adhesion molecule (VCAM)-1 ou α4β7/VCAM-1 vont avoir un rôle plus sélectif attirant des lymphocytes dans la paroi intestinale alors que l’interaction Mac-1/ICAM-1sera responsable d’un infiltrat plus riche en polynucléaires neutrophiles (Figure 10). La découverte de ces molécules d’adhésions et de leurs ligands a permis de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans le recrutement des cellules dans la paroi intestinale et de développer des molécules capables de bloquer la constitution de l’infiltrat cellulaire. L’essai thérapeutique réalisé chez des patients atteints de MC n’a pas permis de mettre en évidence d’efficacité des inhibiteurs d’ICAM-1. En revanche, un anticorps dirigé contre la molécule α4β7 a montré son efficacité et des essais de phase 3 sont en cours. Ces molécules d’adhésion permettent non seulement le recrutement de cellules inflammatoires dans les tissus, mais également dans certains cas la fixation d’agents pathogènes infectieux. Un nouveau type E. coli a été décrit dans l’intestin de patients atteints de MC. Ces bactéries ont des propriétés toxiques particulières pour les cellules épithéliales qui tapissent la lumière intestinale. En se 7 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 collant et en pénétrant à l’intérieur des cellules, la bactérie est capable d’infecter les cellules épithéliales, de survivre et de se diviser dans ces cellules mais également d’induire une inflammation. Cet E. coli d’un type nouveau est retrouvé chez près de 40 % des patients atteints de MC de l’iléon terminal, et chez seulement 5 à 7 % des cas témoins. Sa pathogénicité est liée en partie à la surexpression d’une molécule d’adhésion appelée CEACAM6, présent à la surface des cellules épithéliales de patients atteints de MC, et permettant à la bactérie de rentrer dans la cellule (Figure 11). L’identification de ce récepteur est donc une étape importante pour une nouvelle stratégie thérapeutique car elle va permettre de développer des agents anti-CEACAM6 qui bloqueront la phase initiale du développement de la bactérie dans la paroi intestinale (10). Inhibition des mécanismes d’apoptose L’apoptose est la mort cellulaire programmée. A la différence de la nécrose cellulaire, l’apoptose est un processus actif qui requiert de l’énergie. Elle se traduit morphologiquement par une réduction du volume cellulaire et une condensation nucléaire avec fragmentation de l’ADN. L’apoptose est un mécanisme physiologique qui permet d’éliminer rapidement des cellules en cours de destruction et de protéger les tissus environnants, notamment de l’inflammation produite par les enzymes protéolytiques cytoplasmiques. Au cours de la MC, il existe une diminution de l’apoptose de certains lymphocytes T (LT) présents dans la lamina propria et responsables de mécanismes inflammatoires (11). Cette diminution de l’apoptose est probablement multifactorielle mettant en jeu l’IL-6 produite essentiellement par les macrophages et les LT. Récemment, de nouvelles études mettent en évidence une nouvelle fonction de l’azathioprine / 6-mercaptopurine. La 6-mercaptopurine (6-MP) ou l’azazathioprine (AZA) induisent les mécanismes d’apoptose par une voie mitochondriale en activant notamment la caspase 9 (11). Ce nouveau mécanisme pourrait expliquer en partie l’efficacité de ce traitement dans les MICI. Rupture de tolérance Des mécanismes faisant intervenir l’immunité spécifique ou naturelle peuvent participer à une rupture de la tolérance vis-à-vis d’antigènes luminaux notamment alimentaires ou de microorganismes (bactéries, virus, levures). Très peu de choses sont connues sur la quantité, qualité et fonctions biologiques des virus et des levures dans la lumière intestinale. Aucun antigène alimentaire n’a pour le moment été impliqué dans la physiopathologie des MICI. L’hypothèse actuelle dans les 8 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 MICI est en faveur d’une rupture de tolérance du système immunitaire intestinal vis-à-vis de bactéries luminales. Nous hébergeons dans notre tube digestif plus de 1014 microorganismes, répartis en plusieurs centaines de bactéries différentes. Les bactéries ont un poids d’environ 1Kg pour un adulte, sont dix fois plus nombreuses que le nombre de cellules humaines et représentent plus de 95% des gènes présents dans notre organisme (plusieurs millions vs 20.000 gènes). Cette flore intestinale est propre à chaque individu, régulée par les gènes humains, l’alimentation, l’âge, les modes de vie et le lieu géographique. On peut donc considérer l’homme comme un superorganisme capable d’héberger des bactéries qui lui permettent d’augmenter la diversité de son génome de plus de 100 fois. Augmentation de la perméabilité de la barrière intestinale Les malades atteints de MC ont une diminution de la résistance épithéliale et une augmentation de la perméabilité muqueuse intestinale. Cette augmentation de la perméabilité est un événement précoce au cours de la MC, survenant aussi bien en zone saine qu’inflammatoire, mais également rapportée chez les parents du premier degré de sujets atteints de MC. Les mécanismes à l’origine de cette anomalie restent mal connus. Anomalies fonctionnelles des cellules épithéliales et des cellules de Paneth L’épithélium est la première ligne cellulaire en contact avec les antigènes contenus dans la lumière intestinale et le système immunitaire muqueux. Ces cellules épithéliales vont avoir un rôle clé dans la défense de la barrière intestinale mais également dans l’information et l’éducation des cellules immunitaires localisées dans la lamina propria. L’épithélium est recouvert de mucus, barrière glycoprotéique non spécifique synthétisée par les cellules épithéliales protégeant la paroi intestinale des bactéries, virus et levures. - Des anomalies de la synthèse de production de mucines, protéines contenues dans le mucus, ont été rapportées au cours des MICI, pouvant faciliter l’activation des cellules immunitaires muqueuses par les antigènes luminaux. 9 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 - Les cellules de Paneth, présentes au sein de l’épithélium intestinal, jouent également un rôle important dans les défenses immunes innées via la production de peptides antimicrobiens. Parmi eux, les défensines α et β ont une activité contre les bactéries à gram positif et négatif. Les α-défensines ou cryptidines ne sont présentes qu’au niveau de l’intestin grêle, à l’opposé des β-défensines exprimées de manière ubiquitaire sur toutes les muqueuses du tube digestif. Plusieurs études ont mis en évidence des anomalies quantitatives ou fonctionnelles des cellules de Paneth au cours de la MC, pouvant être en rapport avec des mutations du gène NOD2, et favorisant la multiplication des bactéries dans les cryptes de l’intestin grêle. - Les cellules épithéliales et cellules de Paneth expriment des récepteurs appelés pattern recognition receptors (PPR) capables de reconnaitre des composants microbiens spécifiques, les pathogenassociated molecular pattern (PAMP). Les toll-like receptors (TLR) sont une des principales familles de PPR. Après reconnaissance spécifique d’un PAMP, les TLR exprimés à la membrane des cellules déclenchent des réponses immunes conduisant à l’activation de NF-κB et à l’induction d’une cascade de cytokines pro-inflammatoires. En plus de ces récepteurs membranaires capables d’alerter rapidement la cellule de la présence d’agents microbiens dans son environnement, les cellules épithéliales et cellules de Paneth expriment des récepteurs intra-cytoplasmiques (les NODs) qui fournissent un second message d’alerte cellulaire. L’expression des TLR à la surface des cellules épithéliales intestinales est perturbée au cours de la MC. Chez les sujets sains, les TLR3 et 5 sont fortement exprimés à la surface des cellules épithéliales à l’inverse des TLR2 et 4. Dans la MC, TLR3 est diminué alors que le TLR4 est fortement exprimé. De plus, les cellules épithéliales des sujets atteints de MC expriment le TLR9, capable de répondre directement aux antigènes bactériens en sécrétant l’IL-8. - Un défaut d’expression du récepteur nucléaire PPARγ exprimé par les cellules épithéliales coliques a été mis en évidence au cours de la RCH. PPARγ intervient dans la transcription de nombreux gènes cibles après fixation sur un élément de réponse spécifique de l’ADN appelé PPRE. Ce récepteur est fortement exprimé dans l’intestin par les cellules épithéliales coliques et a un effet anti-inflammatoire dans les modèles de colite expérimentale chez la souris (12). L’expression prédominante de PPARγ dans le colon par rapport à l’intestin grêle s’explique par la présence de bactéries luminales, seul facteur connu aujourd’hui capable d’induire l’expression de ce récepteur. Chez les patients atteints de RCH, un déficit d’expression de PPARγ a été mis en évidence suggérant l’implication de ce récepteur dans l’induction d’une inflammation colique superficielle induite par les bactéries qui caractérise la RCH. L’ensemble de ces travaux indique que PPARγ est un élément clef dans la régulation de l’inflammation 10 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 intestinale induite par les bactéries. Récemment, le rôle anti-inflammatoire de ce récepteur a encore été renforcé par la mise en évidence que PPARγ était le principal récepteur pour le 5-ASA dans le côlon, à l’origine de l’effet anti-inflammatoire de ces traitements (Figure 12)(12) et que l’administration orale d’un activateur de PPARγ (rosiglitazone) était efficace dans le traitement de la poussée chez des patients atteints de RCH. - La rupture de la tolérance induit un stress du réticulum endoplasmique de la cellule épithéliale à l’origine d’une inflammation intestinale chronique (13). Le réticulum endoplasmique est un lieu essentiel de synthèse et de maturation des protéines de la membrane plasmique, des organites cellulaires, et des protéines sécrétées telles que les mucines qui participent à la constitution de la barrière intestinale. En cas de stress du réticulum endoplasmique, les protéines ont une conformation incorrecte et constitue une menace particulièrement pour les cellules à forte capacité sécrétoire telles que les cellules épithéliales intestinales. Ce stress est à l’origine d’une apoptose, de la production de médiateurs inflammatoires, d’une activation de la voie NFκB, d’une augmentation de la perméabilité intestinale et d’une inflammation intestinale chronique chez la souris. Chez les patients atteints de MICI, l’implication du stress du réticulum endosplasmique dans la physiopathologie de la maladie est suggérée par la mise en évidence en microscopie électronique d’un stress du réticulum dans les cellules épithéliales intestinales et au niveau génétique par l’existence du gène candidat pour la MC et la RCH appelé XBP1 (X-box-binding protein 1) et impliqué dans le bon fonctionnement du réticulum endosplasmique. Implication des lymphocytes T régulateurs Des anomalies de l’immunité spécifique faisant intervenir des lymphocytes T sont décrits au cours des MICI et notamment une sensibilisation anormale de certains lymphocytes T de la muqueuse, à l’origine d’une réponse immunitaire active dirigée contre des antigènes de sa propre flore bactérienne (14). L’implication des lymphocytes T dans la physiopathologie des MICI est évoquée depuis de nombreuses années et repose sur une littérature scientifique développée notamment dans des modèles de colite inflammatoire chez l’animal. Les dernières années ont cependant étaient décevantes dans le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques ciblant le lymphocyte T. Cinq essais cliniques de phase II ou III ciblant le lymphocyte T directement (anti CD3, visilizumab, Nuvion, PDL Biopharma)(anti-CD25, Daclizumab-PDL BioPharma et Basiliximab-simulect-Beth Israel Deaconess Medical Center)(CTLA4-Ig, Abatacept-Orencia, Bristol Myers Squibb) ou indirectement (anti CCR9, Traficet-ENTM, Chemocentryx Inc) se sont révélés négatifs ne montrant Auteur : Pierre DESREUMAUX 11 Cours05 pas de supériorité des traitements anti-lymphocytes T par rapport au placebo dans la réponse ou la rémission notamment des malades avec RCH active. Une aggravation des symptômes est même retrouvée au cours de l’essai utilisant l’Abatacept (CTLA4-Ig, Orencia, Bristol Myers Squibb) avec une diminution du taux de réponse et de rémission dans le groupe traité vs placebo (respectivement 13% vs 29% et 2% vs 11%). Ces résultats ont 2 conséquences essentielles. Premièrement, ils mettent en évidence la limite des modèles animaux et soulignent la nécessité d’élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques en s’appuyant sur des constations cliniques observées chez les patients atteints de MICI, en les enrichissant secondairement d’expériences réalisées in vitro et in vivo chez l’animal. Deuxièmement, ils montrent qu’une stratégie globale anti lymphocytes T n’est pas active voire nocive et que la notion d’un effet thérapeutique médié par des lymphocytes régulateurs ne doit pas être négligé. Ces lymphocytes T régulateurs, qui jouent un rôle crucial dans les modèles de colite expérimentale chez l’animal, peuvent avoir un phénotype CD4+ ou CD8+ ou CD4-CD8- (Tableau 2). Parmi les lymphocytes T régulateurs CD4+, on distingue essentiellement les cellules Tr1, caractérisées par leur capacité à produire de fortes quantités d’IL10. Ces cellules sont présentes chez l’homme et la souris. Elles ont une activité anti-inflammatoire et plus généralement immuno-régulatrice en proliférant et en migrant d’un tissu à un autre en fonction des besoins et notamment de l’existence d’une inflammation. Deux autres populations de lymphocytes T CD4+ régulateurs sont également importantes : les lymphocytes TH3 caractérisés par une forte production de TGFβ et les lymphocytes T CD4+ CD25+ exprimant un facteur appelé FoxP3. Parmi les lymphocytes T CD8+, on distingue essentiellement chez l’homme les LT CD28-. Une dernière population de lymphocytes T régulateurs n’exprimant ni CD4 ni CD8 appelée NKT a été récemment décrite et impliquée dans la physiopathologie de la MC (15). Ainsi, une rupture de la tolérance à l’origine d’une réponse immunitaire spécifique anormale, secondaire à un défaut d’activation ou d’expansion de lymphocytes T régulateurs pourrait jouer un rôle important dans l’inflammation non contrôlée observée au cours des MICI. Inversement, la mise en évidence de ces anomalies est actuellement à l’origine du développement de nouveaux traitements appelés « thérapie cellulaire », où l’injection de ces lymphocytes T régulateurs pourrait permettre d’avoir un effet thérapeutique chez les patients atteints de MICI. 12 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 Synthèse Les nouvelles techniques de détection des médiateurs impliqués dans la réaction immunitaire et le développement des modèles de colite expérimentale chez la souris ont permis de mieux analyser les différentes réactions mises en jeu au cours de l’inflammation intestinale. La mise en évidence de mécanismes différents à l’origine de l’induction ou de la perpétuation de l’inflammation devrait aboutir dans les MICI à des traitements différents destinés soit à éviter la récidive de la maladie, soit à limiter la durée et l’intensité des poussées. Les résultats encourageants obtenus avec les nouveaux agents immunorégulateurs ciblés sont la preuve de l’intérêt d’une meilleure connaissance de la physiopathologie des MICI, à l’origine du développement de nouvelles cibles thérapeutiques plus ciblées. Ainsi, en 20 années, l’arsenal thérapeutique dans le domaine des MICI est passé de 5 classes de médicaments comprenant les aminosalicylés, les corticoïdes, l’azathioprine, le methotrexate et la ciclosporine à plus de 60 molécules en développement en 2011. Cette progression spectaculaire est le fruit d’une meilleure connaissance des facteurs clefs de la réaction inflammatoire intestinale représentant de nouvelles cibles thérapeutiques, mais également du développement de nouvelles formulations et de l’ingénierie des médicaments ainsi que des techniques virtuelles de screening de molécules. Enfin, les découvertes des mécanismes associées à la rupture de la tolérance sont à l’origine de nouveaux concepts thérapeutiques dans les MICI renforçant la barrière intestinale, la synthèse de mucus, utilisant la thérapie cellulaire ou de nouvelles molécules capables de réguler l’expression et l’activation du récepteur PPARγ exprimé par les cellules épithéliales. 13 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 Références 1. Barnes PJ, Karin M. Nuclear factor-κ B – a pivotal transciption factor in chronic inflammatory diseases. N Engl J Med 1997 ; 15 : 1066-1071. 2. Chen LW, Egan L, Li ZW, Greten FR, Kagnoff MF, Karin M. The two faces of IKK and NF-κB inhibition : prevention of systemic inflammation but increased local injury following intestinal ischemia-reperfusion. Nat Med 2003 ; 9 : 575-581. 3. Sandborn W. J, Faubion W. A. Biologics in inflammatory bowel diseases: how much progress have we made? Gut 2004. 53: 1366-1373. 4. 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Gastroenterology 2007; 132: 2346-58. 15 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 Tableau 1 : Principaux modèles animaux développant des lésions inflammatoires intestinales Animal Type Localisation de l’inflammation IL-2KO souris côlon IL-2 Rα KO souris côlon IL-10 KO souris côlon TGF-β1 KO souris inflammation diffuse TCR α,β KO souris côlon MHC class II KO souris colon Gαi2 KO souris côlon souris iléon IL-5 Tg souris côlon IL-7 Tg souris côlon N-cadherin Tg souris côlon HLA-B27 Tg rat estomac et côlon CD3ε26 Tg souris côlon CD45RB SCID souris côlon PG/PS rat caecum, iléon TNBS Souris, rat côlon Acide acétique rat, lapin, hamster côlon DSS hamster, souris côlon Indocid souris jejunum IL-4 gèneTft KO : knockout ; Tg : transgénique ; Tft : transfert ; SCID : immunodéficience congénitale sévère. 16 Auteur : Pierre DESREUMAUX Cours05 Tableau 2 : Phénotype des lymphocytes T régulateurs capables de réduire l’inflammation colique chez la souris Figure 1: Cellules T régulatrices ayant la capacité de prévenir le développement de l’inflammation intestinale dans le modèle de transfert des souris SCID CD4+ CD45RBhi SCID Wasting disease Colitis No colitis CD4+ CD45RBhi et CD4+ CD45RBlo CD4+CD25+ CD4+ Tr1 CD4+ CD103+ CD4+ CD8αα+ IELs Powrie et al, JEM 90 and JEM 94 Asseman et al; Mottet et al, JI 2003 Groux et al, Nature 97; Cong et al, JI 2002 Lehmann J et al, PNAS 2002 Das et al, PNAS 2003 TCRαβ+ CD8αα+ IELs Poussier et al, JEM 2002 17 Auteur : Pierre DESREUMAUX