Artificialisation du vivant : histoire, processus et conséquences

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Artificialisation du vivant : histoire, processus et conséquences
Hervé Richard,Pierre-Marie Badot, Jean-François Viel
CNRS-Université de Franche-Comté/ UMR 6249 Chrono-environnement, Besançon,
nov. 2008
De la domestication à l’artificialisation du vivant
Depuis que l’Homme est passé du statut de prédateur à celui de producteur, la
domestication et la mise en valeur des systèmes écologiques contribuent inexorablement à
façonner la culture, l’économie, l’organisation sociale, les paysages et l’image d’un territoire.
Les écosystèmes résultant de ce processus de transformation s’appuient sur un contexte
géologique et biologique qui a été lentement domestiqué puis artificialisé pour l’adapter aux
besoins multiples de sociétés variées.
Cette évolution est longue et complexe. Les premiers systèmes agro-forestiers
néolithiques d’abattis-brûlis perdurent pendant plusieurs millénaires, mitage de petites
clairières au milieu de forêts dont la diversité n’est que le fruit de dynamiques internes qui
viennent se surajouter aux conséquences à long terme de changements globaux affectant
les conditions climatiques et édaphiques. Ces proto-agriculteurs resteront largement
dépendants de cette nature qu’ils transforment, qu’ils subissent parfois, mais qui reste, par la
chasse, la pèche et la cueillette, un complément indispensable et longtemps inépuisable.
Pourtant, dès ces premiers balbutiements agricoles, par un processus lent de contacts, de
diffusions et d’adoptions temporaires de nouvelles techniques, jalonné de périodes fastes et
malgré d’inévitables échecs, la domestication des milieux naturels est en marche. Très
lentement, de génération en génération, les jachères, l’introduction de l’araire et la
systématisation des cultures attelées, l’introduction du métal transforment graduellement
l’environnement des sociétés humaines successives. Les petites clairières originelles
s’agrandissent jusqu’à se fondre les unes aux autres. Les écosystèmes se diversifient. La
population humaine augmente. Les sociétés se hiérarchisent. De véritables stratégies
territoriales sont élaborées. Puis les attelages se font plus lourds et les jachères sont
abandonnées. Enfin, l’agriculture est mécanisée, chimisée, automatisée. L’artificialisation du
vivant est alors quasi universelle.
Cette longue évolution, engagée il y a environ dix millénaires dans des contextes
environnementaux très variés, n’est pourtant pas régulièrement croissante, depuis un état
strictement conditionné par les seules contraintes naturelles jusqu’à l’aspect uniformément
anthropisé actuel. Le temps des clairières concerne la majeure partie de cette évolution qui
voit se succéder emprises et déprises agricoles, mais aussi transformations des pratiques et
changements de productions. L’origine de ces mutations est souvent multiple associant des
causes naturelles (comme les crises climatiques), des processus directement liés à une
exploitation irraisonnée des terres (érosion et épuisement des sols) à des événements socioéconomiques (guerres, épidémies, crises ou au contraire embellies financières). Ces phases
successives de changements, d’adaptations et de reconversions agricoles sont les vecteurs
essentiels de la structuration des paysages actuels. L'artificialisation fragmente le paysage et
contribue à l'isolement d'espèces, de populations, et peut conduire à la disparition des
habitats.
A l’exemple de l’Europe, l'épaisse forêt qui couvrait une grande partie de l’espace n'a
pas entravé cet essor d’activités agricoles et l’exploitation des potentialités du sol et du soussol. Si au cours des derniers millénaires des périodes de déprises ou de reculs des activités
agricoles sont perçues, c'est plus le résultat de processus économiques, politiques et
sociaux que la conséquence directe de dégradations climatiques qui devaient pourtant être
vivement ressenties dans ces zones de moyenne montagne, de haute latitude et de limite de
zones arides. L’équilibre qui a longtemps persisté entre espaces agropastoraux et forestiers
bascule à l’aube de l’an Mil. Les innovations technologiques, les rendements agricoles plus
importants qui en découlent et l’essor démographique aidant, l’homme s'affranchit totalement
des contraintes liées à son environnement.
Ces processus de domestication puis d’artificialisation du vivant s’inscrivent dans des
échelles de temps et d’espace extrêmement variées. Tous ne peuvent être abordés avec la
même résolution et les mêmes méthodes. L’étude temporalisée des modalités de diffusion
des populations, des techniques et des connaissances, de leurs ruptures et de leurs
accélérations, est un élément essentiel de compréhension des systèmes naturels et
anthropiques actuels.
Dans ce sens, de nombreuses pistes doivent encore être explorés :
‐ il faut d’abord pousser encore plus loin la description des groupements végétaux
passés : quels types de forêts, quelles cultures, quelles surfaces emblavées, cultivées,
pâturées ? Quelles pratiques agricoles ?
‐ une attention particulière doit être portée sur les phases de conquête, d’équilibre et
de rupture des fronts pionniers agricoles passés et actuels ;
‐ les phases d’emprises et déprises agricoles, les changements de productions doivent
être abordées dans la longue durée ;
‐ l’analyse des changements climatiques entreprise depuis de nombreuses années doit
se rapprocher encore des études concernant l’évolution des populations humaines pour
mesurer le poids exact du climat dans le dynamisme des sociétés agricoles et élaborer des
modèles prédictifs ;
‐ l’analyse des évolutions spatiales de la production, de la consommation des
matériaux et objets manufacturés sur la longue durée doit être généralisée ; les
conséquences environnementales de ces productions doivent être mieux évaluées ;
‐ des recherches et des observatoires de la dynamique subactuelle de la faune et la
flore, couvrant les tout derniers siècles, fourniront la matière à des études de dynamique des
populations animales et végétales ;
‐ le rôle des structures spatiales des paysages dans la diffusion de l’agriculture devra
être abordé par des outils spécifiques de modélisation qui pourraient être partagés entre les
différentes approches.
Artificialisation des écosystèmes actuels
Les modifications induites par les activités humaines conduisent à la création de
milieux artificialisés par transformation, appauvrissement ou destruction des milieux naturels.
L'artificialisation touche les territoires et les sols, les systèmes écologiques et les
communautés qu'ils abritent, elle concerne alors l'ensemble des espèces vivantes.
L'artificialisation croissante - et pour partie irréversible - des systèmes écologiques constitue
depuis un demi-siècle une source majeure de préoccupations pour les populations et les
pouvoirs publics. Depuis plusieurs décennies, les autorités nationales et internationales
(Water Framework Directive, REACH…) ont élaboré et mis en oeuvre avec plus ou moins
de succès des politiques actives pour répondre aux grands enjeux sociétaux liés à ces
processus et à leurs conséquences.
L’artificialisation exerce de nombreux effets délétères. Elle diminue ou annule le
potentiel agricole des sols. Elle affecte fortement leur biodiversité. Elle cause la perte de la
fonction de régulation des précipitations et elle empêche les sols de jouer leur rôle épurateur.
Le développement des surfaces artificialisées réduit l’espace de vie de nombreuses
espèces, jusqu’à souvent les faire disparaître.
La croissance des zones aménagées par l'homme constitue une menace pour le sol
qui est une ressource non renouvelable à l'échelle humaine. Les politiques d’aménagement
du territoire, en particulier dans les zones périurbaines, devraient tenir compte, lors de
l’élaboration des documents d’urbanisme, de l’aptitude des sols à remplir certaines fonctions
économiques ou écologiques. De 1990 à 2000, dans 23 pays de l’Union Européenne, 48 %
des terres qui ont été artificialisées étaient des terres arables ou occupées par des cultures
permanentes.
Les enjeux attachés à la conservation des milieux non artificialisés, en particulier vis-àvis de la pression urbaine sont des enjeux majeurs. Cependant, la conservation ne peut être
érigée en principe absolu car cela reviendrait à dénier toute possibilité de développement
ultérieur. Toute action humaine se traduit par un compromis entre des bénéfices attendus à
l'échelle des sociétés humaines et des coûts environnementaux. Une des difficultés
principales pour définir l'équitabilité d'un tel compromis réside dans l'identification du plus ou
moins grand "intérêt", de la plus ou moins grande "qualité", de la plus ou moins grande
"importance" des milieux notamment en ce qui concerne leur implication dans le maintien
des équilibres globaux, régionaux ou locaux. L'intérêt des milieux peu ou très peu
artificialisés n'est pas uniquement lié à leur possible mise en valeur sylvicole ou agricole. Ils
jouent un rôle clé dans le maintien de nombreux écosystèmes, eux mêmes indispensables à
la survie de l'espèce humaine.
Avant toute décision d'aménagement, avant toute implantation ou mise en œuvre d'une
nouvelle activité humaine, il est impératif (i) d'identifier les fonctions qui sont actuellement
remplies par les milieux qui seront soumis à artificialisation et (ii) d'évaluer les conséquences
des modifications induites sur ces milieux en termes de fonctionnement systémique à toutes
les échelles spatiale et temporelle, et à tous les niveaux d'organisation biologique. Fournir
les outils objectifs permettant d'évaluer "la qualité" ou "l'importance" des milieux "naturels",
autrement dit les fonctions qu’ils sont aptes à remplir aujourd’hui ou dans le futur constitue
l'un des principaux challenges de l'écologie systémique et fonctionnelle. Ces questions
dépassent bien sûr le strict cadre scientifique et sont au cœur des choix de société. Dans
quel univers souhaitons-nous vivre ?
L'artificialisation des territoires
L'intensité de l'artificialisation des territoires est très variable d'un milieu à l'autre. Il peut
être utile de distinguer des milieux très fortement artificialisés (i.e. espaces urbanisés), de
milieux moyennement artificialisés (i.e. espaces agricoles, forêts exploitées) et de milieux
très peu artificialisés (i.e. forêts primaires, fonds océaniques, certains milieux marins,
déserts…). La nomenclature européenne d’occupation du sol Corine Land Cover permet de
distinguer des territoires artificialisés d'autres types d'occupation du sol, tels que les
territoires agricoles, les forêts et les milieux semi-naturels, les zones humides et les surfaces
en eau.
Indépendamment des zones répertoriées comme terrritoires artificialisés dans Corine
Land Cover, la très grande majorité des milieux est à l'heure actuelle exposée à l'impact des
activités humaines : d'un point de vue écologique, ces milieux peuvent aussi être considérés
comme artificialisés. Ainsi, des territoires exempts de présence humaine ou très éloignées
de toute activité humaine sont néanmoins l'objet d'une artificialisation (écosystèmes
antarctiques contaminés par le mercure, les retombées de radioéléments consécutives aux
tirs d'armes nucléaires atmosphériques…).
Artificialisation directe - artificialisation indirecte
L'artificialisation directe des sols agricoles est plus ou moins intense selon l'intensité
des cultures et le type de pratiques culturales qui y ont été ou sont effectuées. Le travail
mécanique, l'irrigation, l'apport d'engrais et de matières fertilisantes, les traitements
chimiques (pesticides, chélateurs, rétenteurs d'eau…), l'introduction d'organismes
génétiquement modifiés (que ce soit par les techniques classiques de l'amélioration des
plantes, l'irradiation ou le génie biomoléculaire), la contamination par des déchets liés aux
pratiques agricoles (hydrocarbures, matières plastiques faiblement bio-dégradables,
épandages de boues urbaines ou industrielles) modifient profondément et durablement le
fonctionnement des sols et bouleversent souvent de manière drastique les communautés qui
y vivent.
Les sols subissent également une artificialisation indirecte en raison de contaminations
diffuses consécutives à divers processus tels qu'un assainissement non maîtrisé, des
pollutions atmosphériques à longue distance (métaux lourds, polluants organiques
persistants…), la remise en suspension et le transport à longue distance de produits
phytosanitaires dans certaines conditions météorologiques défavorables, la proximité
d'activités fortement polluantes (industries, agglomérations, infrastructures de transport).
Réversibilité - irréversibilité de l'artificialisation
Que l'artificialisation ait été volontaire ou qu'elle soit une conséquence indirecte et
involontaire des activités humaines n'a somme toute que fort peu d'importance en ce qui
concerne l'étude des processus à l'œuvre et la gestion environnementale ultérieure de ces
territoires. Un point crucial réside en revanche dans une bonne appréciation de la résilience
des systèmes perturbés, qui conditionne le caractère réversible ou non de l'artificialisation.
L’urbanisation ou l'aménagement de grandes infrastructures de transport ou industrielles
peuvent être considérés comme des processus d'artificialisation irréversible à l'échelle
humaine, car ils stérilisent les sols de façon irrémédiable. Une mise en valeur agricole
"douce", impliquant de faibles quantités d'intrants constitue à l'opposé une artificialisation
réversible des milieux qui pourront le cas échéant retrouver un caractère moins anthropisé.
L'agriculture occupe environ la moitié de la surface terrestre et utilise près des deux
tiers de la ressource en eau. Une attention particulière devrait permettre de reconstituer
l’histoire des masses d’eau. Il faudra estimer l’impact de la gestion de l’eau sur la
construction de l’espace, prévoir l’évolution des hydrosystèmes au cours du temps, évaluer
le degré du risque engendré par ces transformations.
Des modalités et des conséquences multiples
La diversité des processus impliqués par l’artificialisation des systèmes écologiques, la
multiplicité de leurs impacts avérés ou potentiels sur la santé humaine ainsi que sur les
systèmes écologiques, la complexité et l'interconnexion des problèmes ainsi posés, la
variété des dangers qu’ils représentent nécessitent la mise en place d'approches intégrées
prenant en compte :
(i) les différents niveaux d'organisation biologiques (cellule, individu, population,
communauté…) et/ou mésologiques (compartiments du milieu, typologie des contraintes…),
(ii) les différentes échelles spatiales (globale, régionale, locale et infra-locale) et
(iii) les échelles temporelles (des phénomènes usuellement considérés comme
"instantanés" à ceux se déroulant aux durées géologiques).
Cette diversité, cette multiplicité d’échelles et cette complexité imposent de recourir à
des approches interdisciplinaires, seules susceptibles de présenter une réelle valeur
heuristique.
A l'échelle globale, les différents biomes ne sont pas impactés avec la même intensité
et la distribution spatiale de l'artificialisation correspond pour partie à la plus ou moins grande
densité des populations humaines. Dans le même temps, certains processus sont
indépendants de la distribution spatiale des activités humaines et se manifestent à une
échelle globale, changement climatique, pollution atmosphérique, contaminations des
océans par le mercure…
L'artificialisation biologique : un nouveau défi
La maîtrise de l'énergie associée à la maîtrise des matériaux a provoqué au cours des
deux derniers siècles une artificialisation "physique" puis "chimique" des écosystèmes.
Depuis quelques décennies, le formidable essor des bio-technologies - médecine incluse confère à l'espèce humaine un pouvoir sans précédent sur les flux d'informations
biologiques. Les populations et les systèmes écologiques sont depuis lors soumis à une
artificialisation "biologique". La nouveauté réside surtout dans une augmentation
extraordinaire de l'efficacité des techniques disponibles qui tendent à autoriser une
description quasi exhaustive des flux d'informations biologiques au sein des systèmes
vivants, ce qui secondairement permet leur manipulation et leur contrôle. Les conséquences
potentielles de ces bouleversements sont sans précédent.
Des systèmes en équilibre dynamique instable
Les systèmes écologiques naturels sont des systèmes équilibrés qui présentent une
très grande stabilité à l'échelle des temps courts, même s'ils sont susceptibles d'évoluer à
l'échelle des temps longs. La plupart des systèmes artificialisés se distinguent des systèmes
naturels par le fait qu'ils ne sont pas en équilibre thermodynamique par rapport aux
conditions extérieures. Ils ne sont maintenus qu'à la condition qu'un flux permanent d'énergie
et d'information issu de l'activité humaine les traverse. De ce fait, les systèmes artificialisés
sont souvent instables, voire très instables, le maintien de leur stabilité étant étroitement
tributaire du maintien des activités qui les ont façonnés. Concrètement, les maintenir en l'état
requiert souvent une grande consommation d'énergie et le recours aux énergies non
renouvelables.
L'exemple de l'épandage direct d'eaux usées dans certaines plaines agricoles de la
région parisienne est à cet égard éclairant. A la suite de ces apports, les sols concernés ont
été durablement contaminés par des éléments traces métalliques. Ils sont ainsi
progressivement devenus impropres aux cultures destinées à l'alimentation humaine ou
animale. S'il a été possible de stopper les apports, il n'a pas été possible d'arrêter les
cultures, car cela aurait favorisé les transferts verticaux de contaminants dans les sols et
entraîné la contamination des ressources souterraines en eau. Le maintien de ces systèmes
dans leur état artificiel actuel (exploitation agricole) est donc obligatoire, ce qui pose le
problème de trouver d'autres débouchés aux productions végétales (valorisation énergétique
par exemple).
Des conséquences pour partie imprévisibles
Si les pressions anthropiques peuvent être assez facilement quantifiées et modélisées,
les réponses des systèmes écologiques à ces pressions sont complexes et résistent souvent
à la prévision. Le plus souvent, ces réponses ne peuvent pas être traduites sous la forme de
fonctions mathématiques simples dépendant de paramètres identifiés tels que par exemple
l'intensité de la pression exercée par l'homme, la distance d'impact, l'amplitude de
l'exposition ou tout autre facteur mesurable... Le fait que les conséquences de
l'artificialisation sont difficilement prévisibles et quantifiables impose de développer des outils
permettant d'identifier les plus signifiants des paramètres qui modulent les réponses des
systèmes.
De très nombreuses questions restent pendantes et les besoins de recherche sont très
importants. Sans prétendre à l'exhaustivité, quelques pistes peuvent être proposées. Les
impacts doivent continuer à faire l'objet d'investigations car ils sont encore très mal connus :
- en matière de substances chimiques, la diversité des molécules à étudier est extrême
et les effets de nombre d'entre elles sont encore largement ignorés. A coté des polluants
"classiques" (HAP, métaux lourds, pesticides, organohalogénés…), les risques écologiques
et sanitaires liés aux polluants émergents (perturbateurs endocriniens, substances
médicamenteuses…) doivent impérativement être évalués. Concernant les impacts des
substances chimiques, plusieurs autres points majeurs doivent faire l'objet d'investigations
soutenues (i) la question de la toxicité et de l'écotoxicité des polluants en mélange est loin
d'être documentée suffisamment; (ii) l'impact des pollutions diffuses mais généralisées doit
impérativement être étudié, (iii) la biodisponibilité et la spéciation des contaminants sont
également des priorités de recherches.
- Quelle que soit la pression anthropique considérée, il est nécessaire de mieux
connaître les relations entre la structure et le fonctionnement des écosystèmes d'une part et
les pressions anthropiques qu'ils subissent d'autre part. Ce point est souvent crucial pour la
prévision du devenir des systèmes artificialisés. La robustesse et la résilience de certains
systèmes écologiques vis à vis de certaines perturbations peuvent en effet constituer des
facteurs aggravants de l'artificialisation. Par exemple, des sols présentant une très grande
capacité d'adsorption de contaminants peuvent initialement tamponner les effets de
l'artificialisation en "inertant" temporairement des contaminants potentiellement dangereux ;
secondairement, cette propriété apparemment protectrice peut se révéler extrêmement
délétère en favorisant le relargage des contaminants pendant des durées très longues et
contribuer ainsi à une exposition chronique souvent beaucoup plus dommageable qu'un pic
aigü de pollution.
Les interfaces constituent souvent des champs où de nombreuses questions
scientifiques sont ouvertes : les interactions sociétés humaines/milieux, milieux/contaminants
physiques ou chimiques /organismes sont des domaines où la confrontation des expertises
multiples doivent être encouragées, bien sûr en écologie, en biologie et en physico-chimie
environnementale, mais aussi en agronomie, en histoire des pratiques et des
environnements, en sociologie et en économie.
Les systèmes d'alerte précoce (early warning) et de surveillance environnementale
(monitoring) doivent continuer à être développés, car les dispositifs actuels ne sont pas
optimaux.
Le recueil à le long terme de données signifiantes est indispensable et passe par le
développement d'outils tels que observatoires, zones ateliers, plate-formes technologiques...
Lorsque l'évaluation des conséquences de l'artificialisation sur les systèmes
écologiques est possible, on dispose de connaissances objectivisées sur les dangers
potentiels, les risques encourus, les coûts induits et les bénéfices attendus, il devient alors
possible de consulter le corps social, à qui il appartient de définir les priorités acceptables
dans un contexte donné.
Il importe alors de favoriser les rapprochements entre les parties prenantes :
responsables d'activités exerçant des pressions anthropiques (acteurs économiques,
collectivités…), acteurs institutionnels en charge de la gestion des systèmes écologiques et
communautés de chercheurs. Cependant, lorsque des décisions concrètes doivent être
prises, elles le sont, le plus souvent, sans que les critères qui président de manière sousjacente aux choix environnementaux, soient exprimés de manière apparente.
Schématiquement, deux positions extrêmes s'opposent :
(i) la préservation d'un système écologique doit-elle reposer sur une "valeur
intrinsèque absolue" [l'écosystème existe naturellement, il a droit de cité sur la planète et ne
doit pas être modifié ou détruit] ou
(ii) doit-on considérer uniquement sa "valeur instrumentale" liée à la survie ou aux
besoins de l'espèce humaine [la disparition ou la perturbation de tout ou partie du système
considéré menace la pérennité de l'espèce humaine ou réduit les possibilités de son
utilisation future par l'homme] ?
Ces questions sont hors du champ scientifique et sont du ressort de la philosophie et
de l'éthique, mais le besoin de leur formalisation est patent. Il relève des sciences sociales
tout comme l'analyse des mécanismes sociaux à l'œuvre dans la détermination des choix
environnementaux.
Les questions liées à la perception sociale des risques environnementaux, à leur
évaluation et à leur gestion, celles concernant la vulnérabilité des milieux et des ressources,
les évidentes conséquences de l'artificialisation en terme de santé humaine doivent être
abordées en priorité.
Artificialisation du vivant et Santé publique
L'anthropisation des milieux implique la déforestation, la construction de routes,
l'empiètement des terres agricoles, la construction de barrages, l'irrigation, la dégradation
des zones côtières, l'assèchement de terres humides, l'agriculture intensive, les activités
minières, la concentration ou l'expansion des zones urbaine, etc. Ces changements sont à
l'origine d'une cascade de facteurs, tels la fragmentation des forêts, la pollution, l'introduction
de pathogènes, l'appauvrissement et la migration des populations humaines, favorisant à
leur tour l'émergence de maladies infectieuses. Ces maladies peuvent être totalement
nouvelles dans une zone géographique ou chez un hôte intermédiaire donné. Elles peuvent
résulter d'une transmission inter-espèce ou d'une extension dans des habitats nouveaux ou
modifiés.
Plus de 75% des maladies humaines étaient jadis, ou sont actuellement, des
zoonoses, en provenance d'animaux sauvages ou domestiques. Sur le plan écologique, les
maladies infectieuses peuvent être considérées comme une extension des relations hôteparasite. Elles sont aussi inhérentes à tout écosystème que les relations prédateur-proie ou
plante-herbivore. Une infection par un microorganisme ne provoque pas nécessairement une
maladie. Le plus souvent, l’hôte et le microorganisme coexistent pacifiquement car les
génotypes hautement pathogènes susceptibles de détruire l’hôte sont éliminés, tout comme
les hôtes sensibles dépourvus d’immunité acquise ou innée (résistance héréditaire). Ainsi,
l’émergence d’une maladie dans une population humaine est un phénomène transitoire et,
sous sa forme la plus sévère, elle est en général la conséquence d’une instabilité ou d’un
changement social et environnemental rapide.
Les mécanismes anthropiques considérés comme ayant un impact fort sur la santé
publique sont au nombre de quatre : les modifications de l'environnement physique ; les
mouvements de populations, de pathogènes, et de produits marchands ; l'agriculture ; et
l'urbanisation. Le facteur commun est le changement. Un changement social et écologique
relativement brusque ou épisodique, qui se reflète le plus souvent dans des variations du
couvert végétal et de l’utilisation des terres (urbanisation non planifiée et conversion des
forêts), dans l’intensification de l’agriculture (barrages, projets d’irrigation, fermes-usines,
etc.) et dans le déplacement et la migration des populations.
Schéma causal de l'écologie des maladies infectieuses
L’accroissement démographique, combiné à l’augmentation de la consommation des
ressources et de la production de déchets, provoque un changement environnemental
régional, reflété par les changements d’utilisation des terres et du couvert forestier. Cette
transformation environnementale comprend typiquement trois processus caractéristiques liés
à l’utilisation des terres, à savoir l’urbanisation, l'intensification de l'agriculture (y compris la
production et la distribution de produits alimentaires) et l’altération des habitats forestiers.
Les trois catégories d’utilisation des terres - habitat urbain, agricole et naturel représentent un continuum d’écosystèmes multiples allant du domestique au naturel. Trois
tendances écologiques sont associées à ces changements : domestication (ou péridomestication) des vecteurs et des réservoirs ; invasion de l’habitat domestique par des
espèces sauvages opportunistes, par exemple certains rongeurs et arthropodes
hématophages (moustiques, tiques, moucherons etc.) ; et invasion de l’habitat naturel par
des espèces animales telles que cochons, chèvres, rats, souris, chiens et chats. Ces
espèces deviennent des réservoirs de pathogènes, surtout dans les forêts perturbées et
fragmentées adjacentes aux habitats humains. La convergence d’hôtes et de réservoirs
humains et animaux et d’espèces vecteurs à l’intérieur des écosystèmes, de même que les
mouvements, les déplacements et les mélanges à travers le continuum d’écosystèmes,
affectent la dynamique hôte-pathogène de plusieurs manières et favorisent ainsi l’émergence
de maladies :
• les pathogènes ont plus de possibilités de changer d’hôte (notamment de s’adapter à
un nouvel hôte) ;
• la transmission est amplifiée et la possibilité d’une évolution plus rapide est accrue,
avec des cycles de transmission multiples et interdépendants ;
• le taux d’infection des pathogènes dépasse le seuil requis pour produire une
épidémie ou une maladie endémique, en raison des densités de population sans précédent
du vecteur, du réservoir et des populations humaines sensibles ;
• en évoluant, les agents pathogènes augmentent leur caractère pathogène et
infectieux et leur capacité à éviter d’être détectés par le système immunitaire, aussi les
possibilités d’interaction des cycles d’infection endémique et des souches pathogènes, ainsi
que la densité et la variabilité génétique des populations de pathogènes, sont-elles accrues.
Les taux de déforestation ont connu une croissance exponentielle depuis le début du
ème
20
siècle. La déforestation conduit à des contacts plus fréquents des populations
humaines avec des agents pathogènes forestiers auxquels elles n’avaient jamais été
exposées auparavant et à l’adaptation de ces agents. Bon nombre de ces maladies peuvent
être transmises entre hôtes primates non humains ou insectes vecteurs, et font intervenir
divers hôtes intermédiaires potentiels, y compris des animaux domestiques. De manière
inquiétante, après une première apparition locale, un certain nombre de ces maladies ont
démontré qu’elles pouvaient se propager à toute une région ou à toute la planète et devenir
une grave menace pour les humains et les populations animales domestiques et sauvages.
Les pathologies dont l'émergence est actuellement directement associée aux forêts
représentent environ 15 % des maladies infectieuses émergentes (MIE), dont le nombre est
estimé à 250. Quelques MIE actuellement non associées aux forêts sont nées d'un cycle
sylvatique mais se sont depuis échappées et ne se maintiennent que par transmission
d'homme à homme, ou suivant un cycle homme-vecteur-homme, indépendant des forêts.
Les principales MIE de cette catégorie sont le VIH et la dengue, qui se sont affranchis de
leurs cycles de transmission par le primate et ont fini par se propager à toute la planète, il y a
une vingtaine d'années dans le cas du VIH et il y a plusieurs siècles dans le cas de la
dengue.
La fragmentation des paysages et des habitats possède sa propre dynamique. Elle
altère la composition des espèces hôte et peut modifier considérablement l'écologie des
micro-organismes. La relation proie-prédateur est affectée, les prédateurs n'ayant plus une
offre alimentaire suffisante dans des patchs de taille réduite, conduisant à l'extinction locale
des prédateurs, et à une pullulation secondaire des proies. Ce mécanisme a été décrit pour
la leishmaniose cutanée et viscérale. Beaucoup de foyers de virus Ebola se sont déclarés
dans des zones situées en marge des forêts, où les populations humaines augmentent et
entrent en contact avec des pathogènes qui leur sont étrangers, notamment du fait de leur
proximité plus grande avec la faune sauvage. On en a déduit que des mécanismes associés
à des changements d’affectation des terres agricoles situées en bordure de forêts et à des
altérations de la faune naturelle pourraient entrer en jeu dans leur apparition. La
fragmentation des forêts en patchs conduit également à des effets de bord, bien documentés
par exemple pour la maladie de Lyme.
Un des effets secondaires de la déforestation concerne une maladie non infectieuse,
l'exposition au mercure. L'érosion de sols, auparavant forestiers, peut libérer des quantités
significatives de mercure dans les rivières, qui après méthylation et bioaccumulation dans les
poissons, conduits à des troubles cognitifs chez les populations autochtones.
Les migrations des populations et leurs réinstallations épisodiques, associées à la
construction de routes et à l’ouverture de nouveaux axes de transport, ainsi qu’au
défrichement et à la fragmentation des forêts, peuvent être considérées comme des facteurs
locaux ou régionaux de l’émergence de maladies. Ces changements peuvent avoir des
conséquences catastrophiques, surtout s’ils ne sont pas planifiés et s’ils résultent d’une
instabilité politique ou économique, voire d’un conflit armé. L’exemple le plus frappant est
celui du SIDA, qui est né dans la forêt tropicale et s’est étendu à toute une région en butte à
des changements de ce type et manquant d’infrastructures de santé publique, notamment de
systèmes de surveillance et de traitement des maladies.
La moitié de la surface terrestre est consacrée à l'agriculture. Sous sa forme intensive,
l’agriculture a augmenté les besoins en irrigation, limitant d'autant la ressource pour d'autres
usages, et augmentant les sites favorables au développement des vecteurs. Par exemple,
une augmentation de l'humidité du sol due au développement de l'irrigation après la
construction du barrage d'Assouan en Egypte s'est accompagnée de la croissance rapide du
moustique Culex pipiens et de l'incidence de la filaire de Bancroft. L'introduction de microbarrages a multiplié par 7 le risque de paludisme en Ethiopie. L'onchocercose et la
trypanosomiase constituent d'autres exemples de maladies parasitaires vectorielles pouvant
être stimulées par un changement de pratiques dans l'utilisation des sols et la gestion de
l'eau. De plus, l'utilisation à large échelle de pesticides, qui accompagne le développement
de l'irrigation, possède ses effets délétères propres (intoxication aiguë, perturbation
endocrinienne etc.).
A partir du moment où l'expansion de l'agriculture couvre les besoins locaux, les
produits alimentaires sont exportés vers d'autres régions, où ils peuvent poser un risque pour
la santé humaine. Tel a été le cas aux Etats-Unis pour les fraises du Mexique, les
framboises du Guatemala, les carottes du Pérou, et les noix de coco de Thaïlande.
Certaines maladies, comme la tuberculose, les hépatites A/B/C/E/G, la plupart des
maladies sexuellement transmissibles, les infections opportunistes de sujets
immunodéprimés (à cause du VIH, par exemple), et des infections toujours plus nombreuses
causées par des bactéries résistantes aux agents antimicrobiens, peuvent le plus souvent
être attribuées aux bouleversements sociaux et écologiques associés à l’urbanisation
effrénée des dernières décennies.
Maladies transmises par des vecteurs
Le virus responsable de la fièvre jaune se maintient dans un cycle de transmission
entre des singes arboricoles et des moustiques selvatiques. L’expansion des établissements
humains dans la forêt est une fréquente cause de poussées épidémiques. Ainsi, de 1992 à
1993, le premier foyer de fièvre jaune au Kenya s’est déclaré dans un village où les seules
personnes atteintes ont été celles qui récoltaient le bois de feu et l’eau, ou qui chassaient
éventuellement dans la forêt. Des épidémies beaucoup plus importantes se produisent
quand le cycle de transmission quitte le couvert forestier et s’étend à des zones périurbaines et urbaines où la densité beaucoup plus élevée d’hommes et de moustiques leur
permet de se développer considérablement. Leur aptitude à évoluer afin de s’adapter
rapidement permet aux virus de se transmettre facilement dans des cycles domestiques et
péri-domestiques.
La fièvre hémorragique de la dengue, causée par un type de virus de la dengue, est
très similaire à la fièvre jaune par son écologie, au moins jusqu’à présent. A l’origine maladie
selvatique, avec un ensemble similaire d’hôtes primates, de moustiques vecteurs et de niche
écologique, elle a acquis un cycle domestique il y a plusieurs siècles au moins. Elle est
récemment devenue l’une des maladies émergentes à diffusion la plus rapide du monde,
avec 50 millions à 100 millions de personnes infectées chaque année. On estime que la clé
du succès de l’agent pathogène de la dengue est son adaptation au moustique domestique
Aedes aegypti, qui lui a permis de devenir endémique dans un nombre croissant de villes et
de zones péri-urbaines environnantes, en particulier en Asie et en Amérique latine.
Le paludisme est une maladie beaucoup plus ancienne responsable d’un bien plus
grand nombre de décès et de handicaps que toute autre maladie infectieuse (300 millions à
500 millions de cas par an, et jusqu’à 2,7 millions de décès). Dans de nombreuses régions,
elle est transmise par des moustiques des forêts. D’après des recherches récentes,
l’incidence accrue de la maladie dans certaines régions d’Afrique, d’Amérique du Sud et
d’Asie du Sud-Est serait liée à la déforestation. La construction de routes, l’abattage
d’arbres, la réduction de l’ombre et l’accroissement du stockage de l’eau ont favorisé la
reproduction et un développement plus rapide des larves de moustiques. Autre fait
préoccupant, une forme de paludisme auparavant détectée chez des primates non humains
a récemment été découverte chez l’homme en Asie du Sud-Est.
Maladies d'origine hydrique
Leur transmission (aussi bien entre animaux hôtes que vers l’homme) est facilitée par
l’altération de la qualité et des régimes des eaux de surface, qui peut être liée à la
déforestation des montagnes et à une gestion inappropriée des bassins versants
(surpâturage, élimination des forêts riveraines, canalisation des cours d’eau). Les épidémies
de choléra et de leptospirose surviennent fréquemment quand un grand nombre de
personnes ont été exposées à des agents pathogènes provenant du sol et des sédiments ou
en suspension dans les eaux de crue.
Les pathogènes d’origine hydrique comprennent les virus entériques rotavirus et
norovirus et les bactéries Campylobacter spp. et Vibrio cholerae, qui provoquent des millions
de décès chaque année, en particulier parmi les nourrissons. La bactérie Vibrio cholerae, qui
vit en symbiose avec des crustacés marins et d’estuaire, est responsable de 1 à 2 millions
de cas de choléra chaque année selon les estimations. Tous ces pathogènes sont présents
aussi bien à l’intérieur des terres que dans les eaux côtières de surface, en particulier (mais
pas uniquement) dans l’eau contaminée par des excréments humains ou animaux.
Les autres MIE généralisées qui sont transmises par l’eau impliquent des protozoaires
appartenant aux genres Cryptosporidium et Giardia qui, avec Campylobacter spp., sont
maintenus par les ongulés sauvages. Avec la leptospirose, l’une des MIE zoonotiques les
plus répandues du monde (pouvant avoir pour hôtes naturels ou accidentels pratiquement
toutes les espèces de mammifères), ces pathogènes sont souvent associés à des bassins
versants boisés écologiquement perturbés, abritant des populations denses de cochons et
de rats. Des épidémies de leptospirose se sont déclarées avec une fréquence accrue dans
le monde, dans des zones rurales et urbaines exposées aux inondations et ayant des
infrastructures de drainage et d’assainissement insuffisantes, conditions assez typiques de
tous les environnements urbains, péri-urbains et ruraux pauvres des régions développées et
en développement.
Maladies liées aux modifications du paysage
Le rôle des paysages dans l’émergence de maladies infectieuses humaines semble
impliquer trois dynamiques distinctes mais interdépendantes :
- le changement d’affectation des terres et l’expansion des populations humaines à
l’intérieur des zones forestières, qui ont pour effet d’exposer des populations humaines et
des populations d’animaux domestiques immunologiquement naïves (c’est-à-dire n’ayant
jamais été en contact avec la faune microparasite) à des pathogènes naturellement présents
dans la faune et la flore sauvages ;
- le défrichement et la perturbation des forêts, qui accroissent la quantité ou favorisent
la dispersion des pathogènes, influant ainsi sur l’abondance et la distribution des hôtes et
des vecteurs ;
- l’altération de fonctions éco-hydrologiques telles que l’infiltration, le débit de pointe et
le ruissellement, qui facilite la survie et le transport de pathogènes d’origine hydrique dans
les bassins versants.
Ces changements sont souvent liés au défrichement des forêts et au développement
des habitats de lisière qui s’accompagnent d’un morcellement du paysage forestier et d’une
perturbation de la structure verticale et de la diversité au sein des peuplements forestiers.
L’accroissement de la densité de certains hôtes et vecteurs de pathogènes étend en effet
l’habitat de ces derniers et augmente la prévalence de l’infection chez les hôtes.
L’augmentation du nombre d’hôtes et/ou de vecteurs et de leur taux d’infection a pour effet
d’accroître non seulement la fréquence de leurs contacts avec les hommes mais aussi la
probabilité que l’hôte ou le vecteur soit infectieux. Elle permet surtout à l’agent pathogène de
persister indéfiniment et à la maladie de devenir endémique.
L’un des exemples les mieux documentés de ce processus est celui de la maladie de
Lyme, une MIE causée par une bactérie spirochète des zones tempérées du genre Borrellia,
transmise par les tiques. L’écologie de son émergence dans le nord-est des Etats-Unis a fait
l’objet d’études approfondies, qui ont permis de comprendre ce qu’elle implique sur le rôle de
la gestion des forêts dans la maladie en général. La maladie de Lyme comprend un cycle
sylvatique complexe dans lequel le vecteur donne la préférence à différentes espèces
d’animaux hôtes durant les divers stades de son cycle vital. L’abondance du pathogène
semble être essentiellement fonction de l’abondance de deux espèces animales qui
prolifèrent dans les paysages forestiers morcelés, à savoir la souris à pattes blanches, qui
fait office de «super propagateur», et le cerf de Virginie, hôte optimal pour les tiques adultes.
Ces espèces sont adaptées aux lisières des forêts et elles ont moins de prédateurs dans ces
paysages que dans des blocs de forêts d’un seul tenant. En outre, la communauté de
vertébrés est moins diversifiée dans les forêts fragmentées, de sorte que les taux de
transmission du pathogène sont dans l’ensemble plus élevés, les souris à pattes blanches
étant parmi les hôtes vertébrés à partir desquels se dissémine le mieux ce microorganisme.
Les maladies infectieuses émergentes sont aujourd’hui considérées comme des défis
majeurs pour la science, la santé et le développement humain. Les changements rapides
associés à la mondialisation, en particulier le développement des services de transport,
mêlent les populations, les animaux domestiques, la faune et la flore sauvages à leurs
parasites et à leurs agents pathogènes, à une fréquence et selon des combinaisons sans
précédent.
L'artificialisation croissante de la planète est un fait patent. L'artificialisation des
systèmes écologiques va bien sûr de pair avec la croissance démographique et le
développement des sociétés humaines, qui sont eux-mêmes conditionnés par les avancées
technologiques. De très nombreux exemples montrent l'existence d'un lien entre densité
humaine et artificialisation : contamination des eaux de boissons par l'arsenic liée à la
surexploitation de la ressource en eau dans le sous-continent indien, pollution
atmosphérique globale, eutrophisation des cours d'eaux… L'anthropisation des systèmes
écologiques n'est pas un phénomène nouveau, mais une accélération sans précédent est
observée depuis peu sous l'effet de la croissance exponentielle des pressions anthropiques.
Les conséquences des processus temporels et spatiaux d’artificialisation du monde
vivant affectent aujourd’hui une part très importante – et croissante – des occupants de cette
planète. Le décryptage de ces mécanismes complexes implique nécessairement une
démarche réellement pluri-disciplinaire associant Sciences de la terre, Ecologie, Biologie,
Paléobiologie, Climatologie, Géographie, Agronomie, Archéologie, Histoire, Sociologie,
Economie, Santé publique… véritable confrontation des concepts et partage des savoir-faire.
Ce que nous pouvons aujourd’hui observer dans la nature représente un héritage
formidable produit par le temps et par la capitalisation des expériences dans la durée. Ce
constat, outre son intérêt scientifique propre, a des répercussions majeures sur notre
manière d’appréhender le monde, sur la place que nous y occupons en tant qu’espèce et sur
le devenir de nos structures sociales. La notion de développement durable, associée à celle
du droit des générations futures à disposer d’un environnement préservé, trouve sa pleine
signification lorsqu’elle est mise en perspective avec l’histoire des écosystèmes. Les enjeux
des politiques environnementales à l’échelle locale, régionale ou globale ne sont alors pas
liés qu’à de simples effets de mode, de surmédiatisation ou d’opportunisme politique. Le
capital biologique et environnemental a été constitué dans la durée : notre responsabilité
collective est de ne pas le dilapider de manière inconsidérée ou irréversible.
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