C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 FLORENT GABARRONGARCIA Psychanalyste Chargé de cours en psychopathologie à Paris VII 15:04 Page 123 CRITIQUE ÉPISTÉMOLOGIQUE DE LA PRÉSENTATION DE MALADES, OU CLINIQUE D’UNE PRATIQUE DE LA FORCLUSION « La psychanalyse, c’est comme la révolution russe, on ne sait pas quand ça commence à mal tourner. Il faut toujours remonter plus haut. Avec les Américains ? avec la première Internationale ? avec le Comité secret ? avec les premières ruptures qui marquent des renoncements de Freud autant que des trahisons de ceux qui rompent avec lui ? avec Freud luimême, dès la découverte d’oedipe ? Oedipe c’est le tournant idéaliste. » 1 « Nous disons qu’il faut faire exactement l’inverse (de ce que fait la psychanalyse aujourd’hui), c’est-à-dire partir des véritables énoncés individuels, donner aux gens des conditions matérielles, de la production de leurs énoncés individuels, pour découvrir les agencements collectifs qui les produisent. » 2 Malheureusement, il ne semble guère que la psychanalyse ait tenu compte de cette proposition, ni même y ait seulement prêté son 123 C L I N I Q U E C’est bien pour renouer avec « l’inventivité première de la psychanalyse » que le problème de la schizo-analyse fut formulé. À un moment donné l’interprétation analytique semble devenir aveugle à la micropolitique qui, pour une part essentielle, la rend possible, lui donne son efficacité, et la constitue. C’est la raison pour laquelle peu après la parution de l’anti-œdipe, Deleuze faisait cinq propositions à la psychanalyse suivant le « modèle » de la psychothérapie institutionnelle, pour produire une « réversion interne » de la pratique analytique : C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 124 Florent Gabarron-Garcia oreille. C’est de l’actualité de cet aveuglement au principe de son pouvoir, pour parler comme Castel, que nous rendrons compte dans le présent article3. À partir de quand les théories psy commencent-elles à procéder selon un subtil décollement du champ matériel et social qu’elles constituent et dont elles dépendent indissociablement ? Pourquoi, et à partir de quand, le dispositif analytique peut-il induire des effets de réification du sujet ? Il est en effet une pratique qui perdure et qui peut illustrer ces hypothèses toujours actuelles : celle de la présentation de malade. Le consensus des analystes autour de cette dernière est symptomatique du déni dont nous parlons. Ce dispositif hérité du XIXe siècle ne fait l’objet, pour eux, d’aucune problématisation autre que celle de la légitimation permanente qui confine à la rengaine4. C’est pour remédier à cette absence que nous souhaitons contribuer à une « épistémologie de la présentation ». Cette dernière n’épuise pas les problèmes généraux que nous avons soulevés qui portent sur la nature de la psychanalyse et sa possible tâche à venir. Cependant elle permet de leur donner en partie consistance, de commencer en quelque sorte par un bout et de poursuivre l’investigation schizo-analytique. La question ici pourrait être la suivante : comment une question de Lacan sur la psychose (en l’occurrence « la question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » 5) devient-elle, dans la pratique, une réponse qui vient rendre impossible tout traitement de la psychose ? Comment et quand les inventions révolutionnaires de la psychanalyse commencent-elles par mal tourner cliniquement, c’està-dire empêcher tout traitement et participer à la fermeture de l’inconscient ? À partir de quand le savoir sur l’inconscient promu par la psychanalyse devient-il positivement un forçage de l’inconscient du sujet ? Clinique de la présentation de malade Nous sommes le 11 février 2006, dans un hôpital de banlieue parisienne, il fait gris, c’est l’hiver. Une présentation de malade va avoir lieu en ce début d’après-midi en présence d’un psychiatre chef de service, qui est, par ailleurs, un psychanalyste reconnu, et d’un psycha124 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 125 nalyste, qui est par ailleurs agrégé de philosophie, et qui lui aussi est tout autant reconnu. Je marche dans une allée qui longe l’immense bâtiment du XIXe siècle qui n’en finit pas de s’étirer. Batiment J, pavillon Morel, couloir H, salle 240, 3e étage : tel est le lieu du rendez-vous hebdomadaire. Dehors, il n’y a personne, pas un bruit, pas une âme qui vive, je ne croise aucun humain, même à l’entrée de l’hôpital le baraquement du gardien est vide. J’arrive enfin au pied du bâtiment J. Une petite assemblée se tient là, un quart d’heure avant l’heure du rendez-vous. On fume une dernière cigarette en discutant du dernier séminaire, on s’observe en parlant poliment. Il y a des gens de tous âges, et de plusieurs milieux professionnels. On se connaît un peu, on fréquente les mêmes lieux, on lit les mêmes livres, on parle le même langage avec le même sérieux. On est du même monde, du bon monde. En tout cas, on est du bon côté du monde : celui qui n’appartient pas à la folie. On vient voir les fous : on nous a dit qu’on « allait nous enseigner », nous qui ne connaissons pas les fous. C’est à ça que ça sert les « présentations cliniques », ça sert à « transmettre ». On nous a dit que Lacan lui-même l’avait dit. Si c’est Lacan qui l’a dit… alors… L’heure tourne, il est temps de monter à l’étage et de s’installer. Il faut en effet arriver avant le patient, il faut installer les chaises. Ce n’est pas grand-chose pourtant : il s’agit en fait de les agencer selon un ordonnancement… qui va de soi. Il y a d’abord : les chaises pour nous (les étudiants de tous les âges et de toutes les professions) puis, deux chaises excentrées sur notre droite et qui nous font face (celle des psy), et, enfin, en position centrale (bien en face de nous cette fois-ci) une chaise isolée (celle du patient). L’ordre d’arrivée est généralement le suivant : d’abord les étudiants, qui installent la salle, puis les psychanalystes, et enfin le patient que l’on fera entrer lorsque tout le monde sera prêt. Nous sommes installés et nous attendons silencieusement. Au bout de quelques minutes les psy arrivent. On nous présente succinctement le « cas » qu’il va s’agir de « construire » ensemble, « si nous voulons bien ». C’est Michaël aujourd’hui que l’on accueille. Le psychiatre-psychanalyste nous délivre les « informations dont il dispose » : 125 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 126 Florent Gabarron-Garcia Le psychiatre : « Michaël est un homme d’une trentaine d’année. Arrivé récemment dans le service, il n’a pas de passé psychiatrique « à son actif », c’est la première fois qu’il est interné. En effet, Michaël est persuadé que la mairie voulait fermer volontairement le club de sport où il travaille depuis plusieurs années comme entraîneur de Basket. Il s’est donc mis à « harceler » de courriers la mairie en les menaçant de mort et de « les faire sauter ». Ses courriers étant sans réponse, et le club ayant mis la clef sous la porte, les choses se gâtent, lorsqu’il interpelle le maire, et qu’il l’attrape par le col, pour lui demander des comptes. À la suite de cela, contraint d’arrêter ses activités, il s’ensuit un épisode dépressif, où Michaël se replie chez lui. On peut noter que Michaël « n’a en fait jamais vraiment travaillé, puisqu’il n’était animateur qu’à temps partiel dans ce club. De plus il n’a jamais connu son père. » Enfin, c’est sur sa « demande » qu’il a été interné depuis deux semaines, et c’est aussi à sa « demande » qu’il passe devant nous, nous explique-t-on. Après, cette brève présentation, les psy demandent le plus grand silence et la plus grande attention de notre part : il n’est pas question qu’il y ait du bruit comme la dernière fois. Il est d’usage en effet que nous n’intervenions pas : nous « sommes les secrétaires de l’aliéné » ; et effectivement, chaque personne de l’assemblée silencieuse est armée d’un stylo et d’un papier afin de recueillir le plus d’informations possible sur l’entretien qui va avoir lieu, et plus particulièrement sur ce que dira le patient. Le psychiatre-chef compose un numéro sur un téléphone de l’hôpital et, quelques instants après, un grand jeune homme, accompagné d’un infirmier, entre dans la salle par la porte de devant. L’infirmier, sans dire mot, repart aussi sec, et referme la porte derrière lui. Le psy invite Michaël à s’asseoir sur la chaise centrale qui lui est destinée. Michaël nous regarde puis regarde la chaise, semble étonné du dispositif… Le psy le réinvite à s’asseoir, et finalement Michaël obtempère… Un frémissement de soulagement parcourt la salle, l’entretien peut commencer. Il n’est pas coutumier que les patients marquent un tel temps d’arrêt lorsqu’ils entrent. Le psy demande (sur un ton étrangement neutre) : « Alors, qu’est-ce qui vous amène ? » 126 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 127 Michaël répond sur un ton malicieux, et donne des signes évidents de la conscience de notre présence : « Et bien, ce serait peut-être à vous de me dire pourquoi je suis là ! » La salle frémit de nouveau. Normalement, les choses ne se passent pas ainsi… Le psy lui-même semble décontenancé, un léger malaise s’installe. Puis le psy se reprend presque aussitôt, et lui dit immédiatement sur un ton affecté et grave : « Et bien, je n’en sais rien et c’est bien pour cela que vous êtes là… pour que l’on voie ensemble ce qui vous a amené à être ici. » Michaël répond alors tout de go : « Mais, c’est vous qui m’avez dit de venir ici, en me disant que ça pouvait m’aider pour savoir ce que j’avais ! donc j’attends que vous me disiez ce que j’ai ! » Puis, se tournant vers la salle, sur un ton amusé : « En plus, vous avez l’air assez nombreux ! Y a plein de spécialistes, on dirait ! » Il sourit. Personnellement je ne peux m’empêcher d’avoir de la sympathie pour Michaël qui, par son humour, met à jour le dispositif dans lequel on l’a placé. Mais mon sentiment ne semble pas partagé. Au contraire, le malaise grandit dans la salle à mesure que le psychanalyste et le « semblant institutionnel » dont il se soutient est révélé. Le psy reprend la parole sur un ton agacé et légèrement autoritaire : P. : « Regardez-moi, et laissez-les tranquilles ! » Il fait un geste de la main dans notre direction, comme pour nous éloigner, puis il dit : P. : « Ce n’est pas la question du nombre qui compte, mais ce que vous, vous avez à me dire à propos de ce que vous pensez qu’il vous est arrivé ! » Il insiste sur le « vous » en laissant traîner sa voix. Pendant ce temps, l’autre psy ne dit rien : il observe, quelque peu médusé. Il est vrai qu’un patient qui parle et qui fait preuve de recul critique et d’esprit en nous prenant à partie cela n’arrive normalement jamais dans les présentations cliniques. Généralement, les patients des présentations font preuve de davantage de docilité et viennent prendre la place qu’on leur a attribuée sans protester. C’est que, le plus souvent, ils sont complètement délirants ou complètement abattus, du moins, d’après l’expérience d’un an et demi que j’en ai. 127 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 128 Florent Gabarron-Garcia La situation me semble quant à moi d’autant plus intéressante que Michaël, par son attitude et sa parole, dévoile la position dans laquelle, nous les étudiants, nous sommes toujours. En se mettant en scène sur le mode d’une sympathique dérision, ne dévoile-t-il pas l’éternelle position des étudiants dans les présentations cliniques qui est fondamentalement celle d’un « public » ? Mais quelle est la nature de ce public ? Qu’est-ce qu’il vient voir ? Et s’il est un public, c’est un public pour qui ? Finalement, ce malaise irrépressible qui grandit, n’est-il pas proportionnel à la crainte de la déception d’une attente ? Normalement, nous sommes là pour « être enseignés ». Mais être enseignés par qui ? Par le fou, ou par le psychanalyste ? Au fond, Michaël, par l’humour qu’il déploie et qui nous fait signe, met à découvert l’ordonnancement dans lequel on l’a placé : il arrive encore à sourire de la duperie dans laquelle on l’a pris, et il nous la signifie. Nous devenons le public de Michaël, nous ne sommes plus celui du psychanalyste. C’est à ce secret éventé, à ce dévoilement, que le psy tente immédiatement de remédier, en (ré) attirant l’attention, de manière presque caricaturale, sur sa personne. Mais ce que ne sait pas Michaël c’est que le « public » ne peut être que celui du psychanalyste : c’est lui qu’on est venu voir, pas Michaël. Ou plus exactement comment il va s’y prendre avec Michaël. Michaël finit effectivement par nous délaisser et, après, un léger temps de pose : « Et bien je vous l’ai déjà dit ! j’étais entraîneur de basket, et la mairie a fermé le lieu où je travaillais, et ça m’a effondré ! pourquoi voulez-vous que je le répète ? » P. (agacé et autoritaire) : « Parce qu’il faut que nous reprenions ensemble votre histoire pour voir comment les choses se sont passées ! » Pendant les débuts de cet entretien, Michaël fera preuve d’une certaine « résistance » qui me semble salutaire, bien que, on le verra, celle-ci sera finalement interprétée d’une toute autre manière. En fin de compte, non sans un certain acharnement, le psy, à force d’explications, qui oscillent du ton conciliant au ton intimidant, semble « gagner » sur les résistances de « son cas ». Michaël finit par se « laisse aller à parler ». Peu à peu, il oublie notre présence et évoque 128 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 129 des souvenirs, dont l’un fera l’objet d’une attention toute particulière. M. plongé dans ses souvenirs: « Je me souviens un jour, j’étais au parc avec ma mère et il y avait mon oncle ». P. sur un ton inimitable et un peu lancinant : « Oui… et que faisiezvous dans ce parc ? » M., toujours dans sa rêverie : « Je jouais auprès d’un arbre, quand je me suis retourné, j’ai vu que ma mère tenait mon oncle par le bras… » P. sur un ton doux et grave : « oui, et qu’est-ce que ça vous a fait ? » Michaël semble se réveiller : « et bien rien, qu’est-ce que vous insinuez ? j’aimais mon oncle ! » P. sur le même ton grave que précédemment : « pourquoi vous dites que vous aimiez votre oncle ? vous l’aimiez comment ? » M. commence à s’énerver : « Ca n’a strictement rien à voir ! je ne vois pas où vous voulez en venir ! » P. plus conciliant : « Ce n’est pas grave, parlons d’autre chose si cela est trop douloureux… » M. : « Mais je comprends pas pourquoi vous me dites ça ! ça a rapport à mon père que j’ai pas connu ? » P. : « Moi je sais pas, mais en tout cas c’est vous qui l’avez dit. Parlezmoi de votre oncle… » M. : « Mon oncle était un homme charmant… » P. : « Ah oui ? comment était-il charmant ? » M. : « Et bien, je sais pas moi. Il jouait avec moi, il me prenait dans ses bras… » Le psychanalyste l’interrompt : «… comme il prenait le bras de votre mère ? » M. à nouveau agacé : « Où est-ce que vous voulez en venir à la fin ? » P. : « Je vous l’ai déjà dit, on peut parler d’autres choses si c’est trop douloureux ! » 129 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 130 Florent Gabarron-Garcia M. : « C’est pas là la question ! mon oncle est un type sympa ! » P. : « Et il vous prenait dans ses bras… ce que vous aimiez n’est-ce pas ? » M., visiblement de plus en plus stressé : « Oui je vous l’ai déjà dit ! » P., sur un ton affecté : « Il vaut mieux que nous parlions d’autres choses… » Au bout d’une heure et demie d’une présentation clinique que l’on peut voir fort sinueuse, parfois échevelée, mais finalement menée de manière assez méthodique, Michaël est invité à sortir. Il semble épuisé et, à la fin, il n’a même plus les ressources de l’humour. Il n’a plus de défenses et avant d’achever l’entretien, il témoigne de son inquiétude qui grandit sans cesse et qu’il nous livre « tout à trac »: est-il fou? demande-t-il au psychiatre avec insistance et en sollicitant l’assemblée (mais, cette fois, de manière quasi-imperceptible); question que le psychiatre, non sans une certaine cruauté, laissera sans réponse. Au contraire, par mille subterfuges rhétoriques, il s’appliquera soigneusement à ne pas répondre. Il sera en effet diagnostiqué psychotique. « Construire le cas ». Michaël est maintenant sorti: on ne le reverra plus jamais (et son psychiatre officiel à peine davantage : il n’y aura pas de « suivi thérapeutique »). La salle est soulagée, une connivence s’installe : Michaël « a mis à rude épreuve tout le monde » constate le psychanalyste qui a mené l’entretien. « Quel patient rétif ! » « Heureusement » que généralement « ça fonctionne mieux » et que « tous les patients ne sont pas comme celui-là ! ». Mais que peuvent indiquer ces remarques ? Quelle est la nature véritable de « l’épreuve » que nous « avons subie » ? Est-ce vraiment l’épreuve de la folie de Michaël ? Que peut bien indiquer cette bruyante unanimité à ce propos ? Les étudiants ont pris des notes et reviennent sur certains moments de l’entretien. C’est l’heure des interprétations, et elles vont bon train. Le peu que l’on sait sur la vie de Michaël est rapporté à l’espace de la présentation clinique pour venir étayer une sombre et méthodique sémiologie. La résistance de Michaël est d’emblée interprétée comme relevant de la paranoïa : cela ne fait aucun doute. C’est ainsi que son humour, 130 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 131 qui, de toute évidence, relevait d’une saine défense, sa prise à partie des étudiants, et les enjeux de groupe qu’il avait mis habilement à jour sont interprétés comme des signes de la psychose… non sans, toutefois, quelques traits hystériques : « le fait de vouloir être vu, de se retrouver dans la position narcissique du fils unique, qui accaparerait toute l’attention de la mère ». Les choses correspondent ! On argumente : « De la même manière que Michaël soupçonne le psychiatre d’on ne sait quoi, n’avait-il pas accusé la mairie d’avoir voulu volontairement fermé son club de basket ? Michaël est violent ». Je suis horrifié et je me tais. Cet entretien recelait certes de la violence, mais était-ce bien celle de Michaël ? La violence n’était-elle pas d’abord celle de notre groupe à son égard ? La violence n’était-elle pas plutôt dans l’insistance du psy à poser certaines questions (équivalentes à d’incessantes suggestions), afin que, in fine, nous puissions « construire son cas » conformément à la théorie ? Mais, une fois encore, je n’ai pas le temps, ni l’espace psychique, pour élaborer alors ces questions, j’assiste impuissant à la « construction du cas ». Les explications se raffinent : les « dénégations permanentes » de Michaël, « alors que le psychanalyste l’invitait sans cesse à parler » lors de l’épisode du parc, « atteste bien sa difficulté à symboliser l’absence du père ». Alors que Michaël n’a fait que signifier son désaccord ou son incompréhension face aux suggestions de l’analyste et aux dispositifs dans lesquels il était placé, ces résistances sont interprétées de manière systématisée. Que dire, là encore, sinon que l’on n’est pas loin de pouvoir réactualiser ici la critique de Popper, qui pourtant n’est pas des plus fines, et que Freud dans « Construction pour l’analyse » avait lui-même résumée : « Pile je gagne, face tu perds » 6. Or si Freud prit le temps de discuter l’argument, on constate cependant qu’il est toujours actif dans les interprétations des présentations cliniques. Celles-ci, on le sait, sont un héritage de la psychiatrie du XIXe siècle. Et si on donne la parole au fou davantage que ce que Pinel et les anciens aliénistes ne l’auraient fait, on peut se demander quel usage on fait de cette parole ? L’assemblée silencieuse n’en est pas moins active : elle écoute, note et observe dans le plus grand sérieux et avec plus grande attention la parole, les faits et gestes du patient et, plus « subconsciem- 131 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 132 Florent Gabarron-Garcia ment », celle du médecin-psy. Elle aura de ce fait une fonction de « super script » qui, redoublant « l’écoute » du médecin psychanalyste, redoublera aussi bien incidemment sa place d’autorité. Finalement, derrière les signes d’un apparent progrès, la violence aujourd’hui ne s’est-elle pas dédoublée ? La présentation clinique « dans sa version psychanalytique » ne dépasse-t-elle pas la discipline des dispositifs de Bentham ? L’activité incessante et massive des protagonistes envers le patient ne relève-t-elle pas en effet d’un « superpanoptisme », qui dépasse de loin en contrainte l’espace des disciplines décrites par Foucault 7 ? Certes l’espace de la présentation clinique est en quelque sorte inverse à celui de Bentham, où c’est le sujet qui se retrouve au centre d’une tour et qui peut voir sans être vu et, ainsi, surveiller en permanence. Ici c’est le sujet qui se retrouve au centre d’un dispositif constitué de chaises et qui se retrouve, vu par tous, observé, surveillé par tous, dans ses moindres faits, gestes, et mots qu’on lui demande pour l’occasion de produire. Mais quel peut-être l’effet d’un tel dispositif sur le sujet qui le subit ? quels peuvent être les effets des suggestions incessantes du psy ? Et finalement, à quelles fins est ici détourné le transfert ? Une attention et une analyse des inflexions, des scansions, des regards subreptices, des silences et finalement des interprétations délivrées lorsque le « malade » est là, puis parti, est à ce titre exemplaire. Ce que vise en réalité cette opération, c’est de produire le consentement actif du patient par le travail au corps de sa parole par où se construit son cas et se légitime l’idée de sa maladie. Mais, une fois de plus, je n’ai pas le temps d’élaborer. Bientôt, le couperet tombe : c’est bien « l’échec de la métaphore paternelle à laquelle on a affaire », conclut-on avec une étonnante assurance, chacun y allant de sa petite interprétation pour confirmer le diagnostic psychotique. Dès lors les choses se précipitent : « l’interpellation du maire » devient un « acting out » et la « mairie qui ferme volontairement son club », ou le « soupçon porté sur le psychanalyste » c’est bien « l’expression hallucinée d’un retour dans le réel », de quelque chose « qui ne peut pas s’écrire », c’est la « forclusion ». Avec l’argument des résistances inconscientes hier, et aujourd’hui encore « l’échec de la métaphore paternelle », le psychanalyste gagne 132 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 133 toujours à tous les coups. Mais est-ce bien Michaël qui est forclos ? ou ne faudrait-il pas renverser la question et se demander, si ce n’est pas bien plutôt le dispositif de la présentation clinique qui est forclos ? À ce propos me vient une question : pourquoi n’y a-t-il pas d’épistémologie de la présentation clinique ? S’agit-il d’un impensé ? Et, si tel est le cas quelle peut-être la fonction de cet impensé ? Autant de questions que je pressens sans pouvoir encore formuler à ce moment. De toute façon, les psy et les étudiants cherchent manifestement à recomposer et à renforcer la logique groupale dont ils se soutiennent et que Michaël a pu mettre à mal un instant. Le savoir analytique vient refermer les brèches que l’entretien avait pu vaguement ouvrir. Au fil des minutes l’interprétation s’accélère et gagne en précision : « Vous avez vu, dit, le psychiatre, j’ai essayé de lui signifier l’ambiguïté par rapport à son oncle, afin de dégonfler son délire, mais enfin c’était proprement impossible » : c’est la « castration impossible ». Enfin, un étudiant, certainement inspiré par la dernière remarque du « maître » semble même vouloir aller plus loin : « les deux séries de déclarations sur son père et son oncle », si « on les couple » indiquent certainement une « homosexualité refoulée », une « mortelle prise au piège du miroir narcissique ». Tout le monde approuve dans la salle. D’ailleurs son incapacité à trouver un « véritable travail » ne démontre-t-elle pas sa « fondamentale impuissance » ? Michaël ne « peut désirer » car il ne connaît pas « la loi ». Et, d’ailleurs « sait-on, si mise à part cette douteuse relation privilégiée avec sa mère, s’il a une compagne ? » Non, « il n’en a vraisemblablement pas ». Le silence de l’assemblée est lourd d’une approbation bien signifiante. Psychanalyse et idéologie de la forclusion : l’échec du symbolique c’est l’échec de la psychanalyse. C’est ainsi que peu à peu se dégage un portrait de Michaël, où l’on retrouve les principaux signifiants théoriques psychanalytiques systématisés dans une méticuleuse axiomatique de la forclusion, car c’est bien ainsi que se « construisent » les cas dans les présentations cliniques, comme j’ai pu le voir pendant un an et demi. Mais n’est-ce pas aussi de cette manière que les véritables opérations psychiques demeurent voilées et que la violence de l’économie libidinale en jeu 133 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 134 Florent Gabarron-Garcia demeure dans l’ombre ? Une chose est incontestable : à la fin de la séance, Michaël est très agité, visiblement persuadé d’être fou, bien plus mal que lorsqu’il était arrivé, tandis qu’à la fin de l’assemblée les gens sont rassérénés, souriants. L’identité imaginaire des dépositaires du savoir qui appartient à la noble assemblée est renforcée, et dans le même temps on aura contribué, au nom de la psychanalyse, à chroniciser un peu plus le malade. N’est-ce pas l’implacable constat que l’on doit tirer de la présentation clinique ? À ce moment-là, je n’en suis pas à ce degré d’élaboration. La discussion s’avère impossible avec mes « collègues » et menace de devenir houleuse. Je sens bien que mes questions sont déplacées. Ces derniers ne trouvant rien d’anormal à la situation, sinon la folie de Michaël. Intérieurement, je me dis que je n’irai plus aux présentations cliniques et qu’il est grand temps que je quitte définitivement cette « école analytique ». Comment d’ailleurs ai-je pu la fréquenter si longtemps ? Ce n’est que bien plus tard que je commencerai à penser véritablement le problème cliniquement et théoriquement. Fort de mes lectures et de mon expérience en psychothérapie institutionnelle à La borde avec les psychotiques, je m’autorisais à poser la question : comment en est-on arrivé là ? Comment, au nom de psychanalyse, en arrive-t-on à un tel nihilisme thérapeutique ? Si, comme le soutenait Bonnafé, on reconnaît le niveau politique d’une société à la manière dont elle s’occupe de ses fous8, et donc à la lumière de sa clinique, que peut indiquer un tel nihilisme théorico-clinique ? Tout d’abord comment rendre compte que ceux qui pratiquent les présentations cliniques ne s’interrogent pas sur les effets que de tels dispositifs peuvent induire sur les patients ? Est-ce exagéré de dire littéralement qu’ils ne « pensent » pas leur pratique ? Pourquoi, en effet, ne prennent-ils pas en considération les ressorts et les contenus matériels, c’est-à-dire les conditions de possibilité, dont se soutient leur pratique ? Ce dispositif hérité du XIXe siècle ne fait l’objet, pour eux, d’aucune problématisation. À cet égard, il n’existe aucune « épistémologie de la présentation clinique », ce qui est exemplaire. Mais c’est peut-être que, plus profondément, il ne s’agit pas d’un oubli mais d’un refus ou d’un déni théorique. En effet, pourquoi 134 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 135 l’interprétation qu’ils délivrent et l’analyse qu’ils produisent consistet-elle à faire comme si un tel dispositif ne participait pas de la situation clinique et n’induisait pas comme tel, des effets, ou comme s’il ne contribuait pas à en produire ? C’est qu’au fond l’interprétation ou la construction du cas consiste précisément en une dénégation de la présentation clinique comme « dispositif » : il s’agit, dans le discours analytique ainsi construit, de faire comme si ce dispositif n’existait pas, c’est-à-dire de faire « comme s’il » permettait d’avoir affaire à la « parole du patient », de faire « comme si » on avait accès à l’inconscient. En d’autres termes, ce déni théorique a assurément de graves conséquences cliniques puisqu’il vient recouvrir une fonction qui tente de se masquer comme telle et qui refuse de dire son nom. Le discours analytique s’élève à partir d’une imposture : il tente de faire prendre pour argent comptant des découvertes sur la vérité du sujet alors qu’il avait déjà prévu, en vérité, de les lui faire dire. Et c’est précisément la tâche de ce dispositif que de les produire, non pas tant pour « traiter le sujet », que pour venir essentiellement confirmer dans la pratique ce que la théorie affirmait déjà. Mais n’estce pas ainsi que sont renforcés les liens imaginaires du groupe et l’exercice de son pouvoir et de son savoir ? Comme nous l’avons dit, suite à cette présentation, il n’y aura pas de suivi thérapeutique pour Michaël, mais il nous faut progresser et faire un douloureux constat supplémentaire de ce nihilisme clinico-théorique. Si les présentations cliniques, généralement, « fonctionnent mieux » qu’avec Michaël comme le disaient les participants et les psy, n’est-ce pas parce que le « patient lambda » (contrairement à Michaël qui venait d’être interné) a déjà une histoire psychiatrique lourde et qu’il est, de ce fait, davantage et « idéalement » chronicisé ? Le schizophrène chronicisé de l’hôpital, voilà le sujet idéal pour une présentation clinique, voilà celui qui permettra le mieux de justifier la théorie analytique de la forclusion. On comptera sur sa docilité (généralement acquise) pour ne pas mettre le psychanalyste en difficulté, pour ne pas le mettre à la question, pour ne pas venir déranger et questionner l’impensé refoulé de ses Institutions qui lui permet de se soutenir. À l’évidence, s’il n’y a pas de suivi thérapeutique suite aux présentations cliniques, c’est bien que ce n’est pas leur fonction d’être thérapeutique, et que leur « cause » n’est pas, à l’évidence, celle 135 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 136 Florent Gabarron-Garcia du malade. Car, si le malade est là, si on l’a convoqué, c’est pour qu’au contraire il vienne se plier et se conformer aux injonctions du Savoir de l’analyste dont les étudiants viendront admirer le déploiement méthodique, participant silencieusement puis activement à cette axiomatique infernale que constitue le catéchèse de la présentation clinique. Aussi, si ce dispositif ne va jamais dans l’intérêt du malade, il ne faut cependant pas s’étonner qu’il perdure malgré tout. C’est que sa fonction est tout autre. C’est qu’il constitue une fonction organique au champ de l’Institution analytique : celle de venir éprouver collectivement la vérité imaginaire de la théorie, quitte à forcer l’autre, quitte à la forcer dans l’autre. C’est-à-dire quitte à contraindre sa parole pour la produire, quitte à violer l’opacité de ses silences pour mieux la faire signifier . De quelle mystérieuse obligation ce dispositif est-il l’expression ? Quelle est la nature de cette obstinée volonté de savoir qui vient s’y exprimer ? Quelle est la secrète opération qu’il se donne et dont il se soutient, mais aussi par où il trouve sa légitimité ? Car, en fin de compte on aura fait parler le patient pour mieux parler sur lui et sans lui. C’est cela « construire un cas » et c’est cela que le dispositif vise : parler sur l’autre mais sans l’autre, c’est-à-dire en détournant fondamentalement sa parole et ses mots qu’il aura bien voulu nous confier. Au fond, le patient de la présentation clinique n’est pas un sujet : c’est la raison pour laquelle les signes qui l’aliènent n’indiquent nullement sa structure psychique et ne sont pas à chercher dans une métapsychologie. Dans un tel dispositif, il est impossible qu’il soit d’ailleurs jamais reconnu pour la « différence absolue » qui pourrait le distinguer comme sujet, et il n’a en vérité aucune chance d’exister comme « tout autre » car ce n’est pas ce qu’on lui demande, surtout pas. C’est bien la raison pour laquelle les présentations cliniques se suivent et se ressemblent tant. Si l’aliénation essentielle de Michaël n’est pas dans sa structure, c’est qu’elle se reconnaît ailleurs : dans l’asservissement de sa parole à une « cause » autre que la sienne propre. Si sa parole semble trébucher ou exprimer de la méfiance, ce n’est pas d’abord parce qu’elle serait le signe de sa paranoïa, mais c’est avant tout parce qu’on la réprime de toute part, c’est parce que la position d’où on la fait se déployer est essentiellement un espace de conditionnement à partir duquel on pourra mieux la lui confisquer. Finalement, il sera l’autre sacrifié au 136 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 137 nom d’un grand Autre théorique dans lequel les petits autres, légitimés par l’Institution analytique, pourront imaginairement communier. Et, ils communieront dans la reconnaissance de la clinique de la forclusion. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle on ne peut s’empêcher de ressentir une espèce de monotonie ou de malaise lorsqu’on lit, ou que l’on écoute les « interprétations » et les rapports de « constructions de cas » qui semblent davantage relever de règles et de dispositifs rhétoriques dont une sémiologie pourrait montrer la systématicité, que de la vérité d’un sujet. Car c’est peut-être cela la présentation clinique : d’une part l’expérience pour un sujet de la perte de son nom et sa déchéance, et d’autre part la mise en acte collective de la production de cette perte indissociablement liée à la jouissance de ce spectacle orchestré suivant des règles strictes, suivant un scénario inchangé. Est-ce un hasard si Michaël sera d’autant plus soupçonné d’être individuellement livré aux affres de la jouissance mortifère qu’une jouissance imperceptible se fera sentir à mesure de la construction du cas par le groupe ? L’opération de savoir de la présentation clinique passe sur le corps et dans la parole du patient : c’est là la condition d’une essentielle reconnaissance entre les membres du groupe. La présentation clinique n’a qu’une fonction en réalité : celle de réitérer et de renforcer, dans une sorte d’eucharistie du savoir, les liens qui unissent ses membres patentés pour les constituer, par une sorte de transmutation institutionnelle indéfiniment renouvelée de la présentation clinique, en dépositaires légitimes d’un savoir dont le « sujet ne voudrait rien savoir ». La récurrence de cette dernière formule chez ces derniers à propos du sujet qu’ils auscultent indique bien l’usage qu’ils font de leur prétendu savoir : elle ramasse bien souvent à elle seule, et leur déni théorique, et le forcing clinique qu’elle leur permet d’opérer. Bref, ce qui se révèle avec le plus d’acuité dans la clinique des psychoses lors des présentations cliniques, c’est précisément l’enjeu de pouvoir qui constitue toujours pour une part la pratique analytique. La présentation clinique permet de constituer des groupes institutionnels où les relations de pouvoir imaginaire dominent les rapports entre leurs membres et président à la production d’un savoir sur un sujet réifié. 137 C_74_CL01_Gabarron:xx 15/04/2011 15:04 Page 138 Florent Gabarron-Garcia À partir de quand un groupe, fut-il analytique, ou des personnes, fussent-elles reconnues comme analystes, commencent-ils à induire des effets de fermeture sur l’inconscient ? À la lumière de telles pratiques il se pourrait bien que la théorie de la forclusion et de « l’échec du symbolique » ne soit finalement que le nom de l’échec de la psychanalyse devant la psychose. En tous les cas, tant que les psy se serviront de leurs théories pour produire intentionnellement des points d’aveuglements institutionnels qui viennent suturer toute possibilité thérapeutique, les questions politiques resteront elles aussi sans voix. Notes : 1- Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-œdipe, Capitalisme et schizophrénie, Paris, Éditions de minuit, 1972, p. 64-65. 2- Gilles Deleuze, « Cinq propositions sur la psychanalyse », L’île déserte et autres textes, Paris, Éditions de minuit, 2002, p. 384. 3- Robert Castel, Le psychanalysme, l’ordre psychanalytique et le pouvoir (1re édition), Maspero, Paris, 1973, rééditions 10-18, 1976 et Champ-Flammarion, Paris, 1981. 4- Plus encore, cette norme se perpétue et est toujours louée. On peut, entre autres, se reporter aux articles suivants: Jacques-Alain Miller, « Enseignements de la présentation de malades », Ornicar?, n° 10, Paris, Lyse, 1977; Erik Porge, « La présentation de malades », Littoral, Paris, 1985; François Leguil, « À propos des présentations cliniques de Jacques Lacan », Connaissez-vous Lacan?, Paris, Seuil, 1992; ou encore, Françoise Gorog, « Les présentations cliniques de Jacques Lacan », L’évolution psychiatrique, numéro 66, Paris, 2001. On remarquera que la douteuse unanimité autour cette pratique ne semble pas connaître de limites: elle ne connaît ni le clivage des écoles, ni les époques. La revue Essaim s’est même donné la peine récemment de compiler tous les articles qui encense cette pratique (Francine Humbert, « Présentation de malades, une bibliographie », Essaim, n° 12, Paris, Eres, 2004). Là encore, on sera frappé du consensus: il n’existe aucun contrepoint de vue. Ne parlons même pas de critique. 5- Jacques Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966 -1955-1956. 6- « (…) si un patient est d’accord avec moi j’ai raison, s’il ne l’est pas, c’est l’expression d’une résistance (c’est la fameuse formule: « pile je gagne, face tu perds ») » nous dit Freud résumant la critique poppérienne qu’il juge blessante dans son article « Constructions dans l’analyse » (in Sigmund Freud, Résultats, idées et Problèmes, 2004, Paris, PUF). En effet, quelque temps avant, Karl Popper avait sorti La logique de la découverte scientifique où il visait la destitution de la psychanalyse du rang des sciences. C’est notamment l’analyse du célèbre argument des résistances qui fera date, et que reprend Freud. Dès lors, en effet, Freud ne peut certainement plus se contenter d’affirmer simplement que la psychanalyse appartient à une Welt scientifique comme il l’avait fait dans ses Nouvelles conférences sur la psychanalyse. Si, comme le soutient Popper, le critère majeur de la scientificité d’une théorie, est celui de l’infirmation possible, ce dernier n’est pas applicable à la psychanalyse puisque la psychanalyse va opposer l’argument imparable des résistances inconscientes. Ainsi l’analyste en fait construit, plus qu’il n’interprète. Freud ne parlera plus « d’interprétation » dans l’analyse mais bien de « construction » dans l’analyse. Il s’agit bien de se démarquer de toute « ambiguïté interprétative à la Dilthey » (Freud, « Constructions dans l’analyse », Résultats, idées, problémes, Paris, PUF, 1985). 7- Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, collection « Tel », Paris, 1975. 8- Lucien Bonafé, Désaliéner: folie(s) et société(s), 1982, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, Collection « chemins cliniques », 1992. 138