La douleur vertébrale aiguë: un signe de fracture?

publicité
cabinet
La douleur vertébrale aiguë: un signe de fracture?
Franco Tanzia, Piero Pancaldib, Sergio Tornatorec
Centro Osteoporosi Lugano, Clinica Luganese Moncucco
Centro Osteoporosi Locarno, Muralto
c Osteoclub Ticino
a
b
Quintessence
P Chez les patients qui développent une ostéoporose, seule une fracture
vertébrale sur trois est diagnostiquée.
P La douleur qu’elle occasionne est généralement modérée à aiguë et
peut devenir chronique, comme elle peut disparaître spontanément au
bout de quelques semaines.
P En Europe, 1,4 million de personnes sont victimes chaque année d’une
fracture vertébrale.
P Chez les patients qui consultent pour des douleurs rachidiennes aiguës,
il est important que le médecin de famille puisse diagnostiquer l’ostéo­
porose dès la première fracture et éviter ainsi des complications majeures.
P Un arbre décisionnel simple peut aider le médecin dans cette tâche.
Introduction
Franco Tanzi
Les auteurs ne
déclarent aucun
soutien financier ni
d’autre conflit
d’intérêt en
relation avec cet
article.
Avec l’âge, nos os perdent leurs propriétés structurales.
La masse osseuse diminue, augmentant la fragilité de
l’os et créant un risque accru de fracture, notamment
suite à des traumatismes mineurs: c’est l’ostéoporose,
maladie caractéristique de la vieillesse, qui touche une
femme sur trois et un homme sur sept.
La colonne vertébrale subit, avec le poids corporel, une
force de compression qui s’exerce des disques interver­
tébraux aux plateaux vertébraux et du tissu osseux tra­
béculaire à l’enveloppe corticale. La majeure partie de
cette force est supportée par l’os trabéculaire [1].
Le vieillissement s’accompagne d’une réduction de la
densité minérale osseuse et d’une détérioration de l’ar­
chitecture trabéculaire, qui influencent la quantité et la
qualité de la masse osseuse. Pour prévenir le risque de
fracture, en particulier de fracture vertébrale, il est essen­
tiel d’agir sur ces deux facteurs [1–2]. La diminution du
nombre et de l’épaisseur des travées osseuses, ainsi que
des connexions qui les relient, entraîne une perte de
masse trabéculaire qui peut atteindre 50%. Ceci diminue
de trois quarts la charge de rupture normalement sup­
portée par les vertèbres par rapport à la charge initiale
[2]. Ce phénomène bien connu de fragilité osseuse pré­
dispose aux fractures de basse énergie.
Epidémiologie
Selon l’étude EPOS [3], l’extrapolation de données, ob­
tenues à partir d’un échantillon de 14 011 hommes et
femmes de 50 ans et plus provenant de 29 pays, permet
de pronostiquer qu’en Europe, 1,4 million de personnes
sur une population totale de 155 millions d’individus de
50 à 79 ans subiront chaque année une fracture ver­
tébrale [3–4]. En Suisse, 50% des femmes et 20% des
hommes subiront une fracture de fragilité [5].
La prévalence des fractures vertébrales diagnostiquées
par radiologie varie de 10 à 25% après l’âge de 50 ans
(fig. 1 x) [4]; une autre étude montre qu’entre 50 et
85 ans, le taux de fractures vertébrales chez la femme
passe de 5 à 50% [6]. De plus, une fracture vertébrale
multiplie par cinq le risque de fracture ultérieure et
triple le risque de fracture fémorale [6–8]. En Suisse, une
patiente est hospitalisée toutes les 22 minutes pour une
facture ostéoporotique [9].
Présentation clinique
des fractures vertébrales
Les fractures de fragilité vertébrales sont généralement
causées par des traumatismes mineurs ou des efforts
légers, parfois même de simples mouvements, même il
n’est pas rare non plus qu’elles se produisent spontané­
ment chez des patients encore relativement jeunes,
dans ce cas elles sont associées à un risque important
de nouvelle fracture vertébrale ou non vertébrale. Assez
souvent, les fractures vertébrales sont diagnostiquées
par hasard sur des radiographies effectuées pour d’autres
motifs. Dans tous les cas, on considère qu’une grande
partie (jusqu’à 2/3) de ces fractures passent inaperçues
ou, du moins, sont diagnostiquées tardivement. Cette
situation est bien sûr favorisée par une symptomatologie
souvent atypique ou incomplète.
La douleur n’est pas un phénomène constant; parfois
aiguë et lancinante, elle peut être modérée ou absente.
La douleur peut être accentuée par un accès de toux, un
mouvement respiratoire ou d’autres mouvements même
minimes, la mise en position assise ou débout, une per­
cussion des apophyses épineuses ou une compression
axiale du rachis, mais elle peut aussi n’impliquer aucun
de ces éléments. De même, l’atténuation de la douleur
au repos ou en décubitus est variable. Les fractures des
vertèbres dorsales inférieures ou de la jonction dorso­
lombaire se manifestent souvent par des douleurs loca­
lisées plus bas, au niveau de la charnière lombosacrée:
en conséquence, les douleurs peuvent être mal inter­
prétées et les fractures de la colonne dorsale inférieure
échapper à un examen radiologique qui serait limité à
la colonne lombaire. Les fractures vertébrales peuvent en
outre être accompagnées d’une irradiation de la douleur
Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373
369
cabinet
Figure 1
Prévalence des fractures vertébrales radiologiques en Europe. En Suisse, une patiente
est hospitalisée toutes les 22 minutes pour une fracture ostéoporotique [9].
(syndrome spondylogène), mais rarement – au contraire
des fractures traumatiques – de troubles ou déficits
neurologiques. Une instabilité vertébrale est parfois dif­
ficile à confirmer, par exemple après un effondrement
du mur postérieur: dans ces cas, une évaluation neuro­
orthopédique pluridisciplinaire peut être nécessaire.
La durée de la douleur varie également: de quelques se­
maines à plusieurs mois, ce dernier cas étant souvent
suivi d’une progression de la déformation vertébrale ou
de l’apparition de nouvelles fractures vertébrales «en
cascade», bien visibles sur des radiographies sériées.
Par contre, une véritable chronification des troubles s’ins­
talle quand se développent des troubles statiques dégé­
nératifs secondaires.
Des signes typiques, bien que clairement tardifs, sont le
tassement du tronc, qui se traduit par une perte de taille
(d’env. 1 cm en moyenne par fracture), une cyphose dor­
sale, le «phénomène du sapin» ou la réduction à 1–2 cm
de l’espace séparant l’arc costal de la crête iliaque avec
un déséquilibre du tronc et d’éventuels troubles secon­
daires de l’équilibre et de la marche. Le phénomène du
sapin est dû aux plis cutanés qui se forment à la suite de
la perte de taille (fig. 2 x).
Outre des troubles affectant la sphère neuro­orthopé­
dique, le patient peut développer des difficultés respira­
toires (dues à la perte d’environ 10% de la capacité
vitale pour chaque fracture de vertèbre dorsale), des
troubles digestifs, des constipations, une dyspepsie avec
reflux et une éventuelle œsophagite par suite d’une in­
suffisance du cardia.
Les examens destinés à identifier une éventuelle fracture
vertébrale présentent donc un intérêt certain pour les
patients, que ce soit pour traiter immédiatement la dou­
leur ou pour prévenir les graves conséquences encourues
en cas de diagnostic différé ou tardif.
Evolution naturelle
Figure 2
Le phénomène du sapin est dû aux plis cutanés qui se forment
à la suite de la perte de taille.
Tableau 1. Incidence de nouvelles fractures vertébrales
dans l’année qui suit une fracture vertébrale.
Fractures vertébrales
prévalentes
Nombre (%) de patientes
présentant une nouvelle
fracture vertébrale
la 1re année
0 (n = 69)
1 (3,6%)
1 (n = 61)
3 (11,5%)
02 (n = 251)
32 (24,0%)
Total (n = 381)
36 (19,2%)
La persistance de douleurs dorsales est liée au nombre
et à la gravité des fractures, et il est fréquent dans la
pratique clinique que les patients présentant des tasse­
ments vertébraux multiples se plaignent d’une rachialgie
chronique.
Une fracture vertébrale ostéoporotique est souvent la
manifestation d’une déficience mécanique de l’os. En ce
sens, elle signale un risque accru de nouvelles fractures,
vertébrales ou non. Les fractures vertébrales auront
par la suite une incidence sensible sur la qualité et l’es­
pérance de vie, avec une détérioration progressive en
fonction du nombre de fractures [10–11].
La probabilité de subir une nouvelle fracture dépend de
la prévalence des fractures (tab. 1 p) et de leur gravité
(fig. 3 x) [12].
Difficultés d’identification des fractures
Seule une femme sur deux ressent des douleurs après
une fracture vertébrale diagnostiquée par radiographie;
ces douleurs ne sont correctement interprétées comme
dues à une fracture que dans deux tiers des cas.
Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373
370
cabinet
L’examen radiologique – réalisé en vue latérale et antéro­
postérieure – est essentiel pour diagnostiquer une frac­
ture vertébrale. Si aucune fracture n’est identifiée sur les
Figure 3
Gravité des fractures vertébrales (selon Genant) et risque de nouvelles fractures. Plus
la déformation par fracture basale est importante, plus l’incidence de nouvelles fractures
est élevée.
A
premières radiographies mais que les douleurs persistent,
l’examen devra être répété 2–3 semaines plus tard.
Un diagnostic incomplet peut résulter non seulement
d’un tableau clinique atypique, qui complique l’interpré­
tation correcte des symptômes parfois peu prononcés,
mais aussi de la difficulté de lire les détails radiologiques,
souvent flous ou inexistants (fig. 4 x).
Une suspicion de fracture vertébrale est généralement as­
sociée à un traumatisme majeur plutôt qu’à une fragilité
osseuse. La diminution de la taille n’est pas toujours im­
putable aux fractures vertébrales: en effet, on estime
qu’une faible réduction de la stature (jusqu’à 4 cm) est
d’origine physiologique et résulte de la déshydratation
des disques intervertébraux liée au vieillissement [13–15].
Chez les femmes de plus de 60 ans ayant une pré­
valence d’ostéoporose de 20 à 30%, seuls 2 à 13% des
diagnostics d’ostéoporose sont posés par le médecin de
famille [16–17].
Pour différentes raisons liées à l’indication de l’examen
ou à la qualité de l’image, les fractures vertébrales ne
sont pas toujours mentionnées dans le rapport radio­
logique.
Dans un collectif de patients hospitalisés de plus de
60 ans, une étude a examiné des radiographies de routine
du thorax réalisées à l’admission et analysé les rapports
pour y rechercher les mentions d’éventuelles fractures.
Résultat: les fractures présentant un indice de gravité
élevé étaient mentionnées dans les rapports radiolo­
giques dans deux tiers des cas, mais seuls 14% des pa­
tients ont bénéficié d’une prise en charge thérapeutique
B
Figure 4
A, B Il est souvent impossible de définir clairement les contours vertébraux et donc d’évaluer d’éventuelles déformations vertébrales
sur des clichés du thorax ou de scoliose.
Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373
371
cabinet
Tableau 2. Mention de fractures à l’admission dans un collectif de patientes
âgées de plus de 60 ans.
Fractures vertébrales – Radiographie
thoraciques chez 934 femmes ≥60 ans
Modérées à sévères
Graves
Mention dans le rapport radiologique
52%
69%
Mention dans les conclusions du rapport
radiologique
23%
36%
Mention du diagnostic à la sortie
8%
11%
Tout traitement
18%
14%
Bisphosphonates, hormonothérapie
substitutive, calcitonine
6%
5%
Traitement proposé à la sortie
à la sortie (tab. 2 p et [16]). La non­mention de fractures
dans un rapport radiologique ne permet pas de conclure
à l’absence de fracture. Le dossier radiologique doit tou­
jours accompagner le patient à sa sortie de l’hôpital.
Prise en charge du patient avec suspicion
de fracture vertébrale
Le clinicien peut s’aider de nombreux algorithmes pour
diagnostiquer et traiter les fractures. Ces arbres déci­
sionnels souvent très complexes couvrent toutes les pa­
thologies possibles, comme l’ostéoporose, l’ostéomalacie,
les tumeurs, etc. Le médecin en cabinet voit tous les jours
*
DXA Densitométrie osseuse
** FRAX –OMS www.stef.a.uk/FRAX/tool_FR.jsp?
lcationValue=15
*** Osteoporose Tool SSR www.med-link.ch/
osteoporose/index.html
Figure 5
Implications pratiques.
Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373
372
cabinet
des patients présentant une rachialgie. Dans cet article,
nous souhaitons attirer l’attention du clinicien sur un
sous­groupe spécifique, celui des femmes ménopausées
atteintes de douleurs vertébrales aiguës, qui ont une
probabilité réelle de fracture ostéoporotique et chez les­
quelles un diagnostic précis suivi d’une prise en charge
thérapeutique adaptée peut prévenir de futures compli­
cations.
L’algorithme simplifié (fig. 5 x) que nous proposons
pour les fractures vertébrales confirmées par radiogra­
phie comprend une évaluation clinique avec examens de
laboratoire pour le diagnostic différentiel ainsi qu’une
densitométrie osseuse pour la prise en charge ultérieure.
Le diagnostic différentiel vise notamment à distinguer
les fractures ostéoporotiques des fractures patholo­
giques d’autre origine. Le bilan de base pour exclure
ces fractures inclut la détermination de la vitesse de sé­
dimentation (et souvent aussi de la protéine C réactive),
la formule hématologique, le calcium avec l’albumine et
le phosphore, la phosphatase alcaline (evt avec la g­GT),
la créatinine et la 25­OH­Vitamine D3. Toute fracture
vertébrale ostéoporotique doit recevoir un traitement
médicamenteux spécifique. Pour ce faire, souvent la dé­
termination des marquers de la résorption osseuse (le
CTX dans le plasma, les Pridinolines dans les urines à
jeun du matin) peut aider dans le choix différentiel.
La catégorie du patient peut être définie par la valeur
du T­Score, qui représente l’écart­type (DS pour «dévia­
tion standard») par rapport au pic de masse osseuse:
une valeur inférieure à –2,5 DS est diagnostique de l’os­
téoporose, tandis qu’une valeur supérieure à –2,5 DS
est indicative d’une ostéopénie.
Même dans les cas où la radiographie ne révèle pas de
fractures, une ostéoporose devra néanmoins être évo­
quée en présence de facteurs de risque.
Si les douleurs persistent et qu’une fracture est exclue,
la recherche d’autres pathologies s’impose et l’examen
radiologique devra être répété après 7 à 20 jours (fig. 5).
Conclusions
Les douleurs dorsales subites aiguës sont une pathologie
très fréquente d’étiologie diverse. Les fractures verté­
brales sont beaucoup plus fréquentes qu’on le croit gé­
néralement. Un diagnostic mal posé ou tardif a des
conséquences souvent sévères. Dans cet article, nous
avons donc voulu rendre le lecteur attentif aux points
suivants:
– Des douleurs thoraco­lombaires chez des patients
>50–55 ans (en particulier chez les femmes méno­
pausées) doivent toujours évoquer une fracture ver­
tébrale (à confirmer ou à exclure par radiographie).
– En cas de douleurs lombaires basses, toujours pen­
ser à examiner aussi la colonne dorsale inférieure.
– De nombreuses fractures vertébrales étant peu ou pas
du tout symptomatiques, on prêtera une grande atten­
tion aux signes cliniques révélateurs même tardifs
(cyphose dorsale, «signe du sapin», diminution de
l’écart entre arc costal et crête iliaque).
– Toujours bien examiner la colonne vertébrale, même
lorsqu’elle n’est pas l’objet de l’examen radiologique
(par ex. radiographie du thorax).
– Demander que les documents radiologiques vous
soient envoyés avec les rapports de sortie.
Toute fracture vertébrale diagnostiquée doit recevoir un
traitement anti­ostéoporotique adéquat.
Des douleurs dorsales aiguës sont une pathologie très
fréquente d’étiologie diverse, mais la possibilité d’une
fracture ostéoporotique doit toujours être envisagée chez
une femme ménopausée. Dans ce cas, on procédera à
des examens approfondis pour prévenir d’ultérieures
fractures. Un traitement anti­ostéoporotique, destiné à
augmenter la masse osseuse et la qualité du squelette
devra être prescrit en complément des mesures de pré­
vention et de surveillance dont doivent bénéficier toutes
les femmes ménopausées.
Correspondance:
Dr Franco Tanzi
Médecine interne et gériatrie FMH
Clinica Luganese Moncucco
CH-6900 Lugano
franco[at]studiotanzi.ch
Références recommandées
La liste complète des références numérotées se trouve sous
www.medicalforum.ch.
Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373
373
Téléchargement