ANALYSE DE LA DYNAMIQUE DE PARTICIPATION ET DE LEADERSHIP DES MÉDECINS POUR L’AMÉLIORATION DES SERVICES DE SANTÉ PERSPECTIVES POUR LES SYSTÈMES DE SANTÉ CANADIENS RAPPORT FINAL : 4 avril 2013 Jean-Louis Denis, Professeur titulaire, École nationale d'administration publique G. Ross Baker, Professeur titulaire, Institute of Health Policy, Management and Evaluation, Université de Toronto Charlyn Black, Professeure, School of Population and Public Health, Université de Colombie-Britannique Ann Langley, Professeure, Département de la gestion, HEC Montréal Bernard Lawless, Médecin, Hôpital St. Michael‘s, Université de Toronto Diane Leblanc, Psychologue organisationnelle, Capital District Health Authority, Halifax (Nouvelle-Écosse) Maria Lusiani, Boursière postdoctorale, HEC Montréal Charlotte Moore Hepburn, Professeure adjointe, Département de pédiatrie, École de médecine, Université de Toronto Marie-Pascale Pomey, Professeure adjointe, Université de Montréal Ghislaine Tré, Boursière postdoctorale, Hôpital St. Mary‘s, Montréal Avec la collaboration de Francis Etheridge, Ph.D. en gérontologie, Université de Sherbrooke, et Johanne Préval, assistante de recherche, École nationale d'administration publique Rédaction dirigée par Lori Anderson Financement fourni par les Table ronde de consultation organisée par Préparé pour MESSAGES PRINCIPAUX Le leadership et la participation du médecin constituent des éléments essentiels des systèmes de santé performants et contribuent à l’atteinte de meilleurs résultats concernant certains indices de qualité. De plus, la participation du médecin à la gouvernance des organisations de santé peut améliorer la qualité et la sécurité. Bien que la majorité des écrits sur les réformes des services santé soulignent l’importance de la participation et du leadership du médecin, ils sont moins explicites sur les processus par lesquels les systèmes et organismes de santé peuvent convertir l’autonomie, la connaissance et le pouvoir du médecin en ressources destinées à l’amélioration de la performance du système. Le leadership du médecin est important au sommet de l’organisation, mais il s’exerce aussi à tous les paliers du système. On s’intéresse de plus en plus aux microsystèmes cliniques à haut rendement ainsi qu’à de nouvelles modalités (ex. les dyades médecins-gestionnaires comme dirigeants et d’autres formes de leadership collectif) et à de nouveaux processus (ex. contrat avec les médecins) qui favorisent ce que certains qualifient de « professionnalisme organisé ». La participation ne se fait pas toute seule. Les organisations doivent utiliser différentes stratégies et initiatives pour renforcer la participation et le leadership du médecin, notamment (mais sans s’y limiter) : instaurer des contrats avec les médecins en tant que mécanismes pour préciser les rôles, attentes et responsabilités des médecins et d’autres dirigeants du système; exercer un leadership organisationnel et de système orienté vers l’amélioration des soins et services afin de créer un contexte réceptif à la participation du médecin; renforcer le leadership, surtout dans le sens d’un leadership collectif et distribué, pour appuyer la participation du médecin; former des équipes et favoriser le leadership des équipes, particulièrement un leadership inclusif, pour promouvoir la participation et le leadership du médecin, ainsi que l’amélioration de la performance. L’une des variables essentielles du succès de ces approches à la participation du médecin est la confiance qui règne entre le médecin et l’organisation et qui se traduit par u n e communication ouverte, une volonté de partager les données pertinentes, l’établissement d’une vision commune et l’accumulation de données probantes sur des collaborations réussies. U n e participation et un leadership authentiques du médecin s’appuient avant tout sur la compréhension et la prise en compte des caractéristiques et valeurs des médecins qui souhaitent s’engager. Au plan organisationnel, la participation du médecin est tributaire d’une gamme de facteurs et peut, par conséquent, être difficile à réaliser. Les médecins occupant des postes de gestion peuvent éprouver des difficultés à assumer leur rôle de chef de file dans les organisations et systèmes de santé. De tels obstacles peuvent être partiellement atténués par des stratégies destinées à façonner la culture organisationnelle (appelées « travail culturel »). Les stratégies qui permettent avec succès de faire participer les médecins doivent aller au-delà, mais sans l’ignorer, des considérations économiques. De f açon si milaire, la création officielle de postes de dirigeant stratégique pour les médecins est importante, mais insuffisante pour réaliser un rendement élevé. Du fait de tensions professionnelles majeures (problèmes culturels posés par l’exercice des rôles de gestion en milieu professionnel), des solutions économiques et symboliques ne se traduisent pas nécessairement par une plus grande participation des médecins. Le défi principal consiste à combler le fossé des cultures, à les intégrer et à ne pas se limiter à acheter l’engagement. Pour développer les aptitudes et compétences des médecins afin d’appuyer les améliorations des systèmes de santé, il faudrait cibler l’éventail complet médecins plutôt qu’un médecin en particulier. Les principales compétences de base pour faire participer les médecins et favoriser leur leadership sont notamment la planification stratégique, la réflexion systémique, la gestion du changement, la gestion de projet, la communication persuasive et la création d’équipes. 3 Analyse de la dynamique de participation et de leadership des médecins pour l’amélioration des services de santé RÉSUMÉ La présente revue de la littérature a pour objectif de faire la synthèse des connaissances existantes sur la participation et le leadership du médecin, et de formuler des recommandations pour améliorer leurs compétences, leur adaptation aux composantes clés du système de santé, ainsi que la capacité de favoriser et renforcer l’obligation d’imputabilité des médecins en matière de performance organisationnel et systémique. Les exigences accrues en matière de performance et de reddition de comptes dans les services de santé découlent du fait que les patients, le public, les gouvernements et les responsables de politiques s’attendent de plus en plus à de meilleurs services et à des normes de soins plus élevées. Pour répondre à ces pressions, les dirigeants des systèmes de santé régionaux et provinciaux du Canada et d’autres pays se concentrent davantage sur des changements systémiques qui permettent non seulement d’améliorer la performance, et la reddition de comptes, ainsi que l’expérience vécue par le patient, mais aussi de mieux maîtriser les coûts. Les grands changements systémiques qu’exigent l’amélioration du système s’appuient sur l’alignement des fournisseurs de services de santé avec les objectifs et activités des organismes et des systèmes, ainsi que sur la participation des médecins et d’autres professionnels médicaux dans la définition de l’orientation des changements et dans l’implantation optimale des changements souhaités. Les médecins sont, en conséquence, de plus en plus nombreux à assumer formellement des fonctions de dirigeant et les attentes relatives à leurs rôles dans l’amélioration des systèmes de la santé se sont également accrues. Mettre officiellement les médecins à contribution dans des rôles de dirigeant ou dans des instances de décision ou de gouvernance est important, mais cette mesure ne peut, à elle seule, répondre aux attentes de participation plus active des médecins. Toutefois, des études récentes sur la mise en place de milieux de pratique plus efficaces (par exemple, des microsystèmes cliniques à rendement élevé) permettent de conclure que la structure peut favoriser la participation des médecins et la concrétisation du leadership de ces derniers, et que la participation des professionnels médicaux et le développement de leur leadership ne peuvent pas se limiter aux initiatives amorcées au sommet stratégique de l’organisation ou du système. L’attention croissante accordée aux organisations axés sur le travail en équipe ou sur « l’esprit d’équipe » illustre bien cet argument. De la même manière, le fait qu’on s’intéresse de plus en plus aux unités cliniques à haut rendement ou aux systèmes de gestion clinique indique que les structures peuvent contribuer à une meilleure harmonisation des objectifs d’amélioration, de reddition de comptes et de maîtrise des coûts et peuvent représenter un terreau fertile favorisant la participation et le leadership des médecins. Ces derniers doivent néanmoins être adéquatement rémunérés pour le temps qu’ils consacrent à l’équipe et aux initiatives d’amélioration. La confiance entre l’organisation et les médecins semble essentielle à l’alignement des objectifs des médecins avec ceux de l’organisation. La leçon de cet examen est claire et veut que le travail structurel (médecins dans des postes officiels de direction, d’élaboration et de gestion de l’information en vue du rendement clinique, des incitatifs financiers, etc.) ne permet pas à lui seul d’étendre à grande échelle la participation et le leadership des médecins. Les organisations doivent miser sur des processus plus élaborés aux niveaux personnel, organisationnel et systémique en vue d’appuyer la participation des médecins à l’amélioration du système. La recherche tant sur le leadership en général que sur celui des médecins en vue de l’amélioration du système de soins pointe vers une nouvelle vision du leadership plus collective, distribuée et relationnelle. Ce concept brouille dans une certaine mesure la distinction entre la participation et le leadership même, suggérant qu’il est nécessaire de définir des rôles plus actifs que pourraient assumer les médecins dans les initiatives d’amélioration. Le développement de dirigeants et de champions cliniques dans l’ensemble des systèmes peut contribuer considérablement à l’amélioration. Cette approche du leadership s’inscrit dans l’approche des mouvements sociaux adoptée dans de récents travaux sur l’amélioration des systèmes de santé, ainsi que dans celles préconisées par l’Institute for Healthcare Improvement des États-Unis : l’idée de base étant d’étendre le leadership par l’élaboration de normes de groupe qui appuient l’amélioration soutenue. 4 Analyse de la dynamique de participation et de leadership des médecins pour l’amélioration des services de santé La manière d’élaborer ces normes de participation constitue un défi. Le présent examen permet de conclure que les efforts de développement de nouvelles aptitudes et compétences – en donnant aux médecins individuels une formation pour assumer des rôles de leadership, notamment en les exposant à des expériences interprofessionnelles, et en favorisant les dyades médecins-gestionnaires responsables d’unités cliniques – pourraient appuyer la naissance de pareilles normes. L’élargissement de ce concept illustre, selon notre analyse, l’apparition de nouveaux rôles dans certaines régions où les médecins collaborent avec les décideurs ou assument des responsabilités politiques, stratégiques et financières sans perdre de vue leur objectif clinique. Une meilleure reconnaissance des rôles de leadership du médecin en matière d’amélioration du système peut, dans une certaine mesure, appuyer une reformulation des normes et des relations entre la profession médicale et le système ou l’organisation. Par exemple, l’utilisation des contrats avec les médecins pour reformuler les relations entre la profession médicale et l’organis ation constituent une stratégie pouvant être appliquée aux contextes canadien et américain . Toutefois, l’examen porte à croire qu’une participation accrue des médecins signifie des changements qui ne se limitent pas uniquement à la profession médicale. Les systèmes de santé sont structurés selon une politique et une logique de gestion profondément ancrées qui ont alimenté une relation plus ou moins distante et controversée avec la profession médicale. Au sein des organismes et systèmes de santé, un plus grand leadership et une plus grande participation des médecins exigent également des changements dans la manière dont les gestionnaires et responsables de politiques interagissent et collaborent avec les médecins. L’importance accordée à l’amélioration du système de santé suggère un nouveau mode de fonctionnement entre le système, l’organisation et la profession. Cette idée se reflète quelque peu dans la notion récemment élaborée de professionnalisme organisé, qui veut dire que les professions et organisations doivent mutuellement s’adapter aux changements et à l’évolution des systèmes. Cette synthèse souligne également les importants dilemmes que vivent les médecins lorsqu’ils assument de nouveaux rôles de dirigeant ou de gestion dans des organisations et des systèmes. De tels dilemmes peuvent être partiellement atténués par un travail culturel. Celui-ci suppose de favoriser, au niveau individuel, un nouveau discours sur l’intégration de la réflexion organisationnelle et systémique comme un élément du « savoir » que les médecins doivent intégrer à leur « savoir-faire » professionnel. Bien sûr, une pareille intégration sera réalisée à des degrés divers en fonction de la participation des médecins et de leur propension à assumer des rôles de leadership qui dépassent les responsabilités cliniques habituelles. Certains chercheurs ont suggéré qu’au niveau de l’ensemble du système ou de l’organisme, le virage culturel, voulant que les médecins soient considérés des travailleurs au même titre que les autres (i.e. porter une attention plus grande à leur expérience du travail), pourrait contribuer à l’élaboration de nouvelles normes de participation et de nouveaux rôles de leadership. La signification exacte de ce virage culturel, qui est probablement l’un des défis les plus difficiles pour les systèmes de santé, reste encore à définir et pourra varier d’une organisation à l’autre et d’un système à l’autre. L’idée qui sous-tend le travail culturel veut que le statut professionnel et l’autonomie doivent, selon toute vraisemblance, être repensés dans le but de soutenir une plus grande généralisation de la participation et du leadership de la profession médicale en vue de l’amélioration du système de santé. À nouveau, cela nous ramène à la notion de « professionnalisme organisé » et à l’importance de la détermination de stratégies qui favorisent tant l’intégration des médecins à titre de dirigeants dans les organisations que leur participation effective aux initiatives d’amélioration. Parallèlement, les organisations et systèmes devraient peut-être accorder plus d’attention aux expériences positives que vivent les médecins dans leur travail quotidien. La documentation examinée dans la présente synthèse révèle une connaissance grandissante de la dynamique de la participation et du leadership du médecin dans l’amélioration du système de santé. Dans l’ensemble, notre étude permet de conclure que, pour renforcer cette participation et ce leadership dans les systèmes de santé au Canada, on peut élaborer différentes stratégies et initiatives, des stratégies qui doivent cibler le développement des capacités aux niveaux individuel, organisationnel et systémique. La reconnaissance de l’importance des 5 Analyse de la dynamique de participation et de leadership des médecins pour l’amélioration des services de santé éléments du processus (travail culturel et relationnel, notamment la promotion d’une vision plus collective du leadership du médecin) suppose que, pour tirer le meilleur parti des changements structurels (comme les incitatifs financiers, la définition de postes officiels de leadership, de nouvelles structures et comités, etc.) et appuyer la participation et le leadership, il faudra également investir davantage dans le travail culturel et relationnel. Enfin, cette analyse indique que le leadership et la participation des médecins font probablement partie d’un continuum et se renforcent mutuellement aux niveaux individuel, organisationnel et systémique. Alors que de plus grandes attentes relatives à un leadership plus actif de la part des médecins en vue d’améliorer le système de santé appuieront la participation d’un plus grand nombre de médecins dans les affaires organisationnelles et systémiques, une plus grande participation des médecins contribuerait à étendre le potentiel de leadership des médecins en vue de l’amélioration des systèmes de santé. Ces investissements peuvent partiellement atténuer tant les obstacles à la participation et au leadership du médecin que les tensions dans la définition de nouveaux rôles pour la profession médicale. Il y a un certain nombre de lacunes dans les connaissances actuelles. Aussi est-il nécessaire de mener plus d’études empiriques sur les processus et pratiques utilisés par les organisations et systèmes pour faire participer les médecins et développer leurs capacités de leadership en vue de la transformation et l’amélioration des systèmes de santé. Par ailleurs, ces études devraient porter sur la manière dont les initiatives en matière de changements structurels et de formation au leadership entreprises dans différents contextes sont reliées à des stratégies plus globales visant à créer des milieux propices à la participation et au leadership du médecin. D’autre part, des études, visant à analyser des organisations qui ont réussi à développer un leadership des médecins efficace et à faire participer des médecins de première ligne, permettraient une meilleure compréhension des stratégies appropriées et fructueuses. Il serait également utile de se livrer à une évaluation plus globale des compétences en leadership, ainsi que des moyens de favoriser ces compétences (par le biais de programmes d’éducation structurés et d’apprentissage et dans les milieux de pratique). 6 Analyse de la dynamique de participation et de leadership des médecins pour l’amélioration des services de santé