Interactions - pharmaSuisse

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PHARMAZIE UND MEDIZIN
PHARMACIE ET MÉDECINE
Gestion des interactions médicamenteuses dans les pharmacies: introduction
Interactions:
comprendre – évaluer – agir
A
K
A
Forum
Marianne Beutler,
Eva Franz,
Kurt Hersberger,
Ueli Honegger
Les contrôles d’interactions sont
une tâche importante des pharmaciens au service des patients et un
mandat de prestations au sens de
la RBP! Dans cet article, la CMPS
présente des éléments de réflexion
et des faits fondamentaux relatifs
aux interactions médicamenteuses
que le pharmacien d’officine doit
connaître pour une compréhension et une gestion compétente de
ces interactions. Un exemple
concret de gestion pratique des
interactions à la pharmacie est
présenté en page 216. D’autres
exemples suivront.
Depuis l’entrée en vigueur de la RBP,
la validation d’ordonnances doit obligatoirement inclure un contrôle des interactions. Or, la RBP ne précise pas
les modalités d’une telle vérification.
Les personnes peu familiarisées avec le
sujet ont tendance à s’imaginer une situation très tranchée: il y a une liste de
médicaments qui ne peuvent pas être
administrés simultanément et une liste
de médicaments qui peuvent être associés sans problèmes. Les professionnels que nous sommes savent que de
nombreux médicaments figurant dans
les banques de données d’interactions
et les compendiums peuvent s’influencer mutuellement. Si toutes ces associations étaient interdites, on ne pourrait plus traiter adéquatement la plupart des maladies graves. C’est pourquoi les banques de données divisent
les interactions en plusieurs classes en
fonction du risque estimé pour la santé. Ce classement permet ensuite d’estimer le potentiel de risque lié à une association médicamenteuse.
La mission importante et exigeante
du professionnel, qu’il soit pharmacien
ou médecin, consiste à évaluer à cha-
que fois si – et comment – certains
médicaments doivent être associés
chez un patient donné. Il en ressort
qu’il n’est ni possible, ni même souhaitable que les pharmaciens soient en
mesure d’empêcher à 100% les interactions médicamenteuses par le système de contrôle des interactions. En revanche, celui-ci leur permet, grâce à
une gestion adéquate des risques, de
réduire considérablement le risque
d’effets indésirables dus à des interactions médicamenteuses tout en respectant l’intention thérapeutique.
L’interaction médicamenteuse
On parle d’«interaction médicamenteuse» lorsque des effets (souhaités ou
indésirables) d’un médicament sont
modifiés par l’utilisation simultanée
d’un autre médicament. Les médicaments peuvent interagir en entrant
p. ex. en compétition mutuelle pour
la liaison à des mêmes récepteurs,
enzymes ou autres protéines.
Les interactions dites «pharmacocinétiques» influencent la cinétique de la
libération, de l’absorption, de la distribution, du métabolisme ou de l’excrétion d’au moins un des médicaments
impliqués. Les interactions «pharmacodynamiques», quant à elles, n’ont
pas d’effet sur la courbe concentration-temps au site d’action des médicaments associés, mais entraînent un
décalage vers la gauche (effet additif/
synergie) ou vers la droite (effet antagoniste) de la courbe dose-effet. L’effet
de l’un ou de l’autre de ces médicaments peut être affaibli ou renforcé par
ces processus.
Dans la grande majorité des cas, les
effets cliniques des interactions médicamenteuses sont indésirables, notamment lorsqu’ils se manifestent par une
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diminution de l’efficacité thérapeutique
ou par des effets secondaires nouveaux
ou renforcés. On n’utilise que rarement une interaction pour renforcer
ou prolonger l’effet d’un médicament
par l’ajout d’un deuxième, p. ex. par
l’association de la lévodopa à des inhibiteurs de la décarboxylase.
Interaction potentielle et
interaction manifeste
De nombreuses interactions pharmacodynamiques et pharmacocinétiques
sont cliniquement silencieuses et passent inaperçues. La connaissance
d’une interaction médicamenteuse ne
permet pas à elle seule de déterminer
avec certitude si une interaction aura
ou non des effets cliniques décelables
chez un patient et ne dit rien de l’ampleur du risque pour sa santé. En effet,
de nombreux facteurs, notamment individuels, jouent un rôle dans l’issue
finale («outcome»). Du côté des médicaments, ces facteurs sont p. ex. la posologie, l’intervalle entre les prises, le
mode d’administration, la durée de
l’association ou la prise de médicaments supplémentaires. Les facteurs
liés au patient sont particulièrement
importants: les patients très âgés, en
mauvais état de santé, porteurs de maladies chroniques ou aux conditions de
vie défavorables sont nettement plus
exposés à des risques que les patients
jeunes en bonne santé.
Aussi distingue-t-on les interactions
potentielles, qui pourraient produire
un effet clinique dans l’organisme, et
les interactions manifestes qui provoquent effectivement un effet clinique,
généralement indésirable (voir encadré). Le contrôle des interactions effectué lors de la validation d’une ordonnance sert à identifier les interactions potentielles et, par conséquent, à
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prévenir les effets indésirables possibles.
Cependant, une autre tâche du
pharmacien consiste à rechercher la
cause d’effets indésirables ou d’une
absence d’efficacité et à vérifier s’il
pourrait s’agir d’une interaction manifeste.
Les banques de données
d’interactions dans les
pharmacies: bon à savoir
Les pharmacies suisses utilisent généralement la banque de données d’interactions Interdoc® intégrée au logiciel
pharmaceutique. Interdoc® est coproduit par ABDA, la SSPh et e-mediat.
Son contenu est créé en Allemagne;
e-mediat établit les liens avec les spécialités suisses et se charge de la traDéfinitions
Interaction potentielle
Les causes théoriques possibles d’une interaction sont à
rechercher dans
– des considérations pharmacocinétiques ou pharmacodynamiques;
– les résultats d’études in vitro ou in vivo (biochimiques,
cinétiques);
– l’observation d’effets cliniques chez des patients.
Toute interaction théoriquement possible reste une interaction potentielle jusqu’à ce que des cas isolés d’effets
cliniques soient observés.
Une interaction potentielle peut être plus ou moins
importante du point de vue clinique. Cette importance est
évaluée sur la base des observations cliniques des patients.
On parle d’interaction potentielle importante lorsqu’une
association médicamenteuse donnée peut provoquer des
effets indésirables qui
1. affectent la santé ou influencent la maladie du patient;
2. sont perceptibles subjectivement par le patient.
Interaction manifeste
Il y a interaction manifeste lorsque l’on constate, chez le
patient, une modification de l’effet d’un ou de plusieurs
médicaments qui peut être attribuée à l’association de
deux médicaments ou plus.
Par «cliniquement manifeste», on entend:
1. reconnaissable aux symptômes,
2. reconnaissable à des paramètres physiologiques et biochimiques dont les modifications observées ont un effet
sur la santé ou sur l’évolution de la maladie.
L’importance d’une interaction manifeste est déterminée
par la situation du patient.
Incompatibilité
Les interactions doivent être distinguées des «incompatibilités», lesquelles se manifestent en dehors de l’organisme, p. ex. lors du mélange de deux solutions parentérales.
duction en français. Elle octroie aussi
les licences d’Interdoc® à des sociétés
de logiciels pharmaceutiques qui intègrent la banque de données dans leurs
systèmes pour permettre aux pharmacies d’effectuer des recherches d’interactions lors de leurs ventes de médicaments OTC ou de médicaments sur ordonnance. Le contenu intégral d’Interdoc® est aussi proposé aux pharmacies et aux médecins en tant que part
de Pharmavista sur Internet ou sur CDROM. Les logiciels des pharmacies
utilisent donc les mêmes données que
Pharmavista, mais présentées sous une
forme différente et parfois abrégée.
Interdoc® classe les interactions
dans les catégories «graves», «modérées», «légères», «insignifiantes» et
«de source externe». Cette classification ne permet pas vraiment de décider
si l’association considérée peut ou non
être délivrée au patient. Cet inconvénient a été reconnu, et la CMPS collabore actuellement au développement
d’une nouvelle classification. Elle fournira de plus amples informations le
moment venu.
Interdoc® (tout comme d’autres
banques de données d’interactions) est
un instrument pratique qui rend le
personnel des pharmacies attentif à
l’existence d’interactions. Il est important de savoir bien l’utiliser pour interpréter correctement les renseignements qu’il fournit.
Voici quelques conseils:
1. La parution de nouvelles interactions dans les logiciels pharmaceutiques et sur Pharmavista peut
prendre plusieurs mois, en raison
du traitement rédactionnel et du
transfert des données. Des sources
d’information plus actuelles doivent
donc être consultées pour connaître
les interactions récemment apparues. Les nouvelles interactions
d’importance clinique rapportées
pour les médicaments suisses sont
généralement publiées sur le site Internet de Swissmedic.
2. Les filtres doivent être choisis
avec discernement! Le logiciel
pharmaceutique offre le choix entre
plusieurs configurations: a) choix
des classes d’interactions à afficher
et b) choix de la période d’observation. Une sélection restrictive des paramètres de filtrage (p. ex. affichage
exclusif des interactions graves et/ou
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limitation du contrôle aux achats effectués au cours du dernier mois),
réduit significativement le nombre
de résultats. Elle est cependant déconseillée, car des interactions modérées ou faibles peuvent aussi acquérir une importance clinique chez
certains patients. Il vaut mieux inclure dans le contrôle une période
d’observation de quatre mois au
minimum, généralement suffisante
pour épuiser les grands emballages.
3. Les informations rapides données
par certains logiciels pour pharmacies sont insuffisantes pour évaluer
et choisir une procédure appropriée. La rubrique «Mesures» doit
être consultée dans tous les cas.
4. Les interactions potentielles sont
toujours représentées par paires de
médicaments. Toutefois, des plans
de traitement complexes peuvent
compliquer davantage le profil des
effets cliniques dans la pratique.
Évaluation critique après le
contrôle
Les points suivants doivent être considérés dans le choix de la procédure
appropriée après le contrôle des interactions:
1. Évaluer la situation du patient
Une interaction ne se déroule pas dans
le manuel ni dans la banque de données, mais dans le corps du patient!
Certains patients sont plus exposés aux
conséquences indésirables d’une interaction. Il faut donc impérativement
prendre en compte la situation individuelle du patient (p. ex. âge, poids,
maladies, insuffisance rénale ou hépatique, polymédication, observance thérapeutique) au moment d’évaluer le
risque d’une association médicamenteuse et de choisir les mesures adéquates.
2. Identifier la période critique
La période durant laquelle les conséquences négatives d’une interaction
peuvent apparaître est déterminée par
les mécanismes d’interactions qui ont
lieu pour une association médicamenteuse donnée.
Dans le cas des interactions pharmacocinétiques, il s’écoule généralement
des jours voire des semaines avant
qu’apparaissent les premiers symptômes
cliniques, car l’induction et l’inhibition
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d’enzymes du métabolisme par le nouveau médicament sont des processus
lents. De manière générale, les interactions des médicaments à longue demivie plasmatique sont retardées, vu que
ces médicaments n’atteignent qu’au
bout d’environ cinq demi-vies leur
concentration active à l’équilibre,
concentration souvent nécessaire au
déclenchement des interactions. Il faut
aussi tenir compte de l’arrêt d’un médicament. Il est tout à fait possible
qu’une substance qui n’est plus administrée depuis plusieurs semaines
continue d’interagir avec un nouveau
médicament parce qu’elle est encore
présente en concentration suffisante
(pour rappel: le temps nécessaire pour
l’élimination complète d’un médicament peut atteindre l’équivalent de
cinq demi-vies). Ceci explique pourquoi il faut attendre p. ex. cinq semaines après arrêt de la fluoxétine avant
d’initier un traitement par le moclobémide pour être certain de prévenir tout
risque de syndrome sérotoninergique.
Par contre, les interactions résultant d’une diminution de l’excrétion
rénale se manifestent la plupart du
temps en l’espace de quelques jours.
Quant aux interactions pharmacodynamiques, les manifestations cliniques interviennent en règle générale
très rapidement, c.-à-d. en quelques
heures.
3. Vérifier l’équilibre
Les conséquences cliniques d’une interaction n’apparaissent pas seulement
lorsqu’on ajoute un médicament à un
traitement en cours, mais aussi lorsqu’on cesse de le donner. C’est ainsi
que la dose de nifédipine, médicament
parfois associé à l’inducteur enzymatique carbamazépine, doit p. ex. être réduite après l’arrêt de ce dernier. Dans
toute évaluation, il faut donc se demander si un équilibre existant a été modifié.
tation de la dose et de l’intervalle entre
les prises, surveillance des paramètres
sanguins et biochimiques, par exemple) pour prévenir ou contrôler les
effets négatifs.
5. S’interroger sur les effets
indésirables
Une action insuffisante ou un effet secondaire pourraient-ils être l’expression d’une interaction manifeste?
Agir
Lorsque les faits présentés dans cet
article sont intégrés dans l’évaluation
d’une interaction potentielle, il est possible d’en déduire des mesures adéquates pour le management. La CMPS
publiera toute une série d’exemples
sur la gestion des interactions en pharmacie. Le premier exemple sur la brivudine et le fluorouracile se trouve en
page 216.
Cet article a été rédigé sur mandat
de la CMPS par:
Marianne Beutler,
directrice de la CMPS, Egg
Eva Franz, pharmacienne, Berne
Dr sc.nat. Kurt Hersberger,
Institut de pharmacologie clinique,
Université de Bâle
Prof. Ueli Honegger, Institut pharmacologique, Université de Berne
■
Adresse de correspondance:
Commission des médicaments
des pharmacies suisses (CMPS)
Case postale 5247
3001 Berne
Tél. 01 994 75 63
Fax 01 994 75 64
E-mail: [email protected]
4. Estimer le bénéfice-risque
Interaction n’est pas toujours synonyme
de contre-indication. Dans certains
cas, le prescripteur opte pour une
association médicamenteuse malgré
le risque d’effet clinique défavorable.
Ceci devrait être réservé aux cas où
l’on ne dispose d’aucun autre médicament approprié et à la condition
d’avoir pris toutes les mesures (adapJournal suisse de pharmacie, 6/2006
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