Faut-il et comment explorer l’asthme à l’aspirine ?

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Revue française d’allergologie 51 (2011) 227–229
Faut-il et comment explorer l’asthme à l’aspirine ?
Is it necessary and how to investigate aspirin-induced asthma?
J.L. Bourrain
Allergologie, pôle pluridisciplinaire de médecine, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09, France
Disponible sur Internet le 18 février 2011
Résumé
La prise en charge diagnostique des suspicions d’asthme à l’aspirine est d’abord clinique reposant sur des données d’anamnèse et d’examen
complétés par des tests d’expositions. Ces derniers sont maintenant bien codifiés et une démarche diagnostique simple peut être recommandée.
# 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Aspirine ; Anti-inflammatoire non stéroïdien ; Asthme ; Asthme à l’aspirine ; Diagnostic
Abstract
The diagnosis of the suspicions of aspirin-induced asthma is first clinical basing on data of interrogation and examination completed by
provocation tests. These last ones are now codified well and a simple diagnostic procedure can be recommended.
# 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Aspirin; Non-steroidal anti-inflammatory drug; Asthma; Aspirin-induced asthma; Diagnosis
À côté de ses effets bénéfiques, l’aspirine présente un certain
nombre d’effets secondaires et l’éventuelle mauvaise tolérance
de ce médicament par les asthmatiques est connue depuis près
d’un siècle, cet effet secondaire pouvant aller jusqu’à mettre en
jeu le pronostic vital du patient [1].
Parmi les asthmatiques adultes, ceux présentant une
hypersensibilité respiratoire à l’aspirine ne sont pas négligeables puisqu’ils représentent environ 20 % des sujets [2]. Le
mécanisme n’est pas allergique, aussi nos moyens diagnostiques usuels, les tests cutanés et recherche d’IgE spécifiques,
ne sont pas adaptés rendant la prise en charge de ces patients
un peu plus complexe qu’habituellement [3]. L’aspirine et les
anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont alors
volontiers mis de côté sans vraiment de certitude diagnostique. Dans d’autres cas, c’est l’inverse, les patients
consomment ponctuellement de l’aspirine ou d’autres AINS
sans savoir si cela est anodin ou non sur leur fonction
respiratoire.
Adresse e-mail : [email protected].
1. Faut-il explorer les asthmes à l’aspirine ?
L’aspirine, mais et surtout les autres AINS sont des
médicaments très utiles pour leurs propriétés anti-inflammatoires, antalgiques et antipyrétiques. Ils sont largement
consommés et volontiers en automédication. Ils font d’ailleurs
partie de la plupart de nos pharmacies familiales. Une
information quant à ce risque doit donc être transmise au
patient ce qui peut conduire à une éviction de principe par le
patient et son médecin traitant d’autant plus qu’avec le
paracétamol (acetaminophène) et les AINS inhibiteurs sélectifs
de la cyclo-oxygénase de type 2 (Cox-2) nous disposons
d’alternatives thérapeutiques moins à risque de cet effet
secondaire [4].
Cette conduite à tenir peut paraître satisfaisante à court
terme. Elle fait cependant courir des risques au patient pour
plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’une prise ponctuelle,
notamment en automédication de ces médicaments déconseillés sans vraiment être interdits reste possible, réalisant alors
un test de réintroduction orale à pleine dose et sans surveillance
médicale avec les conséquences respiratoires immédiates qui
peuvent en découler. Les AINS anti-Cox-2 sélectifs, tel le
1877-0320/$ – see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reval.2011.01.035
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celecoxib, peuvent chez un petit nombre de ces patients induire
le même effet secondaire [5]. Il est donc important pour chaque
patient asthmatique de rechercher une telle intolérance et si tel
est le cas d’en faire le diagnostic et cela d’autant plus que la
connaissance de l’existence d’une intolérance à l’aspirine
apporte des informations supplémentaires sur la gravité
potentielle de cet asthme et sur son pronostique [6].
Ce phénomène n’est pas une allergie au sens strict du terme,
mais un phénomène pharmacologique acquis malgré probablement un déterminisme génétique sous-jacent [7]. Une fois
recueillies les données de l’interrogatoire et de l’examen
clinique, pas de test allergologique cutané pour le confirmer ni
de dosage d’IgE spécifique à disposition. Les espoirs mis dans
la biologie pour en faire le diagnostic que ce soit les tests
d’activation des basophiles ou les mesures de l’expression des
leucotriènes n’ont pas été totalement confirmés [8]. Des tests de
provocation sont donc le plus souvent nécessaires pour en
authentifier le diagnostic ce qui a pu décourager un certain
nombre de médecins et les inciter à rester sur des présomptions
diagnostiques par crainte de la lourdeur éventuelle et des
risques potentiels de ces tests. Le réseau d’excellence GA2LEN
a publié des règles de conduite des tests de provocation à
l’aspirine qui doivent permettre de dissiper ces craintes [9].
2. Les signes d’appel
La première étape diagnostique repose sur l’interrogatoire.
L’argument qui parait bien sûr le plus évident est la survenue
chez un asthmatique connu lors de la prise d’aspirine ou d’un
autre AINS de symptômes pulmonaires spastiques. Cependant,
lorsque l’atteinte est légère et peut manquer, la corrélation, la
prise médicamenteuse et l’altération de la fonction respiratoire
peut ne pas être remarquée par les patients.
L’intolérance aux AINS défini des asthmes essentiellement
de l’adulte et ayant eu un profil évolutif particulier qui s’il
n’affirme pas le diagnostic, permet de le suspecter. Les femmes
sont plus fréquemment concernées que les hommes dans un
rapport de 2,5 pour un [7]. S’il semble que la prévalence de cet
effet secondaire médicamenteux soit aux alentour de 21 %
parmi une population européenne de patients asthmatiques, si
une rhinosinusite chronique et une polypose nasale sont
associées à l’asthme, la prévalence de l’hypersensibilité à
l’aspirine s’élève alors à 30–40 % des patients [2]. Il s’agit
d’une maladie des voies respiratoires hautes et basses et
l’atteinte la plus précoce concerne la muqueuse nasale.
Typiquement, aux alentours de la trentaine survient une rhinite
aqueuse associée à une congestion nasale que les patients
comparent volontiers à un rhume ou à une infection des voies
aériennes supérieures [6,7,10]. Ce fait constitue un des
éléments qui plaident pour une participation viral dans la
genèse de cette hypersensibilité qui initierait un processus
inflammatoire aboutissant à la survenue de bronchospasmes
lors de la prise ultérieure d’aspirine ou d’autres AINS. L’asthme
survient deux à trois ans plus tard. Les AINS dont l’aspirine qui
étaient jusque là bien tolérés induisent alors des bronchospasmes plus ou moins sévères. Ces manifestations pulmonaires
ne sont habituellement pas isolées mais associées à une
importante rhinorrhée ainsi qu’une congestion nasale. D’autres
symptômes d’accompagnement à ces crises, ORL et oculaires,
peuvent être présents : des éternuements, un prurit nasal, un
larmoiement et un érythème oculaire, voire un œdème
périorbitaire modéré. Quelques patients rapportent parfois la
survenue d’un rash érythémateux du visage et du cou [7].
L’intensité de la symptomatologie est très variable pouvant
aller de la simple rhinite jusqu’à des manifestations anaphylactoïdes mettant en péril la vie des patients. D’autres éléments
cliniques importants sont la survenue de fréquentes sinusites et
d’une anosmie qui accompagne l’apparition d’une polypose
nasale.
Une éosinophilie sanguine ou de l’expectoration est
commune de même qu’une sensibilisation allergique à des
aéroallergènes chez un à près de deux tiers des patients.
L’éviction de l’aspirine ne fait pas disparaître l’asthme qui a
son évolution propre. Ce sont des asthmes graves émaillés de
crises sévères. Ils sont difficiles à équilibrer nécessitant dans
plus de la moitié des cas des corticoïdes généraux [7,11].
Ces différents éléments séméiologiques et chronologiques
permettent d’évoquer un asthme à l’aspirine, mais en dehors
d’histoires bien stéréotypées le diagnostic de certitude peut être
difficile à poser. Les tests de provocation eux le permettent mais
avec la réputation de nécessiter une certaine lourdeur
d’organisation et d’avoir le risque d’induire un bronchospasme
sévère. Il est cependant important de connaître précisément
quels médicaments doivent être évités, mais aussi de pouvoir
préciser quels médicaments peuvent être prescrits en cas de
fièvre, de douleur ou de nécessité d’un traitement antiinflammatoire ponctuel ou prolongé.
3. Les tests d’exposition à l’aspirine
Les termes de « test de provocation » sont habituellement
utilisés en traduction des « challenge tests », d’autres auteurs
préférant utiliser ceux de « tests de réintroduction ». Cela peut
induire certaines confusions quant à l’indication de ces tests :
provocation pour une réaction positive attendue et réintroduction pour une absence de réaction. Dans cet exposé, ce sont
essentiellement les termes de tests d’exposition qui sont
utilisés. Ils sont neutres et décrivent bien ce qui est réalisé.
Certains sont systémiques : exposition orale, exposition
parentérale. D’autres sont locaux : bronchiques, nasaux,
conjonctivaux. Les tests allergologiques cutanés pouvant être
considérés comme des tests d’expositions locales cutanées
[12].
Dans l’hypersensibilité non allergique à l’aspirine, les tests
d’exposition orale, bronchique ou nasale peuvent être utilisés
pour authentifier ou réfuter le diagnostic en déclenchant des
symptômes contrôlés et quantifiables.
Ces différents tests ont été le sujet de publications dont
certaines de synthèse qui précisent les indications, les contreindications ainsi que les considérations pratiques précises de
leur réalisation [9,13–16]. Ils doivent être réalisés par un
personnel compétent et aguerri à ces techniques et sous la
surveillance directe d’un médecin. Un matériel de soins
d’urgence et de réanimation doit être à proximité.
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Les tests de provocation orale ont été développés les
premiers, il y a une quarantaine d’années mais avec
effectivement l’inconvénient d’être relativement chronophages
(hospitalisation d’un à deux jours), mais aussi d’être à risque de
déclencher parfois des réactions sévères. C’est en effet une
vraie exposition pleinement systémique. Ils sont à réserver aux
équipes rôdées à leur réalisation. Les patients ne doivent pas
avoir un asthme déstabilisé, leur VEMS basal doit être
supérieur ou égal à 70 % de sa valeur théorique et une voie
veineuse doit au préalable être mise en place. Ils sont contreindiqués si les symptômes ont été très sévères et dans ce cas on
préfèrera un test d’exposition nasale. Ils ne seront pas non plus
réalisés en cas pathologie sous-jacente sévère (cardiaque,
digestive, hépatique ou rénale), si une infection respiratoire est
survenue durant les quatre semaines précédentes, en cas de
grossesse en cours et en cas de prise de bétabloquant. Les
médicaments pouvant interférer, corticoïdes, bronchodilateurs
doivent autant que possible être réduits voire stoppés.
En cas de suspicion d’asthme à l’aspirine, on préfèrera donc
en première intention le test d’exposition bronchique car moins
à risque. Si la fonction respiratoire du patient ne le permet pas,
ce sera l’exposition nasale qui sera privilégiée. Son inconvénient est sa valeur prédictive négative plus faible que les
précédents, aussi en cas de négativité, il est souhaitable de le
confirmer. De la même façon, en cas de négativité d’un test
d’exposition bronchique si la suspicion persiste on pourra alors
avoir recours au test d’exposition orale [9,17]. Cette stratégie
par étape pourrait permettre de limiter le risque de réaction
grave lors des introductions orales.
Ainsi, en cas de suspicion d’un asthme à l’aspirine et chaque
fois que cette classe médicamenteuse sera indispensable au
patient ces explorations secondaires seront réalisées. En cas de
confirmation de l’asthme à l’aspirine, il faudra alors confirmer
l’innocuité de molécules alternatives telle le celecoxib là
encore au prix d’une réintroduction orale à doses progressives
et sous surveillance hospitalière. En effet, chez quelques
patients, cette molécule anti-Cox 2 peut induire le même effet
secondaire [5].
4. Conclusion
S’enquérir de la tolérance de l’aspirine et des autres AINS
par les patients asthmatiques fait partie de la prise en charge
habituelle de ces personnes. Mais faire un diagnostic d’asthme
à l’aspirine ne se résume pas à cette question. C’est d’abord
toute une histoire clinique qu’il faut savoir reconnaître au sein
de laquelle l’hypersensibilité non allergique à l’aspirine est un
des éléments, sachant que sa survenue n’est pas forcément
précoce. Les différents tests de réintroduction réalisés à titre
diagnostique sont maintenant bien codifiés. Ils permettent de
confirmer ou d’infirmer les cas douteux, mais aussi de
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conseiller un patient qui a la nécessité de prendre un antiinflammatoire non stéroïdien.
Conflit d’intérêt
L’auteur n’a pas de conflit d’intérêt à déclarer.
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