LAURENCE PFEFFER Laboratoire “Cultures et sociétés en Europe” (UMR du CNRS n° 7043) Université Marc Bloch, Strasbourg <[email protected]> Les dess(e)ins du visage féminin Une anthropologie du maquillage L e maquillage est loin de n’être que ce phénomène superficiel et frivole souvent décrit, cette pratique que l’on n’envisage que du point de vue esthétique, oubliant sa discrète part anthropologique. Pour dépasser l’apparente futilité, il faut alors se plonger en cet art de l’apprêt par l’entremise de celles qui quotidiennement s’adonnent à ses effets. Cet article se propose d’exposer les conclusions d’une enquête consacrée au maquillage quotidien, menée auprès de 40 femmes par entretiens semi-directifs. Les femmes interrogées étaient de professions et de milieux sociaux variés (étudiantes, commerciales, institutrices, professeurs, conseillères d’orientation, secrétaires, etc.) et de situations matrimoniales diverses (célibataires, mariées, divorcées). Elles étaient âgées de 20 à 55 ans, cet éventail favorisant une analyse diachronique des pratiques cosmétiques au fil de l’existence individuelle, depuis l’adoption du maquillage, alors qu’il est encore en chantier et toujours changeant, jusqu’à son épanouissement lorsque l’idéal esthétique – l’harmonie des fards et du visage – paraît en quelque sorte abouti. Chaque enquêtée était amenée à évoquer ses débuts cosmétiques, ses sources d’inspiration passées et présentes, la composition et l’évolution de son maquillage, ainsi que ses attentes envers le visage paré, sa relation au visage nu, la complémentarité, la distinction ou l’opposition de ces deux faces. De nombreuses femmes, certes, usent de fards plus rarement ; certaines ne se maquillent jamais : celles-ci demeureront un instant spectatrices puisque l’enquête ici présentée ne s’intéresse volontairement qu’à la pratique quotidienne. L’abstinence cosmétique, son opposé, serait alors l’objet d’une nouvelle recherche. Le maquillage est une pratique riche du point de vue anthropologique1 puisqu’il parvient de manière inédite à conjuguer l’intime et le social, l’individuel et le culturel, mêlant le visage de l’être à son paraître, mariant l’originelle apparence à d’artificielles parures. Au-delà d’un pur narcissisme, il accède aux profondeurs sociales et culturelles de la société. Il est une extrapolation du visage féminin, un double remanié de soi, une seconde figure. Il est une modification corporelle à part et à part entière, une transformation faciale particulière car il laisse peau et chair indemnes, se contentant de les recouvrir sans jamais les entrouvrir. La modification cosmétique appartient à une esthétique de l’éphémère : le maquillage est un visage provisoire. Jeu entre mise en lumière et dissimulation, il masque autant qu’il dévoile. Le maquillage, encore, interroge la distinction – qui parfois se fait confusion – entre visage intime et visage social : la socialité appelle-t-elle toujours la parure, le visage apprêté pour l’altérité ? Et la figure de la solitude est-elle toujours dénudée, libérée de tout cosmétique apprêt ? N’existerait-t-il pas de faces ambivalentes, hors des schémas classiques – visages parés malgré l’isolement ou figures satisfaites du naturel en plein cœur du relationnel ? Le maquillage en tout sens ■ Le maquillage métamorphose le visage par un jeu de fards : il agit à la manière d’une illusion cosmétique. Dès lors, sa connotation négative devient limpide : perçu comme spécieux, il reste l’art de la falsification ainsi qu’en témoignent encore ses nombreuses définitions. La beauté est un art légué, dit la Genèse, par l’ange Azaël qui, après la 50 RSS33.indb 50 25/04/05 14:55:59 Laurence Pfeffer chute d’Ève, montra aux femmes l’art de se peindre le tour des yeux à l’antimoine. Le maquillage est une pratique ancestrale ; à l’origine il était censé, à la manière d’un masque, protéger le visage nu des agressions maléfiques : « Le maquillage des lèvres avait pour but d’empêcher le diable de pénétrer dans la bouche ; de même, le khôl protégeait du mauvais œil »2. Le maquillage se focalisait autour des orifices du visage (œil, bouche), comme s’il pouvait les protéger en empêchant tout démon de pénétrer en leurs vulnérables béances. Les représentations du maquillage peu à peu se sont modifiées jusqu’à se teinter de négativité : son caractère magique, capable de métamorphoser la nature, petit à petit en suppôt du diable l’a converti. Selon Saint Jérôme, « Le masque du maquillage représente l’image du diable appliquée sur le visage que Dieu a pétri. Ainsi, au jour du jugement dernier, le Christ ne reconnaîtra pas la coquette et l’enverra en Enfer »3. Le maquillage alors n’était qu’offense envers Dieu et son œuvre, immoralité, coupable vanité : farder son visage représentait le péché de celui qui sans mesure se vautrait dans la luxure. Car l’être vertueux, quant à lui, s’abandonnait volontiers aux mains de son Créateur, préservant précieusement le visage originel qu’il lui avait dessiné, ne pensant qu’à embellir son âme4 : « La beauté ne peut être «recherchée» puisqu’elle est «donnée» par Dieu »5. Dans le sens commun, le maquillage persiste à faire mauvaise figure : il est jeté du côté de l’orgueil, de la luxure, de la prostitution. La femme maquillée serait fausse, hypocrite et tricheuse. À moins qu’elle n’use des fards avec finesse, s’ornant d’un maquillage discret – paupières colorées avec nuance, bouche rosie avec délicatesse et sans excès : car dans les imaginaires, le maquillage distingué paradoxalement est celui qui ne se distingue pas du visage mais s’y fond ; il est cette parure sincère et légère qui préserve la face sans la muer en masque ; il s’y pose doucement jusqu’à s’y confondre, avec sensibilité plutôt qu’avec grossièreté ou trivialité. Car le maquillage vulgaire, quant à lui, est celui qui, criard – bouche outrageusement rougie, regard abusivement peinturluré – se détache insolemment et brutalement du visage, imposant sans mesure l’artifice au détriment de Les dess(e)ins du visage féminin Estelle Schweigert, La salle de bain, 1994, photographie couleur marouflée sur plaque d’aluminium. Collection Frac Alsace. © Agence culturelle d’Alsace l’originelle figure, perdant la beauté naturelle des traits derrière des ornements trop épais. Et si, malgré les apparences, n’existait en soi ni maquillage vulgaire ni fard distingué, et que ne subsistaient que des femmes naturellement insolentes ou élégantes : « Les frontières sont plus confuses aussi, où l’artifice pourrait basculer entre plusieurs signes pour une même personne : de celui de l’élégance à celui de la grossièreté ou même de la prostitution. Pepys […] peut avouer suivre une femme soupçonnée d’être une «fille de joie» dont il trouve le « visage joli et paré» […]. Il reconnaît en revanche « détester » brusquement une amie proche en apprenant qu’elle «se peint le visage», au point de lui «inspirer du dégoût » […]. Le thème du fard hante, à vrai dire, l’évocation de la prostituée au XVIIe siècle. »6. Maquillage distingué et maquillage vulgaire, élégance ou mœurs dépravés par les fards esquissés, peut-être finalement ne serait-ce là que pures vues de l’esprit ? Même si le blâme à l’encontre du maquillage, artifice des femmes légères, ne s’exprime plus avec la même verve qu’autrefois, sa mauvaise réputation survit dans l’imaginaire social7 et jusque dans certaines définitions du mot. D’après le Grand Larousse encyclopédique, le maquillage est, au sens propre, « une technique ayant pour objet de modifier le modelé d’un visage à l’aide de produits que l’on applique sur la figure, les yeux, les cils, les sourcils et les lèvres : le maquillage doit être adapté au teint de la personne et à la forme de son visage ». Le maquillage apparaît comme un procédé magique capable de métamorphoser le visage, d’en changer la configuration originelle. Il bouleverse l’ordre facial préétabli en contrant la nature, tout en respectant l’unicité de chaque femme, de chaque face : « Les cosmétiques suivent la même interrogation sur la physionomie au XVIIIe siècle. Les fards, par exemple, sont censés s’adapter à chacun : il faut un rouge «qui vous dise quelque chose» »8. Parallèlement, « maquiller, c’est accentuer la beauté d’un visage en dissimulant ses imperfections et en mettant en valeur ses qualités esthétiques ». De procédé magique, le maquillage rapidement se meut en falsification : la modification faciale, aussi superficielle soit-elle, reste remaniement de l’image que l’on 51 RSS33.indb 51 25/04/05 14:56:01 donne à voir, tricherie esthétique. Le maquillage, aux « intérêts correcteurs » (Vigarello), devient un masque derrière lequel se tapissent de honteuses imperfections, susceptibles de faire perdre la face. La femme tend à mettre en valeur ses atouts physiques pour faire bonne figure : elle chemine vers un idéal esthétique du visage. En outre, au sens propre, maquiller, revient aussi à « farder son visage pour le faire apparaître autre qu’il n’est. Exemple : une femme se maquille pour se rajeunir ». Le maquillage reste abordé comme une savante modification du visage : sa finalité n’est que tromperie puisqu’il agit sur la perception. La femme fardée n’est pas innocente9 : elle met en scène son visage de manière calculée pour faire brillamment face dans l’interaction. Si le sens propre du terme était évocateur, ses sens figuratifs et dérivés le sont plus encore. « Maquillage : action de donner une apparence trompeuse, falsification. Exemple : le maquillage d’une automobile volée. » ; « Falsifier, truquer : maquiller un passeport » ; « Maquiller les brèmes : tricher au jeu ». Les sens figuratifs de maquillage et maquiller désignent exclusivement tricherie et falsification : actions malfaisantes, ils ont pour finalité le mensonge et l’illusion ; ils ne sont que modifications apparentes destinées à abuser l’œil et le jugement de l’Autre. En réalité, le terme maquillage apparaît à la fin du XVIe siècle et comporte alors un sens péjoratif, propre à la tricherie et au truquage, qu’il conservera jusqu’au XIXe siècle. D’autres termes d’origine cosmétique ont également, par extension, désigné le mensonge : un maquilleur n’est-il pas un tricheur, un faussaire ? Le fard ne signifie-t-il pas, au-delà de cette poudre teintée, la feinte, le déguisement ainsi que des dehors spécieux ? On peut parler sans fard, c’est-à-dire sans feinte, directement, ou farder la vérité en cachant ce qui peut déplaire. Pour rester dans cet univers falsificateur, l’on peut encore parler de la photographie, qui fait du maquillage « une opération corrective consistant à appliquer au dos du cliché une substance absorbant la lumière en certaines régions, pour améliorer le rendu de l’image ou corriger quelques imperfections qui ne justifient pas une retouche ». Le maquillage, ingénieux artifice capable d’améliorations esthéti- ques, sublime l’image à la manière d’un trompe-l’œil. Il apparaît en outre comme une technique corrective superficielle car pour de plus graves défauts, il s’avère insuffisant : l’image requiert alors une retouche. Entre le maquillage et la retouche d’une photographie se jouent les mêmes écarts qu’entre le maquillage et la chirurgie d’un visage : le premier est une modification de surface, un jeu de dessins tégumentaires, tandis que la seconde est une modification radicale plus profonde, davantage réalité qu’illusion. L’éphémère du maquillage ■ Le maquillage est une modification corporelle à part : il tient sa spécificité des traces éphémères qu’il dépose sur le visage. Écriture sans cesse renouvelée sur le parchemin tégumentaire, le maquillage s’inscrit dans une esthétique du renouvellement. Chaque jour, un visage se dessine sur le visage originel, s’y superpose avant d’être effacé. La femme se donne à voir à travers un masque éphémère qui se fait et se défait, paraît et disparaît, infiniment. La spécificité du maquillage à l’égard d’autres inscriptions corporelles, tient de ce schéma geste-trace-geste inédit, déjà défini par Jean-Thierry Maertens dans Le dessein sur la peau. « De toutes les inscriptions corporelles connues, le maquillage est la seule qui non seulement s’efface mais que l’on efface sciemment dans un nouveau rite d’après-trace, le démaquillage. […] Au schéma geste-trace caractéristique des autres inscriptions tégumentaires, le maquillage oppose le schéma geste-trace-geste »10. Le caractère éphémère de la trace peinte engendre la nécessité d’une reconnaissance immédiate par l’Autre car l’identité créée n’a de sens que dans son regard et à l’instant présent : bientôt le masque de fards glissera hors du visage et ne sera plus que souvenir. Chaque soir effacé inlassablement chaque matin il renaît. Pour bien des femmes interrogées, la séance de maquillage représente une étape quotidienne appréciée qui ne saurait être supprimée : elle ne constitue en rien une journalière corvée mais bien un plaisir solitaire dont elles ne sauraient se passer. Il s’agit de substituer au visage nocturne et secret son noble double, ce visage diurne et remodelé. Le démaquillage d’ailleurs parfois est évoqué à la manière d’un étrange dépouillement, car il signe la perte temporaire de cette parure de fards à fleur de peau. Il est effacement du visage dessiné, si bien que la femme démaquillée peut exprimer le sentiment d’avoir perdu la face. Elle tend alors à retracer sans relâche son visage réinventé, réapparaissant dans le miroir sous des traits enjolivés : chaque jour elle se recrée et, soulagée, se retrouve à travers une image d’elle perfectionnée, aux contours accentués. Se fardant chaque matin, elle se réapproprie son visage et émerge ainsi doucement du sommeil qui engloutit le corps. Le visage quotidiennement est redessiné ; c’est ainsi qu’il se reconnaît en son reflet. Puisque le maquillage est reconstruction perpétuelle de soi, le rejet du maquillage permanent s’envisage aisément. Les femmes interrogées tendent majoritairement à s’opposer à ce type de parure (tatouage des lèvres, des sourcils, teinture des cils…) : “Je ne veux rien de définitif” ( Joëlle), “Je préfère largement recommencer chaque jour à me maquiller plutôt que d’être prisonnière d’un visage”(Sarah). Rejeter le maquillage permanent, c’est se raccrocher à la spécificité du maquillage, modification éphémère et malléable : revêtir un masque statique et indélébile serait perdre la faculté de jouer avec son visage. Se laisser dessiner un visage serait se perdre derrière les traits grossiers d’un masque esquissé par un étranger. Le tatouage des lèvres ou des yeux serait atteinte à la liberté d’expression et à la réappropriation corporelle journalière que représente le maquillage ; en ce sens, cette captivité esthétique ne saurait être envisagée. Le maquillage permanent devient geôle symbolique en laquelle est conservée à jamais le visage d’un instant, d’un autre temps, figé pour l’éternité. « La “ligne” vise l’instant (le regard) ou se place dans un espace de temps bref. Le résultat souhaité est visible, presque immédiat. C’est également quelque chose d’éphémère qu’il faut sans arrêt remodeler : […] un maquillage doit être recommencé chaque jour »11. La femme fardée se redessine perpétuellement dans un culte cosmétique quotidien : elle fait et 52 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 33, “Privé– public : quelles frontières ?” RSS33.indb 52 25/04/05 14:56:02 Laurence Pfeffer Les dess(e)ins du visage féminin défait son image ; elle sculpte son visage mais son œuvre est brève et périssable, destinée à disparaître chaque soir pour réapparaître aux lueurs de l’aube. Pile ou face : du visage brut au visage idéal ■ Si le maquillage est renaissance de soi à travers un visage quotidiennement redessiné, il est aussi construction fantasmagorique d’une image idéale12 : transformant minutieusement ses traits, la femme maquillée avoue tendre vers une certaine représentation de la perfection. Elle efface son visage brut derrière les fards pour atteindre une figure imaginaire idéalisée, jaillissant peu à peu des touches cosmétiques appliquées. « La séance de maquillage se déroule tout entière sur la scène de l’imaginaire. La souplesse de l’usage du fard amène la femme à se modeler un visage qui la rapproche un peu de son idéal ». 13 Pour accéder à cet idéal, le maquillage se fait stratégie : il s’élabore peu à peu, au fil des rencontres et des regards, se construit par imitations, inspirations ; tour à tour il met en valeur et dissimule, jusqu’à faire naître cette harmonie vers laquelle éperdument il tend. Dès les prémices du maquillage, la femme devient artiste, travaillant de ses mains son visage devenu support artistique, esthétique. S’inspirant du monde et des figures qui l’entourent, elle tend à se modeler un visage idéal, un masque de beauté. Ses sources d’inspiration papillonnent autour d’elles – mères, sœurs, amies, collègues – avant de venir lentement se poser sur sa figure offerte. Le maquillage se forme et se transforme à partir de parcelles d’autres maquillages qui se fondent jusqu’à ne plus pouvoir s’extirper du nouvel ensemble visagier ainsi créé. Comme le peintre mélange sur sa palette les teintes et les couleurs pour obtenir l’accord parfait, la femme fardée mélange les éléments de divers maquillages entrevus pour créer un maquillage personnel et harmonieux : parmi les enquêtées, certaines d’ailleurs évoquent le visage à la manière d’« une toile de fond » (Joëlle) dont elles enduisent la surface pour ensuite pouvoir travailler le matériau cosmétique. D’abord primaire et simpliste, le maquillage se complexifie au fil du temps et des rencontres : introduisant de nouveaux éléments dérobés sur les visages côtoyés, il devient addition d’une multitude de maquillages. Dépouillé à ses débuts – soulignant discrètement le regard – au fil des années il évolue, ajoutant au seul mascara des touches de fards à joues ou d’ombres à paupières, des traits d’eye-liner ou des nuances de rouge-à-lèvres. Chaque femme élabore sa propre parure cosmétique. À portée de sa main gravitent autant de composantes qui se laissent docilement happer et s’unissent en une combinaison achevée, en un visage idéal. La femme inlassablement peint ce portrait retouché sur la toile vivante de son visage. Le maquillage devient masque malléable dont elle peut changer la forme, les couleurs, les textures et les détails pour l’ajuster aux impératifs physiques qui la guident et la contraignent. Le maquillage se construit sur mesure : si la femme ne peut choisir son visage, elle a néanmoins le pouvoir de l’embellir à souhait. Ces lèvres fines souvent citées et qui font le désespoir de certaines, sous l’effet du rouge miraculeusement deviennent pulpeuses ; ces yeux considérés trop ronds soudainement d’un trait de crayon s’affinent jusqu’à prendre cette forme d’amande que l’on estime plus séduisante. Chaque enquêtée, ainsi, conte son visage transfiguré à sa manière, car chacune souhaite en accentuer ou en dissimuler certains traits, dans un ouvrage tout particulier. Cessant ainsi d’être passive face au visage imposé, la femme a désormais les moyens de se le réapproprier. Le maquillage est aussi l’art du voilement et du dévoilement : il est trompe-l’œil, jeu d’adresse, recherche d’un équilibre entre mise en lumière et mise en ombre. La plupart des femmes maquillées tendent à accentuer leur regard : les yeux sont envisagés comme siège de la relation, fenêtre ouverte sur l’âme et les sentiments. Ils s’ouvrent sur l’esprit, disent l’inexprimable. Le maquillage illumine le regard pour attirer sur lui l’oeil de l’Autre. Mais le maquillage n’est pas que mise en valeur : il est aussi dissimulation. Nombreuses sont les femmes qui admettent ainsi masquer leur tégument et ses imperfections : le fond de teint uniformise la surface du visage, affine le grain de la peau, efface ses défauts. Car tout défaut tégumentaire est exprimé comme une offense à la dignité du visage dont il abîme l’ensemble et nuit à l’harmonie : il reflète une part d’impureté qu’il s’agit d’éliminer. Le maquillage vient alors rehausser l’éclat du visage, masquer les écueils de l’existence. Il voile tout signe d’une vie «malsaine», estompe ces malheureuses cernes qui disent la fatigue et le manque de sommeil, gomme ces navrants boutons qui à tout moment trahissent mauvaise alimentation ou hygiène défaillante ; la pâleur maladive – longtemps associée à l’absence de fluide vital – sous le blush se métamorphose en vivante et vibrante couleur. En outre, le maquillage efface les empreintes du temps qui passe. Dans une société qui rejette la vieillesse, la jeunesse perdue se dissimule, déguisée sous des dehors juvéniles plus valorisés : la ride toujours effraye car elle est préfiguration de l’inéluctable vieillissement. Dans une culture qui honore le beau et déconsidère le laid, le maquillage vient soutenir l’embellissement corporel auquel, au sein de la gente féminine, aspire une majorité14. Le maquillage est un geste de narcissisation par lequel la femme élabore le visage idéal qu’elle souhaite donner à voir aux autres. Accentuant ses atouts naturels tout en estompant ses défauts les plus flagrants, elle attire le regard sur ces zones soulignées pour leur dignité et leur esthétique supériorité : le maquillage invite l’œil à s’attarder sur les plus nobles détails du visage tout en le détournant de ses disgracieux éléments. Il est un jeu d’équilibre entre atténuations et d’accentuations. Le maquillage : une mise en scène de soi ■ « La transformation de l’apparence du visage, son embellissement rituel, vise à favoriser la relation aux autres et la reconnaissance pour la femme d’un charme qui s’impose à elle comme un devoir-être. En changeant le dessin des traits et en leur adjoignant de minces traces colorées, le maquillage modifie leur tonalité, il adoucit ou durcit, voile ou met en évidence. Ce faisant, il dispense des touches non seulement sur le visage 53 RSS33.indb 53 25/04/05 14:56:03 qu’il met en scène, mais aussi et surtout sur l’image que la femme souhaite donner aux autres »15. Le maquillage est une savante mise en scène de soi : à travers lui, la femme modèle son visage selon l’image qu’elle souhaite offrir à voir aux autres. Il se fait préparation narcissique à l’interaction, identitaire construction. Le maquillage du comédien ne s’apparente-t-il pas d’ailleurs en certains points au maquillage féminin ? Cette dernière n’est-elle pas une actrice sociale qui chaque jour en sa loge s’installe, endossant face au miroir le visage du personnage qu’elle s’est lentement créé et que quotidiennement elle remet au monde ? « Cependant commence l’heure du maquillage. En apparence, un geste technique, une habileté ? Pas du tout. C’est déjà l’épreuve. Tous les jours, les comédiens vont d’abord s’effaçant dans le miroir, se déconnaissant, se défaisant. On ne doit plus se reconnaître. Cela prend beaucoup de temps. Enfin, on n’est plus là, et maintenant, dans la nuit de l’imagination, on cherche le visage de l’autre. Une heure, une heure et demie, l’on nage dans cette nuit amniotique, cherchant à amener à la lumière le nouveau-né, créant lentement le visage de Toi. […] Il y a des maquillages ratés. […] Qu’est-ce qu’un maquillage raté ? C’est le dépouillement de soi qui n’a pas été fait. “Moi”, dit encore le visage fardé. Car il y a quelqu’un dans le comédien qui refuse de s’en aller […]. Et le maquillage réussi ? Il n’est plus. Le maquillage a disparu. Un visage s’est formé sur l’ancien visage. Le comédien est devenu quelqu’un. […] Alors le comédien peut être fier de l’enfant qu’il a mis au monde et qu’il est. Il sourit doucement pour saluer l’apparition du nouveau-venu »16. De l’univers théâtral à l’univers social, il n’y a qu’un pas. À la manière du comédien, le maquillage ordinaire raté alors est conté par les enquêtées comme un décalage entre la représentation imaginaire du visage et sa triste réalité. L’artifice ne leur offre pas cet autre visage vers lequel elles tendaient mais leur renvoie une image déformée, bien éloignée de cette perfection en l’esprit esquissé. Malgré l’apprêt, l’on continue à avoir « une sale gueule », l’on « ne se plaît pas » : il n’est rien à faire, le fard ne parvient à avoir raison de ce visage déplaisant que l’on aimerait aujourd’hui plus que jamais effacer. Il y a déception dès que les modifications cosmétiques ne renforcent pas l’identité mentalement construite. Le maquillage réussi, quant à lui, est évoqué par les femmes interrogées comme l’élaboration d’un visage parfait, ressemblant au visage désiré : il glisse l’être paré dans la peau de son double idéalisé, sans décalage ni délai. Et alors, dans le reflet, tout simplement l’on se plaît : rien dans la réalité du visage ne vient entacher ce à quoi en l’imaginaire l’on aspirait. Au fil de l’existence, malgré d’immobiles apparences, le maquillage ne cesse de recouvrir de nouveaux sens. À l’aube de la vie, il s’élabore lentement jusqu’à devenir mise en scène d’une féminité naissante. Mais au soir de la vie, il devient restauration de soi et de la jeunesse enfuie. À l’adolescence, nombreuses sont celles qui entreprennent de se maquiller pour approcher les emblèmes féminins et leur ressembler, trichant avec l’âge par l’artifice du maquillage. Instrument de la femme-enfant, il est ce masque derrière lequel se cache un visage encore enfantin qui se laisse entrevoir sous des traits plus féminins. La transition de l’adolescence à la féminité peut se servir du maquillage mais rarement elle est aisée ou spontanée : « Je me maquillais en cachette de mes parents, parce que je le faisais le temps de l’internat, de la semaine. Le dimanche, je ne me maquillais pas à la maison, mes parents n’en savaient rien » (Joëlle). À l’internat, le maquillage souligne la rupture familiale, l’indépendance, le cheminement vers la féminité ; de retour au foyer parental, le démaquillage ramène l’adolescente, lui restituant son visage naturel. Deux faces alors s’affrontent, qui disent les ambiguïtés de l’adolescence, le déchirement entre enfance et monde adulte. Au-delà de la mise en scène d’une féminité encore en construction, le maquillage peut agir comme une restauration du visage : pour les plus âgées parmi les femmes interrogées, il permet d’effacer ces rides que les années doucement ont creusées. Le maquillage devient extériorisation d’une crainte grandissante des sociétés occidentales : les hommes, apeurés devant la mort, rejettent toute trace de vieillissement17. Le visage est livré à un impératif de jeunesse auquel il parvient par l’intermédiaire du maquilla- ge, devenu instrument d’effacement de l’empreinte temporelle. Les produits cosmétiques symbolisent cette lutte contre le vieillissement « soit par effacement pur et simple des signes de la décrépitude, soit par tendance à remplacer, dès la jeunesse, le visage, futur jouet du flétrissement, par une espèce de masque fixe et séparé du temps, attirant comme la plus gracieuse de toutes les statues, mais intangible comme une idole »18. Au fil de l’existence, le maquillage peu à peu devient préservation de l’apparence. La vieillesse qui se laisse voir effraye quiconque l’observe car elle est le reflet de son propre devenir, de son visage dans l’avenir. Le maquillage est cet enduit destiné à restaurer le visage perdu de la jeunesse ; il « étale son eau de jouvence sur le visage, il manipule le temps et la chair »19. Il consiste en une mise en scène cosmétique par laquelle enfin la femme renaît et se reconnaît sous des traits rafraîchis et renouvelés : le visage fané doit s’effacer pour laisser paraître le visage d’autrefois.20. Machine à remonter le temps, le maquillage recueille dans le passé le visage antérieur pour le reconstituer dans le présent, pour modeler le visage d’aujourd’hui sur le souvenir de son double juvénile. Il rend à la femme l’illusion de sa jeunesse : « Peut-être qu’on essaye de retrouver le physique de ses 20 ans, d’utiliser le maquillage pour effacer les traces du temps » (Marlène), « pour essayer de retrouver la jeunesse qu’on n’a plus » (Mireille). Le maquillage donne les moyens, aussi illusoires soient-ils, de restaurer les traits abîmés : il est dissimulation, restauration ; il est ce masque qui cache le visage vieillissant tant redouté, tant rejeté. « Et sans doute le maquillage est-il toujours une restauration de l’image de soi accomplie dans l’imaginaire »21. Du visage intime au visage social ? ■ « La face est physique, donc personnelle, et pourtant elle est parfois maquillée, parée, esclave de la mode. Elle est publique mais également profondément privée et intime »22. Le maquillage 54 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 33, “Privé – public : quelles frontières ?” RSS33.indb 54 25/04/05 14:56:05 Laurence Pfeffer illustre le dédoublement incontournable des êtres, pris entre intimité et socialité. Pour comprendre l’importance sociale du maquillage, il convient avant tout de saisir l’importance sociale du visage : c’est parce que ce dernier est vecteur fondamental du face à face que le maquillage se fait enjeu, facilitant l’interaction en embellissant l’objet du regard. Tout comme le visage, le maquillage ne prendrait sens que dans la vie sociale : « Nul visage ne tient sa lumière de lui-même, nul visage n’existe sans un rapport à l’altérité »23. Chaque femme est à la fois elle-même et une autre ; elle présente en alternance deux facettes, l’une dépouillée, l’autre parée, l’une que l’on dit naturelle, l’autre que l’on pense éminemment culturelle. D’après les entretiens, la face maquillée semble s’ouvrir sur l’univers des socialités bien plus que sur celui du privé : elle est celle que les femmes disent revêtir lorsqu’est envisagée la rencontre avec l’altérité. Nombreuses sont celles qui disent se farder avant toute entrée en matière relationnelle, se créant ainsi cet autre personnage, ce double social. La séance de maquillage d’ailleurs est généralement décrite comme un rituel égoïste, une relation insolite entre soi et son double dans le miroir aux fantasmes. Dans cette relation unilatérale inédite, la femme se redécouvre hors de la socialité pour mieux s’y préparer. Le visage maquillé apparaît comme un visage minutieusement retravaillé, car il est celui auquel les autres s’adressent, celui qui sera jugé, celui qui devra susciter leur intérêt et leur respect : « Mme de Girardin le dit dans ses livraisons régulières au journal La Mode entre 1836 et 1848 : il existerait une beauté « volontaire » et une beauté « involontaire », une beauté « sociale » autrement dit […]. Cette beauté travaillée serait même plus importante et précieuse que l’autre, jugée « trop » spontanée : «La physionomie de cette femme qui pense à être belle est certainement beaucoup plus agréable que celle de cette autre femme qui est belle sans y penser» »24. Le visage maquillé est cette figure façonnée pour autrui, apprêtée au seuil des socialités : « Mon visage maquillé, c’est mon visage d’extérieur » (Sophie), « Ma vie sociale, je la vis maquillée » (Joëlle). Les dess(e)ins du visage féminin Au verso de ce visage remanié qui paraît profondément social, le visage démaquillé demeure dans une ombre recherchée : il est un visage mystérieux et secret, tout personnel, presque asocial puisqu’il se retranche de toute relation, esquive tout regard. C’est un visage intime que seuls les plus proches sont autorisés à dévisager, à envisager, de la même manière que la vision du corps nu généralement est réservée à l’élu : « Il n’y a vraiment que ma vie intime que je vis démaquillée » (Joëlle), « Mon visage démaquillé, c’est mon visage d’intérieur » (Sophie). Le visage démaquillé est celui que la nature a imposé, tandis que le visage maquillé est l’œuvre de la femme, image redessinée. Souvent, il paraît difficile aux enquêtées d’investir le monde social sans la symbolique protection des fards : leur visage dépouillé est embarrassé par sa nudité ; il craint d’être démasqué. L’absence de maquillage engendre un malaise diffus car c’est un visage intime et secret qui est présenté, un visage socialement décalé, non préparé, et dès lors si cruellement vulnérable. Au fil du temps, la femme s’est en effet créé une image sociale qu’elle ne peut modifier sans craindre les critiques : « J’ai peur de décevoir si on me voit démaquillée » (Sophie), « Sans maquillage, non, je ne peux pas sortir, j’ai du mal, j’ai l’impression d’être moche » (Estelle), « J’ai toujours besoin que l’image que les autres ont de moi soit jolie » (Joëlle), « Je ne pourrais pas. Si ça arrivait, tout le monde croirait que je suis malade » (Cathie), « Je pense que comme on ne m’a jamais vue non maquillée, je n’aimerais pas être confrontée à leur regard » (Marlène). La femme habituée aux fards a besoin de se maquiller pour se sentir “totale” et épanouie : sans maquillage, elle se sent incomplète, comme amputée. Tout comme elle ne saurait se présenter dévêtue à son entourage, elle ne peut envisager de se présenter démaquillée : « Ca me donnerait cette impression d’avoir oublié de mettre un vêtement le matin » (Joëlle), « J’ai l’impression d’être chauve des yeux » (Christine). Dès qu’elles s’isolent du monde et des enjeux de l’apparence, les femmes tendent à se démaquiller, à se défaire du masque cosmétique pour redevenir ellesmêmes, simplement et sans artifice. En majorité les enquêtées avouent rechercher l’originelle nudité du visage dès que les voilà plongées en la solitude et en l’intimité : la figure démaquillée est celle que la plupart d’entre elles restaurent avec plaisir une fois le foyer retrouvé. La femme maquillée a deux facettes : son visage social est un visage presque toujours fardé, apprêté pour affronter la relation sans risquer de perdre la face ; son visage intime le plus souvent est naturel car, retiré de l’univers relationnel, il perd quasiment toute utilité. En effet, le visage – de même que le maquillage qui y est déposé – n’a de fonction que dans la confrontation à l’altérité. Comme il nous est invisible à nous-même, il n’existe que dans le reflet du miroir, dans une projection qui n’est pas lui-même mais son double inversé, ou dans le regard de l’autre, reflet subjectif et fragile. Ainsi, face à soi-même, le maquillage perdrait toute fonction en même temps que le visage perdrait toute utilité : il n’est plus vecteur de la relation, devient transparent, sans existence propre. « Ainsi la parure estelle un des aspects de l’ambivalence des socialisations : elle est certes une configuration esthétique, mais elle exprime aussi la revendication d’être soi-même, tout en se pliant au souci d’être agréable aux autres. «On se pare, dit Simmel, mais on ne le peut que si on s’adresse aux autres» »25. Le maquillage prend son importance parallèlement au visage : hors de la vie sociale, la femme est libérée de la contrainte du jugement : elle peut quitter un instant son personnage social, interrompre un moment cette continuelle mise en scène de l’apparence – pourvu qu’elle le désire. Chacune, chaque jour, par ce biais peut élever une barrière entre vie publique et vie privée : le visage fardé représentant la primauté de la face dans l’interaction, le visage nu témoignant à l’inverse de l’effacement du physique dans l’isolement. D’un tel point de vue, le visage ne prendrait sens et n’existerait que dans la confrontation à l’altérité. La scission de ces deux faces opposées, figure privée dépouillée et figure sociale maquillée, pourtant, n’est pas toujours si tranchée, si bien que visage intime et visage social parfois se confondent. Et le maquillage – celui-là même que l’on prétendait purement social – étrangement alors demeure présent en l’isolement, refusant de s’effacer comme 55 RSS33.indb 55 25/04/05 14:56:06 habituellement il le fait en la sphère privée. Même dans l’intimité quelques fois le visage demeure paré, dessiné. Si le plus souvent les femmes interrogées tendent à se démaquiller une fois du monde social retranchées, certaines préfèrent pourtant conserver à tout moment un visage apprêté : il n’est plus alors de réelles frontières entre visage social et visage intime, un même visage à chaque instant est arboré. Ce visage qui demeure maquillé jusqu’au sein du foyer pourtant ne paraît pas forcément égoïste ou purement narcissique : car ces femmes qui disent se maquiller pour elles-mêmes et avant tout pour se plaire, aux détours des mots admettent en réalité préserver leur figure maquillée – image idéalisée – pour flatter l’œil de celui ou de celle qui partage leur intimité. D’autres encore, malgré l’isolement, se maquillent en la sphère privée car, disent-elles, « l’on ne sait jamais », un hôte inattendu à tout moment pourrait arriver : et le visage naturel alors, celui-là même qu’elles tendent à dissimuler et à soustraire à toute altérité, serait malheureusement envisagé, démasqué… et peutêtre jugé. Conserver une figure fardée permet de se préparer à toute rencontre inopinée, de limiter les risques encourus dans la quotidienneté par l’inattendu. Le visage intime, lorsqu’il demeure maquillé, est ambivalent : il est à la fois plaisir égoïste – flattant l’œil de celle qui l’a dessiné – et plaisir partagé – réjouissant les partenaires de la féminine intimité ; mais il est aussi, en quelque sorte, préparation sociale à toute éventualité, à tout face-à-face qui à l’improviste surviendrait. Le visage, alors, ne retrouve sa nudité que lorsque l’être sommeille, lorsque son corps un moment est mis entre parenthèses, retiré des socialités, protégé de tout regard inopiné. Mais dès que l’être s’éveille, il reprend possession de son enveloppe charnelle, l’apprêtant immédiatement pour être prêt à tout moment. La face est redessinée, toujours, pour que jamais la figure la plus intime ne puisse être trahie, prise aux dépourvus, considérée par autrui ou quelque regard fortuit. Car quiconque ne serait un privilégié ou un familier ne saurait être autorisé à envisager la faciale nudité sans violer ces territoires du moi (Goffman) si jalousement gardés. Le maquillage est une modification corporelle entièrement consacrée au visage, un culte voué à la face, un hommage à la beauté. Les fards sont de symboliques boucliers qui protègent le visage féminin en habillant son originelle nudité. Le maquillage idéalise un visage soumis à l’imperfection de sa création, préserve le visage intime derrière son double social. Il est cette modification faciale toujours renouvelée, une écriture éphémère du tégument, s’effaçant après s’être donnée à lire. Le maquillage dessine sur le visage une autre face, esquisse les desseins énigmatiques d’une société de l’apparence qui ne se contente plus du corps légué mais revendique le remodelage esthétique. Bibliographie Ben Ytzhak Lydia, Petite histoire du maquillage, Paris, Stock, 2000, 189 p. Chalier Catherine, “Préface”, Le visage – Dans la clarté, le secret demeure, Paris, Editions Autrement, série Mutations, n° 148, Octobre 1994. Cixous Hélène, “Invisible visible, visible invisible”, Le visage – Dans la clarté, le secret demeure, Paris, Editions Autrement, série Mutations, n° 148, Octobre 1994. Descamps Marc-Alain, «Modèles culturels et fantasmes collectifs dans les formes du corps», Le corps humain : nature, culture, surnaturel, Paris, Congrès National des Sociétés Savantes, CTHS, Anthropologie et Ethnologie Françaises, 1985, pp. 365- 378. Detrez Christine, La construction sociale du corps, Paris, Seuil, 2002, 257 p., coll. “Points Essai“. Duret Pascal et Roussel Peggy, Le corps et ses sociologies, Paris, Nathan, 2003, coll. “128. Sociologie“, 128 p. Erny Pierre, “Le thème du corps en ethnologie“, Usages culturels du corps, Paris, L’Harmattan, 1997, 241 p., coll. “Nouvelles études anthropologiques“. Kovak Edvard, “Le face-à-face”, Le visage – Dans la clarté, le secret demeure, Paris, Editions Autrement, série Mutations, n° 148, Octobre 1994. Le Breton David, Des visages – Essai d’Anthropologie, Paris, Métailié, 1992, 327 p. Le Breton David, La sociologie du corps, Paris, PUF, 1997, 127 p., coll. “Que sais-je”. Leiris Michel, “L’homme et son intérieur”, Le corps enjeu, Neuchâtel, Musée d’Ethnographie, 1983. Maertens Jean-Thierry, Ritologiques I – Le dessein sur la peau – Essai d’anthropologie des inscriptions tégumentaires, Paris, Aubier, 1978, Coll. “Etranges étrangers”. Maisonneuve Jean et Bruchon Marilou, Le corps et la beauté, Paris, PUF, 1999, 127 p., coll. “Que sais-je”. Mozzani Eloïse, Le livre des superstitions – Mythes, croyances et légendes, Paris, Robert Laffont, 1995, 1822 p., coll. “Bouquins”. Ossipow Laurence, “Entre la « ligne » et la « forme » : un corps morcelé”, Le corps enjeu, Neuchâtel, Musée d’ethnographie, 1983. Paquet Dominique, Miroir, mon beau miroir – Une histoire de la beauté, Paris, Découvertes Gallimard, 1997, 128 p., coll. “Art de vivre”. Rustenholz Alain, Maquillage, Paris, Editions du Chêne, 1999, 191 p. Simmel Georges, «Essai sur la sociologie des sens», in Sociologie et épistémologie, Paris, PUF, 1991, 238 p., coll. “Sociologies“, introduction de Julien Freund. Synnott Anthony, The body social – Symbolism, Self and Society, New york, Routledge, 1993, 309 p. 56 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 33, “Privé – public : quelles frontières ?” RSS33.indb 56 25/04/05 14:56:07 Laurence Pfeffer Vigarello Georges, Histoire de la beauté, le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, 2004, Coll. “L’univers historique», 336 p. Notes 1. « L’ethnologue s’intéresse au corps de multiples manières. À un premier niveau, celui de l’étude ethnographique, il regarde comment le corps est traité (mis au monde, nourri, lavé, habillé, porté, couché, paré, parfumé, conditionné, entraîné, soumis à de multiples apprentissages, soigné, parfois façonné physiquement, endurci, mutilé, marqué, tatoué, identifié, ritualisé, mortifié, dissimulé, masqué, supplicié, tué, embaumé, momifié, représenté, sublimé, parlé, en un mot : socialisé). Il y a là un champ immense, inépuisable, indéfiniment renouvelé. », Erny Pierre, “Le thème du corps en ethnologie“, Usages culturels du corps, Paris, L’Harmattan, 1997, 241 p., coll. “Nouvelles études anthropologiques“, p. 1. 2. Mozzani Eloïse, Le livre des superstitions – Mythes, croyances et légendes, Paris, Robert Laffont, 1995, 1822 p., coll. “Bouquins”, p. VII. 3. Paquet Dominique, Miroir, mon beau miroir – Une histoire de la beauté, Paris, Découvertes Gallimard, 1997, 128 p., coll. “Art de vivre”, p. 33. 4. « L’embellissement a été presque unanimement condamné comme vaniteux. Jérôme le condamne depuis longtemps déjà : ‘Et vous, pauvre pécheresse, quel dessein vous pousse à élargir vos yeux avec les fards ? Vous vous embellissez avec vanité’. Clément d’Alexandrie interdisait aux femmes […] de ‘s’enduire le visage de ces artifices asservissants que leur offrait un monde sournois’; ‘L’amour de l’exhibition n’est pas l’apanage d’une dame mais celui d’une courtisane’. […] Il affirmait que ‘celui qui veut être beau doit orner ce qu’il y a de plus magnifique en l’homme, son esprit’. Pourquoi ? ‘Car il est effroyable pour ceux qui sont faits à l’image de Dieu de déshonorer leur modèle en usant d’ornements’. […] Les Puritains adoptèrent également le point de vue selon lequel le maquillage est une pratique honteuse et coupable » Synnott Anthony, The body social – Symbolism, Self and Society, New york, Routledge, 1993, 309 p., p. 85. 5. Vigarello Georges, Histoire de la beauté, le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, 2004, Coll. “L’univers historique», 336 p., p. 45. 6. Op. cit., p. 87. Les dess(e)ins du visage féminin 7. « La modernité prolonge à sa manière les vieilles critiques religieuses associant massivement le fard à l’impureté ; celles de Saint Jérôme et de Tertullien, entre autres, distinguant l’esthétique naturelle, «œuvre de Dieu», et l’esthétique artificielle, «œuvre du Diable» ; les traités de beauté du XVIe siècle, les mémoires, les récits, répercutent de fait le très ancien refus religieux des cosmétiques ». Id., p. 45. 8. Ibid., p. 117. 9. « L’absolu ne saurait être corrigé, la beauté ne saurait être retravaillée. Le fard par exemple ne ment-il pas en compromettant la perfection révélée ? D’où l’inévitable ambiguïté d’embellir le corps, l’interminable contestation de tout artifice ». Ibid., p. 15. 10. Maertens Jean-Thierry, Ritologiques I – Le dessein sur la peau – Essai d’anthropologie des inscriptions tégumentaires, Paris, Aubier, 1978, Coll. “Etranges étrangers”, p. 140. 11. Ossipow Laurence, “Entre la « ligne » et la « forme » : un corps morcelé”, Le corps enjeu, Neuchâtel, Musée d’ethnographie, p. 170. 12. “Now, the Avon Beauty Guide says: ‘Make-up is fun. Make-up looks like you, only better’”. “Aujourd’hui, le Guide de la beauté Avon affirme que ‘le maquillage est amusant. Le maquillage a votre visage, simplement sublimé’”, Synnott Anthony, The body social – Symbolism, Self and Society, New york, Routledge, 1993, 309 p., p. 85. 13. Le Breton David, Des visages – Essai d’Anthropologie, Paris, Métailié, 1992, 327 p., p. 225. 14. “La beauté absolue, sous sa forme la plus élémentaire, est la croyance en une beauté qui est le bien et en une laideur qui est le mal ; ainsi, le moralement bien serait physiquement magnifique tandis que le mal serait laid ». Synnott Anthony, The body social – Symbolism, Self and Society, New york, Routledge, 1993, 309 p., p. 78. 15. Le Breton David, Des visages – Essai d’Anthropologie, Paris, Métailié, 1992, 327 p., p. 224-225. 16. Cixous Hélène, “Invisible visible, visible invisible”, Le visage – Dans la clarté, le secret demeure, Paris, Ed. Autrement, série Mutations, n° 148, Octobre 1994, p. 163-164. 17. Leiris Michel, “L’homme et son intérieur”, Le corps enjeu, Neuchâtel, Musée d’Ethnographie. 18. Op. cit., p. 16. 19. Le Breton David, Des visages – Essai d’Anthropologie, Paris, Métailié, 1992, 327 p., p. 226. 20. « Vieillir, pour beaucoup d’Occidentaux, c’est perdre peu à peu son visage, et se voir un jour sous des traits étrangers avec le sentiment d’avoir été dépossédé de l’essentiel […]. Et pourtant palpite le souvenir d’un visage perdu, le visage de référence […] Visage antérieur qui attise la nostalgie et dit sans ambiguïté la précarité de toute vie. Peut-être est-il celui-là même que le maquillage ou la chirurgie esthétique cherchent à embellir, voire à restaurer, à fixer en une éternelle jeunesse ». Op. cit. , p. 11-12. 21. Id. p. 225. 22. Synnott Anthony, The body social – Symbolism, Self and Society, New york, Routledge, 1993, 309 p., p. 73. 23. Chalier Catherine, “Préface”, Le visage – Dans la clarté, le secret demeure, Paris, Ed. Autrement, série Mutations, n° 148, Octobre 1994, p. 14. 24. Vigarello Georges, Histoire de la beauté, le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, 2004, Coll. “L’univers historique», 336 p., p. 139. 25. Freund Julien, préface d’»Essai sur la sociologie des sens», in Sociologie et épistémologie, Simmel Georges, Paris, PUF, 1991, 238 p., col. “Sociologies“, introduction de Julien Freund, p. 56-57. 57 RSS33.indb 57 25/04/05 14:56:08