MISE AU POINT Traitement du phénomène de Raynaud associé aux maladies systémiques auto-immunes Treatment of Raynaud’s phenomenon associated to autoimmune systemic diseases E. Hachulla* L e phénomène de Raynaud est un trouble vasomoteur caractérisé par une ischémie paroxystique des extrémités. C’est l’interrogatoire et la bonne connaissance de la sémiologie qui permettent d’en assurer le diagnostic, car il est rare d’observer une crise au cours de la consultation. La fréquence des crises (en particulier pendant la saison froide et en période humide) et les douleurs intenses qui les accompagnent parfois peuvent conduire à un réel handicap dans la vie quotidienne (figure 1). La prévalence du phénomène de Raynaud est estimée, dans la population générale, à 5-6 % environ ; selon son type, elle varie de 20 % à 100 % au cours des maladies systémiques auto-immunes. Figure 1. Phénomène de Raynaud en phase syncopale. Tableau I. Physiopathologie du phénomène de Raynaud. vasoconstriction Physiopathologie La physiopathologie du phénomène de Raynaud n’est pas univoque et fait intervenir plusieurs mécanismes à des degrés divers (1) [tableau I]. Principales causes du phénomène de Raynaud * Centre de référence des maladies auto-immunes et maladies systémiques rares ; service de médecine interne, hôpital Claude-Huriez ; université de Lille-II. Si, dans plus de 90% des cas, le phénomène de Raynaud est idiopathique, l’interrogatoire, l’examen clinique et quelques examens complémentaires permettent d’évoquer les causes secondaires, qui sont nombreuses (tableau II). 12 | La Lettre du Rhumatologue • No 360 - mars 2010 – Augmentation de la réactivité des récepteurs α2-adrénergiques des cellules musculaires lisses – Augmentation de la production d’endothéline 1 par les cellules endothéliales vasodilatation – Diminution de la production de certains neuropeptides comme le CGRP (Calcitonin Gene-Related Peptide) des branches nerveuses afférentes – Diminution du NO produit par les cellules endothéliales Lésions endothéliales – Augmentation du stress oxydatif Diminution des flux vasculaires/tendance procoagulante – Augmentation de l’activation de l’agrégation plaquettaire – Diminution de la fibrinolyse – Augmentation de la viscosité – Diminution de la déformabilité des globules rouges Points forts »» La prévalence du phénomène de Raynaud varie, selon son type, de 20 % à 100 % au cours de maladies systémiques auto-immunes. »» Une hyperréactivité des récepteurs α2-adrénergiques est observée. »» L’augmentation de la production d’endothéline 1 et la diminution de la production de monoxyde d’azote (NO) sont les principaux mécanismes physiopathologiques du phénomène de Raynaud. »» Le principe de base du traitement associe la protection contre le froid et l’humidité, et l’arrêt du tabagisme. »» Si le bénéfice des inhibiteurs calciques apparaît modeste dans le phénomène de Raynaud de la sclérodermie systémique, ils divisent par 6 le risque de survenue d’un premier épisode d’ulcération digitale. L’iloprost i.v. apporte un bénéfice en termes de fréquence et de sévérité des crises et favorise la cicatrisation des ulcérations digitales. Le bosentan permet la réduction du nombre de nouveaux ulcères digitaux chez les patients souffrant de sclérodermie systémique et d’ulcères digitaux évolutifs. L’examen clinique permet bien souvent de reconnaître la connectivite qui serait associée au phénomène de Raynaud, mais, si ce n’est pas le cas, quelques examens systématiques permettront de la caractériser : – NFS et anticorps antinucléaires par immunofluorescence ; – capillaroscopie ; – créatine phosphokinase ; – biopsie des glandes salivaires accessoires s’il y a des arguments pour un syndrome de GougerotSjögren. Tableau II. Principales causes secondaires des phénomènes de Raynaud. Traitement du phénomène de Raynaud Il est rare que le phénomène de Raynaud soit un réel problème au cours des connectivites, en dehors de la sclérodermie systémique (ScS), de la dermato­ myosite, du lupus ou des vascularites, dans lesquels de véritables nécroses ou ulcérations digitales sont possibles (figures 1 à 4). Lorsque le phénomène de Raynaud est gênant, le meilleur traitement consiste à se protéger contre le froid et l’humidité et à arrêter la consommation de tabac, qui, dans la sclérodermie systémique, multiplie par plus de 4 le risque d’ulcération digitale. Mots-clés Maladie systémique auto-immune Phénomène de Raynaud Ulcération digitale Traitement Keywords Systemic autoimmune disease Raynaud’s phenomenon Digital ulcer Treatment Connectivites – Sclérodermie – Syndrome de Sharp – Dermatomyosite – Syndrome de Gougerot-Sjögren – Polyarthrite rhumatoïde – Lupus érythémateux systémique Causes médicamenteuses et toxiques – Bêtabloquants (même en collyre) – Dérivés de l’ergot de seigle, sumatriptan – Clonidine – Bléomycine et vinblastine – Interféron α Artériopathies oblitérantes Figure 2. Ulcération ischémique douloureuse de la pulpe du doigt chez une patiente atteinte de scléro­ dermie systémique. – Syndrome du défilé costo-claviculaire – Maladie de Buerger – Artériopathie athéromateuse – Embolies distales – Syndrome paranéoplasique Vascularites – Cryoglobulinémie – Maladie des agglutinines froides – Périartérite noueuse, maladie de Wegener – Maladie de Horton, maladie de Takayasu Artériopathies professionnelles ou de loisirs – Maladie des vibrations – Syndrome du marteau hypothénar Hémopathies et troubles de l’hémostase – Syndromes myéloprolifératifs et syndromes d’hyperviscosité – Syndrome des antiphospholipides et autres thrombophilies Causes endocriniennes – Thyroïdopathies – Anorexie mentale Figure 3. Ulcérations digitales multiples chez un patient atteint de dermatomyosite. La Lettre du Rhumatologue • No 360 - mars 2010 | 13 MISE AU POINT Traitement du phénomène de Raynaud associé aux maladies systémiques auto-immunes Figure 4. Gangrène digitale chez un patient atteint de maladie de Wegener. Il faut s’habiller chaudement, de la tête aux pieds : – superposer des couches de vêtements est plus efficace que de porter une seule couche pour garder la chaleur, que ce soit pour le corps ou les mains (gants de soie recouverts de gants en polaire) ; – privilégier les chaussures doublées en cuir, proscrire les baskets, source d’humidité, porter des chaussettes chaudes ; – se couvrir le cou et la tête, car l’organisme perd beaucoup de chaleur par le cuir chevelu ; – avant de sortir, ne pas toucher d’objets froids et mettre des gants ; – avoir toujours une paire de gants à portée de la main pour éviter les variations thermiques des endroits climatisés et des secteurs frais des grandes surfaces alimentaires. L’utilisation de chaufferettes pour les mains et les pieds est parfois d’un bon secours. Elles sont vendues dans les magasins d’articles de sport. ➤➤ Certains médicaments inducteurs de crise de Raynaud ou facteurs aggravants d’ischémie digitale doivent être évités, essentiellement les bêtabloquants (même en collyre) et les antimigraineux, ainsi que la bromocriptine. Il ne s’agit cependant pas d’une contre-indication absolue. Tout dépend de l’indication et de l’importance de l’aggravation du phénomène induit pas le médicament. Bien entendu, si un bêtabloquant est nécessaire après un infarctus du myocarde, il ne faut pas hésiter à le prescrire et, ensuite, en évaluer les conséquences cliniques. Un bêtabloquant cardiosélectif est bien entendu préférable. ➤➤ Lorsque ces mesures simples ont échoué et que le handicap reste important, on peut être amené à opter pour un traitement médicamenteux, les inhibiteurs calciques se trouvant en première ligne. Au cours des 20 dernières années, plusieurs études 14 | La Lettre du Rhumatologue • No 360 - mars 2010 randomisées ont été menées concernant le phénomène de Raynaud idiopathique ou associé à la ScS. La nifédipine est la seule molécule commercialisée (avec l’indication phénomène de Raynaud) ayant fait l’objet d’études randomisées sérieuses (nifédipine versus placebo, nifédipine versus iloprost i.v., nifédipine versus losartan). Comparativement au placebo, la nifédipine diminue significativement le nombre et la sévérité des crises. Thomson et al. ont rassemblé les données de 8 études contrôlées menées chez des patients atteints de connectivites (n = 109). Le bénéfice des inhibiteurs calciques apparaît tout à fait modeste : ils réduisent de 8,3 fois le nombre de crises de Raynaud sur une période de 2 semaines et réduisent de 35 % la sévérité des crises (2). Néanmoins, leur utilisation systématique au cours de la ScS diminue de près de 6 fois le risque de survenue d’un premier épisode d’ulcération digitale (HR = 0,17 ; IC95 : 0,09-0,32) [3]. Le losartan est un antagoniste spécifique des récepteurs de type I de l’angiotensine II. Une étude pilote limitée en nombre de patients a montré une légère supériorité du losartan sur la nifédipine en termes d’efficacité sur la sévérité des crises de Raynaud (4). Le sildénafil, à la dose de 50 ­mg/­j, pourrait apporter un bénéfice sur le phénomène de Raynaud associé à la ScS, mais le faible niveau de preuve ne permet pas, aujourd’hui, d’utiliser ce médicament dans cette indication (5). Traitement des ulcérations digitales ➤➤ Le traitement des ulcérations digitales de la ScS est d’abord préventif : éviter les activités à risque de blessure ou de coupure des extrémités, avoir une bonne hygiène cutanée et unguéale, protéger ses doigts, les laver à l’eau et au savon et appliquer des soins locaux en cas de plaie. L’arrêt du tabagisme est un objectif majeur chez les patients fumeurs, dont le risque d’ulcérations digitales est 4 fois plus élevé. ➤➤ En cas d’ulcérations évolutives, la détersion mécanique est toujours nécessaire. ➤➤ En cas de phénomène de Raynaud sévère, l’ilo­ prost i.v. est recommandé en cure de 5 jours. L’­iloprost i.v. a en effet montré sa supériorité sur les traitements conventionnels en cas d’ischémie digitale sévère ou de gangrène digitale. Dans une étude randomisée versus placebo, il apportait un bénéfice en termes de fréquence de crises du phénomène de Raynaud et de délai de cicatrisation des ulcérations (6). MISE AU POINT ➤➤ Le sildénafil pourrait être une alternative intéressante pour aider à la cicatrisation d’ulcères digitaux, mais une étude randomisée à plus large échelle est nécessaire avant de pouvoir utiliser plus largement cette molécule dans cette situation (5). ➤➤ Le bosentan, premier antagoniste des récepteurs de l’endothéline, a démontré qu’il réduisait significativement le risque de développement de nouveaux ulcères (– 48 % durant la période de 16 semaines de traitement) [7]. Ce bénéfice se confirme à long terme, comme l’a montré la phase d’extension ouverte de l’étude, ainsi qu’une autre étude randomisée plus récente se déroulant sur 24 semaines, dont les résultats n’ont pas encore été publiés. Cependant, le bosentan n’a pas montré de bénéfice sur la cicatrisation des ulcères évolutifs. Il a obtenu une AMM européenne pour la réduction du nombre de nouveaux ulcères digitaux chez les patients souffrant de ScS et d’ulcères digitaux évolutifs. Conclusion Si le phénomène de Raynaud est le plus souvent un symptôme bénin, il est parfois vécu comme très handicapant, particulièrement chez le travailleur manuel ou chez les patients travaillant à l’extérieur ou dans des atmosphères froides. Il ne doit pas être négligé, car le retentissement sur la qualité de vie peut être important. Le risque d’ulcère et de nécrose digitale en fait toute la gravité, particulièrement au cours de la ScS, et plus rarement au cours de la dermatomyosite, de la polyarthrite rhumatoïde ou du lupus systémique. ■ Références bibliographiques edimarksanté 1. Herrick AL. Pathogenesis of Raynaud’s phenomenon. Rheumatology 2005;44:587-96. 2. Thompson AE, Shea B, Welch V et al. Calcium-channel blockers for Raynaud’s phenomenon in systemic sclerosis. Arthritis Rheum 2001;44:1841-7. 3. Hachulla E, Clerson P, Launay D et al. Natural history of ischemic digital ulcers in systemic sclerosis: single-center retrospective longitudinal study. J Rheumatol 2007;34:2423. 4. Dziadzio M, Denton CP, Smith R et al. Losartan therapy for Raynaud’s phenomenon and scleroderma: clinical and biochemical findings in a fifteen-week, randomized, parallel-group, controlled trial. Arthritis Rheum 1999; 42:2646-55. Votre info médicale 5. Fries R, Shariat K, von Wilmowsky H, Böhm M. Sildenafil in the treatment of Raynaud’s phenomenon resistant to vasodilatory therapy. Circulation 2005;112:2980-5. 6. Wigley FM, Seibold JR, Wise RA et al. Intravenous iloprost treatment of Raynaud’s phenomenon and ischemic ulcers secondary to systemic sclerosis. J Rheumatol 1992; 19:1407-14. 7. Korn JH, Mayes M, Matucci Cerinic M et al. Digital ulcers in systemic sclerosis: prevention by treatment with bosentan, an oral endothelin receptor antagonist. Arthritis Rheum 2004;12:3985-93. edimark U n a u t re re g a rd sur v otre spécialité Un autre regard sur votre spécialité Retrouvez en vidéo les actualités de votre spécialité sur www.edimark.tv Vous pourrez à tout instant télécharger nos reportages en podcast et poster vos commentaires et vos questions à nos experts. Ils vous répondront personnellement. edimark La Lettre du Rhumatologue • No 360 - mars 2010 | 15