70 ans de la Sécu : le nouveau sens de la solidarité

publicité
DOSSIER
70 ans de la Sécu:
le nouveau sens de la solidarité
La Sécurité sociale (Sécu) a été créée à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour édifier « un ordre social
nouveau » (1). Mais face au vieillissement de la population, à l’évolution de nos structures sociales et de nos
territoires, aux nouveaux besoins de confort ou de prévention, la Sécu craque et pas seulement financièrement.
Quels principes mettre en œuvre pour refonder un système qui s’avère inapte à résorber les inégalités de santé
et joue de moins en moins son rôle d’amortisseur de crise? Les solutions inventées sur les territoires (recours aux
nouvelles technologies, mutuelles communales) préfigurent-elles de nouvelles formes de solidarité ou modifientelles notre contrat social?
Christelle Destombes et Émilie Lay
ANALYSE DES BESOINS
INITIATIVE
INITIATIVE
POINTS DE VUE
VU D’AILLEURS
70 ans de la Sécu:
le nouveau sens
de la solidarité
Pour l’accès aux soins
pour tous, des villes
se font mutuelles
Les Landes misent
sur le numérique
L’impossible refonte
de la Sécurité
sociale?
La Finlande
expérimente
le minimum vital
P. 15
P. 18
P. 20
P. 22
P. 19
C
© DWIGHT ESCHLIMAN / GETTY
hômage de masse, crise et déficits publics
récurrents, vieillissement de la population, nouvelles pathologies – certaines
liées à l’augmentation de l’espérance de vie –,
départs à la retraite des baby-boomers, inversion
de la pyramide des âges, etc. Notre situation n’a
rien à voir avec l’après-Guerre. Pour s’adapter au
XXIe siècle, les propositions ne manquent pas et
à droite comme à gauche, chacun se targue de
refonder un système à bout de souffle. Et qui,
en dépit des dix-neuf plans de redressement
des comptes de l’assurance maladie entre 1975
et 1995 et des réformes des retraites de 1993,
2003, 2008, 2010 et 2012, est toujours déficitaire.
La Sécurité sociale est composée de 366 organismes (dont 101 CAF, 101 CPAM, 22 Urssaf,
16 Carsat) de droit privé avec une mission de
service public. S’y côtoient une multitude de
régimes (salariés, agriculteurs, fonctionnaires,
mineurs, etc.), aux mécanismes de financement
complexes. En cette année de commémoration
des 70 ans de la Sécu (2), la ministre de la Santé
Marisol Touraine a annoncé une réflexion sur la
création d’un « régime maladie universel » afin
de simplifier « radicalement » la couverture des
soins pour tous : « tout le monde dans notre pays
a droit à une couverture, (mais) il est parfois com- >>
La Gazette Santé-Social • septembre 2015
•GSS121.indb 15
15
09/09/15 11:30
DOSSIER
>> pliqué de faire valoir ses droits », après un démé-
nagement, une période de chômage, etc. D’ores et
déjà, la sécurité étudiante a été adossée au régime
général. Alors que la Sécu est historiquement
attachée au statut de travailleur, celui d’assuré
dépendant d’une caisse unique s’adapte mieux
à notre époque du travail précaire et des CDD.
des prélèvements et l’architecture financière des
régimes sociaux ». Rendu public en juillet (5), il
préconise des mesures techniques pour clarifier
et faciliter les règles et procédures, réduire les
coûts de gestion dans l’objectif « d’une plus
grande transparence et d’une meilleure lisibilité du prélèvement social au service d’une
adhésion renforcée des citoyens à ce dernier ».
Des salaires à la TVA sociale
L’autre chantier concerne le financement. À
l’origine quasi totalement assuré par les salaires
(cotisations sociales), il pioche de plus en plus
du côté de l’impôt, en particulier avec la contribution sociale généralisée (CSG) créée en 1991.
Frédéric Bizard, économiste de la santé, y est
favorable : « Une montée en puissance de la
CSG, compensée par une baisse des cotisations
santé […] renforcerait l’équilibre financier
de l’assurance maladie et serait favorable à
l’emploi. Elle serait socialement juste en mettant davantage à contribution les seniors aisés
qui sont plus gros consommateurs de soins et
plus faibles contributeurs que les actifs » (3).
D’autres préfèrent l’idée d’une TVA sociale. Une
étude macroéconomique réalisée par la chaire
Transition démographique-transition économique de la Caisse des dépôts indique (4) : « la
(mesure) la plus efficace est l’instauration d’une
TVA sociale et la moins efficace la hausse de la
CSG, et cela en intégrant leurs effets respectifs
sur la compétitivité de l’économie française ».
En attendant de trancher, le gouvernement a
demandé au Haut Conseil du financement de
la protection sociale un rapport sur « la lisibilité
Assurer la santé plutôt que la maladie
« En 1945, la Sécurité sociale remboursait
plus d’indemnités journalières que de médicaments », souligne Frédéric Pierru, chercheur
en sciences sociales et politiques. « Pour rénover l’assurance maladie, il faudrait assurer la
santé plutôt que la maladie : être ambitieux en
termes de prévention et promotion de la santé,
plutôt que d’indemniser les malades. » Certes,
l’assurance maladie s’est positionnée comme
un acteur de prévention avec Sophia, le service
d’accompagnement des patients diabétiques.
Mais alors qu’un des enjeux majeurs consiste à
freiner la progression des maladies chroniques
ou de la dépendance, la prévention reste le
parent pauvre. Passer de la notion de « dépenses
sociales » à celles « d’investissement social » est
pourtant une nécessité selon Frédéric Bizard :
« On ne dépense plus uniquement pour réparer,
guérir, assister mais pour prévenir, accompagner
et former à la gestion du risque ». Car le patient
du XXIe siècle est responsable de son état de
santé et un acteur à part entière. Les textes l’ont
consacré (loi de 2002 sur les droits des patients),
il gère les « restes à charge » (les soins de ville
ÉVOLUTION DU DÉFICIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (EN MILLIARDS D’EUROS)
476,6
MILLIARDS
D’EUROS
0
2003
2004
-10
-10,2
-11,2
-12,6
-15
2006
2007
2008 2009
2010
2011
2012
2013
2014
-3,9
-5
-11,3
C’est le poste dépenses
de prestations
sociales mentionné
dans le projet de loi
de financement de la
Sécurité sociale 2015,
soit 1,5 fois le budget
de l’État. Les recettes
devraient atteindre
466,2 Mds d’euros.
2005
-10
-8,9
-9,3
-8
-8,6
-9,4 -8,9
-11,5*
-13,6
-13
-13,9
-17,4
-16,5*
-20
-20,9 -21,4
-25
-30
-23,5
-28
-30,6
-35
* Prévisions au 25 septembre
Déficit réél
Prévisions de déficit
Source : PLFSS - 26/09/2013
16
•GSS121.indb 16
septembre 2015 • La Gazette Santé-Social
09/09/15 11:31
DOSSIER
sont remboursés à 55 %), reste à mettre en place
une réelle démocratie sanitaire… L’Observatoire de la régionalisation du système de santé
créé en 2011 par Olivier Mariotte, président de
l’agence conseil Nile (6), préconise « d’informer
et sensibiliser le grand public aux conseils de
vie sociale, de transformer les conférences régionales de la santé et de l’autonomie en instance
« force de propositions » et de permettre une
capacité d’adaptation des territoires de santé ».
Donner des moyens aux acteurs
de terrain
Depuis les lois de décentralisation de 1983
et 2003, des pans entiers de l’action sociale ont
été délégués aux départements, avec notamment la gestion du revenu minimum d’insertion
en 2004. À tel point qu’en 2011, ils prennent
en charge 86,9 % des dépenses sociales des
collectivités locales… Côté santé, la loi HPST de
2009 ambitionnait de réduire les inégalités territoriales de santé, d’assurer un meilleur accès
aux soins en répartissant l’offre. Mais là encore,
c’est l’État qui gère, via les agences régionales de
santé, à qui le PLFSS 2015 confie de nouvelles
missions. En Suède, les autorités locales sont
responsables devant la loi de la fourniture des
soins de santé aux personnes résidant sur leur
territoire. En Allemagne, l’organisation fédérale
confère un pouvoir aux länder en matière hospitalière. Donner de vrais moyens aux acteurs sur
le terrain est une piste, « alors que la région est
supposée être l’unité géographique et politique
LA DÉFINITION
La Gazette Santé-Social • septembre 2015
•GSS121.indb 17
• « La Sécurité sociale,
une institution de la
démocratie »,
Colette Bec,
Gallimard, 2014.
• « Refonder le modèle
social français?
Pourquoi?
Comment? »,
Frédéric Bizard, institut
Thomas More, 2013.
• « Refonder le système
de protection sociale.
Pour une nouvelle
génération de droits
sociaux »,
de Bernard Gazier,
Bruno Palier et Hélène
Périvier, Les Presses de
Sciences Po, 2014.
(1) Pierre Laroque, «Le plan français de Sécurité sociale », in
« Revue française du travail », n° 1, avril 1946.
(2) http://communication-securite-sociale.fr/
(3) « Pourquoi et comment réinventer notre sécurité sociale pour
la sauver? », http://www.huffingtonpost.fr/frederic-bizard
(4) « Financement de la protection sociale - Équilibre financier –
Fiscalisation », Lionel Ragot, http://www.institut-montparnasse.fr/
financer-la-protection-sociale-n2-equilibre-financier-fiscalisation-2/
(5) « Rapport sur la lisibilité des prélèvements et l’architecture
financière des régimes sociaux », Haut conseil du financement de
la protection sociale, juillet 2015, http://www.securite-sociale.fr/
IMG/pdf/rapport_sur_la_lisibilite_des_prelevements_et_l_architecture_financiere_des_regimes_sociaux.pdf
(6) http://observatoire-regionalisation.fr/
(7) Baromètre Drees en juin 2015, http://www.drees.sante.gouv.
fr/le-barometre-d-opinion-de-la-drees,11136.html
(8) Marisol Touraine à l’occasion du lancement des 70 ans de la
Sécurité sociale.
LE POINT DE VUE
Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss
© FONDATION ABBÉ PIERRE
« Il est institué une organisation
de la Sécurité sociale destinée à
garantir les travailleurs et leurs
familles contre les risques de toute
nature susceptibles de réduire ou de
supprimer leurs capacités de gain,
à couvrir les charges de maternité
ou les charges de famille qu’ils
supportent ». Universalité, unité,
uniformité, sont les trois ambitions
à l’œuvre. Une seconde ordonnance
est prise le 9 octobre relative aux
prestations. Article 1er de l’ordonnance portant organisation de la
Sécurité sociale du 4 octobre 1945.
REPÈRES
• « Allons enfants…
de la Sécu »,
publication de l’Institut
Montparnasse, juin 2015.
centrale de l’organisation et de l’efficience du
système de santé… », souligne Olivier Mariotte.
« La conscience de la solidarité […] n’existe
pas spontanément, il importe de la créer et de
l’entretenir par un effort d’éducation, condition
fondamentale de la poursuite et de l’expansion
de l’institution dans les années qui viennent »,
écrivait Pierre Laroque. Or, force est de constater
que les assurés ne se sont pas emparés de la Sécu.
D’aucuns prônent le retour en force des partenaires sociaux dans la gouvernance du système,
qui appartient désormais aux experts et à l’administration. Car si les Français restent très attachés
à leur système protecteur, ils commencent à le
trouver trop coûteux. Surtout, ils sont nombreux
à penser que la protection sociale ne devrait
bénéficier qu’aux cotisants (7). Pour « continuer
à faire vivre ce cœur battant de notre République
sociale » (8), il est temps d’expliquer à nouveau
le sens de la solidarité. ◆ Christelle Destombes
En 1945, les caisses de l’État sont vides, les difficultés économiques sont majeures et pourtant
le système social de protection se met en place.
Cette protection a participé à la croissance, au niveau économique et social. C’est un choix de société, de solidarité et d’universalité. Cette invention extraordinaire a certes besoin de se moderniser et de s’adapter,
mais son sens reste entier. Aujourd’hui, c’est la guerre économique, la
problématique est celle de la redistribution des richesses: quelle société voulons-nous? Un système de protection universaliste, solidaire
où tout le monde contribue ou un système assurantiel comme l’ont
développé les États-Unis? L’erreur serait de défendre un système à
bout de souffle, mais pour réinventer un système dynamique pour
les 50 ans à venir, il faut arrêter de nous plaindre et trouver des solutions: soyons moins plaintifs, et plus créatifs.
17
09/09/15 11:31
DOSSIER
COMPLÉMENTAIRE SANTÉ
Pour l’accès aux soins pour tous,
des villes se font mutuelles
Face aux baisses de remboursements, certaines villes n’hésitent plus à proposer elles-mêmes
une mutuelle. À Drancy en Seine-Saint-Denis, les élus y trouvent leur compte.
P
Solution mutualisée
À Drancy, la municipalité dirigée par JeanChristophe Lagarde (député-maire, UDI) est
devenue partenaire de l’association Actiom (lire
Repères) et de son dispositif « Ma commune,
ma santé ». L’objectif : permettre aux Drancéens
de bénéficier des avantages d’une mutuelle
collective, avec des tarifs attractifs et négociés.
« C’est une solution de santé mutualisée, qui
laisse le libre choix entre trois mutuelles et
deux ou trois niveaux de garantie (économie,
sécurité, confort) de façon à pouvoir s’adapter
aux besoins de l’adhérent. Nous proposons
également une aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, dans une démarche d’action
sociale », précise Émilie Garat, chargée de communication à Actiom.
Actiom a négocié avec les trois mutuelles partenaires (Miel Mutuelle, Pavillon Prévoyance et
Smatis) que les tarifs soient figés sur deux ans.
L’une d’entre elles permet d’individualiser cotisations et remboursements : si dans la famille,
une seule personne a des problèmes de vue,
elle peut seule choisir de cotiser pour les frais
optiques. Pour bénéficier du dispositif, aucun
questionnaire médical, même si les cotisations
varient en fonction de l’âge, la seule condition
est de résider à Drancy. La ville ne joue qu’un
rôle de relais, en mettant l’association en relation
avec les habitants : trois réunions publiques ont
été organisées afin de présenter le dispositif à
18
•GSS121.indb 18
Jean-Christophe Lagarde, député-maire de Drancy (UDI)
« Nous visons notamment les
personnes stigmatisées par les modèles
de l’assurance complémentaire »
DR
lus de 3 millions de Français sont sans
complémentaire santé, selon des chiffres
de la Mutualité française. Or, le risque
de renoncer aux soins est multiplié par deux
en l’absence de complémentaire et ce n’est pas
l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 – qui prévoit la généralisation de la
complémentaire à tous les salariés du privé au
1er janvier 2016 – qui va améliorer la situation.
Quid des salariés à temps partiel, des retraités,
des chômeurs, des artisans ?
« Nous avions commencé à travailler sur l’accès aux mutuelles pour notre personnel communal (1300 agents).
Faire un appel d’offres groupé permettait d’obtenir de meilleurs tarifs
et de meilleures conditions de remboursements pour nos agents. Nous
avons donc réfléchi au fait d’étendre le dispositif à toute la population,
pour qu’elle bénéficie de l’effet groupe, notamment les personnes stigmatisées par les modèles de l’assurance complémentaire, les personnes
âgées, les jeunes. Nous l’avons fait dans un but d’action sociale, parce
que Drancy est une ville populaire et qu’une partie importante de la population – celle qui n’a pas été visée par le tiers payant de Mme Touraine –
a les plus grandes difficultés d’accès aux complémentaires santé. Nous
avons aussi des personnes illettrées, primo-arrivantes qui ne gèrent pas
les démarches administratives. Au CCAS, désormais quand on identifie
des difficultés financières, une absence de couverture santé, nous avons
un dispositif à proposer. »
REPÈRES
• Actiom
(actions de mutualisation
pour l’amélioration du
pouvoir d’achat de ses
adhérents) est une
association loi 1901 créée
par trois courtiers
indépendants du réseau
Sofraco en mai 2014.
Dans un souci d’action
sociale, ils ont créé le
dispositif « Ma commune
ma santé », pour offrir
aux villes des contrats
santé mutualisés.
• En un an, 337
communes ont adhéré
à cette solution, de
Coutras (8200 hab.) à
Drancy (68000 hab.) en
passant par Bayonne
(45000 hab.).
• Contact:
Actiom, http://www.
macommunemasante.
org/
environ 800 personnes et des permanences sont
organisées dans différentes structures (point
d’accès droit, CCAS) pour que les administrés
épluchent les pourcentages des remboursements
à l’aune de leurs besoins, avec un représentant
d’Actiom. Fin juillet, 170 personnes avaient
eu un entretien avec un conseiller, 145 choisi
d’adhérer à l’une des trois mutuelles proposées.
Parmi elles, 48 n’avaient pas de mutuelle. 9 ignoraient l’existence de l’ACS.
L’union fait la force
Le dispositif « Ma commune ma santé » offre
aux municipalités une solution clé en main :
« Nous partons du principe que l’union fait la
force. Nous sommes en position de négocier
face aux mutuelles au niveau national, des
offres intéressantes, avec des garanties adaptées. À Drancy, pour l’instant, la satisfaction
règne : « les mutuelles gagnent des clients, qui
y trouvent leur compte en payant moins de
cotisations pour une meilleure couverture »,
assure Jean-Christophe Lagarde. ◆
Christelle Destombes
septembre 2015 • La Gazette Santé-Social
09/09/15 11:31
DOSSIER
MAINTIEN À DOMICILE
Les Landes misent sur le numérique
Le maintien à domicile des personnes dépendantes est devenu difficile en milieu rural. L’ARS
et les collectivités locales des Landes s’appuient sur les nouvelles technologies pour favoriser
l’égalité d’accès aux soins.
Pléiade de services
L’agence régionale de santé (ARS) d’Aquitaine
a donc noué, en 2015, un partenariat avec
le conseil départemental et les collectivités
locales des Landes, dans le cadre de l’appel
à projets national « Territoire de soins numérique » (TSN). Baptisé « XL ENS », le TSN aquitain s’articule autour d’un interlocuteur unique
et pluri-professionnel, la cellule de soutien
territoriale, appuyé par une pléiade de services
numériques. D’abord expérimenté dans le nord
et l’est des Landes, le dispositif concernera
potentiellement 15 000 malades, soit environ
7 % des habitants. « Dans ce territoire très rural,
la population est plus âgée que la moyenne de
l’Aquitaine, avec un habitat isolé et dispersé »,
souligne Francis Lacoste, directeur du service
Solidarité des Landes.
Mise en place au printemps, la cellule de soutien territoriale « Santé Landes » assurera la
coordination complète des prises en charge.
« Nous orienterons les professionnels de santé,
du secteur social et médicosocial, ainsi que les
patients et les aidants vers les services adaptés et les dispositifs d’aide sociale », explique
Mylène Lefèbvre, assistante sociale de « Santé
Landes ».
Cette centralisation devrait favoriser une
équité sur le territoire. « Cela évitera aux personnes les plus éloignées des allers-retours
incessants, parfois inutiles, dans les grandes
villes pour rencontrer un travailleur social. »
« Santé Landes » n’a jusque-là élaboré que
La Gazette Santé-Social • septembre 2015
•GSS121.indb 19
Mylène Lefèbvre, assistante sociale de la cellule de soutien
territoriale « Santé Landes »
© KARINE HAZARD
L
iées en partie au vieillissement, les maladies chroniques touchent 20 % de la
population, selon l’Institut de veille sanitaire. Avec pour corollaire une multiplication
des besoins de santé et sociaux de longue durée.
Alors que le « virage ambulatoire » est un pilier
du projet de loi « Santé », le maintien à domicile
des personnes dépendantes reste un défi dans
les territoires ruraux, désertés par les médecins
et les services publics.
« Nous nous assurons que tous
les droits du patient sont ouverts »
« Il arrive que des personnes de plus en plus dépendantes n’aient pas sollicité de plan d’APA (allocation
personnalisée d’autonomie). Outre la prestation financière, celui-ci peut prévoir l’intervention d’une auxiliaire de vie ou encore
le portage des repas. Faute de mise en place suffisamment précoce de
ces services, la situation de la personne peut se trouver dégradée. Dans
le cadre de la cellule de soutien territoriale « Santé Landes », nous nous
assurerons que tous les droits des patients sont ouverts, notamment en
cas de changement de situation. Si ce n’est pas le cas, nous pourrons
informer le patient – ou son aidant – de ses droits à l’APA ou à la CMU-C
(couverture maladie universelle complémentaire), et l’orienter vers les
structures adéquates. Dans l’idéal, cela devrait permettre de lutter contre
le non-recours, fréquent. En effet, les professionnels de santé méconnaissent souvent certains dispositifs. Or, les patients, hospitalisés ou non,
ne rencontrent pas systématiquement les travailleurs sociaux.»
REPÈRES
• Lancé dans le cadre des
investissements d’avenir,
le programme national
« Territoire de soins
numérique » (TSN)
est doté de 80 millions
d’euros. Il vise à
expérimenter, dans des
zones rurales ou
urbaines, des services et
technologies innovants
en matière d’e-santé.
• Financement TSN
aquitain:
10 millions d’euros,
contact: marie-noelle.
[email protected]
• Les dépenses d’aide
sociale pour l’APA
des Landes ont cru
de 5,6 millions d’euros
entre 2010 et 2014
(conseil départemental).
des procédures types. « Tout démarre en septembre », annonce Marie-Noëlle Billebot, directrice du projet à l’ARS.
Plateforme d’outils
La véritable innovation d’« XL ENS » est la
plateforme d’outils numériques. Développée
par Capgemini/Orange, elle doit se déployer
progressivement à partir de 2016. Outre le
bouquet de services de « Santé Landes », les professionnels disposeront d’un navigateur pour
accéder aux dossiers des personnes. Un autre
outil sera destiné aux patients et aux aidants.
Face à la quantité croissante de dossiers, « le
numérique est devenu absolument nécessaire.
Cela représente un gain de temps à tous les
niveaux : nous pourrons contacter le médecin
traitant, puis transmettre les informations au
conseil départemental plus rapidement pour la
mise en place d’un plan d’aide », illustre Mylène
Lefèbvre. Cependant, ce dispositif, s’il est mal
équilibré, peut occasionner une charge importante pour les conseils départementaux. « Le
maintien à domicile sollicite beaucoup le volet
social. Il y a un risque financier pour nous »,
met en garde Francis Lacoste. ◆
Émilie Lay
19
09/09/15 11:31
DOSSIER
POINTS DE VUE
L’impossible refonte
de la Sécurité sociale?
Frédéric Pierru et Colette Bec partagent la même ambition d’une Sécurité sociale inspirée des
principes du Comité national de la résistance. Ils prônent une refondation politique et lucide
d’une institution qui structure la société française depuis soixante-dix ans.
Si nous devions créer la Sécurité sociale
aujourd’hui, à quoi ressemblerait-elle?
Frédéric Pierru: C’est une politique-fiction…
L’ambition originale de la Sécurité sociale était
de lutter contre l’insécurité économique et
sociale qui a accompagné le libéralisme triomphant de la fin du XIXe siècle jusqu’à la crise des
années 1930. Elle est le fruit d’une réflexion sur
le fonctionnement du capitalisme, pour qu’il
ne soit pas synonyme de paupérisme et d’insécurité économique et sociale pour les travailleurs. À l’heure de la « pauvreté laborieuse »,
ce principe n’a pas pris une ride ! Mais il ne
suffit pas de revenir au programme du Conseil
national de la résistance, il faut moderniser
et adapter l’institution. Mettre l’accent sur la
formation professionnelle, adapter l’assurance
vieillesse au défi du vieillissement, privilégier
la santé et la prévention plutôt que la réparation. Trouver d’autres formes de démocratie,
les assurés sociaux n’ayant jamais fait leur cette
institution et la démocratie parlementaire étant
insatisfaisante : le projet de loi de financement
de la Sécurité sociale est un exercice dominé
par l’exécutif, les cabinets, la direction de
l’administration centrale.
Colette Bec: Le contexte d’aujourd’hui lui
imprimerait des formes tout à fait différentes.
D’une part, la prépondérance d’une logique
de marché privilégie le calcul d’intérêts individuels ou de groupes. Le politique, ensuite,
a renoncé à penser le fonctionnement de la
société comme un tout, dont les parties sont
interdépendantes et solidaires. La protection
« Il est temps
de dépasser
les débats
techniques
déconnectés
des finalités
politiques
et sociales »
Qu’est-ce qui a permis en 1945 la concrétisation de cette idée de solidarité, de redistribution et d’universalité?
CB: C’est d’abord un contexte historico-
politique. La génération de 1945 venait de
connaître deux guerres mondiales et la secousse
économique majeure de 1929. Ceci explique
le large consensus politique (entre chrétiens
sociaux, gaullistes, socialistes et communistes)
pour instaurer un nouveau cours démocratique.
Le projet de Sécurité sociale est consubstantiel
à cette ambition ; il n’était rien moins que de
« solidariser » la société.
FP: La droite était disqualifiée, le patronat et
la mutualité avaient joyeusement collaboré.
Les forces qui s’opposaient alors au projet
de Sécurité sociale étaient vaincues. Sans la
Seconde Guerre mondiale, on aurait attendu
longtemps…
© C.HÉLIE – GALLIMARD
Y a-t-il des erreurs originelles à la création
de la Sécurité sociale?
CB: Il s’agit moins d’erreurs que d’un éche-
Colette Bec, auteure de « La Sécurité sociale.
Une institution de la démocratie », Gallimard, 2014,
est professeur en sociologie à l’université Paris Descartes
et membre du Laboratoire interdisciplinaire de sociologie
économique CNAM/CNRS.
20
•GSS121.indb 20
COLETTE BEC
est de plus en plus vécue comme un droit et
une responsabilité individuelle ayant peu à
voir avec l’organisation de la collectivité. L’idée
d’un individu autosuffisant et d’une société
autorégulée s’est imposée. Dans une telle
configuration, le projet de 1945 aurait peu de
chances de voir le jour et même d’être conçu.
Je peux imaginer qu’un système de protection
dual serait le choix fait dans ce contexte ; un
système dans lequel chacun supporterait la
charge de sa protection, avec une très faible
solidarité entre les mieux pourvus et les autres.
Ces derniers « bénéficiant » d’aides diverses et
du coup stigmatisés.
veau de causes diverses : l’effritement rapide
du consensus ; la Guerre froide et les tensions
entre partis qu’elle a engendrées ; la défiance
du patronat ; la résurgence des intérêts catéseptembre 2015 • La Gazette Santé-Social
09/09/15 11:31
DOSSIER
Une réforme est-elle possible?
FP: Les grands moments de refondation ou
de création de la Sécurité sociale sont des
moments historiques exceptionnels : la crise
des années 1930, une guerre mondiale… Les
avancées se font à la faveur de mouvements
sociaux d’ampleur comme mai 1968.
Dans l’esprit de Pierre Laroque, la Sécurité
sociale c’est beaucoup plus que la simple
assurance sociale, c’est une certaine conception de l’économie régulée, d’un capitalisme
adouci, un compromis social-démocrate
entre les intérêts des salariés et ceux du
patronat. Notre époque est contraire à la
Sécurité sociale: elle aggrave l’insécurité
juridique des salariés, restaure le patronat de
droit divin, remet en cause le Smic, traite les
chômeurs d’assistés… Force est de constater
qu’aujourd’hui, nous assistons à une deuxième
vague d’un capitalisme qui s’émancipe de ces
ancrages sociaux. Cependant, on sent que le
discours de légitimation des réformes est en
train de craquer… Nous entrons dans une
phase de recomposition, de nouvelles divisions
ou d’alliances politiques. Les mutuelles communales en sont un exemple : voilà des gens
qui ne se reconnaissent plus dans la dérive du
mouvement mutualiste, gestionnaire et commerciale et tentent de renouer avec les vraies
valeurs mutualistes.
La Gazette Santé-Social • septembre 2015
•GSS121.indb 21
CB: Les différentes rencontres auxquelles j’ai
participé à l’occasion de la sortie de mon livre
me font penser qu’il y a une attente de débats
sur ces questions de la part de publics très
variés, certes des professionnels mais aussi
des syndicalistes et des citoyens sensibles
à cette question. Ou encore de plus jeunes,
des lycéens de Terminale. J’ai été étonnée et
agréablement surprise par leur curiosité et leur
compréhension des enjeux. Cet intérêt exauce
le vœu de Laroque d’une « éducation à la solidarité » comme condition de réussite majeure
de cette institution.
Nous allons pourtant célébrer les 70 ans de
la Sécurité sociale…
FP: Il y aura des colloques et des discours mais
FRÉDÉRIC PIERRU
« Il ne suffit pas
de revenir au
programme du
Conseil national
de la résistance,
il faut moderniser
et adapter
l’institution »
ce qui compte, ce sont les actes. La réalité est
que ce gouvernement a entériné le recul de la
Sécurité sociale au profit du marché des complémentaires. La Sécurité sociale est une institution populaire, les Français comprennent
que c’est un organe central de la République
sociale. Dans une démocratie malade, où les
gens sont tentés par un vote extrême ou l’abstention, la Sécurité sociale a un rôle à jouer
dans une réanimation démocratique.
CB: Dans les médias, on ne parle que du trou
de la Sécu depuis quatre décennies. Sans nier,
bien au contraire, la légitimité d’un débat sur le
financement, posé tel quel il a pour effet d’occulter des questions tout aussi significatives et
de faire perdre de vue la dimension politique
de l’institution. Espérons que cet anniversaire
sera l’occasion de revenir sur la raison d’être
de la Sécu, ses principes fondateurs et ses
ambitions. Pour ma part, je souhaite que ce
soit l’occasion de mettre l’accent sur son rôle
majeur dans notre démocratie. Il est temps de
dépasser les débats techniques déconnectés
des finalités politiques et sociales de l’institution. Ils privent les citoyens d’un débat sur une
des conditions essentielles de leur liberté et de
la paix sociale, car il ne peut y avoir de paix
sans justice sociale. ◆
Christelle Destombes
Frédéric Pierru, chercheur en sciences sociales
et politiques au CNRS et membre du comité
de direction de la Chaire Santé de Sciences Po Paris, a
publié « Hippocrate malade de ses réformes » en 2007.
DR
goriels qui ont retrouvé leur virulence. Dans
ce contexte, certains principes fondateurs ont
en effet été relégués. De fait, la classe politique
était de moins en moins en mesure de tenir
les débats nécessaires entre exigences économiques et ambition politique.
FP: Nous avons mythifié le corps français de
la Sécurité sociale. Le projet du CNR s’est trop
vite heurté à des oppositions catégorielles et à
la réalité de la stratification sociale en France,
à la façon dont les groupes se sont construits
autour des régimes spéciaux de Sécurité
sociale. Et le système n’a pas l’ambition de
redistribuer les richesses de manière verticale : un ouvrier aura une retraite d’ouvrier ;
un cadre, une retraite de cadre. Ce ne sont pas
des ratés techniques, mais politiques : il a fallu
faire avec la stratification sociale, le système
reste axé sur le travail (et sa division sexuelle)
et il ne redistribue pas les richesses. Soyons
lucide, pas nostalgique !
21
09/09/15 11:31
DOSSIER
VU D’AILLEURS
La Finlande expérimente
le minimum vital
Confronté à une nouvelle crise après une première refondation dans les années 1990,
le Gouvernement finlandais projette une série de réformes, dont l’expérimentation d’un revenu
de base universel.
« Mais celle-ci est souvent tenue pour
stigmatisante et arbitraire », observe
Pertti Honkanen, chercheur à Kela,
l’Institut des assurances sociales finlandais. Or, le pays est confronté à une
nouvelle crise, avec un taux de chômage à 10 % en juin. « En 2013, environ
11 % de la population étaient touchés
par la pauvreté. » Selon l’OCDE (1),
« les dépenses des communes se sont
accrues régulièrement ces dernières
années ». Élu en mai, le nouveau Gouvernement de centre droit a annoncé
un plan national d’au moins 4 milliards
d’euros d’économies.
FINLANDE
• Population: 5,4 millions. 18 % de
personnes de plus de 65 ans; 26 % en
2030 (www.stat.fi).
• Dépenses liées à la sécurité sociale:
santé 8,7 % du PIB; social: 31 % du PIB
(OCDE)
Allocation automatique
• Système universel: tous les résidents
finlandais bénéficient d’un même régime
de protection sociale, sans distinction de
statut, ni de profession. Le chômage et
les retraites sont couverts par une
allocation de base nationale associée à
des assurances volontaires.
Le Premier ministre Juha Sipilä a aussi
promis un projet de loi pour l’expérimentation d’un revenu de base (perustulo, en finnois). À l’origine de cette
idée, « le chômage de masse et la complexité du système actuel », précise
Pertti Honkanen. Le principe serait de
verser une allocation identique, inconditionnelle et permanente, afin d’assu-
L
22
•GSS121.indb 22
(1) «Études économiques de l’OCDE », 2014.
Alain Lefèbvre, spécialiste des systèmes nordiques
« La file d’attente peut être importante
pour certains soins »
DR
e système de sécurité sociale
finlandais repose sur l’idée que
« les prestations sociales visent à
accompagner les trajectoires de vie, non
à remplacer le revenu », estime Bruno
Palier, directeur de recherche du CNRS
au Centre d’études européennes. C’est
le fruit d’une refondation « consécutive
à la grave crise économique des années
1990. L’État a alors remis en cause la
générosité des prestations. En contrepartie, des efforts ont été déployés en
faveur de l’emploi, avec un accompagnement renforcé des chômeurs, des
formations à tout âge… »
Les services sociaux et de santé (lire
encadré) sont organisés par les collectivités locales. À leur charge également, une aide sociale ponctuelle
d’un montant minimum de 485 euros.
rer à tous un minimum vital. Mais quel
sera son niveau ? Remplacera-t-elle
les allocations existantes ? Pour quels
résultats ? Les spéculations vont bon
train. Un rapport cofinancé par la fondation Sitra (Fonds public d’investissement pour l’innovation) pourrait servir
de feuille de route. Il recommande une
expérimentation pendant au moins
deux ans, chez 8 000 personnes âgées
de 18 à 62 ans et dont les ressources
sont inférieures au revenu médian.
Certains en espèrent une réduction de la
pauvreté. D’un autre côté, une allocation
automatique, simplifiant le système,
pourrait alléger les charges des communes « en rationalisant les services.
Mais le revenu de base devient problématique si on abandonne la population », en supprimant du personnel d’accompagnement, analyse Alain Lefèbvre,
spécialiste des systèmes nordiques et
résidant en Finlande. « Face aux besoins
sociaux, on a avant tout besoin de services », conclut Bruno Palier. ◆ Émilie Lay
« Dans le système de sécurité sociale finlandais, les communes
sont responsables de l’offre de santé. Il s’agit d’un service public
d’État, mais avec des médecins salariés en centres de santé
municipaux et des hôpitaux publics financés par les communes. La file d’attente
peut être importante pour certains soins, chirurgicaux notamment, avec une
disparité selon les régions. Il n’existe pas de système de complémentaire santé
mais le reste à charge pour les patients ne doit pas excéder le plafond annuel de
679 euros. Les salariés disposent souvent d’une assurance payée par l’entreprise.
Cela leur permet d’être bien pris en charge dans le secteur privé, qui assure 5 à
10 % de l’ensemble des soins du pays. Au contraire, une personne au chômage
ou retraitée n’a d’autre choix que de se rendre dans le secteur public. Tout cela
crée une inégalité d’accès aux soins à laquelle le nouveau gouvernement, élu en
mai, veut remédier en révisant l’organisation de son système de santé.»
septembre 2015 • La Gazette Santé-Social
09/09/15 11:31
Téléchargement