mort dans le judaisme

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la mort de sara
marc chagall
gouache 1931
Musée Message Biblique Marc Chagall-Nice
La mort dans le judaïsme
Catherine Déchelette Elmalek
Introduction
Avant d’aborder l’approche de la mort dans le judaïsme, ainsi que les rites et les pratiques, il est
important de poser au préalable certains éléments.
Le judaïsme est certes une religion, mais c’est aussi une façon de vivre, une histoire, une culture ce
qui implique qu’il existe aujourd’hui (comme par le passé d’ailleurs) une multitude de manière de
définir «l’être juif».
Le judaïsme n’est pas monolithique, il est pluriel dans ses rites et ses traditions souvent inspirés ou
influencés par les mondes dans lesquels les juifs ont vécu et vivent encore, il est pluriel aussi dans
ses diverses obédiences (orthodoxe, traditionnelle, libérale pour ainsi simplifier et synthétiser tout
en prenant forcément le risque d’être réducteur). Ainsi un juif de New -York originaire d’Allemagne
et fréquentant une communauté libérale a un vécu juif très différent d’un juif originaire du Maroc
vivant à Sarcelles dans une communauté traditionaliste. Ces deux exemples ne sont qu’un infime
échantillon d’une réalité multiforme.
Il est également primordial de faire la distinction entre la Loi (la Halakha) et les traditions. La Loi,
est à priori commune à l’ensemble du judaïsme, chacun choisissant évidemment de la respecter ou
non. Les traditions sont un ensemble extrêmement touffu de coutumes qui ne sont communes qu’à
un ensemble précis de juifs selon leurs origines géographiques et culturelles. Ainsi chaque aspect
de la vie juive, de la naissance à la mort, comme de la vie quotidienne telle que l’alimentation, est
1
marqué par des actes qui doivent s’accomplir en obéissance aux commandements de la Torah1 selon
l’orthopraxie de chacun et son libre arbitre. Les pratiques ordonnées ou préconisées par la Loi juive
ne sont cependant pas appliquées de la même façon dans toutes les communautés, selon leur
obédience ou leur origine géographique. Ces approches diversifiées sont une part signifiante de la
présente étude. La façon dont se vivent ces pratiques sont aussi très différentes selon les ambiances
culturelles dans lesquelles baignent les communautés et selon les contraintes imposées par les
espaces sociaux et géographiques dans lesquelles elles sont installées.
Observer et présenter ces pratiques s’avèrent donc complexe tant elles sont diversifiées et répondent
à de multiples paramètres. C’est pourquoi il faut distinguer les pratiques religieuses, qui sont un
ensemble de règles et de traditions ordonnées ou préconisées par la Loi juive, et les coutumes ou
usages qui peuvent avec le temps, avoir fait «force de loi» et ainsi se confondre dans les règles.
La Loi est en principe la même pour tous les juifs même si une fois encore de nombreuses
restrictions ou ajustements existent en fonction des obédiences des uns et des autres. Pour ce qui
concerne les coutumes ou les usages qui découlent de cette même Loi, ils peuvent être différents
d’une communauté à une autre en raison de plusieurs paramètres.
L’exemple le plus évident est celui du port du châle de prières, le taleth, et de la calotte, la kippa. Le
châle de prières, long rectangle de tissus, le plus souvent de laine, et pourvu de franges, tsitsit, porté
sur les épaules ou permettant de s’en envelopper plus largement pour la prière du matin, est un
commandement de la Torah: « Et l'Éternel dit à Moïse : Parle aux Enfants d'Israël et dis-leur qu'ils
se fassent, de génération en génération, des «tsitsit» aux bords de leurs vêtements… » Nombres,
15:37-41. L’injonction se retrouve aussi dans le Deutéronome, 22:12, «Tu mettras des franges aux
quatre coins du vêtement dont tu te couvriras […]».
En revanche la kippa, la calotte, comme tout port d’un autre couvre-chef, n'est pas une obligation
religieuse mentionnée dans la Torah. Le port d’un couvre-chef, kippa ou autre, ne s'appuie donc ni
1 -La
Torah ou Pentateuque signifie «enseignement» en hébreu. La Bible hébraïque ou Tanakh (Torah-Pentateuque + NéviimProphètes + Kétouvim-Ecrits, les initiales de ces trois mots composent le mot Tanakh) comprend 24 livres écrits en hébreu (sauf les
livres de Daniel et de Ezra qui comprennent de nombreux passages en araméen). La Torah se divise en cinq livres: la GenèseBéréshit «au commencement», l’Exode-Chémoth «les noms», le Lévitique-Vayira «il appela», les Nombres-Bemidbar «dans le
désert» et le Deutéronome-Dévarim «les Paroles». Ecrite sur un rouleau de parchemin (le séfer torah), la Torah est lue selon des
section hebdomadaires (une paracha-des parachot) lors des offices du matin des lundi, jeudi et samedi, jour du shabbat (jour de
repos sanctifié).
Lors de certaines fêtes et célébrations, d’autres sections et, ou, d’autres textes sont également lus en raison de leur lien avec ces fêtes
et célébrations.
2
sur une prescription biblique ni même sur une ordonnance rabbinique. Cet exemple permet de
considérer comment une coutume peut finir par se confondre avec une règle.
Afin d’illustrer cela, il est intéressant aussi de prendre un exemple dans le sujet développé ici. Au
décès d’une personne, la Loi réclame que l’inhumation (la kevoura) soit faite dans les vingt-quatre
heure en vertu de l'interprétation exégétique du verset : « Si l’on fait mourir un homme qui a
commis un crime digne de mort, et que tu l’aies pendu à un bois, son cadavre ne passera point la
nuit sur le bois; mais tu l’enterreras le jour même »-Deutéronome 21-22/23. Cette obligation est
respectée dans l’ensemble du monde juif.
Par contre, le fait de couvrir les miroirs, de poser un caillou sur les tombes en signe de passage, de
déchirer son vêtement, de consommer des oeufs durs et des olives sont quand à elles quelques-unes
des coutumes que chacun respecte ou non en fonction de son appartenance à telle ou telle
communauté, ou à tel ou tel milieu culturel et géographique.
3
Les textes et les sources de référence
1/ la mort, la vie après la mort
La Loi s’appuie sur la Torah, et plus largement sur le Tanakh (souvent évoquée sous le vocable
général de «Bible hébraïque»), et sur le Talmud2 qui signifie en hébreu «étude». Il s’agit d’un vaste
ensemble de commentaires qui consigne les diverses discussions rabbiniques concernant les
manière d’appliquer la Loi selon les situations.
L’aspect mémoriel dans la culture et dans la liturgie juive est très présent: une place importante est
par exemple consacrée à la mémoire des morts, au rappel de leur souvenir et ce afin de les «extraire
de la Géhenne» grâce au recours de la prière intercédant pour la miséricorde divine car le judaïsme
ne développe pas la notion de purgatoire de la même façon que la théologie catholique.
L’eschatologie juive évoque l’âme quittant le corps après la mort mais restant en relation avec lui
durant les douze mois qui suivent. C’est ce temps précis qui apparaît comme une sorte de purgatoire
pour l’âme avant de sombrer dans la Géhenne3 ou de s’élever dans le jardin d’Eden.
Quelques récits bibliques indiquent la réalité d’une pensée selon laquelle l’existence perdure d’une
certaine manière après la mort mais ils restent peu explicites sur cette question. Celle de la
résurrection est abordée dans une abondante littérature rabbinique médiévale à travers le
développement du devenir de l’âme et de la rédemption messianique. Le judaïsme contemporain
dans son ensemble s’attache davantage à oeuvrer pour un engagement dans «ce monde-ci», ba-olam
ha-zeh, tandis que les réflexions sur la vie éternelle demeurent rares.
La littérature talmudique et rabbinique développe les thèmes de la vie après la mort, de la
rétribution des justes, alors que la Torah ne s’intéresse que très peu au sort des hommes après la
mort n’évoquant guère que le Chéol, lieu de séjour des morts :
Talmud est lui-même composé de la Mishna, signifiant «répétition», premier texte ( vers 200) consignant par écrit la Loi orale et
la Guémara (vers 500), recueil de textes de commentaires sur la Mishna. La Guémara est la base de la plupart des codes de la loi
rabbinique. Le Talmud qui comprend donc un très vaste matériel de réflexions est classé en deux catégories: la Halakha, en hébreu
«cheminement», et la Aggada, «narration» ou «récit». La Halakha regroupe les lois, sentences et prescriptions religieuses, alors que
la Aggada regroupent les parties non normatives, narratives, édifiantes, ou explicatives telles que des paraboles et des considérations
éthiques ou historiques. Les deux catégories n’étant pas strictement étanches, l’une peut servir à l’explication de l’autre.
2-Le
3 -Le
terme de Géhenne vient de celui de la vallée de Ben Himmon, Géhinnom, située au sud de Jérusalem et repérée comme
épouvantable en raison de la présence d’un culte païen qui procédait à des sacrifices d’enfants (vers 1000 av.JC.). L’endroit devient
ensuite une sorte de vaste dépotoir dont les odeurs pestilentielles continuent à contribuer à sa
funeste réputation pour devenir le nom emblématique d’un lieu infernal. L’endroit est aussi attesté au Ier siècle comme lieu où sont
jetés les cadavres des criminels pour y être brûlés en même temps que les ordures.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Géhenne et WIGODER Geoffrey (édit.), Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Editions du
Cerf, 1996, p.1046.
4
« ... aussi bien ce n’est pas le Chéol qui te célèbre, ce n’est pas la mort qui te loue, ceux qui sont
descendus dans le sépulcre ne comptent plus sur ta fidélité» -Nombres 16-334,
«... ils descendirent, eux et tous les leurs, vivants dans la tombe, la terre se referma sur eux et ils
disparurent du milieu de l’assemblée...»-Psaumes 6-6,
«... Daigne de nouveau, Seigneur, délivrer mon âme, viens à mon secours en raison de ta bonté, car
dans la mort ton souvenir est effacé, dans le Chéol, qui te rend hommage ?»- Isaïe 38-18.
Le Livre de Job 7-9, affirme : "Ma vie n'est qu'un souffle... Comme la nuée se dissipe et passe, qui
descend au Chéol n'en remonte pas", ce qui semblerait être un constat d’arrêt de toute chose après
la mort, et pourtant un peu loin le texte évoque sinon une résurrection possible, en tout cas une suite
à la vie terrestre comme une espérance de côtoyer l’Eternel: «Quand ma peau sera détruite, il se
lèvera; Quand je n'aurai plus de chair, je verrai Dieu»-Job 19-26.
Deux questions résonnent dans la Torah: pourquoi l’homme doit-il mourir et quelle est la force qui
le prive de la vie ? Quel est le destin de l’homme après la mort ? Dans la Genèse 3-19 il est écrit
que « ..l’homme retournera à la terre d’où il est venu ... » et plus loin, versets 22/23 il est constaté
qu’à la suite de la tentation dans le jardin d’Eden, l’homme perd son immortalité et sa condition
nouvelle de mortel est une résultante de sa faute.
L’enterrement est clairement évoqué : «Et quand le jour de la mort d'Israël approcha, il appela son
fils Joseph, et lui dit: Si j'ai trouvé grâce à tes y eux, mets, je te prie, ta main sous ma cuisse, et use
envers moi de bonté et de fidélité: je te prie, ne m'enterre point en Égypte»-Genèse 47-29/30, ainsi
que dans cet autre extrait de la Genèse 49/29: « Et il commanda, et leur dit: Je vais être recueilli
vers mon peuple; enterrez-moi auprès de mes pères dans la caverne qui est au champ d'Éphron le
Héthien ...C'est là qu'on a enterré Abraham et Sara, sa femme; c'est là qu'on a enterré Isaac et
Rébecca, sa femme; et c'est là que j'ai enterré Léa». Quand à l’explication exégétique du verset
suivant, elle indique que la communication avec les morts est proscrite: «Je n'ai rien mangé de ces
choses pendant mon deuil, je n'en ai rien fait disparaître pour un usage impur, et je n'en ai rien
donné à l'occasion d'un mort; j'ai obéi à la voix de l'Éternel, mon Dieu, j'ai agi selon tous les ordres
que tu m'as prescrits.»-Deutéronome 26-14, tandis que cette interdiction est formulée d’une
manière plus claire dans les versets du Deutéronome 18-10/12: «Qu'on ne trouve chez toi personne
qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, d'astrologue,
4-KAHN
Zadoc (édit.), la Bible, Paris, Editions Colbo, 1994- 8ème édition (1ère édition 1899).
5
d'augure, de magicien, d'enchanteur, personne qui consulte ceux qui évoquent les esprits ou disent
la bonne aventure, personne qui interroge les morts. Car quiconque fait ces choses est en
abomination à l'Éternel; et c'est à cause de ces abominations que l'Éternel, ton Dieu, va chasser ces
nations devant toi.»
Plus compliqué est le rapport du judaïsme avec la notion de vie après la mort car il n’y a pas de
source unifiée traitant du sort de l’homme après la mort et aucune formulation explicite d’une
doctrine de la résurrection des morts ne se trouve dans la Torah. Celle-ci apparaît seulement dans
des livres tardifs tels que le Livre d’Ezéchiel 37 où il est question d’une résurrection collective :
«Ainsi parle le Seigneur, l'Éternel: Voici, j'ouvrirai vos sépulcres, je vous ferai sortir de vos
sépulcres, ô mon peuple, et je vous ramènerai dans le pays d'Israël»-Ezéchiel 37-12, tandis qu’Isaïe
26-19 explicite clairement une promesse de résurrection ou au moins d'un monde à venir : «Que tes
morts revivent! Que mes cadavres se relèvent! -Réveillez-vous et tressaillez de joie, habitants de la
poussière! Car ta rosée est une rosée vivifiante, Et la terre redonnera le jour aux ombres.», et que
l'Ecclésiaste 12-7 distingue la mort du corps et celle de l'âme : "Alors la poussière retournera à la
terre dont elle vient, et l'âme reviendra à Dieu qui l'a donnée". Pourtant dans ce même texte de
l’Ecclésiaste 9-5/6 il est écrit : « Les vivants, en effet, savent qu'ils mourront; mais les morts ne
savent rien, et il n'y a pour eux plus de salaire, puisque leur mémoire est oubliée. Et leur amour, et
leur haine, et leur envie, ont déjà péri; et ils n'auront plus jamais aucune part à tout ce qui se fait
sous le soleil».
C’est dans le Livre de Daniel que se situe la vision individuelle de cette résurrection: «Un grand
nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s'éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les
autres pour l'opprobre, pour l'horreur éternelle»-Daniel 12-2.
Les sources et les textes traitant de la mort s’avèrent souvent peu clairs, voir contradictoires ouvrant
ainsi une grande variété d'interprétations comme l’abondante littérature rabbinique en témoigne.
2/ l’inhumation
En ce qui concerne l’origine de l’inhumation, la kevoura, dans les vingt-quatre heures suivant le
décès, la source est simple et s’applique en vertu de la lecture du verset biblique suivant situé dans
6
le Deutéronome 21-23: « Son corps mort ne passera point la nuit sur le bois; mais tu ne manqueras
point de l'ensevelir le jour même».5
3/ la toilette funéraire
L’obligation de laver les morts et de les oindre d’huile n’est pas mentionnée dans la Torah ni dans le
Tanakh. Les sources du rituel de la toilette funéraire sont mentionnées très sommairement dans la
Michna, Traité Chabbat 23:5, et traité Semahot 1:1-3 mais sans explication précise de la manière
dont il faut procéder. Certains s’accordent à penser que ces rituels n’étant pas mentionnés dans la
Torah, il est possible qu’ils aient été empruntés au monde grec où les morts étaient lavés et oints
d’huile. A la période talmudique des Amoraïm (entre le IIème et le IVème siècles) il apparaît dans
des textes la notion de ce rituel mais aucune procédure n’est indiquée6.
C’est au cours du Moyen -Age que le rituel se précise peu à peu: par exemple Rabbi Samuel ben
Hophni Gaon (mort en 1013) de Soura explique qu’il y a nécessité de lavage et nettoyage mais qu’il
n’y a pas de règle fixée à laquelle chacun ne pourrait ni ajouter ou enlever, car tout dépend de la
quantité d’eau disponible. Il précise que si subsiste sur la dépouille du sang séché, de l’eau chaude
devrait être utilisée afin de l’enlever. Toujours à titre d’exemple, le rituel de la tahara est mentionné
très brièvement par Rachi : « la personne lavant le mort devrait faire attention à ne laisser subsister
aucune salissure sur le corps. »
Sont indiqués à la période médiévale les éléments de purification auxquels soumettre le corps
(lavage du corps et des cheveux, coupage des ongles…) qui sont suivis d’autres règles plus tardives
(à partir du XVIème siècle) réclamant encore davantage de minutie dans la toilette mais elles furent
rapidement abandonnées considérant cette habitude comme un manque de déférence envers le
défunt.
La tradition demande en fait simplement de « laver le défunt» avec respect et n’en dit réellement
pas davantage.
5 -Il
est admissible d’attendre jusqu’à trois jours afin de rassembler les proches dont la présence à l’enterrement est jugée
indispensable.
6-Exemple
: dans le Lévitique rabba (34:10), Rabbi Yohanan et Reich Lakich lavent un mort dans le lac de Tibériade sans davantage
de précision.
7
4/ le Kaddish
L’usage de la prière appelée le kaddish est intéressant à signaler ici. Récités par les endeuillés,elle
est appelée à tort la « prière des morts » ou la prière « pour les morts » alors que la traduction du
kaddish révèle l’absence de référence à la mort ou au deuil. Il s’agit en fait d’une doxologie, une
glorification du nom de Dieu, une récitation à la gloire de l’Éternel. Cette prière écrite et toujours
aujourd’hui récitée en araméen indique la volonté de ces auteurs que celle-ci soit comprise par le
plus grand nombre donc grâce au langage le plus populaire de l’époque, ce qui est le cas de
l'araméen7.
Le paradoxe que les commentateurs ne cessent de souligner est que la proclamation de cette prière
revient à ceux qui ont perdu un être cher : glorifier et sanctifier le nom de Dieu au moment du
chagrin et du manque de mots ; «c’est pourtant à l’homme plongé dans la détresse qu’il revient
d’affirmer la grandeur du projet divin» 8.
«Mais ce rituel collectif de la récitation du kaddish semble être une tentative de réinscrire
l’endeuillé dans un système de croyance et de pratique, au moment où il le questionne. La
tradition ne dénonce pas ce questionnement et le reconnaît parfois comme naturel ou légitime,
mais la récitation quotidienne du kaddish est d’abord une pratique de retour au groupe, par
excellence, une possibilité de retour au collectif.
Ce rituel vient briser la solitude de l’endeuillé puisque, trois fois par jour, il lui faut trouver un
minyan (quorum de prière) et s’en entourer pour pouvoir réciter ces mots.
Il ne peut rester seul et, pour briser un peu plus encore la solitude, le kaddish est une prière
dialoguée, construite comme une alternance de questions et de réponses. Le texte intègre une
partie récitative et un moment où la communauté ponctue de plusieurs phrases la récitation de
l’endeuillé. «Yehi shmé raba mévorakh leolmé almaya…», «Que Son grand Nom soit béni pour
toujours», dit le groupe qui ponctue la récitation de plusieurs Amen, validant littéralement les mots
de l’endeuillé. Le kaddish fonctionne comme un soutien verbal et physique qui transforme la
liturgie en un tuteur de résilience.
Le kaddish s’achève par une prière pour la paix. Et nous disons en conclusion : «Ossé shalom
bimeromav, ou yaasse shalom alenou», «celui qui fait la paix dans les hauteurs portera la paix sur
nous». Tel est l’horizon du deuil chanté par le kaddish. Un jour viendra où peut être la
consolation se fera sentir et où la paix intérieure pourra être à nouveau vécue et ressentie.
L’endeuillé ne le sait pas encore, mais la communauté qui l’entoure s’en porte garante et prie
pour que ce jour arrive bientôt pour lui».9
7-Même
si aujourd’hui et de manière paradoxale, l’araméen est une langue beaucoup plus obscure que l’hébreu.
8-HORVILLEUR
Delphine, «le Kaddish des endeuillés», Tenoua-le mouvement-Revue trimestrielle du mouvement juif libéral de
France, article en ligne: www.mjlf.org/le-mjlf-judaisme-a-pratiques/au-fil-de-la-vie/deces/deces.html.
9-Delphine
Horvilleur, ibid
8
Le rituel
"Je déverserai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés, je vous purifierai de toute impureté et
de toute souillure" - Ezéchiel 36-25.
Dès qu'un décès est constaté, les assistants prononcent la bénédiction suivante «Baroukh dayan
haémeth» : « Béni (soit) le Juge véritable ».
Les yeux du défunt sont fermés, le corps entièrement couvert d’un drap est déposé sur le sol, les
pieds dirigés vers la porte dans la mesure du possible. Les membres - les bras en particulier - sont
étendus le long du corps et une veilleuse est allumée et déposée au haut de la tête10.
Les membres de la famille font alors appel à la Hevra Kadisha afin de procéder aux différents rites
de purification nécessaires avant l’inhumation. La toilette de purification, la tahara, doit être
réalisée juste avant l'enterrement dans la mesure du possible. Cette importante mission est donc
confiée à la Hevra Kadisha, et à elle seule. Littéralement cette "Assemblée sainte" ou "Assemblée
de sainteté", ou encore «Société du dernier devoir» telle quelle est nommée en français, est une
société librement structurée et très organisée faisant office de pompes funèbres, ce qui était
nécessairement le cas avant l’intégration des communautés juives aux sociétés dans lesquelles elles
vivaient. Elle est composée de membres juifs, hommes et femmes, qui s'occupent de préparer les
corps des défunts conformément aux rites de la Halakha (Loi juive) et veillent à se qu'ils ne soient
pas désécrés (volontairement ou non) jusqu'à l'enterrement. La tâche de la Hevra Kadisha est
considérée non seulement comme honorable mais très louable, et seulement surpassée par l'étude de
la Torah, ainsi qu'il est écrit dans le Traité Shabbat du Talmud :
«Voici les choses dont l'homme mange les fruits en ce monde et perçoit l'usufruit dans le monde à
venir : le respect du père et de la mère, la générosité, le lever matinal [pour se rendre] à la maison
d'étude le matin et le soir, l'introduction d'hôtes, la visite aux malades, l'introduction de la fiancée,
l'accompagnement des défunts, l'attention [pendant] la prière, l'apport de la paix entre l'homme et
son prochain; et l'étude de la Torah l'emporte sur tous».
En effet, s'occuper du mort est une faveur que le récipiendaire ne peut rendre, ce qui la rend
désintéressée et dévouée par excellence. Le travail de la Hevra Kadisha est donc appelé « un acte
généreux de vérité", c'est-à-dire véritable.
10-Celle-ci
symbolise la vie qui se consume comme une lumière.
9
Au cœur des fonctions que la Hevra Kadisha doit remplir se trouve le rituel de purification mais
elle fournit également aux familles tout le soutien moral et matériel nécessaire : la présence de
personnes (des «veilleurs») pour veiller à l'intégrité du corps jusqu'à l'enterrement (bien que dans
certaines communautés, ce rôle soit tenu par un proche du disparu), mais aussi afin de réciter des
Psaumes permettant d'élever l’âme du défunt, l’organisation de la veillée funéraire, de la
préparation des repas des familles en deuil ... La Hevra Kadisha s'occupe aussi des gens décédés
sans famille proche.
La tahara est confiée à la Hevra Kadisha, et à elle seule.
Rite de purification, elle n’est pas
seulement, dans la pensée juive, une simple toilette mortuaire, mais bien une première étape
permettant la libération de l'âme. La tahara étant un acte de kavod hamet (honneur à la personne
décédée) par excellence, il est convenu de ne pas faire de gestes qui auraient pu choquer la pudeur
de la personne de son vivant, il est même aussi évité de la découvrir sauf très brièvement pour
procéder à la toilette. Il ne s'agit pas "d'un mort qu'on lave", mais "d'une personne qu'on
accompagne"11. C’est ce même souci de respect et de pudeur qui interdit qu’un membre de la
famille du défunt ou un proche s’occupe de sa toilette. Traditionnellement, elle n’est aussi confiée
qu'aux membres de la Hevra Kadisha du même sexe que le défunt12. La toilette se fait en silence,,
chaque geste empreint d'une grande décence est soutenu par la lecture de prières et de textes
(Cantique des Cantiques, Psaumes, ...).
Le corps est déposé sur une planche ou sur une dalle prévue à cet effet, les pieds dirigés vers la
porte13 . Après l'avoir déshabillé jusqu'à la chemise, il est recouvert d'un drap. Sans le bouger, on
déchirera de haut en bas la chemise, et on enlèvera celle-ci, si bien qu'il ne soit à aucun instant
dénudé, la règle est la même pour un enfant. Si dans les vingt-quatre heures qui précèdent la mort,
on a pratiqué une saignée, on laissera le garrot, et si le sang recueilli n'a pas encore été jeté, il
accompagnera le cercueil dans la tombe. Pour le laver, le corps est couché d'abord sur le dos. On le
tournera sur la droite, pour atteindre le côté gauche et une partie du dos, ensuite sur la gauche, pour
avoir accès au côté droit et au reste du dos. A la fin de ces opérations, le corps se trouvera à nouveau
la face dirigée vers le plafond. Si une chose adhère fortement au corps, on ne l'enlèvera pas. Ainsi,
11-OUAKNIN
Jacques, L’âme immortelle : précis des lois et des coutumes du deuil dans le judaïsme, Paris, Bibliophane, 2002
12-Dans
le cas où cela peut s’avérer compliqué (structures modestes de Hevra Kadisha avec peu de membres) il est possible de
demander l’avis et le souhait des familles.
13-Descriptif
de la toilette :
WEILL Edgard, Les pratiques du deuil-manuel rédigés par le rabbin de Mulhouse, en ligne :
http://judaisme.sdv.fr/traditio/deuil/eweill/wdeuil2.htm
10
prothèses dentaires et pansements chirurgicaux resteront en place. On lave aussi ongles des doigts et
des orteils. Pour sécher le corps, on écartera le drap mouillé, en ayant eu soin d'étendre
préalablement au-dessus de lui un drap sec, toujours dans le même souci de veiller à sa pudeur. Il
sera séché très soigneusement partout y compris entre les doigts et les orteils.
Il n’est pas pratiqué de purification si la personne est décédée suite à une hémorragie, c'est-à-dire
dont l'hémorragie est la cause établie du décès : on revêt ces personnes d’un linceul sans même les
déshabiller. Un enfant est purifié, quel que soit son âge. S'il n'a pas été circoncis, c'est avant la
tahara qu'il le sera. C'est aussi à ce moment là qu'il sera nominé. Les petites filles sont simplement
nominées avant l'enterrement. Toute partie du corps humain, y compris les membres amputés par
accident ou chirurgicalement, doit être enterrée, de préférence là où est inhumé le corps. La toilette
n'est pas non plus faite pour un accidenté portant des blessures, un opéré de fraîche date, ou si le
corps est couvert de plaies. Le sang perdu après la mort, ainsi que les objets, habits, draps souillés,
etc... seront jetés dans la tombe14.
Le respect dû à la personne humaine exige également l'intégrité du corps.
Le défunt est vêtu selon les coutumes, soit de ses vêtements auxquels sont ajoutés ou non les
vêtements mortuaires de couleur blanche, identiques pour tous. Il peut aussi être enroulé dans un
drap de lin. Une coutume également très répandue est de revêtir les hommes de leur taleth dont l’un
des coins est alors sectionné afin de marquer sa nouvelle condition hors d’usage.
Après la tahara, un membre de la Hevra Kadisha, ou plusieurs, veille la personne décédée. Le
corps est en effet veillé constamment jusqu’à l’inhumation afin de ne pas laisser seule la personne
décédée, considérée toujours comme telle (une personne). La tahara se fait donc juste avant
l'enterrement de façon à ce que le corps soit immédiatement après mis en bière et qu’il ne soit plus
touché. Le corps est déposé sur le dos dans le cercueil, face vers le ciel, bras tendus le long du
corps. Avant de fermer définitivement le cercueil, il est permis à la famille de regarder une dernière
fois le défunt, mais sans le toucher ni l'embrasser respectant en cela le principe qui a prévalut durant
tous les actes sur la personne décédée: le koved, le respect.
La cérémonie d’inhumation se fait au cimetière sans passage par la synagogue.
14-Il
est d’usage d’enterrer tout ce qui faisait partie du corps de la personne, donc tout ce qui a reçu d’une manière ou d’une autre le
sang de cette personne : compresses, seringues... Ces «usages» néanmoins s’inclinent devant les règles d'hygiène sanitaire imposées
par la législation.
11
Les coutumes
La tradition juive a instauré un ensemble de mesures qui visent à ce que le deuil soit vécu
dignement dans le respect du disparu et dans l’accompagnement des endeuillés.
Il s’agit ici simplement de présenter quelques-unes des traditions les plus usitées tout en rappelant
qu’elles ne sont que ce quelles sont, c’est à dire des coutumes que chacun respecte ou non selon ses
habitudes ou ses souhaits :
-sont directement concernés par les «règles» traditionnelles du deuil : les parents proches, soit les
fils et filles, époux et épouse, frères et sœurs, père et mère du défunt, dès lors qu’ils ont atteint leur
majorité religieuse (12 - 13 ans).
-les fils, et les filles si elles le désirent, du défunt récitent le Kaddich durant la période qui leurs est
impartie mais en l’absence des enfants, les petits-enfants peuvent le faire, voire un parent ou ami
proche. Les autres membres de la famille ou amis proches s’associent au deuil en marquant leur
soutien aux endeuillés : repas, procédures administratives, visite des endeuillés, présence lors des
premiers sept jours de deuil, etc. Ces différents rites sont là pour aider l’endeuillé.
Avant l’enterrement :
-allumage d’une veilleuse symbolisant l’âme du défunt encore présente durant sept jours
-recouvrement des miroirs avec une une étoffe pour une durée identique symbolisant soit la vanité
qu’il s’agit de voiler, soit l’interdiction de réfléchir des visages marqués par la peine
-modestie et simplicité sont de mise. Tout décorum excessif est considéré comme une vanité et
contraire à l’esprit du judaïsme, c’est pourquoi le cercueil est choisi dans le bois le plus simple
-le visage du défunt est recouvert d’un drap et ne doit pas être exposé au public. Dans le judaïsme
les morts ne sont pas regardés, par respect d’une part, et d’autre part afin de garder l’image vivante
de la personne
-l’endeuillé ne consomme ni viande, ni vin (sauf shabbat). Il ne dit pas les bénédictions qui
accompagnent les repas, ni ne récite la prière du Chema, ni ne met les phylactères (Tefillin), et il ne
peut pas faire partie d’un minyan. Il peut se rendre à la synagogue le shabbat mais il ne montera pas
à la Torah
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-dans de nombreuses communautés, il n’est pas d’usage d’apporter des fleurs à un enterrement. Ce
n’est pas pour autant un interdit strict (une très ancienne coutume demande que soit posé une petite
pierre sur les tombes lors d’une visite au cimetière)
-chacun personne présente lors de l’enterrement jette un peu de terre (trois poignées) sur le cercueil,
exprimant symboliquement le devoir d’enterrer un mort qui incombe à chacun et le retour à la
poussière
-dans la même perspective de modestie et de simplicité qu’il convient à une période de deuil, les
endeuillés peuvent de pas porter de chaussures en cuir, de bijoux trop voyants ...
-le rite de la "Qeri'ah", la déchirure du vêtement en signe de deuil15 (à la hauteur du coeur), se fait
sur le lieu du cimetière, et par la famille proche uniquement.
— Après l’enterrement :
-les sept premiers jours de deuil sont appelés "shiva" (sept en hébreu)
-amis et famille proches préparent un repas de deuil composés d’aliments symboliques; œufs durs,
lentilles, olives, ... témoignant du cycle de la vie et la renaissance
-les endeuillés durant ces sept premiers jours restent chez eux et ne travailleront pas dans le mesure
du possible
-un minyan (quorum de dix personnes juives adultes) peut être organisé chaque soir de cette
première semaine de deuil afin de pouvoir réciter le Kaddich. Cette récitation, pouvant se faire à la
synagogue, se prolonge durant onze mois pour des parents défunts et durant trente jours pour tout
autre proche
-une coutume requiert de s’asseoir à même le sol durant cette période marquant celle-ci de sa
différence d’avec les autres jours
-musique, télévision et fête de famille sont suspendues.
-une autre série de coutumes indique que les endeuillés ne se font pas couper les cheveux, ne se
coupent pas les ongles, ne se rasent pas, ne se lavent que pour l’hygiène nécessaire, n’ont pas de
rapports conjugaux
-les trente jours après l’enterrement; "sheloshim" (trente en hébreu), sont considérés comme une
période de deuil au second degré. Les interdits sont levés (sauf de se raser, se couper les cheveux et
15-Comme
Jacob ayant déchiré sa toge lorsque ses fils lui annoncèrent la mort de Joseph.
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mettre des vêtements neufs, les vêtements propres sont autorisés), mais toute fête sera encore évitée.
et le Kaddich est encore lu quotidiennement
-le trentième jour qui suit l’enterrement (et non du décès), est fait éventuellement une petite
cérémonie commémorative
-pour tout décès, après un an (à dater de l’enterrement), selon la date du calendrier juif, on fait une
commémoration (éventuellement au cimetière ou à la synagogue), c’est à ce moment qu’est posée la
“matséva”, la stèle funéraire.
-puis d’année en année, on commémore l'anniversaire du décès le «Yahrzeit» signifiant en yiddish,
et venant lui-même de l’allemand, «moment de l’année», le «meldar» en judéo-espagnol, ou encore
l’azguir en judéo-arabe, mais alors selon la date hébraïque du décès et non plus de l’enterrement.
Le cimetière est tantôt désigné comme «Beth Ha'Hayim», maison de vie, tantôt comme
«Beth’Olam», maison d’éternité. Les visites au cimetière sont généralement limitées à une par an, à
des mois bien précis du calendrier hébraïque, le judaïsme n’incite pas les fidèles à entretenir le culte
des morts par des marques extérieures ou par des visites répétées au cimetière.
Il ne concentre davantage sur le sens de cette notion du rappel, du souvenir, de se souvenir,
récurrente dans de nombreux domaines du judaïsme comme l’utilisation du châle de prières. Les
franges du châle de prières, réunies pour certaines d’entre elles en nœuds, et que le fidèle prend
dans sa main sont considérés comme une sorte d’ « aide-mémoire» permettant de se souvenir de ses
devoirs religieux. De même, l’injonction zahor !, souviens-toi !, est utilisé pour le rappel des noms
des défunts. Les célébrations autour des temps de deuil sont également caractéristiques de cette
volonté de ritualiser le souvenir et la mémoire.
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Bibliographie
•GARAI François, Le monde des mistvot, Genève, Fédération du Judaïsme Libéral, 1998, 155
pages.
•HIDIROGLOU Patricia, Rites funéraires et pratiques de deuil chez les juifs en France, XIXe et
XXe siècles, Paris, Les Belles Lettres, 1999, 448 pages.
•HORVILLEUR Delphine, «le Kaddish des endeuillés», Tenoua-le mouvement-Revue
trimestrielle du mouvement juif libéral de France,
article en ligne: www.mjlf.org/le-mjlf-
judaisme-a-pratiques/au-fil-de-la-vie/deces/deces.html.
•KAHN Zadoc (édit.), la Bible, Paris, Editions Colbo, 1994- 8ème édition (1ère édition 1899).
•KOLATCH Alfred J., Le Livre Juif du pourquoi ?, Paris, MJR, 1993, tome I-397 pages, 1996,
tome II- 552pages.
•OUAKNIN Jacques, L’âme immortelle : précis des lois et des coutumes du deuil dans le
judaïsme, Paris, Bibliophane, 2002.
•TROLLET Daniel (édit.), La mort et ses représentations dans le judaïsme, Actes du ColloqueCentre d’études juives de l’Université Paris IV, Paris, H.Champion, 1989.
•WIGODER Geoffrey (édit.), Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Editions du Cerf,
1996, 1388 pages.
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