PSYCHOLOGIE - Jacques Lecomte

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Jacques Lecomte
© Dunod, Paris, 2008
ISBN 978-2-10-053483-8
Sommaire
V
Avant-propos
P REMIÈRE PARTIE
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les grands courants théoriques
1
La psychanalyse
2
Le comportementalisme
12
3
La psychologie humaniste
16
4
La psychologie cognitive
21
5
La psychologie sociale et le sociocognitivisme
26
6
La psychologie des émotions
31
7
La psychologie de la personnalité
36
8
La psychologie différentielle
41
9
La psychologie évolutionniste
44
6
10 La neuropsychologie
48
11 La psychologie positive
54
12 La psychologie intégrative
59
D EUXIÈME PARTIE
Les applications pratiques
13 La psychologie du développement de l’enfant
67
14 La psychologie de l’éducation
72
15 La psychologie de la communication
77
16 La psychologie économique
83
Sommaire
17 La psychologie légale
86
18 La psychologie de la santé
89
19 La psychologie communautaire
93
20 La psychologie environnementale
97
21 La psychologie du sport
100
22 La psychologie du travail
104
23 La psychologie politique
108
T ROISIÈME PARTIE
Les grands débats
24 L’être humain est-il libre ou déterminé ?
115
25 Quelle est la part de la génétique et celle de l’environnement ?
119
26 Le fonctionnement humain est-il culturel ou universel ?
125
27 Tout se joue-t-il dans l’enfance ?
130
28 Femmes et hommes ont-ils une psychologie différente ?
135
29 Est-ce notre personnalité ou la situation qui nous pousse à
138
agir ?
30 Nos décisions sont-elles fondées sur la raison ou sur les
143
émotions ?
31 Quelles différences y a-t-il entre l’animal et l’être humain ?
148
32 Notre esprit influence-t-il notre santé ?
153
33 Les psychothérapies sont-elles efficaces ?
158
IV
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Avant-propos
Qu’est-ce que la psychologie ? Que sont les psychologues et que font-ils ? C’est à
ces questions que cet ouvrage s’efforce de répondre.
Et tout d’abord, faut-il parler de la psychologie ou des psychologies ?
Définir LA psychologie n’est pas chose simple. La définition la plus simple et
la plus évidente consiste à dire qu’il s’agit de l’étude scientifique des processus
psychiques. Mais dès ce moment, des désaccords surviennent. Un psychologue
comportementaliste pur et dur nous rétorque : « Le psychisme est une illusion,
seul compte le comportement. » Un psychanalyste nous interpelle : « Quand vous
utilisez l’expression processus psychiques, parlez-vous des processus conscients
ou inconscients ; car au fond, seuls ces derniers sont essentiels », etc.
Pour bien appréhender l’être humain, il faut le faire en tenant compte de toute sa
complexité. Pour ma part, je propose une représentation que je qualifie de « modèle
6 D » ou « Modèle des six dimensions de l’être humain » (figure 12.11 ).
Ce modèle permet à la fois d’avoir une vue globale de l’être humain et de repérer
où se situe tel ou tel courant de recherche. En effet, derrière le mot psychologie se
cachent des approches très diverses, qu’il s’agisse des thèmes d’étude, des théories
et même des visions de l’être humain. La psychologie est un grand puzzle dont
certaines pièces sont proches et s’imbriquent bien, tandis que d’autres sont très
éloignées et cohabitent difficilement dans le même espace. C’est précisément pour
y voir plus clair dans cet ensemble multiforme que cet ouvrage a été rédigé.
1. Voir p. 64.
V
PARTIE
1
Les grands courants
théoriques
Depuis sa naissance à la fin du XIXe siècle, la psychologie n’a cessé de se transformer.
Tel courant, quasiment hégémonique, finit par quasiment disparaître, tel autre renaît
de ses cendres sous une autre forme, tel autre encore émerge de façon inattendue.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1. LA NAISSANCE DE LA PSYCHOLOGIE À LA FIN DU XIXE SIÈCLE :
UNE DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE
On a coutume de faire remonter la naissance de la psychologie scientifique aux
travaux de Wilhelm Wundt (1832-1920), lequel a fondé le premier laboratoire
entièrement consacré à la recherche psychologique expérimentale, à l’université
de Leipzig en Allemagne en 1879. C’est la raison pour laquelle différents auteurs
considèrent que 1879 constitue l’année de naissance de la psychologie. D’autres
pionniers vont également utiliser la méthode expérimentale, en particulier Ivan
Pavlov (1849-1936), qui reste connu dans le grand public comme le découvreur
du « réflexe conditionné ». Ces travaux de Pavlov sur le conditionnement vont
précisément être à l’origine, après sensible modification, d’un courant qui s’est
longtemps imposé dans l’univers de la psychologie scientifique : le behaviorisme
ou comportementalisme. Ainsi, les premiers pas de la psychologie se sont
essentiellement effectués dans un cadre expérimental. Même William James
(1842-1910) aux États-Unis, un autre père fondateur qui développe des recherches
sur des thèmes plus existentiels, consacre une partie de son activité à des recherches
expérimentales.
Les grands courants théoriques
2. UN DEMI-SIÈCLE DE RIVALITÉ ENTRE PSYCHANALYSE
ET COMPORTEMENTALISME
Les cinquante premières années de la psychologie du XXe siècle ont été largement
dominées par deux courants diamétralement opposés : d’un côté, la psychanalyse,
créée par Sigmund Freud (1856-1939), de l’autre le comportementalisme, fondé par
John B. Watson (1878-1958) et dont le principal représentant est Burrhus F. Skinner
(1904-1990).
Pour la psychanalyse (fiche 1) l’essentiel de notre existence est dominé par nos
processus psychiques inconscients. Ils agissent à notre insu, et c’est l’accès aux
conflits inconscients, puis leur résolution, par le biais de séances de psychanalyse,
qui permet à l’individu d’accéder à une vie psychologiquement satisfaisante.
Le comportementalisme (fiche 2) adopte un point de vue totalement différent.
Dans une version soft, le « behaviorisme méthodologique », ses représentants
estiment que même si le psychisme existe, il n’est pas possible d’y accéder ; nous
pouvons seulement observer des comportements, et la psychologie doit se limiter à
leur étude. Dans la version hard, le « behaviorisme radical » largement popularisé
par Skinner, la pensée n’existe pas. Et donc très logiquement, la personnalité, la
liberté, la morale et la responsabilité personnelle n’existent pas non plus.
Entre la psychologie du psychisme profond et la psychologie du comportement
visible, le fossé est abyssal.
3. DE NOUVELLES APPROCHES
Ces deux courants vont ainsi dominer la psychologie durant de longues décennies.
Mais leur approche monocentrée (sur le comportement ou sur l’inconscient) va
progressivement faire naître des sentiments d’insatisfaction chez de nombreux
psychologues.
Une première réaction va émerger à partir des années 1940 et se développer
surtout après la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs psychologues en arrivent à
considérer ces deux approches comme réductionnistes, car elles affirment que l’être
humain est essentiellement le jouet de ses pulsions internes (psychanalyse) ou
des pressions de l’environnement (behaviorisme). Se crée ainsi le courant de la
psychologie humaniste (fiche 3) qui adopte comme principe que l’individu est avant
tout désireux de s’accomplir dans l’épanouissement personnel et la relation avec
autrui. Ses représentants vont ainsi surtout s’efforcer de repérer et d’étudier les
fonctionnements psychologiques qui relèvent de la bonne santé mentale, et non pas
de la psychopathologie. Carl Rogers va notamment exercer une influence certaine
dans les domaines de la psychothérapie et du travail social.
Une autre frustration se fait jour après la Seconde Guerre mondiale. Des
chercheurs de plus en plus nombreux s’écartent à la fois du behaviorisme, en
considérant que le psychisme existe bien et qu’il est possible de l’étudier, et de
la psychanalyse, en estimant que la recherche en psychologie doit relever d’une
démarche scientifique rigoureuse. Ce courant va progressivement s’amplifier et
donner naissance à la psychologie cognitive (fiche 4). Cette approche qui n’avait
2
Les grands courants théoriques
Thèses de psychologie avec mots clés
(en pourcentage)
aucunement droit de cité il y a un demi-siècle, est aujourd’hui le courant dominant
de la psychologie scientifique. Elle s’est d’ailleurs associée à d’autres disciplines
(en particulier la linguistique, les sciences de la communication, la philosophie, la
neuropsychologie et l’anthropologie) pour constituer les sciences cognitives.
La figure 1 montre clairement l’essor de la psychologie cognitive et la chute
simultanée du comportementalisme. Les chiffres à gauche indiquent le pourcentage
de thèses de psychologie dont les titres contiennent les mots clés relatifs à une
discipline (par exemple tous les mots tels que « cognition », « cognitive », etc.,
pour la psychologie cognitive), recensées dans la base Psyclit (plus grosse base
de données en psychologie dans le monde). Cette figure montre également la très
faible proportion de thèse en psychanalyse. Il en est apparemment de même pour
les neurosciences, mais ceci ne rend pas véritablement compte de la réalité car
un nombre important de thèses de neurosciences sont soutenues dans d’autres
disciplines que la psychologie, en particulier en médecine.
12
10
8
Courant cognitif
Courant comportementaliste
Courant psychanalytique
Courant neuroscientifique
6
4
2
2001
1999
1997
1995
1993
1991
1989
1987
1985
1983
1981
1979
1977
1975
1973
1971
1969
1967
0
*
Figure 1. Pourcentage de thèses soutenues
dans quatre courants psychologiques.
Tracy J. L., Robins R. W. & Gosling S. D. (2003), « Tracking trends in psychological science, an empirical analysis of the history of psychology », in T. C. Dalton
& R. B. Evans, The life cycle of psychological ideas, Springer, 105-132.
4. AUJOURD’HUI, UNE EXPLOSION DE « NOUVELLES
PSYCHOLOGIES »
Depuis une trentaine d’années, on observe un renouvellement total de l’univers
de la psychologie scientifique, que l’on peut résumer sous formes de trois évolutions
majeures :
• émergence de nouvelles disciplines
• renouvellement d’anciennes approches
• rapprochement de courants autrefois opposés
3
Les grands courants théoriques
a Émergence de nouvelles disciplines
La psychologie évolutionniste (fiche 9) considère que la plupart des comportements humains s’expliquent par la théorie de l’évolution. Ce courant de recherche
rassemble non seulement des psychologues, mais également des biologistes et
généticiens, des éthologues, des anthropologues et paléoanthropologues.
La psychologie intégrative (fiche 12) s’efforce de rassembler les savoirs issus
de différents courants théoriques et empiriques pour proposer une connaissance
de l’être la plus globale possible. Entreprise délicate lorsque l’on sait qu’un être
humain est composé à la fois d’émotions, de cognitions, de comportements, et qu’il
s’exprime à de multiples niveaux : biologique, interpersonnel, social et culturel.
b Renouvellement d’anciennes approches
La neuropsychologie (fiche 10), dont les premières connaissances scientifiques
datent de la seconde moitié du XIXe siècle, a pris une nouvelle ampleur, grâce à de
récentes avancées technologiques. On peut aujourd’hui mieux comprendre ce qui
se passe dans le cerveau lorsqu’une personne accomplit telle action ou réfléchit à
tel problème.
La psychologie des émotions (fiche 6) a été nettement mise à l’écart au cours de
la révolution cognitive. Il y a peu de temps encore, les psychologues scientifiques
considéraient que les émotions « parasitaient » la pensée rationnelle, principal
thème de recherche. De nos jours, elle fait un étonnant retour en force, au point
que certains prédisent que la révolution émotionnelle va prendre le relais de la
révolution cognitive.
Après une période de croissance, la psychologie humaniste a vu son influence
diminuer à partir des années 1980. Mais depuis le début du nouveau millénaire,
la perspective optimiste portée sur l’être humain est reprise par le courant de la
psychologie positive (fiche 11) qui connaît un essor considérable outre-Atlantique
en multipliant les thèmes de recherche.
c Rapprochement de courants autrefois opposés
La psychologie sociale, qui étudie les influences réciproques entre l’individu et
son environnement humain, et la psychologie cognitive, qui étudie les processus
mentaux, se sont associées pour former le sociocognitivisme (ou cognition sociale)
(fiche 5), qui étudie les processus cognitifs impliqués dans les interactions sociales.
La psychologie cognitive s’est créée en s’opposant radicalement au comportementalisme, et ce dernier est aujourd’hui très peu présent dans l’univers de la
recherche. En revanche, ces deux approches se sont réconciliées en psychothérapie,
pour donner naissance à la thérapie cognitivo-comportementale (fiche 33).
La psychologie sociale a longtemps considéré que le comportement de l’individu
est essentiellement le résultat de l’influence de son environnement social et a
fortement remis en cause la psychologie de la personnalité, pour laquelle il existe
des caractéristiques personnelles, différentes d’un individu à l’autre, assez stables
quel que soit le contexte. Aujourd’hui, des chercheurs issus de ces deux disciplines
4
Les grands courants théoriques
considèrent qu’il est nécessaire, pour bien comprendre le comportement d’une
personne, d’étudier l’interaction entre sa personnalité et le contexte (fiche 29).
Telle est la situation en ce début de millénaire. Quant à ce que sera la psychologie
de demain, bien difficile de le prédire !
5
1
La psychanalyse
La psychanalyse, courant psychologique le plus connu du grand public, désigne à
la fois :
• une approche théorique du fonctionnement psychique de l’être humain, qualifiée
également de métapsychologie ;
• une démarche thérapeutique.
On utilise également l’adjectif « psychodynamique » pour regrouper un ensemble
d’approches cliniques, allant de la psychanalyse traditionnelle à des thérapies
brèves d’orientation psychanalytique. Leur point commun est de considérer que le
psychisme humain est sous-tendu par une dynamique, essentiellement sous l’effet
des pulsions internes et des expériences précoces de l’existence.
1. LA PSYCHANALYSE FREUDIENNE
a La structuration de la personnalité
Selon Freud, le psychisme humain possède une structure, qu’il qualifie de topique,
comprenant plusieurs facettes. En fait, il a proposé deux versions successives : la
première et la seconde topiques.
Première topique : la distinction entre conscient, préconscient et inconscient
La première topique, élaborée à la fin du XIXe siècle, comprend :
• le conscient, ce qui nous est directement accessible ;
• le préconscient, ce qui est stocké en mémoire, mais qui passe facilement à l’état
conscient ;
• l’inconscient, ce qui est profondément enfoui dans notre psychisme, en particulier
les souvenirs refoulés, qui sont normalement inaccessibles.
Il existe des systèmes de censure, qui bloquent la communication de certaines
informations entre ces instances, afin de maintenir notre santé psychologique.
Seconde topique : la distinction entre Ça, Moi, Surmoi et idéal du Moi
À partir de 1920, Freud crée une seconde topique qui comporte :
• le Ça, instance pulsionnelle de la personnalité, uniquement guidée par le principe
de plaisir, et qui recherche des gratifications immédiates. Il ignore les notions
Fiche 1 • La psychanalyse
de bien et de mal, la morale. Il constitue le réservoir des pulsions, en particulier
sexuelles ;
• le Surmoi, intériorisation des exigences et interdits parentaux et sociaux ;
• le Moi, partie la plus consciente de la personnalité, soumise au principe de réalité.
Elle s’efforce de réconcilier les pulsions du Ça et les limites imposées par le
Surmoi.
En résumé, selon Freud, « le Ça est tout à fait immoral, le Moi s’efforce d’être
moral, le Surmoi peut devenir hypermoral et, en même temps, aussi cruel que le
Ça ». Freud ajoutera ensuite une quatrième instance psychique, l’idéal du Moi,
conception idéalisée de la personne à laquelle l’individu cherche à se conformer. Il
se met en place au cours de l’enfance, par identification aux personnes aimées et
admirées (souvent les parents).
b Les stades de développement de l’enfant
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Selon la psychanalyse freudienne, l’enfant passe par plusieurs étapes au cours de
son développement, essentiellement centrées sur la sexualité infantile :
• le stade oral (de la naissance à 18 mois) : le plaisir du nourrisson est focalisé sur
la bouche et la succion. Le sein maternel est un objet de plaisir. Le bébé porte
spontanément à la bouche les objets présents dans son environnement. C’est une
façon de les découvrir, mais aussi de se les approprier ;
• le stade anal (de 18 mois à 3-4 ans) : l’activité sexuelle de l’enfant est liée
au contrôle de son sphincter. C’est la période d’acquisition de la propreté et
du langage. L’enfant considère ses excréments comme une partie de lui-même.
Il peut les offrir ou les refuser aux adultes et découvre ainsi son pouvoir sur
l’environnement ;
• le stade phallique (de 3-4 ans à 5-6 ans) : la zone érogène préférée est alors
constituée par les organes génitaux. L’enfant pose des questions sur l’origine
de la vie et la différence des sexes. Au cours de cette période, se manifeste le
complexe de castration, qui s’exprime de manière différente chez le garçon et
chez la fille : le garçon craint de perdre son pénis (angoisse de castration) et la
fille souffre de ne pas en avoir un (envie du pénis). C’est également à cette étape
que se développe le complexe d’Œdipe : le garçon est sexuellement attiré vers sa
mère et considère son père comme un rival ;
• la période de latence (de 5-6 ans à la puberté) : les pulsions sexuelles de l’enfant
sont moins fortes, il intériorise les premiers interdits moraux et devient pudique.
C’est la période de « résolution de l’Œdipe » : l’enfant renonce aux pulsions
sexuelles et agressives liées au complexe d’Œdipe et s’identifie au parent du
même sexe. Ses centres d’intérêt et ses activités se diversifient ;
• le stade génital (à partir de la puberté) : l’individu apprend progressivement à
contrôler ses pulsions d’une manière souple et qui le satisfait. Son Moi est fort et
parvient à équilibrer l’action du Ça et celle du Surmoi.
7
Fiche 1 • La psychanalyse
c Les mécanismes de défense
Les mécanismes de défense constituent un élément central de la théorie
psychanalytique1 . Il s’agit de processus inconscients élaborés par le Moi pour
se défendre de pulsions incontrôlables générées par le Ça, et donc destinés à se
protéger de l’angoisse. Il en existe de multiples, le premier décrit par Freud étant le
refoulement, qui désigne le rejet dans l’inconscient de représentations inacceptables
aux yeux de la personne. C’est en quelque sorte un faux oubli, susceptible de
réapparaître sous forme de rêves (« la voie royale qui mène à l’inconscient » selon
Freud), d’actes manqués tels que les lapsus ou de psychopathologie (retour du
refoulé).
Autre exemple : la rationalisation est l’explication apparemment logique et
raisonnable d’un acte ou d’une pensée, mais dont les vrais motifs sont enfouis dans
l’inconscient.
Freud, puis sa fille Anna, ont surtout insisté sur la facette pathologique des
mécanismes de défense. Cependant, le regard des psychanalystes a fortement
évolué depuis. En particulier, George Vaillant répartit les mécanismes de défense
en quatre grandes catégories, selon leur niveau de (dys)fonctionnement2 :
•
•
•
•
matures : altruisme, amour, sublimation... ;
névrotiques : intellectualisation, refoulement, dissociation... ;
immatures : projection, hypocondrie... ;
psychotiques : déni, projection délirante...
d Les troubles mentaux et la thérapie psychanalytique
Selon Freud, les troubles psychiques sont le produit de conflits inconscients. La
personne peut donc retrouver un équilibre psychique lorsqu’elle est parvenue à
vaincre ces conflits et lorsque les mécanismes refoulés sont parvenus à la conscience.
Pour cela, elle doit surmonter de fortes résistances, ce qui est précisément un objectif
majeur de la cure psychanalytique. Un élément essentiel est l’association libre : le
patient dit tout ce qui lui passe par l’esprit. Il s’agit là du contenu manifeste, dont le
psychanalyste va décoder le contenu latent inconscient.
Une étape essentielle de la thérapie est le transfert du patient sur son analyste, par
lequel l’individu reporte sur le thérapeute des sentiments (amour, haine, etc.) qu’il
ressent en fait pour une personne importante à ses yeux (souvent l’un des parents).
L’analyse de ces projections facilite la prise de conscience des conflits inconscients
de la personne.
2. AUTRES FORMES DE PSYCHANALYSE
Bien que Freud reste la référence centrale dans l’univers psychanalytique, de
nombreux autres auteurs ont apporté leur contribution. Parmi eux, Alfred Adler,
1. Ionescu S., Lhote C. et Jacquet M. M. (2005). Les Mécanismes de défense, Paris, Armand Colin.
2. Vaillant G.E. (1992). Ego Mechanisms of Defense : A Guide for Clinicians and Researchers,
Washington, American Psychiatric Press.
8
Fiche 1 • La psychanalyse
Carl Gustav Jung et Jacques Lacan ont donné des orientations spécifiques à cette
discipline.
a Alfred Adler (1870-1937)
Ce médecin autrichien a élaboré une théorie, la « psychologie individuelle »,
selon laquelle les troubles psychologiques ne sont pas le fruit de conflits sexuels
inconscients, mais du sentiment d’infériorité. Ce processus peut conduire aussi bien
à une faible estime de soi qu’à une survalorisation de soi, au travers du mécanisme
de compensation.
b Carl Gustav Jung (1875-1961)
Ce psychiatre suisse accorde lui aussi nettement moins d’importance à la sexualité
que Freud. En particulier, il considère que les problèmes psychiques d’un individu
adulte ne sont pas nécessairement la conséquence d’expériences enfantines, ce qui
le conduit à développer le concept d’inconscient collectif, qui renvoie à l’histoire
ancestrale de l’humanité. Cette forme d’inconscient est composée d’archétypes,
structures de base innées et universelles. C’est le cas par exemple de l’animus
(facette masculine de l’inconscient chez la femme), l’anima (facette féminine de
l’inconscient chez l’homme), la persona (apparence de soi-même que l’on montre)
ou encore l’ombre (personnification de tout ce que nous refusons de reconnaître en
nous).
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
c Jacques Lacan (1901-1981)
Jacques Lacan est le psychanalyste français le plus connu. Une de ses
préoccupations est de rapprocher la psychanalyse et la linguistique structuraliste, en
affirmant que « l’inconscient est structuré comme un langage ». Lacan développe
notamment le thème du « stade du miroir », en s’inspirant d’Henri Wallon,
psychologue spécialiste du développement de l’enfant. Ce stade apparaît chez
le bébé à partir de l’âge de 6-8 mois. Celui-ci va progressivement reconnaître
son propre corps, ce qui lui permet de le différencier de celui de sa mère et plus
généralement des autres humains. De nombreuses scissions ont eu lieu au sein du
milieu psychanalytique francophone, en grande partie centrées sur des positions
divergentes relatives à l’œuvre de Jacques Lacan.
3. LES CRITIQUES DE LA PSYCHANALYSE
Depuis ses débuts, la psychanalyse a été soumise à des critiques, essentiellement
de deux ordres :
• épistémologique, sur son statut scientifique ;
• médical, sur son efficacité thérapeutique.
a La psychanalyse est-elle scientifique ?
La critique la plus influente concernant le caractère non scientifique de la
psychanalyse est due à Karl Popper. Cet épistémologue considère que « le critère
de scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter
9
Fiche 1 • La psychanalyse
ou encore de la tester ». Seules peuvent donc être qualifiées de scientifiques les
théories à la fois réfutables et non encore réfutées1 . Autrement dit, pour qu’une
théorie puisse être qualifiée de théorie scientifique, il faut qu’elle puisse donner lieu
à des tests empiriques susceptibles de l’infirmer et qu’elle sorte « victorieuse » de
ces tentatives de réfutation. Or, selon Popper, les théories psychanalytiques sont
purement et simplement impossibles à tester comme à réfuter. Il n’existe aucun
comportement humain qui puisse les contredire. Cette capacité de tout expliquer,
présentée comme le point fort de la théorie, est considérée, au contraire, par Popper
comme son point le plus faible. À titre d’exemple, Jacques van Rillaer cite le
complexe d’Œdipe : « Si un garçon aime sa mère et déteste son père, il présente
un complexe d’Œdipe manifeste. Si un autre adore son père et se montre agressif
envers sa mère, ses tendances œdipiennes sont refoulées2 . »
b La psychanalyse est-elle thérapeutique ?
Depuis Freud, les psychanalystes ont surtout privilégié la présentation de cas
individuels et dédaigné la démarche statistique, seule apte à évaluer véritablement
l’efficacité d’une thérapie (fiche 33). Cependant, diverses enquêtes se sont précisément efforcées d’évaluer l’efficacité de la psychanalyse. Une importante polémique
a surgi il y a quelques années en France, à la suite d’un rapport de l’INSERM
(Institut national de la santé et de la recherche médicale)3 . Ce rapport a suscité une
levée de boucliers chez les psychanalystes, car il concluait à la faible efficacité de
la psychanalyse, comparativement à d’autres thérapies. Cependant, un rapport de
quatre cents pages publié par l’Association psychanalytique internationale reconnaît
qu’« il n’y a pas d’étude incontestable qui montre que la psychanalyse est efficace
sans ambiguïté par rapport à un placebo actif ou à une autre méthode de traitement4 ».
Aujourd’hui, de nombreux psychanalystes considèrent, comme Jacques Lacan, que
la psychanalyse est plus une méthode permettant un travail sur soi qu’une véritable
thérapeutique.
4. BIBLIOGRAPHIE
ADLER A. (2004). Connaissance de l’homme,
études de caractérologie individuelle, Paris,
Payot.
CHEMAMA R. (dir.) (1993). La Psychanalyse,
textes essentiels, Paris, Larousse.
FREUD S. (2004). Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot.
FREUD S. (2004). Psychopathologie de la vie
quotidienne, Paris, Payot.
IONESCU S., LHOTE C. et JACQUET M. M.
(2005). Les Mécanismes de défense, Paris,
Armand Colin.
JUIGNET P. (2006). La Psychanalyse, histoire des idées et bilan des pratiques, Grenoble,
Presses universitaires de Grenoble.
1. Popper K. (1985). Conjectures et réfutations ; la croissance du savoir scientifique, Paris, Payot.
2. Van Rillaer J. (2005). « Les Mécanismes de défense des freudiens », in C. Meyer (dir.) Le Livre
noir de la psychanalyse, Paris, Les Arènes, p. 421.
3. Inserm (2004). Psychothérapie, trois approches évaluées, Paris, Inserm.
4. International Psychoanalytical Association (2001). An Open Door Review of Outcome Studies in
Psychoanalysis, p. 311. Document disponible sur Internet.
10
Fiche 1 • La psychanalyse
LACAN J. (1990). Le Séminaire, les quatre
concepts fondamentaux de la psychanalyse,
Paris, Le Seuil, coll. « Points ».
MEYER C. (dir.) (2006). Le Livre noir de la
psychanalyse, Les Arènes.
MILLER J.-A. (dir.) (2006). L’Anti-Livre noir
de la psychanalyse, Paris, Le Seuil.
MOLINIÉ M. (dir.) (2007). La Psychanalyse. Points de vue pluriels, Auxerre, Sciences
Humaines.
11
ROUDINESCO E. (2001). Pourquoi la psychanalyse ? Paris, Flammarion, coll. « Champs ».
STENGERS I. (2006). La Volonté de faire
science, à propos de la psychanalyse, Paris, Synthélabo, coll. « Les empêcheurs de penser en
rond ».
2
Le comportementalisme
Le comportementalisme, ou behaviorisme, a constitué pendant plusieurs décennies
(essentiellement entre les années trente et les années soixante) l’un des deux
principaux courants psychologiques, à côté de la psychanalyse. Il prend le contrepied de cette dernière, en affirmant que les processus mentaux sont soit inexistants,
soit inaccessibles à l’étude scientifique. Seul compte le comportement, strictement
déterminé par l’environnement.
1. LES GRANDES ÉTAPES DU BEHAVIORISME
a Les origines philosophiques chez les philosophes empiristes
Les origines philosophiques du behaviorisme remontent essentiellement à la
philosophie empiriste des XVIIe et XVIIIe siècles, particulièrement représentée par
John Locke, George Berkeley et David Hume, qui considèrent que l’esprit humain
est comme une page blanche à la naissance et que ce sont les multiples expériences
de la vie qui lui fournissent les matériaux nécessaires à sa construction.
b Les travaux précurseurs de Pavlov sur le réflexe conditionné
Le physiologiste russe Ivan Pavlov (1849-1936) étudie le réflexe de salivation
chez les chiens, ce qui lui vaut le prix Nobel de médecine en 1904. Normalement,
le réflexe se déclenche lorsque la nourriture entre en contact avec les papilles
gustatives. Mais Pavlov remarque que les chiens, habitués à l’employé chargé de
les nourrir, salivent dès que celui-ci apparaît. Il établit donc une distinction entre
le réflexe originel inné (« réflexe inconditionné ») et le réflexe acquis (« réflexe
conditionné ») qui résulte d’un apprentissage.
Pour étudier ceci de façon systématique, il crée un dispositif expérimental
très simple : une sonnerie retentit avant chaque distribution de nourriture. Après
plusieurs séquences de ce type, la salivation se déclenche après la sonnerie.
c Les fondements conceptuels posés par Watson
John B. Watson (1878-1958) pose, en 1913, les bases conceptuelles du behaviorisme dans un article généralement considéré comme le manifeste de ce courant
psychologique1 . Il y affirme que la psychologie est une science naturelle objective
dont l’objectif est la prédiction et le contrôle du comportement. L’introspection et
1. Watson J.B. (1913). « Psychology as the behaviourist views it », Psychological Review, 20, 158-177.
Fiche 2 • Le comportementalisme
l’analyse des processus mentaux n’entrent pas dans son domaine d’études. L’un de
ses propos est resté célèbre :
« Donnez-moi une douzaine de bébés en bonne santé, bien formés, ainsi que mon
propre monde spécifié pour les élever et je m’engage à prendre n’importe lequel
d’entre eux et à le former pour qu’il devienne n’importe quel type de spécialiste que
je peux sélectionner (médecin, avocat, artiste), quels que soient ses talents, penchants,
tendances, aptitudes, vocation et race de ses ancêtres1 . »
d Skinner et sa boîte à renforcements
Cependant, c’est surtout grâce à l’action inlassable de Burrhus F. Skinner
(1904-1990) que le comportementalisme prend véritablement son essor. L’apport
majeur de Skinner, comparativement aux travaux de Pavlov, est d’affirmer que
« l’environnement ne se borne pas à aiguillonner, il sélectionne ». En d’autres
termes, l’environnement a un impact sur l’organisme non seulement avant
(« conditionnement classique » de Pavlov) mais également après la réaction de
cet organisme. Le comportement est façonné et maintenu par ses conséquences
(« conditionnement opérant » de Skinner).
Le renforcement joue ici un rôle central. Il peut s’agir soit d’un renforcement
positif, que l’individu cherche à reproduire, soit d’un renforcement négatif (ou
aversif), que l’individu cherche à éviter. Le dispositif expérimental le plus connu à
cet égard est la « boîte de Skinner ». Un animal (pigeon, rat, etc.) est placé dans
une cage où se trouvent une mangeoire et une boîte dans laquelle apparaissent des
signaux. Si, lorsqu’apparaît le bon signal (décidé comme tel par l’expérimentateur),
le pigeon pique par hasard la boîte à signaux, la mangeoire se remplit (renforcement
positif). Après plusieurs situations identiques, le pigeon apprend qu’il peut obtenir
de la nourriture en piquant la boîte après l’apparition du bon signal. Certaines
expériences incluent également des renforcements négatifs (par exemple un choc
électrique).
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
2. APPLICATIONS PRATIQUES ET CONCEPTION PHILOSOPHIQUE
a Les applications pratiques
Skinner a également mené de nombreuses recherches auprès de l’être humain,
tout particulièrement dans l’enseignement et l’éducation. Il constate avec regret
que l’enseignement a été essentiellement aversif : l’élève étudiait pour échapper
à des conséquences négatives en cas d’absence de travail. Mais, affirme-t-il, les
enseignants et parents adroits apprennent à récompenser l’enfant de ses bonnes
actions plutôt que de le punir pour ses mauvaises. Pour résoudre le problème de
la délinquance, il prône également un mode éducatif qui limiterait les punitions
(renforcements négatifs). Il propose diverses stratégies, en particulier :
• augmenter l’usage de renforcements positifs (par exemple faire faire du sport à
des jeunes pour éviter des comportements violents, plutôt que les punir) ;
1. Watson J.B. (1930). Behaviorism, Chicago, University of Chicago, p. 104.
13
Fiche 2 • Le comportementalisme
• modifier l’environnement de telle façon que la punition ait moins de probabilité
de survenir (par exemple, mettre sous clé tout ce qui peut se voler).
Selon Skinner, « il devrait être possible de construire un monde dans lequel tout
comportement qui risque d’être puni n’apparaîtrait que rarement ou jamais1 ».
b L’être humain, dépourvu de liberté
On peut distinguer deux courants théoriques dans le behaviorisme :
• le « behaviorisme méthodologique » considère que le seul élément observable
est le comportement. Les processus mentaux existent peut-être, mais ne peuvent
être étudiés par la science ;
• le « behaviorisme radical » postule que la pensée n’existe pas.
C’est précisément cette seconde orientation qu’adopte Skinner. Dans son ouvrage,
Par-delà la liberté et la dignité, il défend une conception de l’être humain fondée
sur un déterminisme environnemental presque absolu. Tout comportement peut être
facilité ou au contraire inhibé en aménageant les conditions environnementales
appropriées. Ceci a pour corollaires que :
• la personnalité n’existe pas : ce que l’on qualifie de traits de caractère ne sont en
fait que les dérivés de contingences de survie ou de renforcement ;
• la liberté n’existe pas puisque celle-ci « n’est qu’une question de contingences
de renforcement2 » ;
• la morale n’existe pas : les comportements considérés comme bons ou mauvais
ne sont pas dus à la bonté ou à la méchanceté ni à une connaissance du bien et du
mal, mais à des renforcements, en particulier les renforcements verbaux du type
« C’est bien ! » ou « C’est mal ! ». Par exemple, le fait qu’un individu obéisse ou
non à la règle « Tu ne voleras point » dépend exclusivement des renforcements
auxquels il a été soumis ;
• la responsabilité personnelle n’existe pas : c’est l’environnement qui est
« responsable » du comportement répréhensible ; c’est lui qu’il faut changer,
non quelque attribut de l’individu.
« Ce que l’on est en train d’abolir, écrit Skinner, c’est l’homme autonome [...], l’homme
qu’ont défendu les littératures de la liberté et de la dignité. [...] À l’ “Homme en tant
qu’homme” nous disons sans hésiter : Bon débarras. Ce n’est qu’en le dépossédant
que nous nous tournerons vers les véritables causes du comportement humain3 . »
3. AUJOURD’HUI
À partir des années 1950-1960, le behaviorisme a décliné puis quasiment disparu,
en raison du développement de la psychologie cognitive (fiche 4). Cependant,
1. Skinner B.F. (1971). Par-delà la liberté et la dignité, Paris, Robert Laffont, p. 84.
2. Idem, p. 5.
3. Idem, p. 242-243.
14
Fiche 2 • Le comportementalisme
associé au cognitivisme, il constitue aujourd’hui l’un des fondements de la thérapie
cognitivo-comportementaliste, en plein essor (fiche 33).
4. BIBLIOGRAPHIE
GIURGEA C.E. (1995). L’Héritage de Pavlov,
Bruxelles, Mardaga.
SKINNER B.F. (2005). Walden 2, Communauté expérimentale, In Press.
SKINNER B.F. (1968). La Révolution scientifique de l’enseignement, Bruxelles, Éditions
Charles Dessart.
SKINNER B.F. (2005). Science et comportement humain, In Press.
SKINNER B.F. (1972). Par-delà la liberté et
la dignité, Paris, Robert Laffont.
RICHELLE M. (1977). B. F. Skinner ou le péril
behavioriste, Bruxelles, Mardaga.
SKINNER B.F. (1995). L’Analyse expérimentale du comportement, Bruxelles, Mardaga.
WATSON J. (1972). Le Behaviorisme, Paris,
Centre d’étude et de promotion de la lecture.
15
3
La psychologie humaniste
La double domination de la psychanalyse et du behaviorisme sur la psychologie
a suscité, à partir des années 1940, une réaction chez certains psychologues qui
considéraient ces deux approches comme réductionnistes. Pour eux, l’être humain
n’est pas d’abord le jouet de ses pulsions internes (psychanalyse) ou des pressions
de l’environnement (behaviorisme), mais un individu désireux de s’accomplir dans
l’épanouissement personnel et la relation avec autrui.
Abraham Maslow, l’un des principaux artisans de ce renouvellement conceptuel,
a notamment critiqué la tendance du freudisme « à donner à toutes choses une
coloration pathologique et à ne pas voir suffisamment les saines possibilités de
l’être humain, à tout voir à travers des verres sombres. [...] On pourrait dire que
Freud a découvert la psychologie pathologique et qu’il reste maintenant à faire la
psychologie de la santé1 ».
1. LES PRINCIPAUX REPRÉSENTANTS
Les représentants les plus connus de cette approche sont Abraham Maslow,
Carl Rogers, Erich Fromm et Viktor Frankl. Ces auteurs, bien que conscients des
faces sombres présentes chez chaque être humain, s’intéressent surtout aux aspects
positifs de l’existence. Ainsi, selon Rogers, « la nature fondamentale de l’être
humain, quand il fonctionne librement, est constructive et digne de confiance ».
a Abraham Maslow (1908-1970)
Par le biais d’enquêtes, Maslow s’est efforcé de repérer les caractéristiques des
personnes en bonne santé mentale. Il observe notamment une bonne acceptation de
soi et des autres, une importante ouverture à l’expérience, l’autonomie et la capacité
de résister aux pressions, l’originalité du jugement et la richesse de l’émotivité, une
certaine spontanéité et facilité d’expression, l’aptitude à aimer et à entretenir des
relations enrichissantes.
Cet auteur est surtout connu pour sa « hiérarchie des besoins », souvent appelée
« pyramide de Maslow » (bien que Maslow n’ait pas utilisé ce terme lui-même),
qu’il décrit dans son ouvrage Une théorie de la motivation humaine2 . Il y a, selon
lui, cinq niveaux de besoins, qu’il classifie du plus basique au plus élevé :
• besoins physiologiques (manger, boire, dormir, avoir suffisamment chaud) ;
1. Maslow A.H. (1972). Vers une psychologie de l’être, Paris, Fayard, p. 6.
2. Maslow A.H. (1943). A Theory of Human Motivation, Harper and Brothers.
Fiche 3 • La psychologie humaniste
• besoins de sécurité (logement, ressources financières, sécurité physique et
psychologique, stabilité affective, sécurité médicale) ;
• besoins de reconnaissance et d’appartenance (amour, amitié, solidarité) ;
• besoins d’estime (se sentir respecté par les autres et par soi-même, respecter les
autres, exercer des activités valorisantes) ;
• besoins de réalisation de soi.
Ce dernier thème — la réalisation de soi — est un concept central de la psychologie
humaniste. Elle est conçue comme un processus dynamique, non comme un état
statique. La personne en cours de réalisation (self-realizing) connaît ses richesses
et ses limites et accepte sa condition humaine réelle, avec ses insuffisances. Elle
parvient à harmoniser des tendances apparemment contradictoires : intérêt pour soi
et pour les autres, goût pour la solitude et pour les contacts sociaux, rationalité et
irrationalité, etc.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
b Carl Rogers (1902-1987)
Carl Rogers s’est lui aussi intéressé à ce qu’il appelle la « vie pleine », processus
qui entraîne une ouverture accrue à l’expérience. Dans cette situation, « l’individu
devient plus capable d’être à l’écoute de lui-même, de faire l’expérience de ce
qui se passe à l’intérieur de lui-même. [...] Il est libre de vivre ses sentiments
subjectivement, comme ils existent en lui-même, et libre aussi d’être conscient de
l’existence de ces sentiments1 ». Lorsque l’individu se libère de ses attitudes de
défense et qu’il s’ouvre au vaste éventail de ses véritables besoins, ses réactions
sont positives, dynamiques et constructives. Sa personnalité est à la fois assurée et
capable de s’adapter aux diverses situations de l’existence.
Carl Rogers a beaucoup œuvré pour offrir des implications concrètes de la
psychologie humaniste, en thérapie, ainsi que dans l’enseignement et en politique
(voir ci-dessous).
c Erich Fromm (1900-1980)
Erich Fromm s’est particulièrement intéressé à l’ambivalence fondamentale de
l’être humain, ce qu’il appelle « sa propension au bien et au mal ». Il oppose par
exemple les tendances « biophiles » et nécrophiles ou encore les orientations vers
l’« être » et vers l’« avoir », présentes chez chacun d’entre nous, mais dans des
proportions diverses selon les individus.
Ainsi, dans le mode être, l’individu entretient un lien vivant et authentique avec
le monde qui l’entoure ; son bonheur se fonde sur l’amour, le partage et le don.
Inversement, dans le mode avoir, il établit sa relation au monde essentiellement sur
la base de possession et de propriété, il tire son bonheur de sa supériorité sur les
autres, de sa propre puissance et de la capacité de conquérir, voire de voler et tuer.
Par exemple, il existe, selon Fromm, une différence essentielle entre avoir de
l’autorité et être une autorité :
1. Rogers C.R. (1968). Le Développement de la personne, Paris, Dunod, p. 142.
17
Fiche 3 • La psychologie humaniste
« L’autorité rationnelle est fondée sur la compétence et elle aide à se développer la
personne qui s’appuie sur elle. L’autorité irrationnelle est fondée sur le pouvoir et sert
à exploiter la personne qui lui est soumise1 . »
Erich Fromm a plaidé pour l’avènement d’une société qui valorise et facilite le
développement de l’orientation biophile de l’être humain.
d Viktor Frankl (1905-1997)
Viktor Frankl occupe une place à part dans cette galerie d’auteurs. En fait, il
est rarement cité comme faisant partie intégrante du courant de la psychologie
humaniste car il a creusé son sillon à part, sur un thème unique : le sens de l’existence.
Selon lui, « la principale préoccupation de l’homme n’est pas de gagner du plaisir
ou d’éviter la souffrance, mais plutôt de voir un sens dans sa vie. »
Ses réflexions sont le fruit de son expérience de prisonnier durant la Seconde
Guerre mondiale. Après avoir survécu à quatre camps de concentration, il est
libéré par les Américains en 1945. Revenu chez lui, il apprend que ses parents,
son frère et sa jeune femme ont tous disparu en déportation. Il écrit alors, en neuf
jours, un ouvrage qui est la clé de voûte de son œuvre et l’origine de sa méthode
psychothérapeutique (traduit en français sous le titre Découvrir un sens à sa vie).
Dans les camps, écrit-il, « il fallait que nous changions du tout au tout notre attitude
à l’égard de la vie. Il fallait que nous apprenions par nous-mêmes et, de plus, il
fallait que nous montrions à ceux qui étaient en proie au désespoir que l’important
n’était pas ce que nous attendions de la vie, mais ce que la vie attendait de nous.
Au lieu de se demander si la vie avait un sens, il fallait s’imaginer que c’était la vie
qui nous questionnait, journellement et à toute heure2 ».
Plus tard, devenu thérapeute, il mettra au point une psychothérapie basée sur la
découverte du sens à la vie, appelée logothérapie (voir ci-dessous).
2. LES APPLICATIONS
a En psychothérapie
Carl Rogers est à l’origine d’une forme de thérapie qualifiée d’« approche centrée
sur la personne » et reposant sur trois piliers3 :
• la congruence (ou authenticité) : le thérapeute rencontre personnellement le
patient, sur la base d’une relation directe de personne à personne ;
• la considération : le thérapeute éprouve un véritable intérêt et une profonde
acceptation du patient et de ses sentiments ;
• la compréhension empathique : le thérapeute s’efforce de se mettre à la place de
son patient, de comprendre ses réactions de l’intérieur.
1. Fromm E. (1978). Avoir ou être, un choix dont dépend l’avenir de l’homme, Paris, Robert Laffont,
p. 56.
2. Frankl V. (1988), Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, Montréal, Éditions de
l’homme/Actualisation, p. 91-92.
3. Rogers C.R. (1968). Le Développement de la personne, op. cit.
18
Fiche 3 • La psychologie humaniste
Selon Rogers, une thérapie ne peut réussir que si « le thérapeute a réussi à établir
avec le client une relation intensément personnelle et subjective [...], une relation
de personne à personne ». Rogers a également développé la thérapie de groupe.
Les connaissances actuelles sur l’efficacité des psychothérapies donnent raison à
Rogers. De multiples évaluations ont mis en évidence qu’au-delà des diverses
orientations théoriques, l’essentiel de l’impact des psychothérapies est dû à
l’« alliance thérapeutique », terme qui recouvre trois aspects (fiche 33) :
• la collaboration entre le patient et le thérapeute ;
• le lien affectif entre eux ;
• leur aptitude à se mettre d’accord sur les objectifs du traitement et sur les tâches
à accomplir.
Une approche thérapeutique contemporaine, appelée « entretien motivationnel »,
mise au point par William Miller et Stephen Rollnick, s’inspire fortement de Rogers,
notamment par son insistance sur le rôle de l’empathie1 . Diverses études d’évaluation
ont clairement démontré son efficacité, en particulier auprès de personnes alcooliques
ou toxicomanes.
La logothérapie a été élaborée par Viktor Frankl, qui déclare que cette « guérison
par le sens [...] se penche tant sur la raison de vivre de l’homme que sur ses efforts
pour en découvrir une : ces efforts, à mon avis, constituent une force motivante
fondamentale chez l’être humain ».
Contrairement à Freud, qui estimait que la quête de sens était une manifestation
névrotique, Frankl considère que ce questionnement est salutaire et bénéfique :
« Il existe une frustration existentielle, [...] c’est-à-dire le sentiment d’absence de sens
de sa propre existence. [...] La frustration existentielle n’a rien de pathologique [...] ;
elle peut — et doit — être mobilisée dans une action thérapeutique. C’est là un des
buts les plus nobles de la logothérapie2 . »
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
b Dans l’enseignement
Pour favoriser l’apprentissage, Carl Rogers a proposé que l’enseignant adopte
dans ses cours les trois attitudes que sont l’authenticité, la considération et
l’empathie.
Deux chercheurs en sciences de l’éducation, David Aspy et Flora Roebuck, ont
constaté que les élèves dont les enseignants manifestent un haut degré d’empathie,
de congruence et de considération ont de meilleurs résultats scolaires, sont moins
souvent absents et ont une meilleure image d’eux-mêmes3 . Ces auteurs ont élaboré
un programme destiné à augmenter le niveau de ces caractéristiques chez les
1. Miller W.R. et Rollnick S. (2006). L’Entretien motivationnel. Aider la personne à engager le
changement, Paris, Interéditions.
2. Frankl V. (1970). La Psychothérapie et son image de l’homme, Paris, Resma/Centurion, p 59, 67.
3. Aspy D. et Roebuck F. (1990). On n’apprend pas d’un prof qu’on n’aime pas, Résultats de
recherches sur l’éducation humaniste, Montréal, Actualisation.
19
Fiche 3 • La psychologie humaniste
enseignants. Les résultats, au sein d’une école située dans un environnement
socio-économique très faible, sont impressionnants : nette augmentation du niveau
scolaire de l’ensemble des élèves, baisse significative de l’absentéisme, de la
violence et du vandalisme, pourcentage de démission chez les enseignants passant
de 80 % à 0 % (fiche 14).
c En politique
Erich Fromm et Carl Rogers ont étendu leurs réflexions jusqu’à envisager
l’émergence d’une société basée sur les valeurs de la psychologie humaniste.
Fromm considère que « la société et l’économie existent pour l’homme, ce n’est
pas l’homme qui existe pour elles » et prône un « socialisme communautaire et
humaniste », dont la base politique serait la tendance à se réaliser et qui éviterait
les excès respectifs du capitalisme et du communisme1 .
Quant à Rogers, il a imaginé les fondements d’une « politique de la personne2 ».
Le cœur serait constitué par des individus attentifs aux autres, à eux-mêmes et à leur
environnement. Leurs orientations « pourraient devenir le courant vivifiant d’un
avenir constructif ».
Aux États-Unis, John Vasconcellos a été député de Californie pendant trente-huit
ans. Il s’est efforcé pendant cette longue carrière de diffuser et de mettre en
application les propositions des psychologues humanistes. Son action est aujourd’hui
reprise par le Projet Vasconcellos, qui a notamment développé le Réseau de politique
de la confiance (Politics of Trust Network).
3. BIBLIOGRAPHIE
FRANKL V. (2005). Découvrir un sens à sa
vie avec la logothérapie, Montréal, Éditions de
l’homme.
FROMM E. (2004). Avoir ou être ? Paris,
Robert Laffont.
LUKAS E. (2000). Quand la vie retrouve un
sens, Introduction à la logothérapie, Paris, Pierre
Téqui.
MASLOW A. (2004). L’Accomplissement de
soi, De la motivation à la plénitude, Paris,
Eyrolles.
MASLOW A. H. (1972). Vers une psychologie
de l’être, Paris, Fayard.
ROGERS C. (2005). Le Développement de la
personne, Paris, Dunod.
ROGERS C. (1988). Un manifeste personnaliste, Fondements d’une politique de la personne,
Paris, Dunod.
TRAUBE P. (2004). Les Psychothérapies
humanistes, Une troisième voie entre psychanalyse et comportementalisme, Namur, Les
Éditions namuroises.
1. Fromm E. (1989). Société aliénée et société saine, Du capitalisme au socialisme humaniste, Paris,
Le Courrier du livre.
2. Rogers C. (1988). Un manifeste personnaliste, Fondements d’une politique de la personne, Paris,
Dunod.
20
La psychologie cognitive
4
La psychologie cognitive est la science qui étudie les processus mentaux. Il s’agit
évidemment là d’un univers très vaste qui comprend la perception, l’intelligence,
la résolution de problèmes, la créativité, les représentations mentales, la prise
de décision, la catégorisation, l’apprentissage, la mémoire, etc. Après avoir été
longtemps mise à l’écart, elle constitue aujourd’hui l’un des plus importants courants
de la psychologie scientifique. Associée à diverses autres disciplines (philosophie,
intelligence artificielle, linguistique, anthropologie et neurosciences), elle forme
avec elles ce que l’on appelle les sciences cognitives.
1. FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES
Bien que relativement récente, la psychologie cognitive puise à d’anciennes
sources philosophiques, notamment :
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• à Platon, pour qui les idées constituent la véritable réalité ;
• aux philosophes stoïciens qui considèrent que « ce qui tourmente les hommes, ce
n’est pas la réalité mais les opinions qu’ils s’en font1 » ;
• à Descartes qui, parmi de multiples centres d’intérêt, s’est penché sur le
fonctionnement cérébral et a laissé cette phrase célèbre : « Je pense, donc je
suis » ;
• à Kant qui estimait que nous n’avons pas un accès direct au monde, mais seulement
par le biais de connaissances a priori.
La psychologie cognitive s’est construite après la Seconde Guerre mondiale
en réaction au comportementalisme (fiche 2) qui refusait de prendre en compte
le fonctionnement du psychisme. Jerome Bruner, l’un de ses pères fondateurs, a
ainsi déclaré : « Nous n’entendions pas réformer le behaviorisme : nous voulions
le remplacer2 . »
Parmi les thèmes étudiés par la psychologie cognitive, trois ont fait l’objet de
nombreuses recherches : la perception, l’intelligence et la mémoire. Cette fiche
présente succinctement l’état des connaissances dans ces domaines.
1. Épictète (1995). Ce qui dépend de nous, Manuel et entretiens, Paris, Arléa, p. 17.
2. Bruner J. (1997). ... Car la culture donne forme à l’esprit, De la révolution cognitive à la psychologie
culturelle, Genève, Eshel, p. 19.
Fiche 4 • La psychologie cognitive
2. LA PERCEPTION
Toute perception est le résultat de la présence conjointe de trois éléments :
• le stimulus (élément environnemental) : un paysage, un son, une odeur, etc. ;
• le système sensoriel (élément physiologique) : la vue, l’audition, l’odorat, etc. ;
• l’interprétation (élément psychologique).
La présence de ce troisième élément, l’interprétation, signifie qu’il n’y a pas de
perception « pure » ; la perception comporte une part de traitement de l’information
par le cerveau pour que celle-ci prenne sens pour nous. Les illusions visuelles
constituent une démonstration bien connue de ce processus.
Un élément important de la perception est l’attention sélective : il nous est
difficile de nous concentrer simultanément sur toutes les informations sensorielles
qui nous parviennent. Ceci a par exemple une conséquence importante pour les
conducteurs. Dans une étude effectuée en laboratoire, des personnes se trouvent
devant un simulateur de conduite, tout en menant une conversation par téléphone
mobile, soit en le tenant dans leur seule main libre, soit avec un kit mains libres1 .
D’autres sujets d’expérience font la même tâche, mais sans conversation. Les
personnes oublient deux fois plus souvent de freiner à un feu rouge lorsqu’elles
sont en communication téléphonique, quel que soit le mode (téléphone en main ou
kit mains libres). Ainsi, contrairement à une opinion commune, c’est la réduction
de la concentration entraînée par la conversation qui est source de dangers ; l’usage
du kit mains libres ne réduit pas ce risque.
Cette difficulté à se concentrer sur plusieurs choses en même temps a également
été mise en évidence dans une étude originale2 . Des sujets regardent un petit film
(1 mn 15 s) dans lequel six jeunes jouent au basket ; on leur demande de prêter tout
particulièrement attention au nombre de passes effectuées par l’une des équipes. Or,
dans le film, 45 secondes après le début, un individu entièrement recouvert d’un
costume de gorille traverse la scène pendant cinq secondes. On demande ensuite
aux participants le nombre de passes et s’ils ont observé quelque chose d’anormal.
Seulement la moitié des personnes ont repéré la présence du faux gorille !
3. L’INTELLIGENCE
L’intelligence a fait l’objet d’innombrables travaux. Une question hante l’univers
de la psychologie depuis fort longtemps : y a-t-il une ou plusieurs intelligences ? Au
début du siècle dernier, Charles Spearman, par le biais d’une procédure statistique
appelée analyse factorielle, met en évidence qu’un facteur se retrouve présent
dans de multiples tâches intellectuelles. Il le qualifie de facteur G (pour général).
Mais les travaux ultérieurs se sont inversement surtout intéressés à distinguer les
1. Stayer D.L. et Johnston W.A. (2001). « Driven to distraction : dual-task studies of simulated driving
and conversing on a cellular telephone », Psychological science, 12 (6), 462-466.
2. Simons D.J. et Chabris C.F. (1999). « Gorillas in our midst : Sustained inattentional blindness for
dynamic events », Perception, 28, 1059-1074.
22
Fiche 4 • La psychologie cognitive
différentes facettes de l’intelligence. Louis L. Thurstone différencie en 1938 huit
aptitudes majeures : aptitude numérique, de compréhension verbale, de fluidité
verbale, spatiale, de raisonnement, de mémoire, de vitesse de perception, et de
motricité.
De nos jours, diverses théories existent à ce propos, la plus connue étant
celle d’Howard Gardner intitulée « théorie des intelligences multiples1 ». Ayant
rassemblé des données issues de divers domaines (études auprès d’individus
prodiges, de patients atteints de lésions cérébrales affectant telle fonction mentale
et non telle autre [fiche 10], etc.), il établit une liste de sept intelligences :
musicale, kinesthésique (aptitude à mouvoir son corps, particulièrement présente
chez les danseurs et sportifs), logico-mathématique (celle à laquelle on pense
généralement lorsqu’on parle d’intelligence), langagière, spatiale, interpersonnelle,
intrapersonnelle (connaissance introspective de soi). Par la suite, Gardner a rajouté
l’intelligence naturaliste (sensibilité à la nature) et l’intelligence existentielle
(aptitude à s’interroger sur des questions métaphysiques relatives à la vie et à
la mort). Sa théorie a suscité des réactions diverses, de l’enthousiasme au rejet.
Une autre question est souvent soulevée à propos de l’intelligence, celle de son
origine : génétique ou environnementale (fiche 25).
4. LA MÉMOIRE
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les spécialistes considèrent qu’il n’y a pas une seule mémoire mais trois, qui
interviennent successivement : la mémoire sensorielle à très court terme, la mémoire
de travail à court terme et la mémoire à long terme.
a La mémoire sensorielle (à très court terme)
L’information qui parvient à nos sens est enregistrée très brièvement. C’est une
mémoire quasi photographique mais qui dure moins d’une seconde puis disparaît
sauf si elle est transmise dans la mémoire de travail. C’est notamment grâce à cette
mémoire que nous allons au cinéma : nous voyons un mouvement continu alors
que ce qui nous est projeté est une série d’images qui se succèdent au rythme de 24
par secondes.
Ce qui détermine le passage de la mémoire sensorielle à la mémoire de travail
est le degré d’attention accordé à l’information. La plus grande partie de ce que
nous voyons, entendons, etc., n’entre jamais dans cette seconde mémoire et sera
donc définitivement perdu.
b La mémoire de travail (anciennement appelée mémoire à court
terme)
Cette mémoire est par exemple utilisée lorsque nous mémorisons un numéro de
téléphone avant d’appeler quelqu’un. L’information sert au moment présent, mais
si elle n’est pas répétée, elle est généralement oubliée au bout d’une trentaine de
1. Gardner H. (1996). Les Intelligences multiples, Paris, Retz, et Gardner H. (1997). Les Formes de
l’intelligence, Paris, Odile Jacob.
23
Fiche 4 • La psychologie cognitive
secondes. Elle a longtemps été considérée comme un réservoir passif temporaire.
Mais on sait aujourd’hui qu’elle traite également l’information, sous forme de
révision mentale, d’où cette nouvelle appellation de mémoire de travail.
c La mémoire à long terme
Contrairement aux deux précédentes, la mémoire à long terme est quasiment
illimitée. On peut la comparer à une immense bibliothèque contenant des millions
de livres.
Elle n’est cependant pas infaillible, loin de là. Un exemple remarquable nous est
fourni par le psychologue Jean Piaget :
« Un de mes premiers souvenirs, écrit-il, daterait, s’il était vrai, de ma deuxième année.
Je vois encore très nettement la scène suivante, en laquelle j’ai cru jusqu’à quinze
ans. J’étais assis dans mon landau et ma nurse me poussait sur les Champs-Élysées
lorsqu’un homme tenta de me kidnapper. J’étais retenu par une courroie qui passait
tout autour de moi ; ma nurse, bravement, essayait de s’interposer entre moi et le
voleur. Elle était couverte d’égratignures, et il me semble vaguement revoir celles
qu’elle avait au visage. Puis la foule s’assembla, un policier avec sa veste courte et
son bâton blanc survint, et l’homme s’enfuit à toutes jambes. Je peux voir encore
toute la scène, et je peux même la situer près d’une station de métro. Lorsque j’eus
quinze ans, mes parents reçurent une lettre de mon ancienne nurse, disant qu’elle
s’était convertie à l’Armée du Salut. Elle voulait se confesser de ses fautes passées,
et en particulier rendre la montre qu’elle avait reçue en récompense à cette occasion.
Elle avait inventé, toute l’histoire et truqué ses égratignures. Moi, par conséquent,
j’avais dû enfant, entendre le récit de cette histoire, en laquelle mes parents croyaient,
et je l’avais projeté dans le passé sous la forme d’un souvenir visuel1 . »
5. LA THÉRAPIE COGNITIVE ET COGNITIVO-COMPORTEMENTALE
Puisant dans les écrits des philosophes stoïciens (en particulier Épictète et Marc
Aurèle), Albert Ellis en a tiré une méthode, la « thérapie émotivo-rationnelle »,
selon laquelle les névroses proviennent essentiellement de pensées irrationnelles,
par exemple : « J’ai besoin d’être approuvé et aimé par presque tout le monde pour
presque tout ce que je fais » ou encore : « Je dois agir avec compétence, efficacité
et succès dans certains domaines importants, sinon ma valeur diminue2 . »
De manière parallèle, mais selon des principes de base proches, le psychiatre
Aaron T. Beck a mis au point la thérapie cognitive à partir des années 1960. Il s’est
notamment intéressé aux « schémas », manières dont nous traitons l’information
sur nous-mêmes, le monde et l’avenir, et qui conduisent parfois à des troubles
psychiques, en particulier la dépression3 .
Aujourd’hui, les thérapeutes de ce courant emploient surtout l’expression
« thérapie cognitivo-comportementale » car ils associent à la fois une intervention
sur les pensées dysfonctionnelles du patient et sur ses modes de comportement.
1. Cité par Loftus E. (1983). La Mémoire, Montréal, Éd. Le jour, p. 132.
2. Ellis A. et Harper R. A. (1992). L’Approche émotivo-rationnelle, Montréal, Éditions de l’Homme.
3. Beck A. T. (1979). Cognitive Therapy and the Emotional Disorders, New York, Penguin group.
24
Fiche 4 • La psychologie cognitive
6. CRITIQUES INTERNES ET EXTERNES
La psychologie cognitive a connu une expansion considérable au cours des trente
dernières années, que ce soit dans le monde de la recherche ou de la thérapie.
Mais elle est également l’objet de certaines critiques, venant de l’intérieur ou de
l’extérieur.
La critique interne est notamment venue de Jerome Bruner, l’un des pères
fondateurs de la psychologie cognitive, ou encore d’Howard Gardner, l’un de ses
principaux représentants actuels. Tous deux critiquent le fait que cette science
s’inspire aujourd’hui essentiellement du modèle informatique, en considérant que
le cerveau fonctionne comme un ordinateur (et vice-versa). Cette approche leur
semble particulièrement réductionniste face à la complexité de la pensée humaine.
Selon Jerome Bruner, « la révolution cognitive [...] s’est maintenant fourvoyée dans
des chemins de traverse, loin de l’élan qui lui a donné le jour. [...] Que signifiait pour
nous cette révolution dans les années cinquante ? C’était un effort acharné pour
mettre la signification au centre de la psychologie. [...] Petit à petit, l’accent s’est
déplacé de la signification à l’information, et de la construction de la signification
au traitement de l’information. Ce sont pourtant des choses bien différentes. [...]
Le traitement de l’information [...] n’a que faire de questions oiseuses comme :
“En quoi le concept de moi diffère-t-il dans la Grèce d’Homère et dans la société
postindustrielle ?” Il leur préfère des questions comme “Quelle est la stratégie
optimale de contrôle de l’information qui garantira à un opérateur qu’un véhicule
restera sur une orbite prédéterminée1 ?” ».
On a également reproché à la psychologie cognitive d’avoir quasiment éliminé
les émotions dans l’étude de l’être humain. La situation est en train de changer et
les émotions constituent un thème croissant d’études en psychologie scientifique
(fiche 6).
7. BIBLIOGRAPHIE
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cognitives, Paris, Gallimard, coll. « Folio ».
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1. Bruner J., op. cit., p. 17, 18, 20, 21. Voir également Gardner H. (1993). Histoire de la révolution
cognitive, La nouvelle science de l’esprit, Paris, Payot, p. 440-441.
25
5
La psychologie sociale
et le sociocognitivisme
Étudiant le fonctionnement de l’individu dans son environnement social et, inversement, l’influence de l’individu sur les personnes qui l’entourent, la psychologie
sociale occupe une place spécifique, distincte à la fois de la psychologie et de la
sociologie. Elle a mis en évidence que le comportement de l’être humain peut varier
fortement en fonction de la situation.
1. UNE DISCIPLINE EN MOUVEMENT
Née en 1897 avec Norman Triplett, la psychologie sociale a été longtemps
marquée par l’approche behavioriste (fiche 2), qui met principalement l’accent sur
l’impact direct de la situation sur l’individu. L’influence a alors constitué un des
thèmes de recherche les plus productifs de cette discipline, que cela concerne la
soumission à l’autorité, le changement d’opinion, la socialisation en entreprise, etc.
Mais la conception mécaniste selon laquelle tel contexte entraîne quasi automatiquement tel type de comportement, a été critiquée, en particulier pour deux raisons.
D’une part, des individus placés dans une situation identique ne réagissent pas tous de
la même manière, comme le montrent les travaux de psychologie de la personnalité et
de psychologie différentielle (fiches 7, 8 et 29). D’autre part, les processus mentaux
jouent un rôle important dans le choix de comportement de l’individu, comme le
soulignent les chercheurs en psychologie cognitive. Ce dernier aspect a entraîné
une nette réorientation de cette discipline qui est essentiellement aujourd’hui une
psychologie sociocognitive. À titre d’illustrations, je présenterai successivement
ci-dessous des travaux relevant de la psychologie sociale « classique » (influence
directe), puis de la cognition sociale.
2. LA PSYCHOLOGIE SOCIALE « CLASSIQUE »
a Quand le contexte transforme des gens doux en individus cruels
L’expérience de psychologie sociale la plus connue est certainement celle de
Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité, au cours de laquelle des individus
normaux ont agi d’une manière particulièrement cruelle (fiche 29). Une autre
recherche est moins connue, mais tout aussi impressionnante. Philip Zimbardo
et ses collègues de l’université de Stanford recrutent par une petite annonce des
volontaires pour une expérience : certains joueront le rôle de gardiens, d’autres
celui de prisonniers au sein d’une prison fictive, aménagée dans les sous-sols de
Fiche 5 • La psychologie sociale et le sociocognitivisme
l’université de Stanford1 . Sur les soixante-quinze volontaires qui se sont présentés,
les chercheurs en choisissent vingt et un (dix prisonniers et onze gardiens) en raison
de leur stabilité émotionnelle.
Dès le deuxième jour, une rébellion éclate parmi les prisonniers. Les gardiens
pénètrent de force dans les cellules et, entre autres, déshabillent complètement
les prisonniers et isolent les leaders de la rébellion. Dans les jours qui suivent,
ils imposent des brimades, insultent les prisonniers, les agressent physiquement.
Zimbardo constate que tous les gardiens se sont comportés de manière sadique à
un moment ou un autre de l’expérience. L’un d’eux dira plus tard avec remords :
« J’étais surpris de moi-même... Je leur ai fait nettoyer les toilettes à mains nues. J’ai
pratiquement considéré les prisonniers comme du bétail. » La tension est montée si
vite et si fort que l’expérience a été interrompue au bout de quelques jours seulement.
La publication de cette étude a conduit à une nouvelle loi américaine imposant que
les mineurs emprisonnés soient séparés des détenus adultes.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
b La dynamique de groupes
Le fonctionnement des groupes est l’un des thèmes privilégiés des chercheurs
en psychologie sociale. Ces études ont vu le jour aux États-Unis, dans les années
trente et quarante, essentiellement à partir de travaux de psychologie expérimentale,
sous l’impulsion de trois auteurs : Kurt Lewin, Elton Mayo et Jacob Moreno. Les
recherches portent sur le leadership, l’influence d’une majorité ou d’une minorité,
l’identité sociale, etc.
Un courant de recherche s’est ainsi penché sur les risques générés par une tendance
exagérée au consensus au sein d’un groupe. Irving Janis a analysé plusieurs échecs
américains majeurs, tels que l’échec de l’invasion de la Baie des Cochons en 1961
(opération destinée à renverser le régime cubain) ou encore l’escalade de la guerre
du Vietnam, et deux réussites : le plan Marshall et la résolution de la crise des
missiles de Cuba.
Janis constate que les différents groupes de décideurs ayant échoué présentent des
caractéristiques communes de fonctionnement, en particulier une intense loyauté
envers leur groupe ainsi que des pressions vers l’uniformité. Cette loyauté requiert
de chaque membre qu’il évite de soulever des sujets de controverse et de contester
la faiblesse de certains arguments. Ce qui amène Janis à élaborer le concept de
« pensée de groupe2 ». Aveuglés par leur volonté de maintenir l’harmonie du groupe,
les membres sont victimes d’une détérioration de leur efficacité mentale, de leur
capacité à tester la réalité et de leur jugement moral ; ils commettent alors de graves
erreurs qui auraient pu être évitées autrement.
1. Haney C., Banks C. et Zimbardo P. (1973). « Interpersonal dynamics in a simulated prison »,
International Journal of Criminology and Penology, 1, 69-97. Cette expérience a été critiquée par la
suite, tant sur le plan éthique que méthodologique.
2. Janis I.L. (1982). Groupthink, Houghton Mifflin.
27
Fiche 5 • La psychologie sociale et le sociocognitivisme
3. LA PSYCHOLOGIE SOCIOCOGNITIVE
Comme je l’ai signalé ci-dessus, la psychologie sociale a progressivement intégré
les apports de la psychologie cognitive, au point d’être aujourd’hui essentiellement
une psychologie sociocognitive. Les recherches en cognition sociale étudient notre
perception d’autrui et l’influence du contexte social sur cette perception. Elles ont
notamment abordé les préjugés et stéréotypes raciaux et sexuels, les rumeurs, les
erreurs de raisonnement, etc. L’un des modèles les plus élaborés de cette approche
est la théorie sociocognitive d’Albert Bandura (fiche 12).
Les travaux sur la « dissonance cognitive » illustrent bien ce courant de recherches.
Selon Léon Festinger, créateur du concept, il désigne la présence simultanée
d’éléments de connaissance contradictoires. Par exemple, à chaque fois que nous
faisons un choix, nous déclenchons une dissonance puisque nous sommes alors
amenés à rejeter les éléments positifs d’un des termes de l’alternative. Une telle
situation entraîne de la part de l’individu un effort pour mieux faire s’accorder ces
éléments (réduction de la dissonance). Il existe plusieurs moyens pour y parvenir :
la personne peut modifier son comportement, changer ses opinions ou encore
incorporer de nouvelles informations.
Prenons l’exemple d’une personne qui adhère à un groupe « idéologique » (parti
politique, syndicat, organisation religieuse, etc.). Au début, elle se sent pleinement
à l’aise dans ce mouvement et il y a donc consonance cognitive. Mais au fil du
temps, elle peut se sentir plus ou moins en décalage. Cette personne peut d’abord
tenter de réduire la dissonance en justifiant le groupe. Mais si la tension est trop
forte, elle peut quitter le groupe et, pour réduire la nouvelle dissonance, le critiquer
parfois fortement.
L’une des plus impressionnantes études sur la dissonance cognitive a été
réalisée par Léon Festinger et ses collègues dans les années cinquante. Ils se
sont intégrés à une secte religieuse américaine qui annonçait la fin du monde
pour une date proche, ses membres devant échapper au déluge grâce au secours
d’une soucoupe volante1 . Les psychologues sociaux avaient eux-mêmes prédit deux
comportements apparemment aberrants pour les jours consécutifs à la prophétie
ratée : un prosélytisme accru et une démarche de persuasion mutuelle des membres
selon laquelle ils détenaient bien le monopole de la vérité. C’est effectivement ce
qui s’est produit. Par exemple, les journalistes et curieux, auparavant repoussés,
étaient maintenant les bienvenus.
Ces attitudes surprenantes confirmaient en fait la théorie de la dissonance
cognitive. En l’occurrence, pour affronter l’échec de la prophétie, les membres de
la secte ont tenté de réduire la dissonance en se rassurant grâce aux convictions
partagées par d’autres (nouveaux convertis et anciens membres).
1. Festinger L., Riecken H. et Schachter S. (1993). L’échec d’une prophétie, Paris, Puf.
28
Fiche 5 • La psychologie sociale et le sociocognitivisme
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4. ÉVOLUTIONS ET CRITIQUES
Les recherches en psychologie sociale constituent aujourd’hui un ensemble
impressionnant de connaissances. Ainsi, une synthèse de méta-analyses (qui sont
déjà des synthèses statistiques) recensait en 2003 environ vingt-cinq mille études
portant sur 8 millions de personnes, sans prétendre être exhaustive1 .
Cette discipline a connu et connaît toujours des transformations et remises en
question. Nous avons vu ci-dessus que la psychologie sociale et la psychologie
cognitive se sont unies pour donner naissance au sociocognitivisme. De même, la
psychologie sociale et la psychologie de la personnalité, longtemps ennemies, sont
aujourd’hui quasiment réconciliées (fiche 29).
Mais certains représentants de la discipline estiment qu’en s’alliant à la
psychologie cognitive, la psychologie sociale contemporaine est devenue trop
psychologique, trop cognitive, et pas assez sociale. Par ailleurs, deux critiques
adressées à la psychologie sociale sont d’actualité. La première concerne la
méthodologie. Depuis ses débuts, mais plus encore à partir des années 1960,
les chercheurs en psychologie sociale ont très largement utilisé la méthode
expérimentale dans leurs travaux. Cette procédure présente l’avantage de démontrer
des liens de causalité entre telle situation et tel comportement, mais pose un
problème majeur : les résultats obtenus sont-ils extrapolables dans la vie réelle,
hors laboratoire ?
La question est d’autant plus sensible que la plupart des expériences sont réalisées
avec des étudiants, et souvent des étudiants de psychologie, ce qui conduit à une
vision très parcellaire du fonctionnement humain. Par exemple, comparativement
à la population générale, les étudiants ont tendance à être moins sûrs de leurs
préférences, émotions et aptitudes, à changer plus facilement d’opinion, à accorder
moins d’importance aux aspects matériels de l’existence, aux normes de groupe
et au soutien social, à accorder plus d’importance aux éléments cognitifs qu’aux
émotions2 .
Une autre critique, plus récente, concerne la « négativité » de la psychologie
sociale. Selon Joachim Krueger et David Funder, cette discipline s’est surtout
focalisée sur ce qui fonctionne mal chez les gens, qu’il s’agisse de l’aspect social
(violations de normes morales, comme dans la soumission à l’autorité) ou cognitif
(erreurs de raisonnement)3 . Ces auteurs proposent donc que les études futures
donnent la possibilité que puisse s’exprimer l’éventail complet des fonctionnements
de l’individu.
1. Richard, F. D., Bond, C. F., Jr., et Stokes-Zoota, J. J. (2003). One hundred years of social psychology
quantitatively described, Review of General Psychology, 7(4), 331-363.
2. Sears D. O. (1986). College sophomores in the laboratory : Influences of a narrow data base on
social psychology’s view of human nature, Journal of Personality and Social Psychology, 51 (3),
515-530.
3. Krueger, J., et Funder, D. (2004). Towards a balanced social psychology : Causes, consequences
and cures for the problem-seeking approach to social behavior and cognition. Behavioral and Brain
Sciences,27, 313-376.
29
Fiche 5 • La psychologie sociale et le sociocognitivisme
Le tableau n’est probablement pas aussi noir que le décrivent Krueger et Funder,
puisque des travaux de psychologie sociale portent sur la coopération, l’altruisme,
la résolution des conflits, etc. Il invite cependant à la réflexion... et à l’action.
5. BIBLIOGRAPHIE
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GUÉGUEN N. (2004). Psychologie de la manipulation et de la soumission, Paris, Dunod.
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FISCHER G.-N. (2005). Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Paris, Dunod.
6. SITE INTERNET
www.psychologie-sociale.org
30
VALLERAND R. J. (dir.) (2006). Les fondements de la psychologie sociale, Montréal, Gaëtan Morin/Chenelière Éducation.
La psychologie
des émotions
6
Une émotion est une réaction de l’organisme à un événement extérieur, et qui
comporte des aspects physiologiques, cognitifs et comportementaux. Par exemple,
la peur peut s’exprimer par des battements de cœur, une interprétation négative de
la situation et le fait de courir.
1. COMMENT CLASSER LES ÉMOTIONS ?
a Émotions de base et émotions secondaires
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Paul Ekman, l’un des spécialistes les plus influents dans l’étude des émotions,
affirme qu’il y a six émotions de base : la joie, la tristesse, le dégoût, la peur, la
colère et la surprise1 . Celles-ci surgissent brusquement et ne sont ni volontaires, ni
raisonnées.
Les émotions secondaires (ou émotions mixtes) constituent, quant à elles, des
mélanges d’émotions de base. C’est par exemple le cas de la honte qui réunit de la
peur et de la colère (envers soi-même). Elles sont également plus « réfléchies ». La
liste des émotions secondaires est longue et comporte notamment l’amour, la haine,
la méfiance, la culpabilité, etc.
b Peut-on être heureux et triste en même temps ?
Une autre manière de classifier un certain nombre d’émotions a été proposée par
James Russel et James Carroll2 . Sur la base d’enquêtes, ils ont élaboré un modèle
qui répartit les émotions en fonction de deux axes : le premier allant des émotions
négatives aux émotions positives ; le second allant de l’activation forte à l’activation
faible. Ce qui aboutit à la figure 6.1.
Cette approche a été contestée par d’autres chercheurs qui estiment que les
émotions positives et les négatives ne sont pas nécessairement opposées entre elles.
Ils affirment ainsi que, dans certaines circonstances, un individu peut se sentir en
même temps heureux et triste3 . Le débat est toujours en cours.
1. Ekman P. (1980). The face of man : Expressions of universal emotions in a New Guinea village,
New York, Garland STPM Press.
2. Russell J.A. (1980). « A circumplex model of affect », Journal of Personality and Social Psychology,
39 (6), 1161-1178. Russell J. A. et Carroll J.M. (1999). « On the bipolarity of positive and negative
affect », Psychological Bulletin, 125, 3-30.
3. Voir par exemple Larsen, J. T., McGraw, A. P., et Cacioppo, J. T. (2001). « Can people feel happy
and sad at the same time ? », Journal of Personality and Social Psychology, 81 (4), 684-696.
Fiche 6 • La psychologie des émotions
FORTE
ACTIVATION
effaré
tendu
effrayé
en colère
irrité
chagriné
frustré
ÉMOTIONS
NÉGATIVES
stimulé
étonné
excité
enchanté
heureux
misérable
content
triste
morose déprimé
ÉMOTIONS
POSITIVES
serein
à
l’aise
satisfait
relaxé
calme
qui s’ennuie
fatigué
endormi
FAIBLE
ACTIVATION
Figure 6.1. Modèle de Russel et Carroll.
2. LES ÉMOTIONS SONT-ELLES UNIVERSELLES OU CULTURELLES ?
C’est Charles Darwin (1872-1965) qui a initié cette réflexion en affirmant, dans
L’Expression des émotions chez l’homme et chez l’animal, le caractère universel des
expressions faciales. Beaucoup plus récemment, Paul Ekman est l’auteur qui a le plus
marqué ce débat1 . À partir de 1966, très influencé par le courant comportementaliste
(fiche 2), il est convaincu que nos comportements sont essentiellement appris et
qu’ils varient donc selon les cultures. C’est ce qu’il pensait démontrer en étudiant
les émotions. Or les enquêtes qu’il va mener vont le faire totalement changer d’avis.
Avec deux collègues (Sorensen et Friesen), il présente trente photographies
d’expressions faciales à des étudiants de diverses nationalités (Américains, Japonais,
Brésiliens, Chiliens et Argentins). Il leur fournit également la liste des six émotions
de base (joie, tristesse, colère, peur, surprise et dégoût) et leur demande de choisir
l’émotion qui paraît correspondre à chaque photographie. Or la plupart des personnes
interrogées donnent des réponses identiques, quelle que soit leur nationalité, ce qui
semble confirmer la thèse de l’universalité de l’expression faciale des émotions.
Mais l’argument décisif est mis en évidence quelques années plus tard
lorsqu’Ekman travaille avec un groupe de cent quatre-vingt-neuf adultes et cent
trente enfants de Nouvelle-Guinée découverts depuis seulement quatorze ans et
qui n’avaient jamais été en contact avec des missionnaires, administrateurs ou
1. Ekman P. (1989). « L’expression des émotions », in B. Rimé et K. Scherer (dir.) Les Émotions,
Delachaux et Niestlé.
32
Fiche 6 • La psychologie des émotions
commerçants. Les résultats obtenus sont alors très proches des précédents, hormis
le fait que les sujets de Nouvelle-Guinée ne distinguent pas la peur de la surprise (ce
qu’Ekman explique par le fait que, dans leur culture, les événements générateurs
de peur déclenchent également la surprise). Par ailleurs, Ekman et ses collègues
décrivent de petits scénarios aux membres de ce groupe et leur demandent de mimer
l’expression du visage qu’ils auraient dans cette situation. Lorsqu’ils reviennent
aux États-Unis et présentent les photographies de ces expressions faciales à des
étudiants, qui n’ont jamais vu d’habitants de la Nouvelle-Guinée, les étudiants
reconnaissent sans difficulté les émotions exprimées.
D’autres recherches, menées en particulier par Caroll Izard, ont confirmé ces
résultats. Il y a eu parfois contestation de cette thèse de l’universalité de l’expression
des émotions1 , mais elle est aujourd’hui largement confirmée2 .
En revanche, Ekman constate des différences culturelles sur les règles d’expression des émotions ou encore les conditions de déclenchement de telle ou telle
émotion. Par exemple, la joie ou le dégoût ne sont pas forcément provoqués par les
mêmes événements d’une culture à une autre.
3. PARTAGER SES ÉMOTIONS AVEC AUTRUI
La plupart d’entre nous avons tendance à partager avec nos proches les moments
forts d’émotion que nous vivons. Des études ont montré que c’est ce qui se produit
dans 90 % des cas. Par ailleurs, nous croyons généralement que ceci est bénéfique,
surtout lorsqu’il s’agit d’événements douloureux. Or les recherches expérimentales
de Bernard Rimé (professeur de psychologie à l’université de Louvain, en Belgique)
aboutissent à des résultats opposés. Elles montrent que le fait de décrire un événement
gardé secret jusqu’alors ne réduit pas ni ne modifie l’émotion ressentie. Par contre,
le « partage social » augmente la satisfaction générale, le sentiment d’avoir reçu de
l’aide, de mieux comprendre l’épisode, etc. Par ailleurs, la synthèse de multiples
recherches sur le debriefing ont montré que celui-ci ne diminue pas le risque que
les victimes soient traumatisées (fiche 33).
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4. L’INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE : MYTHE OU RÉALITÉ ?
L’expression « intelligence émotionnelle » s’est largement répandue depuis
la publication du best-seller de Daniel Goleman justement titré L’Intelligence
émotionnelle. Précisons cependant que ce sont Peter Salovey et John Mayer qui ont
été les premiers à utiliser cette expression et à la définir. Il s’agit de « la capacité à
surveiller ses propres sentiments et ceux des autres, à les discriminer, et à utiliser
cette information pour guider sa réflexion et ses actions3 ».
1. Voir le débat dans la revue Psychological Bulletin de 1994, 115 (1).
2. Elfenbein H.A. et Ambady N. (2002). « On the universality and cultural specificity of emotion
recognition : A meta-analysis », Psychological Bulletin, 128 (2), 203-235.
3. Grewal D. et Salovey P. (2005). « L’intelligence émotionnelle », Pour la science, 237, 78-83.
33
Fiche 6 • La psychologie des émotions
Il existe trois principaux modèles de l’intelligence émotionnelle1 :
• le modèle de Peter Salovey et John Mayer est centré sur quatre compétences
liées : la capacité à percevoir les émotions, à les utiliser pour faciliter le
raisonnement, à comprendre le langage des émotions et à gérer ces dernières. Selon
ces auteurs, l’intelligence émotionnelle comprend deux aspects : la dimension
expérientielle (capacité à percevoir et utiliser les émotions ainsi qu’à y réagir,
sans nécessairement les comprendre) et la dimension stratégique (capacité à
comprendre et gérer les émotions sans nécessairement les percevoir ou les
éprouver) ;
• le modèle de Reuven Bar-On distingue cinq composants de l’intelligence
émotionnelle : l’intrapersonnel (par exemple la conscience de ses émotions
et l’affirmation de soi), l’interpersonnel, l’adaptabilité, la gestion du stress et
l’humeur générale. Selon cet auteur, il est possible d’améliorer son intelligence
émotionnelle par des formations et la thérapie ;
• le modèle de Daniel Goleman met l’accent sur quatre facettes : la conscience de
soi, la maîtrise de soi, la conscience sociale (capacité à détecter et à comprendre
les émotions d’autrui et à y réagir), la gestion des relations avec les autres.
La pertinence scientifique ou non de l’intelligence émotionnelle a évidemment
fait l’objet de débats, qui semblent pencher aujourd’hui en faveur de ce concept. Par
exemple, le questionnaire élaboré par Reuven Bar-On a montré que l’intelligence
émotionnelle est corrélée avec le sentiment de bien-être personnel, mais pas avec
l’intelligence cognitive. Par ailleurs, une étude menée par cet auteur et par des
neurophysiologistes a mis en évidence que des patients ayant des lésions du cortex
préfrontal ventromédial ont une faible intelligence émotionnelle et des problèmes
dans leurs relations sociales, alors même que leur intelligence cognitive est normale
et qu’ils ne souffrent pas de psychopathologie2 .
Divers chercheurs se sont efforcés de mettre au point des programmes
d’amélioration de l’intelligence émotionnelle. En France, Daniel Favre, professeur
de sciences de l’éducation à l’IUFM de Montpellier, a montré qu’un programme
d’« alphabétisation émotionnelle » pouvait sensiblement réduire la violence des
jeunes à l’école3 .
1. Stys Y. et Brown S.L. (2004). Étude de la documentation sur l’intelligence émotionnelle et ses
conséquences en milieu correctionnel, Direction de la recherche du service correctionnel du Canada.
Document téléchargeable sur Internet.
2. Bar-On R., Tranel D., Denburg N.L. et Bechara A. (2003). « Exploring the neurological substrate
of emotional and social intelligence », Brain, 126, 1790-1800.
3. Favre D. (2007). Transformer la violence des élèves, Paris, Dunod.
34
Fiche 6 • La psychologie des émotions
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Dunod.
7
La psychologie
de la personnalité
La psychologie de la personnalité est un univers aux multiples facettes. En effet,
cette expression a au moins trois significations différentes, correspondant à trois
niveaux d’analyse : l’ensemble de l’humanité, de grandes catégories humaines,
chaque individu :
• l’ensemble de l’humanité : les grands courants théoriques (psychanalyse, behaviorisme, psychologie humaniste, etc.) ont chacun une conception de la nature
fondamentale de l’espèce humaine, considérée comme pertinente pour chacun de
nous ;
• de grandes catégories humaines : selon cette conception, il existe quelques grands
« types » de personnalité. Nous appartenons à une catégorie et non à la catégorie
opposée. Par exemple, il y a des individus extravertis et d’autres introvertis. Les
types sont relativement peu nombreux (de deux à douze selon les théories) ;
• chaque individu : selon cette approche, la personnalité spécifique d’un individu
est le produit complexe d’un ensemble de traits stables au fil du temps et des
contextes. Chaque trait est présent à un niveau plus ou moins important selon les
individus et c’est précisément pour cela que chacun de nous est unique.
La première approche étant présentée dans les autres fiches du livre, seules les
approches en termes de types ou de traits seront abordées dans la présente fiche.
1. LES GRANDS TYPES DE PERSONNALITÉ
a Les quatre tempéraments d’Hippocrate
L’approche en termes de types remonte à l’Antiquité. Par exemple, Hippocrate
(460-370 avant J.-C.) considérait qu’il existe quatre grands tempéraments, reliés
aux quatre humeurs (fluides corporels) que sont le sang, la bile jaune, la bile noire
et la lymphe :
• l’individu à la personnalité sanguine est optimiste, a une forte confiance en
lui-même, est souvent impulsif et peut agir d’une manière imprévisible ;
• l’individu colérique a beaucoup d’ambition et d’énergie. Il est souvent un leader et
peut dominer d’autres personnes, en particulier celles au tempérament flegmatique.
Il peut se mettre facilement en colère ;
• l’individu mélancolique est souvent perfectionniste et est rarement satisfait de ce
qu’il a réalisé. Il est prédisposé à la dépression, mais peut être très créatif ;
• le flegmatique est calme et généralement satisfait de lui-même. Il est rationnel et
assez constant dans ses réactions.
Fiche 7 • La psychologie de la personnalité
Par la suite, d’autres auteurs reprendront cette typologie, en particulier Galien
(131-201). Plus près de nous, le psychologue statisticien Hans Eysenck (1916-1997)
retrouvera globalement cette classification1 .
b La caractérologie de Le Senne
Le philosophe René Le Senne publie en 1945 un traité de caractérologie2 , dans
lequel il définit le caractère comme « l’ensemble des dispositions congénitales qui
forme le squelette mental d’un homme ». Il considère que la personnalité humaine
est fondée sur trois propriétés de base : l’émotivité, l’activité et le retentissement
des représentations. Ce dernier terme désigne le fait de réagir à un événement d’une
manière primaire immédiate ou secondaire nettement plus tard, après réflexion). En
croisant ces trois paramètres (absents ou présents chez un individu), on obtient huit
types de personnalité :
•
•
•
•
•
•
•
•
le type nerveux (émotif-inactif-primaire) ;
le type colérique (émotif-actif-primaire) ;
le type sentimental (émotif-inactif-secondaire) ;
le type passionné (émotif-actif- secondaire) ;
le type sanguin (non émotif-actif-primaire) ;
le type flegmatique (non émotif-actif-secondaire) ;
le type amorphe (non émotif-inactif-primaire) ;
le type apathique (non émotif-inactif-secondaire).
Ces différentes typologies créées depuis l’Antiquité sont abandonnées aujourd’hui
par la psychologie scientifique. En revanche, d’autres sont largement utilisées ; c’est
le cas notamment des seize types de personnalité mis en évidence par le MBTI ou
encore du modèle hexagonal de Holland.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
c Le MBTI (Myers Briggs Type Indicator)
En se fondant sur les écrits du psychanalyste Carl Gustav Jung (1875-1961),
d’abord proche de Freud, puis en désaccord profond avec ce dernier, deux
psychologues américaines, Katharine Cook Briggs (1875-1968) et sa fille Isabel
Briggs Myers (1897-1980) ont mis au point le MBTI (Myers Briggs Type Indicator)3 ,
un instrument conduisant à une typologie comportant seize grands types de
personnalité, obtenues à partir de quatre composantes :
•
•
•
•
l’orientation de l’énergie : extraversion ou introversion ;
le recueil d’information : sensation ou intuition ;
la prise de décision : la pensée ou le sentiment ;
le mode d’action : le jugement ou la perception.
1. Eysenck H.J. (1997). Dimensions of Personality, Transaction Publishers.
2. Le Senne R. (1945). Traité de caractérologie, Paris, PUF.
3. Cauvin P. et Cailloux G. (2007). Les Types de personnalité, les comprendre et les appliquer avec
le MBTI, Paris, ESF.
37
Fiche 7 • La psychologie de la personnalité
Un autre modèle, très utilisé dans l’univers de l’orientation professionnelle, a été
proposé par John Holland dans les années 1960. Selon cet auteur, il y a généralement
cohérence entre tel ou tel type de personnalité et tel ou tel choix professionnel.
Il existerait ainsi six types de personnalités et d’environnements professionnels
(réaliste, investigateur, artiste, social, entreprenant et conventionnel)1 :
• réaliste : ces personnes ont des aptitudes manuelles et aiment travailler sur
des choses concrètes. Elles recherchent surtout les métiers de l’agriculture, de
l’industrie et de l’artisanat ;
• investigatif : ces personnes aiment manipuler les idées et les symboles, s’intéressent aux mathématiques et à la science et apprécient souvent de travailler
seules ;
• artiste : comme le terme l’indique, ces personnes aiment l’art et les activités
créatives : musique, littérature, spectacles, décoration, etc. ;
• social : ces personnes aiment entrer en contact avec les autres et leur rendre
service. Elles préfèrent les métiers de l’enseignement, des soins, de l’aide sociale,
de la psychothérapie ;
• entreprenant : ces personnes sont à l’aise pour parler en public et savent influencer
les autres. Elles aiment diriger et prendre des risques, et sont attirées par
l’engagement politique, le commerce ;
• conventionnel : ces personnes préfèrent les activités stéréotypées et aiment l’ordre.
Elles apprécient les activités de bureau et de calcul et préfèrent les métiers de la
banque, de l’administration, de la comptabilité.
Des centaines d’études ont été réalisées et ont globalement confirmé la pertinence
de ce modèle, à quelques nuances près2 .
L’approche de la personnalité en termes de types a cependant fait l’objet de
critiques, ce qui conduit de nos jours beaucoup de psychologues de la personnalité
à adopter une approche en termes de traits. Quelle est la différence entre ces deux
conceptions ? La perspective en termes de types fonctionne globalement selon un
mode binaire, malgré certaines nuances (par exemple, pour le MBTI, une personne
est extravertie ou introvertie). Or la plupart d’entre nous sommes situés quelque part
entre des tendances extrêmes, et il est donc plus pertinent de parler en l’occurrence
d’un niveau plus ou moins élevé d’extraversion (ou inversement d’introversion).
Dès lors, la combinaison de traits de personnalité à des degrés divers fait de chacun
de nous une personnalité unique.
1. Holland J. L. (1966). The Psychology of Vocational Choice : A Theory of Personality Type and
Model Environments, Waltham, MA : Blaisdell.
2. Tétreau B. (2005). « L’essor d’une psychologie des intérêts professionnels », Carriérologie, 10 (1).
75-118.
38
Fiche 7 • La psychologie de la personnalité
2. LES TRAITS DE PERSONNALITÉ
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
a La difficulté : ni trop, ni trop peu de traits
Les traits de personnalité ont été parfois décriés (fiche 29) mais sont aujourd’hui
remis à l’honneur. A priori, selon cette conception, le nombre de traits pouvant
décrire la personnalité d’un individu est illimité. En 1936, deux psychologues avaient
d’ailleurs noté que quatre mille cinq cent quatre adjectifs de la langue anglaise
pouvaient servir à définir des traits. Il apparaît dès lors nécessaire de réduire cet
ensemble sur des bases objectives. Il s’agit alors de s’efforcer de répondre à deux
exigences relativement opposées : d’une part, l’exigence d’exhaustivité (ne pas
oublier un trait important), d’autre part, l’exigence d’économie (ne pas utiliser trop
de traits).
Raymond Cattell (1905-1998) a été l’un des premiers à introduire les statistiques
dans l’analyse de la personnalité. Cet outil lui a permis de mettre en évidence seize
facteurs sous-tendant la personnalité (chaleur, stabilité émotionnelle, dominance,
perfectionnisme, tension, etc.). À noter qu’il n’y a pas de relation formelle entre
ces seize facteurs et les seize types du MBTI.
b Les Big Five
Mais des recherches ultérieures ont mis en évidence qu’un nombre moins
important de facteurs suffit pour rendre compte de la personnalité d’un individu. Le
modèle de traits le plus connu à cet égard est celui du modèle des cinq facteurs,
également appelé Big Five (« les cinq gros », par analogie avec les Big Five
africains : l’éléphant, le buffle, le lion le léopard, le rhinocéros).
Des enquêtes empiriques ont en effet conduit divers chercheurs à la conclusion
que la personnalité peut être décrite en évaluant l’importance respective de cinq
traits de caractères fondamentaux, que l’on peut résumer en français sous le
terme OCEAN : Ouverture d’esprit, Conscience (au sens d’être consciencieux),
Extraversion, « Agréabilité », Névrosisme (contraire de l’équilibre émotionnel).
Tout autre trait de personnalité peut ainsi être intégré dans celui qui lui est le plus
proche. Par exemple, coopératif s’apparente à « caractère agréable », « optimiste »
à « extraverti », etc.
Les deux chercheurs qui ont le plus contribué aux connaissances scientifiques sur
les Big Five sont Robert McCrae et Paul Costa1 . Pour ces auteurs, les cinq facteurs
sont universellement présents dans toutes les cultures où ils ont été étudiés et la
proportion respective de chacun des facteurs est assez stable chez un individu au fil
du temps. Une synthèse d’études, portant sur plus de cinquante mille personnes, a
cependant montré que cette proportion varie au fil du temps (fiche 27).
Ces cinq facteurs constituent de bons prédicteurs de divers aspects de l’existence
quotidienne, en particulier les aspirations professionnelles et les performances
1. Voir, entre autres, McCrae R.R. et Costa P.T. (2006). « Perspectives de la théorie des cinq facteurs
(TCF) : traits et culture », Psychologie française, 51, 227-244. McCrae R.R. et Costa P.T. (1997).
« Personality trait structure as a human universal », American Psychologist, 52 (5), 509-516.
39
Fiche 7 • La psychologie de la personnalité
au travail, l’orientation politique, l’adaptation à la vie conjugale et les troubles
de la personnalité. Par exemple, plus un demandeur d’emploi a un score élevé
d’extraversion, plus il recherche activement un emploi. Le modèle des cinq
facteurs semble particulièrement prometteur, bien que certaines études conduisent
à relativiser l’enthousiasme de ses représentants1 .
3. BIBLIOGRAPHIE
BENOIST G. et DESCHAMPS S. (2007). Tests
psychotechniques et de personnalité, Paris, Vuibert.
CLAPIER-VALLADON S. (1997). Les Théories de la personnalité, Paris, PUF, coll. « Que
sais-je ? ».
BISSON T. (1997). Le MMPI, Pratique et
évolutions d’un test de personnalité, Grenoble,
Presses universitaires de Grenoble.
FILLOUX J.-C. (1999). La Personnalité, Paris,
PUF, coll. « Que sais-je ? ».
BOUCHARD S. et GINGRAS M. (2007). Introduction aux théories de la personnalité, Montréal, Gaëtan Morin/Chenelière.
BOUVARD M. (2002). Questionnaires et
échelles d’évaluation de la personnalité, Paris,
Masson.
CAUVIN P. et CAILLOUX G. (2007). Les Types
de personnalité, les comprendre et les appliquer
avec le MBTI, Paris, ESF.
LÉVY-LEBOYER C. (2005). La Personnalité,
un facteur essentiel de réussite dans le monde
du travail, Paris, Éditions d’Organisation.
HENSENNE M. (2006). Psychologie de la personnalité, Bruxelles, De Boeck.
Psychologie française (2006). Numéro 51 :
Dossier sur la psychologie de la personnalité.
ROLLAND J.-P. (2004). L’Évaluation de
la personnalité, le modèle en cinq facteurs,
Bruxelles, Mardaga.
1. Voir notamment Cervone D. (2006). « Systèmes de personnalité au niveau de l’individu : vers une
évaluation de l’architecture sociocognitive de la personnalité », Psychologie française, 51, 357-376.
Patel T. (2006). « Comparing the usefulness of conventional and recent personality assessment tools :
Playing the right music with the wrong instrument ? », Global Business Review, 7 (2), 195-218.
40
La psychologie
différentielle
8
La psychologie différentielle, née au début du XIXe siècle, vise à décrire et expliquer
les différences psychologiques entre individus et entre groupes. Son fondateur est
Francis Galton (1822-1911), cousin de Darwin
1. NOUS NE FONCTIONNONS PAS TOUS DE LA MÊME MANIÈRE
La psychologie différentielle est complémentaire d’autres courants de recherche,
en particulier la psychologie générale, qui s’efforcent d’établir des lois générales
de fonctionnement de l’être humain. Par exemple, les psychologues sociaux ont
montré que l’environnement dans lequel nous nous trouvons influe fortement sur
notre comportement (fiche 5). Il s’agit certes là d’une tendance générale, cependant,
placés devant la même situation, différents individus ne réagiront probablement
pas tous de la même manière. C’est la raison d’être des recherches en psychologie
différentielle.
Les thèmes abordés par cette discipline sont multiples. On pourrait même dire que
toutes les facettes du fonctionnement de l’être humain intéressent les spécialistes
de psychologie différentielle :
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• différences individuelles : intelligence (fiches 4 et 25), mémoire (fiche 4),
motivation, émotions (fiche 6), personnalité (fiche 7), comportements de santé
(fiche 18), fonctionnement au travail (fiche 22), etc. ;
• différences entre groupes : entre âges, classes sociales, cultures (fiche 26), sexes
(fiche 28).
Le lecteur pourra se référer à ces différentes fiches pour découvrir ces domaines
d’application. La présente fiche vise à présenter l’utilité de la démarche différentielle
en psychologie, au travers d’un exemple.
2. UNE ILLUSTRATION : LA RÉSILIENCE APRÈS MALTRAITANCE
DANS L’ENFANCE
Il y a quelques années, j’ai effectué une recherche sur la résilience de personnes
ayant été maltraitées dans leur enfance et devenues des parents affectueux1 . Pour
1. Lecomte J. (2004). Guérir de son enfance, Paris, Odile Jacob. Lecomte J. (2002). Briser le cycle
de la violence ; quand d’anciens enfants maltraités deviennent des parents non maltraitants, thèse
de doctorat en psychologie sous la direction de M. Étienne Mullet, École pratique des hautes études,
Toulouse.
Fiche 8 • La psychologie différentielle
tirer des conclusions plus pertinentes, j’ai fait un travail comparatif : toute personne
ayant un ou des enfants de plus de cinq ans pouvait me répondre. Toutes celles
qui m’ont répondu étaient affectueuses avec leurs enfants (ce qui se comprend
aisément : quel parent maltraitant souhaiterait répondre spontanément à une telle
enquête ?). Le questionnaire comprenait des questions sur l’attitude de leurs parents,
ce qui m’a permis de classifier les personnes en quatre catégories selon le niveau de
« bientraitance »-maltraitance quand ces personnes étaient enfants. Les nombreux
autres items du questionnaire concernaient les projets d’avenir quand ils étaient
jeunes, l’estime de soi actuelle, les relations avec les autres, le regard porté sur
l’existence, etc.
Les réponses à ces questions étaient très différentes selon les catégories de
personnes (maltraitées ou non) ayant répondu. En d’autres termes, alors que
toutes ces personnes étaient affectueuses avec leurs enfants, les caractéristiques
psychologiques liées à cette manière d’être parent variaient fortement selon
l’expérience vécue en tant qu’enfant.
Par exemple, les sujets aimés par leurs parents ont tendance à prendre modèle
sur eux dans l’éducation de leurs propres enfants, tandis que plus un enfant a été
maltraité dans l’enfance, plus il pratique le « contre-modelage », c’est-à-dire une
attitude parentale volontairement opposée à celle des parents. Cette décision d’agir
ainsi se prend dès l’enfance ou la jeunesse. L’enfant maltraité se projette alors dans
l’avenir, avec des propos tels que : « Quand je serai grand et que j’aurai des enfants,
je ferai exactement le contraire de mon père »... généralement avec succès quinze
ou vingt ans plus tard.
Autre exemple : parmi les cent vingt items du questionnaire, figurait celui-ci :
« Quand j’y pense, je m’estime vraiment chanceux(se). » Chaque personne devait
cocher une réponse sur une échelle en sept points, depuis « Pas du tout d’accord »
(0) jusqu’à « Tout à fait d’accord » (6). La moyenne des réponses des personnes
non maltraitées est quasiment la même (3,73/6) que celle des personnes fortement
maltraitées physiquement et psychologiquement (3,80/6). Si l’on s’arrête à cela, on
peut se dire qu’il y a une loi générale selon laquelle les gens s’estiment moyennement
chanceux dans l’existence, quelles que soient leurs expériences enfantines. Ce serait
une fausse interprétation, car la répartition des réponses est très différente entre
ces deux catégories de personnes, comme le montrent les deux histogrammes de la
figure 8.1.
Ainsi, les non-maltraités ont tendance à se considérer comme moyennement
chanceux. Rares sont ceux qui s’estiment très peu ou très chanceux. Ils ont le
sentiment d’avoir vécu un bonheur moyen. C’est exactement le contraire pour les
sujets très maltraités. Ils ont tendance à s’estimer soit très peu chanceux dans la vie
(ce qui se comprend), soit très chanceux (ce qui est plus étonnant, d’autant plus que
cette réponse est nettement plus fréquente chez eux que la réponse « pas du tout
chanceux(se) »).
Les entretiens que j’ai eus avec ces personnes m’ont permis de comprendre cette
réponse apparemment surprenante. Elles sont extrêmement sensibles aux êtres et
aux événements qui les ont aidés à s’en sortir et en gardent un vif souvenir. À chaque
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Fiche 8 • La psychologie différentielle
Nombre
de sujets
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Nombre
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3
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6
Figure 8.1. Distribution des réponses à l’item :
« Quand j’y pense, je m’estime vraiment chanceux(se) ».
À gauche : chez les personnes non maltraitées. À droite : chez les personnes
fortement maltraitées physiquement et psychologiquement.
Lecture des figures : Chaque barre verticale représente le nombre de personnes
ayant coché telle réponse (de 0 c’est-à-dire « pas du tout d’accord » à 6, c’està-dire « tout à fait d’accord ») À titre d’exemple : une personne qui coche
le chiffre « 3 » manifeste par là qu’elle estime avoir eu moyennement de la
chance. C’est le cas de 15 personnes non maltraitées dans l’enfance, mais d’une
seule parmi les personnes qui ont été fortement maltraitées physiquement et
psychologiquement.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
fois, elles ont eu le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance à ce moment. C’est le
cas par exemple d’une femme d’une cinquantaine d’années, extrêmement maltraitée
dans son enfance (incestes multiples, tortures physiques et psychologiques, etc.).
Elle se souvient avec une précision impressionnante de sa seconde maîtresse d’école
primaire qui lui a permis de changer définitivement le regard qu’elle avait sur
elle-même. Cette rencontre a été pour elle une chance immense. Or qu’a fait cette
institutrice ? Elle l’a aidée à se coiffer, lui a appris à se brosser les dents, lui faisait
faire des calculs pendant la récréation, etc. Tout cela était bien banal, mais ce qui a
touché la petite fille était la gentillesse de cette femme.
La psychologie différentielle nous apprend donc qu’il faut compléter la
connaissance de grandes lois générales sur le fonctionnement humain par des
analyses permettant de comprendre le vécu personnel des individus.
3. BIBLIOGRAPHIE
EME E. (2003). Psychologie différentielle,
Paris, Armand Colin.
HOUSSEMAND C., MARTIN R. et DICKES P.
(dir.) (2006). Perspectives de psychologie différentielle, Rennes, Presses universitaires de
Rennes.
HUTEAU M. (2006). Psychologie différentielle, Cours et exercices, Paris, Dunod.
HUTEAU M. (1998). Manuel de psychologie
différentielle, Paris, Dunod.
43
LAUTREY J. (dir.) (2006). Psychologie du
développement et psychologie différentielle,
Paris, PUF.
REUCHLIN M. (2001). La Psychologie différentielle, Paris, PUF.
REUCHLIN M. (1999). Évolution de la psychologie différentielle, Paris, PUF.
REUCHLIN M. (1991). Les Différences individuelles à l’école : Aperçu et réflexions sur
quelques recherches psychologiques, Paris, PUF.
9
La psychologie
évolutionniste
Pour la psychologie évolutionniste, domaine en pleine expansion outre-Atlantique
et, dans une moindre mesure, en Europe, la plupart des comportements humains
s’expliquent par la théorie de l’évolution. Affirmation qui suscite de nombreux
débats au sein de la communauté scientifique. Ce courant de recherche rassemble
non seulement des psychologues, mais également des biologistes et généticiens, des
éthologues, des anthropologues et paléoanthropologues. Les thèmes de prédilection
de la psychologie évolutionniste sont l’amour et la sexualité, l’amitié, l’altruisme,
la hiérarchie.
1. HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE ÉVOLUTIONNISTE
a Darwin et la théorie de la sélection sexuelle
On connaît surtout de Charles Darwin (1809-1882) la théorie de la sélection
naturelle, selon laquelle ce sont les individus les mieux adaptés à leur environnement
qui ont le plus de probabilitéd de survivre et de laisser une descendance. Mais
Darwin a également développé la théorie de la sélection sexuelle, mécanisme
parallèle selon lequel la nature sélectionne les individus les plus attractifs aux yeux
de l’autre sexe (force, couleur du plumage, qualité du chant, etc.), idée qui est à la
base de multiples recherches contemporaines de psychologie évolutionniste.
b Edward Wilson et la sociobiologie
En 1975, le livre Sociobiologie, la nouvelle synthèse, du naturaliste Edward
Wilson, défraie la chronique1 . Selon cette théorie, extension du darwinisme, les
comportements sociaux de l’être humain s’expliquent par une base biologique : la
reproduction des gènes. C’est le dernier chapitre de cet ouvrage qui génère une
vaste polémique : Wilson étend son interprétation au comportement humain, censé
être essentiellement déterminé par son matériel génétique. Il récidive quelques
années plus tard avec L’Humaine nature2 . Certains voient alors dans ces écrits
une conception de l’homme dépourvu de liberté, voire un risque de résurgence du
« racisme scientifique » et de l’eugénisme.
c Naissance de la psychologie évolutionniste
Bien que le premier usage du terme « psychologie évolutionniste » date de 1973,
c’est surtout à partir des années 1990, qu’il se diffuse largement, notamment sous
1. Wilson E.O. (1989, édition française). La Sociobiologie, Monaco, Le Rocher.
2. Wilson E.O. (1979). L’Humaine nature. Essai de sociobiologie, Paris, Stock.
Fiche 9 • La psychologie évolutionniste
l’influence de Lela Cosmides (psychologue) et John Tooby (anthropologue)1 . Ces
chercheurs remettent en cause ce qu’ils appellent le « modèle standard des sciences
sociales », c’est-à-dire la conception selon laquelle le contenu de l’esprit humain
est essentiellement une construction sociale. Selon eux, au contraire, nos circuits
cérébraux sont destinés, par la sélection naturelle, à résoudre des problèmes auxquels
nos ancêtres ont été confrontés au cours l’histoire évolutive de notre espèce.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
2. L’AMOUR N’AURAIT RIEN DE ROMANTIQUE
Selon les psychologues évolutionnistes, tout être humain cherche, sans le savoir,
à multiplier ses gènes. Une notion clé est l’ « investissement parental », qui désigne
le temps et l’énergie consacrés à la progéniture, depuis la fécondation jusqu’au
sevrage. Ce sont les femmes qui ont l’investissement parental le plus important :
la gestation dure neuf mois, habituellement suivie d’une période de lactation qui
s’étend de plusieurs semaines à plusieurs années selon les groupes humains. En
revanche, l’investissement parental minimal de l’homme est réduit à l’éjaculation.
La conséquence de tout cela est que, pour permettre une propagation maximale des
gènes, les mâles ont intérêt à adopter une stratégie quantitative, c’est-à-dire féconder
un maximum de femelles, tandis que celles-ci ont intérêt à adopter une stratégie
qualitative, c’est-à-dire à s’accoupler avec les meilleurs mâles. Cette conception
a suscité de nombreuses critiques puisqu’elle paraît justifier le comportement
aisément volage de l’homme et, parallèlement, confiner la femme dans ses rôles
d’épouse et de mère.
En 1979, Donald Symons publie la première analyse de la sexualité humaine
réalisée dans une perspective darwinienne2 . Se basant sur l’étude de diverses
sociétés, cet auteur confirme que les femmes ont tendance à être sélectives dans le
choix de leurs partenaires sexuels, tandis que les hommes sont surtout attirés par
la plus grande variété possible de partenaires. Par la suite, David Buss, professeur
de psychologie à l’université du Michigan, effectue une enquête dans trente-sept
cultures du monde3 . Elle montre que les femmes sont plus attirées par le statut
social que les hommes, ceux-ci étant, en revanche, surtout intéressés par la jeunesse
et la beauté. D’ailleurs, l’apparence physique d’une femme (bien plus que son
intelligence ou son niveau d’éducation) constitue le meilleur indicateur du statut
professionnel de son époux. Ces travaux semblent bien confirmer le postulat selon
lequel l’homme a une stratégie quantitative de reproduction (une femme jeune est
plus apte à la fécondité qu’une femme âgée), tandis que la femme a une stratégie
qualitative (un homme ayant un statut social élevé pourra fournir davantage de
ressources permettant d’élever confortablement la progéniture).
1. Voir notamment Tooby J., Barkow, Jerome H. et Cosmides L. (dir.) (1992). The Adapted Mind :
Evolutionary Psychology and the Generation of Culture. Oxford, Oxford University Press.
2. Symons D. (1979). The Evolution of Human Sexuality, Oxford University Press.
3. Buss, D. M. (1989). « Sex differences in human mate preferences : Evolutionary hypotheses tested
in 37 cultures », Behavioral and Brain Sciences, 12, 1-49.
45
Fiche 9 • La psychologie évolutionniste
Par ailleurs, les recherches de David Buss sur la jalousie ont mis en évidence
que l’homme est surtout affecté par l’infidélité sexuelle de sa compagne, tandis
que la femme souffre surtout si l’homme est affectivement attaché à une autre
femme1 . Deux attitudes différentes qui confortent l’approche de la psychologie
évolutionniste.
3. CRITIQUES DE LA PSYCHOLOGIE ÉVOLUTIONNISTE
La psychologie évolutionniste a suscité des réactions, parfois vives, et des
réfutations au sein de la communauté scientifique. Cette discipline prétend interpréter
pratiquement tous les comportements au travers d’une grille de lecture biologique ;
or certains comportements paraissent difficilement explicables par cette théorie.
C’est notamment le cas de l’infanticide, de l’homosexualité, du suicide ou de la
mort pour la patrie, puisque ces comportements empêchent la transmission des
gènes de l’individu à la génération suivante. Les explications des psychologues
évolutionnistes sont alors parfois surprenantes. Par exemple, selon Robert Wright,
le suicide s’explique par le fait que dans l’environnement ancestral de l’être humain,
la nourriture était peut-être rare, et que cet acte permettait à une personne devenue
un fardeau pour ses proches de ne pas priver ceux-ci de la valeur reproductive
importante des aliments. Nous aurions gardé ce comportement, même s’il n’a plus
de valeur adaptative aujourd’hui.
Par ailleurs, selon la théorie sociobiologique de l’altruisme, nous aidons
préférentiellement les personnes qui nous sont génétiquement proches. Il y a déjà
une trentaine d’années, l’anthropologue Marshall Sahlins fournissait une sévère
critique de cette conception, en montrant que, dans de nombreux groupes humains,
la parenté est une notion plus sociale que biologique2 . « Les catégories du “proche”
et du “distant” sont des variables indépendantes de la distance consanguine. » Si un
homme a quitté son village d’origine pour aller vivre dans un autre lieu à l’occasion
de son mariage, il considère comme ses proches parents les personnes du village
dans lequel il habite plutôt que ses apparentés génétiques. Sahlins conclut que « les
êtres humains ne perpétuent pas leur être physiologique, mais leur être social ».
Plusieurs auteurs ont réexaminé les données des trente-sept cultures étudiées
par David Buss et sur lesquels celui-ci s’est fondé pour affirmer le primat
des forces de l’évolution sur le comportement humain. Ils constatent qu’il y a
d’importantes variations interculturelles en ce qui concerne le degré de différences
comportementales entre sexes. Par exemple, même si dans les diverses cultures,
les hommes valorisent plus que les femmes la chasteté de leur partenaire, cette
différence entre sexes varie fortement selon les pays. L’écart est ainsi très peu
marqué en Suède et bien plus fort au Nigeria. Ce qui a conduit certains auteurs à
1. Buss D. (2005). Une passion dangereuse, la jalousie, Paris, Odile Jacob.
2. Sahlins M. (1980). Critique de la sociobiologie, Paris, Gallimard.
46
Fiche 9 • La psychologie évolutionniste
affirmer que la culture des sujets est un prédicteur plus fort de leurs préférences de
conjoints que le genre1 .
Quant à Alice Eagly et Wendy Wood, elles proposent une interprétation des
données de Buss en termes de division du travail domestique, socialement construite2
car, montrent-elles, les différences entre sexes sont corrélées au niveau d’inégalité
des sociétés. Elles soulignent qu’une importante différence entre sexes est négligée
par les psychologues évolutionnistes : les hommes valorisent plus que les femmes
le fait que leur partenaire fasse de la bonne cuisine et s’occupe bien de la maison.
Utilisant un indicateur des Nations Unies intitulé « mesure d’empowerment » de
genre, elles constatent que plus un pays est caractérisé par l’égalité économique,
politique et de prise de décision entre femmes et hommes, moins les hommes sont
attirés par l’aptitude d’une femme à assurer le travail domestique, et moins les
femmes sont attirées par le potentiel masculin à gagner de l’argent. Par ailleurs,
plus il y a d’égalité femmes-hommes, plus est faible l’écart d’âge entre hommes
et femmes vivant ensemble. Pour ces deux auteurs, ce constat suggère que les
différences sexuelles concernant les préférences d’âge sont surtout le reflet de la
division sexuelle du travail.
Notons cependant que plusieurs psychologues évolutionnistes adoptent une
conception interactionniste (impact conjoint de la biologie et de l’environnement).
Par exemple, selon David Buss lui-même, « la théorie évolutionniste représente en
fait une vision interactionniste. Le comportement humain ne peut s’effectuer sans
deux ingrédients : 1) des adaptations évolutives 2) un environnement qui déclenche
le développement et l’activation de ces adaptations ».
4. BIBLIOGRAPHIE
BLAFFER HRDY S. (2004). Les Instincts
maternels, Paris, Payot.
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l’amour, Paris, Hachette.
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versus social roles », American Psychologist, 54 (6), 408-423.
47
10
La neuropsychologie
Située, comme son nom l’indique, à la jonction des neurosciences et de la
psychologie, la neuropsychologie vise à comprendre comment la structure et
le fonctionnement du cerveau sont liés aux processus psychologiques et aux
comportements. Une approche plus restreinte et fréquemment utilisée limite cette
définition à l’étude des troubles cognitifs et comportementaux consécutifs à des
lésions cérébrales. Cette fiche adopte l’approche « élargie » de la neuropsychologie,
en présentant tout d’abord un bref historique de cette discipline, puis trois domaines
majeurs de recherche : la spécialisation hémisphérique, la plasticité cérébrale et les
neurones miroirs.
1. DE PLATON À L’IMAGERIE À RÉSONANCE MAGNÉTIQUE
Platon peut être considéré comme l’un des pères fondateurs de la neuropsychologie, en ce sens qu’il considérait que le cerveau était au centre des activités
psychiques de l’homme, contrairement à Aristote, partisan du cardiocentrisme, qui
attribuait au cœur le rôle central dans le fonctionnement mental et émotionnel.
C’est cependant Paul Broca (1824-1880), neurochirurgien à l’hôpital du KremlinBicêtre, qui a donné ses lettres de noblesse scientifique à la neurobiologie, en
fournissant la première démonstration d’un lien entre la localisation d’une lésion
cérébrale et un trouble du langage : après un accident vasculaire cérébral, un patient
ne prononçait plus que la syllabe « tan », alors que ses autres fonctions cognitives, y
compris la compréhension du langage, étaient préservées. Cet homme étant décédé
quelques jours plus tard, Broca a procédé à son autopsie et a découvert une lésion
cérébrale localisée dans la troisième circonvolution du lobe frontal gauche.
Depuis le milieu des années 1980, des progrès technologiques ont permis
d’observer directement le fonctionnement du cerveau humain. Les chercheurs ont
d’abord utilisé la tomographie par émission de positons (TEP), qui a permis de
réaliser les premières cartographies des fonctions cognitives chez l’homme sain. De
nos jours, cette technique est remplacée par l’imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle (IRMf) qui ne nécessite pas d’injection de produit radioactif et qui
fournit des cartes de débit sanguin cérébral en trois dimensions de meilleure qualité.
2. CERVEAU GAUCHE – CERVEAU DROIT : RÉALITÉ ET MYTHE
Les différences entre les deux hémisphères se manifestent dans de nombreux
domaines : contrôle moteur, langage, connaissance spatiale, etc. Les premières
connaissances sont venues de l’étude de patients dits split-brain (au cerveau divisé).
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Fiche 10 • La neuropsychologie
Face à des personnes souffrant de graves crises d’épilepsie, rebelles à tout traitement
médical, des chercheurs ont décidé, à partir des années 1960, de sectionner le
corps calleux et la commissure antérieure, qui constituent la principale voie de
communication entre les deux hémisphères. Robert Sperry et son étudiant Michael
Gazzaniga ont ainsi constaté que l’état psychologique général d’un patient n’était
pas modifié, mais que certaines de ses activités mentales étaient transformées : par
exemple, il n’arrivait plus à comparer la forme des objets qu’il tenait dans chacune
de ses mains, s’il ne les voyait pas. Selon Gazzaniga, « l’homme dont le corps
calleux a été sectionné a deux sphères de conscience séparées1 ». Ceci a parfois
provoqué des situations dramatiques. Gazzaniga cite ainsi le cas d’un homme qui
saisit un jour sa femme de sa main gauche et la secoua violemment, tandis qu’il
essayait de lui venir en aide avec sa main droite. Les travaux de Sperry et son
équipe lui ont valu le prix Nobel de médecine en 1981. Depuis cette époque, les
connaissances se sont multipliées et affinées2 .
La différence la plus connue concerne le fait d’être droitier (90 % des personnes)
ou gaucher. Il y a également une très forte dominance de l’hémisphère gauche
pour le langage. Ainsi, le contrôle de l’expression orale est limité à l’hémisphère
gauche chez environ 95 % des droitiers. Mais il s’agit là des seuls cas où l’un
des hémisphères est très spécialisé dans une tâche que l’autre n’accomplit pas
ou très peu. La plupart du temps, les deux hémisphères se complètent comme
les pièces d’un puzzle. Prenons l’exemple des émotions3 . Selon la conception
initiale, l’hémisphère droit était chargé d’identifier les émotions. Aujourd’hui, les
chercheurs estiment toujours qu’il est plus apte que l’hémisphère gauche dans cette
tâche, mais ils ont surtout découvert que l’identification des émotions positives (par
exemple, la joie) dépend plus de l’hémisphère gauche, tandis que l’identification
des émotions négatives (par exemple, la tristesse) dépend surtout de l’hémisphère
droit. Autre exemple, concernant le traitement spatial : l’hémisphère droit extrait
préférentiellement les informations relatives à l’évaluation précise des distances,
tandis que l’hémisphère gauche est plus efficace pour repérer des relations telles
que « au-dessus de ».
Des ouvrages grand public ont parfois simplifié à l’extrême les connaissances
scientifiques sur l’asymétrie cérébrale. Par exemple, l’affirmation selon laquelle
il existe des individus « cérébraux gauches » (rationnels, analytiques et verbaux)
et des « cérébraux droits » (artistiques, intuitifs et créatifs) ne repose sur aucun
fondement scientifique solide.
1. Gazzaniga M. (1976). Le Cerveau dédoublé, Bruxelles, Dessart et Mardaga, p. 15.
2. Hetlige J.B. (2002). « Spécialisation hémisphérique : données récentes », Revue de neuropsychologie, 12 (1), 7-49.
3. Demaree H.A., Everhart D.E., Youngstrom E.A. et Harrison D.W. (2005). « Brain lateralization of
emotional processing : Historical roots and a future incorporating “dominance” », Behavioral and
Cognitive Neuroscience Reviews, 4 (1), 3-20.
49
Fiche 10 • La neuropsychologie
3. QUEL QUE SOIT L’ÂGE, NOTRE CERVEAU ÉVOLUE
Les neurologues ont longtemps pensé que seul le cerveau de l’enfant pouvait se
développer, et qu’à partir de l’âge adulte, il était une structure fixe. Cette époque est
désormais révolue et de plus en plus de recherches sont effectuées sur la plasticité
cérébrale, expression qui désigne la capacité du système nerveux à modifier son
organisation, que ce soit au cours du développement normal de l’individu, après
des lésions cérébrales ou encore après un déficit sensoriel (cécité, surdité, etc.).
Par exemple, une série d’études, menées par Eleanor Maguire et son équipe, de
l’université de Londres ont montré que les conducteurs de taxi londoniens présentent
un développement nettement plus important d’une zone cérébrale consacrée à la
représentation de l’espace, comparativement aux personnes du même âge de la
population générale1 . Plus les chauffeurs ont d’ancienneté dans leur activité, plus
cette zone cérébrale est volumineuse.
De même, Thomas Elbert et ses collègues, de l’université de Constance en
Allemagne, ont découvert que la zone du cerveau qui contrôle les mouvements de la
main gauche des violonistes professionnels est deux fois plus importante que celle
qui commande la main droite2 . Or ce sont les doigts de la main gauche, courant sur
les cordes, qui sont surtout mis à contribution, bien plus que ceux de la main droite,
tenant l’archet. Par ailleurs, plus la pratique du violon a commencé tôt, plus cette
zone est développée.
Autre exemple encore de plasticité cérébrale : chez les personnes sourdes ou
aveugles, les zones cérébrales associées à l’ouïe ou à la vue sont « colonisées » par
les autres modalités sensorielles pour compenser le déficit3 .
Les cas les plus impressionnants de plasticité cérébrale sont probablement ceux de
personnes ayant subi une hémisphérectomie. Cette opération, qui consiste à enlever
l’ensemble ou une large partie d’un hémisphère cérébral, est effectuée en dernier
recours chez des personnes épileptiques, en grande souffrance et pour lesquelles tous
les traitements ont échoué. Or ces personnes vont généralement beaucoup mieux
après ! Comme le soulignent les auteurs d’une synthèse des connaissances dans ce
domaine : « Il vaut mieux vivre avec la moitié d’un cerveau sain qu’avec un cerveau
entier dont un hémisphère est malade4 . » Les effets négatifs diffèrent selon l’âge
de l’opération (plus graves chez l’adulte) et selon la fonction concernée (graves
conséquences sur le langage lorsque l’ablation concerne l’hémisphère gauche).
1. Voir notamment Maguire E.A., Gadian D.G., Johnsrude I.S., Good C.D., Ashburner J., Frackowiak
R.S. et Frith C.D. (2000). « Navigation-related structural change in the hippocampi of taxi drivers »,
Proceedings of the National Academy of Sciences of the U.S.A., 97 (8), 4398-4403.
2. Elbert T., Pantev C., Wienbruch C., Rockstroh B. et Taub E. (1995). « Increased cortical
representation of the fingers of the left hand in string players », Science 270, 305-307.
3. Bavelier D. et Neville H.J. (2002). « Cross-modal plasticity : Where and how ? », Nature Reviews
Neuroscience, 3, 443-452.
4. Ptito M., Fortín A. et Ptito A. (2002). « Vivre avec la moitié du cerveau : les effets de
l’hémisphérectomie humaine », Revue de neuropsychologie, 12 (1), 185-210.
50
Fiche 10 • La neuropsychologie
Mais il y a inversement amélioration des fonctions intellectuelles ; ainsi, après une
hémisphérectomie pratiquée sur quarante et un patients, il y a eu :
• amélioration du QI chez dix-neuf patients (augmentation de 5 à 22 points) ;
• pas de changement du QI chez dix-sept patients ;
• diminution du QI chez cinq patients (baisse de 7 à 12 points).
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Globalement, la vie de ces patients est grandement améliorée, l’opération leur
assurant une autonomie que peu ont connue avant l’opération.
Plus étonnant encore, un homme mène une vie absolument normale malgré un
cerveau presque inexistant1 . Il avait été traité pour une hydrocéphalie congénitale à
l’âge de six mois. À 44 ans, il se présente à l’hôpital car il souffre de troubles de la
marche. Cet homme est marié et employé de la fonction publique (QI = 75). Les
médecins sortent son dossier et (re)découvrent son cas. Ils examinent son cerveau
et découvrent l’incroyable : la boîte crânienne est presque entièrement remplie
par une importante poche de liquide, qui ne laisse qu’une fine couche de tissu
cérébral contre la paroi du crâne. Les neurologues n’en reviennent toujours pas et
s’émerveillent du pouvoir de récupération de l’organisme humain (figure 10.1).
Figure 10.1. La zone sombre est occupée par une poche de liquide.
4. QUAND DEUX CERVEAUX ENTRENT EN RÉSONANCE
Depuis le début des années 1990, un nouveau courant de recherches révolutionne
la neuropsychologie, faisant de cette dernière non plus seulement l’étude du cerveau
1. Feuillet L., Dufour H. et Pelletier J. (2007). « Brain of a white-collar worker », Lancet, 370, juillet
21, 262.
51
Fiche 10 • La neuropsychologie
individuel, mais également des « résonances » entre cerveaux, et posant ainsi les
fondements d’une neuropsychologie sociale.
Cette situation nouvelle est liée à la découverte des « neurones miroirs », lesquels
s’activent non seulement quand un individu accomplit une action, mais aussi quand
il voit un autre individu la réaliser1 . Ces neurones ont d’abord été découverts chez
des singes, puis mis en évidence chez l’être humain. Ils jouent un rôle majeur
dans la reconnaissance et la compréhension du sens des actions d’autrui, comme le
montre l’expérience que voici2 . Un singe observe l’activité d’un humain, selon une
procédure comprenant plusieurs variantes :
• soit la main de l’homme saisit réellement un objet, soit elle simule seulement
l’action car il n’y a pas d’objet ;
• soit le singe voit l’ensemble de l’action, soit il n’en voit que le début, car un écran
opaque cache la fin du geste de l’homme.
Les expérimentateurs contrôlent soigneusement, grâce à des enregistrements
vidéo, le fait que le geste est bien exécuté de la même manière dans les différentes
situations.
Cette procédure conduit à quatre situations différentes, selon que l’acte est réel
et simulé, et selon que la fin de l’action est visible ou cachée aux yeux du singe.
L’expérience aboutit aux résultats du tableau 10.1.
Tableau 10.1. Conditions d’activation des neurones miroirs.
Fin de l’action
Visible
Cachée
Réelle
Les neurones miroir
s’activent
Les neurones miroir
s’activent
Simulée
Les neurones miroir
ne s’activent pas
Les neurones miroir
ne s’activent pas
Action
Ainsi, que le singe voie ou ne voie pas la fin de l’action ne change rien à la
réaction des neurones miroirs. Leur « critère » pour réagir est uniquement le fait que
l’action va être réellement accomplie. Ainsi, les neurones miroirs « perçoivent » la
signification, le but de l’action observée, avant même que celle-ci ne soit réalisée, et
alors que l’objectif n’est pas perceptible visuellement. À ma connaissance, aucune
explication de ce phénomène étonnant n’a encore été fournie à ce jour.
Par ailleurs, l’activité des neurones miroirs ne concerne pas seulement la facette
cognitive de la personne, mais également sa facette émotionnelle. Observer l’émotion
d’autrui (par exemple, de la douleur ou du dégoût) active les zones cérébrales
impliquées dans le traitement de la même émotion chez soi-même. Par exemple,
les zones cérébrales impliquées dans l’empathie sont activées lorsque nous voyons
1. Rizzolatti G. et Sinigaglia C. (2008). Les Neurones miroir, Paris, Odile Jacob.
2. Umiltà M.A., Kohler E., Gallese V., Fogassi L., Fadiga L., Keysers C. et Rizzolatti G. (2001). « I
know what you are doing : A neurophysiological study », Neuron, 31, 1-20.
52
Fiche 10 • La neuropsychologie
qu’un proche qui nous est cher ressent de la douleur ou en regardant une aiguille
pénétrant le dos de la main d’un inconnu1 .
Selon Vittorio Gallese et Giacomo Rizzolatti, deux des découvreurs des neurones
miroirs, ces derniers constituent le fondement neurologique de l’empathie. Rizzolatti
déclare d’ailleurs que les neurones miroirs nous montrent « combien les liens qui
nous unissent aux autres sont profondément enracinés en nous et, donc, à quel point
il peut être bizarre de concevoir un moi sans un nous2 ».
5. BIBLIOGRAPHIE
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neuropsychologie, Paris, Dunod.
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Neurones miroir, Paris, Odile Jacob.
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pain involves the affective but not sensory components of pain », Science, 303, 1157-1162.
2. Rizzolatti G. et Sinigaglia, op. cit., p. 11.
53
11
La psychologie positive
Depuis quelques années, se développe un courant de psychologie universitaire qui
met surtout l’accent sur les facettes positives de l’être humain. Colloques, centres
de recherches, ouvrages collectifs et numéros spéciaux de revues scientifiques
témoignent d’une grande vitalité. L’optimisme, le sens à la vie, l’humour, le courage
ou encore le pardon suscitent de plus en plus l’intérêt des chercheurs.
Le monde de la psychologie et de la psychothérapie est peut-être en train
d’amorcer une évolution radicale : le passage d’une forte centration sur le manque
et la pathologie vers une prise en compte additionnelle des aptitudes et de
l’accomplissement personnel. Il est de plus en plus question aujourd’hui de
psychologie positive.
Cet intérêt pour les facettes positives de l’être humain n’est pas nouveau. Le
courant de la psychologie humaniste, représenté entre autres par Carl Rogers et
Abraham Maslow, a mis ces thèmes en exergue (fiche 3). Mais ce mouvement est
petit à petit tombé en désuétude, et ce n’est que depuis le début des années 2000
que le flambeau est clairement repris par le courant de la psychologie positive, qui
vise à donner un crédit scientifique à cette approche.
1. UNE RENCONTRE INATTENDUE CHANGE L’ORIENTATION
D’UN CHERCHEUR
Le principal initiateur du mouvement, Martin Seligman, professeur de psychologie à l’université de Pennsylvanie, fut lui-même pendant de nombreuses années
un spécialiste reconnu de la dépression. Mais une rencontre inattendue, il y a un
quart de siècle, l’a conduit à réorienter ses recherches1 . Au cours d’un voyage en
avion, son voisin lui explique qu’il dirige une entreprise dont les employés sont
particulièrement créatifs et optimistes. Puis il demande à Seligman ce qu’il fait dans
la vie. Celui-ci répond qu’il est chercheur en psychologie et qu’il étudie depuis
quinze ans le rôle du sentiment d’impuissance comme facteur majeur de dépression.
Son voisin lui demande alors : « Est-ce que vous vous intéressez à l’autre face de la
médaille ? Pouvez-vous prévoir quels sujets ne renoncent jamais ? », Seligman lui
avoue ne pas avoir vraiment réfléchi à cela.
Depuis, ce chercheur s’est longuement penché sur l’optimisme et sur les facettes
positives de l’être humain. Dès sa nomination comme président de l’Association
1. Seligman raconte cette anecdote dans son ouvrage La Force de l’optimisme, Paris, Interéditions,
2008, p. 81-83.
Fiche 11 • La psychologie positive
américaine de psychologie en 1998, il a déclaré que la psychologie du XXe siècle
n’avait pas joué un rôle suffisamment important pour améliorer la vie des gens dans
deux domaines : la prévention des conflits et la psychologie positive1 . Concernant le
premier aspect, il a créé une task force avec l’Association canadienne de psychologie
et a consacré des fonds à des recherches et colloques dans ce domaine. Concernant
la psychologie positive, il a engagé de multiples initiatives, en particulier la création
d’un centre de recherches2 et la rédaction de nombreux articles scientifiques.
Selon Seligman, « nous connaissons peu ce qui donne de la valeur à la vie.
[...] Ceci vient de ce que, depuis la Seconde Guerre mondiale, la psychologie
est devenue en grande partie une science de la guérison. Elle se concentre sur la
réparation des dommages au sein d’un modèle du fonctionnement humain axé sur
la maladie. Cette attention presque exclusive sur la pathologie néglige l’individu
épanoui et la communauté prospère3 ». Cet auteur reconnaît certes les victoires
thérapeutiques de la psychologie, mais estime que celles-ci ont été obtenues au
détriment d’autres considérations tout aussi essentielles : « Quand nous sommes
devenus seulement une profession de guérison, nous avons oublié notre mission
plus large : celle d’améliorer la vie de tous les gens ».
2. TROIS NIVEAUX D’ANALYSE : L’INDIVIDU, LE GROUPE,
LES INSTITUTIONS
La psychologie positive est « l’étude des conditions et processus qui contribuent
à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des gens, des groupes et
des institutions4 ». Les différents thèmes abordés par la psychologie positive
correspondent à ces trois niveaux de l’être humain, comme le montrent les quelques
exemples suivants :
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• au niveau individuel : bien-être et bonheur, créativité, sentiment d’efficacité
personnelle, estime de soi, humour, sens de la vie, optimisme, etc. ;
• au niveau interpersonnel : altruisme, amitié et amour, coopération, empathie,
pardon, etc. ;
• au niveau social et institutionnel : courage, engagement militant, médiation
internationale, justice restauratrice, etc.
Ainsi, la psychologie positive peut tout aussi bien concerner l’épanouissement
des élèves d’un collège, les bonnes relations au sein d’une équipe de travail ou
encore le mode de communication entre diplomates élaborant un traité de paix.
Selon ses représentants, s’intéresser à la psychologie positive ne consiste pas à
se percevoir ou à observer le monde qui nous entoure d’une manière idéalisée, ni
à mettre de côté les connaissances acquises sur la souffrance psychique et sur les
1. Seligman M. (1999). « The president address », American psychologist, 54 (8), 559-562.
2. Voir le site www.ppc.sas.upenn.edu
3. Seligman M. (1999). Op. cit.
4. Gable S.L. et Haidt J. (2005). « What (and why) is positive psychology ? », Review of General
Psychology, 9 (2), p. 104.
55
Fiche 11 • La psychologie positive
moyens d’y remédier. Le courant de la psychologie positive considère simplement
qu’à côté des multiples problèmes et dysfonctionnements individuels et collectifs
s’exprime et se développe toute une vie riche de sens et de potentialités. Elle est
donc un complément logique au corpus de recherches sur la psychologie clinique
et la psychopathologie.
En quelques années, ce courant a pris un essor considérable, particulièrement
aux États-Unis, mais pas uniquement1 . Plus de cinquante groupes de recherche
impliquant plus de cent cinquante universitaires dans diverses régions du monde
s’intéressent à ces thématiques. Plusieurs dizaines d’universités américaines et
européennes dispensent des cours sur la psychologie positive.
3. DIAGNOSTIQUER LES FORCES DU CARACTÈRE
L’une des réalisations de ce courant de recherche et d’enseignement est la
rédaction d’un ouvrage collectif recensant les principales forces de caractère
présentes chez l’être humain2 . L’objectif clairement affiché de ses auteurs était
de réaliser pour le bien-être psychologique ce que les manuels de diagnostics
psychiatriques avaient fait pour les troubles psychologiques.
Les auteurs ont recensé la littérature scientifique pertinente portant sur les facettes
positives de l’être humain dans les domaines suivants : psychologie, psychiatrie,
éducation, religion, philosophie, sciences des organisations. Ils ont également
examiné divers produits culturels tels que les chansons et croyances populaires, les
histoires pour enfants, les annonces personnelles dans les journaux. Ils ont aussi
étudié diverses grandes traditions philosophiques et religieuses, ce qui leur a permis
de constater que certaines vertus, telles que le courage, la sagesse, la justice, la
tempérance et la transcendance, sont très largement valorisées. Diverses études ont
par ailleurs confirmé que des sociétés aussi diverses que les Masais du Kenya et les
Inuits du Groënland exaltent ces mêmes vertus.
Les chercheurs ont retenu douze critères pour accepter une force de caractère
en tant que telle. Il fallait, par exemple, qu’elle soit valorisée dans de nombreuses
cultures, qu’elle possède un opposé « négatif » évident, qu’elle soit mesurable et
encouragée par les institutions sociales. Cette procédure leur a permis de dégager
une liste de vingt-quatre forces de caractère, réparties en six grandes catégories :
• la sagesse et la connaissance (comprenant la créativité, la curiosité, l’ouverture
d’esprit, l’amour de l’apprentissage, la perspective — capacité à donner de sages
conseils aux autres) ;
• le courage (comprenant l’authenticité, la bravoure, la persistance et l’enthousiasme) ;
1. Seligman M., Steen T.A., Park N. et Peterson C. (2005). « Positive psychology progress; Empirical
validation of interventions », American Psychologist, 60 (5), 410-421.
2. Peterson C. et Seligman M. (dir.) (2004). Peterson C. and Seligman M. (dir.) (2004). Character
Strengths and Virtues : A Handbook and Classification, Oxford University Press. Voir aussi la claire
présentation de ce travail dans Peterson C. et Park N., (2005). « Classification et évaluation des forces
du caractère », Revue québécoise de psychologie, 26 (1). 23-40.
56
Fiche 11 • La psychologie positive
•
•
•
•
l’humanité (comprenant la gentillesse, l’amour, l’intelligence sociale) ;
la justice (comprenant l’impartialité, le leadership, la citoyenneté) ;
la tempérance (comprenant le pardon, la modestie, la prudence, l’autorégulation) ;
la transcendance (comprenant l’appréciation de la beauté, la gratitude, l’espoir,
l’humour, la spiritualité).
Les auteurs de cette classification en reconnaissent les limites. Par exemple,
l’humour, classé dans la catégorie « transcendance », aurait pu l’être dans la
catégorie « humanité », car il peut créer des liens sociaux ; ou bien dans la catégorie
« sagesse ».
Les caractéristiques affectives et émotionnelles (amour, enthousiasme, gratitude
et espoir) sont plus fortement corrélées avec le sentiment d’être satisfait de
l’existence que les caractéristiques plus cognitives telles que la curiosité et l’amour
de l’apprentissage, que ce soit chez les adultes ou chez les enfants. Par ailleurs, les
femmes obtiennent des scores plus élevés que les hommes pour toutes les forces
relatives à l’humanité ; les jeunes adultes ont des scores plus élevés que les plus
âgés à l’échelle de l’humour ; les personnes en couple donnent des résultats plus
élevés que les gens divorcés pour le pardon.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4. LA SANTÉ MENTALE, CE N’EST PAS SEULEMENT L’ABSENCE
DE TROUBLES PSYCHIQUES
Une autre approche générale de la psychologie positive est celle formulée
par Corey L.M. Keyes, de l’université Emory, dans l’Atlanta1 . La psychiatrie
a traditionnellement considéré la santé mentale comme l’absence de maladies
mentales, ce qui fait qu’il n’y a pas de critères empiriques permettant de mesurer et
de diagnostiquer cette forme de santé.
Pour C. Keyes, la santé mentale comporte deux grandes composantes : le bien-être
(présence d’émotions positives et absence ou faible présence d’émotions négatives)
et le fonctionnement psychosocial positif (acceptation de soi, relations positives avec
autrui, croissance personnelle, sens à la vie, sentiment de compétence personnelle,
autonomie). Ceci amène cet auteur à considérer la vie de certaines personnes comme
étant « florissante » ou bien « languissante » ; d’autres enfin se situent entre les
deux. Une enquête effectuée auprès de plus de trois mille adultes âgés de 25 à 74 ans
a permis de constater que 18 % bénéficiaient d’une excellente santé mentale (vie
« florissante »), 65 % d’une santé mentale modérée et 17 % d’une santé mentale
faible ou absente (vie « languissante »).
Il y a logiquement une corrélation inverse entre la santé mentale (évaluée par les
échelles utilisées par C. Keyes) et la maladie mentale (évaluée par les classifications
psychiatriques habituelles). L’enquête citée ci-dessus a ainsi montré que divers
troubles psychiques sont bien moins présents chez les personnes en excellente
santé mentale que chez celles en faible santé mentale. C’est le cas de la dépression
1. Keyes C.L.M. (2005). « Une conception élargie de la santé mentale », Revue québécoise de
psychologie, 26 (1), 145-163.
57
Fiche 11 • La psychologie positive
majeure (six fois moins fréquente), l’anxiété généralisée (vingt-six fois moins), le
trouble panique (dix-sept fois moins) ou encore la dépendance à l’alcool (six fois
moins). Mais cette relation inverse n’est pas systématique. On peut, par exemple,
d’une part souffrir de dépression et d’autre part, avoir de bonnes relations sociales
et estimer que sa vie a du sens.
Cette recherche montre bien l’intérêt qu’il y a de compléter les recherches sur la
psychopathologie par d’autres sur la santé mentale.
La psychologie positive n’en est encore qu’à ses débuts. S’agira-t-il d’un véritable
renouvellement des recherches et des pratiques thérapeutiques, ou bien l’engouement
actuel sera-t-il de courte durée ? Seul l’avenir détient la réponse.
5. BIBLIOGRAPHIE
BANDURA A. (2007). Auto-efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle, Bruxelles, De
Beck Université.
CARRÉ P. et FENOUILLET F. (dir.) (2008).
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COTTRAUX J. (2007). La Force avec soi, pour
une psychologie positive, Paris, Odile Jacob.
CSIKSZENTMIHALYI M. (2004). Vivre, la psychologie du bonheur, Paris, Robert Laffont.
6. SITE INTERNET
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LECOMTE J. (2007). Donner un sens à sa vie,
Paris, Odile Jacob.
SELIGMAN M. (2008). La Force de l’optimisme, Paris, Interéditions.
TARPINIAN A., BARANSKI L., HERVÉ G. et
MATTÉI B. (dir.) (2007). École : changer de cap,
contributions à une école humanisante, Lyon,
Chronique sociale.
La psychologie intégrative
12
La psychologie est-elle une discipline unitaire ou est-il plus juste de parler de
fragmentation ? Les débats sont parfois âpres entre psychologues universitaires.
1. L’UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Une métaphore proposée par Gordon Bower semble particulièrement bien adaptée
à ce propos1 . Comme d’autres disciplines scientifiques, la psychologie est un arbre
en croissance, qui lance ses branches, puis des branchettes, au fur et à mesure que les
connaissances se multiplient et s’affinent. Le chercheur en psychologie est comme
un petit insecte qui se nourrit sur une feuille à l’extrémité d’une petite branche et
qui communique aux autres insectes qui grignotent la même feuille. Mais surtout, il
arrive que deux feuilles soient très proches alors qu’elles proviennent de branches
différentes au départ. Par exemple, l’empathie est un domaine apparemment bien
modeste dans le grand arbre de la psychologie, mais elle est aujourd’hui au cœur
de multiples recherches en psychothérapie, psychologie cognitive, neurobiologie et
primatologie.
En examinant attentivement de nombreuses conceptions synthétiques de la
psychologie (qu’elles s’appellent théorie intégrative, unifiée, complexe, globale,
holistique, multi-niveaux, à multiples composantes), j’ai constaté qu’il n’y a pas
une conception de ce qu’est une approche globale, mais au moins cinq :
• synthèse de multiples composantes (cognition, émotions, comportement, etc.) ;
• synthèse de multiples niveaux (surtout les niveaux micro, meso et macro) ;
• synthèse de théories déjà existantes (démarche particulièrement présente en
psychothérapie) ;
• approche globale d’un thème particulier (par exemple le leadership) ;
• théorie spécifique perçue comme ayant une valeur globale et universelle.
Je vais développer ci-dessous ces différentes conceptions de l’intégrativité en
psychologie, et conclurai par un modèle que j’ai moi-même élaboré en faisant la
synthèse... des synthèses déjà existantes.
1. Bower G.H. (1993). « The fragmentation of psychology ? », American Psychologist, 48 (8),
905-907.
Fiche 12 • La psychologie intégrative
2. L’INTÉGRATIVITÉ COMME SYNTHÈSE DE MULTIPLES
COMPOSANTES
Plusieurs auteurs soulignent que l’être humain est composé de divers éléments
qui agissent en interaction. Les quatre composantes qui sont les plus souvent
mises en avant sont : la cognition, les relations interpersonnelles, les émotions et le
comportement. Prenons trois exemples à titre d’illustrations.
La théorie sociocognitive d’Albert Bandura postule que le fonctionnement de
l’être humain dépend des relations entre trois principales catégories de facteurs
s’influençant réciproquement :
• le comportement ;
• les facteurs personnels internes (événements cognitifs, émotionnels et biologiques) ;
• l’environnement1 .
Dans son ouvrage sur le soi, Delphine Martinot souligne que ce terme recouvre
trois facettes2 :
• une facette cognitive : le concept de soi (façon dont nous nous définissons) ;
• une facette émotionnelle : l’estime de soi (façon dont nous nous évaluons) ;
• une facette comportementale : la présentation de soi (façon dont nous nous
présentons à autrui et à nous-mêmes).
Pour ma part, j’ai montré, dans un livre sur le sens de l’existence, que celui-ci
provient de trois aspects de notre personne3 :
• l’aspect cognitif (au sens large du terme) : nos convictions et valeurs ;
• l’aspect relationnel : nos liens avec les membres de notre famille et avec nos
amis ;
• l’aspect comportemental : notre engagement dans l’action, à titre professionnel
ou autre.
3. L’INTÉGRATIVITÉ COMME SYNTHÈSE DE MULTIPLES NIVEAUX
Divers experts ont proposé des théories globales de l’être humain en termes de
niveaux. Cette approche est surtout présente dans les travaux sur le développement
de l’enfant, le fonctionnement des organisations et la santé publique.
1. Bandura A. (2003). Auto-efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle, Bruxelles, De Boeck, p.
16-18.
2. Martinot D. (1995). Le Soi, les approaches psychosociales, Grenoble, Presses universitaires de
Grenoble.
3. Lecomte J. (2007). Donner un sens à sa vie, Paris, Odile Jacob.
60
Fiche 12 • La psychologie intégrative
a Le modèle écologique de Bronfenbrenner
L’une des théories les plus souvent citées est celle d’Urie Bronfenbrenner
(1917-2005), qu’il a initialement appelée modèle écologique1 (dans ce sens que
l’individu est inséré dans un environnement humain et matériel), puis rebaptisée,
en la modifiant, sous le terme de modèle bio-écologique2 .
C’est son intérêt pour le développement de l’enfant qui le conduit à élaborer
ce modèle, à la fin des années 1970. Il était en effet déçu du caractère limité
de nombreuses études sur l’enfant, la psychologie du développement étant
essentiellement selon lui « la science du comportement étrange d’enfant dans
des situations étranges avec des adultes étranges pendant des périodes de temps
les plus brèves possibles », allusion ironique aux travaux menés à l’époque sur
l’attachement.
Dans sa version initiale, ce modèle conçoit l’environnement social de l’être
humain comme un ensemble de structures emboîtées, comme des poupées russes.
Ainsi :
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• un microsystème est un système de relations entre la personne en développement
et son environnement immédiat, comprenant cette personne (la maison, l’école,
le lieu de travail, etc.) ;
• un mésosystème est un système de microsystèmes, car il comporte les relations
entre plusieurs environnements. Par exemple, le mésosystème d’un enfant peut
être constitué des relations entretenues entre sa famille, l’école, les camarades, le
centre de loisirs, etc. ;
• un exosystème est une extension du mésosystème qui intègre d’autres structures
sociales, formelles et informelles, par exemple, le voisinage, les médias, les
services gouvernementaux, les transports, etc. ;
• un macrosystème est une institution globale formelle (loi, système politique,
économique, social, éducatif) ou informelle (culture) dont les systèmes précédents
sont les manifestations concrètes.
Cette conceptualisation a été reprise par de nombreux chercheurs et praticiens,
que ce soit dans le travail social auprès des familles, la psychologie communautaire,
la psychothérapie et la prévention des troubles psychiques, l’enseignement scolaire,
etc.
La nouvelle conception proposée par Bronfenbrenner en 1997, le modèle
bio-écologique, vise à intégrer des changements significatifs. Il y accorde plus
d’importance aux dispositions de la personne (d’où le suffixe bio) et à ses relations
avec son environnement proche.
1. Bronfenbrenner U. (1979). The Ecology of Human Development, Cambridge, Harvard University
Press.
2. Bronfenbrenner U. et Morris P.A. (1997). « The ecology of developmental processes », in W.
Damon et R. N. Lerner, Handbook of Child Psychology : Theoretical Models of Human Development,
New York, Wiley and Sons.
61
Fiche 12 • La psychologie intégrative
b Le modèle biopsychosocial d’Engel
Un autre modèle multi-niveaux est le modèle biopsychosocial, dont la première
formulation remonte à un article de 1977, publié par George Engel, professeur
de psychiatrie à l’université de Rochester, à New York1 . Il s’agit d’une approche
systémique de la santé, de la maladie et des soins médicaux.
Selon Engel, le modèle biomédical classique, fondé sur la croyance en une
séparation entre l’esprit et le corps, s’intéresse plus à la maladie qu’à la personne
malade. Bien qu’il ait été très utile pour combattre les maladies infectieuses et
développer les vaccins et les antibiotiques, il est cependant réductionniste, car il ne
prend pas en compte les dimensions sociales, psychologiques et comportementales
de la maladie.
Une enquête menée en 2004 a tenté de connaître l’impact de ce modèle dans
l’univers médical en étudiant le contenu des publications scientifiques parues depuis
lors2 . Contrairement aux attentes de l’auteur, il n’y a pas eu de changement dans la
conceptualisation de la santé dans les articles de recherche médicale. En revanche,
les articles de recherche en soin infirmiers incluent plus fréquemment les facettes
psychologiques et sociales dans leur définition de la santé. Ceci est probablement
lié au fait que les infirmiers doivent faire face à la personne malade comme un
tout et se sentent responsables de son bien-être général, tandis que les médecins se
focalisent sur les symptômes et sur le traitement médical.
4. L’INTÉGRATIVITÉ COMME SYNTHÈSE DE THÉORIES
DÉJÀ EXISTANTES
Une autre conception de l’intégrativité consiste à réunir plusieurs théories
déjà existantes. C’est une approche que l’on constate tout particulièrement dans
l’univers des psychothérapies, les théories les plus souvent associées étant alors
la psychanalyse, le cognitivisme et le comportementalisme. Ceci est souvent le
résultat de sentiments d’insatisfaction éprouvés par des thérapeutes, en particulier
psychanalystes, qui se tournent vers d’autres approches, à titre complémentaire.
Les cliniciens qui adoptent une pratique plurielle (parfois également appelée
« éclectique ») sont généralement plus âgés et plus expérimentés ; les thérapeutes
plus jeunes ont plutôt tendance à adhérer à une orientation théorique exclusive. Il
arrive d’ailleurs que certains psychothérapeutes utilisent telle et telle approche sans
nécessairement adhérer pleinement à l’arrière-plan théorique qui la sous-tend3 .
1. Engel G. (1977). « The need for a new medical model : a challenge for biomedicine », Science,
196 (4286), 129-136.
2. Alonso Y. (2004). « The biopsychosocial model in medical research : the evolution of the health
concept over the past two decades », Patient Education and Counselling, 53 (2), 239-244.
3. Beitman B.D., Goldfried M.R. et Norcross J.C. (1989). « The movement toward integrating the
psychotherapies : An overview », American Journal of Psychiatry, 146 (2), 138-147.
62
Fiche 12 • La psychologie intégrative
5. L’INTÉGRATIVITÉ COMME APPROCHE GLOBALE
D’UN THÈME PARTICULIER
Certains modèles, dits intégratifs, portent sur un thème bien spécifique (le
leadership, le deuil, etc.). Leur perspective est donc réduite, mais leurs auteurs
revendiquent leur caractère synthétique en raison du nombre parfois important
de variables mises en jeu et de l’utilisation de boucles de rétroaction (causalités
réciproques).
Citons, à titre d’exemple, la « théorie intégrative du leadership1 » de Wofford
(1982) qui contient quarante-cinq variables, avec en bout de chaîne causale (suivie
d’un feedback) la performance du collaborateur. Ou encore la « théorie unifiée du
raisonnement humain »2 de Robert Sternberg qui considère le raisonnement comme
l’application contrôlée de trois processus (l’encodage sélectif, la comparaison
sélective, la combinaison sélective).
6. L’INTÉGRATIVITÉ COMME THÉORIE SPÉCIFIQUE
PERÇUE COMME UNIVERSELLE
Certains auteurs considèrent que leur approche théorique et/ou empirique est apte
à englober l’ensemble des autres approches. Tour à tour, des psychanalystes, des
comportementalistes, des cognitivistes, ou plus récemment des neurophysiologues
ou encore des psychologues évolutionnistes ont affirmé que leur discipline était
appelée à régner sur l’ensemble des connaissances psychologiques. Signalons,
à titre d’exemple, ces deux citations : « Le cadre des neurosciences cognitives
est capable de fournir un paradigme scientifique cohérent et unificateur pour la
discipline de psychologie clinique3 » ; « L’appel de Scarr (1995) à l’union de la
génétique et de la psychologie évolutionniste peut se concrétiser. À ce moment,
l’évolution deviendra la fondation de la psychologie. En effet, si cette union a lieu,
la psychologie deviendra la psychologie évolutionniste4 . »
Quelle que soit l’orientation théorique adoptée, ce genre d’attitude immodeste a
plutôt pour effet de s’attirer les foudres des partisans d’autres courants théoriques...
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
7. L’INTÉGRATIVITÉ COMME SYNTHÈSE... DE SYNTHÈSES
En m’appuyant sur l’ensemble des données qui précèdent, j’ai élaboré le « modèle
6 D » (six dimensions fondamentales de l’être humain) qui associe l’approche par
composantes (cognition, comportement, émotions, relations interpersonnelles) et
l’approche par niveaux (micro de l’individu, meso des relations interpersonnelles,
macro de la culture et des institutions). Il évite ainsi deux écueils opposés : la
1. Wofford J.C. (1982). « An integrative theory of leadership », Journal of Management, 8, 27-47.
2. Sternberg R.J. (1986). « Toward a unified theory of human reasoning », Intelligence, 10, 281-314.
3. Hardi S.S. et Feldman D. (2001). « The cognitive paradigm : a unifying metatheoretical framework
for the science and practice of clinical psychology », Journal of clinical psychology, 57 (9). 1067-1088.
4. Hendrick C. (2005). « Evolution as a Foundation for Psychological Theories », in S. Strack (éd.).
Handbook of Personology and Psychopathology, New York, Wiley et Sons, 3-23.
63
Fiche 12 • La psychologie intégrative
présence de trop ou de trop peu de variables, tout en étant aisément compréhensible.
Il se présente sous forme d’un hexagone dont chaque pointe représente une
caractéristique humaine, entouré d’un cercle qui illustre l’environnement physique
de l’être humain. Par ailleurs, il intègre le principe systémique de causalités multiples
et réciproques : chaque pointe de l’hexagone a un certain impact sur chaque autre.
Par exemple, la cognition influe sur la santé physique et réciproquement ; les
émotions influent sur le comportement et réciproquement, etc. J’ai cependant évité
d’intégrer des flèches dans la figure 12.1, pour des raisons de lisibilité.
Culture, Institutions
Cognition
(psychologie culturelle,
psychologie politique,
psychologie légale)
(psychanalyse,
psychologie cognitive,
psychologie de l’éducation)
Relations
interpersonnelles
Comportement
(psychologie sociale,
psychologie
de la communication)
(comportementalisme)
Biologie
Émotions
(neuropsychologie,
psychologie de la santé,
psychologie évolutionniste)
(psychologie des émotions)
Environnement physique
(psychologie de l’environnement)
Figure 12.1. Modèle 6 D : Les six dimensions de l’être humain
et les courants psychologiques correspondants.
8. BIBLIOGRAPHIE
CHAMBON O. et MARIE-CARDINE M. (1999).
Les Bases de la psychothérapie, approche intégrative et éclectique, Paris, Dunod.
LALONDE P., AUBUT J. et GRUNBERG F.
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cliniques, Montréal, Gaëtan Morin.
LALONDE P., AUBUT J. et GRUNBERG F.
(2001). Psychiatrie clinique, une approche biopsycho-sociale, t. 2 : Spécialités, traitements,
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NORCROSS J.-C. (1996). Psychothérapie intégrative, Paris, Desclée de Brouwer.
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TESSIER R. et TARABULSY G.M. (dir.) (2005).
Le Modèle écologique dans l’étude du développement de l’enfant, Sainte-Foy, Presses de
l’université du Québec
PARTIE
2
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les applications pratiques
Après avoir décrit les différentes facettes de la psychologie, efforçons-nous
maintenant de comprendre ce que fait le psychologue, c’est-à-dire ses principaux
thèmes d’étude et/ou domaines d’action.
Le premier constat est que le travail du psychologue ne se limite pas à la
psychothérapie, même si cette activité est la plus connue du grand public. Une
large palette d’activités s’offre à lui. J’ai d’ailleurs choisi de placer la fiche
« Psychothérapie » dans la troisième partie de cet ouvrage (fiche 33), car l’évaluation
des psychothérapies fait aujourd’hui l’objet d’âpres débats.
Les psychologues sont donc présents sur de nombreux terrains, qu’il s’agisse de
l’école, de la justice, du sport, de l’entreprise, etc. Certains peuvent s’en émouvoir
et brandir le spectre du « pouvoir psy ». Ce danger existe certes, et il est nécessaire
de le garder présent à l’esprit pour éviter les dérives potentielles. Cependant, la
riche moisson de connaissances récoltée depuis plus d’un siècle par la psychologie
scientifique montre qu’elle peut jouer un rôle positif dans l’amélioration de la
vie des personnes et du fonctionnement de la société... si tant est que l’on tienne
compte de ces découvertes. Prenons, à titre d’exemples, trois domaines dans lequel
les savoirs psychologiques apportent une vision différente de celle communément
admise :
• en économie (fiche 16) : des recherches récentes en psychologie expérimentale
ont profondément bouleversé les théories économiques jusque-là très largement
acceptées, en montrant que, contrairement à ce que prétend le modèle classique en
économie, l’être humain, placé face à des décisions financières n’est ni rationnel
ni égoïste. Ou plutôt il fait usage d’une rationalité altruiste inattendue ;
Les applications pratiques
• au tribunal (fiche 17) : des recherches de psychologie légale effectuées sur des
thèmes tels que l’aveu ou le témoignage visuel ont mis en évidence le peu de
crédit que l’on peut accorder à ces éléments, pourtant considérés fréquemment
comme des preuves majeures au tribunal. La prise en compte de ces connaissances
est susceptible de limiter les erreurs judiciaires ;
• en santé publique (fiche 18) : la diffusion de campagnes fondées sur la peur (par
exemple : « Le tabac tue ») se fonde sur une « psychologie du bon sens » mais
qui est erronée, au regard des connaissances actuelles sur le fonctionnement des
individus. Ce genre de programmes a globalement l’effet inverse de celui souhaité
par ses initiateurs.
Comme le montre ce dernier exemple, l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions
et il est donc nécessaire de soumettre les nouvelles idées à une évaluation rigoureuse
de leur effet avant de lancer une campagne à large échelle. L’évaluation est une
véritable exigence éthique qui devrait rester toujours présente à l’esprit des décideurs
lorsqu’ils envisagent une nouvelle action.
66
La psychologie
du développement
de l’enfant
13
Le développement de l’enfant n’est pas à proprement parler une application de
la psychologie mais met clairement et évidence comment diverses orientations
théoriques s’appliquent à un objet d’étude. Il constitue l’un des domaines de
recherches psychologiques les plus riches de découvertes récentes. Il concerne
essentiellement deux facettes : le développement affectif et social ; le développement
cognitif.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1. LE DÉVELOPPEMENT AFFECTIF ET SOCIAL
a La théorie de l’attachement
En 1958 paraissent, indépendamment, deux articles qui vont bouleverser les
conceptions sur les relations précoces du bébé avec son environnement humain.
L’éthologiste Harry Harlow décrit le comportement de bébés singes rhésus que
l’on a séparés de leur mère dès la naissance et à qui l’on a présenté deux « mères »
artificielles de substitution. L’une est en fil métallique et porte un biberon de lait,
1’autre est recouverte de chiffons doux et pelucheux mais ne porte pas de biberon. Les
bébés singes se réfugient systématiquement contre la « mère » douce et ne vont vers
l’autre que pour s’alimenter, ce qui démontre un besoin de contact physique précoce.
Par ailleurs, le psychanalyste John Bowlby critique la théorie psychanalytique
de l’étayage, selon laquelle le besoin primaire du bébé est alimentaire, celui-ci
s’attachant progressivement à sa mère en raison du plaisir oral que celle-ci lui
procure en le nourrissant. En passant en revue la littérature psychanalytique sur
le sujet, Bowlby constate une contradiction entre les déclarations formelles des
psychanalystes de l’enfant, conformes à la théorie freudienne classique, et le contenu
de leurs observations empiriques. Il conclut de sa recherche que l’attachement n’est
pas l’effet d’un apprentissage, mais répond à un besoin primaire aussi impérieux
que la faim.
Dans les années soixante-dix, Mary Ainsworth, professeur de psychologie à
1’université de Baltimore, complète les travaux de Bowlby. Celui-ci s’était surtout
intéressé au besoin d’amour exprimé par le nourrisson, tandis que M. Ainsworth
va surtout étudier comment la mère répond à ce besoin. Elle constate, par exemple,
l’effet bénéfique d’une réponse rapide aux pleurs du bébé en le prenant dans les
bras1 .
1. Ainsworth M.D., Bell S. M. et Stayton D.J., (1979). « L’attachement de l’enfant à sa mère », in
collectif, La Recherche en éthologie, Paris, Le Seuil.
Fiche 13 • La psychologie du développement de l’enfant
b La découverte du rôle du père
Aujourd’hui, la plupart des travaux sur les relations affectives précoces de l’enfant
font référence à la théorie de l’attachement, mais en y apportant des modifications
plus ou moins importantes. Parmi celles-ci, une révision majeure concerne le fait
que l’attachement ne concerne pas uniquement la mère, mais également d’autres
personnes.
Des chercheurs ont ainsi constaté que le père constitue une « figure d’attachement » importante pour le jeune enfant. Par ailleurs, il est un agent de socialisation,
servant en quelque sorte de « pont » entre l’univers maternel sécurisant et le monde
extérieur moins familier1 . Par exemple, les pères, moins familiarisés que les mères
avec le langage de leurs enfants, les incitent à clarifier leur propos. Autre exemple :
lorsqu’un bébé joue avec une boîte à encastrement, son père refuse deux fois plus
souvent que sa mère de résoudre la tâche à la place de l’enfant qui le lui demande
(71 % de refus contre 35,7 % pour la mère).
Quant aux camarades du jeune enfant (à la crèche, puis à l’école), ils ont également
un rôle important dans le développement affectif de l’enfant.
Cette évolution des travaux sur l’attachement a également dédramatisé certaines
situations que l’on supposait néfastes pour l’enfant, telles que l’absence de la mère
en raison de son activité professionnelle. Une synthèse de la littérature scientifique
sur le sujet montre que l’élément important est la satisfaction des mères au travail :
les effets sont positifs sur l’enfant lorsqu’elles trouvent du plaisir à leur travail ;
négatifs, dans le cas contraire.
2. LE DÉVELOPPEMENT COGNITIF
Le second grand domaine actuel d’étude du bébé concerne son développement
cognitif. Là aussi, un bouleversement radical s’est produit. Il y a une trentaine
d’années, la théorie piagétienne s’imposait avec force dans ce secteur de recherche.
Un postulat majeur de Jean Piaget (1896-1980) était que l’intelligence se développe
par l’action du bébé sur l’environnement, ce qu’il appelait l’intelligence sensorimotrice. La révolution des esprits est venue par la méthodologie. Grâce à de
nouveaux protocoles expérimentaux, les chercheurs n’attendent plus que le bébé
puisse se mouvoir pour repérer ses capacités, mais les mettent en évidence à partir
de ses réactions perceptives. Parmi les capacités précoces mises en évidence, on
peut notamment signaler la mémoire et la permanence de l’objet.
a La mémoire
Carolyn Rovee-Collier, professeur de psychologie à l’université Rutgers (New
Jersey), a mené de nombreuses études sur la mémoire du nourrisson à partir d’une
situation expérimentale simple2 . Un ruban relie une cheville d’un bébé au crochet
d’un mobile. Le nourrisson réalise rapidement que ses mouvements entraînent ceux
1. Le Camus J. (2000). Le Vrai Rôle du père, Paris, Odile Jacob.
2. Rovee-Collier C. (1993). « La Mémoire du nourrisson », in V. Pouthas et F. Jouen, Les
Comportements du bébé : expression de son savoir ? Wavre (Belgique), Mardaga.
68
Fiche 13 • La psychologie du développement de l’enfant
du mobile : la fréquence de ses mouvements double ou triple dans les minutes
qui suivent. On laisse le bébé s’habituer à cette situation, puis on interrompt
l’expérimentation durant vingt-quatre heures. Après cela, on replace le ruban sur
la cheville du bébé. Celui-ci agite immédiatement les pieds autant que la veille,
montrant ainsi qu’il se souvient de l’effet produit par ses mouvements. Dès l’âge de
trois mois, la mémoire des bébés pour ce type de situation peut se maintenir durant
presque une semaine.
b La permanence de l’objet
Diverses expériences faisant uniquement intervenir la perception visuelle du bébé
ont démontré qu’il a conscience de la permanence d’un objet, contrairement à ce
qu’affirmait Piaget. Ce qui signifie que le bébé sait que cet objet existe toujours
après qu’on l’ait caché derrière un écran. D’autres capacités précoces du nouveau-né
ont également été mises en évidence. Elles concernent, par exemple, des calculs
simples ou la discrimination de consonnes (ils peuvent distinguer entre les syllabes
pa et ba dès la naissance).
c Une origine génétique ou environnementale ?
Comment interpréter ces capacités précoces ? Certains auteurs considèrent
qu’elles sont innées. C’est, par exemple, le cas d’Elizabeth Spelke qui estime
que le bébé a une conception innée des propriétés fondamentales des objets, ou de
Jacques Mehler et Emmanuel Dupoux qui affirment que nos aptitudes à connaître
le monde sont déterminées par notre patrimoine génétique1 . Mais cette position ne
fait pas l’unanimité. Ainsi, Jacqueline Bideaud et ses collaborateurs estiment que
« le bébé naît moins humain qu’il ne le devient ». Ils soulignent notamment que
certains comportements présents très tôt chez le bébé disparaissent au cours des
mois suivants et resurgissent plus tard, mais sous une forme plus élaborée.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
3. PIAGET OU VYGOTSKI ?
a Que faire de Piaget ?
Devant l’accumulation de faits contredisant tel ou tel aspect de la théorie
piagétienne, la question se pose de savoir ce qu’il faut en conserver. Certains
auteurs affirment que la notion de stade de développement (concept central chez
Piaget) doit être abandonnée, tandis que des néo-piagétiens proposent des versions
améliorées de la théorie. C’est le cas de Juan Pascual-Leone, dont la théorie des
opérateurs constructifs retient la notion de stades, mais accorde de l’importance
aux processus attentionnels et aux capacités d’apprentissage du bébé.
Roger Lécuyer propose pour sa part une révision radicale2 . Pour lui, c’est la
perception qui est à la source de l’intelligence, contrairement à Piaget qui pensait
que c’était la motricité. Pour Lécuyer, l’intelligence est d’abord perceptive (et
non sensori-motrice comme l’affirmait Piaget) puisque les premiers niveaux de
1. Mehler J. et Dupoux E. (2002). Naître humain, Paris, Odile Jacob.
2. Lécuyer R. (1996). Le Développement cognitif du nourrisson, Paris, Nathan.
69
Fiche 13 • La psychologie du développement de l’enfant
l’intelligence s’exercent directement sur les informations fournies par la perception.
Elle est également sociale puisque les stimuli les plus porteurs d’information pour
un bébé sont les personnes.
b La redécouverte de Vygotski
Une erreur majeure de Piaget a précisément été de négliger les composantes
affectives et sociales du développement cognitif. Ce constat est en grande partie
liée à l’importance nouvelle accordée depuis les années 1990 aux travaux de Lev
Vygotski (1896-1934), en particulier grâce à Jerome Bruner, l’un des « pères
fondateurs » de la psychologie cognitive (fiche 4). Le livre de Vygotski Pensée et
langage, paru l’année de sa mort, est aujourd’hui considéré comme certains auteurs
comme l’un des plus importants ouvrages de psychologie du XXe siècle, après avoir
été longtemps ignoré1 .
Alors que pour Piaget, le développement de l’enfant s’effectue de l’individuel
au social, Vygotski considère au contraire qu’il procède du social vers l’individuel.
Il propose ainsi la notion, essentielle dans sa théorie, de « zone proximale de
développement ».
Cette expression désigne la différence entre la performance obtenue par un
enfant lorsqu’il effectue seul une tâche intellectuelle et la performance qu’il réalise
lorsqu’il est aidé par un adulte. La zone proximale (ou prochaine) de développement
constitue, selon Vygotski, « l’élément le plus déterminant pour l’apprentissage et
le développement ». Car « ce que l’enfant sait faire aujourd’hui en collaboration, il
saura le faire tout seul demain ».
La thèse selon laquelle le développement de l’intelligence trouve son origine dans
les relations interpersonnelles a donné lieu à de multiples recherches, notamment
sur le thème du conflit socio-cognitif. Des enfants confrontés à plusieurs à un
problème améliorent leurs capacités cognitives si la situation les amène à formuler
des réponses divergentes. Ce conflit socio-cognitif conduit les enfants à modifier
leur point de vue s’il est erroné. Des recherches sur l’apprentissage coopératif ont
tiré profit de constat (fiche 14).
4. BIBLIOGRAPHIE
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5. SITE INTERNET
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71
14
La psychologie
de l’éducation
Enseigner renvoie nécessairement à une certaine vision de l’être humain. C’est la
raison pour laquelle les diverses approches théoriques en psychologie de l’éducation
s’appuient généralement sur des théories psychologiques plus générales. C’est ainsi
que les théories de l’apprentissage et de l’éducation peuvent être réparties en trois
grandes catégories, selon que l’on considère que les éléments déterminants résident
plutôt :
• dans l’individu lui-même (capacités intellectuelles, motivation, etc.) ;
• dans l’environnement (enseignant, milieu familial, méthode pédagogique, etc.) ;
• dans l’interaction entre ces deux types de facteurs.
Le lecteur trouvera dans la première partie et la troisième partie de cet ouvrage les
connaissances théoriques et empiriques servant de fondement aux deux premières
approches. Je présenterai ci-dessous des travaux menés dans une perspective
interactionniste, dans lequel l’environnement social facilite une transformation des
modes de pensée de l’élève. Des travaux ont ainsi été menés sur l’influence de :
• la famille ;
• l’enseignant ;
• les autres élèves.
1. LE RÔLE DE L’ÉDUCATION FAMILIALE
Les parents qui facilitent au mieux un développement harmonieux de leur enfant
sont ceux qui parviennent à associer une relation affectueuse et la présence de règles
de conduite, en d’autres termes le Lien et la Loi symbolique1 .
Dès la fin des années soixante, Diana Baumrind établissait une typologie des
styles d’éducation, essentiellement à partir de deux attitudes : la chaleur et le
contrôle, ce qui l’a conduite à distinguer trois styles d’éducation :
• éducation autoritaire : peu de chaleur et fort contrôle ;
• éducation permissive : beaucoup de chaleur et peu de contrôle ;
1. Lecomte J. (2007). Donner un sens à sa vie, chap. 3 : « Transmettre aux générations futures »,
Paris, Odile Jacob.
Fiche 14 • La psychologie de l’éducation
• éducation autoritative : beaucoup de chaleur et fort contrôle1 .
Les enfants de ces trois catégories de parents ont tendance à percevoir le monde
différemment les uns des autres.
L’enfant de parents autoritaires est anxieux et en retrait. Il réussit bien à l’école et
devient rarement délinquant ou consommateur de drogues ou d’alcool. Cependant,
il apprend très jeune qu’il peut être puni quoi qu’il fasse, commence à penser que
le monde est un lieu hostile et injuste sur lequel il n’a aucun contrôle et a donc du
mal à s’adapter au monde adulte.
L’enfant de parents permissifs apprend très tôt qu’il sera récompensé, quoi qu’il
fasse, et estime donc ne pas avoir véritablement de contrôle sur son environnement
et intègre difficilement les concepts de bien et de mal. Il se rebelle lorsque ses désirs
sont contestés et manifeste peu de persévérance dans les tâches difficiles.
L’enfant de parents autoritatifs fait généralement preuve d’une humeur heureuse
et vivante. Il a confiance en son aptitude à réaliser les tâches qu’il entreprend,
est sociable et régule bien ses émotions. Ayant constaté que le comportement de
l’adulte à son égard dépend partiellement de son propre comportement, il en arrive
à considérer ses actions comme la cause des bonnes et des mauvaises choses qui lui
arrivent.
En France, Jacques Lautrey a étudié l’impact du comportemental parental sur le
développement cognitif des enfants, indépendamment du niveau socio-économique
des parents2 . Les enfants élevés dans un environnement familial souplement structuré
(dans lequel existent des règles modulées par les circonstances) parviennent à un
meilleur développement cognitif que ceux grandissant dans un milieu rigidement
structuré ou faiblement structuré. Plus récemment, Jean-Pierre Pourtois et Huguette
Desmet ont mis en relief que l’enfant, pour développer son autonomie, a non
seulement besoin de communication et de considération, mais aussi de structures.
Ils ont eux aussi constaté qu’une attitude faite d’acceptation et d’estime d’une part,
d’une certaine directivité (sans excès) d’autre part, est propice à une trajectoire
scolaire de qualité3 .
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
2. LA RELATION ENSEIGNANT-ÉLÈVE
a L’effet Pygmalion
Divers processus d’interaction entre le maître et ses élèves ont été mis en évidence,
dont le plus impressionnant est l’effet Pygmalion4 . Au cours d’une expérience,
un psychologue signale à des instituteurs que certains élèves sont à la veille de
1. Baumrind D. (1966). « Effects of authoritative parental control on child behavior », Child
Development, 37(4), 887-907. Baumrind D. (1968). « Authoritarian vs. authoritative parental control »,
Adolescence, 3(11), 255-272.
2. Lautrey J. (1980). Classe sociale, milieu familial, intelligence, Paris, PUF.
3. Pourtois J.P. et Desmet H. (1993). Prédire, comprendre la trajectoire scolaire, PUF, 1993. Pourtois
J.-P. et Desmet H. (1997). L’Éducation post-moderne, Paris, PUF, p. 163-174.
4. Rosenthal R.-A. (1971). Pygmalion à l’école, Tournai, Casterman.
73
Fiche 14 • La psychologie de l’éducation
progrès rapides, pronostic établi sur la base d’un nouveau test psychologique. De
fait, on constate huit mois plus tard une réelle amélioration scolaire et une nette
augmentation du QI de ces enfants, comparativement à leurs camarades. Or le test
en question était inexistant et la liste des élèves présentée avait été réalisée par
tirage au sort ! Selon Robert Rosenthal, l’auteur de l’étude, les maîtres ont traité
leurs élèves de manière plus agréable, plus amicale et plus enthousiaste lorsqu’ils
s’attendaient à un résultat meilleur. On peut facilement imaginer que ces derniers,
encouragés par l’attention dont ils ont fait l’objet, ont alors plus cru en eux et
travaillé.
Cette étude, qui a mis en évidence l’influence du préjugé de l’enseignant sur ses
élèves, a été reproduite à diverses reprises pour confirmer ou infirmer ses résultats.
La conclusion générale est que les effets positifs ont lieu surtout sur les élèves
initialement faibles (ce qui est logique puisque ce sont eux qui ont la marge de
progression la plus importante). Par ailleurs, l’effet est moins important lorsque
l’enseignant connaît déjà bien ses élèves.
b L’importance de l’empathie
Carl Rogers, l’un des grands noms de la psychologie humaniste (fiche 3), a
beaucoup insisté sur la nécessité que l’enseignant établisse une relation de personne
à personne avec l’élève1 . Selon lui, si l’enseignement se résume à transmettre
des connaissances ou une technique, il est plus efficace d’utiliser un livre ou un
enseignement programmé. Aussi, affirme-t-il, le rôle de l’enseignant est surtout de
faciliter le développement des capacités d’apprentissage autodéterminé du sujet,
et pour cela trois principales qualités d’attitude sont nécessaires : l’authenticité ;
la considération pour l’élève, pour ses sentiments et ses opinions ; l’empathie, en
essayant de comprendre de l’intérieur les réactions de l’élève.
Deux chercheurs ont constaté que les enseignants qui manifestent le plus ces
trois qualités humaines (l’authenticité, la considération et l’empathie) permettent
à l’ensemble de leurs élèves de progresser sensiblement au cours d’une année
scolaire2 . Mais ils sont allés plus loin, en mettant au point un programme destiné
à améliorer le niveau des enseignants sur ces trois qualités. Ceci a notamment
abouti aux résultats suivants au sein d’une école située dans un environnement
socio-économique très faible. Après la formation, il n’y avait pratiquement pas de
changement de comportement chez les enseignants n’ayant pas suivi le programme,
tandis que ceux ayant suivi le programme présentaient une sensible augmentation
du nombre et de la qualité des relations, avec les effets suivants :
• en moyenne, les élèves de 7 à 10 ans de cette école ont fait plus de progrès en
mathématiques que tous les élèves de la zone scolaire ; les résultats en lecture
ont également été sensiblement améliorés, comparativement aux autres écoles ;
1. Rogers C. (2007). Liberté pour apprendre ?, Paris, Dunod.
2. Aspy D. et Roebuck F. (1990). On n’apprend pas d’un prof qu’on n’aime pas. Résultats de
recherches sur l’éducation humaniste, Montréal, Actualisation.
74
Fiche 14 • La psychologie de l’éducation
• l’école a eu le taux d’absentéisme le plus bas de son histoire (8,8 %) en
quarante-cinq ans d’existence ;
• le nombre de bagarres entre élèves et le vandalisme ont diminué de façon
significative ;
• le pourcentage de démission chez les enseignants est passé de 80 % à 0 % ; des
enseignants d’autres écoles ont commencé à demander à être mutés dans cette
école.
Les auteurs en concluent que le meilleur moyen pour les enseignants d’aider
vraiment leurs élèves à apprendre et à mieux respecter la discipline consiste à suivre
un programme de formation qui leur enseigne systématiquement à employer des
modes d’interaction et de communication efficaces.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
3. COOPÉRER AVEC LES AUTRES ÉLÈVES
L’apprentissage coopératif est une stratégie d’enseignement qui consiste à faire
travailler des élèves ensemble au sein de groupes1 .
Dans un groupe d’apprentissage coopératif, les efforts de chacun étant nécessaires
pour le succès du groupe, chaque élève doit être bien conscient de son rôle au sein du
groupe et personne ne peut faire « cavalier seul » ; inversement, le groupe doit savoir
qui a besoin de plus d’aide, de soutien et d’encouragement pour réaliser la tâche
attendue ; les membres s’encouragent et s’aident réciproquement à apprendre, louent
les efforts et les succès des uns et des autres ; les élèves doivent apprendre à bien se
connaître et à se faire confiance, à résoudre les conflits de manière constructive, à
prendre des décisions ensemble ; ils doivent régulièrement réfléchir ensemble sur
leur façon de fonctionner et sur les manières d’améliorer ce fonctionnement.
Le rôle de l’enseignant(e) s’en trouve nécessairement modifié. Une part de son
travail consiste toujours à fournir un enseignement magistral (les élèves écoutent et
prennent des notes), mais il fait également travailler les élèves ensemble. Son rôle
consiste alors à observer et à faciliter les interactions et non plus à être le spécialiste
omniscient.
De nombreuses études ont constaté les meilleurs résultats obtenus par l’apprentissage coopératif que par l’apprentissage traditionnel sur différents aspects de la
vie en classe2 :
• sur le plan personnel : augmentation de l’estime de soi. Les interactions conduisent
les élèves à se considérer compétents ;
• sur les plans cognitif et scolaire : amélioration de la motivation à apprendre, de la
complexité du raisonnement et des résultats scolaires, émergence plus fréquente
de nouvelles idées et solutions, meilleur transfert de ce qui est appris depuis une
1. Johnson D.W. et Johnson R. T. (1999). Learning Together and Alone : Cooperative, Competitive,
and Individualistic Learning, Boston, Allyn et Bacon.
2. Johnson R. T. et Johnson D. W. (s. d.). An Overview of Cooperative Learning, document disponible
sur Internet.
75
Fiche 14 • La psychologie de l’éducation
situation vers une autre, que ne le fait l’apprentissage compétitif ou individualiste,
Les élèves apprécient également plus l’enseignant et le perçoivent comme plus
compréhensif et aidant ;
• sur le plan relationnel et social : baisse du racisme et du sexisme, des incivilités et
de la délinquance, du harcèlement et de la violence, ainsi que de la toxicomanie,
meilleure intégration des élèves handicapés, augmentation des comportements
altruistes
4. BIBLIOGRAPHIE
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Association française des psychologues de l’éducation nationale
www.afps.info
Association des conseillers d’orientation psychologues de France
www.acop.asso.fr
76
La psychologie
de la communication
15
La communication est au cœur de l’existence humaine. Nos plus grandes
satisfactions — mais aussi nos plus grosses difficultés — sont généralement liées à
nos relations avec les autres. Selon Edmond-Marc Lipiansky, il y a quatre enjeux
majeurs dans la communication1 :
• les enjeux identitaires (désir de produire une certaine image de soi et de la faire
confirmer par autrui) ;
• les enjeux territoriaux (désir que son « territoire personnel » soit respecté par
autrui) ;
• les enjeux relationnels (liés aux risques psychosociaux générés par le contact
avec autrui) ;
• les enjeux conatifs (désir d’influencer autrui, essentiellement par le biais du
pouvoir ou de la séduction).
Cette fiche présente trois grandes approches de la communication :
• l’approche systémique ;
• l’analyse transactionnelle ;
• la communication non verbale.
1. L’APPROCHE SYSTÉMIQUE
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
L’approche systémique en psychologie postule que les groupes humains (familles,
relations professionnelles, etc.) fonctionnent comme des systèmes. Elle se démarque
donc très clairement des diverses approches psychologiques individuelles.
a Quelques grands principes
Après la Seconde Guerre mondiale, des psychologues, inspirés par les recherches
en cybernétique effectuées par le mathématicien Norbert Wiener et par la théorie
générale des systèmes2 , créent la psychologie systémique. Paul Watzlawick (19212007), l’un des représentants les plus connus de ce que l’on appelle « l’école de Palo
Alto », groupe de chercheurs à l’origine de la psychologie systémique, a systématisé
les principes de la « logique de la communication3 » :
1. Lipiansky E.-M. (1998). « Pour une psychologie de la communication », in P. Cabin (dir.) La
Communication, État des savoirs, Auxerre, Éd. Sciences Humaines, p. 55-63.
2. Von Bertalanffy L. (2002). Théorie générale des systèmes, Paris, Dunod.
3. Watzlawick P. et al. (1972). Une logique de la communication, Paris, Le Seuil.
Fiche 15 • La psychologie de la communication
• l’interaction entre les divers éléments du système : toute modification d’un des
éléments entraîne nécessairement une modification des autres ;
• les causalités circulaires ; A peut entraîner B, qui peut entraîner C, qui peut
entraîner A ;
• l’impossibilité de ne pas communiquer : même l’acte explicite de ne pas
communiquer est une communication ;
• la ponctuation de la séquence des faits : beaucoup de conflits entre êtres humains
proviennent du fait que chacun raisonne en termes de causalité linéaire. Par
exemple, les deux partenaires d’un couple peuvent se livrer à ce monologue :
« Je me replie parce que tu te montres hargneuse » « Non, je suis hargneuse parce
que tu te replies » ;
• la distinction entre communications analogique et digitale : la première est
explicite et formelle, la seconde est non verbale et s’exprime sous forme de gestes,
d’inflexions de la voix, etc. Chacune possède sa richesse et ses limites ;
• la distinction entre interactions symétrique et complémentaire : la première est
fondée sur l’égalité, les partenaires adoptant un comportement en miroir l’un de
l’autre, la seconde est fondée sur la différence de statut (ce qui ne signifie pas
nécessairement domination, par exemple dans la relation médecin-malade) ;
• l’importance de la métacommunication (communication sur la communication)
qui est une condition indispensable d’une bonne communication,
b La psychopathologie et la thérapie selon l’approche systémique
Cette approche psychologique a bouleversé les conceptions traditionnelles sur
la psychopathologie. Pour les psychologues systémiciens, ce n’est pas tel individu
qui est malade, c’est le système ; l’individu n’est que le symptôme d’un système
caractérisé par des communications dysfonctionnelles. Plus encore, les troubles du
patient ont souvent un rôle protecteur pour les autres membres du système. Les
faire disparaître sans modifier le système ne ferait que déplacer le problème sur une
autre personne. Watzlawick cite divers cas pour illustrer son propos, dont celui de
Dave, 21 ans, diagnostiqué schizophrène depuis un an, qui déclare : « Oh, ça veut
dire seulement que je suis le malade de la famille, et ça donne à tout le monde la...
l’occasion de faire sa B.A. en remontant le moral de Dave, que le moral de Dave
soit bas ou non1 . »
De multiples écoles de thérapie familiale ont vu le jour au cours des trois
dernières décennies. Une synthèse de recherches évaluatives a conclu à l’efficacité
thérapeutique de cette approche2 .
1. Idem, p. 88.
2. Sexton T. et Alexander J. (2002). « Family-based empirically supported interventions », The
Counseling Psychologist, 30 (2), 238-261.
78
Fiche 15 • La psychologie de la communication
P
Parent
nourricier
A
E
Parent
critique
Adulte
Enfant
libre
Enfant Enfant
adapté rebelle
Figure 15.1. Les trois états du moi selon l’analyse transactionnelle.
2. L’ANALYSE TRANSACTIONNELLE
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Éric Berne (1910-1970) s’est surtout intéressé aux relations entre deux personnes.
Influencé initialement par la psychanalyse, il s’en est progressivement éloigné,
mettant au point sa propre conception qui est à la fois une théorie de la personnalité,
une théorie de la communication et une psychothérapie1 .
a Les trois facettes de notre personnalité
Selon Berne, la personnalité humaine comprend trois facettes, qu’il qualifie
d’états du moi :
• l’état du moi Parent se manifeste, soit en consolant autrui, en le rassurant, en
lui prodiguant de la tendresse (Parent nourricier), soit en faisant la morale et en
réprimandant (Parent critique) ;
1. Berne E. (2001). Analyse transactionnelle et psychothérapie, Paris, Payot. Berne E. (1999). Que
dites-vous après avoir dit bonjour ?, Paris, Tchou. Berne E. (1984). Des jeux et des hommes, Paris,
Stock.
79
Fiche 15 • La psychologie de la communication
• l’état du moi Adulte est caractérisé par le raisonnement logique et s’efforce de
traiter efficacement avec le monde extérieur. Par ailleurs, il assure un rôle de
médiateur entre le Parent et l’Enfant ;
• l’état du moi Enfant se manifeste sous trois formes (figure 15.1) :
– l’Enfant naturel (ou libre) représente l’expression spontanée de la personnalité.
Il exprime ses émotions et désirs tels qu’il les ressent. C’est de lui qu’émergent
la créativité, l’humour et la sexualité ;
– l’Enfant adapté modifie son comportement sous l’influence parentale. C’est la
facette de la personnalité qui se plie aux règles sociales ;
– L’Enfant rebelle résiste à l’autorité.
b Une analyse des communications interpersonnelles
Toute communication entre l’état du moi d’une personne et l’état du moi d’une
autre est appelée transaction, d’où l’appellation « analyse transactionnelle ». Il
existe deux types de transactions :
• les transactions parallèles (ou complémentaires) permettent la poursuite de la
communication. Il s’agit généralement de transactions « Parent-Enfant » (par
exemple les relations hiérarchiques), Enfant-Enfant (jeu, plaisanteries, etc.),
Adulte-Adulte (résolution d’un problème à deux, etc.), Parent-Parent (critique
d’autrui, etc.) ;
• les transactions croisées ont lieu lorsque les trajectoires des flèches se coupent.
Elles entraînent généralement une coupure de la communication.
Il existe également des « transactions cachées » qui, sous l’apparence de
transactions Adulte-Adulte, ont une structure bien différente. Elles sont à l’origine
de « jeux », terme utilisé comme dans la remarque : « À quoi tu joues, là ? » Par
exemple dans le jeu « Pourquoi est-ce que vous ne... ? — Oui, mais... », une personne
se plaint de ses difficultés à une autre. Celle-ci lui fournit divers conseils sur le
mode : « Pourquoi ne ferais-tu pas cela ? » La première répond systématiquement :
« Oui, mais... » Il y a « jeu » en ce sens que derrière la transaction apparente
Adulte-Adulte s’en cache une autre de type Enfant-Parent.
L’analyse transactionnelle est utilisée en psychothérapie, le rôle du thérapeute
étant d’aider le patient à repérer son mode de fonctionnement et celui de ses proches
(particulièrement au sein du couple), afin de déconstruire les jeux et d’entretenir des
relations plus satisfaisantes de part et d’autre. Elle est également utilisée comme
outil d’analyse des relations au sein des organisations.
3. LA COMMUNICATION NON VERBALE
La communication ne passe pas seulement par la parole. Gestes, sourires, regards
et intonations de voix jouent également un rôle essentiel. Ils ont de multiples
fonctions : maintien du contact, expression de son statut propre et reconnaissance
du statut d’autrui, invitation au jeu, au travail, menace, soumission, apaisement,
etc. Ces manières d’être peuvent confirmer la parole, mais il arrive aussi qu’ils la
80
Fiche 15 • La psychologie de la communication
contredisent. C’est le cas par exemple, lorsqu’un homme répond à son épouse, sur
un ton las et désabusé : « Mais oui, bien sûr, tu sais bien que je t’aime ! »
De multiples travaux ont été effectués dans ce domaine. Parmi eux, citons les
recherches d’Hubert Montagner sur les comportements des jeunes enfants et ceux
d’Edward T. Hall sur l’usage de l’espace.
a Le langage des gestes chez les tout-petits
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La communication non verbale est particulièrement importante chez les tout
jeunes enfants, car ils maîtrisent peu le langage. Hubert Montagner et son équipe
ont mis en évidence une véritable grammaire des comportements dans les crèches1 .
Ainsi, les comportements d’offrande constituent un moyen fréquemment utilisé,
et particulièrement efficace, pour établir ou rétablir le contact avec les autres. Les
enfants qui manifestent le plus souvent ce type de comportement sont généralement
considérés comme les plus agréables. Si un enfant répond à un acte d’agression
par une offrande, cela stoppe l’agression dans les deux tiers des cas ; par ailleurs,
l’enfant qui pleure et qui reçoit une offrande s’apaise souvent immédiatement. Les
comportements d’offrande débouchent généralement sur des imitations réciproques
ou sur des activités de coopération.
Parallèlement, un enfant qui pose sa tête sur l’épaule d’un autre reçoit
systématiquement, en réponse immédiate, un sourire, une offrande ou des paroles.
Un enfant qui penche la tête et le buste sur le côté entraîne chez le partenaire, non
seulement une réaction d’apaisement, mais également une offrande de sa part dans
plus de la moitié des cas. Inversement, lorsqu’un enfant avance brusquement la
main pour saisir un objet, il essuie un refus, voire une menace, dans 85 % des cas.
b Le « territoire personnel » chez les adultes
Les adultes disposent également d’une grammaire non verbale, notamment dans
leur manière de « gérer » l’espace. Edward T. Hall qualifie de proxémie « l’ensemble
des observations et théories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant
que produit culturel spécifique2 ». De fait, nous obéissons sans trop nous en rendre
compte à un ensemble de règles implicites relatives à la distance interpersonnelle,
qui varient selon les cultures. Un habitant du pourtour méditerranéen accepte des
relations nettement plus proches qu’une personne des pays nordiques. Hall divise
la distance relationnelle en quatre catégories, elles-mêmes subdivisées en deux
modes, proche et lointain. Les données qui suivent concernent les Américains (assez
proches en cela des Français) :
• distance intime (0-40 cm) : la pratique de la distance intime en public n’est pas
admise, sauf circonstances spécifiques (affluence dans les transports en commun).
Si un « étranger » se trouve dans cette sphère intime, cela entraîne habituellement
une gêne physique. Sous sa forme proche (entre 15 et 40 cm), c’est la distance
de l’acte sexuel ou inversement de la lutte ;
1. Montagner H. (1978). L’Enfant et la communication, Paris, Stock.
2. Hall E.T. (1971). La Dimension cachée, Paris, Le Seuil, p. 13.
81
Fiche 15 • La psychologie de la communication
• distance personnelle (45 cm – 1,25 m) : cette distance permet d’établir une sorte
de bulle protectrice destinée à nous isoler des autres. Elle constitue la limite de
l’emprise physique sur autrui ;
• distance sociale (1,20 – 3,60 m) : sous sa forme proche (entre 1,20 m et 2,10 m),
c’est la distance des négociations interpersonnelles et du travail en commun. Sous
sa forme éloignée, elle permet de travailler sans impolitesse en présence d’autrui,
et sans ressentir l’obligation d’engager la conversation ;
• distance publique (à partir de 3,6 m) : plus l’on s’éloigne, plus les détails
des expressions du visage s’estompent aux yeux d’autrui, et l’essentiel de la
communication non verbale est alors assurée par les gestes et postures.
Il ne s’agit là que de quelques aperçus des connaissances produites par la
psychologie de la communication. Cette discipline est en permanente évolution et
de nouvelles théories et découvertes empiriques continuent à voir le jour.
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82
La psychologie
économique
16
La psychologie économique s’est intéressée à divers domaines tels que les conduites
d’épargne, les conséquences psychologiques du chômage, l’impact du marketing
ou encore les motivations d’achat. Mais au cours des dernières décennies, elle
s’est surtout fait remarquer par la remise en question radicale qu’elle a provoquée
de la vision « standard » de l’économie. Ceci a été couronné par le prix Nobel
d’économie 2002, attribué non seulement à un économiste (Vernon Smith), mais
également à un psychologue (Daniel Kahneman). Tous deux, ainsi que d’autres
chercheurs, mènent depuis de longues années des travaux expérimentaux qui ont
fortement ébranlé les convictions des économistes.
Pour bien comprendre cette évolution, il faut tout d’abord partir de l’homo
œconomicus, représentation théorique de l’être humain et fondement de la théorie
économique. Deux attitudes essentielles le caractérisent : d’une part, il est rationnel
et donc apte à analyser avec justesse les données qu’il reçoit ; d’autre part, il est
égoïste, mû essentiellement par son intérêt personnel. Double postulat aujourd’hui
contesté.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1. L’ÊTRE HUMAIN NE FAIT PAS DES CHOIX RATIONNELS
Deux prix Nobel d’économie, Maurice Allais, puis surtout Herbert Simon (prix
Nobel en 1978) avaient déjà ébranlé l’édifice. En particulier, Simon a montré que
les individus optent généralement pour des choix satisfaisants plutôt que des choix
optimaux, ce qu’il a qualifié de rationalité limitée.
Mais ce sont surtout Daniel Kahneman et Amos Tversky (décédé en 1996)
qui ont établi des liens entre économie et psychologie cognitive. Au travers de
multiples études expérimentales, ils ont mis en évidence que les décisions des
acteurs économiques, loin d’être rationnelles, sont souvent sous-tendues par des
erreurs de jugement et d’interprétation, ce que ces auteurs appellent des heuristiques.
Ces deux auteurs ont proposé en 1979 la théorie des perspectives (prospect theory),
dont un des aspects majeurs est que lorsqu’un individu se trouve dans une situation
incertaine, il accorde plus d’importance, dans son calcul, aux pertes possibles
qu’aux gains envisageables1 . Les heuristiques permettent aux individus de prendre
rapidement des décisions, mais ne constituent en rien des raisonnements logiques
pertinents, contrairement à ce que prétend la théorie économique classique.
1. Kahneman D. et Tversky A. (1979). « Prospect theory : An analysis of decision under risk »,
Econometrica, 47 (2), 263-291.
Fiche 16 • La psychologie économique
Une étude de terrain a d’ailleurs montré que les échanges réalisés par des traders
au sein du London Stock Exchange ressemblent plus à des choix aléatoires qu’à
des décisions strictement rationnelles1 .
2. L’ÊTRE HUMAIN EST MOINS ÉGOÏSTE QU’ON NE LE PENSE
SOUVENT
De multiples résultats d’études ont remis en question le second postulat majeur
de la théorie économique classique selon lequel les individus sont égoïstes et
essentiellement motivés par leur intérêt personnel. Ces expériences utilisent ce que
l’on appelle des « jeux », c’est-à-dire des situations dans lesquelles le comportement
de chaque participant est en interaction avec celui d’une autre personne. Elles sont à
chaque fois représentatives d’un « dilemme social », c‘est-à-dire d’un conflit entre
l’intérêt individuel et l’intérêt d’autrui, voire l’intérêt collectif.
Prenons par exemple « le jeu de l’ultimatum ». Au cours de cet exercice, les
sujets doivent se répartir une certaine somme d’argent. Ils sont informés de ce
montant, ils ne se connaissent pas et ne communiquent pas entre eux. Le joueur
1 doit faire une offre au joueur 2. Si celui-ci accepte, il reçoit le montant offert
et le joueur 1 garde la différence. S’il refuse, ils ne reçoivent rien. Il s’agit donc
d’une situation de type « à prendre ou à laisser », ce qui explique l’appellation
« ultimatum ». La théorie économique classique prévoit que le joueur 1 va faire
une offre très peu généreuse, et que le joueur 2 acceptera n’importe quelle offre,
puisqu’après tout, cela est préférable à ne rien avoir du tout. Or ce n’est pas du tout
ce qui se passe. Le joueur 1 offre généralement 40 %-50 % de l’argent disponible
à l’autre personne. Quant au joueur 2, s’il est confronté à une offre basse (moins
de 25 % de l’argent disponible), il la rejette la plupart du temps. Le motif qu’il
invoque alors est, comme on peut le deviner, qu’il considère que la proposition faite
est injuste. Une des études, menées en Indonésie, a montré que ces réactions ont
lieu même lorsque la somme mise en jeu correspond à trois mois de salaire2 .
Des chercheurs ont également étudié l’impact de sanctions. Ces études montrent
que, quelle que soit la somme accordée par le joueur 1, la somme retournée par le
joueur 2 est environ deux fois plus élevée lorsque l’individu 1 choisit explicitement
de ne pas faire usage de sanctions à son égard que lorsqu’il décide de sanctionner.
Par ailleurs, lorsque les jeux sont répétés à plusieurs reprises avec les mêmes
personnes, le degré de coopération augmente au fil du temps. Cela permet en
quelque sorte au joueur 1 (celui qui accorde l’argent) de se construire une réputation
aux yeux de l’autre et de s’y conformer, même s’ils ne font pas connaissance.
Signalons enfin une nouvelle réjouissante pour les individus portés à l’altruisme.
Lorsque les joueurs coopèrent, cela active une zone de leur cerveau appelée striatum,
qui est associée au sentiment de satisfaction et de récompense.
1. Farmer J.D., Patelli P. et Zovko I. (2005). « The predictive power of zero intelligence, in financial
markets », Proceedings of the national academy of sciences, 10 (6), 2254-2259.
2. Cameron L.A. (1999). « Raising the Stakes in the Ultimatum Game : Experimental Evidence from
Indonesia », Economic Enquiry, 37, 47-59.
84
Fiche 16 • La psychologie économique
3. UNE RATIONALITÉ ALTRUISTE
Ces comportements ont fait dire à certains que la théorie économique se trompe
au sujet de la nature humaine1 . En revanche, ils sont parfaitement explicables et
rationnels si l’on remplace la conception économique traditionnelle par une autre
vision de l’être humain selon laquelle celui-ci fonde son comportement à la fois sur
l’intérêt personnel et sur l’intérêt d’autrui.
Dans cette nouvelle orientation, deux types d’explication ont été fournis de ce
comportement :
• l’aversion pour l’inégalité : l’individu n’apprécie pas d’avoir moins que les autres,
mais pas non plus que les autres aient moins que lui ;
• La prévision des intentions d’autrui : l’individu souhaite que le partenaire qui
lui semble bien intentionné retire un gain élevé, et inversement que le partenaire
qu’il perçoit comme malintentionné n’obtienne qu’un faible gain.
Les recherches menées jusqu’à présent montrent que les deux « stratégies »
peuvent être présentes, mais que c’est plutôt la prévision des intentions d’autrui qui
domine. À noter à ce sujet qu’il peut y avoir une « spirale vertueuse ». Si chacun
anticipe de bonnes intentions chez l’autre, les sujets vont coopérer, ce qui leur
démontrera qu’ils avaient raison de considérer leur partenaire comme digne de
confiance.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4. BIBLIOGRAPHIE
ARIELY D. (2008). C’est (vraiment) moi qui
décide ? Paris, Flammarion.
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Numéro 2883, sur les « Nouveaux regards sur
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disponible sur Internet.
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1. Vaillancourt Rosemau P. (2006). « Is economic theory wrong about human nature ? », Journal of
Economic and Social Policy, 10 (2), 61-78.
85
17
La psychologie légale
Les psychologues ont fortement investi l’univers judiciaire, que ce soit en tant que
chercheurs (démontrant notamment les limites de crédibilité que l’on peut accorder
aux aveux ou aux témoignages visuels) ou en tant qu’experts chargés de fournir des
éléments de connaissance et de compréhension pour que les juges puissent prendre
la décision la plus pertinente possible.
1. QUAND DES INNOCENTS AVOUENT UN CRIME
L’aveu d’un crime constitue un élément à charge particulièrement lourd et
convaincant, mais est parfois exprimé par un individu innocent. Il existe aujourd’hui
de nombreux cas de personnes condamnées en grande partie sur la base de leurs
aveux, et dont l’innocence a ensuite été démontrée (ADN différent, vrai coupable
découvert, impossibilité matérielle d’être coupable, etc.). En France, l’un des cas
les plus connus est celui de Patrick Dils qui a passé quinze ans en prison (entre 16
et 31 ans) pour avoir avoué le meurtre de deux enfants, sous pression de la police
et sans preuve matérielle de sa culpabilité. Condamné à perpétuité, il a enfin été
reconnu innocent lors d’un troisième procès1 .
Selon Saul Kassin et Gisli Gudjonsson, on peut répartir les causes de faux aveux
en trois grandes catégories, selon le processus psychologique en jeu2 :
• faux aveux volontaires : certains innocents avouent sans pression de la police,
pour diverses raisons : un désir pathologique de notoriété (surtout à l’occasion
de crimes fortement médiatisés), un besoin conscient ou inconscient de se
punir soi-même pour expier des sentiments de culpabilité relatifs à d’autres
transgressions, la maladie mentale, la volonté de protéger le véritable criminel ;
• faux aveux par obéissance suite à contrainte : suite à un interrogatoire policier, la
personne avoue afin d’éviter une menace explicite ou implicite ou pour obtenir
une récompense promise ou implicite ;
• faux aveux par internalisation suite à contrainte : des personnes vulnérables
finissent par croire qu’elles ont commis un crime, à la suite d’un interrogatoire
particulièrement suggestif.
1. Dils P. (2003). Je voulais juste rentrer chez moi, Paris, J’ai lu.
2. Kassin S.M. et Gudjonsonn G.H. (2004). « The psychology of confessions », Psychological Science
in the Public Interest, 5 (2), 33-67.
Fiche 17 • La psychologie légale
2. UNE JUSTICE EN « TROMPE-L’ŒIL »
De très nombreuses recherches de psychologie portent sur le niveau de fiabilité
des témoignages visuels. Dans certaines de ces études, un comédien simule une
agression dans un espace public, puis on interroge les témoins ; dans d’autres, des
individus se rendent dans un laboratoire de psychologie où ils voient un film ou
des photographies d’un délit. Ces personnes sont ensuite placées devant une série
de photos ou une rangée de personnes parmi lesquelles est censé se trouver le
suspect. Résultat : les fausses identifications s’échelonnent entre 12 % et 93 % !
Dans l’étude qui a réuni 93 % de fausses identifications, les chercheurs avaient
présenté aux témoins les deux complices d’un vol simulé. Parmi les cinq photos
soumises ensuite aux témoins, une seule contenait l’un des deux coupables. Les
sujets le reconnurent dans 97 % des cas, mais identifièrent un innocent comme
deuxième agresseur dans 93 % des cas1 .
Une des affaires qui a plus défrayé la chronique en France concerne Christian
Ranucci, guillotiné après avoir été condamné à mort pour le meurtre d’une fillette.
L’accusation a reposé en grande partie sur la conviction d’un couple de témoins.
Gilles Perrault, dans son ouvrage Le Pull-over rouge2 , consacré à cette affaire,
souligne qu’au cours d’une séance d’identification, ceux-ci n’avaient pas reconnu
Ranucci parmi les cinq hommes présents. C’est dans le bureau du commissaire,
lorsqu’il leur fut amené seul, une situation particulièrement propice à l’erreur, qu’ils
l’identifièrent.
Un aspect particulièrement remarquable de ces recherches est que des témoins
peuvent être très convaincus de l’exactitude de leur témoignage, fournir beaucoup
de détails sur ce qu’ils ont vu, alors même qu’ils se trompent. Or d’autres études ont
montré que plus un témoin est sûr de lui, plus il est convaincant auprès des jurés,
même si son témoignage est peu cohérent. Diverses méthodes ont été proposées par
les chercheurs pour réduire le risque de fausses identifications. L’une d’elles est la
« présentation séquentielle » : les photographies sont soumises au témoin, non pas
simultanément, comme c’est la coutume, mais successivement, sans que celui-ci
connaisse le nombre total de photos.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
3. DES PSYS AU TRIBUNAL
Deux types de missions peuvent être confiés à des experts « psys »3 :
• les expertises psychiatriques : elles concernent l’état mental du prévenu et
visent en particulier à déterminer si, au moment de l’acte commis, cette
personne disposait de facultés mentales suffisantes pour pouvoir en être déclarée
responsable. En effet, l’article 122-1 du Nouveau Code pénal (1999) affirme que
1. Egan D., Pittner M., et Goldstein A. G., (1977). « Eyewitness identification : Photographs vs. live
models », Law and Human Behavior, 1, 199-206.
2. Perrault G. (1978). Le Pull-over rouge, Paris, Ramsay.
3. Bordel S., Vernier C., Dumas E., Guingouin G. et Somat A. (2004). « L’expertise psychologique,
élément de preuve du jugement judiciaire ? », Psychologie française, 49, 389-408.
87
Fiche 17 • La psychologie légale
« n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des
faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou
le contrôle de ses actes » ;
• les expertises psychologiques : elles peuvent venir en complément des analyses
psychiatriques (voir ci-dessus), mais visent plus souvent à fournir une analyse
de l’état mental d’une victime, d’un agresseur ou de toute autre personne ayant
affaire à la justice, dans le cadre de l’article 81 du code de procédure pénale.
Le psychologue expert est alors appelé à éclairer les juges sur toutes sortes de
thèmes : la personnalité du suspect, l’impact de l’agression sur la victime, les
compétences parentales (en cas de séparation conflictuelle), la crédibilité d’un
témoignage, le mobile du crime, l’aptitude de l’agresseur à la réadaptation et les
moyens à utiliser pour cela, etc.
À la suite de l’affaire d’Outreau, au cours de laquelle les avis de psychologues
experts avaient conduit à l’emprisonnement, pour actes de pédophilie, de personnes
innocentes, la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) a
tenu à rappeler les limites du rôle du psychologue expert :
« Ce n’est pas au psychologue à établir la preuve, il n’en a pas la compétence, elle
revient au magistrat qui a pour compétence de décider si les faits sont établis ou non.
[...] L’expertise psychologique doit consister à fournir une observation objective et
rigoureuse du comportement en livrer des hypothèses contextuelles explicatives, afin
de livrer à l’autorité judiciaire, les arguments constitutifs de sa prise de décision. [...]
Le psychologue livre des hypothèses qui n’ont pas été traitées ou entendues comme
des vérités absolues1 . »
4. BIBLIOGRAPHIE
BERTONE A., MÉLEN M., PY J. et SOMAT
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Presses universitaires de Grenoble.
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VILLERBU L.-M. et VIAUX J.-L. (2000).
Expertise psychologique, psychopathologie et
méthodologie, Paris, L’Harmattan.
1. www.ffpp.net/modules/news/article.php?storyid=130
88
La psychologie
de la santé
18
La psychologie de la santé est la discipline universitaire qui vise à la compréhension
des liens entre les facteurs psychologiques et la santé et la maladie. Elle s’est
particulièrement intéressée aux thèmes suivants :
• les fondements psychologiques des comportements favorables ou néfastes à la
santé ;
• les effets du psychisme sur la santé physique (fiche 32) ;
• les réactions psychologiques face à la maladie ;
• les diverses formes possibles de la relation patient-médecin et leur impact sur la
satisfaction du patient et sur son comportement ;
• les croyances et représentations sociales relatives à la santé et à la maladie.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1. UNE VISION GLOBALE DE L’ÊTRE HUMAIN
La médecine s’est essentiellement construite sur le modèle biomédical selon
lequel la maladie est la conséquence d’un dysfonctionnement organique, lui-même
dû à diverses causes (infections, traumatismes, produits toxiques, etc.). Ce modèle
focalise donc son attention sur la maladie plus que sur l’individu malade.
La psychologie de la santé, elle, se fonde sur une approche biopsychosociale qui,
comme son nom l’indique, considère que santé et maladie sont le fruit de causes non
seulement biologiques, mais également psychologiques et sociales qui s’influencent
réciproquement (fiche 12).
Plusieurs modèles de psychologie de la santé ont été élaborés1 . L’un des plus
complets, qui rassemble les données issues de multiples recherches est le modèle
intégratif et multifactoriel de Marilou Bruchon-Schweitzer et Robert Dantzer2 , qui
prend en compte divers facteurs :
• facteurs environnementaux (événements de vie stressants, réseau social, exposition à divers facteurs de risque, etc.) ;
• facteurs individuels jouant un rôle fragilisant ou protecteur (types et traits de
personnalité, modes de comportement, antécédents biomédicaux) ;
1. Zani B. (2002). « Théories et modèles en psychologie de la santé », in Fischer G.-N. (dir.) (2002).
Traité de psychologie de la santé, Paris, Dunod, p. 21-46.
2. Bruchon-Schweitzer M. et Dantzer R. (1994). « Introduction à la psychologie de la santé », Paris,
PUF. Bruchon-Schweitzer M. (2002). « Un modèle intégratif en psychologie de la santé », dans
Fischer G.-N. (dir.) Op. cit., p. 47-71.
Fiche 18 • La psychologie de la santé
• facteurs de transactions entre l’individu et son environnement, qui jouent un rôle
fonctionnel ou dysfonctionnel.
J’illustrerai les recherches en psychologie de la santé au travers de deux exemples :
l’impact de la qualité de la relation entre le patient et son médecin, les effets des
campagnes de santé publique.
2. LA RELATION PATIENT-MÉDECIN
Une difficulté majeure à laquelle se trouvent confrontés les médecins est le taux
élevé de non-suivi du traitement par les patients. Selon certains, plus de 80 %
des patients souffrant de maladie chronique ne respectent pas correctement leur
traitement1 . L’observance est fortement liée, non seulement à la compréhension
(seulement 59 % des informations médicales sont bien comprises par les patients),
mais aussi à la qualité de la relation. Les malades qui ressentent une attitude positive
et un véritable intérêt de la part de leur médecin suivent beaucoup mieux ses
recommandations.
Parmi d’autres enquêtes, une étude menée en Corée auprès de cinq cent cinquante
patients coréens a mis en évidence que l’observance augmente sensiblement lorsque
les patients perçoivent de l’empathie chez le médecin, qu’ils peuvent échanger des
informations, qu’ils lui font confiance et le considèrent comme un partenaire2 .
Mais il y a plus surprenant. Plusieurs études ont montré qu’il y a un lien statistique
entre le manque d’empathie d’un médecin et le risque de poursuites judiciaires pour
erreur médicale. Victime d’une erreur, un patient choisira ou non d’engager des
poursuites en fonction du niveau d’attention et d’empathie dont il aura bénéficié.
Par exemple, une équipe de chercheurs américains a enregistré sur magnétophone
les propos tenus par cinquante-sept chirurgiens au cours de consultations3 . Ils en
ont extrait deux séquences de 10 secondes, en début et en fin d’entretien, ceci avec
deux patients, soit 40 secondes par chirurgien. Ces enregistrements ont ensuite été
écoutés par douze étudiant(e)s qui ont évalué le niveau de chaleur, domination,
hostilité, anxiété et intérêt envers le patient. L’équipe de chercheurs a ensuite étudié
le niveau de corrélation entre cette évaluation et le fait que ces chirurgiens aient ou
non été poursuivis pour erreur médicale. Le résultat est clair : les médecins les plus
chaleureux sont nettement moins souvent l’objet de poursuites judiciaires.
3. LA PSYCHOLOGIE AU SERVICE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
Les États mènent régulièrement des programmes de santé publique, mais les
résultats ne sont généralement pas à la hauteur des espérances, qu’il s’agisse d’arrêt
1. Girandola F. (2002). « Persuasion et santé publique », in C. Bonardi, F. Girandola F., N. Roussiau
et N. Soubiale, Psychologie sociale appliquée. Environnnement, santé, qualité de vie, Paris, In Press,
121-139.
2. Kim S.S., Kaplowitz S. et Johnston M.V. (2004). « The Effects of Physician Empathy on Patient
Satisfaction and Compliance », Evaluation and the Health Professions, 27 (3), 237-251.
3. Ambady N. et al. (2002). « Surgeons’ tone of voice : A clue to malpractice history », Surgery, 132
(1), 5-9.
90
Fiche 18 • La psychologie de la santé
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
de la consommation de tabac, d’incitation à pratiquer la marche à pied ou encore
du contrôle des naissances1 . Par exemple, l’évaluation d’une campagne hollandaise
visant à prévenir l’obésité, d’une durée de cinq ans et largement médiatisée, a mis
en évidence que deux tiers des gens avait connaissance de cette campagne et qu’elle
avait modifié légèrement les attitudes de la population, mais qu’elle n’avait pas
conduit à une amélioration significative en termes de prise de conscience du poids
corporel personnel ou de motivation à prévenir la prise de poids2 .
De nombreuses campagnes adressent des messages faisant appel à la peur. Le
message « Fumer tue » inscrit sur les paquets de cigarettes, fait partie de ce type
de stratégie. Or de nombreuses recherches ont montré que cette démarche aboutit
globalement aux effets inverses de ceux désirés.
Une méta-analyse (synthèse statistique de travaux antérieurs) a rassemblé
quatre-vingt-dix-huit études de campagnes basées sur la peur, sur des thèmes
très divers (usage du préservatif pour prévenir le sida, arrêt de la consommation de
tabac, réduction de la consommation d’alcool, comportement de sécurité sur les
tracteurs et engins divers, usage de crème solaire pour prévenir le cancer de la peau,
auto-examen des seins, promotion de l’exercice physique, etc.)3 .
Elle montre que lorsque l’appel à la peur est faible, la personne n’est pas
sensibilisée par le message.
En revanche, lorsque l’appel à la peur est fort (par exemple, « Fumer tue »),
cela entraîne généralement un fort sentiment de gravité et de risque. Fort bien,
pensera-t-on spontanément. Eh bien non, car il faut introduire un autre élément
essentiel : le sentiment d’efficacité (faible ou fort) de la personne à pouvoir accomplir
le comportement visé (par exemple, s’arrêter de fumer). Si la personne manifeste
un fort sentiment d’efficacité personnelle, elle va chercher à contrôler le danger
et par conséquent modifier son comportement. Mais si elle a un faible sentiment
d’efficacité, elle va chercher à contrôler sa peur par divers mécanismes de défense
psychologiques :
• le déni : « Je ne risque pas d’attraper un cancer de la peau, cela ne m’arrivera
pas » ;
• l’évitement défensif : « C’est vraiment horrible, je ne vais pas y penser » ;
• la réactance : « Ils essaient seulement de me manipuler, je vais les ignorer. »
L’intensité de ces mécanismes est inversement corrélée avec l’intensité des
réponses de contrôle du danger ; autrement dit, plus une personne résiste de
1. Murphy S. et Bennett P. (2004). « Health psychology and public health : Theoretical possibilities »,
Journal of health psychology, 9 (1), 13-27. Girandola F. (2002). « Persuasion et santé publique », op.
cit.
2. Wammes B., Breedveld B., Looman C. et Brug J. (2005). « The impact of a national mass media
campaign in The Netherlands on the prevention of weight gain », Public Health Nutrition, 8 (8),
1250-1257.
3. Witte K. et Allen M. (2000). « A meta-analysis of fear appeals : implications for effective public
health campaigns », Health Education and Behavior, 27 (5), 591-615.
91
Fiche 18 • La psychologie de la santé
façon défensive à une recommandation, moins elle accomplit de changements
recommandés par le message. Résultat : la personne risque de fumer encore plus
qu’avant ! La figure 18.1. résume l’ensemble des mécanismes psychologiques
consécutifs à une campagne de santé publique.
Message
faible
Message
fort
La personne
ne se croit pas
concernée
Pas besoin
de contrôle
Pas de
changement
de comportement
Si la personne
a un fort
sentiment
d’efficacité
personnelle
Besoin
de contrôle
du danger
Changement
de comportement
Si la personne
a un faible
sentiment
d’efficacité
personnelle
Besoin
de contrôle
de la peur
Réaction
défensives
(p. ex.
déni du risque)
La personne
se croit
concernée
Figure 18.1. Impact des messages basés sur la peur.
Il est donc essentiel, lors d’une telle campagne, de fournir une information
constructive à la population sur les moyens lui permettant de modifier son
comportement1 .
4. BIBLIOGRAPHIE
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Association Francophone de Psychologie de la Santé
www.afpsa.fr
1. Bandura A. (2003). Auto-efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle, Bruxelles, De Boeck,
chapitre 7.
92
La psychologie
communautaire
19
La psychologie communautaire se fixe comme objectif le bien-être conjoint des
individus et des groupes auxquels ils appartiennent.
1. LES ORIGINES
Cette orientation a émergé à partir des années soixante aux États-Unis, sous
l’influence de deux courants :
• la lutte pour les droits civiques, grâce à l’influence du mouvement conduit par
Martin Luther King ;
• l’insatisfaction de certains professionnels de la santé mentale.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Ces derniers considéraient que leur activité dépossédait les personnes de leur
pouvoir d’action et les réduisait au statut de malade. De plus, ils ne partageaient
pas la conception de la psychologie clinique selon laquelle les problèmes éprouvés
par une personne sont essentiellement dus à des caractéristiques de celle-ci ; ils
considéraient plutôt que ces difficultés étaient en grande partie la conséquence de
conditions sociales insatisfaisantes.
Partant de ces convictions, des psychologues se sont réunis lors d’un congrès
à Swampscott près de Boston en 1965 et ont choisi d’adopter un nouveau cadre
d’action fondé sur la théorie générale des systèmes. C’est ainsi qu’est née la
psychologie communautaire qui se centre essentiellement sur l’interdépendance
entre la personne et son milieu, sur les ressources actives ou latentes présentes dans
la communauté.
2. L’EMPOWERMENT, CŒUR DE LA PSYCHOLOGIE
COMMUNAUTAIRE
Aujourd’hui, le modèle de référence est le modèle écologique d’Urie Bronfenbrenner (fiche 12) selon lequel l’individu ne peut être compris que si l’on tient
compte de son environnement social (école, famille, voisinage, etc.).
En 1987, Julian Rappaport, l’un des chefs de file de ce courant, déclare
que l’empowerment (ou « pouvoir d’agir ») constitue le cœur de la psychologie
communautaire, tant sur le plan théorique que pratique. Ce terme désigne le
processus par lequel des individus ou des groupes exercent ou pensent pouvoir
exercer un plus grand contrôle sur leur destinée et atteindre des objectifs qu’ils se
sont fixés. Il comprend diverses facettes : renforcement du sentiment de contrôle et
Fiche 19 • La psychologie communautaire
d’efficacité personnelle et collective, accès aux institutions, participation aux prises
de décision, etc. Différentes traductions ont été proposées de l’empowerment, mais
aucune n’a recueilli un accord unanime : pouvoir d’agir, habilitation, capacitation.
Trois chercheurs en psychologie de l’université de Laval ont mené une enquête
pour mieux comprendre ce que le public pensait de ce processus1 . Ils ont interrogé
dix-huit personnes (huit responsables d’organisations communautaires et huit
membres non responsables, deux autres personnes) en leur demandant : « Que
signifie pour vous l’expression avoir du contrôle sur les choses importantes pour
soi ? » Six grands domaines se sont dégagés :
• le contrôle sur soi et sur sa croissance personnelle (affectivité, créativité, spiritualité) ; toutes les personnes interrogées lui accordent une grande importance ;
• le contrôle sur la vie familiale et l’éducation des enfants : également très
fréquemment cité, en insistant notamment sur la transmission de valeurs ;
• les conditions de vie individuelle et collective (santé, environnement, économie,
etc.) ;
• les défis et performances professionnelles ;
• les relations avec les autres ;
• l’implication sociale et communautaire, domaine peu souvent cité, mais considéré
comme important par ceux qui le citent.
Lorsqu’on interroge ces personnes sur l’évolution éventuelle de leur niveau
personnel de contrôle, la quasi-totalité s’attend à le voir augmenter ou à le maintenir
stable. D’après cette enquête, l’élément le plus susceptible d’augmenter le sentiment
de contrôle personnel est la reconnaissance des compétences chez un individu que
lui expriment d’autres personnes.
3. LE RÔLE DU PSYCHOLOGUE COMMUNAUTAIRE
Convaincu de l’importance de l’appartenance des individus à leur environnement
humain, le psychologue communautaire ne fait pas (en principe) de psychothérapie
individuelle, mais accompagne des personnes et des groupes dans une démarche
de changement personnel et social. Il considère que les premiers experts sont les
personnes elles-mêmes et qu’elles ont en elles et au sein de la communauté les
ressources pour développer leur potentiel. Il se considère donc avant tout comme
un partenaire dans une action commune ; il cherche à promouvoir la santé mentale
et le bien-être des populations en facilitant le développement de leurs compétences
et de leur autonomie. Il cherche moins à aider qu’à faciliter l’entraide.
De nombreuses recherches ont montré que le sentiment d’appartenance à une
communauté est associé à la prévention des troubles mentaux, du suicide, des abus
envers les enfants et des crimes. Il incite les citoyens à améliorer l’environnement
1. Le Bossé Y., Lavallée M. et Herrera M. (1996). « Le vécu d’empowerment en milieu communautaire :
analyse des relations entre le contrôle perçu et différents indicateurs potentiels de l’empowerment
personnel », Les Cahiers internationaux de psychologie sociale, 31, 62-91.
94
Fiche 19 • La psychologie communautaire
physique de leur quartier et à s’efforcer de résoudre les problèmes plutôt qu’à
les nier. De plus, les changements réalisés après la participation à une démarche
d’empowerment sont généralement durables et généralisables à d’autres situations.
Notons cependant que le concept d’empowerment a parfois été critiqué car
il risque, sous couvert de démocratisation des politiques publiques, de donner
l’occasion aux pouvoirs publics de faire porter l’essentiel de la responsabilité du
développement social local sur la société civile.
La psychologie communautaire est encore faiblement implantée en France.
Signalons cependant le programme CAPEDP (prononcer « cape et d’épée ») qui
consiste en visites régulières de jeunes mères isolées à leur domicile, d’un soutien
personnalisé, d’une meilleure inscription dans les réseaux médico-sociaux et d’un
accès facilité aux connaissances sur les compétences précoces du bébé1 .
4. UNE RECONNAISSANCE OFFICIELLE
La démarche communautaire a reçu ses lettres de noblesse en novembre 1986, à
l’occasion d’une conférence internationale pour la promotion de la santé organisée
par l’Organisation mondiale de la santé. La charte d’Ottawa, du nom de la ville
d’accueil de cette rencontre, fixe ce que devrait être une politique de santé publique
des États membres. Il s’agit d’une conception globale dans laquelle les citoyens
prennent une part active. En voici quelques extraits2 :
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
« La promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyens
d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci. [...]
La santé est [...] un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et
individuelles, ainsi que les capacités physiques. [...]
Le lien qui unit de façon inextricable les individus et leur milieu constitue la base
d’une approche socio-écologique de la santé. Le grand principe directeur menant le
monde, les régions, les nations et les communautés est le besoin d’encourager les
soins mutuels, de veiller les uns sur les autres, de nos communautés et de notre milieu
naturel. »
La charte d’Ottawa consacre même un paragraphe entier à la nécessité de
« renforcer l’action communautaire » qui affirme notamment que « la promotion
de la santé puise dans les ressources humaines et physiques de la communauté
pour stimuler l’indépendance de l’individu et le soutien social, et pour instaurer des
systèmes souples susceptibles de renforcer la participation et le contrôle du public
dans les questions sanitaires ».
Cette approche de la santé a été confirmée par une autre conférence internationale
de l’OMS, tenue en 2005 et qui a conduit à la Charte de Bangkok, laquelle déclare
notamment :
1. www.psychologie-communautaire.fr/cmsmadesimple/index.php?page=capedp
2. Le texte de la charte d’Ottawa est présent sur de nombreux sites Internet.
95
Fiche 19 • La psychologie communautaire
« Les communautés et la société civile sont souvent en première ligne pour initier et
mettre en œuvre la promotion de la santé [...]. Des communautés bien organisées et
vigoureuses (empowered) sont très efficaces pour décider de leur propre santé. »
5. BIBLIOGRAPHIE
DUFORT F. et GUAY J. (dir.) (2001). Agir au
cœur des communautés : La psychologie communautaire et le changement social, Saint-Nicolas,
Presses de l’Université Laval.
Pratiques psychologiques (décembre 2008),
numéro sur la psychologie communautaire.
GUAY J. (1998). L’Intervention clinique communautaire ; les familles en détresse, Montréal,
Presses universitaires de Montréal.
6. SITE INTERNET
Association Francophone de Psychologie communautaire
www.psychologie-communautaire.fr/cmsmadesimple
96
La psychologie
environnementale
20
La psychologie environnementale étudie les interactions entre l’individu et son
cadre de vie, que celui-ci soit naturel ou construit. Elle aborde donc des questions
concernant, d’une part l’impact de l’environnement sur la personne (en particulier
santé physique et bien-être psychologique), d’autre part la relation que l’individu
entretient avec son environnement, que ce soit en termes de perceptions, d’émotions,
d’attitudes ou encore de comportements.
Ce courant de recherche est né dans les années 1960-1970, entre autres à la suite
d’interrogations, par des architectes et urbanistes, sur l’impact psychologique de
divers types d’aménagement. En 1970, paraît le premier ouvrage portant sur ce thème,
une somme de près de sept cents pages rédigé par trois auteurs nord-américains1 .
La psychologie environnementale est aujourd’hui un univers pluridisciplinaire :
dans les colloques internationaux organisés sous ce vocable se rencontrent non
seulement des psychologues, mais également des architectes, urbanistes, géographes,
anthropologues, sociologues, etc. Leur préoccupation partagée est de comprendre,
voire d’améliorer, les relations de l’être humain avec son environnement.
Plusieurs typologies des thèmes couverts par la psychologie environnementale
sont possibles. L’une d’elles consiste à raisonner par niveaux d’analyse :
• l’environnement privé et semi-privé (en particulier qualité de l’habitat, des
conditions de travail et satisfaction ressentie) ;
• l’environnement public (ville, village, paysages naturels) ;
• l’environnement global (pollution, comportements écologiques, etc.).
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les lignes qui suivent présentent successivement ces trois niveaux.
1. L’ENVIRONNEMENT PRIVÉ ET SEMI-PRIVÉ
Le logement que nous habitons, le cadre physique et l’ambiance psychologique
au travail constituent des éléments essentiels de notre vie quotidienne. Par exemple,
de nombreuses études ont été effectuées sur la densité2 . Les chercheurs qui ont
abordé ce thème se sont très vite aperçus de la nécessité de distinguer entre la
densité objective (mesure du nombre d’individus par unité spatiale) et la densité
subjective (perception et réaction de l’individu soumis à une forte densité), chacune
1. Proshansky H.M., Ittelson W. H. et Rivlin L. C. (1970). Environmental Psychology : Man and his
Physical Setting, Chicago, Holt, Rinehart et Winston.
2. Moser G. (1992). Les Stress urbains, Paris, Armand Colin, p. 62-72.
Fiche 20 • La psychologie environnementale
ayant une influence spécifique. En ce qui concerne l’impact de la densité objective,
diverses études ont par exemple montré que la surpopulation des prisons est à
l’origine d’agressions envers les codétenus et les gardiens ainsi que de violations de
la discipline. Pour ce qui est de la densité subjective, les jeunes enfants, en condition
de densité objective, sont plus agressifs s’il y a peu de jouets, mais ne le sont pas si
le nombre de jouets est suffisant.
Une étude a montré que les étudiants de résidence à longs couloirs estimaient qu’il
y avait une intense vie sociale, mais ils ne l’appréciaient pas car elle leur semblait
imposée. C’est surtout la densité subjective qui génère du stress, accompagné
d’effets psychosomatiques tels que l’augmentation de la pression artérielle et du
rythme cardiaque, ainsi que du niveau de catécholamines.
2. POUR UNE MEILLEURE QUALITÉ DE VIE EN VILLE
OU À LA CAMPAGNE
De nombreuses recherches de psychologie environnementale portent sur l’« identité de lieu », en particulier sur l’identité urbaine, qui désigne la façon dont les
gens s’identifient à leur milieu de vie et au niveau de sentiment d’appartenance
qu’ils éprouvent. Les psychologues de l’environnement considèrent que les actions
menées directement sur la sécurité sont insuffisantes. Selon eux, il est tout aussi
nécessaire d’agir sur le cadre de vie, notamment par la création d’espaces verts, la
présence de services de proximité, la réduction du bruit, l’élimination rapide des
dégradations pour éviter un « effet boule de neige ».
Selon Gabriel Moser, professeur de psychologie environnementale à l’université
Paris-V, cette discipline a pour vocation d’« accompagner la politique de la ville
de manière plus soutenue [...] afin de contribuer à améliorer et à généraliser la
qualité de vie et le bien-être dans les différents quartiers en tenant compte des
multiples aspects de la vie urbaine (espaces verts, logement, déplacements, bruit,
pollution, etc.). Et finalement, ce n’est qu’à ce prix-là que le citadin peut s’identifier
positivement à son lieu d’habitat et devenir citoyen à part entière1 ».
3. FACILITER LES COMPORTEMENTS ÉCOLOGIQUEMENT
RESPONSABLES
Le troisième niveau d’analyse abordé par la psychologie environnementale
concerne les problèmes écologiques, qu’il s’agisse de leur impact sur la vie
quotidienne des gens ou de la prise de conscience et de la façon dont les individus
réagissent ou non pour améliorer la situation. Un des thèmes majeurs consiste à
explorer les manières de faciliter chez nos concitoyens le développement de valeurs
environnementales et de comportements écologiquement responsables.
1. www.ecosens.org/content/view/25/56/1/2
98
Fiche 20 • La psychologie environnementale
Ainsi, divers auteurs ont mené des recherches-actions en se fondant sur la théorie
de l’engagement1 . Celle-ci postule que lorsqu’une personne s’est engagée dans une
certaine direction par un acte public peu coûteux, cela augmente la probabilité pour
qu’elle accomplisse ensuite un acte plus exigeant. Appliquée à des thématiques
environnementales, cela donne par exemple les résultats suivants :
• des personnes réduisent sensiblement leur consommation d’énergie domestique
après avoir signé un formulaire d’accord destiné à être publié dans la presse ;
• des personnes participent plus au recyclage de déchets après avoir, là aussi, signé
un formulaire.
Les résultats sont parfois importants (par exemple une baisse de plus de 20 % de
la consommation de gaz et d’électricité dans une étude) et durables à long terme.
Dans toutes ces expériences, les chercheurs comparent évidemment les résultats
avec ceux réalisés par d’autres groupes de personnes auxquelles on n’a demandé
aucun engagement initial ou seulement un léger engagement initial ; les résultats
sont nettement moindres pour ces deux groupes.
La psychologie environnementale n’est pas seulement une discipline scientifique,
mais a également donné lieu à la naissance d’une nouvelle profession, celle de
psychologue environnementaliste. Intervenant dans des bureaux d’études, des
organismes publics, des entreprises ou encore des associations, ce spécialiste
s’efforce de participer à l’amélioration du cadre de vie lors de projets d’aménagement
ou encore à la sensibilisation des citoyens à la protection de l’environnement et à la
gestion des ressources.
4. BIBLIOGRAPHIE
FISCHER G. N. (1992). Psychologie sociale
de l’environnement, Toulouse, Privat.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Psychologie et Société, (2005). Numéro 8 :
« Enjeux environnementaux et urbains : Contribution de la psychologie environnementale ».
MOSER G. et WEISS K. (2003). Espaces
de vie : aspects de la relation hommeenvironnement, Paris, Armand Colin,
SERFATY-GARZON P. (2003). Chez soi, les territoires de l’intimité, Paris, Armand Colin.
LYNCH K. (1999). L’Image de la Cité, Paris,
Dunod.
SOMMER R. (2003). Milieux et modes de vie,
Infolio éditions.
MORVAL, J. (2007). La Psychologie environnementale, Montréal, Presses universitaires de
Montréal.
WEISS K. et MARCHAND D. (dir.) (2006). Psychologie sociale de l’environnement, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes.
5. SITE INTERNET
Ecosens
www.ecosens.org
1. Roussiau N. et Girandola F. (2002). « Utilisation des technologies comportementales dans les
économies d’énergie et dans la protection de l’environnement », in C. Bonardi, F. Girandola F., N.
Roussiau et N. Soubiale, Psychologie sociale appliquée. Environnnement, santé, qualité de vie, Paris,
In Press, 39-57.
99
21
La psychologie
du sport
Il n’est pas rare d’entendre un sportif ou un entraîneur affirmer : « La réussite, ça
se joue à 50 % dans la tête » ou : « À un certain niveau de compétition, c’est le
mental qui fait la différence. » La psychologie a très logiquement largement investi
le domaine du sport, étudiant tout particulièrement l’impact, sur la performance,
des facteurs psychologiques (modes de penser, émotions, motivation, réaction au
stress). Le comportement des entraîneurs et des arbitres a également fait l’objet de
recherches. Voici un aperçu de ces travaux.
1. QUAND CROIRE EN SOI FAIT TOUTE LA DIFFÉRENCE
« Peut mieux faire ! » Cette courte phrase décrit bien le vécu de beaucoup de
personnes, que ce soit à l’école, au travail, en sport, etc. De fait, il arrive fréquemment
qu’une personne ayant les aptitudes requises pour accomplir une action ou une
performance n’y parvienne cependant pas. Selon Albert Bandura, ceci est dû à un
faible sentiment d’efficacité personnelle1 . Cette expression désigne la croyance
d’une personne en sa capacité de réussir dans un domaine.
Divers travaux mettent clairement en évidence une relation de cause à effet entre
un fort sentiment d’efficacité et un faible stress précompétitif ainsi que de bonnes
performances sportives individuelles et collectives, que ce soit en gymnastique,
plongeon, basket-ball ou encore course de fond2 . En effet, une personne qui croit
en ses possibilités, mais qui n’obtient pas une performance élevée, va s’entraîner
avec persévérance, aborder les tâches difficiles comme des défis à relever plutôt
que comme des menaces à éviter, s’investir fortement et augmenter ses efforts en
cas d’échec ou de recul. À l’inverse, un individu talentueux mais envahi de doutes
sur lui peut faire un piètre usage de ses aptitudes. Il évitera les tâches difficiles et
diminuera ses efforts face aux obstacles.
Une manière d’élever son sentiment d’efficacité, et donc ensuite ses performances,
consiste à observer d’autres personnes réaliser des prouesses physiques. Mais ceci
est vrai si l’individu observé possède des caractéristiques proches de l’observateur,
en particulier en termes d’âge et de sexe. Par exemple, un homme de cinquante ans
qui souhaite se remettre à faire du vélo peut se sentir encouragé par l’expérience
d’un autre ayant vécu cette expérience, mais risque fort de baisser les bras s’il
souhaite imiter les performances d’un jeune champion.
1. Bandura A. (2003). Auto-efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle, Bruxelles, De Boeck.
2. Idem, chapitre 9 : Fonctionnement sportif.
Fiche 21 • La psychologie du sport
2. PLACER DES OBSTACLES SUR SON PROPRE CHEMIN
Certains sportifs se mettent paradoxalement dans des conditions qui limitent
leurs chances de succès. Ils peuvent par exemple réduire leur entraînement, refuser
l’aide qu’on leur offre, attendre jusqu’au dernier moment pour se préparer, etc.
Edward E. Jones et Steven Berglas, les deux premiers chercheurs en psychologie
qui ont analysé ces attitudes, les qualifient de stratégies auto-handicapantes1 . Ce
courant de recherche a donné lieu à de nombreuses études, en psychologie du sport
et dans d’autres domaines, tels que l’enseignement.
Placer ainsi des obstacles sur le chemin de sa propre réussite peut sembler très
surprenant à première vue, mais constitue en fait une stratégie destinée à préserver
l’image de soi, par deux voies différentes2 . En cas de mauvais résultats, l’individu
peut toujours attribuer la cause de son échec à une préparation insuffisante, et non
à une faible aptitude, ce qui lui permet de sauver la face ; inversement, en cas de
réussite, cela montre à quel point la personne est douée, puisqu’elle obtient de bons
résultats sans faire un maximum d’efforts.
Des recherches ont mis en évidence que les sujets à faible estime de soi ont
tendance à s’auto-handicaper pour bénéficier d’une excuse en cas de mauvaise
performance, alors que les personnes à haute estime de soi le font plutôt pour se
valoriser socialement en cas de réussite.
De multiples excuses peuvent être mises en avant pour justifier de mauvais
résultats : la fatigue physique, le stress, l’anxiété, les blessures, crampes musculaires
et autres inconvénients physiques, les problèmes familiaux ou amoureux, etc.
3. LA BONNE ET LA MAUVAISE ANXIÉTÉ
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les scientifiques essaient depuis longtemps de comprendre les liens éventuels
entre émotions et performance3 . Ils se sont tout d’abord particulièrement intéressés
à l’anxiété, en distinguant notamment deux facettes de cet état :
• l’anxiété cognitive, caractérisée par de l’appréhension et de la tension, des
prévisions d’échec, un regard négatif sur soi ;
• l’anxiété somatique, relative à des manifestations physiologiques telles que
l’accélération du rythme cardiaque, des tensions musculaires ou encore les mains
moites.
1. Jones E.E. et Berglas S. C. (1978). « Control of attributions about the self through self-handicapping
strategies : The appeal of alcohol and the role of underachievement », Personality and Social
Psychology Bulletin, 4, 200-206.
2. Salomon J.-F., Famose J.-P. et Cury F. (2005). « Les stratégies d’auto-handicap dans le domaine
des pratiques motrices : valeur prédictive de l’estime de soi et des buts d’accomplissement », Bulletin
de psychologie, 58 (475), 47-55.
3. Debois N. (2003). « De l’anxiété aux émotions compétitives : État de la recherche sur les états
affectifs en psychologie du sport », STAPS. Sciences et techniques des activités physiques et sportives,
62, 21-42.
101
Fiche 21 • La psychologie du sport
Ces deux formes d’anxiété agissent différemment sur la performance. Plus
l’anxiété cognitive est élevée, plus la performance est faible. En revanche, l’effet
est plus complexe pour l’anxiété somatique puisqu’il s’exprime sous forme d’une
relation en U inversé : jusqu’à un certain niveau, l’augmentation de l’anxiété est
liée à une augmentation de la performance ; mais à partir d’un certain degré, l’effet
est inverse : l’accroissement de l’anxiété fait chuter la performance.
La situation idéale pour accomplir une performance est donc d’éprouver une
anxiété somatique modérée, mais pas d’anxiété cognitive.
Cependant, tout le monde ne fonctionne pas de la même manière. C’est la raison
pour laquelle Yuri Hanin, professeur de psychologie du sport en Finlande, a proposé
le modèle IZOF (zone individuelle de fonctionnement optimal) qui considère
qu’un sportif obtient généralement ses meilleures performances lorsque son anxiété
précompétitive se situe dans une zone d’intensité optimale qui lui est propre, basse
pour certains, moyenne ou encore élevée pour d’autres1 . Cette approche a prouvé
sa pertinence, comme l’a montré une méta-analyse faisant la synthèse des résultats
de dix-neuf études, rassemblant les données obtenues auprès de presque six mille
quatre cents personnes.
4. ET LES ENTRAÎNEURS ET ARBITRES ?
Quelles sont les attitudes des entraîneurs les plus susceptibles de favoriser une
bonne performance chez les sportifs ? La conclusion des études effectuées est que
l’entraîneur efficace ne doit pas avoir un seul style de leadership, mais pouvoir
disposer d’une gamme diversifiée de styles, en s’adaptant en fonction des joueurs
et des situations.
Il doit par ailleurs plutôt valoriser les améliorations personnelles tout en
minimisant les victoires et les défaites.
Diverses études ont porté sur la manière de procéder de l’arbitre. Son rôle ne peut
se réduire à une stricte application des règles et comporte inévitablement une part
de choix entre plusieurs options. Cependant, il arrive que ceci relève de l’arbitraire.
Toute personne intéressée par le sport sait qu’il est avantageux de jouer à domicile.
Parmi les diverses causes envisagées par les chercheurs (meilleur respect des règles,
décalage horaire pour les adversaires, etc.), c’est l’impact de la foule qui a le plus
d’impact2 . Et pour cette explication, deux mécanismes sont possibles : la foule
stimule son équipe qui parvient à de meilleures performances ; la foule influence
l’arbitre qui favorise inconsciemment l’équipe locale. Les recherches montrent que
c’est ce dernier processus qui est le plus marquant. Par exemple, des chercheurs ont
présenté le même match de foot en vidéo à des arbitres : certains observent la vidéo
1. Hanin Y.L. (dir.) (2000). « Individual zones of optimal functioning (IZOF) model : emotionperformance relationships in sport », in Y. L. Hanin (dir.), Emotions in Sport, Human Kinetics
Publishers, 65-89.
2. Nevill A. M. et Holder R. L. (1999). « Home advantage in sport : an overview of studies on the
advantage of playing at home », Sports Medicine, 28 (4), 221-236.
102
Fiche 21 • La psychologie du sport
avec les réactions du public, d’autres sans ces réactions. Les arbitres du premier
groupe ont sifflé beaucoup moins de fautes de la part de l’équipe jouant à domicile.
La victoire tient parfois à peu de choses...
De nos jours s’est développée la profession de psychologue du sport qui intervient
auprès des différents acteurs de cet univers, en particulier évidemment les athlètes,
leur apprenant à se préparer psychologiquement pour les compétitions, à vaincre la
peur du succès
5. BIBLIOGRAPHIE
Bulletin de psychologie (2005). Numéro 475
(58) sur « Psychologie et sport ».
COX R. H. (2005). Psychologie du sport,
Bruxelles, De Boeck.
CURY F. et SARRAZIN P. (dir.) (2001). Théories de la motivation et pratiques sportives, Paris,
PUF.
DELIGNIÈRES F. (2008). Psychologie du sport,
Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? ».
FAMOSE J.-P. et GUÉRIN F. (2002). La
Connaissance de soi en psychologie de l’éducation physique et du sport, Paris, Armand Colin.
6. SITES INTERNET
Société Française de Psychologie de Sport
www.psychodusport.com
Association nationale des psychologues du sport
anaps.net/index.php
103
LE SCANFF C. et LEGRAND F. (2004). Psychologie, coll. « L’essentiel en sciences du sport »,
Paris, Ellipses Marketing.
LÉVÊQUE M. (2005). Psychologie du métier
d’entraîneur, ou l’art d’entraîner les sportifs,
Paris, Vuibert.
PAQUET L. (2007). 150 petites expériences de
psychologie du sport, Paris, Dunod.
XEINBERG R.S. et GOULD D. (1998). Psychologie du sport et de l’activité physique, Paris,
Vigot.
22
La psychologie
du travail
La psychologie du travail est un courant de recherche très développé. Une manière
d’ordonner les nombreux thèmes de recherche abordés consiste à les répartir selon
trois niveaux d’analyse : l’individu, le groupe et l’organisation globale.
1. L’INDIVIDU AU TRAVAIL
Les recherches sur la personne au travail traitent de sujet aussi divers que la
personnalité, la motivation, les valeurs et les attitudes, la satisfaction au travail, le
stress, la gestion de carrière.
Par exemple, John Holland s’est efforcé de repérer les traits de personnalité les
mieux adaptés à tel ou tel type d’emploi (fiche 7). Divers chercheurs ont étudié
l’impact de certaines caractéristiques telles que l’introversion/extraversion, le besoin
de pouvoir ou encore le machiavélisme.
À titre d’exemple, observons comment fonctionnent des personnes selon leur
niveau d’autosurveillance (self-monitoring). Mark Snyder, de l’université du
Minnesota, a élaboré ce concept pour désigner le comportement des personnes
qui accordent un soin tout particulier à faire bonne impression1 . Il les qualifie de
caméléons sociaux :
« En raison de ce désir permanent d’apparaître la bonne personne à la bonne place et
au bon moment, leur comportement de caméléon ne laisse percevoir que très peu de
choses sur leurs attitudes privées, leurs sentiments et leur caractère. »
Particulièrement sensibles aux réactions des autres, ces personnes adoptent le
comportement qui leur semble le plus approprié du moment, en fonction des attentes,
extérieures. Leurs positions éthiques varient selon les circonstances. Les valeurs qui
comptent à leurs yeux sont l’ambition, la bonne humeur, la serviabilité, l’obéissance,
la maîtrise de soi, une vie confortable, la joie2 .
Cette attitude accommodante facilite fortement leur ascension professionnelle.
Une enquête menée auprès de cent trente-neuf étudiants ayant obtenu un MBA
(Master of Business Administration, diplôme des futurs dirigeants) a montré que
1. Snyder M. (1979). « Self-monitoring processes », Advances in Experimental Social Psychology,
12, 85-128.
2. Rim Y. (1982). « Self-monitoring, ethical position, personality, values end cognitive performance »,
Personality and individual differences, 3, 219-220
Fiche 22 • La psychologie du travail
ce sont ceux qui ont un niveau d’autosurveillance élevée qui grimpent le plus
facilement les échelons1 . Les auteurs de l’enquête regrettent d’ailleurs qu’il en
soit ainsi, estimant qu’il faudrait idéalement avoir un mélange de deux types de
personnalité à la tête des entreprises (conformistes et non conformistes).
2. DIFFÉRENTES MANIÈRES D’ÊTRE LEADER
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les recherches portant sur le fonctionnement d’un groupe sont elles aussi
très variées : elles portent aussi bien, sur la dynamique de groupe, les relations
interpersonnelles, la cohésion d’équipe, le rôle du leader, le processus de décision
collective, les conflits et leur résolution. J’examinerai ici, à titre d’exemple, les
travaux sur les différentes formes de leadership.
La version ancienne du leadership est généralement décrite comme étant le
leadership transactionnel, surtout caractérisé par la fourniture de salaires et de
prestige aux collaborateurs en retour de leur implication au travail.
Mais au milieu des années 1980, sont apparues les théories du leadership
stratégique, surtout focalisé sur la création de sens et de projet pour l’organisation2 .
Les activités consistent surtout à prendre des décisions stratégiques, communiquer
une vision du futur, développer des structures organisationnelles, infuser un système
de valeurs dans la culture organisationnelle.
Une autre approche est celle du leadership transformationnel, qui consiste à
poursuivre des buts collectifs au travers de l’ajustement mutuel des motivations
des leaders et des collaborateurs en direction de l’accomplissement du changement
souhaité3 . Contrairement au leadership stratégique, le leadership transformationnel
accorde de l’importance aux relations entre leaders et collaborateurs.
Quant au leadership charismatique (qualificatif initialement présenté par le
sociologue Max Weber au XIXe siècle), il sensibilise émotionnellement ceux qui
l’entourent, lesquels ont tendance à s’identifier à ce leader et à s’inspirer de sa
vision. Selon Boal et Bryson, il y a deux formes de charisme : visionnaire et de
réponse à la crise4 :
• le leader charismatique visionnaire commence avec la création de nouveaux
schémas interprétatifs ou théories de l’action puis va vers les actions ;
• le leader charismatique répondant à la crise commence avec l’action (pour gérer
la crise) puis va vers la création de nouveaux schémas interprétatifs. Les effets
du charisme de réponse à la crise sont temporaires par nature.
1. Kilduff M. et Day D. (1994). « Do chameleons get ahead ? The effects of self-monitoring on
managerial careers », Academy of Management Journal, 37 (4), 1047-1060.
2. Boal K.B. et Hooijberg R. (2000). « Strategic leadership research : Moving on », The Leadership
Quarterly, 11 (4), 515-550
3. Burns J.M. (2003). Transforming Leadership : A New Pursuit of Happiness, New York, Atlantic
Monthly Press.
4. Boal K.B. et Bryson B.J.M. (1987). « Charismatic leadership : A phenomenological and structural
approach », in J. G. Hunt B.R. Balinga H.P. Dachler et C.A. Schriescheim (éd.). Emerging Leadership
Vistas. New York, Pergamon Press, 11-28.
105
Fiche 22 • La psychologie du travail
Plus récemment, a émergé le concept de leadership complexe. Cette approche vise
à s’écarter des conceptions dichotomiques du leadership (orienté vers la tâche ou
vers la relation, participatif ou autocrate, transactionnel ou transformationnel, etc.).
Plusieurs auteurs affirment ainsi que le leader efficace a besoin de maîtriser de façon
équilibrée et simultanée des attitudes apparemment contradictoires (capacité de
décision et de réflexion, vision large et attention aux détails, changements importants
et ajustements limités, orientation vers la performance et vers les personnes). Ainsi,
selon une équipe de chercheurs, « le test du leader peut être l’aptitude à manifester
des comportements contradictoires et opposés tout en maintenant une certaine
mesure d’intégrité, de crédibilité et de direction1 ».
3. LA GESTION DES CRISES DANS LES ORGANISATIONS
Certains travaux de psychologie du travail portent également sur le troisième
niveau, celui de la structure organisationnelle elle-même. Un domaine de recherche
est fortement développé à cet égard : le changement organisationnel. À ce titre,
il est particulièrement intéressant de se pencher sur l’évolution des pratiques
organisationnelles dans la gestion de crises.
Deux importantes évolutions, liées entre elles, ont vu le jour au fil des ans :
• un glissement depuis la focalisation sur la faute individuelle vers la focalisation
sur le dysfonctionnement organisationnel ;
• un glissement depuis une approche de la crise en tant qu’événement vers une
approche de la crise en tant que processus, l’événement n’étant qu’une des phases
de ce processus.
Les études et rapports d’enquête établis suite à diverses catastrophes d’origine
humaine (accidents dans les centrales de Three Miles Island et Tchernobyl,
dans l’usine de produits chimiques de Bhopal, naufrage de bateaux, etc.) ont
conduit à réviser la croyance selon laquelle la responsabilité d’un accident réside
essentiellement dans l’erreur humaine ponctuelle ayant déclenché l’événement. En
effet, le contexte organisationnel était généralement lui-même très défaillant. Par
exemple, de nombreuses réussites de la NASA avaient conduit ses responsables
à abaisser les normes de sécurité : le programme de lancement de navettes était
presque devenu une routine, au point que l’équipe de surveillance de qualité était
passée de six cent quinze personnes en 1970 à quatre-vingt-huit en 1986, l’année
de l’explosion de la navette Challenger !
Par ailleurs, le fonctionnement organisationnel entourant ces accidents est généralement caractérisé par l’absence ou l’insuffisance de communication ascendante.
Les opérateurs expriment souvent cette plainte : « On n’est pas écoutés » ou : « On
n’a pas droit à la parole2 . »
1. Denison D., Hooijberg R. et Quinn R.E. (1995). « Paradox and performance : Toward a theory of
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2. Llory M. (1996). Accidents industriels : le coût du silence, opérateurs privés de parole et cadres
introuvables, Paris, L’Harmattan.
106
Fiche 22 • La psychologie du travail
Par ailleurs, la culture du « zéro défaut » augmente cette difficulté à communiquer.
Si un employé fait une légère erreur, il évite d’en parler à son supérieur, de peur
d’être sanctionné : résultat, il n’y a pas d’apprentissage organisationnel à partir des
erreurs, processus considéré aujourd’hui comme essentiel1 .
On utilise de nos jours l’expression d’entreprises à « haute fiabilité » : celles-ci
sont notamment caractérisées par une culture de la transparence, fondée sur le
principe qu’il vaut mieux signaler immédiatement une erreur plutôt que l’ignorer
ou la dissimuler. L’opérateur n’y est plus considéré comme une source potentielle
négative d’erreurs, mais comme une source de fiabilité et d’enrichissement.
4. BIBLIOGRAPHIE
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107
23
La psychologie politique
La psychologie politique est, comme son nom l’indique, l’étude des interactions
entre processus politiques et processus psychologiques. Elle comporte de multiples
facettes, en particulier1 :
• l’individu comme acteur politique : les comportements politiques (dont le vote),
la socialisation politique, la formation des attitudes politiques, les relations entre
la personnalité et les attitudes politiques (par exemple la personnalité autoritaire
ou machiavélique).
• les mouvements politiques ;
• les leaders politiques : leur personnalité, leur modalité de prise de décision, etc. ;
• les relations internationales, les processus menant à la guerre ou à la résolution
des conflits ;
• l’impact de la politique (en particulier économique) sur la vie personnelle des
individus : par exemple, l’impact du chômage, de l’inflation.
À titre d’illustration, je présenterai ici trois courants de recherche portant sur
l’activité des leaders politiques : les débats politiques, le rôle de l’optimisme lors
des campagnes présidentielles et celui de la complexité du raisonnement lors de
crises internationales.
1. LES DÉBATS TÉLÉVISÉS NE PRIVILÉGIENT PAS L’ARGUMENTATION
RATIONNELLE
Les débats télévisés ont fait l’objet de multiples recherches. Selon Alain Trognon
et Janine Larrue, « un débat télévisé n’est pas un espace d’intercompréhension,
mais un ring2 ». Dès lors, l’enjeu fondamental n’est pas de confronter des thèses
politiques et sociales divergentes, mais de vaincre l’adversaire. Ce qui explique le
nombre important d’attaques personnelles dans ces rencontres. Chacun s’efforce de
rendre « coup pour coup : une mise en contradiction pour une mise en contradiction,
une insinuation pour une insinuation, etc. » Ainsi, « la rationalité interne propre
aux débats “classiques” est noyée dans le spectaculaire, mais dans cette rationalité
1. Deutsch M. et Kinvall C. (2001). « What is Political Psychology ? », in K.R. Monroe (ed.). Political
Psychology, 15-42. Lawrence Erlbaum
2. Trognon A. et Larrue J. (1994). Pragmatique du discours politique, Paris, Armand Colin, p. 120.
Fiche 23 • La psychologie politique
interne elle-même, ce sont les propriétés proprement rituelles, de figuration, [...]
qui dominent, au détriment des propriétés strictement argumentatives1 ».
Cette stratégie n’est d’ailleurs pas toujours payante, surtout lorsqu’elle est
excessive. Ce fut le cas lors du débat entre Laurent Fabius, alors Premier ministre,
face à Jacques Chirac le 27 octobre 1985. Contre toute attente, Fabius s’est comporté
sans fair-play, interrompant son contradicteur quatre-vingt-onze fois en une heure
et demie (soit une fois par minute), alors que J. Chirac l’a fait quatre fois moins
souvent2 . Ceci lui vaudra une critique unanime dans les journaux étrangers, jugeant
sa prestation irrespectueuse.
L’analyse des discours télévisés a également montré que « le silence, c’est le
pouvoir3 ». En effet, « les pauses [...] sont d’autant plus fréquentes que le locuteur
est « adossé au pouvoir ». Prenons l’exemple de François Mitterrand. En 1974,
il est candidat de l’opposition à l’élection présidentielle ; il veut accumuler les
arguments, accélère donc son débit et limite ses temps de pause. En 1984, il est
président de la République depuis trois ans ; son discours est plus lent et les pauses
particulièrement longues, au point d’atteindre la moitié du temps total du discours.
En 1988, il est à la fois président et candidat : dans cette situation, il doit développer
son argumentation afin de persuader l’électorat, tout en gardant le ton solennel qui
convient à sa fonction présidentielle : son temps de pause global est intermédiaire à
ce qu’il est dans les deux autres situations.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
2. LA FORCE DE L’OPTIMISME
Martin Seligman et ses collègues de l’université de Pennsylvanie ont analysé de
nombreux discours de leaders politiques et sont arrivés à la conclusion suivante :
plus un candidat tient des propos optimistes, plus il a de probabilités de gagner
des élections, même si son statut initial est peu favorable4 . Ceci peut paraître
assez banal. Ce n’est pas le cas, précisément car la distinction entre le caractère
optimiste ou pessimiste des discours est quasiment impossible à détecter à première
vue. Elle n’apparaît qu’après avoir évalué des discours selon une grille basée
sur le principe suivant : la différence entre optimisme et pessimisme repose
sur trois facettes : la personne optimiste a tendance à croire que les choses
positives durent longtemps (permanence), qu’elles concernent l’ensemble de ce
qu’elle entreprend (généralisation) et qu’elle-même en porte essentiellement la
responsabilité (personnalisation). Elle a une attitude inverse vis-à-vis des événements
désagréables de l’existence. L’individu pessimiste a tendance à fonctionner de
manière opposée. Cette manière différente d’aborder l’existence influe sur des
domaines aussi divers que les résultats scolaires et professionnels, le sport, la santé
1. Trognon, A. (1991). « Sur quelques propriétés internes du débat Le Pen/Tapie », Revue
internationale de psychologie sociale, 4 (3/4), 305-334.
2. Trognon A. et Larrue J., op. cit., p. 63 sqq.
3. Duez D. (1991). La Pause dans la parole de l’homme politique, Paris, Éditions du CNRS. Duez D.
(1994). « François Mitterrand, Silences éloquents », Pour la science, 197, p. 15.
4. Seligman M. (2008). La Force de l’optimisme, Paris, Dunod, chapitre 11.
109
Fiche 23 • La psychologie politique
et... la réussite en politique. En analysant de nombreux discours politiques, Seligman
et ses collègues ont ainsi pu prévoir avec exactitude l’issue de certaines campagnes.
3. LE RAISONNEMENT COMPLEXE CONDUIT À LA PAIX
La complexité intégrative est un autre domaine où un « sens caché » se dissimule
dans des discours politiques. Cette expression désigne le niveau de prise en compte
de différentes perspectives sur un sujet donné, que ce soit dans un document écrit,
ou lors d’interviews ou de discours. Un propos unilatéral (ne présentant qu’une face
de la réalité ou rejetant radicalement des options alternatives) est à faible niveau
de complexité, tandis qu’un discours présentant l’interaction entre de multiples
aspects d’un problème est à haute complexité. On mesure cette complexité par le
biais d’une grille de codage rigoureuse, sur une échelle en sept points.
Cette thématique de recherche a surtout été employée dans l’étude de discours
politiques et plus particulièrement à l’occasion de multiples crises (guerre civile
américaine, Seconde Guerre mondiale, guerre froide, guerre du Golfe, etc.)1 . Le
bilan général de ces études est très clair : il y a baisse du niveau de complexité
intégrative avant ou pendant un acte agressif, et augmentation de ce niveau avant
ou pendant un accord de paix. Une chute du niveau de complexité est donc souvent
un signal que la guerre est imminente, ceci quel que soit le contenu du discours.
Ainsi, un chef d’État qui parle de paix de manière unilatérale est peut-être en train
de préparer la guerre, comme l’ont démontré certains travaux.
Le lien complexité-paix est facile à comprendre. Négocier exige de penser au
point de vue de l’autre et de prendre en considération de multiples perspectives
différentes.
Certaines recherches ont montré que les leaders révolutionnaires qui ont réussi
manifestent généralement une faible complexité au cours de leur engagement comme
opposants au régime. Cependant, une fois parvenu au pouvoir, ils ne parviennent
généralement à le conserver que s’ils sont capables d’augmenter leur niveau de
complexité2 .
Par ailleurs, certains individus ont un niveau systématiquement plus élevé ou
plus bas de complexité que d’autres. Ainsi, la complexité de la politique d’une
nation peut changer lorsque son principal dirigeant change. Par exemple, Mikhaïl
Gorbatchev manifestait un niveau de complexité plus élevé que ses prédécesseurs
soviétiques. L’histoire a montré l’impact d’une telle personnalité.
1. Conway L.G. III, Suedfeld P. et Tetlock P.E. (2001). « Integrative complexity and political decisions
that lead to war or peace, in D.J. Christie, R.V. Wagner et D.D.N. Winter (éd.), Peace, Conflict, and
Violence : Peace Psychology for the 21st Century, 66-75. Upper Saddle River, NJ, Prentice Hall.
2. Suedfeld P. et Rank A.D. (1976). « Revolutionary leaders : Long-term success as a function of
changes in conceptual complexity », Journal of Personality and Social Psychology, 34, 169-178.
110
Fiche 23 • La psychologie politique
4. QUI SONT LES BONS PRÉVISIONNISTES ?
Un autre thème de recherche lié à la complexité intégrative concerne l’évaluation
de la pertinence des prévisions politiques et diplomatiques établies par des experts1 .
Premier constat : certains experts parmi les plus reconnus et les plus médiatiques
se trompent énormément, tout en continuant à jouir d’une belle réputation. Second
constat : un élément majeur distinguant les bons experts (ceux qui font des prévisions
qui s’avèrent ensuite souvent justes) des mauvais est leur niveau élevé de complexité
intégrative. Philip Tetlock, le chercheur en psychologie politique qui a mis cela
en évidence l’explique par le fait que ces personnes tiennent compte de multiples
avis divergents avant de formuler une prévision. Par ailleurs, ils sont rarement
positionnés franchement à droite ou à gauche, et émettent des opinions qui ne sont
ni très optimistes, ni très pessimistes.
5. BIBLIOGRAPHIE
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sentiments et passions politiques, Paris, Armand
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1. Tetlock P. (2006). Expert Political Judgment : How Good Is It ? How Can We Know ?, Princeton
University Press.
111
PARTIE
3
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les grands débats
La psychologie est issue de la philosophie. Les philosophes grecs étaient d’ailleurs
des maîtres de sagesse pratique bien plus que des théoriciens conceptuels. Comme
le souligne Pierre Hadot, leurs doctrines visaient plus à former qu’à informer1 .
Souvenons-nous d’ailleurs de l’adage : « Connais-toi toi-même » dont l’auteur est
resté inconnu, mais qui a été reprise par Socrate, Pascal et bien d’autres.
Ce sont peut-être ces origines qui expliquent pourquoi de multiples questionnements métaphysiques se sont développés au sein de la psychologie. Nombre de
ces interrogations tournent autour de la notion de liberté et de déterminisme, que
ce dernier soit d’origine génétique ou culturelle. La psychologie scientifique, en
instituant des procédures aptes à tester des hypothèses permet de faire avancer le
savoir. Celui-ci n’est pas figé, mais plutôt en constant remaniement, une découverte
venant en bouleverser une plus ancienne ou plus modestement la nuancer. Comme
l’écrit l’épistémologue Karl Popper :
« Pour rechercher la vérité, la meilleure méthode consiste peut-être à commencer par
soumettre à la critique nos croyances les plus chères. Ce projet pourra sembler retors
à certains, mais non à ceux qui veulent découvrir la vérité et ne s’en effrayent pas2 . »
Le lecteur pourra constater, à la lecture des pages qui suivent, qu’il s’avère
difficile d’adopter un point de vue unilatéral sur tel ou tel questionnement, si l’on
1. Hadot P. (2004). La Philosophie comme manière de vivre, Paris, LGF, Le livre de poche.
2. Popper K. (1972). Conjectures et réfutations, La croissance du savoir scientifique, Paris, Payot, p.
22.
Les grands débats
applique cette discipline mentale recommandée par Popper. Car l’être humain est
à la fois libre et déterminé, à la fois membre du règne animal et spécifiquement
humain ; l’individu possède une personnalité stable mais qui évolue au fil du temps,
etc.
Accepter cette complexité, c’est s’ouvrir à la connaissance.
114
L’être humain est-il libre
ou déterminé ?
24
La question de la liberté est centrale en sciences humaines et plus spécifiquement
en psychologie. Elle se trouve d’ailleurs au cœur de plusieurs autres fiches de ce
livre, qu’il s’agisse de l’influence des gènes (fiche 25), de la situation concrète dans
laquelle nous nous trouvons (fiches 2, 5 et 29) de notre milieu culturel (fiche 26)
ou encore de notre héritage animal (fiches 9 et 31).
Nous nous trouvons certes au centre de multiples influences, mais ce serait
une erreur d’en conclure que l’être humain est réduit à cela. Car au-delà de ce
polydéterminisme perdure en chacun de nous une aspiration fondamentale à la
liberté.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1. LE BESOIN FONDAMENTAL DE LIBERTÉ
La psychologie humaniste (fiche 3) a été la première à souligner ce besoin de
l’être humain, face au double déterminisme, externe décrit par le behaviorisme,
interne présenté par la psychanalyse. Cette thématique de la liberté est aujourd’hui
reprise, en particulier par les chercheurs travaillant sur l’autodétermination1 . Richard
Ryan et Edward Deci, chefs de file de ce courant, ont travaillé sur de multiples
domaines. Ils constatent par exemple que les politiques publiques visant à modifier
les comportements des gens reposent souvent, soit sur des « récompenses » en cas
de changement, soit sur des punitions en cas d’absence de changement2 . Cette
politique de la carotte ou du bâton obtient certes des résultats, mais présente
plusieurs inconvénients car les personnes qui constituent la cible présentent alors
une moins bonne santé psychologique et éprouvent de la défiance et du ressentiment.
Ceci a pour conséquence que ces politiques sont inefficaces à long terme ou lorsque
le contexte change, sauf si les incitations ou sanctions sont maintenues.
Par ailleurs, cette manière d’agir génère fréquemment un processus psychologique
appelé « réactance3 ». Ce terme désigne l’état émotionnel désagréable ressenti
lorsque l’individu se sent contraint, et qui l’incite à restaurer sa liberté, généralement
en agissant d’une manière contraire à celle qui est demandée. Un postulat de la
théorie de la réactance est que lorsque l’on interdit un comportement aux gens,
1. Ryan R.M. et Deci E.L. (2006). « Self-regulation and the problem of human autonomy : Does
psychology need choice, self-determination, and will ? », Journal of Personality, 74 (6), 1557-1585.
2. Moller A.C., Ryan R.M. et Deci E.L. (2006). « Self-determination theory and public policy :
Improving the quality of consumer decisions without using coercion », Journal of Public Policy and
Marketing, 25 (1), 104-116.
3. Brehm S.S. et Brehm J.W. (1981). Psychological Reactance, New York, Wiley and Son.
Fiche 24 • L’être humain est-il libre ou déterminé ?
celui-ci devient plus attirant à leurs yeux, ce que les chercheurs appellent processus
du fruit défendu. Par exemple, les avertissements du type : « En raison du contenu
violent (ou sexuel) de ce film, la prudence parentale est recommandée » incitent les
personnes à le regarder plus que s’il n’y a pas cette mise en garde1 . Il en est de même
pour les avertissements relatifs aux aliments riches en graisse ou au tabagisme chez
les jeunes.
À ce propos, signalons que l’industrie du tabac organise des campagnes de
prévention du tabagisme chez les jeunes ! Et que cette stratégie lui est très bénéfique...
En 2001, l’entreprise Philip Morris se vantait d’être impliquée dans plus de cent
trente programmes de ce type dans plus de soixante-dix pays. Ces programmes
se résument à ce type de slogan : « Réfléchissez. Ne fumez pas ! » Résultat : cela
augmente l’attrait pour le tabac chez les jeunes. Une analyse de documents internes
de ces entreprises a montré que cette stratégie est parfaitement calculée2 .
2. FACILITER L’AUTONOMIE ET LA RESPONSABILITÉ D’AUTRUI
Selon les spécialistes de l’autodétermination, une alternative pertinente aux
stratégies de la carotte ou du bâton consiste à soutenir l’aptitude à l’autonomie (ou
autodétermination) des personnes ; ce qui consiste à aider les gens à faire des choix
pour eux-mêmes en leur fournissant les informations et les conditions utiles, sans
chercher à les effrayer ou à faire pression sur eux.
Deci et Ryan opposent ainsi les concepts de motivation contrôlée et de motivation
autonome. Dans le premier cas, les personnes se sentent surveillées, contrôlées, sont
stressées par les objectifs imposés et elles ont peur des sanctions. Dans le second
cas, elles se sentent respectées, estiment que leur point de vue est pris en compte
et intériorisent facilement les comportements qui leur sont bénéfiques. Diverses
études ont montré que cette seconde approche est particulièrement efficace, dans
divers domaines tels que l’éducation, le travail, le sport, la santé ou encore les
comportements écologiquement responsables.
Par exemple, dans une étude menée auprès d’adolescents, des chercheurs
comparent l’efficacité de deux messages délivrés par un médecin pour la prévention
et la cessation du tabagisme3 . Dans une condition, l’accent est mis sur la peur,
au travers de dix diapositives particulièrement inquiétantes (par exemple, la
photographie des poumons noirs d’une personne morte de cancer). Durant toute sa
présentation, l’intervenant insiste sur le fait que les jeunes ne doivent pas fumer et,
s’ils le font, doivent s’arrêter immédiatement. Dans l’autre condition, les diapositives
1. Bushman B.J. et Stack A.D. (1996). « Forbidden fruit versus tainted fruit : Effects of warning
labels on attraction to television violence », Journal of Experimental Psychology : Applied, 2 (3),
207-226.
2. Landman A., Ling P.M. et Glantz S.A. (2002). « Tobacco industry youth smoking prevention
programs : Protecting the industry and hurting tobacco control », American Journal of Public Health,
92 (6), 917-930.
3. Williams G.C., Cox E.M., Kouides R. et Deci E.L. (1999). « Presenting the facts about smoking
to adolescents : Effects of an autonomy supportive style », Archives of Pediatrics and Adolescent
Medicine, 153, 959-964.
116
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Fiche 24 • L’être humain est-il libre ou déterminé ?
présentées insistent sur la nature séductrice des publicités de l’industrie du tabac et
sur le caractère addictif de la nicotine. L’intervenant souligne que le fait de fumer
ou non constitue une décision que chaque adolescent doit prendre pour lui-même
sur la base d’informations solides.
Les jeunes qui ont bénéficié de cette seconde forme de présentation fournissaient
ensuite des raisons plus autonomes de ne pas fumer. Ce changement de conceptions
était prédictif de la réduction de tabagisme au cours des quatre mois de suivi de
l’étude.
Dans une étude déjà ancienne (1976), mais qui a marqué les esprits, Ellen Langer
étudie les effets de la prise de décision et de responsabilités chez les pensionnaires
d’une maison de retraite1 . Elle répartit ces personnes en deux groupes. Dans l’un,
les personnes âgées sont encouragées à prendre davantage de décisions simples :
choisir l’endroit où elles recevront leurs visiteurs, décider si elles veulent voir un
film, et si oui quel jour, soigner une plante verte.
On confie également des plantes aux personnes de l’autre groupe, mais en leur
précisant que ce sont les infirmières qui s’en chargeront et on leur rappelle que le
personnel est là pour les aider.
Dans le suivi réalisé trois semaines plus tard, les chercheurs constatent une nette
amélioration du groupe responsabilisé. Ces personnes participent beaucoup plus aux
activités de l’établissement, sont plus sociables et éprouvent un meilleur bien-être.
Ce résultat est toujours présent lorsque les chercheurs reviennent dans la maison de
retraite un an et demi plus tard. Plus étonnant encore, alors que l’état de santé des
deux groupes était comparable avant l’étude, celui du groupe expérimental s’est
amélioré tandis que celui de l’autre groupe s’est aggravé. Le résultat le plus frappant
est la différence de taux de mortalité : dix-huit mois après le début de l’expérience,
30 % des personnes du groupe « dépendant » sont mortes contre 15 % de celles du
groupe responsabilisé. Des résultats comparables ont été obtenus dans une étude
plus récente2 .
Dans une série d’études, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois montrent
que le fait d’imposer des comportements ou inversement de donner de la liberté
aux gens modifie fortement les résultats3 . Par exemple, dans une recherche sur la
formation professionnelle, le formateur, soit insiste sur le caractère obligatoire de
la présence (avec retenue sur salaire en cas d’absence injustifiée), soit souligne
le caractère volontaire de la formation. Résultat : 56 % des stagiaires du premier
groupe trouvent un emploi contre 25 % des autres. Trois mois plus tard, les taux de
placement sont respectivement de 69 % et de 35 %.
1. Langer E. (1990). L’Esprit en éveil, Pour échapper aux pièges des préjugés et des conditionnements,
Paris, InterEditions, p. 86-87.
2. Kasser V.G. et Ryan R.M. (1999). « The relation of psychological needs for autonomy and
relatedness to vitality, well-being, and mortality in a nursing home », Journal of Applied Social
Psychology, 29 (5), 935-954.
3. Joule R.-V. et Beauvois J.-L. (1998). La Soumission librement consentie, Paris, PUF.
117
Fiche 24 • L’être humain est-il libre ou déterminé ?
Ces deux auteurs présentent d’autres expériences du même type sur des thèmes
aussi divers que l’économie d’énergie, le port de casque de sécurité sur un chantier,
l’adoption du préservatif par des adolescents.
Notons au passage cette différence de regard. Deci et Ryan parlent de soutien à
l’autonomie, tandis que Beauvois et Joule parlent de soumission librement consentie.
Pour les premiers, la liberté de la personne est bien réelle alors qu’elle n’est
qu’illusoire pour les seconds. Rappelons ici le propos du philosophe Paul Ricœur,
selon lequel la présence d’influences externes n’interdit pas automatiquement d’agir
librement1 . Une personne peut être autodéterminée, même si elle agit sous l’effet
d’une demande externe, dans la mesure où elle se sent pleinement en accord avec
cette demande. Le meilleur exemple à ce propos est probablement celui du respect
du Code de la route.
3. PEUT-ON APPRENDRE AUX ENFANTS À ÊTRE AUTONOMES ?
Peut-on apprendre à quelqu’un à être autonome, en particulier un enfant ? La
question n’est pas aussi paradoxale qu’elle peut le sembler au premier abord. Diana
Baumrind a établi une typologie des styles d’éducation, à partir de deux attitudes :
la chaleur et le contrôle, ce qui l’a conduite à distinguer trois styles d’éducation :
autoritaire, permissif et « autoritatif2 ». Ce dernier terme caractérise une éducation
associant chaleur humaine et contrôle du comportement de l’enfant, alors que les
deux autres privilégient nettement l’une de ces deux attitudes au détriment de
l’autre. Ce sont les enfants de parents autoritatifs qui acquièrent le plus nettement
un sentiment de maîtrise de leur propre existence (fiche 13).
4. BIBLIOGRAPHIE
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118
Quelle est la part
de la génétique et celle
de l’environnement ?
25
La question de l’origine, génétique ou environnementale, de nos pensées, comportements et émotions, fait l’objet de débats récurrents entre spécialistes des
sciences humaines. Les recherches ont surtout porté sur les traits de personnalité,
les comportements, les troubles mentaux et l’intelligence.
1. NE PAS CONFONDRE
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Avant toutes choses, il est utile d’établir clairement certaines distinctions. En
effet, certaines confusions sont fréquentes lorsque l’on aborde le domaine complexe
des relations entre la génétique et l’environnement. Il faut donc éviter de confondre :
• génétique et inéluctable : certains gènes ne s’expriment que lorsque des conditions
environnementales sont présentes. Par exemple, la phénylcétonurie est une maladie
génétique due à la sécrétion d’une quantité excessive d’un acide aminé, la
phénylalanine. Elle entraîne un retard mental profond. Il est cependant possible
d’éviter son apparition grâce à un régime alimentaire strict chez l’enfant et le
jeune ;
• génétique et héréditaire : un trait génétique n’est pas forcément transmis d’une
génération à l’autre. Par exemple, la mastocytose est une maladie génétique non
héréditaire, caractérisée par une prolifération anormale des mastocytes, cellules
du système immunitaire, dans différents organes comme la peau, les os ou les
muqueuses des voies digestives ;
• génétique et inné : inné signifie présent dès la naissance (in-né). La plupart des
caractéristiques innées sont d’origine génétique, mais pas toutes ; certaines sont le
fruit de l’influence environnementale in utero. Dans ce cas, l’inné est acquis ! Par
exemple, l’alcoolisme maternel grave peut entraîner chez le fœtus le « syndrome
alcoolique fœtal », qui se traduit notamment par un handicap mental irréversible.
Ce trouble est donc inné, mais d’origine environnementale, non génétique.
2. COMMENT ÉTUDIER L’IMPACT DES GÈNES
ET DE L’ENVIRONNEMENT ?
Partons d’un exemple concret : le trouble obsessionnel-compulsif est une
« maladie familiale », en ce sens que lorsqu’une personne est atteinte, la probabilité
qu’une autre personne le soit également est plus forte que ce que l’on observe dans
la population générale. Mais savoir cela ne nous dit pas si ce phénomène est dû à
la présence de caractéristiques génétiques identiques chez les personnes atteintes
Fiche 25 • Quelle est la part de la génétique et celle de l’environnement ?
ou au fait qu’elles vivent dans le même environnement familial. Dès lors, trois
principales méthodes ont été utilisées pour déterminer la contribution respective
des gènes et de l’environnement : les recherches sur les jumeaux, sur les enfants
adoptés et, plus récemment, sur les marqueurs génétiques.
a Les recherches sur les jumeaux
Les jumeaux monozygotes (« vrais jumeaux »), issus d’un même œuf, ont le
même patrimoine génétique, tandis que les dizygotes (« faux jumeaux ») n’ont
en commun, en moyenne, que la moitié de leurs gènes. En comparant le taux de
corrélation entre vrais jumeaux d’une part, et entre faux jumeaux d’autre part, sur
un trait particulier, on peut déterminer la part d’influence respective de la génétique
et de l’environnement. Ainsi, si un trait était entièrement déterminé par les gènes, le
coefficient de relation génétique serait de 1 pour les vrais jumeaux (totale identité
génétique) et de 0,5 pour les faux jumeaux.
Par ailleurs, les vrais jumeaux élevés séparément permettent théoriquement
d’évaluer l’impact de l’environnement, puisque l’influence génétique est identique
pour chacun des enfants. Cette situation est aujourd’hui rare. De plus, les travaux de
René Zazzo (1910-1995) montrent les limites de cette méthodologie. En effet, cet
auteur a mis en évidence le « paradoxe des jumeaux », processus qui pousse certains
jumeaux élevés ensemble à agir d’une manière qui leur permet de se construire une
personnalité différenciée1 .
b Les recherches sur les enfants adoptés
Le problème majeur dans les études au sein de la famille est que les ressemblances
entre frères et sœurs peuvent être dues à l’hérédité partagée ou à l’environnement
partagé.
Les études sur l’adoption évitent cette difficulté. Les ressemblances entre
enfants d’une même famille biologique mais élevés séparément sont liées à des
facteurs génétiques. Inversement, les ressemblances entre enfants n’ayant pas de
lien biologique mais adoptés dans une même famille sont dues à des influences
environnementales communes.
c La recherche de marqueurs génétiques
Le Téléthon nous a habitués à la réalité des maladies d’origine génétique. De la
même manière, des généticiens s’efforcent de découvrir les liens entre certaines
particularités génétiques et tel ou tel comportement, trait de personnalité, etc.
3. LE PARADIGME INTERACTIONNISTE
Si, dans le passé, certains auteurs ont pu adopter des positions radicales dans ce
débat, privilégiant soit un environnementalisme quasi absolu, soit un « généticisme »
inéluctable, les conceptions actuelles sont devenues plus ouvertes. La grande
majorité des chercheurs contemporains refusent l’opposition dichotomique entre
1. Zazzo R. (1984). Le Paradoxe des jumeaux, Paris, Stock.
120
Fiche 25 • Quelle est la part de la génétique et celle de l’environnement ?
gènes et environnement, et adoptent une approche interactionniste. En fait, se
demander ce qui est le plus important, des gènes ou de l’environnement, équivaut
à s’interroger sur ce qui est le plus important pour déterminer la surface d’un
rectangle : la longueur ou la largeur ? ; ou encore le plus important pour faire un
trajet : la voiture ou l’essence ? Génétique et environnement sont inextricablement
liés dans l’existence de chaque être humain.
Ainsi, la génétique, après avoir été longtemps mise à l’index, particulièrement en
raison des atrocités nazies, est de plus en plus acceptée dans l’univers scientifique.
Mais les généticiens eux-mêmes ont généralement une vision non déterministe de
leur discipline. Par exemple, Pierre Roubertoux affirme que « l’idée d’une relation
quasi mécanique, d’une causalité linéaire entre gène, fonctionnement neuronique et
comportement — ou phénotype, plus généralement — a vécu1 ». Ainsi, plusieurs
gènes peuvent concourir à une même caractéristique humaine, et un gène peut
influencer plusieurs facettes de l’individu. Il y a un réseau complexe de multiples
causalités.
Voici trois exemples de recherche mettant en évidence ces liens complexes
de causalité : tout d’abord deux études, rapidement décrite, l’une concernant
la schizophrénie, l’autre la criminalité, illustrent le fait qu’une prédisposition
génétique peut se manifester ou non, selon le type d’environnement ; ensuite
une étude présentée plus en détail, montre l’influence respective des gènes et de
l’environnement sur l’intelligence.
Une étude réalisée en Finlande a montré que les enfants adoptés qui avaient
un parent biologique schizophrène avaient plus de probabilités de développer un
ensemble de troubles psychiatriques (dont la schizophrénie) que les enfants adoptés
sans risque génétique, mais seulement s’ils étaient adoptés dans des familles au
comportement parental inadapté2 .
Une recherche a été menée auprès d’enfants dont les parents biologiques avaient
un parcours criminel3 . S’ils étaient adoptés dans une famille fonctionnant bien,
12 % de ces enfants manifestaient une légère criminalité à l’âge adulte. Mais s’ils
étaient adoptés dans des familles à risque, ce taux s’élevait à 40 %.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4. L’EXEMPLE DE L’INTELLIGENCE
De nombreuses études ont fait appel à des enfants adoptés pour étudier l’impact
de l’environnement ou de la génétique sur l’intelligence. Mais l’on peut aboutir à
des résultats très différents selon la méthodologie utilisée.
1. Roubertoux P. (2004). Existe-t-il des gènes du comportement ?, Paris, Odile Jacob, p. 73-74.
2. Tienari P et al. (1994). « The Finnish adoptive family study of schizophrenia : implications for
family research », British Journal of Psychiatry, 164 (suppl. 23), 20-26.
3. Bohman, M. (1996). « Predisposition to criminality : Swedish adoption studies in retrospect », in
G.R. Bock et J.A. Goode (éd.). Genetics of Criminal and Antisocial Behavior (p. 99-114). Chichester,
England, Wiley.
121
Fiche 25 • Quelle est la part de la génétique et celle de l’environnement ?
Si l’on s’intéresse surtout aux parents adoptants, on constatera l’impact de
l’environnement ; en revanche, si l’on s’intéresse surtout aux parents biologiques,
on constatera l’impact de la génétique.
Ainsi, une étude de Michel Schiff et ses collaborateurs a porté sur des enfants
d’ouvriers peu qualifiés, abandonnés à la naissance, et adoptés vers 4 mois par une
famille dont le père se situait dans un niveau proche des cadres supérieurs1 . Le QI de
ces enfants adoptés s’est avéré sensiblement supérieur à la moyenne nationale (109
contre 100). À l’inverse, leurs frères et sœurs biologiques qui avaient été élevés dans
la famille d’origine ont obtenu des scores de QI de 95. L’adoption a donc permis
une élévation de 14 points de quotient intellectuel. De plus, le taux d’échec scolaire
est quatre fois moins important dans le premier groupe que dans le deuxième.
Inversement, le QI d’enfants adoptés est d’autant plus élevé que la famille
biologique est d’un niveau socio-économique élevé. Ici, c’est la génétique qui
permet le mieux d’expliquer cette différence.
Une étude a fait appel aux deux méthodes2 . Menée par Christiane Capron et
Michel Duyme, du CNRS, sur des enfants adoptés, d’une moyenne d’âge de 14 ans,
elle aboutit aux résultats du tableau 25.1.
Tableau 25.1. Impact conjoint de la génétique
et de l’environnement sur le QI d’enfants adoptés.
Parents adoptants
À fort niveau
À faible
socioniveau socioéconomique économique
À fort niveau
socioéconomique
QI
des enfants
adoptés :
entre 99
et 136
QI
des enfants
adoptés :
entre 91
et 124
Moyenne
du QI
des enfants
adoptés :
113,55
À faible
niveau socioéconomique
QI des
enfants
adoptés :
entre 91
et 125
QI des
enfants
adoptés :
entre 68
et 116
Moyenne du
QI des
enfants
adoptés :
98
Moyenne
du QI
des enfants
adoptés :
111,6 points
de QI
Moyenne
du QI
des enfants
adoptés :
99,95 points
de QI
Parents
biologiques
Écart :
15,55 points
de QI
Écart : 11,65 points de QI
1. Schiff M., Duyme M., Dumaret A., Stewart J., Tomkiewicz S. et Feingold J. (1978). « Intellectual
status of working-class children adopted early into upper-middle-class families », Science, 200 (4349),
1503-1504.
2. Capron C. et Duyme M. (1989). « Assessment of effects of socio-economic status on IQ in a full
cross-fostering study », Nature, 34, no 6234. 552-554.
122
Fiche 25 • Quelle est la part de la génétique et celle de l’environnement ?
Entre autres informations, ce tableau met en évidence une différence de 11,65
points de moyenne de QI entre les enfants (bas du tableau), selon qu’ils ont été
adoptés par des parents à haut ou à bas niveau socio-économique. Un résultat qui
va dans le sens d’une influence environnementale.
Mais il y a également une différence de 15,55 points de QI entre les enfants
(droite du tableau), selon que leurs parents biologiques étaient de haut ou bas niveau
socio-économique. Un résultat qui va dans le sens d’une influence génétique. Les
auteurs précisent cependant, à propos de ce second résultat qu’il ne faut pas oublier
l’impact possible de l’environnement prénatal et que cette différence ne peut donc
être entièrement attribuée à la génétique1 .
Signalons enfin, pour la petite histoire « idéologique » le fait suivant. Cette
étude a fait l’objet d’un compte rendu le même jour dans Le Monde et dans Le
Figaro2 . Ce dernier a titré « Les chemins de l’intelligence innée » et Le Monde a
titré « Le coefficient intellectuel des enfants adoptés dépend de leur environnement
socio-économique ». Sans commentaire.
5. UNE TROISIÈME SOURCE DE DIFFÉRENCES ?
Notons pour finir que la génétique et l’environnement ne semblent pas suffire pour
expliquer les différences individuelles. Une troisième source, épigénétique, semble
également jouer un rôle. L’épigénèse est une théorie biologique selon laquelle un
organisme n’est pas préformé mais se développe progressivement. Selon une équipe
de chercheurs hollandais, des processus épigénétiques non linéaires peuvent créer
de la variabilité dans toutes les facettes physiologiques et comportementales d’un
individu, grâce à des propriétés auto-organisatrices émergentes3 . Ces processus sont
rarement repérés dans les études de statistiques réalisées avec des êtres humains,
car ils sont confondus avec les influences environnementales, en particulier au sein
de la famille.
6. BIBLIOGRAPHIE
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1. Sur l’impact de l’environnement prénatal sur le quotient intellectuel, voir Devlin B., Daniels M. et
Roeder K. (1997). « The heritability of IQ », Nature, 388, 31 juillet, 468-470.
2. 22 août 1989.
3. Molenaar P.C.M., Boomsma D.L. et Dolan C.V. (1993). « A third source of developmental
differences », Behavior Genetics, 23 (6), 519-524.
123
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MEHLER J. et DUPOUX E. (2006). Naître
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du comportement ? Paris, Odile Jacob.
124
TOUSIGNANT M. (1992). Les Origines
sociales et culturelles des troubles psychologiques, Paris, PUF.
Le fonctionnement
humain est-il culturel
ou universel ?
26
Après les philosophes, des psychologues, anthropologues, linguistes et sociologues
débattent de nos jours sur la question de savoir si nos comportements, pensées et
émotions, etc., sont universels ou culturels. Cette fiche est l’occasion d’examiner
ces débats, essentiellement à propos de trois thématiques : le langage, les cultures
individualistes ou communautaires, les troubles psychiatriques et la psychothérapie.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1. NOTRE LANGUE DÉTERMINE-T-ELLE NOTRE PENSÉE ?
Edward Sapir (1884-1939), puis son élève Benjamin Whorf (1897-1941), tous
deux linguistes et anthropologues, ont développé l’hypothèse de la relativité
linguistique, également appelée « hypothèse Sapir-Whorf », selon laquelle la
structure d’une langue détermine la pensée et donc la culture du peuple qui la parle1 .
Deux exemples souvent cités sont d’une part celui des Inuits qui disposeraient
d’une dizaine de mots pour parler de la blancheur de la neige, d’autre part celui
de la langue hopi qui ne contiendrait pas de mots se rapportant au temps (qu’il
soit présent, passé ou futur). Cette théorie a suscité de nombreuses recherches, en
particulier en ce qui concerne la catégorisation des couleurs selon la culture.
Le coup le plus dur qui lui ait été porté est venu du travail de Brent Berlin et
Paul Kay en 19692 . Ces deux auteurs concluent, de l’étude de nombreuses langues,
que les catégories de couleurs fondamentales sont en nombre limité. Par exemple,
les langues utilisant quatre catégories de couleurs reprennent toujours les mêmes :
rouge, bleu, vert et jaune. Par ailleurs, il y a effectivement des différences dans la
dénomination des couleurs, mais cette variation peut s’expliquer grâce au codage
des couleurs par la rétine, et non par la structure de la langue.
Ce travail a lui-même fait l’objet de diverses critiques, contestant la méthodologie
utilisée et mettant en avant l’existence de contre-exemples dans diverses sociétés. Le
débat se poursuit toujours et Paul Kay a récemment écrit que la conception globale
qui se dessine est que les catégories de couleur apparaissent organisées autour de
noyaux universels, et qu’en même temps, des différences dans la dénomination des
couleurs induisent des différences dans la connaissance de celles-ci3 .
1. Whorf B.L. (1956). Language, Thought and Reality, New York, Wiley and Sons.
2. Berlin B. et Kay P. (1969). Basic Color Terms : Their Universality and Evolution. Berkeley,
University of California Press.
3. Kay P. et Regier T. (2006). « Language, thought and color : recent developments », Trends in
Cognitive Science, 10, 51-54.
Fiche 26 • Le fonctionnement humain est-il culturel ou universel ?
2. INDIVIDUALISME ET COLLECTIVISME : ENNEMIS
OU COMPLÉMENTAIRES ?
L’un des principaux domaines de recherches de psychologie culturelle concerne la
différence entre les cultures dites individualistes et celles qualifiées de collectivistes
ou communautaires. Ainsi, dans un article de synthèse de 1991 souvent cité,
Hazel Markus et Shinobu Kitayama établissent une claire distinction entre une
conception indépendante du soi (présente surtout en Amérique du Nord et en
Europe occidentale) et une conception interdépendante (particulièrement présente
en Asie et en Afrique)1 . La première met l’accent sur les caractéristiques internes
de chaque personne, sur le besoin ressenti de se réaliser soi-même, de développer
son potentiel individuel et son autonomie, tandis que la seconde se caractérise
par la volonté d’interagir avec d’autres êtres humains d’une manière polie et
décente, et en respectant des obligations à son égard. Par exemple, soulignent
Markus et Kitayama, l’affirmation de soi n’est pas considérée au Japon comme
une manifestation d’authenticité, mais plutôt d’immaturité. Ces auteurs notent
cependant que peuvent exister des sous-cultures différentes au sein d’une tendance
générale. Par exemple aux États-Unis, certains groupes religieux, comme les quakers,
valorisent explicitement l’interdépendance.
Différentes critiques ont conduit à fortement nuancer cette conception dichotomique. Par exemple, David Matsumoto fait une critique sans concession de
cette thèse, affirmant qu’en dépit de sa popularité, aucune recherche n’a encore
véritablement recensé objectivement l’ensemble des preuves la soutenant2 . Cet
auteur souligne par exemple que, sur les dix-huit études ayant testé les différences
entre Japonais et Américains, dix-sept ne confirment pas ou que peu la vision
stéréotypée de l’individualisme américain et du collectivisme japonais. La seule
étude qui la confirme a été contestée sur le plan méthodologique. Matsumoto admet
que la culture et la société japonaises ont peut-être été plus collectivistes dans
le passé que maintenant ; cependant, souligne-t-il, la culture n’est pas une entité
statique, mais variable et dynamique.
Aujourd’hui, des chercheurs de plus en plus nombreux considèrent que le besoin
d’autonomie d’une part, et celui d’appartenance d’autre part, sont à la fois le reflet
de la culture et du choix de l’individu dans telle situation donnée3 . Ceci a été
vérifié expérimentalement, par exemple dans la recherche suivante : on demande
à des sujets Américains et Hongkongais d’encercler des pronoms ; il est demandé
à certains d’encercler les pronoms indépendants (je, mon, ma, mes) et à d’autres
1. Markus H.R. et Kitayama S. (1991). « Culture and the self : Implications for cognition, emotion,
and motivation », Psychological Review, 98 (2), 224-253.
2. Matsumoto D. (1999). « Cuture and self : an empirical assessment of Markus and Kitayama’s
theory of independent and interdependent self-construals », Asian Journal of Social Psychology, 2,
289-310.
3. Gardner W.L., Gabriel S. et Lee A.Y. (1999). « “I” value freedom, but “we” value relationships :
Self-construal priming mirrors cultural differences in judgment », Psychological Science, 10 (4),
321-326.
126
Fiche 26 • Le fonctionnement humain est-il culturel ou universel ?
d’encercler les pronoms interdépendants (nous, notre, nos). Puis on présente à
chacun une liste de cinquante-six valeurs en demandant d’indiquer dans quelle
mesure chaque valeur est importante à ses yeux, sur une échelle allant de 1 (pas
important) à 7 (extrêmement important). Certaines valeurs sont individualistes
(liberté, indépendance, etc.), d’autres sont collectivistes (appartenance, amitié,
respect pour les anciens etc.).
Les résultats mettent clairement en évidence l’interaction entre l’influence de
la culture et celle du contexte. La majorité des personnes qui ont dû entourer les
pronoms « interdépendants » ont tendance à adopter des valeurs collectivistes, les
Hongkongais étant cependant proportionnellement plus nombreux à le faire que les
Américains. Inversement, la majorité des personnes qui ont dû entourer les pronoms
« indépendants » ont tendance à adopter des valeurs individualistes, les Américains
étant proportionnellement plus nombreux à le faire que les Hongkongais.
Par ailleurs, une étude récente, menée auprès de deux mille cinq cent trente-trois
personnes de vingt pays, a montré que les individus sont certes plus compétitifs ou
coopératifs selon les pays, mais qu’il existe également une grande variabilité entre
individus au sein de chaque pays1 .
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
3. LES TROUBLES PSYCHIATRIQUES LIÉS À LA CULTURE
ET LEUR THÉRAPIE
L’expression « syndrome lié à la culture » désigne des « schémas de comportements aberrants et d’expériences perturbantes qui sont spécifiques d’une région »
du monde2 . Par exemple, l’amok, observé en particulier en Malaisie et au Laos,
désigne le comportement d’un homme (seul le sexe masculin est concerné) qui
devient soudain agressif et tente d’attaquer, voire de tuer, tout ce qui bouge autour
de lui. Le latah, présent en Malaisie et en Indonésie s’exprime sous forme de
paroles et gestes obscènes ou irrespectueux. Le rootwork, observé dans le sud
des États-Unis ainsi qu’aux Caraïbes désigne le fait d’attribuer une maladie à des
sortilèges ou à la mauvaise influence d’une autre personne. Ces descriptions peuvent
nous faire penser que ces particularités sont « exotiques ». Pourtant, en Europe,
l’hystérie, qui était au cœur de la psychiatrie naissante (XIXe siècle) et qui a suscité
beaucoup d’intérêt chez Freud, a quasiment disparu aujourd’hui. Inversement,
l’anorexie constitue aujourd’hui un trouble assez répandu alors qu’il était très peu
diagnostiqué il y a quelques décennies. Autre exemple : le trouble dissociatif de
l’identité (antérieurement appelé personnalité multiple) dont on ne connaissait que
quelques cas jusqu’aux années soixante-dix, s’est largement répandu aux États-Unis
dans les années 1980-1990, au point d’être qualifié d’« épidémie », puis a fortement
rechuté.
1. Green E.G.T., Deschamps J.-C. et Paez D. (2005). « Variation of individualism and collectivism
within and between 20 countries ; A typological analysis », Journal of Cross-Cultural Psychology, 36
(3), 321-339. Voir aussi le dossier paru dans Psychological Bulletin de janvier 2002.
2. DSM IV- TR, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (2003). Paris, Masson, p.
1015-1022.
127
Fiche 26 • Le fonctionnement humain est-il culturel ou universel ?
Les syndromes liés à la culture font l’objet d’une reconnaissance officielle,
puisqu’ils sont maintenant inscrits dans le DSM-IV, le manuel de référence le plus
utilisé dans le monde pour diagnostiquer les troubles psychiatriques. Il y a cependant
actuellement débat entre experts sur la question de savoir s’il s’agit véritablement
de troubles spécifiques à telle ou telle culture, ou si la psychopathologie de base est
universelle et que les différences interculturelles concernent surtout la manifestation
comportementale de ces troubles.
Quelle que soit la réponse donnée à cette question, il est facile de concevoir que
la thérapie adaptée peut varier selon les cultures. Prenons l’exemple du syndrome
de stress post-traumatique, caractérisé par le fait qu’un individu ayant subi un
traumatisme est envahi par des souvenirs douloureux, de l’insomnie, de la nervosité,
etc. Ce trouble a conduit à la création du debriefing, méthode visant à la libération
de la parole et des émotions. Cette méthode est inefficace en général (fiche 33),
et probablement particulièrement inadaptée à certaines populations. En effet, les
sociétés traditionnelles ont souvent mis en place des « stratégies » collectives de
guérison des traumatismes : rituels de guérison, cérémonies religieuses, danses
communautaires, etc.
À titre d’illustration, voici les propos tenus par la victime d’un tremblement de
terre à Taïwan : « Je ne sais pas comment communiquer avec les experts. Il m’a dit
que j’avais une certaine forme de maladie dans mon esprit, mais je pense que je
vais bien. Il m’a demandé d’exprimer ce que je ressentais au sujet du tremblement
de terre, mais cela me gêne de parler aux gens de mes sentiments. [...] Je suis allé
voir un Maître au temple, et il m’a dit comment réagir à la situation. Comment
calmer mes inquiétudes par l’adoration et par l’aide aux autres. Comment accepter
le chagrin comme une disposition des dieux1 . »
Comme nous avons pu le constater au fil des lignes qui précèdent, l’opposition
frontale universel-culturel n’a pas vraiment de sens. De plus en plus d’auteurs
s’efforcent de tenir les deux bouts de la chaîne, en cherchant « les conditions
sous lesquelles les mécanismes universels s’expriment de manière culturellement
spécifique2 », et souhaitent « l’intégration conjointe des diverses expressions des
normes universaliste et relativiste dans un sens positif et constructif. Cette position
est désignée par l’expression d’“universalisme culturel”3 ».
Jerome Bruner, l’un des pères fondateurs de la psychologie cognitive déclare par
exemple :
« Je voudrais tenter de définir des universaux humains, cohérents avec la psychologie
culturelle, qui évitent à la fois les indéterminations du relativisme et les trivialités de
la psychologie transculturelle. [...] Le moteur de la voiture n’est pas responsable de
1. Cité par Marsella A.J. et Christopher M. A. (2004). Ethnocultural considerations in disasters : An
overview of research, issues, and directions, Psychiatric Clinics of North America, 27, 521-539.
2. Norenzayan, A. et Heine, S. J. (2005). Psychological universals : What are they and how can we
know ? Psychological Bulletin, 131 (5), 763-784.
3. Troadec B. (2007). Psychologie culturelle. Le développement cognitif est-il culturel ?, Paris, Belin,
p. 89.
128
Fiche 26 • Le fonctionnement humain est-il culturel ou universel ?
ce que nous allons au supermarché pour faire les courses de la semaine. [...] Cela
n’empêche pas que nous ne pourrions pas aller au supermarché dans une voiture
dépourvue de moteur1 . »
4. BIBLIOGRAPHIE
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Fondements de psychologie culturelle, Paris,
L’Harmattan.
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1. Bruner J. (1997). ...Car la culture donne forme à l’esprit, De la révolution cognitive à la psychologie
culturelle, Genève, Eshel, p. 35-36.
129
27
Tout se joue-t-il
dans l’enfance ?
Le débat est parfois vif parmi les psychologues entre ceux qui estiment que les traits
de notre personnalité sont fixés dès l’enfance et ne varieront pratiquement pas, et
ceux qui pensent au contraire que l’environnement est tout-puissant et modèle notre
caractère. De nombreuses études ont été réalisées sur ce thème, avec des résultats
parfois contradictoires.
1. ON PEUT ÉVOLUER À TOUT ÂGE
Une récente méta-analyse, la plus vaste possible, rassemblant quatre-vingt-douze
études et portant en tout sur plus de cinquante mille personnes, éclaire nettement le
débat1 . Les auteurs se sont intéressés aux recherches portant sur les « Big Five »,
qui sont cinq traits majeurs de personnalité (fiche 7), en divisant l’extraversion en
deux catégories : la dominance sociale et la vitalité sociale (satisfaction d’être avec
d’autres personnes).
Résultat : les traits de personnalité changent au fil du temps, mais de façon
modérée. Les années passant, les gens deviennent en moyenne plus dominants,
plus consciencieux et plus stables émotionnellement, le changement se produisant
surtout lorsqu’ils entrent dans l’âge adulte, mais également en milieu de vie et
au troisième âge. Quant à la vitalité sociale et à l’ouverture à l’expérience, elles
augmentent en moyenne dans la jeunesse, puis diminuent au troisième âge. Il n’y a
donc pas un âge spécifique (on pense généralement à l’adolescence) après lequel
les traits de personnalité seraient définitivement stabilisés. Certes, les changements
constatés dans cette étude sont d’ampleur limitée, mais les auteurs font remarquer
que de faibles changements de personnalité entraînent parfois des changements
importants dans l’existence. Par ailleurs, l’étude s’est surtout focalisée sur des
changements intervenants au cours de périodes limitées (au maximum dix ans).
Comment se fait-il que les plus forts changements de personnalité se produisent
lorsque l’individu est un jeune adulte et non pas à l’adolescence, comme certains le
pensent parfois ? C’est, selon les auteurs, parce les transformations concrètes liées à
cette période de la vie, conduisent la personne à changer de personnalité. Si l’on veut
rester en couple, il faut nécessairement acquérir une certaine stabilité émotionnelle ;
si l’on veut conserver son emploi, il faut apprendre à respecter certaines règles, ce
qui conduit à être plus consciencieux, etc.
1. Roberts B.W., Walton K. et Viechtbauer W. (2006). « Patterns of mean-level change in personality
traits across the life course : A meta-analysis of longitudinal studies », Psychological Bulletin, 132
(1), 1-25.
Fiche 27 • Tout se joue-t-il dans l’enfance ?
Les résultats obtenus conduisent les auteurs de l’étude à se démarquer de
deux positions extrêmes opposées : d’une part celle des chercheurs qui postulent
que les traits de personnalité n’existent pas, d’autre part celle des spécialistes
qui, inversement, affirment que les traits de personnalité sont immuables. Ces
auteurs fournissent d’ailleurs une explication des résultats contradictoires observés
jusqu’alors dans les études :
• les auteurs qui prônent l’immutabilité ont essentiellement fait porter leurs
recherches sur des personnes d’au moins 40 ans (période où les changements
sont moins nombreux) et pour de courtes durées (moins de trois à six ans entre
deux tests de personnalité, ce qui laisse peu de temps pour que des changements
apparaissent) ;
• inversement, ceux qui affirment que la personnalité peut fortement changer
choisissent pour leurs recherches plutôt de jeunes adultes (période de fort
changement) et pour des durées plus longues.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
2. LES ADOLESCENTS HEUREUX DEVIENNENT DES ADULTES
HEUREUX
À la fin des années cinquante, Daniel Offer travaille comme psychiatre dans un
hôpital universitaire de Chicago. Il se sent en décalage avec ses collègues qui, fidèles
à la tradition psychanalytique, estiment que le meilleur moyen de comprendre les
humains consiste à étudier ceux qui fonctionnent de façon pathologique. Selon lui,
cette vision est erronée et conduit à donner une image faussée de l’être humain.
Par ailleurs, toujours selon la psychanalyse, l’adolescent passe nécessairement
par une période d’importantes tensions. Celui qui ne présente apparemment pas de
difficultés particulières est en fait en train de refouler ses pulsions, avec de graves
conséquences pour son équilibre futur.
Daniel Offer décide, lui, de mener une enquête de terrain auprès d’adolescents
en bon équilibre personnel et en bonnes relations avec leur entourage. Les résultats
qu’il obtient alors conduisent certains théoriciens à déclarer qu’il est erroné de
considérer ces adolescents comme « normaux », car ils refoulent leur trouble ou
leur pathologie sous-jacente.
Ceci a donc conduit Daniel Offer et ses collaborateurs à revoir ces jeunes
trente-quatre ans plus tard. Or ils continuent à aller bien, et n’ont pas vécu de crise
de l’adolescence à retardement, contrairement à ce que prédisaient les détracteurs
d’Offer. Ce dernier et ses collaborateurs concluent que « les personnes habituelles
ne luttent pas avec des pulsions déchaînées, mais parviennent tôt dans la vie à un
équilibre entre les volontés et désirs personnels, et les exigences et les attentes de
leur famille et de la société. Cet équilibre est atteint naturellement et sans désarroi,
est durable et caractérise probablement la grande majorité des gens1 ».
1. Offer D., Offer M. K. et Ostrov E. (2004). Regular Guys, 34 Years Beyond Adolescence, New York,
Kluwer Academic, p. 102.
131
Fiche 27 • Tout se joue-t-il dans l’enfance ?
3. LES JEUNES DÉLINQUANTS NE SONT PAS CONDAMNÉS
À LE RESTER
En 1986, John Laub et Robert Sampson, respectivement criminologue et
sociologue, découvrent par hasard, dans la cave de la Harvard Law School, les
soixante cartons d’archives poussiéreuses d’une étude classique sur la délinquance
juvénile, menée à partir des années 1940 par Sheldon et Eleanor Glueck. Cette
étude concernait cinq cents jeunes délinquants de 10 à 17 ans et cinq cents non
délinquants aux caractéristiques identiques en ce qui concerne l’âge, le groupe
ethnique, le QI et le milieu familial (à faible revenu). Des données très riches avaient
alors été recueillies sur ces mille garçons à trois moments : à 14 ans, 25 ans et 32
ans. Sampson et Laub vont reprendre ces données et en tirer de multiples constats,
en particulier sur la désistance (sortie de la délinquance et de la criminalité)1 .
Selon ces auteurs, il y a certes une relation statistique entre la délinquance
juvénile et la criminalité adulte, mais elle est indirecte. La délinquance juvénile
conduit généralement à de faibles liens sociaux à l’âge adulte, ce qui conduit à son
tour à la criminalité. Ceci a pour corollaire que si l’adolescent ou le jeune adulte fait
des rencontres significatives positives, il peut radicalement modifier sa trajectoire.
Deux événements majeurs sont susceptibles de provoquer ce changement : d’une
part la rencontre amoureuse et l’installation dans une vie de famille, d’autre part
la stabilité dans un emploi. Sampson et Laub constatent que plus les liens adultes
au travail et à la famille sont forts, moins il y a de délinquance et de criminalité.
Inversement, une incarcération prolongée réduit la probabilité ultérieure de trouver
un travail stable, ce qui à son tour augmente le risque de délinquance.
Par la suite, Sampson et Laub se sont efforcés de retrouver les sujets de cette
enquête, ce qui leur a permis d’étudier des parcours de vie sur une durée d’environ
cinquante ans, et qui fait de leur enquête la plus longue étude criminologique
longitudinale à l’heure actuelle. Ils en ont tiré un ouvrage au titre significatif :
Démarrages identiques, existences divergentes2 .
Ils retrouvent évidemment les éléments déjà notés précédemment, mais également
d’autres, tels que le fait bénéfique que le jeune soit « coupé » de son environnement
délinquant, ce qui est notamment favorisé par le service militaire et par certains
emplois. Enfin, il y a la volonté personnelle. Ainsi, beaucoup d’hommes, écrivent-ils,
se sont engagés dans une « action transformatrice » tournée vers l’avenir.
La conclusion générale que l’on peut tirer de l’étude de Sampson et Laub,
ainsi que de multiples autres recherches sur la désistance, est que si une jeunesse
délinquante constitue un facteur de risque pour la vie future, elle ne constitue pas
pour autant un déterminisme inéluctable.
1. Sampson R.J. et Laub J.H. (1993). Crime in the Making : Pathways and Turning Points through
Life, Cambridge, Harvard University Press.
2. Laub J.H. et Sampson R.J. (2003). Shared Beginnings, Divergent Lives : Delinquent Boys to Age
70, Cambridge, Harvard University Press.
132
Fiche 27 • Tout se joue-t-il dans l’enfance ?
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4. LES TOURNANTS DE L’EXISTENCE
Dans leur recherche, Sampson et Laub parlent à plusieurs reprises de tournants
de l’existence. Rares sont les études portant spécifiquement sur ce thème. William
R. Miller, de l’université du Nouveau Mexique, et ses collègues ont enquêté sur les
changements subits et radicaux qui peuvent survenir dans la vie d’une personne1 .
Cinquante-deux personnes ont répondu à une annonce dans un journal local,
demandant des volontaires « qui ont été transformés dans une période de temps
relativement courte, qui ont eu un fort changement de leurs valeurs, émotions,
attitudes et actions ». Cinquante d’entre elles, soit 96 %, ont estimé que leur vie
était maintenant bien meilleure, grâce à cette expérience. Seules deux ont indiqué
que leur vie avait empiré après l’expérience : l’une avait ensuite souffert d’un
traumatisme, l’autre avait subi un important revers financier.
Les chercheurs n’ont repéré aucun trait de personnalité spécifique qui aurait
pu éventuellement prédisposer ces personnes à vivre une telle expérience. « Ils
semblaient être des individus ordinaires qui avaient vécu des expériences extraordinaires. » Ces personnes ont éprouvé deux types de changement : soit une expérience
de type mystique, c’est-à-dire un état de conscience, ne durant généralement que
quelques minutes, très différent de la conscience normale, et qui n’est pas un
produit de la volonté ou du contrôle personnel ; soit une prise de conscience
(insight), survenant soudainement avec une grande force, ce qui amène la personne
à reconnaître cette découverte comme étant la vérité authentique et à modifier
radicalement sa perception d’elle-même et de son environnement. Elle éprouve
alors habituellement une intense émotion et un puissant sentiment de soulagement
et de libération.
Dans les deux cas (expérience mystique et prise de conscience), les personnes se
sont senties libérées d’émotions négatives (peur, ressentiment, dépression, colère,
etc.) et envahies par un sentiment de bien-être, de sécurité, de joie de vivre, et de
paix, lequel était toujours présent des années, voire des décennies plus tard. Leurs
relations ont également été transformées : depuis leur expérience, elles souhaitent
des amitiés moins nombreuses mais plus intimes, car elles n’apprécient plus les
relations superficielles. Elles considèrent leur changement comme un tournant
central de leur vie, s’en souviennent précisément et désirent vivement en parler.
Un autre chercheur, John Clausen, a enquêté auprès de sujets adultes résilients
(environ 55-60 ans) issus de familles ouvrières pauvres2 . Il leur a posé cette simple
question : « Quand vous regardez avec du recul, pouvez-vous repérer un ou des
1. Miller W.R. (2004). « The phenomenon of quantum change », Journal of Clinical Psychology,
60 (5), 453-460. Miller, W. R., et C’deBaca, J. (1994). « Quantum change : Toward a psychology
of transformation », in T. Heatherton et J. Weinberger (éd.), Can Personality Change ?, 253-280,
Washington, American Psychological Association Press.
2. Clausen J.A. (1995). « Gender, contexts, and turning points in adults’ lives », in P. Moen, G.H. Elder
Jr. et K. Lüscher, Examining Lives in Context, Perspectives on the Ecology of Human Development,
Washington, American Psychological Association.
133
Fiche 27 • Tout se joue-t-il dans l’enfance ?
moments de votre vie que vous appelleriez un tournant de l’existence, un moment
où votre vie a vraiment pris une direction différente ? »
La grande majorité des personnes interrogées ont répondu « oui », ces tournants
consistant dans le fait d’avoir un emploi, de se marier et/ou de devenir parent. Dans
cette enquête, les femmes mentionnent le travail presque aussi souvent que les
hommes mais le mariage a provoqué un changement bien plus profond chez elles
que chez les hommes. La grande majorité des femmes voient leur mariage et leur
famille comme la principale source de leur identité. Quant aux hommes, plus de la
moitié d’entre eux disent que leur sentiment d’identité est principalement venu de
leur travail, tout en considérant aussi que leur mariage a constitué un tournant et
que leur femme a joué un rôle crucial dans leur vie.
Décidément, non, tout ne se joue pas dans l’enfance !
5. BIBLIOGRAPHIE
BEE H. (2003). Psychologie du développement : Les âges de la vie, De Boeck.
GARDNER H. (2007). Faire évoluer les esprits,
Paris, Odile Jacob.
HARRIS J. R. (1999). Pourquoi nos enfants
deviennent ce qu’ils sont ? De la véritable
influence des parents sur la personnalité de leurs
enfants, Paris, Robert Laffont.
134
LECOMTE J. (2004). Guérir de son enfance,
Odile Jacob.
TREMBLAY R.E. (2008). Prévenir la violence
dès la petite enfance, Paris, Odile Jacob.
VANDENPLAS-HOLPER C. (2003). Le Développement psychologique à l’âge adulte et pendant
la vieillesse, Paris, PUF.
Femmes et hommes
ont-ils une psychologie
différente ?
28
Femmes et hommes ont-ils des fonctionnements psychologiques sensiblement
dissemblables ? Et, si oui, d’où vient cette différence ? Le débat prend parfois la
forme d’une polémique où science et idéologie sont inextricablement mêlées.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1. L’AFFIRMATION DE DIFFÉRENCES
Un moment fort du débat a eu lieu il y a une vingtaine d’années, à l’occasion
de la publication de l’ouvrage de Carol Gilligan, Une si grande différence1 .
Cette psychologue américaine réagissait aux résultats obtenus par Lawrence
Kohlberg qui tendaient à montrer que les hommes atteignent en moyenne un
niveau de développement moral plus élevé que les femmes, ceci à partir de réponses
à des questionnaires relatifs à des dilemmes moraux (par exemple, un homme
a-t-il le droit de voler dans une pharmacie un médicament très coûteux, mais
seul efficace pour sauver son épouse cancéreuse ?)2 . C. Gilligan soutenait que les
hommes adoptent plutôt des conceptions morales fondées sur les principes (ce qui
correspond bien aux questionnaires élaborés par Kohlberg), tandis que les femmes
optent plutôt pour une morale de la sollicitude (care). Elle a donc mis au point
d’autres types de questionnaires, plus aptes à évaluer cette forme de morale.
Selon Deborah Tannen, professeur de linguistique à l’université Georgetown,
à Washington, hommes et femmes ont des modes de communication verbale très
différents3 . Par exemple, les hommes sont à l’aise lorsqu’ils parlent en public, tandis
que les femmes le sont quand elles parlent en privé. Pour la plupart des hommes,
parler est d’abord un moyen de préserver leur indépendance et de conserver un
statut dans un ordre social hiérarchique, tandis que pour la plupart des femmes,
la conversation sert avant tout à créer des liens avec les autres : elles s’efforcent
donc d’accentuer les ressemblances et d’évoquer les expériences communes ou
équivalentes. En d’autres termes, l’homme privilégierait son indépendance, la
femme l’interdépendance. Selon D. Tannen, ces différences d’expression, source
de multiples tensions au sein des couples, viennent du fait que filles et garçons sont
élevés dans des cultures essentiellement différentes.
1. Gilligan C. (2008). Une si grande différence, Paris, Flammarion. Le titre original en américain est
In a different voice (D’une voix différente) (1982).
2. Kohlberg L. (1981 et 1984). Essays on Moral Development (vol. 1 et 2). New York, Harper and
Row.
3. Tannen D. (1993). Décidément, tu ne me comprends pas, Paris, Robert Laffont.
Fiche 28 • Femmes et hommes ont-ils une psychologie différente ?
Une synthèse d’études sur les réactions au stress aboutit à des conclusions proches
en montrant que les femmes ont tendance à réagir en prenant soin des autres et en
tissant des liens, tandis que les hommes réagissent plutôt par l’attaque ou la fuite1 .
2. L’ANDROGYNIE PSYCHOLOGIQUE
Par ailleurs, la théorie de l’androgynie psychologique a modifié les conceptions
psychologiques traditionnelles, qui donnaient des rôles très distincts à l’homme et
à la femme. Selon Sandra Bem, qui est à l’origine de cette théorie2 , l’identification
aux stéréotypes masculins et féminins constitue un obstacle à l’épanouissement de
l’individu. L’être humain idéal (homme ou femme) est celui qui peut indifféremment
adopter dès comportements « féminins », comme la sensibilité à autrui, ou
« masculins » tels que la fermeté, voire l’agressivité selon les circonstances.
La personne androgyne est plus autonome car elle peut user d’une plus large
palette de comportements. Les différences essentielles ne se présentent donc
plus entre groupes humains (hommes/femmes) mais entre individus. Diverses
études ont montré qu’environ un tiers de la population est psychologiquement
androgyne. Plus précisément, les garçons sont plus souvent androgynes que les
filles (36 % contre 29 %). Mais cette théorie a été elle-même critiquée, notamment
par Fabio-Lorenzi-Cioldi, qui affirme que « nous pouvons douter du principal
postulat de la théorie de l’androgynie psychologique, à savoir que l’individu “sexué”,
membre du groupe masculin ou féminin, serait en tant que tel dysfonctionnel, mal
adapté3 ».
3. LE CERVEAU A-T-IL UN SEXE ?
Le débat a pris une nouvelle tournure après la publication d’articles et de livres
sur la différence de fonctionnement du cerveau chez les hommes et chez les
femmes. Certains vulgarisateurs ont même utilisé l’expression « sexe du cerveau ».
L’une des principales protagonistes de ce débat est Doreen Kimura, professeure
de psychologie à la Simon Fraser University, aux États-Unis4 . Cette universitaire
a mené diverses recherches et fait le bilan de celles d’autres chercheurs et en a
conclu qu’il y a de multiples différences d’aptitudes entre hommes et femmes,
et que celles-ci sont d’origine neuronale et hormonale. Ainsi, l’homme est bien
meilleur que la femme dans la plupart des aptitudes de visée, comme le lancer de
fléchettes ou l’interception d’un projectile comme une balle. La femme, au contraire,
tend à être plus rapide que l’homme dans une série de mouvements impliquant
particulièrement les doigts, ce qu’on appelle les aptitudes de fine motricité. La
1. Taylor S.E., Klein L.C., Lewis B.P., Gruenewald T.L., Gurung R.A.R. et Updegraff J.A. (2000).
« Biobehavioral responses to stress in females : Tend-and-befriend, not fight-or-flight », Psychological
Review, 107 (3), 411-429.
2. Bem S.L. (1974). « The measurement of psychological androgyny », Journal of Consulting and
Clinical Psychology. 42, 155-162.
3. Lorenzi-Cioldi F. (1994). Les Androgynes, Paris, PUF.
4. Kimura D. (2001). Cerveau d’homme, cerveau de femme ?, Paris, Odile Jacob.
136
Fiche 28 • Femmes et hommes ont-ils une psychologie différente ?
femme est plus sensible que l’homme aux stimuli extérieurs et s’avère meilleure
pour lire les expressions faciales et corporelles, mais l’homme obtient de meilleurs
résultats dans des exercices de rotation mentale. Les hommes ont des scores plus
élevés en raisonnement mathématique tandis que les femmes réussissent mieux les
exercices impliquant du calcul.
D. Kimura, se situant explicitement dans le courant de la psychologie évolutionniste (fiche 9), affirme que l’évolution aurait exercé des pressions de sélection
différentes sur l’homme et sur la femme, l’homme étant probablement sélectionné
pour l’orientation à longue distance, qui demande la capacité de reconnaître une
scène selon différents angles, et pour le lancer de précision, tandis que la femme au
contraire, aurait été sélectionnée pour la fine motricité et pour la navigation sur de
petites distances avec des repères.
Ces affirmations sont radicalement contestées par Catherine Vidal, neurobiologiste à l’Institut Pasteur, qui affirme que les différences de fonctionnement entre le
cerveau féminin et le cerveau masculin ne sont pas flagrantes1 . Sur plus d’un millier
d’études en IRM, écrit-elle, seules quelques dizaines ont montré des différences entre
les sexes, guère plus marquées que celles qui séparent le cerveau d’un violoniste et
celui d’un matheux. On observe plus de variations entre les individus d’un même
sexe. Et même si l’on admet ces différences, elles peuvent être expliquées par
l’éducation plutôt que par l’évolution biologique. Par exemple, dans nos sociétés
occidentales, les petits garçons sont initiés très tôt à la pratique des jeux collectifs
de plein air (comme le football), particulièrement favorables pour apprendre à se
repérer dans l’espace et à s’y déplacer. Ceci facilite la formation de circuits de
neurones spécialisés dans l’orientation spatiale. En revanche, cette capacité est
sans doute moins sollicitée chez les petites filles qui restent davantage à la maison,
situation plus propice à utiliser le langage pour communiquer.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4. BIBLIOGRAPHIE
BUSS D. (1997). Les Stratégies de l’amour,
Paris, Interéditions.
KIMURA D. (2001). Cerveau d’homme, cerveau de femme ? Paris, Odile Jacob.
CLOUTIER R. (2004). Les Vulnérabilités masculines, Montréal, Éditions de l’Hôpital SainteJustine.
LORENZI-CIOLDI F. (1994). Les Androgynes,
Paris, PUF.
GEARY D. C. (2003). Hommes, femmes.
L’évolution des différences sexuelles humaines,
Bruxelles, De Boeck.
GILLIGAN C. (2008). Une si grande différence, Paris, Flammarion.
MATLIN M. (2007). Psychologie des femmes,
Bruxelles, De Boeck.
TANNEN D. (2007). Décidément, tu ne me
comprends pas, Paris, J’ai lu.
VIDAL C. (2005). Cerveau, sexe et pouvoir,
Paris, PUF.
HURTIG M.-C. et PICHEVIN M.-F. (dir.) (1986).
La Différence des sexes, questions de psychologie, Tierce.
1. Vidal C. (2005). Cerveau, sexe et pouvoir, Paris, PUF.
137
29
Est-ce notre personnalité
ou la situation qui nous
pousse à agir ?
Cette question a fait l’objet d’importants désaccords entre les représentants de deux
courants de recherche : la psychologie de la personnalité, qui considère que chaque
individu possède des traits stables, et la psychologie sociale qui affirme que nos
comportements sont essentiellement déterminés par le contexte (fiches 5 et 7).
1. L’« ERREUR FONDAMENTALE »
L’opposition frontale est surtout venue du livre d’un psychologue social,
Walter Mischel Personnalité et évaluation, paru en 19681 . L’auteur y affirmait
que pratiquement chaque trait psychologique variait considérablement selon
les situations. Selon lui, les spécialistes de la personnalité regardaient depuis
de nombreuses années dans la mauvaise direction et ne pouvaient donc pas
trouver les résultats attendus. La publication de ce livre a entraîné, à partir du
début des années 1970, une baisse sensible des recherches en psychologie de la
personnalité ainsi que des cours universitaires dans cette discipline. Dans le monde
francophone, un ouvrage a été particulièrement représentatif de ce courant de
pensée : Sommes-nous tous des psychologues ? de Jacques-Philippe Leyens, en
19832 . L’auteur y dénonçait l’« erreur fondamentale », c’est-à-dire la tendance à
surestimer, dans nos explications psychologiques, le rôle de l’individu (les causes
internes, la personnalité) et à sous-estimer les causes externes (les circonstances).
Le premier exemple qu’il cite à cet égard (très souvent mis en avant par les
psychologues sociaux) concerne les études menées par Stanley Milgram sur la
soumission à l’autorité, aux débuts des années 1960, qui est certainement la recherche
de psychologie sociale la plus connue3 .
2. COMMENT EXPLIQUER LA SHOAH ?
Imaginez la situation suivante : à la suite d’une petite annonce, deux personnes se
présentent à un laboratoire de psychologie effectuant des recherches sur la mémoire.
L’expérimentateur explique que l’une d’elles va jouer le rôle de « maître » et l’autre
celui d’« élève » dans un exercice d’associations de mots.
L’expérience commence, et à chaque nouvelle erreur de l’élève, le maître doit
infliger une décharge d’une intensité supérieure de 15 volts à la précédente. Le
1. Mischel W. (1968). Personality and Assessment, New York, Wiley and Sons.
2. Leyens J.-P. (1983). Sommes-nous tous des psychologues ?, Bruxelles, Mardaga,
3. Milgram S. (1974). Soumission à l’autorité, Paris, Calmann-Lévy.
Fiche 29 • Est-ce notre personnalité ou la situation qui nous pousse à agir ?
maître est rapidement amené à des intensités importantes. À 75 volts, l’élève gémit.
À 150 volts, il supplie qu’on arrête l’expérience. À 270 volts, sa réaction est un
véritable cri d’agonie. Mais après 330 volts, on n’entend plus rien ; l’élève est
complètement silencieux.
Si vous découvrez cette expérience pour la première fois, vous êtes certainement
horrifié, et vous pensez que vous auriez rapidement arrêté d’appuyer sur les boutons.
C’est d’ailleurs la réaction qu’ont eue de nombreux Américains à qui l’expérience a
été décrite. Mais rassurons le lecteur : l’élève était en fait un comédien professionnel
qui simulait la douleur. L’étude portait sur la soumission à l’autorité et c’est le
« maître » qui était le véritable sujet de l’expérience.
Or, dans l’expérience « standard », vingt-six personnes sur quarante, c’est-à-dire
65 %, sont allées jusqu’à l’intensité maximale possible, soit 450 volts ! Plusieurs
des maîtres ont d’ailleurs cru que l’élève était mort à partir de 330 volts, mais ont
néanmoins continué à infliger des chocs électriques. La conclusion majeure de
Milgram est que « des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité, peuvent, en
s’acquittant simplement de leur tâche, devenir les agents d’un atroce processus de
destruction », si les circonstances s’y prêtent.
Cette recherche est décrite par les psychologues sociaux comme la preuve
formelle que l’impact de la situation est beaucoup plus important que celui de la
personnalité. Or d’autres interprétations sont possibles, comme le souligne David
Funder de l’université de Californie1 .
Examinons comment se présentent les différentes « forces » en présence :
Caractéristique
de la situation
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Trait
de personnalité
Facilitant l’obéissance : Ordres de l’expérimentateur (1)
Facilitant la désobéissance : Cris de la victime (2)
Facilitant l’obéissance : Conformisme (3)
Facilitant la désobéissance : Empathie et/ou courage (4)
L’interprétation habituelle consiste à dire que les ordres de l’expérimentateur
(caractéristique de situation (1)) ont plus d’impact que l’empathie ou le courage
(trait de personnalité (4)).
Mais il serait tout aussi justifié de dire que le conformisme (trait de personnalité
(3)) a eu plus d’impact que les cris de la victime (caractéristique de situation (2))2 .
Ceci n’est pas une simple vue de l’esprit comme l’a mis en évidence un
ouvrage célèbre dans l’univers des sciences humaines, paru en 1950 aux ÉtatsUnis et qui n’a été traduit en français qu’en 2007, Études sur la personnalité
1. Funder D.C. (2007). « Persons, situations and person-situation interactions », in O.P. John, R.
Robins et L.A. Pervin (éd.), Handbook of Personality, Theory and research (3e éd.), p. 568-580.
2. On pourrait aussi proposer que (1) a plus d’impact que (2), ce qui élimine les traits de personnalité,
ou que (3) a plus d’impact que (4), ce qui élimine l’aspect situationnel.
139
Fiche 29 • Est-ce notre personnalité ou la situation qui nous pousse à agir ?
autoritaire1 . L’interrogation de départ est la même que celle de Milgram : comment
un drame comme le nazisme a-t-il été possible ? Mais la réponse est bien différente
puisque cette enquête démontre l’importance de la personnalité dans ce genre de
comportement extrême. Différentes méthodes sont utilisées (échelles d’attitude,
enquêtes d’opinion, tests projectifs et entretiens), et parmi celles-ci l’« échelle F »
d’évaluation des tendances préfascistes, qui se situe véritablement au cœur de la
recherche. Les sujets obtenant un score élevé à cette échelle ont généralement grandi
auprès de parents distants qui ne toléraient pas les manifestations d’indépendance de
la part des enfants. Le père, souvent sévère, a dominé la famille, ce qui a provoqué
chez le fils une tendance à la soumission passive ainsi qu’un idéal de masculinité
agressive.
Cette éducation rigoureuse a généré chez l’enfant un conflit durable entre un
ressentiment envers ses parents, mais qui est refoulé, et un besoin plus puissant
de se soumettre à leur autorité. En grandissant, ces personnes font preuve à la
fois de « surconformité » et d’une destructivité sous-jacente envers les institutions
et coutumes établies. L’antisémitisme serait ainsi le résultat du refoulement des
pulsions agressives de l’individu et de leur projection sur des groupes minoritaires,
en particulier les Juifs.
Milgram, qui connaissait cette enquête, a d’ailleurs fait passer des tests
d’autoritarisme à certains de ses sujets et constaté que ceux qui avaient été le
plus loin dans l’administration de chocs électriques présentaient une tendance
significativement plus élevée à l’autoritarisme. Inversement, une étude menée par
Lawrence Kohlberg a montré que les personnes ayant un niveau élevé de principes
moraux s’arrêtaient nettement plus tôt que la moyenne des sujets.
3. L’INTERACTION ENTRE LA PERSONNALITÉ ET LA SITUATION
Tout ceci concerne une situation historique extrême, mais qu’en est-il dans la vie
de tous les jours ? La majorité des chercheurs sont aujourd’hui convaincus qu’il
est nécessaire de prendre en compte à la fois la personnalité et le contexte. L’un
des plus ardents défenseurs de ce point de vue est d’ailleurs Walter Mischel, le
même qui a critiqué les recherches sur la personnalité il y a une trentaine d’années.
Avec ses collaborateurs de l’université Columbia, il a mené une enquête de terrain
lors d’un camp de jeunes ayant des problèmes de comportement2 . Les résultats
sont à la fois simples et remarquables. Prenons le cas de deux jeunes manifestant
un niveau moyen identique d’agression. L’un d’eux réagissait de façon nettement
plus agressive que les autres quand il était mis en garde par un adulte, mais était
beaucoup moins agressif que la plupart des enfants quand un autre jeune l’abordait.
En revanche, l’autre jeune avait des réactions exactement opposées : il réagissait
1. Adorno T. (2007). Études sur la personnalité autoritaire, Paris, Allia.
2. Mischel, W. (2004). « Toward an integrative science of the person », Annual Review of Psychology,
55, 1-22. Mischel W. et Shoda Y. (1995). « A cognitive-affective system theory of personality :
Reconceptualizing situations, dispositions, dynamics, and invariance in personality structure »,
Psychological Review, 102 (2), 246-268.
140
Fiche 29 • Est-ce notre personnalité ou la situation qui nous pousse à agir ?
agressivement quand d’autres jeunes l’approchaient et était très docile avec les
adultes.
Ces observations réconcilient donc les deux approches théoriques. Mischel
résume ce constat par l’expression faussement paradoxale de « théorie de la
stabilité de la variation » : une personne peut être particulièrement agréable (ou
courageuse, ou persévérante, etc.) dans telle situation, et fort désagréable (ou
peureuse, etc.) dans telle autre. Ces relations entre situation et comportement
de type Si... alors... fournissent une sorte de « signature comportementale de
la personnalité ». Mischel propose une analogie avec une œuvre musicale, dont
les notes changent à tout moment, mais en respectant la structure globale de
la composition. Notons cependant que la réaction ne fonctionne pas selon une
mécanique simpliste de type stimulus-réponse car divers processus cognitifs et
émotionnels se mettent alors en place, liés aux expériences antérieures de l’individu.
Par ailleurs, la relation entre personnalité et situation est rarement fortuite. Car
d’une part, le milieu dans lequel se trouve un individu est susceptible de former sa
personnalité ; et inversement, les gens sélectionnent, ou même créent, des situations
qui sont en accord avec leurs traits de personnalité. Un individu agressif a plus
de probabilités de se retrouver dans un groupe violent qu’une personne calme ;
une personne ayant des penchants altruistes va s’impliquer avec d’autres dans une
action bénévole, etc.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4. UNE OPPOSITION RÉVOLUE
Un bilan très vaste, rassemblant quatre cent soixante quatorze synthèses de
recherche en psychologie sociale sur des thèmes très divers, a montré que la force
respective de l’impact de la situation et de la personnalité est quasiment identique1 .
Une étude expérimentale a clairement mis cela en évidence2 . Soixante-dix
étudiants et soixante-dix étudiantes ont été observés dans deux conditions. Dans la
première, deux étudiants de sexe opposé qui ne se connaissaient pas se retrouvent
dans une petite pièce ne contenant qu’un canapé et une caméra. L’expérimentateur
leur dit qu’ils peuvent parler de tout ce qu’ils souhaitent, leur précise qu’il va revenir
dans quelques minutes, active la caméra et sort. La seconde situation a lieu quelques
semaines plus tard ; elle est identique, si ce n’est que chaque sujet se retrouve avec
une personne différente de la première fois (mais toujours de l’autre sexe) et que
c’est la seconde expérience de ce genre pour chacun.
Des chercheurs analysent ensuite les séquences filmées, sans avoir d’informations
sur les participants, en évaluant les signes de tension ou de détente, le ton de la
voix, etc. Lors de la première séance, les gens sont plutôt embarrassés, tendus et
distants ; à la seconde séance, ils sont plus relaxés, plus expressifs, parlent avec
1. Richard F.D., Bond C.F. Jr. et Stokes-Zoota J.J. (2003). « One hundred years of social psychology
quantitatively described », Review of General Psychology, 7(4), 331-363.
2. Funder D.C. et Colvin C.R. (1991). « Explorations in behavioral consistency : properties of persons,
situations, and behaviors », Journal of Personality and Social Psychology, 60 (5), 773-794.
141
Fiche 29 • Est-ce notre personnalité ou la situation qui nous pousse à agir ?
plus d’aisance. Tout ceci, qui est facilement compréhensible, plaide clairement en
faveur du pouvoir de la situation.
Cependant, un autre résultat est apparu, tout aussi compréhensible : les personnes
les plus expressives au cours de la première séance sont toujours les plus expressives
dans la seconde ; de même pour les plus réservées, etc., ce qui montre l’importance
de la personnalité.
Certaines comparaisons entre les deux groupes de résultats sont d’ailleurs
instructives. Par exemple, les manifestations de gêne font partie des comportements
qui diminuent le plus d’une séance à l’autre, mais ce sont également ceux qui restent
le plus stables si l’on compare les individus entre eux. Un tel résultat montre de
toutes évidences, l’impact à la fois de la situation et de la personnalité.
L’opposition radicale entre deux camps semble aujourd’hui bien révolue. La
voie est désormais ouverte pour une analyse plus fine du fonctionnement de l’être
humain : mieux comprendre quel trait de personnalité et quelle situation favorisent
ou limitent tel type de comportement.
5. BIBLIOGRAPHIE
Voir la bibliographie des fiches 5 et 7.
142
Nos décisions sont-elles
fondées sur la raison
ou sur les émotions ?
30
Les philosophes ont adopté des conceptions fort différentes du rôle respectif des
émotions et de la raison. Platon, le premier auteur ayant élaboré une analyse
systématique du fonctionnement humain, considérait que les émotions étaient une
composante inférieure que la raison, bonne par essence, devait maîtriser. Cette idée
sera reprise par Descartes et Kant, mais remise en cause par Pascal qui, certes,
valorise la raison, mais déclare également que « le cœur a ses raisons que la raison
ne connaît point » et qui estime que la vraie foi consiste à aimer un « Dieu sensible
au cœur, non à la raison ».
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1. CE QUE NOUS APPRENNENT LES PATIENTS AU CERVEAU LÉSÉ
En psychologie, la révolution cognitive (fiche 4) a généré un intérêt considérable
pour le raisonnement et a mis à l’écart l’étude des émotions. Or celles-ci font un
retour en force depuis une vingtaine d’années (fiche 6). L’un des moments forts de
cette reconquête a été la publication de l’ouvrage du neurologue Antonio Damasio,
L’Erreur de Descartes1 . L’auteur reprend l’étude d’une personne célèbre dans
l’histoire de la neuropsychologie, Phineas Cage, dont le caractère avait radicalement
changé après qu’une barre de métal de trois centimètres de diamètre eut traversé
son cerveau en 1848. L’homme a survécu et ses facultés intellectuelles ne semblent
pas avoir été affectées. En revanche, lui qui était très apprécié de ses proches et de
ses collègues, devint irascible et grossier et finit dans la solitude et la misère.
Par ailleurs, Damasio a eu parmi ses patients des personnes atteintes de lésions
plus ou moins identiques à celles de Phineas, et souffrant des mêmes troubles.
Ces personnes semblent ne pas ressentir d’émotions, ce qui a conduit Damasio à
poser l’hypothèse d’une relation de cause à effet : la lésion de zones cérébrales
particulièrement consacrées aux fonctions émotionnelles est à l’origine d’attitudes
et de choix désastreux dans la vie quotidienne, alors même que les capacités de
raisonnement sont préservées. L’observation de ces patients « suggère que la froide
stratégie invoquée par Kant et d’autres auteurs, ressemble plus à la façon dont les
personnes atteintes de lésions préfrontales procèdent pour prendre une décision
qu’à celle des individus normaux ». Selon cet auteur, les émotions sont nécessaires
pour prendre de bonnes décisions, car le cerveau humain fonctionne « comme s’il
existait une passion fondant la raison ».
1. Damasio A.R. (1995). L’Erreur de Descartes, Paris, Odile Jacob.
Fiche 30 • Nos décisions sont-elles fondées sur la raison ou sur les émotions ?
Une anecdote illustre bien ce trouble. Un jour, Damasio demande à un patient
de choisir entre deux dates pour leur prochain rendez-vous. Celui-ci se lance alors
calmement dans une interminable et ennuyeuse analyse de coûts et profits... jusqu’à
ce que Damasio lui dise qu’il devait venir le second des deux jours proposés. Le
patient lui répond simplement : « C’est très bien », range son agenda et s’en va.
2. LES MARQUEURS SOMATIQUES
Pour expliquer ce rôle des émotions dans la prise de décision, Damasio propose le
concept de « marqueurs somatiques ». Certaines zones cérébrales, essentiellement
le cortex préfrontal et l’amygdale, se trouvent activées par des stimulations primaires
(la sensation agréable ou déplaisante qui accompagne une perception ou une action)
et secondaires (le souvenir et/ou l’imagination de ces sensations). Damasio désigne
cette perception sous le nom de « marqueur », car elle agit à la façon d’un repère,
et la qualifie de « somatique » puisqu’elle concerne le corps (soma est le nom
du corps en grec). Un marqueur somatique fonctionne comme un signal d’alarme
automatique qui dit, par exemple : « Attention ! Ce choix risque de conduire à un
résultat néfaste », ce qui incite la personne à envisager une autre solution.
Damasio ne rejette toutefois pas le raisonnement dans la prise de décision.
Selon lui, les marqueurs somatiques, liés aux émotions, nous permettent d’éliminer
automatiquement, sans même y réfléchir, un certain nombre d’options, ce qui facilite
ensuite le travail de raisonnement.
3. NOTRE CERVEAU CONFRONTÉ À DES DILEMMES
L’hypothèse des marqueurs somatiques a reçu de multiples confirmations, en
particulier dans des études portant sur des dilemmes moraux. Voici une expérience
particulièrement troublante à cet égard1 . On présente à des sujets le texte suivant :
« Un bus se dirige vers cinq personnes qui seront tuées s’il continue sur sa trajectoire.
Le seul moyen de les sauver est de donner un coup de volant qui modifiera la
trajectoire du bus, et il tuera une seule personne au lieu de cinq. Devriez-vous dévier
le bus afin de sauver cinq personnes aux dépens d’une ? » La plupart des gens
répondent oui.
Les chercheurs présentent parallèlement à d’autres personnes la situation
suivante : « Un bus se dirige vers cinq personnes qui seront tuées s’il continue
sur sa trajectoire. Vous vous tenez debout près d’une forte personne que vous ne
connaissez pas, sur un pont qui enjambe la rue, juste entre le bus qui arrive et les
cinq personnes. Le seul moyen de les sauver est de pousser cet étranger par-dessus
la passerelle. Il mourra si vous le faites, mais son corps arrêtera le bus et empêchera
celui-ci de toucher les cinq personnes. Devriez-vous sauver les cinq personnes en
poussant cet inconnu ? » La plupart des gens répondent non.
1. Greene J.D., Sommerville R.B., Nystrom L.E., Darley J.M. et Cohen J.D. (2001). « An fMRI
investigation of emotional engagement in moral judgment », Science, 293, 14 . 2105-2108.
144
Fiche 30 • Nos décisions sont-elles fondées sur la raison ou sur les émotions ?
Par ailleurs, il leur est très difficile de fournir une justification rationnelle
satisfaisante à cette différence. En fait, la principale différence entre les deux
situations n’est pas d’ordre rationnel, mais émotionnel : pousser soi-même
directement quelqu’un vers la mort est un acte plus significatif émotionnellement
que de dévier un bus. D’ailleurs, conformément à l’hypothèse des marqueurs
somatiques, il se passe physiologiquement quelque chose de différent chez les
sujets, selon qu’ils sont confrontés à tel ou tel dilemme, comme nous allons le voir.
En effet, les auteurs de cette étude ont utilisé une batterie de soixante dilemmes
pratiques, qu’ils ont divisés en trois catégories :
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• dilemmes non moraux : décider de voyager en bus ou en train en fonction de
certaines contraintes de temps ; choisir lequel de deux bons d’achat utiliser dans
un magasin ;
• dilemmes moraux personnels : dilemme du pont présenté ci-dessus ; voler les
organes d’une personne pour les distribuer à cinq autres ;
• dilemmes moraux impersonnels : dilemme du bus dévié présenté ci-dessus ;
garder ou non l’argent trouvé dans une valise perdue ; voter ou non pour une
politique dont on prévoit qu’elle causera plus de morts qu’une politique alternative.
Les participants répondaient à chaque dilemme en indiquant s’ils jugeaient que
l’action proposée était appropriée ou non ; pendant ce temps, leur fonctionnement
cérébral était examiné par le biais de l’imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle. Les résultats sont impressionnants et montrent une claire répartition,
surprenante, en deux catégories : d’un côté, les dilemmes non moraux et les
dilemmes moraux non personnels, de l’autre côté, les dilemmes moraux personnels.
Ces derniers génèrent une activité cérébrale nettement plus importante dans des zones
liées à l’émotion que ne le font les deux autres formes de dilemmes. Inversement,
ceux-ci génèrent une activité cérébrale nettement plus importante dans des zones
liées à la mémoire de travail que ne le font les dilemmes moraux personnels.
Ainsi, le dilemme du pont et d’autres dilemmes moraux personnels du même
type entraînent essentiellement une activité émotionnelle, avant qu’intervienne tout
traitement rationnel. Et selon l’hypothèse des marqueurs somatiques, c’est bien cela
que nous ressentons sans nous en rendre compte et qui nous conduit à considérer
comme immoral l’acte de jeter une personne par-dessus le pont.
4. LES ÉMOTIONS, FONDEMENT DE LA MORALE ?
Jonathan Haidt, jeune professeur de psychologie à l’université de Virginie, s’est
précisément penché sur les « émotions morales », c’est-à-dire les émotions dont
l’impact est dirigé au-delà de la personne, « qui sont liées aux intérêts ou au bien-être
de la société ou au moins de personnes autres que le sujet lui-même1 ». Il propose
une interprétation radicale du rapport entre émotions et raisons dans le jugement
1. Haidt J. (2007). The new synthesis in moral psychology, Science, 316, 18 may, 998-1002. Haidt, J.
(2002). « The moral emotions », in R.J. Davidson, K.R. Scherer et H.H. Goldsmith (éd.), Handbook
of Affective Sciences. Oxford, Oxford University Press, 852-870. Haidt, J. (2001). « The emotional
145
Fiche 30 • Nos décisions sont-elles fondées sur la raison ou sur les émotions ?
moral chez l’être humain. Selon lui, ce sont les émotions qui sont à la source de la
morale humaine concrète (par exemple, la sympathie en réponse à la souffrance, la
colère envers les personnes ingrates, l’affection pour les proches et les amis, etc.).
Nos choix moraux relèvent, selon Haidt, d’« intuitions morales », c’est-à-dire
de processus rapides et automatiques, d’origine émotionnelle, au cours desquels
une sensation évaluative du bien/mal ou de l’appréciation/aversion relative aux
actions ou au caractère d’une personne apparaît à la conscience sans passage par un
traitement rationnel.
Ce n’est que dans un deuxième temps que survient le raisonnement moral,
activité mentale consciente et contrôlée, qui consiste à transformer en jugement
moral cette information sur les gens et leurs actions. C’est généralement un processus
« après-coup » au cours duquel nous cherchons à confirmer notre réaction intuitive
initiale. Haidt met en avant plusieurs arguments à ce propos, tirés de diverses
recherches :
• les gens ont des réactions quasi instantanées à des scènes ou des histoires de
violations morales ;
• les réactions émotionnelles sont généralement de bons prédicteurs des jugements
et des comportements moraux ;
• manipuler les réactions émotionnelles, par exemple par l’hypnose, peut modifier
les jugements moraux ;
• les gens peuvent savoir intuitivement que quelque chose est mauvais, même
quand ils ne peuvent pas expliquer pourquoi.
5. QUAND LA JUSTICE ACCORDE UNE PLACE À L’ÉMOTION,
LE CRIME DIMINUE
Cette thèse radicale fait évidemment l’objet de fortes discussions dans le monde
de la psychologie universitaire1 . Notons cependant que le débat raison-émotion n’est
pas qu’un passe-temps académique, car il a, dans certains domaines, d’importantes
implications. C’est le cas de la justice. Le système de justice criminel s’efforce de
contrôler l’émotion, d’aborder le crime rationnellement et sans passions. Or les
émotions s’insèrent inévitablement dans le procès, qu’il s’agisse d’empathie pour la
victime, de colère envers l’agresseur, etc. En 1999, Susan Bandes publiait un ouvrage
collectif au titre significatif, Les Passions de la loi, dans lequel elle déclarait qu’« il
est non seulement impossible, mais également indésirable d’éliminer l’émotion du
processus de raisonnement. Dans ce sens, l’émotion associée à la cognition conduit
dog and its rational tail : A social intuitionist approach to moral judgment », Psychological Review,
108 (4), 814-834.
1. Voir par exemple l’échange publié dans la Psychological Review de 2003, 110 (1), 193-198.
146
Fiche 30 • Nos décisions sont-elles fondées sur la raison ou sur les émotions ?
à une perception plus exacte et, en fin de compte, à de meilleures décisions (plus
pertinentes, plus morales, plus justes)1 ».
Signalons au passage qu’une forme de justice, encore peu pratiquée en France,
accorde une large place aux émotions : la justice restauratrice. Essentiellement
fondée sur des médiations entre agresseur et victime, elle permet à la victime
d’exprimer sa souffrance, ce qui conduit souvent l’agresseur à éprouver de la
culpabilité et de l’empathie à l’égard de la victime. Ce processus conduit à une
réduction notable de la récidive de la part des agresseurs2 .
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
6. BIBLIOGRAPHIE
BLANC N. (2006). (dir.) Émotion et cognition,
Paris, In Press.
DAMASIO A.R. (1999). Le Sentiment même
de soi, Paris, Odile Jacob.
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DAMASIO A.R. (2003). Spinoza avait raison,
Paris, Odile Jacob.
KIROUAC G. (dir.) Cognition et émotions,
Saint-Nicolas, Presses de l’Université Laval.
1. Bandes S. A. (1999). The Passions of Law, New York, New York University Press, p. 7. Voir aussi
Maroney T. A. (2006). « Law and emotion : a proposed taxonomy of an emerging field », Law and
Human Behavior, 30, 119-142.
2. Latimer J., Dowden C. et Muise D. ( 2001). L’Efficacité des pratiques de la justice réparatrice.
Méta-analyse, direction de la Recherche et de la Statistique, ministère de la Justice du Canada, Ottawa.
147
31
Quelles différences
y a-t-il entre l’animal
et l’être humain ?
L’être humain est-il essentiellement un animal ou, au contraire, radicalement
différent des autres espèces vivantes ? Cette question a été longtemps le domaine
réservé des philosophes, avec par exemple d’un côté Descartes et Kant, qui
prônaient la discontinuité radicale entre l’humain et l’animal, et de l’autre Aristote
et Montaigne, qui pensaient qu’il n’y a pas de différence de nature entre les deux,
mais seulement de degré.
Certes, le sens commun immédiat nous conduit plutôt à penser que l’être humain
diffère nettement des autres espèces : imagine-t-on un chimpanzé fabriquer une
voiture ou envoyer un... chimpanzé sur la Lune ? Cependant, dès qu’il s’agit de
fournir une définition précise, opérationnelle, de cette différence, la question devient
plus épineuse. Prenons l’exemple du langage : beaucoup d’animaux communiquent
entre eux, mais s’agit-il véritablement de langage ? En fin de compte, à partir de
quel degré de complexité peut-on parler de langage ?
1. QUAND LES ANIMAUX S’HUMANISENT
Cette question de la continuité/discontinuité entre l’animal et l’humain intéresse
particulièrement les éthologues (spécialistes du comportement), les paléoanthropologues (paléontologues spécialisées dans l’espèce humaine), les anthropologues,
les primatologues et... les psychologues.
Une règle explicite longtemps admise chez les éthologues était de s’interdire
toute forme d’anthropomorphisme. Ce terme désigne l’utilisation de caractéristiques
humaines pour décrire et/ou expliquer le comportement d’animaux. Mais ce principe
de base est profondément remis en question depuis plusieurs décennies, en raison
d’un double changement de regard :
• sur l’animal, car les éthologistes se sont rendus à l’évidence : les animaux peuvent
éprouver des émotions, développer des processus cognitifs, etc. ;
• sur l’être humain, car de plus en plus de spécialistes des sciences humaines
considèrent que de nombreux comportements humains sont directement influencés
par nos racines animales (fiche 9).
Une nouvelle science voit le jour à partir de la fin des années 1970, l’éthologie
cognitive, qui s’intéresse non seulement aux comportements animaux, mais plus
encore aux facteurs susceptibles d’expliquer ces comportements. Le mot cognitif
est d’ailleurs restrictif puisque les chercheurs opérant dans ce courant de recherche
s’intéressent également aux fondements émotionnels, subjectifs, voire moraux
Fiche 31 • Quelles différences y a-t-il entre l’animal et l’être humain ?
des comportements animaux. Donald Griffin fait figure de pionnier en proposant
que les animaux ont des images mentales des objets et des événements et ont des
aptitudes à l’intentionnalité et à l’anticipation1 . Plus encore, de nombreux chercheurs
estiment de nos jours que beaucoup d’animaux ont une personnalité individuelle :
par exemple, certains animaux sont plus ou moins introvertis ou extravertis. Une
synthèse réalisée en 2001 a révélé que sept cent quatre-vingt-sept recherches
abordaient cette question de la personnalité des animaux2 . Elles concernent non
seulement des singes, des chats ou des chiens, mais également des ours, des lions,
des écureuils, des cochons, voire même des papillons et des pieuvres !
Seront d’abord présentées ici les connaissances conduisant à penser que certains
animaux (surtout les grands singes) possèdent des facultés identiques à celles de
l’être humain, puis celles incitant à préserver une part de différence.
2. LA THÈSE DE LA CONTINUITÉ ENTRE L’ANIMAL ET L’HUMAIN
Le statut unique de l’être humain a été progressivement remis en question, car
les principales caractéristiques que l’on a crues spécifiques à l’humain ont ensuite
été constatées chez des animaux, en particulier les grands singes. C’est le cas de
caractéristiques :
• comportementales : bipédie ;
• cognitives : conscience de soi, langage, intelligence, utilisation d’outils ;
• sociales : tabou de l’inceste, chasse, guerre, politique, culture, mensonge, morale,
empathie.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Prenons quelques exemples, à titre illustratif.
a La conscience de soi
Elle a essentiellement été mise en évidence par le « test du miroir ». On peint un
signe sur un animal à son insu, pendant son sommeil ou après anesthésie, puis on
le place face à un miroir. Au début, il pense se trouver confronté à un congénère,
mais ensuite certains individus présentent des comportements qui montrent qu’ils
comprennent que le signe est placé sur leur propre corps. Des chimpanzés touchent
la tâche avec leur main3 , une éléphante touche une croix avec sa trompe, une femelle
dauphin se dirige vers le miroir, part ensuite frotter sur la paroi du bassin la partie
du corps marqué, fait ensuite plusieurs allers-retours avec, à chaque fois, moins de
substance colorée sur son corps.
b L’utilisation d’outils
Dans les années 1960, l’anthropologue Louis Leakey était convaincu que l’être
humain était seul à utiliser des outils. Mais quelques années plus tard, son assistante
1. Griffin D. (1984). Animal Thinking, Harvard University Press.
2. Gosling S.D. (2001). « From mice to men : what can we learn about personality from animal
research ? », Psychological Bulletin, 127 (1), 45-86.
3. Gallup G.G., Jr. (1970). « Chimpanzees : self-recognition », Science 167, 86-87.
149
Fiche 31 • Quelles différences y a-t-il entre l’animal et l’être humain ?
Jane Goodall démontre que les chimpanzés utilisent également des outils pour
attraper des insectes1 . Depuis, les observations se sont multipliées : un chimpanzé
introduit une tige dans une fourmilière ou une termitière. Les insectes s’agrippent à
la tige, le chimpanzé la retire et se délecte des animaux.
Un autre comportement a été très étudié par les primatologues : le cassage des
noix chez les chimpanzés. Les singes utilisent une pierre comme marteau et une
grosse racine ou une pierre comme enclume. D’autres usages d’outils ont également
été constatés. Par exemple, on a récemment observé des gorilles utilisant des cannes
pour tâter la profondeur d’un cours d’eau avant de s’y aventurer.
c Les comportements sociaux et moraux
Les grands singes ont des fonctionnements sociaux particulièrement complexes.
Ils peuvent faire usage de stratégies politiques, par exemple deux mâles peuvent
se coaliser pour renverser le chef du groupe, des chimpanzés peuvent servir
de médiateurs(trices) lors de conflits, Les singes, surtout les bonobos, peuvent
manifester de l’empathie, de la gratitude, ont le sentiment de ce qui est juste ou non,
peuvent faire preuve de générosité et d’altruisme, etc.
La découverte de comportements moraux et altruistes chez les animaux a
fortement bouleversé notre regard sur eux. Songeons un instant à l’adjectif
« bestial », utilisé pour décrire des individus et des comportements particulièrement
violents ; ou inversement à l’adjectif « humain » pour les actes bienveillants.
L’empathie, capacité à se mettre à la place des autres, a d’ailleurs été observée
chez des rats depuis un demi-siècle déjà. En 1959, un article au titre surprenant pour
l’époque, « Les réactions émotionnelles des rats à la douleur d’autrui »2 , montrait
que ces animaux arrêtent d’appuyer sur un levier commandant la distribution de
nourriture si cette action envoie en même temps une décharge électrique à un
congénère.
En 2002, Frans de Waal, le primatologue qui a le plus agi ces dernières années
en faveur de la thèse de la continuité, publie avec Stéphanie Preston une synthèse
de travaux sur l’empathie, mettant en évidence la présence de ce comportement
chez divers animaux3 . En particulier, il cite une méta-analyse de plus de deux mille
comptes rendus d’observations qui ont mis en évidence trois types d’empathie chez
les singes : émotionnelle, cognitive (capacité à percevoir les états mentaux d’autrui),
et comportementale (aide bien adaptée). Les singes les plus doués d’empathie sont
les bonobos, espèce biologiquement très proche à la fois des chimpanzés et de l’être
humain. Il cite par exemple le cas de Kuni, une femelle bonobo du zoo Twycross en
Angleterre, qui a ramassé un jour un étourneau assommé à la suite d’un choc contre
la vitre de son enclos. Comme l’oiseau ne bougeait pas, Kuni l’a lancé en l’air, mais
1. Van Lawick-Goodall J. (1971). Les Chimpanzés et Moi, Paris, Stock.
2. Church R.M. (1959). « Emotional reactions of rats to the pain of others », Journal of Comparative
and Physiological Psychology, 52, 132-134.
3. Preston S. D. et De Waal F.B.M. (2002). « Empathy : its ultimate and proximate bases », Behavioral
and Brain Science, 25, 1-20.
150
Fiche 31 • Quelles différences y a-t-il entre l’animal et l’être humain ?
il a seulement voleté. Kuni l’a ramassé, a grimpé au plus haut de l’arbre le plus
élevé, a déplié délicatement les ailes de l’oiseau, une aile dans chaque main, avant
de le lancer dans l’air. Comme l’oiseau restait dans l’enceinte, Kuni l’a protégé
pendant un long moment de la curiosité d’un jeune singe. Il a finalement réussi à
s’envoler.
Selon De Waal, « il n’existe pas une seule tendance que nous ne partagions avec
ces gais lurons velus dont nous adorons nous moquer ».
3. ... ET LA THÈSE DE LA SPÉCIFICITÉ HUMAINE
Qu’ont à répondre, face à cela, les partisans de la thèse de la discontinuité
animal/être humain ? Ils reconnaissent certes que les animaux (surtout les grands
singes) ont des aptitudes bien supérieures à ce que l’on croyait initialement, mais
elles n’atteignent pas, selon eux, le même niveau de complexité que chez l’être
humain. En fait, l’impression générale qui ressort, à la lecture de leurs écrits, c’est
que l’être humain est le seul à atteindre un niveau « méta », de second degré, dans
beaucoup d’opérations, en particulier cognitives.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
a Le langage et la communication
Par exemple, grâce à la langue des signes, certains chimpanzés sont parvenus à
apprendre plusieurs centaines de mots (contre cinquante mille ou cent mille pour
un être humain). Ils sont donc capables d’utiliser un symbole pour un concept.
En revanche, la capacité syntaxique, c’est-à-dire l’aptitude à combiner des mots
pour former de nouvelles significations leur est quasiment étrangère. Selon Jacques
Vauclair, elle « ne dépasse pas le stade d’une grammaire à deux mots1 ».
Ce même auteur souligne que « les chimpanzés peuvent comprendre et utiliser
le geste de pointage dans un contexte de demande (pointer du doigt vers un
expérimentateur pour attirer son attention vers un objet alimentaire), mais ils ne
peuvent apparemment pas concevoir la signification du pointage chez l’homme ».
b L’action collective intentionnelle
Michel Tomasello, l’un des plus fervents partisans de la thèse de la discontinuité,
affirme certes que l’être humain partage certaines caractéristiques avec les grands
singes, mais que la cognition humaine est unique en raison de sa nature collective. En
2005, Tomasello a publié avec ses collègues chercheurs, un long article expliquant
que la différence cruciale entre la cognition humaine et celles des autres espèces
est l’« intentionnalité partagée », c’est-à-dire l’aptitude à participer avec les autres
à des activités en collaboration, sur la base d’intentions et d’objectifs communs2 .
Même si certains animaux peuvent comprendre les objectifs et intentions des autres,
seul l’être humain a la motivation de partager ces éléments pour agir avec d’autres.
1. Vauclair J. (2002). L’Homme et le Singe. Psychologie comparée, Paris, Flammarion.
2. Tomasello M., Carpenter M., Call J., Behne T. et Moll H. (2005). « Understanding and sharing
intentions : The origins of cultural cognition », Behavioral and brain sciences, 28 (5), 675-691. Voir
également, dans le même numéro, les articles critiques et la réponse de Tomasello.
151
Fiche 31 • Quelles différences y a-t-il entre l’animal et l’être humain ?
Plusieurs auteurs ont fait des commentaires critiques sur cet article, affirmant par
exemple que les tactiques de chasse des chimpanzés, des lions et des hyènes sont
fondées sur une intentionnalité partagée. Tomasello leur a répondu en fournissant
divers arguments, notamment le fait que la chasse en commun peut très bien être
le résultat de l’addition d’actions individuelles plutôt que le fruit d’une intention
partagée, et que seule une méthodologie de type expérimental permettrait d’éclaircir
la question.
c Les méta-outils
Autre exemple, bien que certaines espèces utilisent des outils, il ne semble pas
qu’elles utilisent de méta-outil (des outils destinés à fabriquer d’autres outils). Mais
tout dépend du sens que l’on donne aux mots. En effet, pour certains auteurs, les
chimpanzés utilisent un méta-outil lorsqu’ils se servent d’un caillou pour stabiliser
l’enclume de pierre qui leur sert pour casser des noix.
4. BIBLIOGRAPHIE
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l’homme ? Le Pommier.
VAUCLAIR J. et KREUTZER M. (dir.) (2004).
L’Éthologie cognitive, Paris, Ophrys/Maison des
sciences de l’homme.
Notre esprit influence-t-il
notre santé ?
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L’influence de l’esprit sur le corps est certainement l’un des thèmes les plus
fascinants du fonctionnement de l’être humain. Cet univers, longtemps mystérieux,
révèle progressivement ses secrets.
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1. L’EFFET PLACEBO ET SES FONDEMENTS NEUROBIOLOGIQUES
L’une des facettes de cet univers est l’effet placebo. Cette expression donne
parfois lieu à un quiproquo. Certaines personnes disent parfois d’un médicament :
« Ce n’est qu’un placebo », signifiant par là que le produit n’a aucun effet. En fait,
un placebo est une substance ou une procédure qui n’a pas de pouvoir médical en
soi, mais qui, par sa simple présence, entraîne un effet thérapeutique. Il y a donc
un véritable impact, ce que l’on appelle précisément l’effet placebo. C’est si vrai
que les placebos copient le mode d’action des médicaments : ils peuvent avoir des
effets secondaires négatifs, deux pilules de placebo sont plus efficaces qu’une seule,
ou encore une grosse gélule est plus efficace qu’une petite.
Cet effet placebo est parfois impressionnant. Une synthèse d’études sur les
médicaments antidépresseurs a conclu que 75 % de l’efficacité de ces produits
relève de l’effet placebo1 . Même une maladie neurodénégérative telle que la
maladie de Parkinson est sensible à l’effet placebo. Cette maladie est liée à un
déficit en dopamine, qui est un neurotransmetteur. Or l’administration d’un placebo
à des malades parkinsoniens entraîne une libération de dopamine dans le cerveau.
L’effet placebo s’exprime donc au travers de mécanismes neurologiques. Ainsi,
l’analgésie par placebo se produit par un double processus : à la fois par la libération
d’endorphines, neuromédiateurs aux propriétés anti-douleur, et par une activité
cérébrale dans une zone du cerveau appelée cortex antérieur cingulaire, qui sert de
lien entre les régions plus « primitives » du cerveau et le néocortex spécialisé dans
les fonctions cognitives complexes. Il y a donc un véritable fondement biologique
et neurologique au placebo.
Deux principaux types d’explication ont été fournis de cet effet. La plus connue
est la théorie de l’attente, selon laquelle, c’est une attente spécifique (par exemple :
« si je prends le médicament X, je ressentirai l’effet Y ») qui est à la base de l’effet
placebo. Des recherches en imagerie à résonance ont montré que la réponse placebo
1. Kirsch I. et Sapirstein. (1998). « Listening to Prozac but hearing placebo : a meta-analysis of
antidepressant medication », Prevention and Treatment, I : article 0002a. http~://journals.apa.org/prevention/volume1/pre0010002a.html.
Fiche 32 • Notre esprit influence-t-il notre santé ?
est liée à une activation des zones frontales et préfrontales du cerveau (consacrées
au traitement cognitif), ce qui est en accord avec cette théorie de l’attente.
Mais une autre possibilité existe, à savoir que le placebo résulte d’un conditionnement. En fait, cette approche est essentiellement le fruit de recherches sur
des animaux de laboratoire. On habitue un animal à recevoir un placebo en même
temps qu’un produit actif. Par la suite, si on enlève le produit actif, mais en
continuant à administrer le placebo, celui-ci entraîne des effets proches du produit
actif. Quelques expériences ont également été réalisées avec succès auprès d’êtres
humains. Cette théorie du conditionnement ne peut cependant pas expliquer l’effet
placebo survenant sans conditionnement. Plusieurs auteurs estiment d’ailleurs que
l’explication par l’attente et celle par le conditionnement sont complémentaires
plutôt que rivales.
2. LE STRESS PEUT FAIRE CHUTER NOTRE IMMUNITÉ...
Le stress peut entraîner une baisse, voire un effondrement, des défenses
immunitaires d’un être humain. Ceci a été mis en évidence pour la première
fois dans deux études publiées en 1983, l’une portant sur des veufs, l’autre sur des
étudiants. Dans la première, une équipe médicale a régulièrement mesuré le niveau
d’immunité d’hommes mariés à des femmes ayant un cancer du sein en phase de
généralisation. Pendant toute la période précédant le décès de celles-ci, l’activité
immunitaire des hommes était stable, mais elle a fortement chuté après le décès,
surtout au cours des deux premiers mois1 .
Dans la seconde recherche, soixante-quatre étudiants ont été suivis en périodes
d’examens et hors examens. Leur taux d’anticorps (antiglobulines A) a significativement baissé au cours des périodes d’examens. Par ailleurs, les étudiants au caractère
particulièrement chaleureux avaient, à tout moment, un taux d’anticorps plus élevé
que les autres étudiants2 .
Depuis ces travaux pionniers, de nombreuses recherches ont été effectuées,
donnant ainsi naissance à une nouvelle discipline, la psychoneuro-immunologie3 ,
qui étudie les multiples interactions entre les processus psychologiques, le système
nerveux et le système immunitaire. C’est en quelque sorte la science qui s’efforce
de comprendre les liens entre l’esprit et le corps. Elle a mis en évidence que de
nombreux événements peuvent avoir un effet immunodépresseur : la perte d’un
être cher, les conflits conjugaux, la charge d’un proche atteint de démence, les
1. Schleifer S.J., Keller S.E., Camerino M., Thornton J.C. et Stein M. (1983). « Suppression of
lymphocyte stimulation following bereavement », Journal of the American Medical Association 250
(3), 374-377.
2. Jemmott J.. III, Borysenko J.Z., Borysenko M., McClelland D.C., Chapman R., Meyer D. et Benson
H. (1983). « Academic stress, power motivation and decrease in secretion rate of salivary secretory
immunoglobulin A », Lancet, 25 juin, 1400-1402.
3. Fleshner M. et Laudenslager M.L. (2004). « Psychoneuroimmunology : Then and now, Behavioral
and Cognitive Neuroscience Reviews, 3 (2), 114-130.
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Fiche 32 • Notre esprit influence-t-il notre santé ?
catastrophes naturelles, les combats militaires. Des émotions comme la colère ou
l’anxiété peuvent également avoir un impact sur l’immunité.
3. ... VOIRE ENTRAÎNER UNE MORT SOUDAINE
Divers écrits d’ethnologues rapportent la survenue rapide de décès inattendus :
une personne en bonne santé est convaincue qu’elle va mourir, par exemple après
avoir touché par inadvertance un objet tabou ou à la suite d’un mauvais sort jeté sur
elle ; elle meurt effectivement dans les heures ou les jours qui suivent1 .
La première étude médicale de ce phénomène a été réalisée par le physiologiste
américain Walter Cannon en 19422 . Se fondant sur des recherches menées sur
des animaux, cet auteur affirme que ces décès soudains sont dus à une activité
excessive persistante du système sympathico-surrénalien, qui entraîne une baisse
de la pression sanguine. Un cercle vicieux se met alors en place : la faible pression
sanguine entraîne une détérioration des organes vitaux qui sont alors moins aptes
à faciliter le maintien d’une bonne circulation sanguine... ce processus conduisant
à la mort dans les cas extrêmes. Depuis, divers auteurs se sont intéressés au sujet.
Un premier constat est que ce genre de drame n’est pas limité à des peuples
lointains, mais se produit également en Occident. En 1971, George Engel étudie
cent soixante-dix exemples de morts soudaines et repère ainsi huit types de situations
au cours desquelles ce drame peut se produire : immédiatement à l’annonce de la
mort d’un proche, dans une période de deux semaines suivant le décès d’un proche,
la peur de perdre un proche, à l’anniversaire de la mort d’un proche, une perte de
statut ou d’estime de soi, un danger personnel, une fois que le danger est passé, des
retrouvailles ou une réussite exceptionnelle3 .
En 2007, Martin Samuel, professeur de neurologie à l’école de médecine de
Harvard, réexamine ce sujet, en affinant l’explication4 . Selon lui, la mort soudaine est
due à la dégénérescence myofibrillaire, au cours de laquelle des cellules cardiaques
meurent à la suite de contractions.
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4. LES EFFETS POSITIFS DE LA VOLONTÉ DE VIVRE
Mais le lien entre psychisme et santé fonctionne aussi dans un sens positif. Par
exemple, une étude réalisée auprès de femmes atteintes d’un cancer du sein a montré
que celles qui avaient manifesté un esprit de combat (par exemple : « Je vais le
vaincre ») avaient 50 % de probabilité de survivre quinze ans en bonne santé, tandis
1. Mauss M. (1968). Sociologie et anthropologie, quatrième partie (« Effet physique chez l’individu
de l’idée de mort suggérée par la collectivité »), Paris, PUF. Frazer J.G. (1981). Le Rameau d’or, Paris,
Robert Laffont (chapitre : « Tabou et les périls de l’âme »). Cannon W.B. (1942). « Voodoo death »,
American Anthropologist, 44 (2), 169-181.
2. Cannon (1942). Op. cit.
3. Engel G. (1971). « Sudden and rapid death during psychological stress », Annals of Internal
Medicine, 74, 771-782.
4. Samuels M. A. (2007). « “Voodoo” death revisited : The modern lessons of neurocardiology »,
Cleveland Clinic Journal of Medicine, 74, suppl. 1, S8-S16.
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Fiche 32 • Notre esprit influence-t-il notre santé ?
que celles qui étaient anxieuses ou désespérées avaient 15 % de probabilité de
survivre quinze ans1 .
David Phillips et ses collègues de l’université de Californie ont mené une série
d’études particulièrement intéressantes sur l’impact de la volonté de vivre. Dans
l’une des toutes premières recherches, Phillips est parti de l’idée que l’anniversaire
est l’occasion pour l’individu de faire le bilan des réussites et des échecs de son
existence2 . Il répartit des personnes connues en trois catégories selon leur degré
de célébrité (mesurée en fonction du nombre de fois où leur nom apparaît dans
des biographies pour enfants). Les gens les plus célèbres avaient cinq fois moins
de probabilités (22 %) de mourir dans le mois précédent leur anniversaire que la
moyenne de la population. Les gens moyennement célèbres avaient trois fois moins
de probabilités et les gens un peu célèbres avaient 1/5e de moins de probabilités de
mourir durant cette période que la moyenne des gens. Il semblerait donc que plus
les gens sont fiers de leur parcours, plus ils parviennent à reculer la date de leur
mort pour être présent à leur anniversaire.
Une autre recherche est plus troublante encore3 . Les Américains ont souvent trois
initiales (par exemple G.W.B. pour George W. Bush). Ces chercheurs ont tiré profit
de cela, et ont cherché à savoir si des initiales « positives » telles que JOY (joie) ou
WIN (gagner) ou « négatives » telles que PIG (cochon) ou DIE (mourir) avaient un
impact sur la longévité. Ils ont enquêté sur les certificats de décès californiens de
1969 à 1995, soit mille sept cent trente-trois personnes ayant des initiales positives
et cinq mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf ayant des initiales négatives. Il y a
effectivement un lien, et c’est même fortement le cas chez les hommes. Les hommes
aux initiales positives vivent presque 4 ans et demi plus longtemps que les hommes
de la population générale, tandis que ceux aux initiales négatives vivent presque
trois ans de moins. Chez les femmes, ces effets existent mais plus faiblement,
avec une augmentation d’un peu plus de trois ans de vie pour les femmes aux
initiales positives, comparativement aux femmes de la population générale et pas
de différence avec ces dernières lorsque les initiales sont négatives.
Le caractère surprenant de ces résultats a évidemment suscité beaucoup d’intérêt
chez divers chercheurs, mais aussi parfois un certain scepticisme4 . Certaines
recherches ont reproduit ce genre de recherches et n’ont pas toujours trouvé les
résultats obtenus par Phillips et ses collaborateurs. Par ailleurs, ces travaux ont
également été critiqués méthodologiquement. Le débat est donc en cours pour savoir
dans quelle mesure ces résultats sont pertinents ou non.
1. Greer S. (1991). « Psychological response to cancer and survival », Psychological medicine,
21,43-49.
2. Phillips D. P. (1972). Cité par Oakley R. (2004). « How the mind hurts and heals the body »,
American Psychologist, 59 (1), 29-40.
3. Christenfeld N., Phillips D.P. et Glynn L.M. (1999). « What’s in a name : Mortality and the power
of symbols », Journal of Psychosomatic Research, 47 (3), 241-254.
4. Voir notamment Skala J.A. et Freedland K.E. (2004). « Death takes a raincheck », Psychosomatic
medicine, 66, 382-386.
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Fiche 32 • Notre esprit influence-t-il notre santé ?
Il existe en tout cas un exemple historique particulièrement troublant à cet égard.
John Adams et Thomas Jefferson ont été tous deux présidents des États-Unis et
cosignataires de la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Ils sont morts le
même jour, à quelques heures d’intervalle, le 4 juillet 1826, précisément le jour du
cinquantième anniversaire de la signature de la Déclaration...
Enfin, divers types d’intervention (techniques de relaxation, biofeedback,
psychothérapie cognitivo-comportementale, approches psycho-éducatives...) se
sont révélés particulièrement efficaces. Une large synthèse1 a ainsi mis en évidence
un impact positif de ces méthodes pour réduire de multiples problèmes : les tensions
susceptibles de provoquer une nouvelle crise cardiaque, les effets secondaires
des traitements anticancéreux, l’insomnie, les douleurs lombaires ou encore
l’hypertension. Les auteurs en concluent que la médecine devrait adopter un
modèle biopsychosocial de la santé plutôt que strictement biologique.
5. BIBLIOGRAPHIE
BRUCHON-SCHWEITZER M. (2002). Psychologie de la santé. Modèles, concepts et méthodes,
Paris, Dunod.
LACHAUX B. et LEMOINE P. (1988). Placebo,
un médicament qui cherche la vérité, Paris,
Medsi/Mc Graw-Hill.
FISCHER G.-N. (dir.) (2005). Traité de psychologie de la santé, Paris, Dunod.
THURIN J.-M. et BAUMANN N. (2003). Stress,
pathologies et immunité, Paris, Flammarion.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
GODFROID I. O. (2003). L’Effet placebo, Un
voyage à la frontière du corps et de l’esprit, Promarex.
1. Astin J.A., Shapiro S.L., Eisenberg D.M., et Forys K.L. (2003). « Mind-body medicine : State
of the science, implications for practice », Journal of the American Board of Family Practice, 16,
131-147.
157
33
Les psychothérapies
sont-elles efficaces ?
L’évaluation des psychothérapies est un thème particulièrement délicat à aborder et
qui a suscité une importante polémique en France il y a quelques années. En 2004,
l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) publiait la première
synthèse française d’évaluation des psychothérapies, démarche déjà effectuée depuis
de nombreuses années dans divers pays1 . Il s’agissait d’un rapport effectué à la
demande de la direction générale de la santé et de deux associations de patients,
l’Unafam et la Fnapsy. Huit experts (psychiatres, psychologues, épidémiologistes
et biostatisticiens) ont analysé, durant plus d’une année, environ mille articles issus
de la littérature scientifique internationale. Seize troubles ont été pris en compte et
trois thérapies évaluées, ce qui a donné les résultats suivants :
• thérapies comportementales et cognitives : efficaces dans quinze troubles ;
• thérapies familiales : efficaces dans cinq troubles ;
• thérapies d’inspiration psychanalytiques (également qualifiées de psychodynamiques) : efficaces dans un trouble (troubles de la personnalité).
Prenons, par exemple, le cas de la dépression. Pour les troubles dépressifs
d’intensité légère ou moyenne, traités en ambulatoire, les thérapies cognitives sont
plus efficaces que les traitements antidépresseurs. Les thérapies psychodynamiques
n’ont pas montré une efficacité équivalente à celles des thérapies cognitivocomportementales.
Pour les troubles dépressifs majeurs chez des patients hospitalisés sous
antidépresseurs, les thérapies cognitivo-comportementales sont efficaces. Les études
contrôlées comparant approches psychodynamique et cognitivo-comportementale
concluent à la supériorité de la seconde.
Par ailleurs, dans toutes les études analysées par cette expertise, il n’a pas été
relevé d’apparition de nouveaux symptômes venant se substituer à court ou long
terme à ceux pris en charge par la thérapie, quels que soient la thérapie ou le trouble
examinés.
1. LA NÉCESSITÉ DE L’ÉVALUATION
Ces résultats ont suscité la colère des psychanalystes qui ont notamment souligné
que la singularité de chaque patient n’est pas prise en compte dans les études
1. Inserm (2004). Psychothérapie, trois approches évaluées, Paris, Inserm.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Fiche 33 • Les psychothérapies sont-elles efficaces ?
statistiques. Ils ont largement utilisé les médias pour exprimer leur mécontentement.
Un moment important de cette contestation a été l’organisation d’un meeting de
l’école lacanienne de la cause freudienne, au cours duquel le ministre de la santé,
Philippe Douste-Blazy, a déclaré que « la souffrance psychique n’est pas évaluable »
et annoncé qu’il allait retirer le rapport Inserm du site de son ministère.
Suite à cette réaction, l’Inserm a organisé un colloque en 2007, intitulé
Méthodologie de l’évaluation en psychiatrie et en santé mentale1 . L’objectif était
principalement d’examiner les diverses méthodes d’évaluation disponibles.
En fait, l’évaluation est nécessaire, comme le reconnaissent de plus en plus de
spécialistes, toutes approches thérapeutiques confondues, ne serait-ce que parce qu’il
est légitime et éthique qu’une personne en souffrance bénéficie d’une aide efficace.
Personne n’envisagerait aujourd’hui de faire des saignées, méthode longtemps
pratiquée, mais qui a fait beaucoup plus de mal que de bien. Pourquoi en serait-il
autrement avec la souffrance psychique ?
La présence d’un groupe contrôle est un aspect important de l’évaluation, comme
le montre l’exemple de la thérapie du deuil. Certaines études réalisées sans groupe
contrôle ont semblé mettre en évidence une amélioration de la santé psychique
des personnes ayant perdu un proche (réduction de la dépression, de l’anxiété et
des symptômes psychiatriques). Mais l’absence de groupe contrôle empêche de
différencier les améliorations dues à l’intervention et celles attribuables au processus
normal de rétablissement survenant avec le passage du temps, notamment grâce au
soutien de la famille et des amis. Seules les études avec groupe contrôle permettent
de faire ressortir l’impact spécifique de la thérapie. Une synthèse a rassemblé les
résultats de toutes les études scientifiques de thérapie du deuil publiées entre 1975
(année de la première recherche de ce type) et 1998, soit vingt-trois recherches
concernant environ mille six cents personnes ayant vécu une large diversité de
pertes (époux(se), enfant, autres membres de la famille)2 . Elle conclut que « non
seulement le bénéfice tangible de la thérapie du deuil est petit, mais son risque
de produire une dégradation iatrogénique des problèmes est élevé d’une manière
inacceptable. [...] La thérapie du deuil pour le deuil normal est difficile à justifier ».
De nos jours, les psychanalystes français adoptent des positions très diverses
à l’égard de l’évaluation. Prenons deux perspectives extrêmes. Selon JacquesAlain Miller, l’évaluation est une « méthode perverse » fondée sur la « terreur
conformiste » et qui « est dans le monde contemporain ce que j’ai vu qui ressemble
le plus à une secte3 ». À l’autre extrême, Jean-Michel Thurin est un fervent partisan
de la nécessité de l’évaluation. Il critique cependant les études d’évaluation actuelles,
de type « randomisées contrôlées » et propose divers autres instruments forgés par
des psychanalystes :
1. Textes des interventions disponible sur le site www.psydoc-france.fr/Recherche/PLR/PLR54/
PLR54.html.
2. Neimeyer R.A. (2000). « Searching for the meaning of meaning », Death Studies, 24, 541-558.
3. Miller J.-A. et Milner J.-C. Milner (2004). Voulez-vous être évalué ?, Paris, Grasset, p. 67, 79, 56.
159
Fiche 33 • Les psychothérapies sont-elles efficaces ?
« L’objectif est maintenant de réaliser des études qui, d’une part, correspondent aux
conditions du monde réel et qui, d’autre part, sont susceptibles de répondre aux
questions qui se posent dans la pratique avec une qualité méthodologique du même
ordre que celle obtenue en laboratoire1 . »
2. L’ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE ENTRE LE PATIENT
ET LE THÉRAPEUTE
Notons par ailleurs que, quelle que soit la thérapie utilisée, un élément joue
un rôle majeur : l’attitude du thérapeute envers le patient. En effet, de multiples
évaluations ont mis en évidence qu’au-delà des diverses orientations théoriques,
l’essentiel de l’impact des psychothérapies est dû à l’« alliance thérapeutique »,
terme qui recouvre trois aspects :
• la collaboration entre le patient et le thérapeute ;
• le lien affectif entre eux ;
• leur aptitude à se mettre d’accord sur les objectifs du traitement et sur les tâches
à accomplir2 .
Deux méta-analyses (synthèses statistiques de la littérature scientifique) ont
confirmé l’importance de ce lien. La première étudie l’impact de l’alliance
thérapeutique, à partir de soixante-dix-neuf recherches, et conclut à des résultats
positifs, modérés mais constants3 . Les auteurs constatent ainsi que l’alliance est
thérapeutique en soi : « Si une alliance bien adaptée s’établit entre un patient et son
thérapeute, le patient ressentira la relation comme thérapeutique, indépendamment
d’autres interventions psychologiques. » L’autre méta-analyse s’est concentrée sur
le rôle de l’empathie, en rassemblant les données issues de quarante-sept études,
avec un total de trois mille vingt-six clients. Selon les auteurs, l’empathie favorise
l’exploration et la création de sens de la part des patients. Elle les aide à penser de
manière plus productive et facilite la gestion des émotions.
3. FAUT-IL ARRÊTER LES DÉBRIEFINGS ?
Qu’en est-il de l’évaluation du débriefing, méthode largement utilisée à la suite de
traumatismes (catastrophe naturelle ou technologique, crash d’avion, carambolage
important, braquage, etc.) ? Cette méthode vise à prévenir l’apparition du stress
post-traumatique, partant du postulat que le fait qu’exprimer ses pensées et ses
émotions relatives au trauma facilite la guérison, alors que les refouler empêche la
guérison.
1. Thurin J.-M. et Thurin M. (2007). Évaluer les psychothérapies : méthodes et pratiques, Paris,
Dunod, p. 265.
2. Martin D.J., Garske J.P. et Davis M.K. (2000). « Relation of the therapeutic alliance with outcome
and other variables : A meta-analytic review », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 68(3),
438-450.
3. Ibid.
160
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Fiche 33 • Les psychothérapies sont-elles efficaces ?
Dans un premier temps, quelques études ont pu laisser croire à l’efficacité de
cette approche. Mais ces recherches ont généralement été réalisées sans groupe
contrôle. Or diverses études ont montré que beaucoup de personnes retrouvaient
progressivement un fonctionnement équilibré, sans soutien psychothérapeutique.
Il est donc impossible, sans groupe contrôle de savoir si l’amélioration est venue
« naturellement » ou grâce au débriefing. Or les nombreuses études réalisées
ensuite avec groupe contrôle ont mis en évidence que le débriefing n’a pas d’effet
thérapeutique1 . Pire encore, plusieurs recherches ont constaté que des victimes de
traumatisme qui n’ont pas reçu de débriefing ont moins souvent souffert de stress
post-traumatique que d’autres qui avaient « bénéficié » d’un débriefing. C’est le cas
d’une recherche effectuée auprès de victimes d’accidents de voiture2 . Il s’agissait
de trente personnes du groupe ayant suivi un débriefing et trente et une n’ayant pas
eu d’intervention, et dont le niveau initial de troubles psychiques était identique.
Les personnes avec débriefing étaient en moins bonne santé psychique que les
autres quelque temps après l’intervention, mais également trois ans plus tard. La
conclusion des auteurs est que « le débriefing psychologique est inefficace et a des
effets néfastes à long terme. Ce n’est pas un traitement approprié pour les victimes
de trauma ».
La position de l’Organisation mondiale de la santé est très claire à cet égard.
Dans un document intitulé, La Santé mentale dans les situations d’urgence, elle
déclare que « le fait d’évoquer des symptômes psychopathologiques durant cette
phase (et pendant les quatre semaines qui suivent) peut avoir des conséquences
nuisibles. L’information doit favoriser la perspective d’un rétablissement naturel.
[...] À cause des effets négatifs éventuels, il est déconseillé d’organiser des séances
individuelles de débriefing psychologique qui poussent les gens à faire part de leur
expérience personnelle au-delà de ce qu’ils feraient normalement3 ».
L’explication de l’échec des débriefings n’est pas encore très claire, mais il
semble bien que, contrairement aux affirmations des partisans de cette méthode, le
fait de parler de l’événement traumatisant peu de temps après qu’il se soit produit
n’aide aucunement à s’en libérer, mais contribue au contraire à s’y enfermer.
Dans les jours et les semaines qui suivent un événement traumatique, certains
individus sont aptes et désireux de discuter de ce qui leur est arrivé, mais d’autres
non. Cet évitement a longtemps été considéré par les psychologues comme un
obstacle à la guérison, alors qu’il semble aujourd’hui être une réaction appropriée
1. Voir notamment les synthèses suivantes : van Emmerik A.A.P., Kamphuuis J.H., Hulsbosch A.M. et Emmelkamp P.M.G. (2002). « Single session debriefing after psychological
trauma : a meta-analysis », The Lancet, 360, 766-770. McNally RT, Bryant RA, Ehlers A. (2003).
« Does early psychological intervention promote recovery from posttraumatic stress ? », Psychological Science in the Public Interest, 4 (2), 45-79.
2. Mayou R.A., Ehlers A. et Hobbs M. (2000). « Psychological debriefing for road traffic accidents :
Three-year follow-up of a randomised controlled trial », British Journal of Psychiatry, 176, 589-593.
3. Organisation mondiale de la santé (2003). La Santé mentale dans les situations d’urgence. Aspects
mentaux et sociaux de la santé des populations exposées à des facteurs de stress extrême, p. 4-5.
Document disponible sur Internet.
161
Fiche 33 • Les psychothérapies sont-elles efficaces ?
pour empêcher d’être submergé par la souffrance et pour pouvoir concentrer les
énergies sur les problèmes pratiques à résoudre (par exemple, l’organisation des
funérailles et la nouvelle manière de vivre après la mort du conjoint).
Par ailleurs, divers auteurs proposent le concept explicatif de « sur-aide ». Faire
croire à une victime qu’elle ne peut se rétablir psychologiquement qu’avec l’aide
de professionnels diminue son sentiment d’efficacité personnelle et sa croyance
en l’utilité du soutien par ses proches. De fait, diverses études ont montré que les
victimes sont beaucoup plus disposées à parler de leur souffrance à leurs proches et
à leurs amis qu’à des professionnels de la santé mentale. Ceux-ci devraient donc
plutôt faciliter l’activation de ce réseau de soutien social, et n’intervenir directement
qu’auprès des victimes solitaires, et à écouter celles-ci de manière empathique,
mais sans chercher à leur faire décrire les détails de l’événement et des émotions
ressenties1 .
Plusieurs auteurs francophones reconnaissent le problème posé par les résultats
des études d’évaluation du débriefing, mais considèrent qu’une forme d’aide efficace
peut cependant être apportée, sans fournir cependant d’étude avec évaluation à
l’appui de leurs dires2 .
4. BIBLIOGRAPHIE
Bulletin de psychologie (2006), 59 (6), Dossier sur « L’évaluation des psychothérapies ».
INSERM (2004). Psychothérapie,
approches évaluées, Paris, Inserm.
DE SOIR E. et VERMEIREN E. (2002). Les
Débriefings psychologiques en question, Anvers,
Garant.
KOVESS V. (2001). Planification et évaluation
des besoins en santé mentale, Paris, Flammarion.
GÉRIN P. (1985). L’Évaluation des psychothérapies, Paris, PUF.
trois
THURIN J.-M. et THURIN M. (2007). Évaluer
les psychothérapies : méthodes et pratiques,
Paris, Dunod.
HARDY-BAYLÉ M.-C. et BRONNEC Ch. (2003).
Jusqu’où la psychiatrie peut-elle soigner ? Paris,
Odile Jacob.
1. McNally R.T., Bryant R.A., Ehlers A. (2003). « Does early psychological intervention promote
recovery from posttraumatic stress ?” Psychological Science in the Public Interest, 4 (2), 45-79.
2. Voir par exemple De Soir (2004). « Le débriefing psychologique est-il dangereux ? », Le Journal
international de victimologie, 2 (3). Prieto N., Scala G. et Buffard G. (2004). « Doit-on garder la
pratique du débriefing psychologique ? », Revue francophone du stress et du trauma, 4 (1), 41-46.
162
Jacques Lecomte
PSYCHOLOGIE
Courants, débats, applications
Comment s’y retrouver dans les multiples formes que
prend la psychologie contemporaine ?
Ces 33 Maxi-fiches répondent à cette question sous
une forme aisément accessible et en faisant état des
connaissances les plus récentes dans ce domaine.
Elles sont divisées en trois parties :
• Les grands courants. Sont présentés les origines
historiques, les développements théoriques et les
découvertes empiriques de chaque approche, ainsi
que leurs forces et limites.
• Les applications. La psychologie appliquée ne se limite
pas à la psychothérapie. Elle s’exprime dans de
multiples autres domaines : à l’école, au travail, dans
les activités sportives, en justice, en politique, etc.
• Les débats majeurs. La psychologie fournit des
éclairages spécifiques sur de grandes questions telles
que la liberté et le déterminisme, les similitudes et
différences entre l’être humain et les animaux, le rôle
respectif de la raison et des émotions, etc.
LES
+
Docteur en psychologie,
il est chargé de cours
à l’université Paris 10
et à la Faculté de sciences
sociales de l’Institut
catholique de Paris.
Il a été pendant
six ans responsable de
la rubrique « Psychologie »
au sein du magazine
Sciences Humaines.
PUBLIC :
b Licence
de psychologie
b IUFM
et sciences
de l’éducation
b Formations
Seul ouvrage francophone présentant l’ensemble des
courants et débats qui parcourent la psychologie
contemporaine.
Rigueur scientifique et pédagogie.
ISBN 978-2-10-053483-8
JACQUES LECOMTE
www.dunod.com
en travail social
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