Décryptage : Bourse et économie, le divorce ? - Le débat de la semaine avec le Cercle des économistes (Agnès Bénassy-Quéré) Boursorama le 27/05/2013 Alors que l’économie française est officiellement entrée en récession et que le chômage ne cesse d’augmenter, le dynamisme du CAC 40 ne cesse de surprendre. Cette déconnexion peut choquer mais s’explique de manière rationnelle, selon Agnès Bénassy-Quéré. Le prix théorique d’une action, c’est la somme actualisée des dividendes auquel elle donne droit. Dans une période économique sombre, on s’attend à ce que les entreprises dégagent peu de bénéfices, donc peu de dividendes. Selon ce premier raisonnement, le prix des actions devrait plutôt diminuer. Mais c’est sans compter l’effet de la politique monétaire. L’opération d’actualisation consiste à raboter la valeur des dividendes à recevoir dans une, deux, trois années, en fonction du taux d’intérêt, selon le bon vieux dicton : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Si le taux d’intérêt est de 4%, 100 euros à recevoir dans un an ne valent que 100/1,04= 96 euros aujourd’hui. En effet, si l’on me donne 96 euros aujourd’hui, je peux les placer à 4% et je récupèrerai dans un an 96×1,04=100 euros. A partir de ce petit exemple, on peut voir facilement l’effet d’une baisse du taux d’intérêt : si le taux d’intérêt chute à 2%, la valeur actuelle de 100 euros à recevoir dans un an n’est plus de 96 euros, mais de 100/1,02=98 euros : elle est plus élevée de 2%. Ainsi, la baisse du taux d’intérêt fait mécaniquement augmenter le prix des actions. Cet effet est amplifié aujourd’hui par la perspective que les taux d’intérêt restent faibles pendant longtemps en Europe, mais aussi par le fait que pour combattre la crise, les grandes banques centrales telles que la BCE, la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre et surtout la Banque du Japon inondent les banques en liquidités. Ces liquidités, il faut bien les placer quelque part, et la bourse paraît intéressante lorsque les rendements sur les actifs dits « sûrs » (tels que les bons du Trésor) sont faiblement rémunérés. A l’appui de cette thèse, on peut remarquer que la hausse des cours boursiers n’est pas propre à la France. Depuis janvier, le CAC 40 a fait moins bien que les indices américains, anglais et surtout japonais. A côté de ces phénomènes monétaires, il faut garder à l’esprit que les entreprises cotées au CAC 40 ne tirent pas principalement leurs bénéfices de leurs activités en France. Depuis de nombreuses années, les grandes entreprises françaises se sont positionnées sur les marchés émergents. Or pour 2013, le Fonds monétaire international prévoit une croissance de 5,3% en moyenne pour les pays émergents, contre 1,2% pour les pays dits avancés, et -0,3% pour la seule zone euro. Cette internationalisation est d’ailleurs une source de malentendu en France : comment des entreprises peuvent-elles à la fois licencier et faire du profit ? Réponse : c’est parfaitement compatible (bien que très douloureux) si le profit n’est pas réalisé dans notre pays, car les entreprises ont généralement intérêt à se rapprocher de leurs marchés. Agnès Bénassy-Quéré