Mémoire - Sciences Po Toulouse

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Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Institut d’Etudes Politiques de Toulouse
Le théâtre jeune public : un espace en débat
Mémoire de recherche présenté par Mlle Anne Gablin
Directeur du mémoire : Mr Serge Regourd
2006-2007
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Institut d’Etudes Politiques de Toulouse
Le théâtre jeune public : un espace en débat
Mémoire de recherche présenté par Mlle Anne Gablin
Directeur du mémoire : Mr Serge Regourd
2006-2007
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Remerciements
Pour avoir accepté de diriger ce mémoire et pour m’avoir apporté son aide et ses
conseils, je remercie Mr Serge Regourd.
Je remercie également toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes
questions et qui ont ainsi contribué à la réalisation de ce mémoire : Karine Chapert (Théâtre
Sorano), Marie Déqué et Danièle Soule (Mairie de Toulouse), Marion Echevin (Maison de la
Culture de Loire-Atlantique), Patrick Even (DAAC – Académie de Nantes), Christian Eveno
(Théâtre du Pont Neuf), Mylène Idier-Auvinet (Scène Nationale du Manège), Alexandra
Malfi (Théâtre du Grand Rond), Valérie Mazarguil (Théâtre du Capitole), Emilie Pradère
(Théâtre National de Toulouse), Mireille Valls (DAAC - Académie de Toulouse).
Pour leur aide et leur patience, je remercie mes parents.
Pour son soutien, je remercie Pierre.
Anne Gablin
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Avertissements
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les
mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à
leur auteur(e).
Anne Gablin
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INTRODUCTION................................................................................................................................................. 1
I.
DEFINITION DU DOMAINE ETUDIE ................................................................................................... 5
A. UN CONTEXTE FAVORABLE A L’EMERGENCE D’UN THEATRE A DESTINATION DU JEUNE PUBLIC ..................... 5
B. DU SPECTACLE POUR ENFANTS AU THEATRE JEUNE PUBLIC ............................................................................ 7
C. QUEL REPERTOIRE POUR QUEL PUBLIC ?....................................................................................................... 20
D. DES ENFANTS DANS UN THEATRE….............................................................................................................. 26
II.
LA POLITIQUE CULTURELLE EN DIRECTION DU JEUNE PUBLIC ........................................ 36
A. EDUCATION / CULTURE : UNE ASSOCIATION DIFFICILE MAIS INDISPENSABLE ? ............................................ 36
B. LE JEUNE PUBLIC : UNE RESPONSABILITE COLLECTIVE ................................................................................. 46
C. ETUDE DE L’OFFRE JEUNE PUBLIC A TOULOUSE ............................................................................................ 61
III.
DIFFERENTS ACTEURS POUR UNE DEFINITION COMMUNE DU « JEUNE PUBLIC »... 74
A. UN RESEAU D’ACTEURS ................................................................................................................................ 74
A. LE JEUNE PUBLIC : AU COEUR D’UN NECESSAIRE TRAVAIL DE COOPERATION ............................................... 83
B. LA CONSTRUCTION DU JEUNE PUBLIC : FRUIT D’INFLUENCES RECIPROQUES ................................................. 95
C. VERS LA MULTIPLICATION DE PROPOSITIONS EN AUTONOMIE .................................................................... 100
CONCLUSION ................................................................................................................................................. 105
ANNEXES ......................................................................................................................................................... 107
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................................ 123
TABLES DES MATIERES.............................................................................................................................. 126
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Introduction
Lorsque l’on parle de politique culturelle aujourd’hui on assiste souvent à l’évocation
de l’échec de la démocratisation culturelle. Qu’entend-on alors par « démocratisation
culturelle » ? « La stratégie de démocratisation culturelle repose sur une conception
universaliste de la culture et sur la représentation sociale d’un corps unifié. (…) L’idéal de la
démocratisation culturelle peut se résumer par la formule : faire accéder le plus grand nombre
à la culture, sous entendu à la culture « cultivée », à la culture légitime. » 1 L’idée de
démocratisation culturelle a été développée notamment dans les années 1960 à travers la
politique de Malraux et les actions de décentralisation culturelles. Si elle a permis d’élargir
l’offre culturelle sur le territoire français et de diminuer l’écart Paris / province, il semble que
la politique de démocratisation culturelle n’ait pas amené une diversification du public.
Parallèlement à la stratégie de démocratisation, on voit se développer dans les années 1970,
l’idée de « démocratie culturelle ». « Alors que le principe de démocratisation culturelle ne
remettait pas en question la culture savante, mais seulement l’inégalité de sa répartition, le
principe de la démocratie culturelle a contesté, au nom d’un relativisme égalitariste, les
privilèges de la culture savante. »2 L’idée de démocratie culturelle entend donc revenir sur les
hiérarchies artistiques établies. La politique publique de la culture aujourd’hui se construit
donc sur cette tension entre « démocratisation culturelle » et « démocratie culturelle », toutes
deux ayant pour objectifs de diversifier le public de l’art.
Dans un objectif d’élargissement et de diversification des publics, il semble
qu’aujourd’hui l’idée de la nécessité de l’éducation artistique fasse consensus. L’idée de la
nécessité de posséder des clés de lecture de l’œuvre d’art traverse donc les politiques
publiques et peu à peu, cette idée a remplacé la conception de Malraux selon laquelle la
relation à l’œuvre serait de l’ordre du choc artistique.
Cependant, sur le terrain, les
professionnels de la culture et les acteurs qui s’investissent dans l’éducation artistique ne
semblent pas pleinement satisfaits de l’action de l’Etat en la matière.
La première raison qui m’a portée à étudier le spectacle vivant jeune public dans ce
mémoire est l’intérêt que je porte à ce domaine et plus particulièrement au théâtre. Autrefois,
le Théâtre se présentait pour la population comme le seul lieu de la fiction. Mais aujourd’hui,
avec la multiplication des médias, la production de fictions se fait à un rythme effréné et le
1
2
Article « Démocratisation culturelle », site du Ministère de la Culture
Article « Démocratie culturelle », site du Ministère de la Culture
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Théâtre n’est plus le lieu unique de cette production de fiction. On peut noter un double
mouvement au sein des médias. En effet, s’ils traduisent la réalité en fiction, ils opèrent
également une transformation de la fiction en réalité, ce qui contribue à perturber les champs
de perception du spectateur. L’enfant du XXI° siècle est plongé dès son plus jeune âge dans
cette profusion d’images et de récits et il est spectateur dès sa naissance. Cependant, comme
le note Mafa Gagliardi : « Plus l’œil consomme d’images, plus il semble perdre sa capacité
d’enregistrement et d’évaluation. »3 Si le théâtre n’est plus aujourd’hui le lieu exclusif de la
fiction, il reste cependant le lieu où la fiction reste un processus qui se crée ici et maintenant
et il exige un regard attentif et patient. Alors que face à la télévision, le regard du spectateur
est orienté par le choix de la mise en scène, au Théâtre la scène s’offre dans sa totalité. L’œil
du spectateur de théâtre est donc sa propre caméra et il peut choisir librement son point de vue.
Cette étude s’inscrit également dans la construction de mon projet professionnel et
l’envie de travailler au sein d’une structure culturelle.
J’ai choisi de m’attacher plus
spécifiquement à la question du jeune public parce qu’il me semble que ce secteur regroupe
diverses problématiques. Le jeune public entre aujourd’hui au cœur de la question du
développement et de l’élargissement des publics puisqu’ il combine création artistique et
éducation artistique. Le jeune public étant souvent présenté comme la réponse possible à la
démocratisation culturelle il me semblait particulièrement intéressant d’étudier les positions
des différents acteurs culturels à ce sujet. Alors que les responsables politiques semblent
s’accorder sur la nécessité de développer l’éducation artistique, il semble que le secteur du
théâtre jeune public subisse encore plus que les autres les difficultés actuelles du spectacle
vivant. Mais comment développer l’éducation artistique si on ne soutient pas parallèlement
les formes d’arts adaptés au jeune public ?
En ce qui concerne le théâtre jeune public, on peut noter la faible quantité de
recherches concernant le jeune public de la part du Ministère de la Culture. Les pratiques
culturelles des enfants n’entrent pas en compte dans la comptabilisation opérée dans les
diverses études du Ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français, ceux-ci
ne prenant en compte que les plus de 15 ans. On peut toutefois souligner l’étude de Sylvie
Octobre s’appliquant aux pratiques culturelles des 6-14 ans. On peut également souligner
l’absence d’article concernant le « jeune public » dans le Dictionnaire des Politiques
culturelles de De Waresquiel, ainsi que dans le lexique opéré par le Ministère de la Culture
concernant le « développement des publics ».
3
Mafa Gagliardi « Pour une pédagogie du jeune spectateur » in La médiation théâtrale, p65
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Lorsque l’on aborde le « jeune public », on se trouve tout d’abord face à une absence
de définitions. En effet, on ne trouve pas de définition juridique du « jeune public ». Le
manque de définition crée donc un certain flou. Quels problèmes ou quels avantages pose
cette absence de définition juridique ? S’il n’y a pas de définition on peut penser que la
marge de liberté dans l’élaboration des politiques, des projets sera plus grande. Mais cette
absence de définition ne risque t-elle pas d’entraîner des « conflits » dans l’élaboration des
politiques ?
Une multiplicité d’acteurs entrent en jeu dans la construction du spectacle vivant
« jeune public » aujourd’hui : l’Etat et notamment le ministère de la Culture et celui de
l’Education nationale, les collectivités territoriales, les structures culturelles, les artistes,
l’école et les enseignants, le public lui-même (parents et enfants). Il apparaît alors intéressant
d’étudier de quelle manière les différents acteurs vont contribuer à créer une « définition de
fait » du « jeune public », de quelle manière également des relations et des tensions vont
s’instaurer entre ces différents acteurs. Comment est-on parvenu à considérer le jeune public
comme un public à part entière à qui on doit proposer une offre culturelle adaptée ?
Pour des questions pratiques mais aussi pour la quantité et la diversité de l’offre en
matière de spectacle vivant, j’ai choisi de concentrer ma recherche sur la ville de Toulouse.
Dans mon étude j’ai privilégié la méthode de l’entretien. Ainsi, j’ai rencontré une dizaine
d’acteurs culturels : à la Mairie de Toulouse, au Rectorat, au TNT, au Théâtre du Capitole…
J’ai également rencontré des acteurs culturels en Pays de la Loire, cette région étant réputé
pour son dynamisme en matière de politique culturelle, ce qui m’a permis d’avoir quelques
éléments de comparaison avec ce qui se passe à Toulouse. J’ai complété ces entretiens par une
étude des plaquettes de présentation des différents théâtres programmant du « jeune public » à
Toulouse et j’ai assisté à plusieurs spectacles « jeune public » ou «tout public ». De plus, j’ai
effectué diverses recherches bibliographiques concernant les politiques publiques de la culture,
la sociologie de l’art et notamment celle de Howard Becker et l’analyse des pratiques
culturelles. Au sein du spectacle vivant jeune public, la forme théâtrale semble s’imposer
assez fortement. J’ai donc choisi de m’intéresser plus particulièrement au théâtre, bien que le
théâtre concernant le jeune public prenne des formes diverses : marionnettes, théâtre d’objets,
théâtre musical. On assiste depuis une trentaine d’années, au développement de l’offre jeune
public dans les structures culturelles. Cependant, cette offre varie en qualité et en quantité
selon les projets artistiques de la direction, l’histoire et les facteurs politiques locaux et les
moyens financiers. J’ai choisi dans le cadre de ce mémoire d’étudier plus particulièrement les
structures subventionnées (Centre Dramatique National dans le cas du TNT, Scène nationale
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dans le cas du Manège…) et leur rapport au jeune public. Ainsi, mon étude ne portera pas sur
les spectacles créés en vue des fêtes d’entreprises, « arbres de Noël » … Il me semblait plus
intéressant d’étudier le cas des scènes subventionnées qui au-delà de la programmation
s’investissent quasiment toujours dans des actions d’accompagnement du public. De plus, ces
scènes nationales, labellisées et ainsi reconnues pour leur qualité, participent à la
reconnaissance d’une création jeune public inventive et de qualité, alors que les spectacles
pour enfants « de divertissement » se situent plutôt dans un cadre commercial et répondent à
une demande émise par les entreprises ou les écoles la plupart du temps. Les études
concernant les pratiques culturelles placent souvent la sortie au théâtre comme une pratique
rare, relevant de la « culture cultivée », parfois qualifiée d’élitiste. En effet, les professionnels
de la culture soulignent un mouvement de désertification des salles et de vieillissement du
public. Le secteur jeune public y joue donc un rôle majeur.
Il apparaît tout d’abord nécessaire d’étudier l’objet en lui-même. C'est-à-dire
d’essayer d’identifier les facteurs qui ont contribué à l’émergence d’un secteur jeune public au
sein du spectacle vivant. De quelle manière est-on ainsi passé de la proposition de
« spectacles pour enfants » à la création d’un « théâtre jeune public », véritablement
identifiable ? Quelle est aujourd’hui la pratique théâtrale du jeune public, comment est-elle
construite et vers quels objectifs est-elle orientée ?
Dans un deuxième temps, il s’agira d’identifier la politique culturelle en direction du
jeune public aujourd’hui. Parler de politique culturelle et de jeune public, c’est également
s’attacher au rôle de l’éducation artistique et donc aux relations qui se tissent entre le
ministère de la Culture et le ministère de l’Education Nationale.
Finalement, il apparaît que le spectacle vivant jeune public en tant que « monde de
l’art », est le fruit d’une diversité d’acteurs. Il s’agit donc d’étudier, à travers la notion de
réseau, le rôle des acteurs culturels et la manière dont ils vont entrer en relation que ce soit
sous la forme du partenariat, de l’influence réciproque ou de la recherche d’autonomie.
« Il s'agit de faire ce que la III ° République avait réalisé,
dans sa volonté républicaine, pour l'enseignement ; il
s'agit de faire en sorte que chaque enfant de France
puisse avoir droit aux tableaux, au théâtre, au cinéma,
etc., tout comme il a droit à l'alphabet. »
André Malraux
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I. DEFINITION DU DOMAINE ETUDIE
A. UN
CONTEXTE
FAVORABLE
A
L’EMERGENCE
D’UN
THEATRE
A
DESTINATION DU JEUNE PUBLIC
1. Le mouvement des Universités populaires
La naissance du théâtre jeune public est intimement liée à l’évolution du théâtre lui
même au début du XX° siècle. Plusieurs facteurs permettent de donner une explication de
l’évolution du théâtre à cette époque. Le passage du XIX° au XX° siècle est marqué par le
développement du socialisme. L’affaire Dreyfus, qui rapproche dans l’action les travailleurs
manuels et intellectuels, constitue un des éléments expliquant la consolidation de l’idée que la
démocratie est possible s’il y a une participation de tous à la vie sociale. L’instruction du
peuple doit donc être un élément central des politiques publiques. Cependant l’école primaire
n’est pas suffisante et le souci d’une éducation culturelle des ouvriers se développe peu à peu.
« Un chef d’œuvre est diminué à n’être possédé que par quelques uns ! » selon Jean Jaurès.
C’est notamment grâce à ce dernier que le mouvement des Universités Populaires est lancé
(« les soirées de Montreuil » en 1896, la « Coopération des idées » en 1898), accueillant des
conférences dans un esprit festif. Au début du XX° siècle, on en dénombre une cinquantaine à
Paris et une cinquantaine en Province, fréquentées par des ouvriers manuels en majorité, elles
offrent une initiation à la littérature, à la musique, au théâtre… C’est donc dans ce contexte
politique que l’idée du théâtre comme puissant moyen d’instruction se développe.
2. Un Théâtre pour le peuple
En 1895, Maurice Pottecher crée à Bussang (Vosges) le premier « Théâtre du
Peuple », l’éducation du peuple étant au cœur de ses préoccupations. Face au Théâtre parisien
et aux concessions au goût du public, Maurice Pottecher souhaite mettre en place un théâtre
désintéressé, « dédié au peuple tout entier », un théâtre qui réunisse dans la même salle « le
premier des philosophes de la nation et le dernier des portefaix de la halle, le financier le plus
opulent et le plus dénué des traîne-misère ». Sur le fronton du Théâtre on peut lire « par l’Art,
pour l’Humanité » Le répertoire présenté est constitué de pièces nouvelles, écrites le plus
souvent par Pottecher avec l’aide des gens du village, les pièces étant toutefois souvent
teintées de moralisme et bons sentiments. La troupe du théâtre est alors constituée par des
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amateurs vosgiens. A la même époque, à Paris des essais de « Théâtre pour le peuple » voient
le jour. En 1903, le Théâtre du Peuple de Belleville, est institué. Celui-ci met en place des
tarifs très bas et un système d’abonnements payables par versement hebdomadaires.
3. Le mouvement d’éducation populaire
En Septembre 1944, Maurice Delarue et Jean-Marie Serreau mettent en place
« Travail et Culture » (le TEC), une coopérative qui travaille à une école de spectateurs. On y
retrouve diverses personnalités, pour la plupart issues de l’association Jeune France. Les
membres du TEC sont divisés en sections et sont spécialisés dans une branche artistique. La
CID par exemple se spécialise dans l’approche de la culture par l’initiation dramatique. Il
s’agit de former un nouveau public en facilitant financièrement et psychologiquement l’accès
aux « bons spectacles ». Au sein du CID on retrouve des personnalités comme Charles Dullin,
Jean Dasté, Roger Blin, Jean Vilar…
4. Une politique de décentralisation, très dynamique dans le domaine du théâtre
Dans les années 30, Charles Dullin initie le mouvement de décentralisation culturelle
en rédigeant un rapport qui préconise l’implantation de centres théâtraux dans les régions,
chacun devant être le représentant des spécificités de sa région (histoire, coutumes…). Mais la
seconde guerre mondiale vient stopper le mouvement pendant quelques années. Cependant,
pendant l’occupation, l’organisation Jeune France joue un rôle actif en faveur du théâtre
(financement de compagnies, discussion dans les maquis…) et permet au sortir de la guerre,
la naissance d’une politique de subventions du théâtre. Jeanne Laurent notamment (nommée
sous-directrice des Spectacles et de la Musique à la direction générale des Arts et des Lettres,
au ministre de l’Education Nationale) initie une politique active en faveur de la
décentralisation théâtrale, cinq Centres Dramatiques Nationaux sont ainsi créés : Le Centre
Dramatique de l’Est à Colmar (1946), La Comédie de Saint Etienne avec Dasté (1947), Le
Centre Dramatique de l’Ouest à Rennes (1949), Le Grenier de Toulouse dirigé par Maurice
Sarrazin et le Centre Dramatique du Sud-Est à Aix en Provence (1952). Les Centres
Dramatiques Nationaux ont pour mission de « rayonner » sur 80 à 100 km. Les troupes
organisent donc des spectacles itinérants allant à la rencontre du public. Si la mise en place de
ces Centres Dramatiques Nationaux constitue une étape importante dans le mouvement de
décentralisation culturelle, ils touchent plutôt un public d’enseignants déjà acquis et ont du
mal à élargir le public au monde ouvrier, à l’exception de la Comédie de Saint Etienne qui
réalise des représentations gratuites, en plein air.
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5. Le Théâtre, service public
Jean Vilar, créateur de la « semaine d’art » à Avignon en 1947, qui prend le nom
l’année suivante de « Festival d’Avignon », est considéré comme une figure majeure dans
l’affirmation d’un théâtre de service public. « J’affirme que le Théâtre National Populaire est
un service public, tout comme l’eau, le gaz et l’électricité (…) Nous allons réunir dans les
travées de la Communion Dramatique, le petit boutiquier de Suresnes et le Haut Magistrat,
l’ouvrier de Puteaux, l’agent de change, le facteur des pauvres, le professeur agrégé. »4 Ainsi,
c’est lui qui en 1951, prend la tête du Théâtre National Populaire à Paris. Après s’être
consacré à un théâtre de divertissement et à la culture de son public, Jean Vilar, dans le
contexte de la guerre d’Algérie, se lance dans un théâtre d’information et de civisme.
Concernant le théâtre jeune public, les années Vilar constituent une période importante,
puisqu’en 1969, il choisit de programmer trois spectacles pour jeunes spectateurs au Festival
d’Avignon. A l’origine de ces trois créations on retrouve des personnalités incontournables du
théâtre jeune public en France : Miguel Demuynck, Maurice Yendt et Catherine Dasté.
C’est donc dans ce contexte politique, social et culturel que le théâtre jeune public
plante ses racines. Au-delà du divertissement, le théâtre se développe comme un outil
d’instruction, une activité nécessaire à la construction et au développement de l’individu,
aussi bien à l’âge adulte que dès l’enfance.
Les mouvements d’éducation populaire et la mise en place d’un Théâtre de service
public constituent donc les facteurs favorisant l’éclosion d’un secteur jeune public au sein du
spectacle vivant au cours du XX° siècle.
B. DU SPECTACLE POUR ENFANTS AU THEATRE JEUNE PUBLIC
1. « jeune public », « tout public », « à partir de… » : la multiplication des
dénominations
Lorsque l’on parle de théâtre jeune public, on assiste à une multitude de
dénominations : « jeune public », « tout public », « à partir de… » qui différent selon les
structures culturelles.
4
Jean Vilar, De la tradition théâtrale, 1955, cité par André Degaine dans Histoire du Théâtre dessinée, p.373
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« Parler de jeune public c’est parler de trois choses à la fois selon que l’on met
l’accent sur le terme jeune, ou sur le terme public, ou sur le couple jeune public.»5 Le terme
de « public » renvoie à l’idée de spectateur, c’est celui qui assiste à la représentation. Au-delà
du public considéré comme spectateur, la réflexion sur le public développée par les structures
culturelles dépasse souvent le simple fait d’assister au spectacle. Lorsqu’il s’agit de
programmation jeune public, les structures culturelles mettent quasiment toujours en place un
accompagnement autour du spectacle : ateliers, rencontres, goûters. Lorsque l’on parle de
« jeune public » c’est également la question de l’âge qui entre en jeu, le terme de « jeune »
renvoyant à des âges très différents. Enfin lorsqu’on associe les deux termes et que l’on parle
de « jeune public », on désigne généralement un public qui ne va pas au-delà du public de
collégiens. Le jeune public s’arrêterait-il à l’entrée dans l’adolescence ? Pour les structures
culturelles, il apparaît bien souvent nécessaire d’opérer des distinctions plus précises dans la
présentation de leur programmation. Ainsi la dénomination « à partir de… », plutôt que
« spectacle jeune public », va être choisi pour des raisons pratiques, un spectacle s’adressant à
un public d’enfants de 3 à 5 ans ne saura sans doute pas retenir l’intérêt d’un public
d’adolescents. Parler de spectacle jeune public c’est également sous entendre que l’adulte
n’aura qu’une place d’accompagnateur. Dans le cas contraire, les structures culturelles
opteront pour la dénomination « tout public » ou « à voir en famille ».
Pour certains, parler de jeune public c’est parler d’un public jeune, un public « neuf »
qui vient pour la 1ère fois au Théâtre. Il peut alors tout aussi bien s’agir d’un enfant, que d’un
adulte.
« Ce terme « jeune public » me paraît particulièrement adapté parce que comme nous
l’avons dit : un public jeune c’est tout simplement des personnes petites ou grandes qui
viennent pour leur 1ère fois au spectacle. C’est un public frais, non blasé et prêt à découvrir et
à regarder les propositions qui lui sont faites. »6
Ainsi, parler de « jeune public » ce n’est pas nécessairement faire référence à une
tranche d’âge en particulier. Il s’agit plutôt de concevoir un certain rapport à un public novice
qui n’aura pas nécessairement la maîtrise des codes du spectacle.
Dans le cadre de mon étude, j’ai retenu une conception large de la notion de jeune
public. En effet, je me suis intéressée à tout ce qui pouvait entourer la venue du « jeune » au
Théâtre et notamment sa venue dans un cadre scolaire. J’ai ainsi retenue la conception
défendue par la MCLA à Nantes, ou par le Manège (scène nationale de La Roche sur Yon)
5
Gérard Authelain, rapport « Musiques actuelles et jeune public » juillet 2006, Ministère de la Culture et de la
Communication, p.13
6
Anne-Françoise Cabanis, Et le jeune public ? Un terreau surprise. Quand la création artistique proposée aux
enfants s’impose dans la cour des grands, p.4, 6 décembre 2005
8
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qui consiste à élaborer un « parcours » d’école du spectateur allant de la maternelle au lycée.
La notion de « parcours » qui apporte une réflexion particulière sur l’itinéraire de l’enfant au
cours de sa carrière scolaire était notamment au cœur du plan Lang-Tasca de 2000. Cette
conception assez étendue m’a permis d’étudier aussi bien des lieux comme Odyssud à
Blagnac, qui propose des spectacles « jeune public » pour des enfants dès 5 mois, que le
Théâtre Sorano, qui n’a pas de programmation spécifiquement « jeune public » et qui travaille
en priorité avec un public de collégiens et de lycéens.
2. Le théâtre à destination des enfants, son histoire
Les prémices du théâtre en direction des enfants
L’apparition d’un théâtre pour enfants s’inscrit dans l’histoire du théâtre d’une
manière générale. Ce n’est pas un théâtre à part, il fait au contraire partie intégrante du
spectacle vivant. L’histoire du théâtre jeune public est assez récente, on peut la faire débuter
au début du XX° siècle. La naissance puis l’évolution du théâtre jeune public au cours du
XX° siècle est intimement liée à l’évolution du regard que la société porte sur l’enfant. La
plupart des spectacles pour enfants du XIX° sont faibles d’un point de vue artistique et assez
moralisateurs, à l’image des textes de la Comtesse de Ségur. Le premier tiers du XX° siècle
est l’occasion d’une véritable évolution. Parmi les toutes premières pièces écrites pour le
jeune public, on peut citer le Peter Pan de James Matthew Barrie. Présentée pour la première
fois en 1904 au théâtre londonien du Duke of York, cette pièce connaît un succès particulier
et jouit d’une reconnaissance mondiale. Les adaptations qui fleurissent encore aujourd’hui en
ont fait un classique de la littérature. Dans ce texte, l’auteur invite au plus grand respect de
l’imaginaire de l’enfant qui est ici considéré comme une personne à part entière et non plus
comme un adulte en miniature. Une autre pièce qui a joué un rôle fondateur dans la naissance
du théâtre en direction du jeune public, est l’adaptation de L’oiseau bleu de Maurice
Maeterlinck par Constantin Stanislavski, alors directeur du théâtre d’art de Moscou. Selon ce
dernier : « Le théâtre pour enfants c’est le théâtre pour adultes, en mieux ! » A la même
époque, en Russie, Alexandre Bryantsev, ami de Stanislavski, monte un théâtre permanent
avec une forte préoccupation pédagogique. Ce théâtre influence par la suite nombre
d’établissements sur le territoire soviétique. Pour Bryantsev, le théâtre doit participer à la
formation de l’homme futur et il défend la conception d’un théâtre fondamentalement
pédagogique. « L’enfant a besoin d’art véritable. Le théâtre pour enfants n’est pas un abrégé
du théâtre pour adultes. C’est au contraire un théâtre plus exigeant, car s’ajoute la complexité
9
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d’une mission pédagogique. »7
Le cas français
En France, la naissance du théâtre pour enfants est intimement liée à la famille
théâtrale de Jacques Copeau et au Théâtre du Vieux Colombier qui constitue un tournant
particulier dans l’histoire du théâtre. Copeau avait en effet développé « une pédagogie globale
du théâtre » 8 . A l’instar de Stanislavski, il développe dans les années 1910-1920 une
pédagogie fervente du théâtre. Ainsi, selon lui : « l’idée de l’Ecole et l’idée de Théâtre sont
une seule et même idée. Elles sont nées ensemble ». Durant la guerre, avec Suzanne Bing, il
réalise une première expérience d’école avec de jeunes professionnels et une douzaine
d’enfants : l’Ecole du Vieux Colombier ouvre en 1920. Autour de Copeau, on peut souligner
l’importance de Léon Chancerel dans la construction d’un théâtre pour le jeune public. Au
début des années 30, Léon Chancerel aborde de nouveaux modes de relations entre théâtre et
jeunes spectateurs, il est notamment l’auteur d’un grand nombre d’études et d’ouvrages dont
une introduction à la méthode des jeux dramatiques. Il travaille activement à faire du théâtre
avec les jeunes et pour les jeunes, et crée en 1957, l’ATEJ : Association du Théâtre pour
l’Enfance et la Jeunesse. Charles Dullin qui ouvre dans les années 30 son Théâtre de l’Atelier
écrit dès 1928 des propos qui ont encore aujourd’hui un impact notable : « Si nous voulons
assurer la continuité de notre effort, il nous faut lutter contre l’éducation purement visuelle
imposée aux enfants et aux jeunes par le cinéma. Si nous n’organisons pas à l’intention de la
génération qui vient une propagande active en faveur du théâtre, nous sommes menacés de la
voir ignorer notre art et s’en détourner. » 9 Il convient également de rappeler le rôle de
Catherine Dasté « mère du théâtre jeune public », selon Anne-Françoise Cabanis. A la
Comédie de Saint Etienne c’est elle qui crée les premiers spectacles pour le jeune public. En
1969, elle fonde la compagnie de La Pomme Verte à Sartrouville et entame une véritable
politique de création théâtrale pour la jeunesse. Miguel Demuynck (responsable des CEMEA :
« Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active », encore très actifs aujourd’hui),
autre personnalité importante pour le développement du jeune public, insiste sur la double
nécessité de voir et de pratiquer le théâtre. Il met en place un vrai travail d’éducation
populaire et artistique en défendant l’idée que « la culture et l’éducation donne à l’homme une
ouverture et un épanouissement dans la société ».
7
Alexandre Bryantsev cité par Maurice Yendt in Les ravisseurs d’enfants, p.24
Le Théâtre en France, tome 2, p.311
9
Charles Dullin, cité par Maurice Yendt in Les ravisseurs d’enfants, p.25
8
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Le rôle du mouvement d’éducation populaire
Lorsque l’on évoque l’histoire du théâtre jeune public, il semble important de
souligner le rôle du mouvement du théâtre populaire qui place la question du public au centre
de son action. Dans le théâtre jeune public, peut-être encore plus que dans le théâtre « pour
adultes », on ne peut pas créer sans penser à la question de la réception. On peut considérer le
mouvement d’éducation populaire comme étant à l’origine de la défense de l’éducation
artistique. Le mouvement d’éducation populaire, s’il prend racines dès le XVIII° siècle, se
structure véritablement après la seconde guerre mondiale. A cette époque Jean Guéhenno est
chargé d’une direction de l’éducation populaire au Ministère de l’Education Nationale et en
1944 la coopérative « Peuple et Culture»10 voit le jour. L’objectif de « Peuple et Culture » est
de « rendre la culture au peuple et le peuple à la culture ».11 Elle organise pour cela une école
de spectateurs autour de personnalités comme Charles Dullin, Jean Dasté, Jean Vilar. La
création de la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture, en 1948,
constitue une autre étape importante dans le travail d’éducation populaire. Education
artistique et éducation populaire si elles peuvent apparaître a priori assez proches, diffèrent
pourtant sur certains points. L’éducation artistique est intimement liée à l’école alors que
l’éducation populaire se développe en complément de l’enseignement scolaire formel.
Cependant l’éducation artistique dépasse les simples enseignements artistiques en temps
scolaire et semble s’inspirer de l’éducation populaire, dans le sens où elle cherche à favoriser
la pratique.
Vers une prise en compte par les pouvoirs publics
Dans les années 70, l’effervescence de la création jeune public s’accompagne petit à
petit d’une prise en compte du théâtre jeune public par les pouvoirs publics. Ainsi en 1972, Le
Théâtre National des Enfants de Chaillot est créé sous la direction d’Antoine Vitez et de
Jacques Lang. Six ans plus tard, le ministère de la Culture décide de la création de six Centres
Dramatiques Nationaux pour l’Enfance et la Jeunesse (CDNEJ). On assiste alors à un
mouvement de labellisation et de reconnaissance du secteur jeune public amorcé par le
ministère. Il existe depuis longtemps des "spectacles pour enfants », des spectacles que l’on
associe plutôt à du divertissement. Mais la rencontre des expressions "politique culturelle" et
"jeune public" montre que l'objet même se transforme, qu'il prend du poids et se charge d'un
projet qui échappait au premier. L’importance de la création en direction du jeune public est
10
11
Le réseau « Peuple et Culture » regroupe aujourd’hui 40 associations, il est présidé par Jean Gondonneau
Manifeste de 1945 « Un peuple, une culture », site Internet de « Peuple et Culture »
11
Anne Gablin
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peu à peu reconnue et le jeune public s’insère dans le schéma de décentralisation théâtrale.
Les années 70-80 sont ainsi l’occasion d’une véritable explosion de la création « jeune
public ». Mais en 2000, le ministère de la Culture décide de la suppression de certains CDNEJ
qui fusionnent peu à peu avec les Centres Dramatiques Nationaux. « La création des CDNEJ a
été un vecteur incontestable de développement. Sans doute ce système présentait-il quelques
problèmes, mais finalement pas plus que le système des centres dramatiques en général, et il
est dommage que le ministère de la Culture ait mis un terme à cette expérience ». 12
Aujourd’hui, on peut citer un certain nombre de Centres Dramatiques qui accordent une place
cruciale au « jeune public ». Le Théâtre du Préau à Vire, Centre Dramatique Régional, dirigé
par Eric de Dadelsen, prend la relève du Centre Dramatique pour l’Enfance et le Jeunesse de
Basse-Normandie (créé en 1978 par Yves Graffey). A Lille, on peut noter l’existence du
Théâtre du Grand Bleu, dirigé par Bernard Allombert, Etablissement National de Production
et de Diffusion Artistique dont l’axe dominant concerne les jeunes publics. A Lyon, Le
Théâtre Nouvelle Génération, Centre Dramatique National, dirigé par Nino d’Introna, succède
au Théâtre jeune public de Maurice Yendt. Enfin, le Théâtre Jeune Public de Strasbourg,
dirigé par Grégoire Callies, devenu Centre Dramatique National en 1991.
Le jeune public aujourd’hui
En 2005, le théâtre jeune public représente plus de 10 millions de spectateurs et plus
de 400 compagnies à travers toute la France. 13 On peut observer un réseau de scènes
nationales, conventionnées, municipales qui accorde une place plus ou moins importante à la
programmation jeune public. On dénombre également plus d’une centaine de Festivals : Très
Tôt Théâtre, Mélimôme, Odyssée 78, Marmaille, La Tête dans les nuages… Le jeune public
constitue donc un champ artistique dont on ne peut plus nier l’existence mais qui manque de
reconnaissance institutionnelle. C’est aussi un champ économique indéniable. Tout
responsable, politique ou artistique se doit d’admettre que même mal connu, le spectacle
vivant pour le jeune public a une existence et une présence et qu’il draine un « vrai public ». Il
convient de souligner que le paysage actuel se veut le résultat de la militance d’acteurs
culturels qui ont continué à travailler avec obstination et passion pour la reconnaissance de ce
domaine.
12
13
Philippe Foulquié interviewé dans La Scène, Septembre 2006
Sur les scènes françaises – Recherche d’une reconnaissance publique, Le Devoir, 31mars-01 avril 2007
12
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3. L’évolution de la place de l’enfant dans la société.
Il est intéressant de rappeler que le mot « enfant » vient du latin « infans » qui
signifie : celui qui ne parle pas. Au cours du XIX° et du XX° siècle le regard porté sur
l’enfant par le monde adulte a peu à peu évolué. Au XIX° siècle, l’enfant était avant tout
considéré comme une source de risques, pour sa mère et pour lui-même. En effet, dans les
sociétés pré médicalisées, l’accouchement se présente comme un moment dangereux pour la
mère, parce que propice aux infections. Les Essais de Montaigne se présente comme un des
premiers textes où la perte d’un enfant est source de tristesse, c’est la première fois que l’élite
intellectuelle exprime l’attachement sentimental à l’enfant. La prise en compte de l’enfant est
donc relativement tardive. Puis les progrès en médecine et la tendance à la politique
malthusienne constituent des facteurs qui font peu à peu naître une réflexion autour de la
place de l’enfant dans la société. Jusqu’au XIX° siècle, l’enfant est considéré comme un
adulte en miniature. Il est peu intégré à la vie de famille, notamment les filles qui sont
rapidement mariées. Au cours du XX° siècle, l’enfant est peu à peu considéré comme un être
particulier, à part entière. « L’enfant n’est plus considéré par la psychiatrie contemporaine
comme un adulte en devenir, comme un homme en préparation, encore incomplet et
imparfait ; c’est un être total, possédant un univers clos de sensibilité, de logique et d’instinct.
L’enfant est un individu à part entière, mais évoluant dans un ordre de valeurs « différent » de
l’ordre adulte. »14
Du point de vue juridique, la « Convention Internationale relative aux droits de
l’Enfant » (20 novembre 1989) ratifiée par 192 pays constitue une étape importante dans la
défense de l’enfant au niveau mondial. Un article de cette Convention fait référence aux
activités culturelles :
« Article 31 : 1. Les Etats partis reconnaissent à l’enfant le droit aux repos et aux
loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer
librement à la vie culturelle et artistique. 2. Les Etats partis respectent et favorisent le droit de
l’enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique et encouragent l’organisation à
son intention de moyens appropriés de loisirs et d’activités récréatives, artistiques et
culturelles, dans des conditions d’égalité. »
Il convient également de noter que le jeune public a évolué au cours du XX° siècle.
La place qu’a prise la télévision dans la vie quotidienne des enfants du XXI° siècle est sans
14
Christian Liger in Théâtre et jeunes spectateurs, pour un nouveau théâtre populaire
13
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doute l’un des facteurs de cette évolution. Il est indéniable que la télévision a un impact
particulier sur les conditions et les enjeux de l’activité artistique et culturelle. La télévision a
une influence notable auprès des jeunes et entraîne une modification des notions de « jeune
public » et de « jeunes spectateurs ». Les jeunes ont aujourd’hui un droit de regard sur ce qui
se passe dans la société à travers ce qu’ils peuvent voir à la télévision. Ainsi ils ont sans doute
acquis une plus grande maturité dans leur relation à l’image. Il est donc nécessaire pour
comprendre qui est le « jeune spectateur » d’aujourd’hui de remettre en cause le schéma
historique de la relation entre le théâtre et le public d’enfants et de jeunes. L’enfant spectateur
d’aujourd’hui n’est évidemment pas le même que celui des années 70. L’évolution du jeune
public entraîne également une évolution de l’écriture. Les tabous moraux ou pédagogiques
d’hier semblent s’être estompés. Cette nouvelle maturité de l’enfant n’est sûrement pas due
aux émissions télévisées pour enfants, souvent infantilisantes, mais plutôt au fait que le regard
de l’enfant est de plus en plus acéré. « Tout se passe comme si les années 60 avaient reconnu
la sensibilité de l’enfant, et les années 80 sa capacité de réflexion. »15
4. Spectacle pour enfant contre théâtre jeune public
Lorsque l’on parle de théâtre jeune public ou de spectacle pour enfants, une foule
d’images nous vient à l’esprit. Le théâtre qui s’adresse aux enfants a connu depuis une
vingtaine d’années une croissance particulière et les créations se multiplient donnant lieu à
une offre de plus ou moins bonne qualité. Ainsi, on associe souvent le théâtre pour enfants
aux spectacles données au moment des fêtes dans les entreprises, les « arbres de noël », ou
dans les écoles. C’est l’image d’un théâtre un peu infantilisant, « bêbête » qui se dégage de ce
genre de proposition artistique. « Le théâtre étiqueté « jeune public » pâtit d'un mépris qui se
traduit en termes financiers. Il existe bel et bien un théâtre infantile, médiocre et démagogique,
qui lorgne vers l'animation plus que vers la création, le « syndrome Arbre de Noël » comme
l'appelle Joël Simon, directeur du festival Méli'môme ».16
Dans ce foisonnement de propositions, le choix des termes n’est pas anodin et on
s’aperçoit que, selon que l’on parle de « théâtre pour enfants » ou de « théâtre jeune public »,
on ne fait pas référence au même genre de spectacle. « On a longtemps parlé de spectacle
pour enfants, aujourd’hui, quasiment et unanimement, on parle d’un théâtre jeune public,
c'est-à-dire qu’on est passé de la désignation par une catégorie sociale : l’enfant, à une
catégorie désignée par l’artistique, donc on considère l’enfant comme un public à part
15
16
Nicolas Faure, l’émergence d’un répertoire, in Le répertoire jeune public en question
Naly Gérard, « jeune public : la maturité revendiquée », revue Mouvement, mars 2003
14
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entière. » 17 Parler de « théâtre jeune public » c’est donc considérer l’enfant comme un
spectateur à part entière, un être humain complet qui assiste au spectacle et qui l’interprète
avec son regard d’enfant.
« La première confusion vient de l’histoire du secteur. Il est révélateur que la
première monographie (à ma connaissance) consacrée en France à ce sujet, celle de C.P.
Chavanon, s’intitule : Le Théâtre pour enfants, des artistes face à un problème de création.
Ce titre paraît représentatif de toute une époque, celle de la construction et celle où l’on
s’adresse à l’enfant en général. (…) Dans cette démarche historiquement marquée de
reconnaissance de l’enfant comme individu à part entière, le théâtre qui lui est destiné semble
donc s’adresser moins à un enfant spectateur qu’à un enfant dans son entier. Il s’agit de
reconnaître son droit à l’expression, à l’émotion esthétique… D’où une appellation « pour
enfants » qui met l’accent sur une catégorie sociale, et non « jeune public » qui reconnaît déjà
une catégorie culturelle, celle de public de théâtre. »18
Dans leur choix de programmation, les responsables des secteurs jeune public dans
les structures culturelles insistent sur la qualité du spectacle. Le théâtre jeune public ne doit
pas être un demi-théâtre et le spectateur enfant tout comme le spectateur adulte a droit à une
proposition de qualité. Ainsi, Marion Echevin, responsable du secteur jeune public à la
MCLA (Maison de la Culture de Loire-Atlantique) explique : « Dans le jeune public ce qui
est dur c’est qu’il y a beaucoup de trucs qui sont limites… moi je fais partie d’un réseau de
programmateurs maintenant. Je vais beaucoup dans les Festivals, donc quand je vois où les
compagnies ont joué je peux me dire, c’est de la qualité. Après chacun a sa sensibilité. (…) et
puis aussi il y a une manière de s’adresser aux enfants. Il faut être exigeant. Y en a qui ont
tendance à infantiliser. Déjà quand ça commence par « bonjour les enfants ! » c’est grillé.
C’est ça qui est compliqué. »19
Sur un plan scolaire, il convient également de s’interroger sur la manière dont on est
passé du spectacle joué en matinée pour un public exclusivement composé d’élèves, avec une
programmation essentiellement « classique » de « grands textes » forcément admirables, à une
prise en compte de l’élève comme spectateur parmi d’autres en accueillant les classes parmi le
public classique lors des représentations le soir. Ainsi le camp des « pro matinées scolaires »
s’oppose au camp des « anti matinées scolaires ». Mylène Idier explique ainsi sa position en
faveur d’un maintien de l’accueil des élèves en tant scolaire :
« En temps scolaire, on fait de la maternelle, de la crèche même, donc c’est de 2 ans
17
Anne-Françoise Cabanis, rencontre « Et le jeune public ? Un terreau surprise, Quand la création artistique
proposée aux enfants s’impose dans la cour des grands, p.4, 6 décembre 2005
18
Nicolas Faure, l’émergence d’un répertoire, in Le répertoire jeune public en question
19
Entretien avec Marion Echevin, responsable jeune public, MCLA - Nantes
15
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jusqu’au Lycée. On est le village d’Astérix, on est la seule Scène Nationale en France à faire
du temps scolaire pour les Lycéens. On défend ça parce qu’il y a à peu près 60 % des lycéens
qui ne sont pas de La Roche et donc qui rentrent chez eux le soir donc on se dit qu’ils ne
reviendraient pas le soir, donc on s’est bagarré pour ça mais je pense qu’on en vit les derniers
moments. »
Ainsi la venue sur le temps scolaire favorise la présence de tous les élèves au Théâtre
sans distinction. Mais si la matinée scolaire est souvent maintenue afin de faciliter le travail
des enseignants, le fait de venir en soirée, d’être mélangé à tout le public représente une autre
manière d’assister au spectacle et permet peut être ainsi de devenir réellement un spectateur à
part entière. Les responsables des structures culturelles s’accordent pour insister sur le travail
que l’enseignant doit faire au préalable pour préparer la venue au théâtre : « On organise
encore trois matinées dans l’année parce qu’il y en a certains qui ne viendraient pas sinon. Le
principe qu’on a établi quand on fait des matinées, c’est que comme tout le monde est un peu
réfractaire aux matinées, que ce soit les artistes, nous… du coup on dit OK pour les matinées,
mais on va rencontrer tous les élèves avant. »20
Le « spectacle pour enfants » infantilisant ne constitue plus aujourd’hui l’offre
unique. Les programmations des structures culturelles cherchent à proposer des créations
inventives, riches, qui font appel à l’imaginaire, au rêve et à la réflexion. Signe d’une
reconnaissance par les pairs, depuis 2005, le théâtre jeune public a été reconnu comme
catégorie lors de la cérémonie des Molières. Ainsi en 2005, Lettre d’amour de 0 à 10… de
Susie Morgenstern, mis en scène par Christian Duchange (Compagnie l’Artifice) reçoit le 1er
Molière jeune public et en 2006, c’est Un petit chaperon rouge de Florence Lavaud, par le
Chantier Théâtre qui est récompensé. Cette année la cérémonie aura lieu le 14 mai 2007, et
cinq spectacles sont nominés dans la catégorie « spectacle jeune public » : le Bleu de
Madeleine et les autres par Anne Marie Marques, Des joues fraîches comme des coquelicots
par Eve Ledig, La mer en pointillés par Serge Boulier, L’Ogrelet par Christian Duchange et
Yaël Tautavel ou l’enfance de l’art par Nino d’Introna.
5. La question commerciale / artistique
Comme on a pu le voir, au cours du XIX° et XX° siècle, la place de l’enfant dans la
société a évolué nettement, passant du statut d’homme en miniature à celui d’être humain à
part entière, l’enfant est également devenu sujet de droit. Mais parallèlement à l’acquisition
d’une reconnaissance et de droits, l’enfant est également devenu la préoccupation centrale de
20
Entretien Marion Echevin, responsable jeune public, MCLA - Nantes
16
Anne Gablin
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certaines entreprises, marques de vêtements, de jouets, de produits alimentaires… Les enfants
du XXI ° siècle n’ont plus le choix, ils grandissent dans une société de consommation et
deviennent des consommateurs dès leur plus jeune âge.
« Je travaille beaucoup en ce moment, contre une certaine façon qu’a le marketing de
viser les enfants. Parce que dans le marketing on parle de « cibles », et aujourd’hui les
premières de ces « cibles » deviennent les enfants. Ce qui est ainsi visé, c’est le désir des
enfants, qui est détourné de ses « objets » normaux – qui sont d’abord les parents, les proches,
les enseignants et les acteurs sociaux qui entourent l’enfance – vers les objets de
consommation. » 21
Les produits culturels proposés aux enfants ne cessent de se développer dans la
mesure où parvenir à attirer un consommateur enfant c’est également toucher le public des
parents et ainsi multiplier les possibilités de marché. L’enfant sera tour à tour acheteur,
prescripteur, ou sera la raison même de l’achat. Le marché de la jeunesse propose donc des
perspectives alléchantes pour les entreprises et les managers.
L’offre culturelle en direction de la jeunesse est foisonnante et n’échappe pas
toujours aux dérives industrielles. La sortie des films à gros budget destinés aux enfants
s’accompagne bien souvent de la mise sur le marché d’une multitude de produits marketings
destinés à rendre le film très rentable commercialement. Ainsi, récemment la sortie du film de
Luc Besson Arthur et les Minimoys a difficilement pu échapper au public d’enfants. Livres,
cd, jeux vidéos, vêtements, linge de lit, produits alimentaires… la multiplication des dérivés
du film font qu’Arthur, le personnage créé par Luc Besson s’intègre peu à peu au paysage
quotidien de l’enfant. Si à priori le spectacle vivant échappe à ces considérations
commerciales, on s’aperçoit en feuilletant les programmes culturels proposés aux enfants que
certaines créations relèvent essentiellement et parfois exclusivement de considérations
marchandes. Ainsi on peut penser à des « spectacles musicaux » du type Oui Oui est ses amis
présenté au Zénith de Toulouse avec des tarifs allant de 23 à 30 euros (en sachant qu’un
spectacle jeune public dépasse rarement les 6 euros) ou Dora l’exploratrice. Ce type de
spectacle en prenant pour socle un personnage bien connu des enfants (à travers les
programmes télévisés) est garanti d’attirer facilement un large public sans avoir à parier sur sa
qualité intrinsèque.
Face à des contraintes économiques et à un manque de subventions, certaines
compagnies se tournent vers le jeune public, en travaillant sur des créations qui sauront
trouver acheteur dans le milieu scolaire. En effet, face à un problème de diffusion de leurs
spectacles, certaines compagnies se tournent directement vers les établissements scolaires en
21
Bernard Stiegler, Des pieds et des mains. Petite conférence sur l’homme et son désir de grandir
17
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espérant y trouver acheteur potentiel.
« La nécessité d’avoir à présenter les spectacles dans les salles totalement inadaptées,
un rythme d’exploitation le plus souvent excessif, l’impossibilité qui en résulte de s’attacher
la collaboration des comédiens confirmés constituent autant de contraintes matérielles
difficiles à dépasser artistiquement. A ces impératifs techniques s’ajoutent les altérations d’un
mercantilisme qui n’est pas toujours avoué mais qui reste le plus souvent obligé. (…) Pour se
« bien » vendre les spectacles proposés doivent, en fait, plaire davantage aux enseignants euxmêmes qu’à leurs véritables destinataires. Les spectacles sont choisis, non pas pour leur
qualité artistique intrinsèque mais, le plus fréquemment, en fonction de leur contenu et des
« thèmes » qui permettront aux enseignants d’asseoir une « explication pédagogique » telle
que ceux-ci la souhaitent et l’envisagent. »22
Le jeune public apparaît donc comme une cible marketing particulièrement
intéressante. Cependant, face à des considérations marchandes, on note chez beaucoup de
professionnels du jeune public, l’idée que travailler en direction de ce public spécifique
signifie être encore plus exigeant et plus attentif qu’on ne pourrait l’être pour un public adulte.
L’enfant ne choisit pas d’aller au Théâtre et il ne choisit pas ce qu’il va aller voir. Ainsi on
assiste aujourd’hui à la volonté de mettre en place un véritable apprentissage des codes de
lecture et de comportement, à travers la mise en place « d’écoles du spectateur ». Il s’agit
d’aller vers une intégration de l’élève dans la communauté, le théâtre étant alors investi
comme un lieu de socialisation possible et d’expérimentation d’un autre type de discours que
celui de l’affrontement sauvage. Le théâtre se présente comme le lieu de l’interrogation, du
questionnement.
En parlant de théâtre « jeune public » et donc en créant un "nouveau public" auquel
on apporte des produits culturels spécifiques, s’agit-il de répondre à un besoin spécifique et
clairement identifié de la jeunesse ou s’agit-il au contraire de créer une nouvelle niche de
consommation culturelle qu'il faudra alimenter en productions spécifiques ? Si la culture en
générale et le théâtre en particulier doivent être considérés dans le cadre de questions
économiques, peut-on envisager la création théâtrale, et celle destinée au jeune public
particulièrement, comme une entreprise comme les autres ?
On peut tenter de comprendre ce qui se passe dans le secteur du théâtre jeune public
en le comparant à d’autres secteurs culturels qui ont également développé une production
22
Maurice Yendt, Les ravisseurs d’enfants, p.51
18
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spécifique en direction des jeunes. La littérature jeunesse par exemple, constitue aujourd’hui
un secteur marchand très lucratif. Le choix du secteur jeunesse constitue ainsi pour bon
nombre de maisons d’édition, la possibilité d’acquérir une visibilité commerciale. Le
développement de départements jeunesse se présente bien souvent comme une stratégie
commerciale sans qu’il y ait réellement de travail de recherche et d’innovation. On assiste, en
ce qui concerne le secteur de la littérature jeunesse à l’émergence d’auteurs innovants,
malheureusement trop souvent noyés dans une tendance à l’uniformisation. Les maisons
d’édition font trop souvent le choix de la déclinaison d’ouvrages à succès qui permettront la
création en parallèle de produits marketings. Ainsi très peu d’éditeurs prennent le risque de la
véritable création et de l’innovation. En plus de cette tendance à l’uniformisation des
ouvrages, on assiste à un mouvement de concentration de plus en plus accentué des maisons
d’éditions, preuve en est l’accord en 1999 entre Gallimard et Bayard Presse afin de regrouper
leurs activités de livres pour la jeunesse.
On peut alors se demander si le secteur du spectacle vivant est le seul où l’on observe
véritablement la mise en œuvre d’une politique culturelle. Dans le secteur du cinéma, on
assiste à la mise en place de diverses actions artistiques : « Ecole et Cinéma » par exemple est
une opération de sensibilisation à l’art cinématographique pour les élèves du 1er degré. Ce
dispositif initié par le Centre National de la Cinématographie, le Ministère de la Culture et de
la Communication et la Direction de l’Enseignement Scolaire du Ministère de l’Education
Nationale, propose, dans le temps scolaire, des films de qualité, une découverte du cinéma
dans toutes ses composantes et une réflexion sur les images. Cette opération se décline
également pour les collégiens : « Collège au Cinéma » et pour les lycéens : Lycéen et
Cinéma ». On peut également noter que dans certains cinémas, une programmation « jeune
public » est clairement identifiée. Depuis novembre 2002, l’ABC, cinéma d’arts et essais à
Toulouse a mis en place une section jeune public appelée « Les Toiles Buissonnières » au
sein de sa programmation. Dans le domaine des arts-plastiques, on trouve également un grand
nombre d’actions mises en place dans les musées en direction du jeune public. Le musée d’art
contemporain des Abattoirs à Toulouse a ainsi mis en place les « Z’ateliers » : rencontre
« triangulaire » entre un public, des œuvres et une artiste intervenante. Cependant dans le
secteur des arts-plastiques, on n’identifie pas de création spécifiquement en direction du jeune
public. Les actions menées par les musées constituent une approche de l’œuvre en général. Il
est intéressant de noter dans ce domaine, que l’approche d’une œuvre d’art contemporaine est
souvent plus facile pour un enfant que pour un adulte.
19
Anne Gablin
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Cependant, si dans chaque secteur culturel, on peut distinguer des productions en
direction du jeune public ou des actions éducatives destinées à favoriser la rencontre entre
l’enfant et l’œuvre, le secteur du spectacle vivant se distingue dans le sens où il constitue le
seul secteur présentant une politique culturelle aussi développée. Le secteur du spectacle
vivant jeune public (peut-être parce que plus ancien que celui du cinéma par exemple), semble
être le seul à présenter un aussi large réseau d’acteurs participant à sa construction : auteur,
comédien, metteur en scène, éditeurs, professionnel de la culture, enseignant, personnel
politique… De plus, l’étude du Ministère de la Culture, L’action des DRAC en matière
d’éducation artistique et culturelle, menée en 2004, souligne que le secteur du spectacle
vivant est le plus mobilisé en matière d’éducation artistique.
On est donc passé peu à peu d’un théâtre pour enfants à un théâtre jeune public
dynamique et créatif. On s’aperçoit également que, dans tous les secteurs culturels, l’enfant
s’est peu à peu forgé une place de spectateur à part entière. Malgré tout, la question de la
relation entre l’œuvre et l’enfant ne se pose pas toujours exclusivement sur le plan artistique,
l’enfant étant désormais considéré comme un consommateur incontournable.
C. QUEL REPERTOIRE POUR QUEL PUBLIC ?
1. L’émergence d’un répertoire jeune public
Si le développement de l’écriture dramatique en direction du jeune public est assez
récente, il convient néanmoins de citer quelques pionniers de ce secteur : René Pillot, Maurice
Yendt, Daniel Bazilier ou Bruno Castan. Ces premiers auteurs édités pour le jeune public sont
également les metteurs en scène ou comédiens qui se sont consacrés pleinement au théâtre
pour enfants. Dans les années 80, on assiste en France à une émergence d’artistes, de metteurs
en scène, d’auteurs qui créent spécialement pour le jeune public. Dominique Bérody lance
ainsi les éditions « Très Tôt Théâtre » et entend faire un « théâtre d’auteur » à l’instar du
cinéma d’auteur. Plusieurs auteurs, dont certains étaient déjà connus à travers l’écriture de
textes « pour adultes », jouissent actuellement d’une certaine notoriété dans le secteur du
jeune public. On peut penser, par exemple, à Joël Jouanneau, qui présente cette année Le
Marin d’eau douce au TNT et qui était invité privilégié lors de la saison dernière ou à Joël
Pommerat, auteur présent dans le In du Festival d’Avignon en 2006 avec son spectacle jeune
public Le Petit Chaperon rouge. Certaines maisons d’édition ont choisi de réserver une part
20
Anne Gablin
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de leur département jeunesse à l’écriture dramatique. On peut ainsi penser à la collection
« Théâtre » de l’Ecole des loisirs où l’on trouve des auteurs tels que Ahmed Madani, Olivier
Py, Catherine Anne ou Eugène Durif
2. Peut-on parler de tout ?
Lorsqu’on parle de théâtre jeune public, une question qui revient souvent est celle de
savoir si on peut tout dire aux enfants. Peut-on évoquer tous les thèmes, tous les sujets, ou le
théâtre à destination des enfants est-il par nature soumis à une autocensure ? Doit-on
« protéger » les enfants de certains sujets désagréables ? Ou doit-on au contraire, évoquer tous
les sujets afin de donner aux enfants les clefs nécessaires à une lecture critique de la société ?
Pour certains professionnels du jeune public, il n’y a pas de limites dans le choix des
thèmes d’un spectacle jeune public. Ainsi Mylène Idier souligne le fait que ce qui diffère
entre un spectacle pour adulte et un spectacle jeune public, c’est la manière dont l’auteur ou le
metteur en scène abordera le thème : « Faire de la programmation jeune public c’est leur
parler de ce qu’ils vivent aujourd’hui avec des mots adaptés à leur âge. Tu peux parler de
l’absence d’une mère à un gamin de 4 ans mais tu n’en parleras pas de la même façon. C’est
des spectacles sur le racisme, sur la mort, mais pas forcément triste, c’est des spectacles sur
aujourd’hui, c’est sur les familles recomposées. (…) On parle de théâtre jeune public, y a des
gens qui se penchent sur le jeune public. On sent maintenant qu’on a envie de s’adresser à ce
public là, c’est un public à part entière. Tu peux parler des mêmes choses qu’avec un adulte
mais avec des mots différents ». Il s’agit donc d’adapter l’écriture au public particulier qu’est
le public d’enfants, tout en refusant de tomber dans la mièvrerie. « Il s’agit de parler
simplement (mais sans simplisme) de choses compliquées, pour tout le monde, enfants et
adultes » 23 Il semble donc que le théâtre contemporain jeune public soit bien loin des
spectacles pour enfants moralisateurs du début du siècle et tente au contraire d’aborder tous
les sujets d’une manière intelligente.
3. Un public spécifique ?
Le jeune public : un public « neuf » et exigeant
Dans les entretiens que j’ai pu réaliser, l’idée générale qui ressort est bien qu’il existe
aujourd’hui un jeune public spécifique. Ce public porte donc un regard particulier sur ce
23
Nicola Faure De « jeune public » à « tout public » : analyse du répertoire théâtral francophone pour la
jeunesse, p.2
21
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qu’on lui propose. Mais c’est aussi sa manière de réagir au spectacle qui est spécifique. Ainsi
Karine Chapert, responsable des relations avec le public au Théâtre Sorano, souligne les
spécificités du public de collégiens et de lycéens. C’est à la fois un public très difficile pour
les comédiens et très intéressant :
« Je pense qu’ils sont beaucoup plus exigeants et quoi qu’en pensent les comédiens
et le metteur en scène, je pense que c’est un excellent baromètre pour savoir si c’est un bon
spectacle ou pas, vraiment. (…)En général, ils sont assez justes. La raison pour laquelle ils
sont difficiles, c’est que c’est un public excessif, ils ont pas les codes. Donc ça va partir dans
tous les sens, ils vont chuchoter, ils vont commenter. (…)Donc c’est un public qui est
extrêmement exigeant et qui en même temps peut être très intéressant, très réactif, qui est très
sensible. »
On retrouve dans les différents entretiens, l’idée que le jeune public serait peut-être
plus « vrai », plus spontané qu’un public d’adulte, parce que justement le public jeune ne
possède pas encore les codes. Il n’est pas « formaté » à la sortie au théâtre, à la manière dont
il est convenu de réagir. Ce qui ne signifie pas que le jeune public soit nécessairement bruyant,
insupportable. « Ce public par nature est considéré comme inculte, alors même qu’il est riche
de sa pertinence. Il est en mesure de s’approprier la proposition artistique et même de la
transformer. Il est en capacité d’écouter, mais aussi de réagir et de nourrir la proposition
artistique. Le retour fait aux artistes est immédiat et riche. »24
Ainsi le jeune public se présente comme un public particulièrement intéressant pour
le professionnel, notamment à travers l’échange qui peut s’établir après le spectacle. Cet
échange est quasiment toujours présenté comme une source de richesse pour les deux : « Tous
les créateurs reconnaissent au jeune public une certaine incandescence, par sa spontanéité, son
regard neuf. Il devient alors un terrain privilégié pour une recherche concrète et ludique sur
les moyens propres du théâtre. » 25 Sylvain Maurice souligne quant à lui, la richesse que
procure la création en direction de ce public en particulier : « Pour les enfants, la frontière
entre la réalité et l’imaginaire est perméable, la croyance qu’il existe d’autres mondes
demeure vivace. C’est un moteur puissant pour inventer et jouer, avoir peur et rire ».26
Le(s) jeune(s) public(s)
Mais parler de « jeune public » ne veut pas dire parler d’un public homogène. Tout
comme le public adulte n’est pas parfaitement homogène, il n’y a pas un jeune public, mais
24
Phillipe Foulquié, interviewé dans La Scène, septembre 2006
Nicola Faure De « jeune public » à « tout public » : analyse du répertoire théâtral francophone pour la
jeunesse, p.2
26
Site du TNT, dossier de presse Les Sorcières, mis en scène par Sylvain Maurice
25
22
Anne Gablin
IEP Toulouse
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des jeunes publics. Joël Jouanneau explique que son écriture ne s’adresse pas aux enfants
comme s’il existait un « jeune public » homogène, mais qu’au contraire chaque enfant doit
avoir une lecture personnelle du spectacle :
« Evidemment je n’écris pas « pour enfants », évidemment non, ou alors, le disant, je
me mentirais ou alors, et ce serait plus grave encore, je leur mentirais ; ça n’existe pas pour
moi, « les enfants », c’est même peut-être contre ça, en partie je veux dire, que j’écris, contre
ce pluriel là ; oui je me plais au contraire à les imaginer isolés dans les théâtres, regardant la
scène, et personne à droite ou à gauche, pas d’appui. Un fauteuil sur deux, un rang sur deux,
seuls face à la scène, c’est ainsi que j’aimerais qu’ils soient, toujours, dans les boîtes
noires. »27
Tous les enfants, ne porteront pas le même regard sur le spectacle auquel ils assistent.
Marion Echevin souligne ainsi la différence qui peut s’opérer en fonction de l’âge des enfants :
« Je dirais que les enfants jusqu’en 6ème, 5ème, sont beaucoup plus spontanés ils se
laissent aller, ils sont plus naturels dans leurs réactions que nous les adultes. Après en 4ème 3ème, le public sur lequel on travaille avec « Collèges au théâtre » c’est pas un public facile
parce qu’ils sont en transition, ils ont l’impression qu’ils doivent tout comprendre, c’est peutêtre l’école aussi qui les formatent comme ça et donc c’est un public qui est assez difficile, ils
ont du mal à se laisser aller, à accepter de ne pas comprendre certaines choses. »
En fonction de leur âge, de leur histoire, de leur culture, ils participent à la richesse
du spectacle en y portant chacun un regard particulier. On peut ainsi transposer la théorie de
Marcel Duchamp sur l’art contemporain au théâtre : le jeune public, au même titre que le
public adulte, peut être ce « regardeur qui fait l’œuvre ».
Le jeune public et son accompagnateur
Le jeune public se caractérise également par la présence de l’adulte. Si les adultes
vont au théâtre « entre adultes », un spectacle jeune public n’est jamais constitué d’un public
exclusivement d’enfants. Si l’on veut dépasser le rôle de l’adulte accompagnateur, le
spectacle jeune public doit également plaire à l’adulte. Selon Marion Echevin : « Un bon
spectacle pour enfants c’est un spectacle tout public, l’adulte va y trouver quelque chose aussi,
un spectacle qui a différents niveaux de lecture. »
Le petit Chaperon rouge, présenté au Festival d’Avignon en 2006 puis en tournée sur
de nombreuses scènes peut sans doute être considéré un exemple révélateur de spectacle jeune
public qui permet cette multiplication de niveaux de lecture. Parents et enfants connaissent
27
Site du TNT, dossier de presse Le Marin d’eau douce, écrit et mis en scène par Joël Jouanneau
23
Anne Gablin
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l’histoire par cœur et pourtant il semble que selon l’âge la perception et la compréhension de
la proposition de Joël Pommerat ne sera pas la même. C’est le spectacle lui-même qui
s’enrichit ainsi de cette multiplication de lectures possibles. L’adaptation que Joël Pommerat
fait du conte de Perrault est présenté comme : « Un spectacle qui permet aux adultes de
retrouver la part indestructible d’enfance qu’ils possèdent et aux enfants de laisser s’ouvrir un
imaginaire dont on connaît la richesse. »28 Quand l’adulte accompagne l’enfant il doit alors
prendre conscience des écarts entre sa compréhension propre et celle de l’enfant. Le spectacle
propose toujours plusieurs niveaux de lecture et les spectacles « jeune public » sont d’autant
plus riches quand ils arrivent à toucher un public large. Comme le souligne Mylène Idier du
Manège : « Je dis qu’un bon spectacle jeune public est un bon spectacle pour adultes aussi.
Très souvent il y a des adultes qui me disent qu’ils s’éclatent beaucoup plus avec un spectacle
jeune public qu’avec un spectacle adulte, il est beaucoup plus inventif en tout cas. »
Ecrire pour le jeune public, c’est peut être aussi l’occasion pour l’auteur de retrouver
cette part d’enfance, comme le souligne Joël Jouanneau : « L’écriture, celle « pour enfants »,
c’était et ce sera toujours cette tentative un peu folle, un peu désespérée de retrouver ce
royaume, et il était superbe, du moins je veux le croire. Je dois aussi parler de celui pour
lequel j’écris, celui qui est là ne me quitte pas, le mien d’enfant, mon « alien », il doit avoir
dans les 7 ans, il a mon regard, je sais cela, il est enfoui au plus profond de moi, il me regarde
et il exige que je le regarde, et il crie, et ce cri que j’entends mal c’est lui que j’essaie de
traduire quand j’écris (…) M’adresser à un public jeune, c’était chercher en moi la part
d’enfance que la vie d’adulte a mutilé. »29
4. Une écriture spécifique ?
A la question « Pourquoi un spectacle pour les enfants ? », Joël Pommerat répond :
« C’est la première fois que je crée un spectacle précisément destiné à des enfants. Je me suis
souvent posé la question du théâtre qu’on proposait aux enfants. Je suis persuadé que les
enfants ont droit à la même qualité de recherche, à la même volonté de perfection. Je crois que
les enfants ont droit qu’on ne change pas de façon de faire et d’envisager le théâtre pour
eux. »30 L’écriture à destination des enfants ne doit pas être infantilisante ou de demi-qualité.
Aussi riche que celle qui s’adresse aux adultes, l’écriture pour enfants répond cependant à des
caractéristiques spécifiques : « Si on doit caractériser l’écriture Jeune Public, je dirais que la
28
Jean-François Perrier, site du Festival d’Avignon 2006
Joël Jouanneau cité par Christine Valla in Ouvrir les yeux : le spectacle vivant en direction des jeunes public,
une réponse artistique à la question de l’enfance
30
Site du TNT, dossier de presse Le Petit Chaperon rouge, mise en scène de Joël Pommerat
29
24
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métaphore est la caractéristique principale. On aborde des sujets difficiles de manière
symbolique, en utilisant des détournements. »31
Comme on a pu le voir, depuis une vingtaine d’années, le répertoire du
théâtre jeune public connaît un développement fort. En parallèle de ce développement,
plusieurs structures théâtrales ont décidé d’orienter leur action d’éducation artistique et
culturelle vers la découverte du texte de théâtre contemporain. Ainsi le Théâtre de Narbonne a
mis en place l’an dernier le projet « Lire, Dire, Ecrire du Théâtre » qui a pour objectif de faire
découvrir à des élèves d’écoles et de collèges, l’écriture théâtrale contemporaine jeune public.
Le Théâtre Nationale de Toulouse organise depuis 8 ans le projet « Pièces à lire, Pièces à
entendre » afin « d’approfondir, par la lecture, par la découverte des écritures théâtrales
contemporaines. » 32 Il s’agit d’un travail à partir de manuscrits d’auteurs contemporains
sélectionnés par le comité de lecture du TNT. Après une année de travail autour de textes et
d’apprentissage de la lecture en public avec l’aide d’un comédien professionnel, les élèves
présentent sur la scène du Théâtre un passage de ces manuscrits.
5. Au-delà du texte… aller au « pestacle »
A l’origine, le théâtre jeune public se construit en rupture avec le texte dramatique,
contrairement au théâtre général qui se diffuse, se hiérarchise en grande partie à travers le
texte lui-même. L’effervescence du théâtre jeune public dans les années 70 renvoie au
mouvement qui se développe en réaction au théâtre institutionnel basé sur un répertoire figé.
« Beaucoup de compagnies refusaient de publier leur création. Ce refus du répertoire
semble finalement aller de pair avec le refus de constituer un public. Tout se passe comme si
le théâtre pour enfants préférait s’adresser à un individu vierge qu’il s’agit d’éduquer (même
si c’est pour l’éduquer à la liberté), plutôt qu’à un public dont la constitution en catégorie
culturelle entraînerait obligatoirement le répertoire et les soirs de première. C’est pourtant
l’action de ces compagnies qui a démocratisé l’accès des enfants au théâtre et qui a fini par
instaurer ce jeune public. »33
Dans cette conception du théâtre jeune public, le texte ne constitue qu’un
signe parmi tant d’autres qui vont participer ensemble à l’éveil de l’enfant. « Nous parlons des
textes pour le Jeune Public, mais n’oublions pas que 80 % des spectacles pour enfants ne
31
Ecrire du théâtre aux enfants : libertés et contraintes, lundi 12 mars 2007, Théâtre Dunois
Site du TNT
33
Nicolas Faure, l’émergence d’un répertoire, in Le répertoire jeune public en question
32
25
Anne Gablin
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partent pas d’un texte écrit. »34 Mylène Idier parle de l’intérêt de tout ce qui entoure le texte :
« Je fais aussi attention à ça dans mes choix de programmation, il faut que ce soit de vrais
« pestacles » comme disent les enfants avec des décors, des lumières. »
On peut souligner le fait que le théâtre jeune public, qui doit souvent
composer avec des moyens restreints, parvient parfois à un niveau d’inventivité très
intéressant, du fait même de ce manque de moyens : « Souvent un spectacle jeune public
coûte moins cher parce que les enfants payent moins cher. Et dans la mesure où il est moins
cher on retrouve des bidouillages. Parce que les grosses structures souvent elles ont des gros
décors qui servent à rien. Et là il y a une inventivité des compagnies parce qu’il faut qu’elles
inventent parce qu’elles ont pas les moyens de faire un gros décor. De là sort des choses plus
intéressantes selon moi. »35
On assiste donc à l’émergence d’un véritable secteur du spectacle vivant jeune public,
avec des metteurs en scène spécialisés, la création d’un répertoire spécifique…
D. DES ENFANTS DANS UN THEATRE…
1. La pratique culturelle du jeune public
Les études sociologiques sur les pratiques culturelles
Les études de sociologie des pratiques culturelles ont mis en évidence le poids des
déterminismes sociaux dans le choix de nos activités culturelles. Ainsi ce choix résulte en
partie de la place que les individus occupent dans l’espace social. De plus les pratiques
culturelles font l’objet de hiérarchisation et de jugements sociaux, ce qui contribue
à
reproduire la différenciation sociale. Les individus appartenant au milieu populaire auront
tendance à considérer que la « grande culture » n’est pas pour eux. On peut ici penser au
concept d’habitus développé par Pierre Bourdieu. L’ « habitus » peut se définir comme la
façon dont les structures sociales s'impriment dans nos têtes et nos corps par intériorisation de
l'extériorité et de quelle manière elles génèrent des pratiques qui sont conçues par les
individus comme allant de soi. L’habitus est incorporé au cours du processus de socialisation
34
Ecrire du théâtre aux enfants : libertés et contraintes, lundi 12 mars 2007, Théâtre Dunois
Entretien avec Mylène Idier, responsable du secteur jeune public au Manège, Scène Nationale de La Roche sur
Yon
35
26
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(socialisation familiale, influence de l’école, influence des groupes de pairs, poids des normes
sociales, facteurs économiques…) et entraîne des inclinaisons à penser, à percevoir, à faire
d'une certaine manière. L'habitus renvoie à tout ce qu'un individu possède et qui le fait, il
désigne des manières d'être, de penser et de faire communes à plusieurs personnes de même
origine sociale, issues de l'incorporation non consciente des normes et pratiques véhiculées
par le groupe d'appartenance. Dans La distinction, Bourdieu explique que nos choix et nos
goûts esthétiques révèlent, et masquent en même temps, notre statut social mais également
nos aspirations et prétentions. Cependant, comme le souligne Bourdieu, l’habitus « n'est pas
un destin », il est social et non génétique. En effet, il tend à reproduire quand il est confronté à
des situations habituelles mais innove face à des situations inédites. De plus, si dans la même
classe sociale, les habitus sont proches, ils ne sont néanmoins pas identiques car chaque
individu est confronté à des expériences sociales plus ou moins diverses. L'habitus n'entraîne
pas mécaniquement des conduites identiques mais plutôt des tendances à certaines conduites.
En ce qui concerne les pratiques culturelles, on assiste à des hiérarchisations entre
culture de masse et culture « cultivée ». Le sexe, l’âge, la situation géographique apparaissent
comme des variables non négligeables dans l’orientation vers une pratique culturelle plutôt
qu’une autre. Ainsi de nombreux facteurs entrent en jeu simultanément et parfois se
renforcent. Le revenu peut apparaître comme une donnée significative, certaines pratiques
étant plus onéreuses que d’autres (le théâtre notamment). Le lieu de résidence, dans la mesure
où l’offre culturelle sera plus abondante dans certaines zones, peut également entrer en
compte. Certaines études s’intéressent particulièrement à la variable de l’âge car elle permet
de mettre en lumière certains modes de sociabilité. Par exemple, il apparaît que les jeunes ont
des activités plus collectives que leurs aînés.
Les pratiques culturelles des jeunes, des pratiques spécifiques ?
Plusieurs études, celles de Sylvie Octobre (qui complète l’étude d’Olivier Donnat
pour le Ministère de la Culture), ou celles de l’INSEE peuvent nous permettre de présenter les
grandes lignes des pratiques culturelles des jeunes de moins de 15 ans.
Les jeunes (ainsi que les habitants des grandes agglomérations, les cadres et les
diplômés du supérieur) apparaissent au travers des études comme les plus gros
consommateurs de loisirs culturels. En effet depuis 25 ans, selon les différentes études du
Ministère de la Culture, les pratiques culturelles des français se développent, mais de façon
inégale selon les domaines. Ainsi on dénombre moins de spectateurs dans les salles de cinéma,
et à l’inverse, les bibliothèques sont de plus en plus fréquentées et les activités en amateur se
diffusent. En 2000, 1 personne sur 5 de 15 ans ou plus déclare ne pas avoir pratiqué d’activité
27
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culturelle dans les 12 derniers mois.36 Cependant, en ce qui concerne les jeunes, les activités
culturelles apparaissent plus intenses et extraverties. Par exemple, 89 % des jeunes disent être
allés au cinéma au moins une fois au cours des 12 derniers mois.37 Ainsi, en ce qui concerne
le cinéma, l’âge se dessine comme un critère prépondérant.
L’étude de l’INSEE, réalisée en février 2003, cherche à démontrer le lien entre
pratique culturelle à l’âge adulte et pratique culturelle pendant l’enfance. L’intérêt pour la
en %
culture naîtrait dès l’enfance.
100
80
60
40
20
0
pratiques
amateurs
théâtre,
concert
musée,
exposition,
monuments
historique
4 ou 5 activités pendant l'enfance
cinéma
lecture de
livres
pratiques à
l'âge adulte
aucune d'activité pendant l'enfance
Illustration 1 : Lien entre pratiques culturelles pendant l’enfance et à l’âge adulte
Ce graphique nous montre très nettement qu’à l’âge adulte, les personnes ayant une
pratique artistique, que ce soit le cinéma, la lecture ou la musique, sont beaucoup plus
nombreuses lorsqu’elles avaient déjà une pratique artistique étant enfants.
Les pratiques pendant l’enfance dépendent également de l’environnement familial,
les pratiques enfantines étant fortement hiérarchisées en fonction du milieu socioculturel.
Avoir des parents lecteurs, par exemple, influence l’ensemble des pratiques culturelles
pendant l’enfance. L’INSEE souligne en effet que seuls 5% des enfants de non-lecteurs
assistaient pendant leur enfance à des spectacles de théâtre ou à des concerts, contre 22% pour
les enfants de lecteurs.
36
37
INSEE, Les pratiques culturelles : le rôle des habitudes prises dans l’enfance, février 2003
ibidem
28
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100
en %
80
60
40
20
0
au moins une
pratique à l'âge
adulte
musée,
exposition,
momunments
historiques
cinéma, théâtre
lecture de livres
enfant d'ouvriers sans activité culturelle pendant l'enfance
enfant d'ouvriers avec au moins une activité culturelle pendant l'enfance
enfant de cadres sans activité culturelle pendant l'enfance
enfant de cadres avec au moins une activité culturelle pendant l'enfance
Illustration 2 : les pratiques culturelles à l'âge adulte selon les pratiques pendant
l'enfance et l'origine sociale
Ainsi l’intérêt pour la culture naît dès l’enfance et la pratique à l’âge adulte s’inscrit
très souvent dans la prolongation des pratiques enfantines. On peut alors souligner, au-delà
des déterminismes sociaux, l’intérêt d’aller vers un développement de l’accès à la culture dès
le plus jeune âge. L’INSEE remarque également que 41% des personnes qui ne pratiquaient
aucune activité culturelle pendant l’enfance se tiennent entièrement en retrait des loisirs
culturels à l’âge adulte, contre seulement 20% pour celles qui en pratiquaient au moins une.
De plus, 83% des personnes qui, adultes, pratiquent au moins une activité culturelle en
pratiquaient déjà une lorsqu’elles avaient entre 8 et 12 ans. Toutes les activités culturelles sont
donc sensibles aux acquis dès l’enfance. Il convient également de souligner que l’accès des
jeunes à la culture progresse au fil des générations et les activités semblent se diversifier.
Cependant si l’ensemble des activités culturelles se développe nettement chez les enfants, on
peut noter que la sortie au concert ou au théâtre reste peu fréquente.
L’étude de Sylvie Octobre, Les loisirs culturels des 6-14 ans, nous permet d’avoir
une vision supplémentaire des pratiques culturelles des jeunes, l’étude entreprise par le
ministère ne prenant en compte que les plus de 15 ans. Ainsi elle semble confirmer les
conclusions dégagées dans le travail de l’INSEE. Sylvie Octobre range dans une même
catégorie, qu’elle appelle « lieux de patrimoine et de spectacle », les musées, monuments et
lieux de spectacle et de concert. Dans cette catégorie « largement connue des 6-14 ans », le
théâtre semble faire figure de parent pauvre.
29
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Au sein de la catégorie « lieux de patrimoine et de spectacles », Sylvie Octobre
distingue un « pôle spectacle » au sein duquel les « spectacles pour enfants bénéficient d’une
large audience ». Il est intéressant de noter que dans son étude « spectacle pour enfants »
signifie cirque et spectacles de marionnettes. Ainsi nous dit-elle « 87% des moins de 15 ans
sont déjà allés au cirque et 77,5 % voir un spectacle de marionnettes. Mais au sein de ce pôle
« spectacle », le théâtre ne concerne qu’un enfant sur deux. Au niveau de la classe de CP,
seulement un tiers des enfants sont déjà allés au théâtre, contre 87% au cirque par exemple.
Cependant en primaire, les initiatives des enseignants et les initiations bénéficient d’une
manière significative au théâtre (+11,5 points). Ce mouvement semble se poursuivre lors des
années de scolarisation au collège (+ 19 points de la 6ème à la 3ème pour le théâtre). Cette
évolution semble se justifier par les sorties liées aux initiations des enseignements de français
et par le développement des sorties entre jeunes. A la fin du collège, plus de six enfants sur 10
sont allés au moins une fois au théâtre. Sylvie Octobre souligne également la distinction entre
filles et garçons qui s’opère dès l’entrée en CP. Ainsi les filles sont plus nombreuses à avoir
des sorties culturelles sous toutes leurs formes. Sylvie Octobre souligne que d’une manière
générale, « les sorties culturelles sont plus familières en primaire qu’au collège ». Horaires
plus lourds, moindre insertion des sorties culturelles dans les enseignements, plus grande
occupation du temps libre par les devoirs et activités encadrées seraient les raisons de cette
diminution.
Sylvie Octobre distingue 3 types de rapport aux lieux de patrimoine et de spectacles
chez les 6-14 ans :
•
Les exclus des ces équipements
Ils n’ont jamais fréquenté aucun lieu de patrimoine et de spectacle, ils représentent
seulement 1% des 6-14 ans (une proportion qui baisse avec l’avancée en âge).
•
Ceux qui ont déjà fréquenté un lieu de patrimoine et de spectacle mais pas au
cours du trimestre précédent l’enquête.
Ils représentent 49% des 6-14 ans et se trouvent plutôt au collège. Il s’agit en effet de
la période où une distance se crée par rapport à ces sorties qui sont souvent encadrées par
l’école (notamment dans les milieux dotés d’habitus culturels les moins proches de la culture
dite « légitime »).
•
Ceux qui ont fréquenté ces lieux au moins une fois depuis la rentrée scolaire.
Ils représentent 50 % des 6-14 ans et se situent surtout au primaire. Les enfants de
chefs d’entreprises, de professions libérales et de cadres, de professions intellectuelles
supérieures ont par ailleurs plus de chance que la moyenne d’être allés voir un spectacle
30
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depuis la rentrée. Dans ce groupe on retrouve plutôt des enfants qui habitent une ville isolée
qu’une banlieue, l’offre culturelle étant plus favorisée dans les centres urbains que dans les
périphéries.
Vers une nouvelle forme d’étude des pratiques culturelles
Depuis 30 ans, l’étude des pratiques culturelles s’est faite surtout sous l’angle des
inégalités de classe. Mais depuis quelques années les sociologues de la culture réfléchissent
aux limites de cette approche. Depuis 1973, tous les 8 ans, le Ministère de la Culture met en
place une grande étude statistique qui se présente comme le principal outil de connaissance
des pratiques culturelles des français. Cette étude est au départ dirigée selon un double
postulat. C’est tout d’abord, la « légitimité culturelle », idée développée par Pierre Bourdieu.
Il s’agit de mettre en évidence la correspondance entre hiérarchie des œuvres et hiérarchie
sociale des consommateurs. On parvient ainsi à mesurer la distance des individus à la
« culture cultivée » (œuvres d’art, théâtre, musique classique…), selon leur statut social. Le
second postulat est celui développé par Joffre Dumazedier. Il s’agit de la sociologie du temps
libre qui contribue à élargir le champ des pratiques culturelles à toutes les formes de loisirs.
Ainsi ces différentes formes sont peu à peu intégrées à l’enquête réalisée par le ministère.
Après les quatre vagues d’enquête (1973, 1981, 1989, 1997) les sociologues
s’interrogent sur leurs outils. Olivier Donnat, qui dirige notamment l’enquête de 1997 avoue
sa perplexité. Les enquêtes confirment les inégalités face à la culture, sans que l’on note
d’évolution significative alors que selon Olivier Donnat, malgré le maintien de ces inégalités,
les choses ont bel et bien changé et cadrent de moins en moins avec la théorie de la légitimité.
L’étude réalisée par le ministère ne prend pas réellement en compte les différences de sexe,
d'âge, ou les disparités géographiques. Il conviendrait également de prendre en compte les
grandes évolutions intervenues depuis trente ans : massification scolaire, trajectoires
professionnelles moins linéaires, importance croissante des médias... qui brouillent la stricte
correspondance entre position sociale et préférences esthétiques.
Les sociologues de la culture tentent ainsi de renouveler l’étude des pratiques
culturelles. Face au modèle de la légitimité, Coulangeon propose celui de «l’omnivoreunivore » ou « éclectisme ». Ainsi, les classes supérieures diplômées auraient des goûts plus
éclectiques, alors que les classes populaires auraient des goûts plus exclusifs. Ce modèle ne
contredit pas celui de la légitimité culturelle, l'éclectisme des classes supérieures restant un
signe de domination symbolique. Patrick Lehingue souligne quant à lui les fortes divisions
31
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sexuelles qui existent entre les pratiques culturelles. Philippe Cibois, réalise une étude sur le
public des abonnés de théâtre de scène nationale. Ce public, supposé homogène dans ses
attentes se révèle dans les faits, hétérogène. Philippe Cibois montre qu’au sein de ce public
socialement homogène (classes supérieures), on trouve bien sûr des adeptes du « théâtre total»,
mais également des abonnés qui cherchent avant tout à passer une bonne soirée, pour qui le
théâtre est d'abord un divertissement. Ces derniers sont tiraillés : refusant le théâtre de
boulevard, trop «bonne bourgeoisie», ils ne se retrouvent pas non plus dans la programmation
des maisons de la culture, trop «snob» et «intello». Ces nouveaux types de travaux soulignent
la complexité de l’étude des pratiques culturelles, le public étant diversifié à l’intérieur même
d’une unique catégorie sociale.
2. « Jeune public deviendra … grand » ?38
L’enfant qui va voir des spectacles jeune public aujourd’hui sera-t-il le spectateur de
théâtre de demain ? Il apparaît dans les discours des professionnels de la culture que les
théâtres sont aujourd’hui face à un mouvement de désertification des salles. Ainsi, la sortie au
théâtre est souvent désignée comme une pratique élitiste, faisant véritablement partie de ce
qu’on appelle « la culture cultivée ». Face à ces considérations, on assiste en France à une
longue tradition politique de volonté de « démocratisation culturelle ». « L’idéal de la
démocratisation culturelle peut se résumer par la formule : faire accéder le plus grand nombre
à la culture, sous entendu à la culture « cultivée », à la culture légitime. »39 Pour contrer le
mouvement de désertification des théâtres, il apparaît nécessaire de renouveler le public des
théâtres. Ainsi, les actions en direction du jeune public peuvent être présentées comme un
moyen d’aller vers une démocratisation culturelle, comme le souligne Karine Chapert :
« [Le jeune public] c’est une chose à défendre parce que c’est le public de demain,
c’est ça qui est fondamental. Depuis des années, il y a une désaffection de plus en plus grande
des Théâtres, si on veut continuer à les remplir, il faut faire venir des gens et pour les faire
venir, il faut créer des habitudes, vraiment, et pour créer cette habitude, il faut que les gens
viennent régulièrement, il faut qu’il y ait cette politique, ces missions qui viennent à la fois de
l’Education nationale et des structures culturelles parce que sinon ça va devenir des endroits
désaffectés c’est évident, si tu ne crée pas d’habitudes culturelles ».
Valérie Mazarguil, responsable du service éducatif du Théâtre du Capitole souligne
l’importance du jeune public dans la démocratisation de l’Opéra, pratique culturelle définie
comme élitiste :
38
39
L’Express, 6 décembre 2004
Article « démocratisation culturelle », lexique, site du Ministère de la Culture
32
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Pour vous travailler avec le jeune public, c’est un moyen de démocratiser l’accès
à l’Opéra ?
« Bien sûr, parce que l’Opéra résonne toujours comme quelque chose qui est destiné
aux têtes grisonnantes, qui sont riches, qui sont intelligentes, qui aiment les choses classiques,
voilà. L’horreur quoi. On a tout réuni, c’est fait pour les vieux riches, intelligents. Et
finalement quand les jeunes découvrent la salle, le spectacle vivant, la puissance, l’impact je
dirais, qu’a le spectacle vivant, ils se rendent compte que finalement c’est une forme comme
une autre. Mais il faut faire ce premier pas, une fois que ce premier pas est fait, moi j’estime
qu’ils ont le choix de faire le second ou pas. Mais au moins ils savent ce que c’est, et ils
savent qu’ils peuvent y accéder. »
Malgré les progrès de la scolarisation et la mise en place de politiques culturelles
visant à la démocratisation culturelle, la participation aux activités culturelles restent
fortement influencées par le milieu social d’origine et le milieu social d’appartenance. Ainsi
comme le développe Pierre Bourdieu avec la théorie de la reproduction sociale, les hiérarchies
sociales ne sont pas naturelles mais sont produites. Il existe « une lutte de classe pour le
classement » des différentes pratiques culturelles. Les catégories dominantes, pour conserver
leur position, doivent garder le contrôle des différentes catégories de capitaux : économique,
social, symbolique et culturel. Ainsi, ce sont les classes dominantes qui déterminent quelles
sont les activités culturelles légitimes.
3. L’expérience artistique « en direct »
Au sein des diverses pratiques culturelles que chacun rencontrera ou non sur son
chemin, on peut se demander quelle est la spécificité du spectacle vivant, en tant
qu’expérience artistique et citoyenne. L’expérience de la sortie au théâtre constitue sans aucun
doute un moment à part, un temps commun de partage dans un lieu « hors-lieu », c’est être ici
et être ailleurs à la fois. Le Théâtre se présente comme le lieu et le moment de la rencontre :
rencontre physique de l’enfant et de l’artiste, rencontre de l’œuvre avec son destinataire, son
juge, celui qui en fera ou pas une œuvre.
L’école du spectateur se présente comme une formation humaine au sens large.
Apprendre à être spectateur, c’est également faire l’apprentissage des règles de vie en
communauté, la notion de respect jouant un rôle crucial.
Le Théâtre peut apparaître comme un lieu magique, c’est le lieu par excellence qui
permet de cultiver l’imaginaire, de susciter l’émotion. Comme le souligne Valérie Mazarguil,
la salle de spectacle représente le lieu où l’on fait l’expérience de « la salle noire » :
33
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
«Je dirais, même de piètre qualité, si on incite les jeunes à aller dans une salle à vivre
ce que j’appelle « la salle noire » et le pouvoir de la magie de la lumière, du rideau qui se lève,
de la voie d’un acteur, de la musique. Voilà, ça c’est une dimension qui est très difficilement
explicable mais c’est quelque chose qui va les séduire, qui va les marquer et ils auront de
nouveau envie d’aller au spectacle vivant, spectacle vivant, c’est quelque chose d’important.
Aujourd’hui à l’heure du MP3, c’est indispensable, indispensable pour la construction de
l’individu. »
Dans un contexte d’images artificielles omniprésentes, le spectacle vivant permet
d’accéder à d’autres sensations et à d’autres attitudes, il apporte d’autres formes d’émotion.
« C’est au théâtre qu’appartient depuis toujours, et de façon essentielle, le caractère
de festivité dont le mystère, dit Gadamer, est la « paisible suspension du temps » liée à ses
antiques origines rituelles. Ce « temps fort » du théâtre, cette fête expérientielle ne sont guère
aisés à découvrir dans le contexte de la « société du spectacle » où le temps, affadi et voué
sans appel à la platitude, se fond dans une grisaille sans césure. »40
Le théâtre en offrant un contact direct avec les artistes, permet l’apprentissage d’un
regard critique, contre les produits formatés de la télévision. C’est un espace de sensibilité, de
liberté qui peut devenir le lieu de résistance à la standardisation culturelle, à l’uniformisation
du discours, à l’appauvrissement des formes artistiques. Le spectacle vivant pour le jeune
public se présente donc comme un enjeu fondamental de société et de civilisation. Comme le
note Robin Renucci, dans nos sociétés, l’éducation proposée aux enfants s’adressent surtout à
leur raison, et non pas à leur affectivité, ce qui entraîne une manière de penser stéréotypée et
pauvre. L’éducation artistique et culturelle est souvent considérée comme un luxe alors
qu’elle est essentielle :
« La découverte de la correspondance entre un geste et une intention, de la beauté
d’un mouvement, d’un regard, d’un son, d’une couleur et de son jeu en écho avec une autre
couleur, d’une odeur, d’un goût, d’une sensation tactile, de la résonance sensorielle entre
toutes ces perceptions, des émotions et des sentiments qui les accompagnent, sont des
moments essentiels pour le développement de l’intelligence dans sa globalité. »41
L’expérience artistique modifie l’acquisition de toutes les autres connaissances et
contribue à la richesse de l’enfant, elle est fondatrice pour tout citoyen. « Contre la violence et
l’incivilité, contre les racismes, les arts et la culture peuvent contribuer à créer une école de la
tolérance et du respect de l’autre. Les règles de l’art sont également celles de la vie. »42
40
Mafra Gagliardi, « Pour une pédagogie du spectateur », La médiation théâtrale, p.65
Robin Renucci, préface, Nos enfants ont-ils le droit à l’art et à la culture ?, p.7
42
Idem
41
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Anne Gablin
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4. Une expérience de groupe
Dans son étude Sylvie Octobre souligne le fait que seul un enfant sur 10 a déjà
effectué une sortie culturelle en solitaire. La dimension de sociabilité est donc essentielle dans
ce type de pratique. A l’école primaire, il semble que ce soit l’accompagnement familial qui
prime, ce qui peut s’expliquer par le manque d’autonomie des enfants à un âge encore assez
jeune. Du CM2 à la 3ème, la famille occupe encore une place prépondérante dans les sorties
culturelles. La mère étant par ailleurs plus présente que le père. On peut également noter la
forte présence des frères et sœurs dans le pôle « spectacle vivant ».
La sortie au théâtre participe donc à la création du lien social, en favorisant le partage
d’une expérience commune, elle contribue à l’apprentissage de la citoyenneté. L’enfance se
présente comme une phase essentielle dans l’intégration sociale et la formation du citoyen. La
rencontre, l’échange sont donc constitutifs de cette citoyenneté. Aller au théâtre c’est
pratiquer une discipline ensemble, hors du cadre scolaire.
Il est intéressant de souligner que la sortie au théâtre se fait toujours accompagnée
lorsqu’on est enfant que ça soit par l’enseignant ou par le parent, ce qui va parfois compliquer
le travail des artistes : « le jeune public est une bête à 2 têtes : l’enfant et l’accompagnateur.
J’essaie de recomposer avec cette réalité, car j’ai un message à faire passer. J’ai aussi envie de
convaincre aussi les tuteurs. »43 On peut se demander quel rôle va jouer l’adulte dans cet
accompagnement ? Se positionne t-il en tant que médiateur ou en tant que manipulateur ?
L’adulte est contraint d’assister avec l’enfant et donc de participer, il est là pour accompagner
l’enfant, il le protège inconsciemment, surveille ce qui lui est proposé intellectuellement.
L’adulte vit le spectacle à travers l’enfant ce qui entraîne nécessairement une modification de
sa perception mais également une modification de la réception que l’enfant aura du
spectacle.
La sortie au Théâtre reste donc quelque chose d’assez rare, de l’ordre de la « culture
cultivée » dans l’étude des pratiques culturelles de Français. Pourtant, l’expérience théâtrale
en tant que spectateur ne peut être que bénéfique, au-delà de l’expérience artistique, c’est
l’intérêt de l’expérience de groupe qu’il convient de souligner. Il apparaît donc nécessaire de
défendre l’accès du jeune public à ce type de pratique artistique.
43
Ecrire du théâtre aux enfants : libertés et contraintes, lundi 12 mars 2007, Théâtre Dunois
35
Anne Gablin
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2006-2007
II. LA POLITIQUE CULTURELLE EN DIRECTION DU JEUNE PUBLIC
A. EDUCATION
INDISPENSABLE
/
CULTURE :
UNE
ASSOCIATION
DIFFICILE
MAIS
?
1. Ministère de la Culture vs Ministère de l’éducation nationale
Le Ministère de la Culture et celui de l’Education Nationale sont depuis toujours liés
par une relation particulière faite de partenariats mais aussi de tensions et de conflits. Le
Ministère de l’Instruction Publique avant de devenir « Education Nationale » a longtemps eu
en charge la gestion des Beaux-arts. Puis l’émancipation du secteur de l’art et de la culture
avec la création du Ministère des Affaires culturelles en 1959, confié par le Général de Gaulle
à Malraux, marque une rupture dans la relation entre les deux domaines. « La Culture
s’échappe ainsi de la grande maison commune de la rue de Grenelle, artère majeure de la
République, pour s’installer dans le prestigieux hôtel particulier de la rue de Valois, ouvrant
sur les jardins du Palais-Royal, à deux pas de la Comédie française et du conseil
constitutionnel. »44 La rupture institutionnelle entre les deux ministères marque le début d’une
distinction durable entre action culturelle publique et éducation artistique. Marc Bélit souligne
l’importance de cette scission, de ce passage : « Passage en ce qu’il y a une continuité
naturelle de l’éducation à la culture dès lors qu’on considère que celle-ci implique
l’apprentissage et la formation, mais rupture en ce que le champ de la culture s’est voulu
souvent d’ « un autre ordre » que celui de la connaissance ».45
La création du Ministère des Affaires Culturelles sous De Gaulle est marquée par une
certaine conception de l’accès à l’art. Bien que Malraux n’ait jamais prononcé le terme de
« démocratisation culturelle » on trouve dans la politique culturelle du Ministère le désir de
démocratisation. Ainsi le décret du 24 juillet 1959 créant le ministère souligne la nécessité de
« rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand
nombre de Français. » La création des Maisons de la Culture en province et des comités
régionaux des affaires culturelles (ancêtres des DRAC) vont également dans le sens d’une
plus large diffusion de la culture. Mais Malraux défend l’idée de la culture comme rencontre
vivante avec l’art. La conception de Malraux peut être rattachée à celle défendue par
44
45
Pascale Lismonde, Les arts à l’école, p.35
Marc Bélit, Fragments d’un discours culturel, p.188
36
Anne Gablin
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2006-2007
Baudelaire, à savoir que c’est le lecteur qui fait le poème, ou comme le disait Marcel
Duchamp : « ce sont les regardeurs qui font le tableau ». L’amateur d’art peut ainsi redonner
vie à l’œuvre. Ainsi Malraux expliquait sa conception de la relation à l’œuvre :
« Il n’est pas vrai que qui que ce soit au monde ait jamais compris la musique parce
qu’on lui a expliqué la Neuvième Symphonie. Que qui que ce soit au monde ait jamais aimé
la poésie parce qu’on lui a expliqué Victor Hugo. Aimer la poésie, c’est qu’un garçon, fût-il
quasi illettré, mais qui aime une femme, entende un jour : « lorsque nous dormirons tous deux
dans l’attitude que donne aux morts pensifs la forme du tombeau » et qu’alors il sache ce
qu’est un poète ».46
Malraux donne ainsi au Ministère des Affaires culturelles, la mission de permettre la
rencontre entre l’œuvre et le spectateur. On peut se demander s’il suffit de rapprocher
physiquement l’œuvre et le public pour que la rencontre se produise. La métaphore du choc
entre l’œuvre et le spectateur, prend racine dans le mouvement Dada qui voyait l’œuvre
comme un projectile prêt à « frapper » le destinataire. Mais n’est-il pas nécessaire de posséder
des codes de lecture pour permettre cette rencontre avec l’œuvre ? La rencontre et le contact
ne doivent-ils pas nécessairement être accompagnés si l’on veut qu’ils puissent concerner tout
le monde sans distinction sociale ou culturelle ?
La scission entre les deux ministères nourrit aujourd’hui encore la question des
politiques culturelles. La rupture entre le Ministère de l’Education Nationale et le Ministère
de la Culture semble constituer aujourd’hui un frein à la reconnaissance de l’importance de
l’éducation artistique ou au moins au développement de celle-ci. Chaque Ministère ne
supportant pas que l’autre empiète sur son territoire, des jeux de pouvoir se sont installés, des
sentiments de méfiance et de surveillance réciproques ont ainsi jalonné l’histoire de la relation
entre ces deux ministères.
2. Education artistique : une formation nécessaire à la rencontre avec l’œuvre ?
Les enseignements artistiques : musique et dessin, ont longtemps été peu considérés
par l’Education Nationale apparaissant comme des enseignements de second ordre, des
moments récréatifs : manque d’enseignants et d’heures d’enseignement. « France, mère des
arts ? Sans doute. Cette maternité aimable au cœur des poètes de la Pléiade est longtemps
restée secondaire dans les priorités du système éducatif. Apprendre à lire, écrire et compter
46
André Malraux. Discours de l’inauguration de la maison de la culture d’Amiens, 1969
37
Anne Gablin
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telles étaient les trois objectifs fondamentaux de l’enseignement primaire. » 47 Le souci de
parvenir à l’acquisition de ces outils fondamentaux fait que pendant longtemps, on privilégie
la raison contre l’imagination, la maîtrise contre l’émotion, l’esprit contre le corps, la règle
contre le sens critique. La volonté légitime de l’école de la République d’édifier une identité
citoyenne qui serait garante de l’égalité partout et pour tous conduit à se défier des pratiques
artistiques qui apparaissent trop marquées par l’attention à l’individuel, l’original voire
l’excentrique, et qui sont le plus souvent ancrées dans un terroir rural ou ont une origine
aristocratique (l’héritage du monde ancien dont on craint la transmission de valeurs
« périmées »). Pourtant c’est à l’intérieur même de l’école que se développe un mouvement
autocritique de cette éducation trop tournée vers la raison au détriment de l’émotion et de
l’imagination et qui va planter les graines de l’éducation artistique. L’éducation artistique ne
doit pas être optionnelle, mais elle participe au même titre que les mathématiques ou la
grammaire à la formation du citoyen.
Ainsi peut-on présenter de manière non exhaustive les « bienfaits » de l’éducation
artistique. L’éducation artistique :
•
Initie au plaisir de la transgression, à la curiosité face au mystère, à la fécondité de
l’imagination…Elle cultive l’émerveillement, s’attache à faire ressentir plus que
comprendre ce qui se vit à l’intérieur d’une oeuvre.
•
Permet l’apprentissage du jugement d’une oeuvre, et nous permet de dépasser la
dichotomie « bon ou mauvais », l’immédiateté de l’opinion et surtout de ne pas
renoncer à établir une hiérarchie, car tout ne se vaut pas et le refus de juger peut
masquer une paresse intellectuelle bien commode.
•
Stimule le renouvellement de notre vision du monde, tellement formatée par les
médias qui simplifient à outrance la complexité de la réalité. Elle nous apprend à voir
les choses autrement.
Grâce à ce mouvement critique de l’enseignement, l’éducation artistique est peu à
peu prise en compte par les institutions. Ainsi depuis une quarantaine d’années l’Etat joue un
rôle notable dans la construction de l’éducation artistique. Les plans de relance, les protocoles
et les lois relatifs à l’éducation artistique se succèdent au Ministère de l’Education Nationale.
On peut souligner le rôle du colloque d’Amiens en 1968 « Pour une école nouvelle » en ce qui
concerne l’institutionnalisation de l’éducation artistique. Au début des années 1970, Jacques
Duhamel met en place le Fond d’Investissement Culturel (FIC) qui consacre ¼ de ses moyens
47
Pascale Lismonde, Les arts à l’école, p.36
38
Anne Gablin
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au développement de l’action culturelle à l’école. A la fin des années 1970, les « PACTE »,
qui deviennent par la suite « PAE » (projets d’action éducatifs) voient le jour, il s’agit des
premiers dispositifs alliant éducation et culture. Cependant ils reposent plus sur la volonté des
enseignants que sur l’investissement des institutions. Ces dispositifs ont l’intérêt de permettre
la venue d’intervenants extérieurs (artistes et professionnels de la culture) dans les
établissements. Ainsi l’école commence à s’ouvrir peu à peu à la culture. Les PAE peuvent
être lus comme les symboles de la politique culturelle des années 1980 : une politique faite de
projets originaux mais épars, ponctuels et peu ancrés dans la culture éducative. En 1983, on
assiste à l’élaboration du premier protocole alliant ministères de la Culture et Education
Nationale. Il s’agit alors de la première prise en compte institutionnelle majeure de
l’enseignement et des pratiques artistiques. Sous le Ministère Léotard une loi concernant les
enseignements artistiques est votée. Elle développe les ateliers de pratique artistique et
relance les classes culturelles. Mais cette loi souffre d’une absence de crédits. Dans les
années 1990, on assiste à une inflation des sigles, comme si les gouvernements successifs
voulaient nommer leurs politiques afin de rendre le changement plus visible. Cependant dans
les faits on ne note pas vraiment de changement. Les seules différences notables se situent
dans la masse plus ou moins importante des moyens attribués. En 1992, les Plans Locaux
d’Education Artistique (PLEA) sont institués puis un protocole interministériel élargi associe
Culture / Education nationale / Recherche / Jeunesse et Sports. En 1994, des sites
expérimentaux d’éducation artistique sont mis en place dans douze départements, ils
définissent une approche territoriale plus marquée. En 1998, se mettent en place les Contrats
Educatifs Locaux (CEL), qui concernent les zones sensibles, urbaines ou rurales et sont
centrés sur les activités péri et extrascolaires. Puis le Plan de cinq ans pour les arts et la
culture à l’école de Jack Lang et Catherine Tasca est présenté en décembre 2000, mais ne
sera pas prolongé par les gouvernements suivants.
Avant l’année 2000 et le Plan de cinq ans, on assiste plutôt à une politique
d’expérimentation qu’à une politique de généralisation. Les actions mises en place concernent
majoritairement les élèves volontaires et des enseignants et artistes très engagés a priori. Le
problème (qui est à la fois une chance) de la culture à l’école, c’est que l’école concerne tout
le monde. Or ce qui a été fait de mieux en matière d’éducation artistique ce sont des
expérimentations qui ne dépassaient rarement pas plus de 10% de la population scolarisée. On
s’aperçoit que lorsque l’on tente d’augmenter ce %, tout se complique. Mais la question du
volontariat n’est pas simple lorsque l’on sait que les élèves volontaires sont souvent ceux qui
ont déjà accès facilement à la culture. Une autre difficulté de la politique d’éducation
artistique est sans doute le manque de travail en réseau entre l’Etat et les différentes
collectivités. La logique de coopération Etat / Collectivités territoriales n’a commencé à se
39
Anne Gablin
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2006-2007
dessiner qu’à partir des années 1990 avec des opérations comme « Collège au cinéma ». Il
existe encore aujourd’hui un problème politique de « co-définition » de ce que doit être
l’éducation artistique et on assiste à un manque de cohésion concernant le travail des
différentes collectivités. De plus la question du lien entre éducation et culture est un problème
interministériel, or si ces deux administrations visent le même public, les interlocuteurs
qu’elles administrent ne sont pas les mêmes. On trouve, d’un côté, des fonctionnaires (avec
des problèmes des circulaires, d’emplois du temps, et de règlements) et de l’autre côté, des
artistes ou professionnels de la culture qui interviennent par conviction, ou parfois
simplement pour vivre. Il manque peut-être un troisième interlocuteur entre ces deux
ministères dont l’objet serait l’action culturelle.
L’intérêt et la nécessité de l’éducation artistique semblent être de l’ordre du
consensus aujourd’hui. Si l’éducation artistique prend différentes formes dans les discours de
droite et de gauche, son utilité ne semble pas être remise en cause. L’éducation artistique et
culturelle a notamment été inscrite dans le « Socle commun des connaissances » par le décret
du 11 juillet 2006. Il semble admis aujourd’hui qu’une initiation à l’art soit indispensable en
vue d’une possible démocratisation culturelle. Dans cet apprentissage l’école joue bien
évidemment un rôle central. Il est de plus admis que le rapport à l’art et à la culture se
construit dès l’enfance. « Le désintérêt que l’on peut constater pour les arts ou la culture de la
part de nombreuses personnes tient bien souvent à l’absence d’ « habitus » jamais acquis,
d’éveil, jamais entrepris, l’absence de codes qui font de l’art et de la culture des univers
étrangers ».48 L’école semble pouvoir être le lieu du partage démocratique de la culture, parce
que c’est elle qui doit permettre à chacun d’acquérir les clés de lecture d’une proposition
artistique, il convient donc de s’en soucier en priorité.
3. Vers une réforme nécessaire de l’éducation artistique et des politiques
culturelles ?
L’échec de la démocratisation culturelle ?
Aujourd’hui, lorsque l’on parle de « démocratisation culturelle », c’est souvent pour
souligner son échec :
« Près d’un demi siècle après avoir publiquement défendu une certaine idée de
l’accès à l’art du grand public, les responsables des politiques culturelles publiques sont au
48
Marc Bélit, Fragments d’un discours culturel, p.190
40
Anne Gablin
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pied du mur. L’« accès du plus grand nombre aux œuvres capitales de l’humanité » se révèle
impossible en l’état. Les principes comme les actions sont battus en brèche par une réalité qui
en contrarie les desseins. »49
Dans les difficultés d’accès à la culture ce n’est pas le capital économique qui semble
constituer un frein majeur mais plutôt le capital culturel. Les différentes opérations qui
s’appuient sur des baisses de tarifs voire qui proposent des activités culturelles gratuites
profitent le plus souvent aux habitués. On a aussi cherché à attirer le « non public » dans les
lieux culturels en utilisant des méthodes publicitaires, en montant des opérations attractives,
comme si on pouvait attirer le public par la publicité. Finalement l’Etat comme les
professionnels de la culture s’accordent pour dire qu’il faut donner le goût et les compétences
dans le domaine culturel de manière précoce. La seule institution centrale, c’est l’école et
c’est donc là que les choses doivent être repensées. L’enjeu de l’éducation artistique participe
à la réflexion sur la place de l’homme dans la société et sur la reconstruction d’une humanité
qui s’était perdue avec Auschwitz. C’est notamment l’idée que développe Hanna Arendt dans
La Condition de l’homme moderne. L’homme serait autre chose que « l’animal laborans »,
l’homme n’est pas qu’un animal voué à travailler, il peut se définir à travers l’immortalité de
l’œuvre. Ainsi les institutions scolaires ne doivent pas avoir pour seul but la formation
professionnelle.
La nécessité de repenser l’éducation artistique
« L’école ne permet pas aujourd’hui le développement harmonieux de toutes les
trajectoires personnelles. Elle favorise le brio intellectuel, le jeu de la mémoire, l’esprit de
compétition, mais rarement le sens de l’initiative ou de la responsabilité, l’habilité manuelle,
l’autonomie créative, la sensibilité. D’où la portion congrue réservée aux enseignements
artistiques, qui ne cesse de se réduire au fur et à mesure de la scolarité, jusqu’à devenir
optionnels au lycée. Or l’humain ne se résume pas à l’intellect, à la raison ! Son identité ne
s’épanouit pleinement que dans ses multiples composantes. »50
S’agissant de l’éducation artistique, les actions sont nombreuses, mais dispersées et
expérimentales la plupart du temps. « Tel est l’état des lieux de l’éducation artistique, ce
serpent de mer qui, invariablement, vient mordre la bonne conscience de ministres de la
Culture persuadés de pouvoir se passer du « Grand Mammouth » pour continuer à creuser leur
sillon démocratique. »
51
Pourtant dans une démarche de démocratisation culturelle,
49
Jean-Michel Djian, Politique culturelle : la fin d’un mythe, p. 101
Marie-Hélène Popelard in Le Cahier de l’ONDA, n°30
51
Jean-Michel Djian, Politique culturelle : la fin d’un mythe, p.102
50
41
Anne Gablin
IEP Toulouse
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l’éducation artistique devrait être l’élément moteur. « Pour pratiquer l’art (…) il faut très
jeune posséder les clés d’accès à cet imaginaire. »52 Il est donc peut être nécessaire d’être
vigilant sur la forme que doit prendre l’éducation artistique.
Dans le cadre de l’établissement scolaire, les « volets d’éducation artistique et
culturelle » des projets d’école nécessitent une réflexion approfondie autour de plusieurs
principes :
•
Il ne doit pas s’agir d’un éparpillement d’actions avec des partenaires divers
•
Il ne doit pas s’agir de l’addition de projets individuels d’enseignants
•
Il faut une cohérence entre les différents champs disciplinaires et artistiques,
entre les différentes actions menées dans l’établissement et les actions hors
temps scolaires
Au sein des structures culturelles, l’éducation artistique ne doit pas prendre la forme
d’un catalogue de propositions pré-établies. La structure doit expliciter ses objectifs. La
circulaire du 3 janvier 2005, souligne le fait que les contrats d’objectifs entre le Ministère de
la Culture, par l’intermédiaire des DRAC, et les structures culturelles doivent « préciser la
stratégie et les priorités retenues en termes de publics, de relations avec les établissements
scolaires et les lieux d’accueil des enfants et des jeunes et la nature des interventions ».53 Les
structures culturelles, doivent construire leur programmation en fonction des options
artistiques et de leurs ressources propres. Elles sont soumises à des contraintes économiques
qui devront être prises en compte dans l’élaboration de la politique territoriale d’éducation
artistique et culturelle. Inversement la structure culturelle doit intégrer dans son dispositif les
actions générées par l’éducation artistique et culturelle.
Dans le cadre des collectivités territoriales, il apparaît nécessaire de définir en amont
les objectifs communs, pour répondre à l’exigence nouvelle de co-pilotage des politiques
territoriales d’éducation artistique et culturelle (EAC) avec les collectivités territoriales. En
effet l’action des collectivités se développe fortement dans le domaine de l’éducation
artistique depuis quelques années notamment à travers la décentralisation et la
déconcentration budgétaire. Cette implication nouvelle des collectivités engendre néanmoins
un problème de définition des compétences de chaque partenaire. On n’observe toujours pas
52
ibidem
Circulaire interministérielle n° 2005-014, du 3 janvier 2005, Orientations sur la politique d’éducation
artistique et culturelle des ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et
de la culture et de la communication »
53
42
Anne Gablin
IEP Toulouse
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de recherche de complémentarités qui permettrait pourtant de construire des parcours
cohérents. C’est au contraire la logique de l’empilement et de la visibilité politique qui semble
prédominer comme le note Patrick Even (coordonnateur académique de Loire-Atlantique) :
« A Amiens [lors du colloque « Pour une politique territoriale d’éducation artistique
et culturelle des jeunes »], c’était très net, on voyait des choses complètement aberrantes
inventées par des gens qui n’avaient plus de contact avec l’école ou qui en avaient une
représentation un peu passéiste et puis qui décidaient tout seul, ou alors des logiques de
guichet aussi, ce qui n’est pas mieux, l’Education nationale allant au Conseil Général en
disant voilà est-ce que vous pouvez nous donner tant… Sur le département, moi ce que je
privilégie énormément dans les possibilités que j’ai et le rôle que l’on me donne c’est de
développer les réseaux. On a la chance inouïe d’avoir sur la Loire Atlantique des petites salles,
des belles salles même, Chateaubriand, Ancenis, etc. Et là l’idée c’est de repérer à chaque fois
des collègues dynamiques, dans le primaire, le lycée, le collège, souvent ça commence par des
petites actions, il y a eu par exemple le Printemps des Poètes où un collègue du lycée a amené
ses élèves lire des poèmes aux maternelles ou aux primaires, du coup ça crée des liens. Quand
on sent que les choses sont mûres on travaille aussi avec les conseillers pédagogiques de ces
conscriptions qui sont des alliés très précieux (…) Et à ce moment là, quand on sent que le
terrain est un peu mûr, on va voir le responsable de bassin qui est généralement un chef
d’établissement à qui on propose tout à coup un projet, en lui disant écoutez vous avez une
structure culturelle, vous avez un atelier dans tel établissement (…) Est-ce que l’on ne
pourrait pas avoir un stage qui réunirait une trentaine de profs de la maternelle à la terminale,
dans la structure culturelle. (…) Il y a une réunion systématiquement à la fin du stage où on
voit ensemble des stratégies, (…) on s’arrange à ce moment là pour qu’à la fin du stage le
maire ou l’adjoint à la culture soit présent. »
La construction d’un partenariat est donc nécessaire, la mise en place d’échanges
permettrait à chacun de mesurer les contraintes professionnelles de chaque partenaire. De plus,
la mise en place d’un service éducatif ou d’un responsable des projets éducatifs dans les
structures culturelles, ainsi que la présence d’un coordonnateur du volet culturel dans
l’établissement scolaire permettraient de faciliter l’échange entre les trois niveaux de
conception et de mise en œuvre des projets.
Le Colloque d’Amiens « Pour une politique territoriale d’éducation artistique et
culturelle des jeunes » des 23 et 24 novembre 2006, met en évidence un certain nombre de
contraintes inhérentes à chaque secteur partenaire des politiques d’éducation artistique. En ce
qui concerne l’Education Nationale, les enseignants sont confrontés à des contraintes
d’horaires, de programme, d’examens… A ces contraintes internes, on peut ajouter le fait que
43
Anne Gablin
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les établissements scolaires sont soumis à des tutelles de référence différenciées. L’école
dépend de la mairie, le collège du Conseil Général, le lycée du Conseil Régional, ce qui
constitue une barrière de plus à la mise en place d’une éducation artistique cohérente,
construite sous forme de parcours de la maternelle jusqu’au lycée.
Il apparaît désormais nécessaire de passer de cette très riche période
d’expérimentation, marquée par l’invention de nombreux dispositifs, à une période nouvelle
caractérisée par l’élaboration de dispositions territoriales, pérennes, mises en oeuvre par des
opérateurs et des acteurs repérés et organisés au plan local, systématiques et inscrites dans le
cours ordinaire des formations des jeunes. Ainsi la ville d’Annecy sert souvent d’exemple
dans la mise en place d’un système d’éducation artistique cohérent. D’une « compétence
d’Etat partagée », la ville est passée à une « politique éducative locale concertée » et a mis en
place des parcours culturels. « Les parcours culturels d’Annecy apparaissent, d’une certaine
façon, comme le « chaînon manquant » entre des politiques ministérielles caractérisées, de
manière contradictoire, par leur ambition très large (« de la maternelle à l’université,
l’éducation artistique pour tous ») et leur perpétuelle instabilité. »54 Ce plan local, souhaite
pouvoir mettre en relation chaque enfant avec les lieux et les acteurs de la culture. Chaque
écolier doit pouvoir bénéficier d’au moins quatre parcours culturels dans des domaines
différents au cours de sa scolarité élémentaire. Une grande importance est accordée à la
qualité, au suivi et à la durée des parcours. Trois modalités sont mises en place pour parvenir
à ces objectifs : les parcours culturels, la formation conjointe des enseignants et des
partenaires culturels et la réorganisation des services pédagogiques de certaines structures
culturelles ainsi que l’embauche de personnels de médiateurs culturels.
Il apparaît également nécessaire de parvenir à une meilleure formation des
enseignants en matière d’éducation artistique, notamment au sein de l’IUFM : « Les
enseignants devraient recevoir une solide formation au spectacle vivant, à son histoire et à ses
pratiques. D’autre part, l’école doit être le lieu de la découverte et de l’apprentissage de l’art
et permettre aux enfants de faire des expériences sensibles en allant au théâtre. Les habitudes
culturelles se forgent dès l’enfance ! »55
Les différents dispositifs qui ont été mis en place, ont permis de poser les bases dans
l’élaboration d’une politique d’éducation artistique. Cependant ils ont eu pour effet
d’engendrer une segmentation des populations scolaires et des jeunes en général en groupes
minoritaires de volontaires. De plus chaque année se pose pour les structures culturelles et les
établissements scolaires, la question de la pérennisation financière et du renouvellement de
54
Marie Christine Bordeaux : Education artistique et culturelle, l’exemple d’Annecy. D’une compétence d’Etat
partagé à une poltique éducative local concertée.
55
Le Cahier de l’ONDA, n°30
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ces dispositifs. Cette incertitude entraîne un sentiment de précarité et de fragilité quant à
l’avenir de l’éducation artistique, voire de non légitimité de celle-ci. En effet, elle a du faire
l’objet de plusieurs « plans nationaux » et « plans de relance » sur fond de stagnation ou de
régression des moyens alloués.
Des politiques culturelles qui nécessiteraient une nouvelle définition
En ce qui concerne les politiques culturelles d’une manière générale, on est passé peu
à peu de l’idée d’amener le plus grand nombre à la culture (idée défendue à droite comme à
gauche à une époque ou l’art et la culture se présentaient comme un secteur essentiel des
politiques publiques), à la nécessité de réévaluer les politiques culturelles face au constat
d’échec quant à la réduction des inégalités d’accès à la culture. L’idée de « démocratie
culturelle » a ainsi remplacé celle de « démocratisation culturelle ». Il n’existe plus une
culture unique à défendre et à rendre accessible à tous mais des cultures. Cependant cet
élargissement de la définition de la culture ne semble pas avoir entraîné un élargissement du
système de subventions. Si la culture dite « légitime » reste celle qui est subventionnée en
priorité, parallèlement, il semble que l’idée de diffuser la culture au plus grand nombre
disparaisse peu à peu des objectifs des politiques culturelles.
A quelques semaines du premier tour des élections présidentielles, la majorité des
professionnels de la culture s’accorde pour souligner le peu d’intérêt porté à la question de la
culture par les candidats de gauche comme de droite. Eric Chevance, directeur du TNTManufacture de chaussures à Bègles et co-animateur de l’association Autre(s) pARTs
(Acteurs Unis pour la Transformation, la Recherche et l’Expérimentation (Sur les relations
entre) Populations, Art et Société) souligne la nécessaire réforme des politiques culturelles :
« L’association Autre(s) pARTs essaie de réfléchir à des pratiques artistiques
associant les populations et les territoires, c'est-à-dire qu’on essaie de repenser nos modes
d’action en prenant en compte, non pas seulement ce qui a été pris en compte en général par
les politiques culturelles depuis leurs naissances, c'est-à-dire des experts qui vous disent voilà
ce qu’est l’art et voilà ce qu’il va vous apporter, le bonheur, le bien-être tout ce qu’on veut,
mais essayer au contraire de construire, de co-construire avec des populations, des projets
artistiques qui prendront du sens sur un territoire. » 56
Eric Chevance souligne également le fait que la politique culturelle aujourd’hui n’est
plus une question d’ordre seulement national mais qu’il est surtout question de la manière
dont on choisit de se positionner face aux industries culturelles mondialisées :
56
Entretien vidéo de Eric Chevance, site Internet de l’Autre Campagne
45
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
« Les enjeux de la culture aujourd’hui ils sont dans le développement énorme des
industries culturelles, du CD, de l’Internet, qui sont des enjeux qui dépassent clairement les
politiques nationales et qui dépassent clairement la politique stricto sensu, qui sont avant tout
des enjeux économiques, internationaux dans le cadre mondialisé. Et à ce moment là, quelle
peut être la question que peuvent se poser les politiques, qu’est-ce qu’ils peuvent réellement
apporter à cet endroit là si ce n’est contester les fondements même de cette politique
mondialisée, or on sait que la majorité ne les conteste pas. »
L’histoire des relations entre Ministère de la Culture et Ministère de l’Education
Nationale semble donc s’être construite sur une rupture. Pourtant ces deux institutions
constituent les deux composantes nécessaires et complémentaires du développement du
spectacle vivant en direction du jeune public.
B. LE JEUNE PUBLIC : UNE RESPONSABILITE COLLECTIVE
1. Le « jeune public » : parent pauvre du spectacle vivant ?
Si le jeune public connaît depuis une vingtaine d’années une croissance particulière :
émergence d’un véritable répertoire, création de compagnies spécialisées dans le travail en
direction du jeune public, création d’un prix « spectacle jeune public » aux Molières… il
semble cependant que le jeune public ne bénéficie pas encore d’une reconnaissance
institutionnelle suffisante. Le manque de moyens qui touche toute l’économie du spectacle
vivant se révèle encore plus visible lorsqu’il s’agit du jeune public. Il semblerait que ce
manque de moyens soit en partie dû au fait que le jeune public soit encore mal connu ou
souvent considéré comme un théâtre de sous catégorie.
« Adieu cailloux, choux, genoux, hiboux,
et autres joujoux… vivement que le
spectacle pour « jeune public » parvienne enfin à se débarrasser du fatras de poncifs rosebonbon qui l’ensevelissent encore ! Car avouons-le, il reste souvent enrubanné dans les idées
reçues, à un mélange fourre-tout de fanfreluches pralinées et cucuteries bêtifiantes.
Généralement relégué dans les soutes de la programmation, coincé dans des budgets étriqués
et montés avec trois bouts de ficelle, il sillonne le réseau décentralisé généraliste avec une
citrouille en guise de carrosse, sous le regard condescendant de directeurs distraits ? Le dédain
plus ou moins avoué ne masque t-il pas tout simplement la méconnaissance de ce pan de la
46
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
vie culturelle ? »57
Dans les structures culturelles, on retrouve souvent l’idée que le jeune public dépend
en grande partie de la volonté et de l’envie du directeur. Geneviève Lefaure souligne
notamment le peu de place accordé au jeune public dans le paysage culturel :
« Quelle est la place du spectacle destiné à la jeunesse dans le paysage culturel ?
Il occupe un strapontin ! Les programmations de nos structures culturelles
généralistes ne comptent généralement, dans une saison, guère plus de deux ou trois
spectacles pour le jeune public, qui ne représentent en outre qu’une part congrue du budget
artistique – sacrifiée en priorité en cas d’ajustement financier nécessaire. »58
Ainsi, c’est avec l’arrivée de Philippe Coutant à la tête de la MCLA à Nantes que le
jeune public a véritablement pris son essor au sein de cette structure. Philippe Coutant avait
inscrit, dès le départ, dans son projet la volonté de développer l’action artistique en direction
du jeune public.
« La meilleure manière d’observer un public est de se glisser parmi les spectateurs
pendant l’entracte (…). C’est précisément ce que j’ai fait, juste nommé à la Maison de la
Culture de Loire-Atlantique, lors d’une soirée programmée par mon prédécesseur. La trop
grande homogénéité du public reflétait une politique d’abonnements adressée à des
spectateurs seulement avides de têtes d’affiches. Je ne partage pas cette vision du théâtre.
L’une des vertus de la représentation est de réunir toutes les tranches d’âges. Cette situation à
laquelle je n’avais jamais été confronté auparavant, m’avait convaincu de l’urgence d’attirer
des jeunes au théâtre, pas en matinées scolaires, mais en soirée où se retrouvent grandsparents, parents et enfants, exprimant ainsi un symbole de transmission. »59
Une fois inséré dans la programmation, il s’agit de savoir si le secteur jeune public
sera délégué à des programmateurs spécialisés ou s’il sera considéré dans l’ensemble de la
programmation. Le choix de délimiter un secteur jeune public peut contribuer à donner une
meilleure considération à ce secteur et en même temps peut avoir tendance à renforcer le
cloisonnement entre jeune public et programmation générale.
Du point de vue médiatique, il semble que le jeune public manque considérablement
de visibilité : « Le manque de reconnaissance, voire le mépris, plus ou moins avoué, pour
ceux qui travaillent en faveur de la jeunesse est flagrant. Il se reflète également dans la presse,
qui ne se fait que rarement l’écho de la vitalité et de la créativité dans ce pan de la vie
culturelle. »60
Du point de vue institutionnel on note un manque d’expertise : « Du point de vue
57
Le Cahier de l’ONDA, n°30
ibidem
59
Philippe Coutant, in Comme au théâtre… pour une école du spectateur, p. 77
60
Le Cahier de l’ONDA, n°30
58
47
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
institutionnel se pose aussi le problème de la déficience de l’évaluation, de la carence
d’experts. Quand bien même on décèle des signes d’évolution positifs, ces multiples facteurs
contribuent à entretenir une sorte de paresse par inadvertance dans nos institutions. L’absence
d’intérêt se conforte dans la méconnaissance. »61
D’une manière générale on peut donc dire que les problèmes économiques qui
touchent le secteur du spectacle vivant, n’épargnent pas celui du jeune public, et auraient
plutôt tendance à s’y renforcer. Les lieux achètent les spectacles beaucoup moins cher que les
spectacles pour adultes, du fait notamment des jauges qui sont réduites lorsqu’il s’agit d’un
spectacle jeune public (besoin d’intimité pour une meilleure qualité d’écoute) et du prix des
places pour enfants qui est toujours moins cher que le prix des places pour adultes
(développement d’une politique d’accessibilité pour tous), ce qui pousse les compagnies à
créer des spectacles peu onéreux. Les conditions de travail des comédiens sont assez difficiles,
le rythme des tournées est intense, l’accueil parfois sommaire dans les lieux et les revenus
souvent modiques. Créer pour les enfants demande donc un investissement très important. Sur
la question de la tarification, on peut souligner le fait qu’en Espagne les adultes
accompagnant un enfant à un spectacle jeune public payent moins cher justement parce qu’ils
sont considérés comme des accompagnateurs avant d’être considérés comme des spectateurs.
2. L’intervention des acteurs publics
L’éducation artistique et le jeune public : un affaire d’Etat ?
Parler du rôle de l’Etat dans le développement du jeune public, c’est évoquer avant
tout le rôle de deux ministères, celui de la Culture et celui de l’Education Nationale. Le
ministère de la Culture, même s’il ne représente pas la majorité des dépenses en matière de
politiques culturelles, joue un rôle éminent. Le rayonnement dont il fait preuve tient à son
organisation en directions et sous-directions qui sont amenées à agir dans une multitude de
domaines, mais également à l’existence des Directions Régionales des Affaires Culturelles
(DRAC) depuis les années 1970. Depuis les années 1980, on trouve au sein des DRAC, des
conseillers, experts spécialisés dans chacune des compétences du ministère. Les DRAC sont
sous l’autorité des préfets de régions et départements et ont en charge « d’animer l’action de
l’Etat en matière culturelle, de veiller à assurer la cohérence au niveau régional des
interventions publiques dans le développement culturel »62
61
62
ibidem
Article 1 du décret du 14 mars 1986
48
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
La DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles)
Depuis 1977, à travers la mise en place des DRAC, le ministère de la Culture est
présent dans les Régions. Placées sous l’autorité des Préfets de Région, les DRAC sont
chargées de mettre en œuvre les priorités définies par le ministère. Les DRAC ont également
une fonction de conseil et d’expertise auprès des partenaires culturels et des collectivités
territoriales. Elles ont aussi pour mission d’assurer la cohérence de la politique globale en
Région. Les DRAC ont en charge différentes missions :
•
L’aménagement du territoire et l’élargissement des publics : il s’agit de compléter le
maillage d’équipements structurants, favoriser l’émergence de lieux de proximité,
susciter de nouveaux partenariats entre les professionnels de la culture et les acteurs
socio-éducatifs.
•
L’éducation artistique et culturelle : les DRAC attribuent les aides annuelles en
fonctionnement aux écoles de musique et d’arts plastiques après avis des inspections
pédagogiques. Elles participent à de multiples actions en lien avec les Rectorat et les
autres services de l’Etat pour promouvoir l’éducation artistique et culturelle. Elles
participent notamment à la mise en place de jumelage entre les établissements
scolaires et les structures culturelles et incitent à la création de plans locaux entre les
collectivités territoriales et l’Etat.
•
L’économie culturelle : elles apportent aide et conseil aux structures culturelles, elles
soutiennent le développement du mécénat culturel.
Dans le secteur du spectacle vivant, les comités d’experts analysent l’évolution du
secteur en matière de création et de diffusion sur le territoire. Ainsi, des crédits d’intervention
sont attribués aux compagnies, metteurs en scène, festivals et foyers de diffusion les plus
actifs et dynamiques. En matière de jeune public et d’éducation artistique, les DRAC ont pour
mission d’aider à l’initiation des publics, notamment en milieu scolaire. Si on peut identifier
une personne chargée de l’éducation artistique au sein des DRAC, on n’identifie pas de
secteur « jeune public » spécifique.
D’après l’étude du ministère de la Culture « L’action des DRAC en matière
d’éducation artistique et culturelle » de 2004, si l’on observe une augmentation des crédits
consacrés par la DRAC à l’éducation artistique entre 2001 et 2004, d’une manière générale, la
DRAC Midi-Pyrénées a réduit ces crédits entre 2001 et 2004.
49
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
La DAAC (Délégation Académique à l’Action Culturelle)
Elle est placée sous la responsabilité du Délégué Académique à l’Action Culturelle
qui est entouré d’une équipe de chargés de mission sectoriels ayant une responsabilité
géographique. La DAAC est en liaison directe avec les coordonnateurs départementaux dans
chaque inspection académique et en collaboration étroite avec l’IUFM, le CRDP (Centre
Régional de Documentation Pédagogique), la DRAC, les collectivités territoriales et les
institutions culturelles. Elle assure plusieurs missions :
•
Conseil et information
•
Conception et suivi des projets académiques
•
Evaluation et suivi des projets
•
Elaboration de formations des équipes éducatives
•
Structuration des partenariats
Elle met en œuvre le plan académique d’action culturelle. Elle doit permettre de :
•
Rendre la pratique culturelle accessible à tous et particulièrement dans les zones
géographiques défavorisées (élargir les partenariats culturels au milieu rural, aux
quartiers sensibles et aux lycées professionnels)
•
Encourager les projets de classe dans une dynamique de réseau, ouverte sur
l’environnement et ses ressources
•
Promouvoir le dialogue des cultures et l’ouverture à l’international
Le Haut Conseil de l’Education Artistique et Culturelle : vers un partenariat
Ministère de l’Education Nationale / Ministère de la Culture
En 1988, un Haut comité des enseignements artistiques est créé, il s’agit d’un organe
consultatif. Il est cependant rapidement jugé comme trop lourd et se voit donc réformé dans
sa nomination et sa composition. Il prend le nom de « Haut Conseil de l’Education Artistique
et Culturelle » en 2005. Cette dénomination renvoie à la nécessité d’inclure les enseignements
artistiques dans une politique plus large d’éducation artistique et culturelle. Les effectifs sont
diminués et les rôles de ce conseil sont redéfinis. Aujourd’hui il comporte des tâches de
réflexion, de proposition et de communication. A la création de ce Haut Conseil, l’importance
de l’éducation artistique est réaffirmée :
« L’éducation artistique et culturelle concourt à la formation intellectuelle et sensible
des enfants et des jeunes. Elle vise à l'acquisition de compétences spécifiques dans les
domaines artistiques enseignés ; elle joue un rôle essentiel en matière de valorisation de la
diversité des cultures et des formes artistiques. Elle contribue à la formation de la personnalité
50
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
et elle est un facteur déterminant de la construction de l'identité culturelle de chacun.
L’éducation artistique et culturelle renforce la dimension culturelle dans l’ensemble des
disciplines ; elle permet l'acquisition de compétences transversales mobilisables dans d'autres
domaines d’apprentissage. Elle conforte la maîtrise des langages, notamment de la langue
française, en développant les capacités d'analyse et d’expression. Elle prépare ainsi au choix
et au jugement, participe à la formation d’un esprit lucide et éclairé, et concourt à
l’apprentissage de la vie civique et sociale. Ainsi comprise l’éducation artistique et culturelle
englobe et dépasse le domaine des enseignements artistiques proprement dits qui sont, à
l’école, de la responsabilité de l’Éducation nationale. Elle s’étend à l’ensemble des domaines
des arts et de la culture, entendu comme cet héritage commun, à la fois patrimonial et
contemporain, qui participe pleinement de la culture humaniste. Elle concourt enfin au
renouvellement des publics des institutions culturelles. »63
On peut, en quelques chiffres, présenter l’investissement des deux ministères en
matière d’éducation artistique. Sur l’ensemble du territoire et durant toute la durée de la
scolarité obligatoire, au moins un enseignement de musique et un enseignement d’arts
plastiques, sont dispensés dans les écoles élémentaires et les collèges.
•
environ dix millions d’élèves sont concernés par la formation artistique obligatoire :
o environ 6 550 000 pour 3 heures hebdomadaires à l’école et 3 244 600 pour
deux heures hebdomadaires au collège
o environ 120 000 élèves bénéficient d’une formation artistique au lycée
o environ 700 000 élèves sont concernés en lycée professionnel.
•
environ 300 000 maîtres et plus de 17 000 professeurs spécialisés dispensent la
formation artistique obligatoire de la maternelle au baccalauréat.
•
Des projets artistiques au sein de l’école :
o 14 516 écoles se sont dotées d’une chorale.
o 4 969 projets artistiques sont intégrés au projet d’établissement. Le plan
interministériel de relance du 3 janvier 2005 demande à ce que chaque école et
chaque établissement public local d’enseignement inscrivent un volet
d’éducation artistique et culturelle dans leur projet d’école ou d’établissement.
•
D’actions complémentaires en partenariat :
o L’action culturelle complète et enrichit le domaine des enseignements
artistiques obligatoires et optionnels proprement dits.
63
Installation du Haut conseil de l’éducation artistique et culturelle, 19 octobre 2005
51
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
o Les classes à PAC (tous les élèves d’un groupe-classe de façon obligatoire sur
l’horaire scolaire) : plus de 10 000 classes à PAC
o environ 1 million d’élèves participent chaque année aux dispositifs « école,
collège et lycéens au cinéma ».
o Les dispositifs d’éducation artistique et culturelle couvrent une palette de
thèmes extrêmement diversifiée : arts plastiques, musique, danse, théâtre,
poésie, écriture, architecture, patrimoine, histoire des arts, cinéma-audiovisuel,
photographie, arts appliqués, design, arts du cirque, arts du goût.
En ce qui concerne le Ministère de l’Education Nationale :
•
9,4 milliards d’euros de crédits sont destinés par l’Etat à des objets d’ordre culturel
dans le budget 2005.
•
Dans ce budget global, les crédits affectés à l’enseignement scolaire s’élèvent à plus
de 1,494 milliards d’euros, qui se répartissent entre les dépenses de personnels, les
crédits pédagogiques et subventions de fonctionnement en faveur d’actions
spécifiques et la formation des enseignants.
•
Les services éducatifs des structures culturelles bénéficient de plus de 3 millions
d’euros de crédits de la part du ministère de l’Éducation nationale.
•
Près de 90 personnes ont été mises à disposition d’institutions et d’organismes à
caractère artistique et culturel en 2004-2005.
En ce qui concerne le Ministère de la Culture :
•
Hors personnel, les crédits de l’action « soutien à l’éducation artistique et culturelle »
s’élèvent à 28,6 millions d’euros en 2005
•
Ne sont pas compris dans cette somme, les crédits consacrés sur leur budget de
fonctionnement par les établissements publics et les structures artistiques et culturelles
subventionnées par le ministère.
•
Ces crédits sont estimés à environ 10,5 millions d’euros en 2006. Le total des crédits
hors personnel consacrés à l’éducation artistique et culturelle peut donc être estimé à
39 millions d’euros en 2005 et 39,5 millions d’euros en 2006.
Mireille Valls, chargée de mission (livre, lecture, poésie, théâtre, arts du cirque) à la
DAAC de l’académie de Toulouse souligne l’importance quantitative du théâtre au sein des
ateliers artistiques. Il s’agit du secteur le plus demandé mais également le plus difficile à
obtenir. Selon Mireille Valls, on assiste, faute de moyens, à une tendance qui consiste à
52
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
renouveler les ateliers artistiques existants sans permettre la création de nouveaux ateliers. Les
zones rurales et les zones « sensibles » sont également prioritaires dans les projets d’ateliers
ou de classes à PAC. La classe à PAC s’adresse à une classe entière, elle s’inscrit dans le
temps scolaire (15 heures maximum) et elle est financée à hauteur de 610 euros par
l’Education Nationale, financement qui est généralement doublé par le Département. L’atelier
artistique est basé sur le volontariat des élèves et s’effectue donc hors temps scolaire. Il est
financé par le Rectorat (1525 euros) qui assure la rémunération des enseignants sous la forme
d’heures supplémentaires et par la DRAC (1525 euros également) qui assure la prise en
charge totale ou partielle des partenaires culturels. Les intervenants culturels doivent par
ailleurs être titulaires de l’attestation de compétence délivrée par la DRAC. A cela, il faut
ajouter les options facultatives « théâtre » : une dizaine dans l’académie de Toulouse et les
options obligatoires « théâtre » : une part par département (sauf en Tarn et Garonne).
Si on peut identifier l’investissement de ces deux ministères en matière d’éducation
artistique et culturelle, il apparaît très difficile d’évaluer l’importance qu’accorde l’Etat à la
création en direction du jeune public. Dans la Charte des Missions de Service Public qui régit
le spectacle vivant, il n’est fait allusion au jeune public qu’à la rubrique « responsabilité
sociale » :
« La sensibilisation, dans le cadre de l’éducation, de nouvelles classes d’âge aux
réalités de la pratique et de l’offre artistique doit être une priorité stratégique. Cette action
peut être directe, par l’organisation de rencontres, de stages, de classes culturelles et plus
généralement par l’utilisation de toutes les possibilités qu’offrent les procédures partenariales
entre l’éducation nationale et la culture, ou indirecte par une large diffusion de documents
pédagogiques, un esprit de dialogue et de service identifié en tant que tel par le corps
enseignant. Elle doit être une composante régulière et prioritaire de l’activité des institutions,
au plus près de leur projet artistique. »64
Ainsi lorsqu’on étudie le budget du ministère il est impossible d’identifier le secteur
« jeune public ». Dans la liste des compagnies qui bénéficient d’une aide, on ne trouve pas
d’indications sur le public auquel leur créations sont destinées et les études qui portent sur le
public ne concerne que les plus de 15 ans. « Dans notre dispositif institutionnel, même si on
perçoit des améliorations et une attitude plus volontariste du Ministère de la Culture et de la
Communication, le secteur du «jeune public » demeure le parent pauvre. Peu de compagnies
sont conventionnées, les aides à la création, à la production et à la diffusion restent faibles.
Globalement, les moyens sont inversement proportionnels à la recherche et à l’invention. La
64
Charte des missions de service public du spectacle, 22 octobre 1998
53
Anne Gablin
IEP Toulouse
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pénurie de moyens a forcément des incidences artistiques, ne serait-ce que sur la scénographie
ou le nombre d’acteurs sur le plateau. » 65 Il semble que l’aspect éducatif et pédagogique
prennent le pas sur l’aspect créatif et artistique. Le rapport à l’artiste est pourtant essentiel
dans la mise en place d’une politique d’éducation artistique cohérente. Cette rencontre avec
l’artiste a notamment été développée dans des projets comme les classes à PAC. Cependant
elle ne pourra se faire que si la création en direction du jeune public est soutenue et que si l’on
accorde aux compagnies les moyens de construire des spectacles et de les diffuser. Comme le
souligne Jean-Gabriel Carasso :
« Depuis une quarantaine d’années, un mouvement international de renouveau de la
création a été entrepris. Nous avons vu émerger, dans de nombreux domaines artistiques, des
créations spécifiquement destinées à l’enfance : renouveau du livre et de la littérature jeunesse,
développement du théâtre et de la danse, évolution des arts du cirque, du théâtre d’objet, de la
chanson, essor du multimédia et des arts numériques. Une politique de l’éducation artistique
et culturelle qui ferait l’impasse sur cette dimension, sur la nécessaire présence d’un
environnement artistique adapté autour des enfants, serait à coup sûr incomplète. On ne peut
apprendre à lire sans livres, à être spectateur sans spectacles, à écouter sans musique.
Favoriser la création jeunes publics, soutenir les équipes et les structures de production en
direction de l’enfance, aider à la programmation et à la diffusion, permettre l’accès aux
œuvres par des gestes simples (une politique tarifaire, une organisation des transports, une
formation des médiateurs…), autant de mesures qui mériteraient d’être largement développées,
notamment par les collectivités territoriales » 66
L’ATEJ (Association de Théâtre pour l’Enfance et la Jeunesse) dénonce le
désengagement de l’Etat en matière de jeune public et parle d’une « stratégie de
renoncement ». « Aujourd’hui, l’ensemble de la production théâtrale se trouve soumis au
marché de la diffusion. Des aides à la production se sont substituées aux subventions
régulières de fonctionnement ». 67 L’ATEJ considère que la politique de généralisation par
obligation du jeune public, lancée par l’Etat en direction des établissements culturels
subventionnés, manque cruellement d’un accompagnement financier supplémentaire. « Cette
politique du désengagement est aussi celle du renoncement aux exigences artistiques, de
l’abandon aux lois du marché d’un secteur d’activité théâtrale qui, puisqu’il s’agit des enfants,
devrait plus que tout autre ressortir à la notion de service public, et donc bénéficier d’un large
soutien financier de l’État. »68
65
Le Cahier de l’ONDA, n°30
Jean-Gabriel Carasso, Nos enfants ont-ils le droit à l’art et à la culture ? p. 40
67
ATEJ, La mise en question(s) du droit des enfants au théâtre, 2005
68
ibidem
66
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Anne Gablin
IEP Toulouse
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L’intervention des autorités publiques dans le cadre des politiques culturelles est
multiple. On peut parler de financement croisé. L’Etat n’est évidemment pas le seul à
intervenir, il semble par ailleurs qu’il soit de plus en plus devancé par les collectivités
territoriales dans ce domaine. « Les responsabilités culturelles des collectivités publiques
relèvent de leur libre choix et ne sont contraintes que par les moyens financiers qu’elles
décident d’y consacrer et par les textes qui fixent les compétences réglementaires de
l’Etat. »69
La Région
Les Régions étant des collectivités territoriales encore jeunes, il apparaît plus
difficile de définir leur rôle culturel. Elles disposent de budgets restreints qui représentent à
peine 2% du financement public de la culture. D’une manière générale, elles ont pour
vocation d’apporter un soutien aux initiatives nées dans leur espace mais n’ont pas encore
toutes de services culturels autonomes. Toutefois, les Régions s’affirment peu à peu dans le
domaine de la culture. En 1982, 1/3 de la dotation obtenue par le ministère de la Culture est
reversée aux Régions. Ainsi le ministère de la Culture a pu établir des plans Etat-Régions qui
permettent aux Régions de redéfinir, tous les cinq ans, les modalités de leur action culturelle.
De plus, du fait des transferts de compétences opérées par l’Etat, des exigences européennes
et des changements politiques de 2004, l’intervention culturelle des Régions s’accroît peu à
peu. On constate pourtant de fortes disparités entre les Régions, leur effort financier en
direction de la culture allant de 0,7 % à 5% du budget total. En 2002, les dépenses culturelles
des régions de France métropolitaine ont atteint 358,5 millions d’euros, soit 2,4 % de leurs
dépenses totales et 6,1 euros par habitant en moyenne. La région Midi-Pyrénées consacrait en
2002, environ 3,5 euros par habitant en dépenses culturelles. 70 En matière de jeune public, il
semble impossible de déterminer la part du budget consacré au jeune public. L’aide accordée
au spectacle vivant, aux structures culturelles et aux compagnies notamment ne semble pas
être spécifiquement destinée à développer le jeune public, même si l’intérêt pour le
développement des publics est clairement affiché par le conseil régional : « Ciblées vers les
pôles professionnels de création et de diffusion et vers les compagnies, l’aide au spectacle
vivant leur permet notamment de développer des actions d'éducation artistique vers un large
public, sur leur lieu d'implantation mais aussi sur l'ensemble du territoire régional grâce à des
partenariats fortement encouragés avec d'autres lieux de création et de diffusion. »71
69
René Rizzardo, La coopération entre les collectivités publiques, in Institutions et vie culturelle,
Les dépenses culturelles de collectivités locales en 2002, Les notes statistiques du DEPS
71
Site Internet du Conseil régional de Midi-Pyrénées
70
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Le Département
Les Départements se situent entre les communes et les Régions. Ils sont à la tête
d’équipements collectifs qui absorbent une grosse part de leur budget culture. Cependant, ils
jouent un rôle important de redistribution, notamment au profit des communes rurales. Les
Départements sont marqués par une relative homogénéité dans leurs compétences culturelles.
D’une manière générale, le patrimoine occupe une place importante (musées, archives et
bibliothèques), devant l’animation, la production et la diffusion artistique. En 2002, les 96
Départements de France métropolitaine ont consacré 1,1 milliard d’euros pour la culture, soit
presque 3% de leur budget global et près de 20 euros par habitant. Les trois quarts de leurs
dépenses culturelles sont des dépenses de fonctionnement (pour un montant de 870 millions
d’euros). Entre 2000 et 2002, ces dépenses ont progressé de 19 % (en euros courants). Les
lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont participé au développement de l’action culturelle
des Départements.
« Dès la décentralisation, le Conseil Général de la Haute-Garonne s’est résolument
engagé dans une politique culturelle alors même que les textes législatifs ne l’y contraignent
pas. Dans un département comme la Haute-Garonne qui recense une grande agglomération et
près de 600 communes, le Conseil Général a la volonté de développer une culture de
proximité. Au fil des ans, il est devenu un des acteurs et des partenaires prioritaires des
communes comme du monde associatif pour promouvoir des actions culturelles très
diverses. »72
Les Départements peuvent aussi jouer un rôle de coordination des activités
culturelles pour des opérations de développement culturel. On peut toutefois souligner que
l’investissement culturel des Départements est très hétérogène, puisqu’il varie de 1% à 12%
de leur budget total.73 Ainsi, la Haute Garonne consacrait, en 2002, moins de 10 euros par
habitants en dépenses culturelles.74 La volonté des présidents de Conseils Généraux est donc
très importante. Les élus départementaux semblent être devenus sensibles aux retombées
économiques de la politique culturelle, notamment à travers la mise en valeur du patrimoine,
le soutien aux Festivals ou à des évènements artistiques qui leur assurent une bonne image
médiatique. Le Département de la Haute Garonne soutient par exemple le « Festival de
Théâtre de rue de Ramonville » et le « Festival des Pronomades » et il a fortement contribué à
la création des Festivals « Jazz sur son 31 » et « 31 Notes d’Eté ».
Ainsi, comme le souligne Marie Déqué, adjointe à la Culture de la ville de Toulouse,
72
Site Internet du conseil général de la Haute Garonne
Pierre Moulinier, Les politiques publiques de la culture en France, p.78
74
Les dépenses culturelles de collectivités locales en 2002, Les notes statistiques du DEPS
73
56
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
les compétences culturelles du Département sont variables et peuvent être concentrées sur
certains projets très spécifiques :
« Le département se donne les compétences qu’il souhaite. Et le département il est
peu présent en général, par contre il peut être très présent en particulier. Vous voyez ce que je
veux dire ? Il est très présent mettons sur, je vais vous donner quelques exemples, mais c’est
eux qui pourraient répondre mieux que moi à ma place, mais ils sont très présents sur le Jazz,
sur le Théâtre Garonne qui est une scène dans le domaine du spectacle vivant qui est un peu
laboratoire innovant, ils sont très présents. Et ils sont très présents sur certaines réponses
musicales par exemple, ils soutiennent depuis très longtemps « Piano aux Jacobins », sur des
actions spécifiques où c’est de l’affichage. »75
En matière de jeune public, on ne trouve pas de politique spécifique menée par le
Département de Haute Garonne. On peut toutefois signaler le rôle de l’ADDA 31
(Association Départementale pour le Développement des Arts en Haute Garonne). Créée en
1974, l’ADDA 31 participe notamment au développement de l’éducation artistique,
majoritairement dans le domaine de la musique. Ainsi elle a mis en place des opérations telles
que : « Danse à l’école, danse au collège » (avec le soutien de l’Inspection académique de la
Haute Garonne et du conseil général), « Jazz au collège » (en partenariat avec le Rectorat),
« Enfance du Jazz » (sous l’égide de l’Inspection académique)…
La ville, un partenaire primordial dans la construction des politiques
culturelles
Dans la construction des politiques culturelles des villes, se trouve la nécessité de
construire, toujours à côté ou en tension avec les politiques artistiques du ministère de la
Culture, une légitimation supplémentaire compte tenu des aspirations diverses des différents
groupes sociaux. En effet, les villes cherchent à élargir la base sociale du public avec une
offre « conventionnelle », et en même temps à diversifier les contenus de la notion de culture
étant donné les diverses demandes issues de personnalités et d’un réseau complexe d’acteurs
locaux. Ainsi si « démocratisation de la culture » et « démocratie culturelle » entrent en
tension dans la politique culturelle nationale (la première option prenant généralement le
dessus sur la seconde), dans la politique de la ville, ces deux options trouvent un équilibre, et
on parle plus volontiers de « développement culturel ».
Marie Déqué, adjointe à la culture de la ville de Toulouse, souligne ainsi la
complexité de la construction d’une politique culturelle dans une ville accueillant une
75
Entretien avec Marie Déqué, adjointe à la Culture de la ville de Toulouse (voir annexe)
57
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
population aux attentes variées : « Il y a eu pendant des années une réponse plus patrimoniale
avec bon, c’était nécessaire, on devait faire un grand théâtre c’était très important, à l’endroit
où il a été fait en particulier, Les Abattoirs musée d’art moderne et contemporain c’était
essentiel parce que là aussi on était en retard, la bibliothèque Cabanis bien évidemment aussi
(…)Tout ça était très important sauf qu’en même temps, il y avait un vivier sur la ville de
Toulouse et des réponses qui n’étaient pas données parce que tout ne peut pas être possible à
la fois. (…) C’est d’abord ça Toulouse, c’est tout ce que je viens de dire, cette histoire qui est
importante, ce patrimoine qui est magnifique, ces réponses plus classiques et qui étaient
nécessaires : l’Orchestre, l’Opéra avec la dimension que l’on connaît, le spectacle vivant
aujourd’hui qui a vraiment ses lettres de noblesse parce qu’il rayonne en Europe. Mais il y
avait aussi les arts du cirque, les arts de la rue, les danses urbaines, les graffs, donc on a
acheté des friches pour y installer des compagnies aussi bien de danse contemporaine que de
musique actuelle, d’atelier d’écriture. »
La politique culturelle de la ville est le fruit d’une histoire longue qu’il semble
important de rappeler brièvement si l’on veut comprendre ce qui se passe aujourd’hui en
terme de décentralisation et de partage des compétences. Aujourd’hui la ville est considérée
comme un des acteurs essentiels des politiques culturelles aussi bien sur le plan financier que
sur celui des initiatives. En 2002, les villes de plus de 10 000 habitants consacraient en
moyenne 4,1 milliards d’euros à la culture (dont 3, 3 milliards en fonctionnement), et se
plaçaient ainsi à un niveau de dépenses très au dessus des autres collectivités.76 En 2002, en
moyenne, les villes de plus de 10 000 habitants consacraient 143,3 euros par an par habitant à
la culture.77 Cependant il est difficile de généraliser étant donné la complexité des formes
d’une ville et les variations qui existent d’une ville à l’autre. On peut tout de même souligner
3 éléments fondateurs :
- Une vie culturelle « traditionnelle » organisée autour des grandes institutions des
Beaux Arts, comme le musée, la bibliothèque, le théâtre hauts lieux de la sociabilité
bourgeoise des III° et IV° républiques. Une attention particulière est donnée à l’architecture
de ces bâtiments et à leur emplacement dans l’espace urbain. A Toulouse on peut penser
notamment au Théâtre du Capitole situé au cœur même de la ville et qui dépend
financièrement quasiment exclusivement de la ville.
- Une aspiration au partage culturel portée par les militants de l’éducation populaire
organisés en associations, à partir des années 30. Les élus y sont souvent réticents car il s’agit
76
77
Les dépenses culturelles de collectivités locales en 2002, Les notes statistiques du DEPS
ibidem
58
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
d’une aspiration au changement politique et au renversement des équilibres sociaux
traditionnels.
- Une action volontariste de l’Etat avec des fonctionnaires dynamiques qui jettent les
bases de l’accord entre ville et administration centrale. Jeanne Laurent notamment joue un
rôle crucial dans la mise en œuvre d’un travail de collaboration entre villes, militants culturels
et administration des Beaux Arts pour créer les Centres Dramatiques Nationaux dans les
grandes villes dès 1946. Cette action donne la possibilité aux villes d’avoir accès à une
création culturelle de qualité dont les normes sont fixées par l’Etat.
Les politiques d’équipement culturel de la ville ont également évolué. Jusqu’aux
années 1990, la politique culturelle de la ville apparaît plutôt comme une politique
d’équipement, le but étant d’avoir la gamme la plus large d’offre culturelle. Ainsi à Toulouse,
on peut citer la construction du Théâtre National ou de la médiathèque José Cabanis. La
politique culturelle se présente comme l’organisation de services en direction d’une
population aux besoins diversifiés mais cependant inscrits dans des modèles standards
d’équipement. L’activité culturelle urbaine est intimement liée à la taille de l’agglomération.
Le niveau de richesse par habitant n’a pas d’effet significatif mais c’est plutôt le niveau de
formation qui entre en jeu. La politique culturelle de la ville semble également être
« victime » du
« syndrome du Très Grand Equipement » 78 , une sorte d’obsession de la
grandeur. L’équipement doit occuper une grande place dans la communication municipale.
Mais les effets à long terme de ces opérations culturelles-urbanistiques restent controversées
(hausse des prix du foncier, gentryfication de l’espace). Il convient également de souligner le
fait que ces grosses structures absorbent souvent une grosse partie du budget réservé à la
culture. La culture représente pour la ville de Toulouse le 1er budget (17 % du budget global,
ce qui équivaut à 124 millions d’euros), la ville consacre ainsi 260 euros par an et par
habitants dans les dépenses culturelles. Cependant comme le souligne Marie Déqué, le budget
culturel de la ville de Toulouse, est en grande partie absorbé par les « gros paquebots » : la
Médiathèque, les Beaux-Arts, l’orchestre… ne laissent que peu de place.
Au sein de cette politique culturelle municipale, on peut se demander quelle est la
place accordée au « jeune public ». Marie Déqué, adjointe à la culture de la ville de Toulouse
souligne l’intérêt porté au jeune public :
« Donc les jeunes publics, bien sûr les jeunes publics, j’allais dire d’abord même si
c’est pas que d’abord. Parce que là aussi chaque établissement à un travail spécifique aussi
bien le Capitole que les Abattoirs, les « Zateliers », donc en direction des jeunes publics parce
78
Guy Saez, Institutions et vie culturelles, p.47
59
Anne Gablin
IEP Toulouse
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que ça nous paraît essentiel qu’il y ait une forte sensibilisation artistique d’abord et
l’éducation artistique que l’on souhaite de tous nos vœux, à partir du moment où elle peut être
mise en place avec l’établissement structurant. Parce que ça nous paraît essentiel. »
Le « jeune public » apparaît comme un secteur à défendre pour différentes raisons et
notamment, parce que, selon Marie Déqué, le jeune public d’aujourd’hui constitue le public
potentiel de demain : « Donc le jeune public, oui d’abord je dis pour la qualité que ça induit et
ensuite pour l’envie d’après (…) pour que eux-mêmes soient des publics de nos musées, de
nos théâtres, voilà, donc ça nous paraît essentiel l’action envers les jeunes publics. »
La mairie de Toulouse a mis en place récemment un Contrat Educatif Local (CEL)
qui participe à l’action en direction du jeune public, notamment dans le domaine de
l’éducation artistique. Le Contrat Educatif Local met en jeu plusieurs partenaires
institutionnels : Ministère de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la recherche, des
Sports, de la Culture et de la Ville. L’initiative revient à une commune, une autre collectivité
ou une structure culturelle. Il vise à mettre en œuvre un projet éducatif conçu par les différents
partenaires concernés par l’éducation des enfants et des jeunes et à rassembler les
financements de façon cohérente :
« Le contrat éducatif local, c’est un contrat qui est signé avec l’Etat pour essayer
d’accompagner les temps de l’enfance, sur les temps scolaires, périscolaires et extra scolaires.
La ville via les équipements scolaires intervient beaucoup dans le temps scolaire et extra
scolaire, peu sur le périscolaire, c'est-à-dire c’est le entre midi et 2 et autres, donc pour les
équipements de centralité c’est un peu difficile de les placer. Donc on est surtout sur l’accueil
extrêmement important durant le temps scolaire des équipements qu’ils soient les musées, les
bibliothèques, le Théâtre du Capitole, pour des visites et des ateliers guidés, en général. Donc
il y a par équipement, un référent éducatif dans chacun de ces équipements là, qui assurent
tout ce qui est l’animation. Mais ensuite il y a un grand développement de tout ce qui est
activité, stage, pendant les vacances scolaires, sur des thèmes reliés bien entendu au projet
culturel et aux collections de chacun de ces équipements. (…) C’est une organisation
prioritaire du contrat éducatif local que de travailler la relation avec les parents pour les
responsabiliser par rapport à l’éducation des enfants. Les musées en particulier ont des visites
contées et vraiment c’est une double direction jeune public et famille. »79
Il apparaît cependant très difficile de délimiter la part consacré au jeune
public dans le budget culture global. La municipalité lorsqu’elle subventionne des structures
culturelles n’indique pas une part « jeune public », et les structures culturelles elles mêmes
79
Danielle Soulet, lors de l’entretien avec Marie Déqué
60
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
n’ont généralement pas une logique analytique dans leur comptabilité et n’y distingue pas de
secteur « jeune public ».
Dans la construction d’une politique culturelle en direction du jeune public et dans la
mise en place d’action d’éducation artistiques, on s’aperçoit que l’Etat ne joue plus le premier
rôle. En effet, il est peu à peu devancé par les collectivités territoriales.
C. ETUDE DE L’OFFRE JEUNE PUBLIC A TOULOUSE
1. Un panorama de l’offre jeune public dans le domaine du spectacle vivant à
Toulouse
L’offre jeune public à Toulouse est assez riche. Elle est abondante et diversifiée. En
effet, on dénombre dans Toulouse une quantité importante de théâtres, plus ou moins grands
et au sein de ces théâtres, on peut quasiment toujours identifier une programmation jeune
public.
Pour essayer de dépasser cette première impression, il semble intéressant d’étudier
de manière comparative cette offre culturelle. Ainsi à travers les sites Internet des structures
culturelles, les plaquettes de programmation, on peut tenter de présenter de manière plus
complète des choix culturels et artistiques de ces structures.
Odyssud
Il s’agit du centre culturel de Blagnac. Et se présente comme un
lieu pluridisciplinaire.
« La saison des enfants : des spectacles buissonniers de 0 à 99
ans ! »
« Le spectacle pour enfants est aujourd’hui un genre à part entière.
Inattendu, hardi, inventif, il témoigne d’une grande liberté créative.
La richesse de cet art vivant est représentée cette saison par une
vingtaine de propositions artistiques, un tout nouveau festival, des
créations d’ici et d’ailleurs.
Illustration 3 : Affiche programmation
jeune public
Un vrai jardin des délices à déguster à tout âge avec les yeux, les
oreilles et le coeur ! »
61
Anne Gablin
IEP Toulouse
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Festival Luluberlu
« Pour la première fois, Odyssud offre le plaisir et l’émotion du
spectacle vivant aux plus jeunes spectateurs à travers un festival
qui leur est spécialement dédié. Cirque, chanson, danse, musique,
théâtre, arts plastiques et marionnettes, le festival Luluberlu est
une fenêtre sur la formidable vitalité et la diversité de la création
d’aujourd’hui pour l’enfance et la jeunesse. Il propose une
approche sensible de l’art et une ouverture sur le monde. C’est un
rendez-vous pris avec la poésie et l'invention, pour rire et pour
pleurer, pour s'esclaffer et fondre de plaisir. Petites et grandes
personnes pourront se réunir dans la joie commune de la
découverte et du partage de moments drôles et délicieux, tendres
et gourmands. »1
Illustration 4 : affiche Festival
Luluberlu
Le Théâtre National de Toulouse
Situé au centre de Toulouse, près de la place Wilson. Centre Dramatique National, il est
l’héritier de la politique de décentralisation théâtrale des années 1950. Lieu de création à
travers la troupe de l’atelier volant, il a aussi une
mission de diffusion.
Il propose une programmation jeune public variée.
D’une manière originale, cette programmation fait
largement appel au répertoire contemporain jeune
public. La découverte de ce répertoire est, de plus,
fortement
Illustration 5 : Le Petit Chaperon rouge
de Joël Pommerat
défendue
au
travers
des
actions
d’éducation artistique en partenariat avec les
écoles.
62
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Le Théâtre du Grand Rond
Petit théâtre situé rue des Potiers, quartier Place Dupuy
Ce « petit » Théâtre attire un public de plus en plus nombreux,
environ 35 000 spectateurs par an. Le lieu se veut avant tout
convivial et cherche à mêler néophytes et passionnés de théâtre et
de musique. Il programme de nombreux spectacles « jeune
public » toute l’année.
« Parce que les p’tits bouts sont un public à part entière et que la
culture est une partie inhérente de leur éducation, le Théâtre du
Grand-Rond est attaché à faire découvrir aux enfants différentes
formes artistiques. Ils s’apercevront que le théâtre ne se résume
Illustration 6 : Sacré Silence
pas seulement à raconter des histoires, mais qu’il peut se décliner
en danse, en clown, en jonglage, en conte et même être muet ! »80
La programmation proposée aux enfants est assez variée : marionnette, clown,
conte… « Dans le but d’éveiller leur curiosité mais aussi afin de proposer une discussion avec
les parents. »81
Le Théâtre du Pavé
Situé rue Maran, quartier Saint Agne
Le Théâtre du Pavé propose 3 spectacles « jeune
public » cette année. Identifiés dans la programmation sous
le nom « Les p’tits cailloux », les spectacles ont lieu pendant
la périodes des vacances scolaires.
Illustration 7 : Petit Monstre
80
Site Internet de la mairie de Toulouse
Questionnaire sur la programmation envoyée aux structures culturelles de Toulouse programmant des
spectacles « jeune public »
81
63
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Le Théâtre du Capitole
Place du Capitole, en plein cœur de Toulouse, cette salle est marquée par une histoire
riche et ancienne. L’Opéra, symbole même d’une culture élitiste, tente à travers la
programmation jeune public et les actions d’éducation artistique, de s’ouvrir à un nouveau
public.
On trouve sur le site du Théâtre du Capitole une section jeune public clairement
identifiée intitulée « Les Jeunes à l’Opéra ».
« A titre indicatif durant la saison 2005/2006 nous avons accueilli 9 852 jeunes lors
de 93 visites du Théâtre, 46 rencontres aux ateliers de fabrication de décors, 21 rencontres
pédagogiques, 12 répétitions générales, 3 stages de formation pour enseignants, 8 conférences
sur la danse et l’opéra et 17 spectacles spécialement conçus pour les plus jeunes. »82
Opéra
" Mettre en scène Hänsel et Gretel avec des chanteurs
d'opéra et des marionnettes est un vrai défi. Cela
nécessite une réécriture et une adaptation pour créer et
dessiner un monde imaginaire. Tout en restant fidèle à
l'œuvre originale, je me suis attaché à conserver la
diversité des thèmes musicaux mais j'ai introduit
quelques changements au niveau des personnages. J'ai
Illustration 8 : Hansel et Gretel
cherché à donner une nouvelle dynamique au spectacle afin
de mettre à la portée des enfants le monde merveilleux et fascinant de l'opéra. "83
Récital
« Découvrir une voix d'opéra et des œuvres du répertoire dans un
grand théâtre : voici les bases du projet éducatif que le Théâtre du Capitole
propose aux enfants à partir de 7 ans. Ainsi, en partenariat avec les
enseignants, le service éducatif guidera les enfants d'écoles primaires dans
l'exploration de la voix et de l'écoute. »84
Illustration 9 : Laurent Labarbe
82
Site Internet Théâtre du Capitole
ibidem
84
ibidem
83
64
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Danse
« Dirigé par Nanette Glushak, le Ballet du
Capitole guide les jeunes sur le chemin de la
découverte de la danse (son histoire, sa technique
et ses créateurs) en les conviant, accompagnés par
leurs
professeurs,
à
deux
spectacles/rencontres. »85
Illustration 10 : La musique qui
danse
Autour des spectacles
Sous le titre « les ficelles du spectacle », le Théâtre du Capitole propose un nombre
assez important d’accompagnements pédagogiques autour des spectacles : visite du Théâtre
du Capitole et de la Halle au Grains, rencontre avec les danseurs du Ballet, rencontre avec les
éclairagistes, les costumiers… Des dossiers pédagogiques sont également mis à disposition
des enseignants ou animateurs.
Le Théâtre du Pont neuf
Jeune pousse dans le paysage culturel toulousain, le
Théâtre du Pont neuf est le dernier-né à Toulouse.
Destiné à soutenir la richesse des créations à Toulouse,
il accueille également quelques spectacles « jeune
public » : théâtre, marionnettes et également chant.
Illustration 11 : Tribal voix
85
Site Internet Théâtre du Capitole
65
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Le Festival 1, 2, 3… en scène
« 1, 2, 3… en scène – animations socioculturelles ». Le festival de Théâtre
jeune public, proposé par le service de l’Animation Socioculturelle de la
Mairie de Toulouse se situe donc côté « socioculturel » plutôt que côté
« culture ».
Illustration 12 : Affiche Festival
1, 2, 3 en scène
Le Festival propose :
•
Des spectacles toute l’année dans les différents centres culturels et MJC de Toulouse.
L’Opéra jeune public « Hansel et Gretel » proposé par le Théâtre du Capitole est
également présent dans le programme. Les spectacles s’adressent à un public d’enfants
large : « dès 6 mois » pour les premiers spectacles jusqu’à « dès 13 ans » pour les
derniers.
•
Une programmation de courts métrages dans le cadre du festival « Séquence »
•
Des expositions sur des thèmes artistiques ou scientifiques
66
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Tableau récapitulatif de la place du jeune public dans quelques structures
culturelles de la ville de Toulouse
Programmation
Compagnies
TNT
Odyssud
Théâtre du
Capitole
Théâtre du
Grand Rond
Théâtre du
Pavé
Théâtre du
Pont neuf
Tarifs des
spectacles « jeune
public »
Nombre de
spectacles et de
représentations
« jeune public »
Part du « jeune
public » dans la
programmation
totale
4 spectacles
19 représentations
« en famille »
Le nombre de
spectacles « jeune
public » représente
environ 9% de la
programmation
totale
Moins de 13 ans : 6
euros
Plein tarif : 12
euros
Abonnement – de
13 ans (à partir de 3
spectacles) : 5 euros
Compagnies plutôt
régionales
4 compagnies « jeune
public » en résidence
7 spectacles
15 représentations
« familiales »
Le nombre de
spectacles « jeune
public » représente
environ 11,5 % de
la programmation
totale (le Festival
Luluberlu n’étant
pas pris en compte)
Enfants : 6 euros
Adultes : 9 euros
1 compagnie
espagnole pour
l’Opéra et le ballet du
Capitole pour la danse
5 spectacles (1
opéra, 2 récitals, 2
ballets)
3 représentations
en famille (pour
l’opéra
exclusivement)
Le nombre de
spectacles « jeune
public » représente
environ 24 % de la
programmation
totale
Enfants : 3,5 euros
Adultes : 10 euros
Compagnies
régionales
16 spectacles
130 représentations
« en famille »
Environ 33 % de
spectacles « jeune
public » dans la
programmation
totale
Enfants : 6 euros
Adultes : 12 euros
Réduit : 8 euros
Carnet 5 places : 20
euros
Compagnies
régionales
3 spectacles
18 représentations
20 % de spectacles
« jeune public »
dans la
programmation
totale
Centres de loisirs,
maternelles : 3,50
euros
Enfants : 6 euros
Normal : 6 euros
Compagnies
régionales et locales
11 spectacles
90 représentations
14 % de spectacles
« jeune public »
dans la
programmation
totale
5 euros : tarif
unique
Compagnies, auteurs
ou metteurs en scène
à une échelle
nationale, mais qui
jouissent tous d’une
certaine
reconnaissance dans
le secteur « jeune
public »
67
Anne Gablin
IEP Toulouse
Personnel
TNT
Odyssud
4 personnes
chargées des
relations avec le
public, chacune à en
charge une action
pédagogique en
particulier
La Secrétaire
Générale s’occupe
de la programmation
jeune public
1 personne chargée
de la programmation
jeune public et de
l’action culturelle
Actions annexes
Pièces à lire, pièces à
entendre
Parole vive
Tournoi théâtral des lycées
en Midi-Pyrénées
Les valises lecture
2006-2007
Scolaires
9 séances scolaires
Festival Luluberlu
« goûter buissonnier » après
les spectacles
47 représentations scolaires
Théâtre du
Capitole
1 personne chargée
de la programmation
jeune public et des
actions éducatives
Visites du théâtre
9 représentations scolaires
Théâtre du
Grand Rond
Personne n’est
spécifiquement en
charge du « jeune
public »
Un atelier théâtre pour
enfants
Intervention quelques écoles
Rencontre avec les artistes
40 représentations scolaires
Un atelier de théâtre pour
adolescents
Théâtre du
Pavé
1 personne chargée
de la programmation
« jeune public »
1 personne chargée
des relations avec
les scolaires
Théâtre du
Pont neuf
1 personne chargée
de la programmation
« jeune public »
Un atelier de pratique
théâtrale avec le Collège
Michelet
Rencontres avec les artistes
Pas d’informations
Le public scolaire représente
30% du jeune public
On peut noter que la programmation jeune public s’accompagne quasiment toujours
de rencontres, ateliers, goûters. Ce « package » constitue sans doute une des particularités de
la programmation jeune public dans les structures culturelles, que l’on ne retrouve pas
lorsqu’il s’agit du « théâtre pour adultes ». Les actions d’accompagnement sont assez diverses.
Le Théâtre du Capitole propose des visites de l’Opéra et également la possibilité d’assister à
des répétitions, il accueille ainsi 2 à 3 classes par jour, tous niveaux confondus. Cette quantité
de jeunes visiteurs tient notamment au lieu lui-même, puisque l’Opéra se présente comme le
lieu idéal pour observer différentes étapes de la construction d’un spectacle, qui se veut par
68
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
nature pluridisciplinaire. Le lieu, par son architecture même est également propice à une
journée de découverte pour un groupe scolaire. D’autres structures comme le TNT,
s’inscrivent plutôt dans l’optique de la construction de liens tenus avec certaines classes
(notamment avec le projet « Pièces à lire, pièces à entendre »), il s’agit dans ce cas de projets
s’étalant sur une année scolaire et qui associent la visite du Théâtre, le fait d’assister à
plusieurs spectacles, la participation à un atelier de lecture… Les théâtres de plus petite taille,
disposant de moyens financiers plus restreints, proposent généralement des rencontres avec
les artistes (de manière informelle la plupart du temps) et des ateliers de pratique théâtral pour
enfants (Théâtre du Grand Rond, Théâtre du Pavé).
On constate également que ce n’est pas nécessairement dans les Théâtres les plus
grands (TNT et Odyssud notamment) que le jeune public occupe une place conséquente dans
le volume de la programmation. En effet, c’est le Théâtre du Grand Rond qui offre la plus
grand place au jeune public au sein de sa programmation (33 %).
L’offre jeune public est assez diversifiée sur la ville de Toulouse et également au
sein même des structures culturelles. La marionnette est une forme que l’on retrouve assez
souvent : Hansel et Gretel au Capitole, Zapping Luppus à Odyssud, Aïa et le secret de la
Toundra au Théâtre du Grand Rond… il ne s’agit cependant pas du traditionnel théâtre de
Guignol auquel on peut penser, on pourrait plutôt parler de théâtre d’objets ou de théâtre de
marionnette contemporain. La danse au contraire joue une place assez faible, et la danse
contemporaine notamment est très peu présente, on peut citer tout de même Chiffonnade à
Odyssud, spectacle pour les tous petits (1-5 ans) qui fait appel au corps et à la matière. Le
recours au répertoire contemporain jeune public est assez faible, excepté pour le cas du TNT.
On trouve essentiellement des compagnies locales ou régionales dans la
programmation jeune public. On peut noter également qu’on retrouve certaines compagnies à
plusieurs reprises au cours de la saison, dans différents lieux. Ainsi le spectacle Os Court, par
la compagnie l’Agit, présenté au Théâtre du Pavé et également présent dans la programmation
du Festival Luluberlu. Il convient également de souligner que les structures reçoivent une
quantité très importante de propositions de spectacles jeune public. Le Théâtre du Pont neuf
dit recevoir une dizaine de propositions par semaine, ce Théâtre ayant ouvert ses portes au
début de l’année. Valérie Mazarguil, au Théâtre du Capitole dit recevoir des dizaines de mail
par jour pour des propositions de spectacles jeune public. Les structures culturelles font donc
face à la profusion de propositions de spectacles jeune public et finalement il semble que
seules quelques compagnies jouissent d’une reconnaissance suffisante pour être programmée
dans ces lieux.
69
Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
On peut également tenter d’établir des distinctions entre ces structures sur la base de
la programmation qu’elles proposent, tout en gardant à l’esprit que ces lieux sont très
différents du point de vue de la taille et des moyens financiers et humains, mais également du
point de vue de leur missions respectives. On trouve ainsi une offre qu’on pourrait qualifiée
de culture « cultivée » au TNT et au Théâtre du Capitole. Le TNT propose en effet des
spectacles qui font appel au répertoire contemporain jeune public et / ou qui sont associés à
une personnalité reconnue dans le monde du Théâtre en général : Joël Jouanneau et Joël
Pommerat notamment. Les « petits » théâtre comme le Théâtre du Grand Rond ou le Théâtre
du Pont neuf tentent de proposer une programmation diversifiée : conte, marionnette, chant…
mais qui est le fruit de compagnies plutôt locales. On trouve également une offre jeune public
rattachée au réseau socioculturel à travers « le Festival 1, 2, 3 en scène » dans les MJC de
Toulouse.
Certaines structures choisissent de distinguer clairement le « jeune public » du reste
de la programmation en lui donnant un nom : « Les p’tits cailloux » au Théâtre du Pavé, « le
petit rond » au Théâtre du Grand Rond… Dans certaines structures, on distingue du personnel
spécialisé dans la programmation et les actions en direction du jeune public : à Odyssud, au
TNT ou au Théâtre du Pavé par exemple. Cependant, plus qu’un choix d’ordre
organisationnel, le fait de ne pas avoir de responsable « jeune public » est souvent dû à un
manque de moyens financiers.
La plupart des structures culturelles proposent plus de représentations « en famille »
que de séances « scolaires », exceptés Odyssud et le Théâtre du Capitole.
En ce qui concerne la tarification, toutes les structures culturelles proposent un tarif
enfant autour de 5-6 euros et autour de 8-12 euros pour les adultes pour les spectacles jeune
public. Seul le Théâtre du Pavé propose un tarif unique à 6 euros pour les spectacles « jeune
public ».
2. Le rôle de l’offre culturelle en direction du jeune public dans l’attractivité de
la ville
Les rapports entre économie et culture et entre culture et territoire ont longtemps
étaient marqués par un sentiment d’inquiétude. Ainsi, pendant longtemps, on a pu noter une
tension entre la revendication d’autonomie des artistes et la crainte d’être inféodés à un
pouvoir extérieur. Longtemps les pressions des élus locaux ont été craintes des acteurs
culturels parce qu’ils avaient le sentiment qu’elles étaient motivées par des raisons extérieures
au monde de l’art. Dans le contexte de mondialisation et de néolibéralisme, la situation a
évolué, et a conduit à un rapprochement entre culture et économie. Les élus ont compris qu’ils
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Anne Gablin
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devaient laisser une marge de liberté aux milieux culturels locaux, et les milieux culturels sont
devenus moins réticents. Un accord politique a été établi pour continuer à subventionner la
culture dans la mesure où elle sert le développement local. Les villes constituent en effet un
véritable marché : festivals, équipements, disponibilités financières. Tout l’espace urbain
représente potentiellement une ressource culturelle, ainsi on assiste à des mouvements de
rénovation artistique des friches ou à l’installation de multiplexes en banlieue. Cependant ces
deux exemples ne répondent pas aux mêmes exigences sociales. On retrouve pourtant
aujourd’hui l’idée que la culture n’est plus monopolisée par le centre ville. Les villes
cherchent à façonner la meilleure image possible d’elles-mêmes et on assiste à la pénétration
de la « marketing geography » dans la planification culturelle. Les grandes villes tendent à
devenir des « heteropolis » compte tenu de l’héritage de la segmentation administrative
communale et sous l’effet structurant de la métropolisation. On assiste à un processus de
spatialisation monoculturelle fondé sur la ségrégation et l’isolement social. Comme le
souligne Pierre Bourdieu : « L’espace habité (ou approprié) fonctionne comme une sorte de
symbolisation spontanée de l’espace social. »86 Pour aller contre ce phénomène, la politique
de la ville tente de rénover l’action socioculturelle de proximité, de promouvoir les arts
urbains, les résidences d’artistes en quartiers difficiles. Mais souvent on note un manque
d’homogénéité de ces initiatives, dû notamment à la grande variété de problèmes et d’acteurs
culturels locaux.
Le niveau, la variété et l’intensité des équipements sont donc des facteurs
d’attractivité de la ville et participent à l’indice de qualité de la vie et à l’image de marque de
la ville. On note ainsi de fortes disparités entre Lyon, Nantes, Rennes… et Dunkerque,
Valenciennes, Metz.
On peut ainsi se demander quelle est la spécificité de l’offre « jeune public » dans
l’attraction de la ville. Si comme on l’a vu précédemment, la municipalité ne distingue pas de
secteur jeune public dans son budget culture global, elle peut cependant décider de soutenir
une structure ou un projet justement pour son travail en direction du jeune public :
« Nous avons accompagné de façon très visible, très vite d’ailleurs, un jeune théâtre
qui s’appelle le Théâtre du Grand Rond, parce qu’il était question que cet endroit ferme ses
portes, la ville s’est mobilisé immédiatement, on a pu éviter la fermeture, les autres
collectivités sont venues derrière mais on était le plus présent, on est encore, parce qu’ils ont
développé de façon très intéressante ces spectacles jeune public et c’est vraiment à ce titre là
86
Pierre Bourdieu, La misère du monde, p.160, cité dans l’article « Aménagement culturel du territoire »,
lexique du Ministère de la Culture
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Anne Gablin
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qu’on a pu ou su leur apporter des réponses en nous engageant pendant trois ans à leur donner,
en optimisant, selon les possibilités qui étaient les nôtres des subventions. »87
On peut penser que ce soutien n’est pas anodin. Une municipalité peut décider de
subventionner une structure culturelle parce qu’elle fait du jeune public lorsque l’offre dans ce
domaine est pauvre dans la ville. Cependant à Toulouse, l’offre jeune public est assez
importante, on peut alors penser que l’intérêt à soutenir le secteur jeune public se situe dans la
bonne image qu’il véhicule.
Les politiques culturelles de la ville influent sur les modes de vie, conditionnent
l’appropriation de leur espace par les usagers, les solidarités et les convivialités entre les
habitants. Elles peuvent contribuer à la lutte contre les isolements et la reconquête des
identités. La culture se situe donc au centre des choix qui doivent être faits pour la rénovation
du cadre bâti et des espaces de vie. Mais dans ces espaces, il y a un malentendu qui résulte
d’une politique culturelle ambivalente. D’un côté, on trouve les politiques de « centre-ville »
pour les institutions et les services et de l’autre on trouve une politique d’animation avec la
promotion de projets éphémères. Les deux cultures se côtoient mais se rencontrent peu.
Dans les années 60-70, on assiste au développement d’une nouvelle définition de la
citoyenneté intimement liée à la politique urbaine. Elle devient visible au sein de la politique
culturelle sous les traits du développement culturel des villes. On cherche à encourager les
individus à reconquérir l’espace urbain. Ex : renforcement des symboles d’appartenance à une
vile (animations culturelles, revalorisation d’espaces délaissés, multiplication de Festivals…).
Avec le mouvement néo-libéral, notamment, on assiste aujourd’hui à l’émergence d’un
conception plus restreinte et plus passive de la citoyenneté qui se confond avec le droit à la
consommation. Dans ce sens, la politique culturelle des villes dans les années 90, s’est
fortement attaché au concept de « qualité de vie » qui a souvent été réduit à la multiplication
d’avantages pour les classes aisées (croissance de l’offre culturelle…) Aujourd’hui se pose la
question d’une nouvelle voie pour les politiques culturelles urbaines, notamment à travers le
tissu associatif. Plusieurs questions se posent : comment permettre aux citoyens d’être
producteur d’information et pas seulement récepteur passif, comment aller dans le sens d’une
interaction sociale entre les différents groupes sociaux, comment aller contre la ségrégation
spatiale, comment permettre le développement de zones d’échange entre les différents
quartiers ?
87
Entretien avec Marie Déqué, voir annexe
72
Anne Gablin
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Au sein d’un territoire restreint, celui d’une ville par exemple, on s’aperçoit que la
culture joue un rôle majeur en terme d’attractivité. Si des politiques ont été mis en place afin
de favoriser un accès de tous à l’offre culturelle, on s’aperçoit cependant que la ségrégation
spatiale touche également le réseau des structures culturelles. Ainsi les « grands paquebots »
sont réservés au centre-ville et les structures culturelles s’établissant en périphérie sont
généralement gérées par les secteurs socioculturels de la ville. Il ne s’agit pas de dire que
l’offre culturelle « périphérique » est nécessairement de moins bonne qualité que celle que
l’on trouve en centre-ville, il s’agit seulement de souligner cette différence de vocabulaire qui
peut laisser supposer une différence de traitement en matière de subventions notamment. On
peut penser que les mouvements cherchant à établir des « nouveaux territoires de l’art »
seront capables de renouer avec les populations éloignées des centres-villes et redonneront
aux propositions artistiques qui leurs sont faites le statut « culturel ».
73
Anne Gablin
III.
IEP Toulouse
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DIFFERENTS ACTEURS POUR UNE DEFINITION COMMUNE DU
« JEUNE PUBLIC »
A. UN RESEAU D’ACTEURS
1. Le jeune public sous la pression de missions multiples
Le « jeune public » s’est construit, comme on l’a vu, au cours du XX° siècle
notamment, grâce à l’engagement d’artistes et d’enseignants volontaires. Si aujourd’hui on
admet qu’il existe bien un jeune public à part entière et qu’il est également possible de
délimiter un répertoire jeune public composé de textes de qualité, il semble que le spectacle
vivant jeune public soit encore en construction. Désigné bien souvent comme le parent pauvre
des politiques culturelles, le spectacle vivant jeune public est encore à défendre. Le très faible
engagement du Ministère de la Culture en sa faveur ne va pas dans le sens d’une définition
claire des missions de ce secteur. S’agit-il de former le public de demain afin d’aller contre la
désertification des salles de spectacle ? S’agit-il de rendre le Théâtre accessible à tous, de
permettre enfin cette démocratisation culturelle ? S’agit-il de former des citoyens capables
d’affronter le monde avec un regard critique et une autonomie de jugement ?
Comme le souligne Maurice Yendt, Président de l’ATEJ, dans Les Ravisseurs
d’enfants :
« On attend tout et son contraire du « théâtre pour enfants ». La création théâtrale
pour les jeunes spectateurs se voit confier d’étranges missions » d’intérêt général et supérieur.
Elle est désignée, mais c’est bien entendu « la faute à Stanislavski », comme le meilleur
moyen de changer à la fois le théâtre, les enfants eux-mêmes, l’école autant que possible, et,
pour faire bonne mesure, la société capitaliste… Entre deux missions suicides le « théâtre
pour enfants » doit, en plus, fabriquer à la chaîne et en qualité appréciable les spectateurs
nouveaux qui manquent au théâtre. Pour aujourd’hui, demain et après-demain…
D’exagération maximalistes en malentendus artistiques, de contradictions politiques en
dérives socio pédagogiques, on veut faire jouer au théâtre destiné aux jeunes spectateurs tous
les rôles possibles et imaginables. On confond allègrement animations socioculturelles et
théâtre de création. Tout et rien tend à devenir, dès qu’il y a un public d’enfants, du « théâtre
pour enfants ». Dans la plus allègre confusion des genres et des objectifs. Le militantisme et la
générosité humaniste pallient, plutôt mal que bien, l’absence de compétences artistiques. On
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fabrique à très bon compte, des spectacles disparates et dont les objectifs sont parfois
totalement étrangers à ce qui est essentiel à l’art du théâtre. »88
Dans cette multitude de définitions et de missions, qui ne sont pas nécessairement
contradictoires mais qu’on accole à la notion de « jeune public », plusieurs acteurs culturels
entrent en jeu. A travers un système de coopération, de partenariats mais aussi de tensions,
voire d’oppositions, ces acteurs culturels participent ensemble à la construction du secteur
«jeune public » au sein du champ culturel.
2. Un réseau d’acteurs culturels
Pour évoquer le rôle des « acteurs culturels » on peut se référer à l’article de Guy
Saez « acteurs de la culture » dans Le Dictionnaire des Politiques culturelles. Guy Saez
souligne que l’on parle « d’acteurs culturels » pour désigner « l’ensemble des individus, des
professionnels, des réseaux et des institutions qui se rattachent symboliquement et sur un plan
organisationnel au monde culturel, le constituent socialement et participent à la production et
à la diffusion des œuvres d’art et de la culture dans la cité. » Les politiques culturelles
résultent donc d’un système d’acteurs qui agissent au sein du champ culturel en fonction de
statuts, de rôles, d’intérêts, de critères spécifiques et de valeurs communes. Il est intéressant
de noter que les acteurs culturels prennent place dans un système où ils sont à la fois
producteurs et produits. Les acteurs culturels participent à un jeu dont les règles ne sont pas
équivalentes selon les joueurs et les époques de l’art. Ainsi ils doivent parfois respecter,
établir ou abandonner les normes, parfois les contester ou parfois les transgresser, parfois
collaborer ou s’opposer. Le champ culturel est traversé de multiples contradictions entre les
acteurs qui le composent. Cependant on peut noter qu’entre les acteurs de terrain il règne
souvent un esprit de solidarité, le sentiment d’appartenir à un milieu différent rassemblé
autour d’une certaine idée de la culture, ce qui n’exclut pas des conflits conceptuels et
politiques concernant le développement culturel. Les acteurs culturels, en fonction de leur
statut : artistes, médiateurs ou agents de l’administration, travaillent selon des logiques
différentes et interactives dans des processus de production et de diffusion de l’art et de la
culture.
Pour analyser les relations qui se nouent entre les acteurs culturels, Guy Saez
propose de combiner trois problématiques : celle de la coopération, celle de la domination et
celle de l’autonomie. Dans le cadre de ma recherche concernant les acteurs culturels évoluant
88
Maurice Yendt, Les ravisseurs d’enfants, p.39
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au sein du secteur jeune public, j’ai choisi de retenir, la problématique de la coopération et de
l’autonomie. Concernant la problématique de la domination, je parlerais plutôt d’une relation
d’ « influence réciproque », ce qui me paraît plus juste dans le cas du « jeune public ».
3. Le jeune public : un monde de l’art ?
Afin d’approfondir la définition que donne Guy Saez des « acteurs de la culture »,
on peut se référer à « la théorie des mondes de l’art » de Howard Saul Becker. Ce sociologue
américain, issu de l’Ecole de Chicago et de l’interactionnisme symbolique, étudie le secteur
artistique comme une action collective, un monde de l’art. Becker, aujourd’hui à la retraite, a
longtemps été musicien de jazz et photographe, ce qui peut expliquer l’intérêt profond qu’il
accorde à l’art dans son travail de recherche. Pour Becker parler d’art c’est parler de « monde
de l’art », c'est-à-dire « d’un réseau [constitué] de tous ceux dont les activités, coordonnées
grâce à une connaissance commune des moyens conventionnels de travail, concourent à la
production des œuvres qui font précisément la notoriété du monde de l’art ».89 Dans le cas du
spectacle vivant, et plus particulièrement de celui qui s’adresse au jeune public, la théorie de
Becker est particulièrement intéressante parce qu’un grand nombre d’acteurs important
entrent en jeu, comme le souligne Jean-Gabriel Carasso :
« Parce qu’elle est par nature, au centre de plusieurs réalités (l’éducation, l’action
culturelle, la création artistique, la politique culturelle de l’Etat, des collectivités locales…) la
question des relations du théâtre au jeune public est l’exemple même d’un secteur qui appelle
la coopération, la complémentarité entre de nombreux partenaires : professionnels, associatifs,
élus locaux, administration. »90
Pour que l’œuvre se réalise, une action collective est donc nécessaire. Cette action
collective est fondée sur la coopération et la coordination des acteurs, chacun réalise des
tâches régies par des conventions propres à chaque secteur. Si ces conventions sont
transgressées, alors on assiste à de la nouveauté, qui deviendra à son tour convention. On voit
ainsi de quelle manière le secteur est en perpétuelle construction et comment l’ensemble du
système participe à la naissance de l’œuvre.
Etudier le jeune public comme un « monde de l’art », c’est analyser le rôle de
plusieurs acteurs : le metteur en scène, le répertoire, les interprètes, les réseaux de diffusion,
les publics, les pouvoirs publics, les critiques… et les relations qui s’instaurent entre eux.
La théorie des mondes de l’art de Becker met l’accent sur la collaboration entre les
89
Howard Becker, Les mondes de l’art, p.22
Jean-Gabriel Carasso, cité par Christine Valla in Le spectacle vivant en direction des « jeunes publics » : une
réponse artistique à la question de l’enfance
90
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acteurs culturels, sans exclure leurs dissensions. La notion de « monde de la culture » ou
« monde de l’art » recouvre une hétérogénéité de mondes donnant chacun lieu à un système
d’acteurs particuliers évoluant dans un jeu de langage propre. Au-delà de la représentation
unitaire du champ culturel, il y a une segmentation disciplinaire forte et une grande variété de
structures organisationnelles. La distribution des rôles, le poids des divers types d’acteurs
culturels, l’organisation du leadership sont spécifiques de chaque champ artistique. Toute
position acquise peut se transformer en fonction de l’évolution des réputations et des
paradigmes esthétiques ou culturels qui structurent un milieu artistique et culturel donné.
« Le monde l’art est un monde social parmi d’autres, c’est un microcosme qui, pris
dans le macrocosme, obéit à des lois sociales qui lui sont propres. C’est ce que dit le mot
d’autonomie : c’est un monde qui a ses propres lois, dans lequel il y a des enjeux sociaux,des
luttes, des rapports de force, du capital accumulé. Mais tout ce qui advient dans ce champ,
capital, lutte, stratégies…revêt des formes spécifiques, originales qui n’ont pas naturellement
cours dans d’autres microcosmes et dans le macrocosme social dans son ensemble. »91
Guy Saez propose l’exemple de Chéreau, Lavaudant ou Meguish qui occupent
aujourd’hui des positions hégémoniques dans le monde du théâtre alors qu’ils occupaient hier
des positions de contestataires, en marge de ce champ. Peut-être seront ils demain des aînés
respectés mais moins influents. Quelques acteurs culturels ont une grande capacité de
mobilité à des postes stratégiques, de la direction d’un grand évènement ou d’une organisation
à celle d’une administration centrale. C’est le reflet d’une influence acquise grâce à leur
participation à une pluralité de réseaux professionnels et institutionnels. D’autres évoluent à
l’intérieur de milieux culturels ou artistiques plus ou moins nombreux selon la place qu’ils
occupent dans le système de la culture. Un DRAC par exemple est amené à fréquenter
beaucoup de mondes culturels : administration centrale, institutions territoriales… Dans un
monde de l’art particulier, peuvent se nouer de multiples jeux d’acteurs. Leur composition est
également mouvante. Un conseiller à la musique en région peut être successivement amené à
défendre des arbitrages budgétaires tenant compte de contraintes extérieures à son champ
d’intervention puis à se battre à l’intérieur de son administration pour imposer des
orientations favorables à son secteur, puis défendre des équilibres entre des courants
esthétiques et des milieux professionnels en fonction des critères qui ne sont pas admis par
l’ensemble des acteurs de la musique.
91
Pierre Bourdieu, Penser l’art à l’école, p.46
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4. Une typologie d’acteurs
On peut reprendre la typologie que Guy Saez réalise dans son article en essayant de
la compléter par les caractéristiques supplémentaires qu’engendre le secteur « jeune public ».
Il distingue ainsi plusieurs groupes d’ «acteurs culturels » :
Les artistes
Ils occupent une place centrale, notamment grâce à la bonne place qu’occupe l’aide à
la création dans les politiques culturelles. Dans le cadre du spectacle vivant, il s’agit des
comédiens, danseurs, marionnettistes… on pourrait également ajouter les metteurs en scène
dans cette catégorie. Ce sont eux qui interviennent dans tous les espaces de la création. Il
existe une variété des conditions et statuts des artistes. Par exemple, on peut distinguer un
directeur de scène nationale d’un directeur de compagnie non conventionnée, ou encore un
comédien pensionné d’un artiste soumis au régime de l’intermittence. En effet bien
qu’exerçant une activité similaire, ils ont des statuts très différents et évoluent dans des
milieux professionnels différents. On voit donc se dessiner une hiérarchie sociale marquée
entre ces catégories d’artistes, ce qui n’exclut pas la collaboration entre les uns et les autres.
Au sein de cette hétérogénéité, ce qui lie les artistes, c’est la création, l’œuvre comme un
référentiel commun. Mais ce consensus est le reflet d’une époque. Qu’en sera-t-il demain ? Le
Piccolo (supplément consacré au jeune public et publié par La Scène) recense 500
compagnies travaillant en France en direction du jeune public (tout genre confondu : théâtre,
danse, marionnettes…). Les artistes évoluant dans ce secteur sont bien souvent soumis à des
conditions de travail très difficile. Pourtant au sein du secteur jeune public, on pourrait encore
établir des sous divisions. Certains metteurs en scènes, écrivains, compagnies se sont peu à
peu distingués au sein de ce secteur. Ils conviendraient par exemple de distinguer les
« petites » compagnies locales qui jouent dans des « petites » structures, des compagnies plus
importantes nationales ou étrangères qui occupent les programmations des scènes nationales.
De plus certains metteurs en scènes, certains comédiens travaillent occasionnellement pour le
jeune public alors que d’autres y travaillent exclusivement, on peut penser que leurs
approches seront différentes. Le choix de s’adresser au jeune public peut être revendiqué ou
non. Certains spectacles dits « tout public » s’adressent parfaitement à un public d’enfants.
Ainsi, le TNT à Toulouse programme cette saison deux spectacles de Michel Laubu (Turak
Théâtre), Intimae et Depuis hier 4 habitants. Ces deux spectacles, qui sont de l’ordre du
théâtre d’objets, et qui font appel à un univers très poétique sont répertoriés dans la catégorie
« Métamorphoses » et pas « Jeune public », cependant dans la salle, on pouvait observer un
grand nombre d’enfants et en effet les spectacles se prêtaient très bien à un public jeune. Dans
78
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la catégorie des « artistes », on peut ajouter le rôle de l’auteur. Comme on l’a vu le spectacle
vivant jeune public ne fait pas toujours appel à un texte, même si un véritable répertoire jeune
public se constitue peu à peu. Pour le moment ce répertoire reste minoritaire, puisque comme
le note Nicolas Faure, on ne recense que 8 % des spectacles jeune public qui font appel aux
textes édités en direction du jeune public et environ 56 % des spectacles jeune public sont des
créations. 92 Cette tendance distingue clairement le jeune public du spectacle « pour adultes ».
C’est bien souvent le metteur en scène qui joue le rôle de l’auteur dans la création. Cette
faible utilisation du texte peut s’expliquer par des raisons historiques, il n’y a pas
véritablement de tradition du texte pour le jeune public. On trouve également des raisons
structurelles, le jeune public étant un secteur étroit et spécifique. Comme le note Nicolas
Faure « Ce secteur ne connaît pas le vedettariat (…) les noms des créateurs ne sont peut-être
pas assez connus du grand public pour susciter le désir d’aller voir le spectacle. » 93 Il existe
peut-être également des raisons artistiques, le répertoire jeune public étant contemporain, il
est parfois difficile à appréhender pour le metteur en scène. Ainsi, Catherine Anne, directrice
du Théâtre de l’Est Parisien défend fortement l’écriture contemporaine jeune public, en
programmant des spectacles comme Le Petit Chaperon Rouge de Joël Pommerat, Le Marin
d’eau douce de Joël Jouanneau…
Les professionnels de la médiation, les réseaux et les syndicats
Ils interviennent dans le processus culturel entre l’œuvre et le public mais ne forment
pas un ensemble cohérent. En effet, on y trouve aussi bien les corporations professionnelles
définies statutairement, que des opérateurs chargés de manager des projets artistiques et
culturels… Leurs stratégies dépendent de leurs places au sein du champ culturel et des
logiques professionnelles auxquels ils se rattachent. Ainsi ils agissent à travers des réseaux
formels et informels ou à travers des syndicats qu’ils animent. Certains ont un pouvoir
important car ils conçoivent la programmation de leurs structures avec une large autonomie.
Au niveau local ou national, certaines personnalités apparaissent aujourd’hui comme des
« experts » du jeune public. A Toulouse, on peut citer notamment Laurie Marsoni, secrétaire
général du TNT, qui s’occupe notamment de la programmation jeune public au sein de ce
Théâtre. Au niveau national, il conviendrait de citer les directeurs des Centres Dramatiques
Nationaux ou des Théâtres qui développent une part importante de leur programmation pour
le jeune public, voire qui ce sont spécialisés dans ce domaine : Le Théâtre Jeune Public de
Strasbourg dirigé par Grégoire Callies, Le Théâtre Nouvelle Génération dirigé par Nino
92
93
Nicolas Faure, Pourquoi une si faible part du texte édité dans les spectacles jeune public ? p.2
ibidem
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d’Introna (qui succède au CDNEJ dirigé par Maurice Yendt), L’Arche – scène conventionnée
pour l’enfance et la jeunesse à Bethoncourt, dirigé par Laurent Coutouly…
Les associations
Hors secteur public, elles sont le principal moyen de mise en œuvre des activités
culturelles. Bien qu’elles aient un statut juridique identique, elles répondent à des logiques
d’acteurs différentes. En ce qui concerne le secteur jeune public, on peut citer deux
associations très actives et qui bénéficient d’une certaine reconnaissance auprès des pouvoirs
publics. Il s’agit tout d’abord de l’ATEJ (Association du Théâtre pour l’Enfance et la
Jeunesse) qui cherche à « favoriser l’accès du plus grand nombre d’enfants et de jeunes, en
tant que spectateurs à part entière, à une culture théâtrale de qualité. »94 En tant que Centre
Français de l’ASSITEJ (Association Internationale du Théâtre pour l’Enfance et la Jeunesse),
l’ATEJ jouit également d’une reconnaissance mondiale. Enfin, on peut citer le rôle de
l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale) qui joue un rôle
majeur dans la défense de l’éducation artistique. Fondée en 1983 et présidée par Joël
Jouanneau, l’ANRAT est soutenue par les ministères de l’Education Nationale et de la
Culture. Elle travaille également de plus en plus avec les collectivités territoriales.
Les institutions artistiques et culturelles
On trouve une grande variété d’institutions, des grands établissements publics
nationaux aux institutions territoriales. Leur direction est un enjeu sensible pour les décideurs
publics et les professionnels font l’objet de tractations parfois compliquées. En tant que lieu
de programmation, elles participent activement à la reconnaissance des artistes selon la
notoriété ou le label dont elles bénéficient. Les institutions culturelles accordent une place
variable au jeune public. En moyenne, trois spectacles « jeune public » sont programmés dans
les Centres Dramatiques Nationaux, ce qui constitue une part assez faible dans la
programmation globale. La difficulté étant que souvent, la programmation jeune public
s’accompagne d’action culturelle et qu’il est très difficile pour les structures culturelles
d’avoir une programmation jeune public large tout en gardant une qualité d’accueil et
d’accompagnement nécessaire en ce qui concerne le jeune public.
94
Site Internet de l’ATEJ
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Services et cadres culturels de l’Etat
L’Etat incarne encore dans le système culturel pour beaucoup de personnes une
garantie de qualité, de neutralité relative et de liberté. Les services culturels de l’Etat ont un
pouvoir décisif en terme de réglementation, de classement, de financement, de coordination,
de labellisation, de contrôle et d’évaluation. Cependant, si une grande part des référents qui
organisent les politiques culturels trouve leur source au niveau de l’Etat, si les directions
centrales du ministère aspirent encore à un rôle de magistère dans l’orientation des politiques
culturelles, celui-ci est contesté par les agents des services déconcentrés et par les collectivités
territoriales. L’économie du secteur du spectacle vivant jeune public ne permet bien souvent
pas aux compagnies d’assurer un équilibre financier. Les financements publics doivent donc
permettre d’aider les compagnies dans leur travail de création et d’aider les structures dans
leur travail de diffusion. Malheureusement si l’Etat participe financièrement au
fonctionnement de certaines « grosses structures » (Centres Dramatiques Nationaux, Scènes
nationales, Scènes conventionnées), les diffuseurs et les compagnies les plus modestes
doivent souvent compter sur l’aide exclusive des collectivités locales. Les changements de
volonté politique ne participant pas à la pérennisation financière du travail de ces groupes.
Elus, cadres territoriaux et collectivités territoriales
Ce groupe représente le 1er financeur de la culture, la ville notamment joue un rôle
essentiel. Ainsi les élus et les cadres territoriaux ont acquis la place majeure dans le
développement culturel, notamment avec la décentralisation. Ils sont les interlocuteurs
puissants face aux représentants de l’Etat, aux professionnels ou aux artistes. De plus le
mouvement de territorialisation des politiques culturelles signifie l’avènement des systèmes
locaux auxquels prennent part les acteurs culturels du territoire. On peut noter que, pour des
raisons parfois diverses, les élus locaux et les cadres territoriaux sont favorables à la politique
culturelle en direction du jeune public et représentent donc des acteurs importants dans la
constitution de ce secteur.
Les évaluateurs
Il s’agit des intellectuels, des instituteurs, des chercheurs, des experts… ils prennent
part activement à la construction du jugement esthétique, à la réflexion sur l’organisation des
politiques culturelles. Ils sont présents dans de multiples intervalles entre les artistes et les
responsables institutionnels et animent le débat public. On a pu noter que le secteur du jeune
81
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public reste encore très peu pénétré par le travail des critiques, il est en effet peu reconnu par
les médias et donc peu connu du grand public. On peut toutefois noter la présence sur France
Culture d’une émission hebdomadaire « Jusqu’à la lune et retour » consacrée à l’actualité des
spectacles pour enfants et adolescents et de la littérature jeunesse. On constate également
l’émergence de nombreux magazines concernant les activités culturelles proposées aux
enfants dans les villes et destinés aux parents. Ainsi, depuis 2002, le magazine « Kariboo » se
consacre à l’actualité culturelle et artistique des 0-12 ans sur la ville de Toulouse. Cependant,
ce sont les enseignants qui jouent en premier lieu le rôle d’évaluateur. De même, en ce qui
concerne le texte, les nouveaux auteurs n’ont pas encore reçu l’approbation de l’institution
scolaire (le texte de théâtre contemporain jeune public étant très peu étudié en classe), ni par
les parents, qui constituent les principaux prescripteurs.
Les publics
Ils ont aussi une fonction d’évaluateurs et incarnent une instance de légitimation. On
trouve une pluralité de publics et donc une variété de l’offre culturelle et une complexification
des stratégies d’intervention publique. Dans le cas du jeune public il est intéressant de noter
que le public est double comme on l’a vu précédemment, face à un spectacle jeune public on
trouve le public d’adultes et le public d’enfants. On peut aussi noter, comme on l’a vu
précédemment que l’enfant lorsqu’il va au théâtre ne choisit pas d’y aller, ou très rarement.
On n’observe pas de démarche volontaire de participation comme dans le cas d’un spectateur
adulte. A côté des traditionnelles « matinées scolaires », on observe de plus en plus de séances
« en famille ».
Ainsi, c’est l’association, à géométrie variable de ces différents acteurs placés dans
une situation de négociation, d’alliances et de conflits dans l’univers culturel donné qui fait
système et lui donne tout son sens. On peut alors étudier les relations qui se tissent entre les
différents acteurs du secteur jeune public, des relations qui vont du partenariat, à la recherche
d’autonomie en passant par l’apparition d’influences réciproques, dans la définition du jeune
public. Ainsi on peut se demander comment ces différentes visions participent à une
définition commune du « jeune public » et de quelle manière elles la font évoluer.
Différents acteurs entre donc en jeu dans la construction du spectacle vivant jeune
public. Il convient à présent de voir de quelle manière ils entrent en relation dans cette
construction.
82
Anne Gablin
IEP Toulouse
A. LE
JEUNE
PUBLIC
:
AU
COEUR
2006-2007
D’UN
NECESSAIRE
TRAVAIL
DE
COOPERATION
1. La relation enseignant / artiste, vers une définition commune de l’éducation
artistique ?
La notion de partenariat entre l’enseignant et l’artiste se situe au cœur des processus
d’éducation artistique et culturelle, c’est-à-dire de la formation artistique des jeunes. Il est
nécessaire de rappeler ce qu’est le partenariat et de s’interroger sur son état actuel. Sachant
qu’il permet de distinguer très clairement ce qui relève de l’éducation artistique de ce qui se
rapporte aux enseignements artistiques proprement dits dans le cadre scolaire, quelle place lui
est faite aujourd’hui au sein de l’école ? Le partenariat avec les artistes est la condition
première de l’éducation artistique. Il doit cependant faire l’objet d’examens réguliers afin d’en
interroger les formes, les modalités et les contenus :
•
Quelles complémentarités fonctionnelles dans le couple partenarial ?
•
Quelle définition synthétique peut-on donner du rôle de chacun ?
•
Peut-on être partenaires dans un projet sans avoir participé conjointement à son
élaboration ?
•
Chaque partenaire connaît-il les objectifs professionnels de l’autre ?
•
Peut-on envisager des formes et des durées partenariales variables en lien logique avec
les projets et leurs objectifs partagés ?
•
Comment articuler des partenariats de type artistique avec des partenariats de type
culturels ?
Dans la construction de ce qu’est le « jeune public », la relation qui se noue au sein
du couple enseignant / artiste apparaît essentielle. Cependant cette relation n’est pas simple et
peut parfois être source de tensions, l’un des partenaires cherchant à se substituer à l’autre. Or
le comédien n’est pas nécessairement un bon professeur de théâtre et l’enseignant n’est pas
nécessairement capable d’animer un atelier de pratique théâtrale.
« Même si des progrès ont été accomplis, l’incompréhension, voire la méfiance,
règne encore entre les artistes et les enseignants, qui ne comprennent pas les rituels, les
repères, les modes de pensées des uns et des autres. Les rencontres que j’ai organisées m’ont
montré que la plupart du temps chacun reste sur la défensive. » 95
Cependant il semble que cette relation soit indispensable lorsque l’on parle de
95
Le Cahier de l’ONDA, n°30
83
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IEP Toulouse
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« jeune public ». En effet l’éducation artistique passe avant tout par l’école et c’est
l’enseignant notamment qui peut choisir d’ouvrir l’institution scolaire sur le champ artistique.
« Il me semble primordial que les artistes franchissent le sanctuaire de l’école et que
les professeurs préparent les élèves à voir les oeuvres, à goûter la langue, musicale, poétique,
picturale… L’école est le lieu capital d’une transmission qui ouvre chaque sphère de l’art sur
ces référents historiques et culturels. Les médiateurs occupent une place privilégiée puisqu’ils
passent beaucoup de temps avec les enfants. L’initiation devrait s’appuyer sur des partenariats
actifs, inscrits dans la durée, entre l’Éducation Nationale et les institutions culturelles –
théâtres, musées, bibliothèques… Amoindrir la place des enseignements artistiques au profit
des matières fondamentales, comme dans l’actuel dispositif, traduit une incompréhension très
dommageable de la relation de complémentarité entre le poète et le savant qui coexistent dans
le devenir humain. « Sauvons l’alchimiste sous l’ingénieur » clamait Bachelard ! »96
Cependant pour que la rencontre entre ces deux partenaires soit fructueuse, il est
indispensable de construire le projet à deux. En effet, les deux partenaires n’ont pas
nécessairement les mêmes objectifs.
« En amont du projet, il est souhaitable que l’enseignant et l’écrivain se concertent
sur la nature du projet et sur les attentes réciproques. »97
Evelyne Massoutre souligne qu’au-delà du couple enseignant / artiste, c’est une
relation triangulaire entre l’enseignant, l’élève et l’artiste qui se crée avec la venue de l’artiste
à l’école.
« Vous travaillez en étroite collaboration avec les enseignants ?
En intervenant dans les classes maternelles, nous avons un rôle important à remplir à
leurs côtés, ce qui ne signifie pas que l’apport artistique se réduise à l’aspect éducatif. Notre
action vise à favoriser la découverte des oeuvres autant par les enfants que par les instituteurs.
Le triangle ainsi formé constitue le vecteur de la sensibilisation, voire de la formation, qui
peut s’appuyer sur l’intervention d’artistes dans la classe. Nous organisons par exemple des
rencontres pédagogiques en amont des spectacles. Pour Morphée, la compagnie Si… a ainsi
animé des ateliers dans l’enceinte scolaire, impliquant les élèves et enseignants dans le
processus de création. Une telle démarche engendre des expériences humaines très fortes. Elle
vient bouleverser l’ordre habituel, et notamment la place et l’autorité de l’instituteur qui se
trouve lui aussi en position d’apprentissage. »98
La venue de l’artiste à l’école entraîne une transformation dans le rôle de
96
Le Cahier de l’ONDA, n°30
Jean Claude Lallias, Conseils de travail à propos des projets artistiques et culturels avec des écrivains de
théâtre
98
Evelyne Massoutre, Le Cahier de l’ONDA, n° 30
97
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l’instituteur et peut ainsi permettre une nouvelle approche dans la relation avec l’élève.
« Toute intervention dans une classe ou avec un groupe est différente d’une autre.
Chaque rencontre est unique. Il ne s’agit pas de codifier les échanges de manière rigide mais
de donner les moyens d’instaurer une confiance mutuelle et de configurer les désirs de
chacun. »99
Patrick Even synthétise les difficultés de ce partenariat et la nécessité d’une
formation au préalable pour les deux partenaires.
« Pour les ateliers il y a sans doute tous les cas de figure. L’idéal c’est qu’il y ait
d’abord une élaboration conjointe du projet, ça c’est pas toujours le cas. De faire aussi que les
deux co-animent, mais en général ça se passe bien. Surtout qu’il y a eu le stage « l’art et la
manière » depuis un certains nombres d’année au Nouveau Théâtre d’Angers, donc les gens
savent faire. Les deux dérives que l’on voyait c’est le comédien qui fait tout et le prof qui
regarde bien poliment jusqu’à la fin de l’heure ou alors le comédien très autoritaire qui laisse
peu de place au prof, j’ai eu quelques cas comme ça à régler. Des petits problèmes comme ça
des fois où on voit que le comédien a envie d’arriver à un produit, à un travail exemplaire et
du coup on ne fait pas beaucoup appel à la créativité des élèves. Une autre dérive c’est les
comédiens qui ont 20 élèves dans un atelier et qui en font travailler 3 dans l’heure. C’est plus
des dérives liées à la personnalité, à un manque de formation je crois, de part et d’autre. Si on
essayait de problématiser un peu, je crois qu’il y a parfois un manque de connaissance des
deux d’où l’intérêt de se pratiquer même pendant l’élaboration du projet. Parce que souvent le
prof fait appel à quelqu’un et la découverte de ce quelqu’un se fait pendant la première séance
avec les élèves (…) Et puis il y a un besoin de formation de part et d’autre. »
Ainsi, la mise en place de stage de formation du type « L’art et la manière
d’intervenir en milieu scolaire » au Nouveau Théâtre d’Angers permet d’améliorer le travail
enseignant / artiste. Ce stage aborde des points théoriques sur des points de jeu, des temps de
réflexion sur les pratiques et des travaux pratiques d’animation au sein du groupe et avec des
élèves. L’ANRAT, évoquant la question de la formation, propose un système de certification
complémentaire pour les enseignants et les artistes. 100
Emilie Pradère au TNT, au sujet du projet « Pièces à lire, pièces à entendre souligne
l’importance et la complémentarité des deux partenaires dans la réussite du projet :
« Dans pièces à lire, ils ont un rôle aussi important l’un que l’autre, qui n’est pas du
tout le même au niveau de la durée, où on va avoir un comédien qui va intervenir 4 fois dans
99
Jean Claude Lallias, Conseils de travail à propos des projets artistiques et culturels avec des écrivains de
théâtre
100
ANRAT, L’éducation artistique : une responsabilité démocratique
85
Anne Gablin
IEP Toulouse
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l’année, finalement c’est peu et l’enseignant qui toutes les semaines, de façon beaucoup plus
régulières va travailler avec les élèves, donc ils n’ont pas en terme de temps le même
investissement, mais ce sont 2 rôles très important. Après je crois que pour les élèves mais
aussi pour l’enseignant, l’enseignant a besoin d’un regard extérieur mais même pour des
raisons techniques, c'est-à-dire que le comédien quand il fait une intervention il va venir en
classe, il va travailler sur le texte en cours ou sur un nouveau. (…) Et il y a aussi l’avantage de
côtoyer un artiste parce que les enseignants ils font beaucoup, on leur demande beaucoup,
mais ils ne sont pas tous des artistes. Donc ce qui est riche c’est ça, l’artiste il est et l’artiste et
le pédagogue. Il va venir en soutien de l’enseignant. Pour moi ça me paraît assez clair. »
On peut développer l’exemple d’un dispositif spécifique : l’enseignement de
spécialité théâtre. Il s’agit d’un partenariat pédagogique entre des enseignants de
l’établissement et des professionnels du théâtre. L’Education nationale accorde des décharges
horaires aux enseignants responsables et la DRAC choisit et subventionne les intervenants
culturels. L’enseignement de spécialité théâtre constitue l’une des premières disciplines
scolaires à faire intervenir, dans les cours et l’évaluation, des personnes extérieures à
l’institution scolaire. Dans le cadre de cette option, le partenariat est inscrit structurellement.
L’option théâtre existe depuis plus de 20 ans et a résisté à de nombreux autres dispositifs et
réformes scolaires. Le « BAC théâtre » a été expérimenté à partir de 1984, puis officialisé en
1986. Finalement, le premier baccalauréat théâtre a eu lieu en 1989. Au sein de cet
enseignement de spécialité théâtre, on peut étudier de quelle manière se noue la relation entre
l’enseignant et l’artiste. Ont-ils tout d’abord des objectifs communs dans la mise en œuvre de
ce projet ?
« Le credo des enseignants et comédiens partenaires s’inscrit sans ambages dans la
lutte contre la culture de masse. C’est en effet un même dessein qui les anime : celui de
convertir les élèves au bon goût théâtral loin selon eux de la « vulgarité du boulevard » et des
« dangers de la Star ac’ » où l’on donne « le goût du théâtre, le goût des bons spectacles en
tant que bon spectateur. »101
Alors qu’on a souvent tendance à souligner l’altérité qui se crée entre l’enseignant et
l’artiste, Claire Lemêtre présente les fortes régularités sociologiques qui existent entrent les
deux. Ainsi, les comédiens qui interviennent sont souvent proches du champ scolaire : enfants
d’enseignants, anciens enseignants ou issus du mouvement « théâtre – éducation », ils sont
donc marqués par une proximité héritée et / ou directe avec le champ scolaire. Ainsi, on peut
mettre fin au mythe de l’artiste en rupture avec le monde scolaire. « Ces comédiens ont ainsi
101
Claire Lemêtre in Assises Nationales de l’Education artistique théâtre / spectacle vivant, p.22
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en eux des dispositions qui leur permettent de décoder les codes de cette institution et par
conséquent d’y travailler ». 102
De la même manière, en ce qui concerne les enseignants, on peut souligner qu’ils ne
s’engagent pas tous dans des projets d’éducation artistique et que l’orientation de certains vers
ce domaine n’est pas le fruit du hasard. Au départ il s’agissait d’enseignants qui quittaient
volontairement leur discipline d’origine (partiellement ou totalement) pour en créer une
nouvelle. Il s’agissait d’inventer une nouvelle forme scolaire, d’enseigner autrement. Claire
Lemêtre distingue ainsi deux idéaux-types : « l’enseignant engagé » et « l’enseignant
culturel ».
- « L’enseignant engagé » : ex-soixante-huitard, militant de nouvelles pédagogies, de
l’éducation populaire… c’est le profil des enseignants fondateurs. « Ces enseignants
fondateurs trouvent à s’engager, autrement dit à engager leurs dispositions politiques,
pédagogiques et comportementales dans un nouvel espace scolaire où tout est à inventer. »103
- « L’enseignant culturel » : il n’est pas moins engagé que «l’enseignant engagé »
mais son engagement est ailleurs. En effet il s’identifie plus au monde culturel, qu’au monde
scolaire. Il s’agit pour lui d’introduire un goût pour un art dans son enseignement. C’est
également parfois l’occasion de réactualiser une pratique artistique développée auparavant.
« Travailler dans cette option théâtre permet ainsi à l’enseignant culturel de concilier vie
professionnelle et aspiration artistique en dégageant des profits symboliques à travers le
côtoiement des artistes. »104
Ainsi la rencontre entre ces deux partenaires n’est pas anodine et les deux ne sont pas aussi
antagonistes qu’on peut souvent le croire. « Il convient de remarquer que chacun des
partenaires, qu’il soit comédien ou enseignant, est porteur de dispositions culturelles et
sociales qui le placent aux limites de son propre champ social d’appartenance. C’est cette
position excentrée commune qui va favoriser corrélativement le rapprochement. »105
Enseignant et artiste, à travers un travail de coopération participent donc ensemble à
définir les missions de l’éducation artistique et participent à la rencontre de deux mondes, de
deux champs sociaux.
2. Quand l’école investit le Théâtre : l’appropriation du lieu culturel
Malraux comparait, en 1966, les toutes nouvelles Maisons de la Culture à des
cathédrales : « La Maison de la Culture est en train de devenir – la religion en moins – la
102
ibidem
ibid.
104
ibid.
105
ibid.
103
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cathédrale c'est-à-dire le lieu où les gens se rencontrent pour rencontrer ce qu’il y a de
meilleur en eux. »106 L’idée de « cathédrale » renvoie à quelque chose qui serait de l’ordre du
sacré, du spirituel, Malraux y voit également l’image du lieu de rassemblement. Mais la
cathédrale c’est aussi l’architecture monumentale, c’est ce qui est de l’ordre du gigantesque.
L’image de la cathédrale pour figurer le théâtre, peut nous renvoyer à l’idée d’une barrière
symbolique à franchir lorsque l’on passe la porte d’un théâtre.
L’Opéra, peut-être plus que le Théâtre a longtemps été le lieu où au-delà de venir
voir un spectacle, il s’agissait pour le public de se donner en spectacle. Aller à l’Opéra c’était
également avoir la possibilité d’être vu. Le Théâtre du Capitole à Toulouse apparaît encore
aujourd’hui comme un lieu prestigieux, doté d’une architecture empreinte d’histoire. Le
Théâtre Nationale de Toulouse, bien que beaucoup plus moderne dans son architecture, ne
reste pas moins un lieu impressionnant pour celui qui n’a pas été habitué à ce genre d’espace.
Au-delà de l’éducation artistique qui entend permettre de faciliter l’accès de tous à l’art, il
s’agit également de rendre l’accès au bâtiment en lui-même plus facile.
Le mouvement de récupération d’espaces délaissés (friches, squats) en zones
urbaines peut permettre de rompre avec la vision d’un « centre ville-musée ». Dans certains
cas, il s’agit de revaloriser des territoires périphériques et d’instaurer une liaison plus étroite
entre des artistes, des habitants et des politiques d’aménagement urbain. Les milieux culturels
parlent alors des « nouveaux territoires de l’art ». On peut citer l’exemple de La Friche – La
Belle de Mai à Marseille qui s’est installé au cœur du III° arrondissement depuis 1992 dans
l’ancienne Manufacture des Tabacs de la Belle de Mai. L’association Système Friche Théâtre
travaille ainsi depuis les années 1990 à tisser des liens entre création artistique et population :
"Favoriser l’accès à la culture en donnant accès aux enjeux de la création ;
transmettre et échanger des connaissances entre partenaires artistiques, opérateurs culturels
enseignants et acteurs sociaux ; ne pas simplement juxtaposer des savoirs instrumentalisés,
mais construire du sens et réellement travailler à la démocratisation de l’accès à la culture et
au monde des possibles. Enfin, créer des rencontres avec les trajets de création qui se mettent
en place à la Friche la Belle de Mai".107
Depuis 2002, La Friche a développé un projet plus spécifique avec une classe de
primo arrivants d’une école du quartier de la Belle de Mai. Un travail d’écriture accompagné
par Armand Gatti a ensuite donné lieu à un DVD et un recueil de poèmes, écrits par les élèves,
et publié par Les éditions l’Attribut.
106
107
André Malraux, Présentation du budget de la culture à l’Assemblée nationale, 27 octobre 1966
Site Internet de La Friche – La Belle de Mai
88
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Le Théâtre Sorano défend quant à lui l’idée de famille, de tribu. La structure, d’une
taille assez réduite et accueillant à l’année la troupe Ex-Abrupto entend créer des relations
particulières entre le public et la création artistique. Ainsi, les dispositifs d’accompagnement
artistique mis en place avec les établissements scolaires peuvent rapidement dépasser les
relations professionnelles :
« Il y a des profs c’est des amis pour moi, tu vois une vraie relation qui dépasse le
simple fait qu’on va emmener nos élèves voir un classique, super il a été modernisé en plus.
Moi je trouve que c’est là que ça devient intéressant, c’est là qu’il se passe quelque chose. (…)
C’est le théâtre qui s’y prête, c’est le théâtre que Carette défend, c’est un théâtre populaire
accessible, populaire au sens noble du terme, c'est-à-dire pas en raclant par le bas, pas démago.
Un théâtre où tout le monde peut s’y reconnaître à un moment. C’est pas je vous apporte la
bonne parole, c’est « allez y, prenez ce que vous avez à prendre », si on se rencontre après on
échangera encore des choses, et puis vous aurez des choses à nous dire. »
C’est aussi l’idée d’une proximité avec le comédien qui semble transparaître :
« Je crois qu’au Sorano c’est vraiment la chose qui caractérise ce Théâtre. C'est-àdire, cette idée de troupe, de famille, de tribu que défend Didier Carette envers et contre tout,
donc déjà au sein de la troupe et ensuite la troupe et le public, c'est-à-dire décloisonner à fond,
à la fois dans son théâtre, c'est-à-dire pas de 4ème mur, hop hop hop, alternance public,
accroche public en permanence, donc dans son théâtre et après dans son théâtre mais hors
plateau, c'est-à-dire avec les comédiens qui sont là, derrière le bar. Tu vois comment ça se
passe ici, après ça marche, ça marche pas bien, mais nous c’est ce qu’on essaie de défendre
bec et ongle, pour décloisonner à fond toujours dans l’idée de fidéliser le public, de
désacraliser et notamment en direction du jeune public. »
En s’ouvrant au jeune public et en favorisant le développement de liens avec l’Ecole,
les structures culturelles peuvent contribuer à se rendre plus accessible au public non habitué.
Ce travail de coopération et d’ouverture va dans le sens d’un effacement progressif des
barrières symboliques qui empêchent mixité sociale.
3. La pratique artistique : quand le spectateur découvre le jeu
Au-delà d’aller assister à un spectacle au Théâtre on peut s’intéresser à la pratique
théâtrale. Jean-Gabriel Carasso développe ainsi l’importance du « faire » dans la mise en
place d’une éducation artistique : « La culture vient du jeu. Le jeu est invention, fantaisie et
discipline à la fois (…) Dans le domaine de l’art, jeu et travail constituent deux pôles
dialectiquement solidaires d’une même éducation, basée d’abord sur l’activité. Faire c’est
89
Anne Gablin
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enfin mettre le corps en jeu. »108 Il s’agit alors de savoir en quoi la pratique théâtrale peut se
combiner avec la pratique de spectateur et de quelle manière l’une va nourrir l’autre. Le
Théâtre étant un art vivant, se construit dans la pratique, dans le jeu. C’est notamment ce qui
le distingue des produits issus de l’industrie culturelle, qui sont reproductibles à l’infini. Le
théâtre est de l’ordre de l’éphémère, de l’instant.
« La pratique du théâtre conduit sur le chemin de la reconnaissance, fait s’interroger
sur le monde. De ce point de vue, on mesure son importance éducative et culturelle. Le théâtre
se fait au présent, et non dans les musées, par des gens d’aujourd’hui, qui parlent
d’aujourd’hui à des gens d’aujourd’hui. »109
La pratique du théâtre permet une rencontre vivante avec l’art et avec les acteurs qui
la composent. Elle permet notamment de démystifier la figure du comédien, du metteur en
scène… Elle permet également de s’approprier la langue, de s’approprier le lieu. En montant
sur scène, l’élève cesse d’être en position de spectateur et se retrouve du côté de l’artiste. Ce
passage d’un lieu à l’autre influence nécessairement le regard de spectateur.
« Dès que les jeunes sont en contact sensible et physique avec des textes et des
auteurs, le rapport devient vivant et les barrières tombent, ils savent tout de suite que le
théâtre nous parle d’aujourd’hui et d’eux. »110
Claudia Castellucci, artiste italienne, travaille beaucoup sur ce travail de
décloisonnement entre salle et scène. Depuis une vingtaine d’années, au sein de la Societas
Rafaello Sanzio, elle travaille à la création de spectacle « pour enfants », ou plutôt de « théâtre
enfantin ». La compagnie a également mis en place une école expérimentale de théâtre pour
enfants, sous la conduite de Chiara Guidi. Bruno Tackels, journaliste à la revue Mouvement,
raconte son expérience de spectateur lors d’un spectacle de la Societas Rafaello Sanzio :
« Neuf heures vingt. Arrive le public. Aujourd'hui ils sont trente et un à faire
l'épreuve de cet autre monde. Ils ont entre six et huit ans. Là encore, les choses vont vite
s'inverser. Les enfants apprennent que maintenant le destin est entre leurs mains. Une fois les
manteaux déposés dans le hall, ils gagnent un sas où pendent des dizaines de tuniques. En
quelques secondes, dans un indescriptible brouhaha (piaillements des enfants, cris
surenchérissant des maîtresses), ils quittent leur allure urbaine pour endosser la vêture
nécessaire au passage dans l'autre monde : tuniques blanches qui descendent jusqu'aux
mollets et petites cagoules de lutins, une forme partagée par tous pour gagner la rive d'en face.
(…) Nous pénétrons dans une pièce de six mètres sur huit, presque entièrement occupée par
108
Jean-Gabriel Carasso, Nos enfants ont-ils le droit à l’art et à la culture ?, p. 35
Bruno Allain Actions en milieu scolaire : comités de lecture, ateliers, autres modes de présence des auteurs
dans les écoles, ANETH
110
Françoise du Chaxel, Actions en milieu scolaire : comités de lecture, ateliers, autres modes de présence des
auteurs dans les écoles, ANETH
109
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une grande coupole en carton. La paroi est percée de six hublots recouverts de tulle qui
permettent de voir à l'intérieur. C'est une sorte d’igloo de fortune dont l'intérieur est
entièrement peint en blanc. Nous nous trouvons donc à l'extérieur de l'action, mais pas comme
spectateurs, plutôt comme observateurs de l'action qui va se jouer à l'intérieur entre les acteurs
et les enfants. Debout les adultes se trouvent dans l'inconfortable posture du voyeur ou de
l'«espion», voyant sans être vus. »
Bruno Tackels souligne l’affinité que ce type de spectacle peut avoir avec les propos
de Walter Benjamin sur le théâtre d’enfants prolétarien. La pédagogie prolétarienne,
revendiquée par Walter Benjamin « garantit aux enfants le plein accomplissement de leur
enfance » :
« Le théâtre de la bourgeoisie actuelle est économiquement déterminé par le profit ;
sociologiquement, devant comme derrière les coulisses, c'est en premier lieu un instrument de
sensation. Tout autre le théâtre d'enfants prolétarien. De même que le premier geste des
bolcheviques a consisté à lever le drapeau rouge, leur premier instinct leur conseilla
d'organiser les enfants. Et le théâtre d'enfants, motif fondamental de l'éducation bolchevique,
occupe le centre de ce travail d'organisation. Faut-il une contre-épreuve pour vérifier le fait?
La voici : la bourgeoisie, quant à elle, ne conçoit rien de plus dangereux que le théâtre pour le
monde de l'enfance. N'y voyons pas seulement un dernier effet de cet épouvantail à honnêtes
gens que représenta jadis le comédien ambulant ravisseur d'enfants, mais surtout la résistance
d'une conscience angoissée qui s'effraie de voir le théâtre convoquer chez l'enfant les forces
vives de l'avenir. Cette même conscience va donc commander à la pédagogie bourgeoise de
proscrire ce genre d'activité. Sait-on seulement comment réagirait ladite pédagogie en
éprouvant concrètement la proximité de ce feu où jeu et réalité fusionnent, si intimement que
la souffrance simulée peut devenir authentique et le coup de bâton fictif réel?»111
Patrick Even évoque la relation entre la pratique de spectateur et la pratique théâtrale :
« La pratique de spectateur passe beaucoup pour nous par la pratique d’acteur, tout
le monde n’est pas d’accord avec nous. Nous on pense qu’avec les élèves, notamment en
collège c’est une démarche importante, à condition de le faire sans les mettre en danger, avec
beaucoup de respect. Parce que si on veut qu’ils parlent du jeu de l’acteur, c’est quand même
bien qu’il l’ait un peu pratiqué eux mêmes. Et là avec des collégiens la plupart du temps,
surtout si c’est fait assez jeune, c’est souvent un déclencheur formidable, parce qu’ils adorent
ça. Dans ce sens là pour nous c’est vraiment un principe. Même si dans les formations après
on donne au prof la boîte à outils: il y a des exercices de jeu, des déclencheurs d’écriture, des
111
Walter Benjamin, Programme pour un théâtre d’enfants prolétarien
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déclencheurs de prise de parole. On leur dit après vous prendrez au fur et à mesure. (…) Estce que la pratique de jeu génère une pratique culturelle ? Dans le dispositif des ateliers c’est
obligatoire, c’est dans le cahier des charges que le groupe théâtre voit au moins 4 ou 5
spectacles dans l’année, avec une petite école du spectateur (…) Après c’est le problème de
l’évaluation. Est-ce que la pratique du théâtre modifie le regard de spectateur ? Je crois que
oui, dans les Printemps théâtraux112, c’est évident. (…) C’est le moment où l’on croise les
deux pratiques et où on voit comment ils peuvent très finement parler d’un spectacle après. »
La pratique théâtrale doit donc se combiner avec une pratique de spectateur. Les
deux pratiques, s’unissant dans un système de coopération, se nourrissent l’une de l’autre.
4. Au sein d’un territoire, l’articulation de multiples acteurs
Au sein d’un territoire restreint, celui d’une grande ville comme Toulouse par
exemple, on peut distinguer un certain nombre d’acteurs qui vont entrer en relation et
construire ensemble une politique culturelle. On peut distinguer tout d’abord, le groupe
municipal qui veille à la coordination des programmes, à l’articulation avec les autres
domaines de la politique locale (la politique de la ville ou l’aménagement du territoire par
exemple). Il doit convaincre le Conseil Général, le Conseil Régional et l’administration
centrale de s’impliquer dans la ville. On peut souligner également l’importance des relations
entre le directeur de la DRAC et ses conseillers sectoriels avec les élus et les directeurs des
services culturels. Le lien avec les professionnels est un autre élément majeur dans la mesure
où la DRAC participe à l’attribution des labels ministériels et au contrôle de la qualité
artistique. « Le poids des relations personnels y est très fort, et un lien permanent existe entre
ce groupe et les représentations professionnelles et syndicales des artistes et managers. »113 Le
groupe des professionnels, constitué des artistes et des administrateurs des institutions
culturelles, est responsable de la production et de la diffusion des œuvres. Il doit mettre en
place des stratégies de singularité et de recherche de notoriété. Plus sa réussite est grande en
terme de singularité et de notoriété, moins les « contraintes » du local sont fortes. Ainsi les
professionnels qui appartiennent à un deuxième cercle sont plus dépendants des finances
locales et ne sont pas à l’abri des pressions et des changements politiques. Le groupe des
coopérateurs territoriaux (les représentants de la région et de la ville) peut agir en « associé
112
Les « Printemps Théâtraux » sont des rencontres organisés dans les différents départements de LoireAtlantique. Des groupes d’élèves d’écoles, collèges ou lycées présentent le travail qu’ils ont réalisé en atelier
théâtre pendant l’année, assistent à un spectacle professionnel et prennent part à des ateliers animés par des
comédiens professionnels.
113
Guy Saez, Institutions et vie culturelles, p.47
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rival », en entrant dans des coalitions bénéfiques ou au contraire en gênant la réalisation de
projet lorsque se pose la question de leadership d’une personnalité politique. On trouve peu à
peu des exemples de coopérations qui s’institutionnalisent comme le réseau des villes Pays
d’art et d’Histoire en Rhône-Alpes.
Bien évidemment le rôle de tous ces acteurs varie dans le temps et chaque ville est
nourrie de sa propre histoire de politique culturelle. Dans les années 60, une impulsion
décisive est donnée avec une politique de création d’équipements culturels du IV° au VI° plan.
Un double réseau d’aménagement culturel urbain se met peu à peu en place. D’un côté on
trouve la mise en place d’un réseau prestigieux avec la maison de la culture pour emblème, la
volonté de Malraux étant de donner accès au plus grand nombre à une culture d’excellence.
De l’autre côté on trouve la constitution d’un deuxième réseau « d’animation socioculturelle »
dans les quartiers neufs des villes. Dans la conception des politiques culturelles, il existe une
différence entre les problématiques nationales et urbaines et des visions différentes des
rapports entre art et société, voire de la culture. On pourrait ainsi relever deux régimes de la
politique culturelle, parfois difficiles à distinguer, les deux régimes pouvant se mêler au sein
d’une même institution. La politique culturelle locale apparaît comme un mode de gestion
territorialisée de ces deux régimes. Elle tire également sa spécificité de la dimension étendue
de son réseau d’acteurs.
Au sein d’un territoire, notamment celui d’une ville, on assiste donc à la mise en
commun du travail de différents acteurs. On constate notamment que dans le cas d’une
véritable coopération, la politique culturelle et les projets d’éducation artistique se
construisent d’une manière cohérente et dynamique.
5. La nécessaire reconnaissance institutionnelle des actions pédagogiques
mises en place par les structures culturelles
La reconnaissance institutionnelle, permet aux structures culturelles d’inscrire
durablement leurs actions pédagogiques dans le temps. Elle permet également aux structures
de donner une visibilité politique, parfois médiatique à leurs actions. Ainsi Emilie Pradère,
responsable jeune public au TNT souligne l’importance de la convention récente signée avec
la DRAC et le rectorat :
« Récemment il y une convention qui a été signée, c’est très important pour le JP, au
mois de Janvier entre le TNT, la DRAC et le rectorat, à l’adresse du milieu scolaire en général,
primaire, collège et lycée parce qu’on a aussi le tournoi des lycées, on a aussi pièces à lire qui
s’ouvre au LEP, pour valider toutes ces actions là, après elles naissent et elles sont gérées par
le TNT. »
93
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La signature de cette convention était également signalée dans le magazine municipal
Toulouse Cultures : « Le 17 janvier, la convention signée entre le théâtre, le rectorat et la
DRAC, a entériné près de 7 ans d’échange entre auteurs et élèves en classe ou sur scène. »114
De la même manière, Karine Chapert évoque la recherche d’institutionnalisation des
actions du Théâtre, une fois que ces actions ont commencé à prendre de l’ampleur :
« On a décidé avec les établissements avec lesquels on avait un véritable échange de
faire des conventions de partenariat, donc qui nous liaient sur ce type de projets. Donc qui
référençaient par écrit le projet qu’on avait en commun avec l’établissement. (…) Ces
conventions, on les a fait remonter au Rectorat, elles ont reçu l’agrément de la mission
culturelle, via Mireille Valls. Donc on a commencé à faire connaître ce type d’action. (…)
Ensuite on s’est dit, bon bein voilà maintenant ce qu’il nous faut c’est une visibilité au niveau
institutionnel. C’est la raison pour laquelle on a mis en place cet atelier artistique. »
Patrick Even souligne que cette coopération avec les collectivités territoriales n’est pas
toujours évidente. En effet, on s’aperçoit que dans le cas de « Collège au Théâtre », en LoireAtlantique, les différents partenaires n’avaient pas au départ les mêmes objectifs. « Au départ,
quand on a parlé de « Collège au Théâtre », le Conseil Général de l’époque nous a dit « Oh
formidable, on va acheter Bourgeois Gentilhomme, des classiques, on va les distribuer dans
les établissements, ils vont les travailler pendant le 1er trimestre et après le Bourgeois
Gentilhomme pour tous ». Mais cette vision un peu obsolète de l’éducation artistique n’était
pas du tout celle de la MCLA (structure culturelle partenaire du projet). Philippe Coutant a dit
« et bien non, nous on ne voit pas ça du tout comme ça, on voudrait d’abord que ce soit du
théâtre contemporain (…), que ce ne soit pas une illustration du cours de français, que l’on
soit au contraire dans une lecture globale de la représentation dans la diversité des signes etc.
Ils l’ont regardé comme ça avec yeux ronds. » Il convient de souligner que dans ce type de
projet le Conseil Général peut exercer un poids sur les collèges, puisqu’il les tient sous sa
responsabilité politique et financière. « Les Conseils généraux comme c’est eux qui réparent
leur toit, ils ont plus d’ascendant sur les Collèges que les Inspecteurs d’académie, parce que
financièrement les Collèges dépendent d’eux. Donc si un Conseil Général propose quelque
chose, on ne refuse jamais même si c’est un peu aberrant. »
Dans le cas de « Collège au Théâtre » en Loire-Atlantique, les différents partenaires
ont réussi à se mettre d’accord et le Conseil Général s’est montré ouvert aux propositions de
Philippe Coutant, tout en émettant des conditions, à savoir la nécessité de développer un
projet sur tout le Département et pas seulement sur la Ville de Nantes.
114
Toulouse Cultures, n°57
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Les structures culturelles ont donc besoin du soutien institutionnel des collectivités
territoriales. Lorsque des projets du type « Collège au Théâtre » sont mis en place, il est
nécessaire, comme le souligne Patrick Even, d’inscrire les objectifs dans des textes : « Après
il faut surtout s’arranger pour que ce soit pérennisé par des textes, des conventions, que
quelque soit la majorité qui arrive au pouvoir après elle ne puisse pas tout casser. »
Lorsqu’elles parviennent à établir des projets en commun, les structures culturelles et les
collectivités territoriales participent au développement et au soutien du secteur jeune public
d’une manière extrêmement efficace et dynamique.
Les acteurs ont donc besoin d’entrer en coopération, ou parfois sont contraints de le
faire pour des raisons économiques. D’une manière générale, la coopération se présente
comme un élément essentiel de la construction du spectacle vivant jeune public, celui-ci se
trouvant à l’intersection de différents champs : champ politique, champ culturel et champ
économique. De plus le spectacle vivant jeune public met en jeu différentes institutions : le
Théâtre et l’Ecole notamment.
B. LA CONSTRUCTION DU JEUNE PUBLIC : FRUIT D’INFLUENCES RECIPROQUES
1. Théâtre jeune public : art à part entière ou outil pédagogique ?
Pour certains le théâtre est avant tout un art, et le spectacle vivant jeune public doit
être défendu en tant que tel. Pour d’autres le théâtre est un outil pédagogique formidable.
C’est deux définitions sont-elles incompatibles ?
Dans le domaine du théâtre pour enfants, on oppose la vision de Dullin à celle de
Bryantsev. Charles Dullin ouvre un théâtre orienté vers une recherche nettement artistique,
alors que Alexandre Bryantsev s’oriente vers un théâtre pédagogique. On observe d’autre un
dilemme entre la dimension artistique et la dimension pédagogique du théâtre. Il s’agit d’un
débat qui oppose les fonctions émancipatrices aux fonctions intégratrices du théâtre. Maurice
Yendt parle dans Les ravisseurs d’enfants du « syndrome de Hamelin ». Ce syndrome se
présente comme la peur viscérale chez de nombreux adultes de tout ce qui peut « ravir » les
enfants et ainsi les soustraire à leur pouvoir. Ainsi certains politiques se refusent plus ou
moins ouvertement à favoriser l’essor d’une forme d’art qu’ils jugent particulièrement
subversive, ils soutiendront plutôt les formes théâtrales traditionnelles, anodines ou
infantilisantes qui bénéficient de la faveur parentale ou pédagogique. L’enfant à l’école est
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constamment encadré par des adultes, et on observe quasiment toujours la tentation de faire
passer chaque activité, même le théâtre, par un filtre pédagogique. Mais l’art peut-il être
pédagogique sans perdre son essence artistique ?
En Angleterre ou en Australie, les liens entre théâtre et éducation se tissent autour du
concept de « Theater in Education ». Ce concept se présente comme l’illustration d’une
scolarisation excessive et d’un enfermement pédagogique sclérosant du mouvement théâtral
en direction des enfants-spectateurs. Les compagnies de « Theater in Education » (TIE) sont
des troupes spécialisées dans des interventions exclusivement en milieu scolaire qui n’ont pas
de projet véritablement artistique. Seuls les objectifs de l’institution scolaire déterminent et
justifient leur existence. Il s’agit de troupes itinérantes qui se produisent dans les écoles
exclusivement, dans des conditions techniques médiocres et toujours réductrices. Leur statut
juridique et les conditions de leur financement dépendent de l’institution scolaire. Ainsi le
seul débat qui existe sur le théâtre et ses relations avec le jeune public est de nature
pédagogique. En France de nombreuses compagnies se sont spécialisées dans la production de
théâtre destiné à être présenté dans les écoles. Il s’agit pour elle de permettre un
rapprochement entre le théâtre et ses spectateurs potentiels. Dans les faits, ces compagnies
sont obligées de fabriquer un théâtre qui répond aux conditions d’exploitation réductrices
imposées par le milieu scolaire.
Face à cette scolarisation excessive, certains professionnelles de la culture défendent
une autre approche du théâtre pour le jeune public. Ainsi Marion Echevin, à la MCLA défend
l’idée d’une approche du théâtre de manière ludique. Il s’agit de rencontrer le théâtre par le
jeu et non plus par l’analyse de texte.
« Souvent les profs de français disent qu’ils préparent les élèves, mais ils font lire la
pièce ou ils font une analyse textuelle, nous c’est pas ça qu’on attend. C’est plus la notion de
pratique, ou comment donner envie d’aller au théâtre, la notion de plaisir aussi. Que ce soit
pas quelque chose de scolaire, c’est vraiment ça qu’on essaie de transmettre pendant les stages
(pratiques de jeux dramatiques, lecture, écriture, travaux autour d’une affiche…) aiguiser la
curiosité des jeunes, émettre des hypothèses sur les spectacles. »
Le spectacle vivant est un monde artistique et lorsqu’il s’insère dans le monde de
l’école on assiste à la rencontre de deux mondes différents, avec leurs codes et leur
fonctionnement. Ce sont deux mondes qui s’opposent mais qui pour autant doivent réussir à
être complémentaires dans le cadre du jeune public notamment. L’art et l’éducation ont des
finalités différentes, l’éducation cherche à apporter des réponses à l’enfant, l’enseignant est
formé pour apporter ces réponses. Le spectacle à l’inverse va interroger, ou pas, l’enfant
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individuellement. Une infinité de lectures possibles se dégage du spectacle. Les
questionnements seront de l’ordre de l’individuel et les réponses, s’il y en a, seront également
de l’ordre de l’individuel.
Marion Echevin souligne également la difficulté de certains enseignant à rompre
avec l’approche pédagogique de la pièce : « C’est pas facile avec les enseignants n’ont plus,
certains ne supportent pas de ne pas avoir de réponse. Mais au théâtre on peut ne pas tout
comprendre, ça marche beaucoup avec l’imaginaire. »
Ainsi Maurice Yendt souligne dans Les Ravisseurs d’enfants, le risque qu’il peut y
avoir à ne considérer l’art que du point de vue pédagogique. Ainsi, il cite Gramsci : « L’art est
éducateur en tant qu’art et non en tant qu’art éducateur parce que, dans ce cas, il n’est rien et
que le néant ne peut éduquer. » 115
Le Théâtre jeune public se situe donc à la croisée des visions pédagogiques et
artistiques, ces deux visions ayant tendance à entrer en conflit. Si le théâtre jeune public perd
son essence artistique et sa liberté de création lorsqu’il se soumet à l’institution scolaire, on ne
peut nier que ce secteur tient aussi sa spécificité des relations particulières qu’il noue avec
l’Ecole.
2. Un public prescripteur ?
On peut s’intéresser au rôle du public lui-même dans l’élaboration et la mise en
œuvre des politiques culturelles. On voit de plus en plus, des associations qui entendent peser
sur les décisions politiques en matière de culture. Ainsi, en 2000, l’association La Mouette a
porté plainte contre les organisateurs, les artistes et les organismes prêteurs des œuvres de
l’exposition « Présumés innocents : l’art contemporain et l’enfance », mise en place au musée
d’art contemporain de Bordeaux, les accusant d’avoir présenté « des images très violentes à
caractère pornographique. » En 2006, le parquet de Bordeaux mettait en examen HenryClaude Cousseau (directeur du musée à l’époque de l’exposition). Celui-ci doit répondre de
«diffusion d'images à caractère pédopornographique», et de «corruption de mineurs par
exposition de documents portant atteinte à la dignité des enfants». On voit de quelle manière,
le public tente d’orienter les définitions de l’art et participe aujourd’hui à une forme de
censure morale.
Ici, il n’est pas vraiment question de la définition de politiques culturelles mais plutôt
de choix artistiques qui vont déplaire à une partie du public et de quelle manière ce public va
115
Gramsci cité par Maurice Yendt dans Les Ravisseurs d’enfants, p.19
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tenter d’imposer sa vision de l’art, ce qui peut restreindre la liberté d’expression et conduire à
un art aseptisé.
Florence Lavaud affirme que l’on peut parler de tout aux enfants : « On peut tout dire
au jeune public, comme aux adultes. Je ne me censure pas, hormis pour la nudité quand elle
n'est pas essentielle. Ecrire pour le jeune public, c'est avoir une force de parole et de
création.»116
Jasmine Dubé, souligne également la nécessité de ne pas censurer dans les thèmes
d’écriture : « Le moteur de mon écriture a d’abord été dans le quoi dire avec des sujets graves :
la mort, les abus sexuels, l’inceste et je continue de croire qu’il faut avoir quelque chose à dire
pour écrire. Sans être didactique, je veux partir de moi, de mes préoccupations, de mes
urgences, de mes choix d’artiste et j’insiste : je suis une artiste. Je ne suis ni une travailleuse
sociale, ni une pédagogue, ni une psychologue. »117
D’une manière générale, ce sont plutôt les parents ou les instituteurs qui auront
tendance à exercer une forme de « censure » en considérant que tel sujet n’est pas approprié à
tel âge…
« Je suis souvent estomaquée par les remarques d’adultes qui demandent au théâtre
d’être parfait et d’être un modèle pour les enfants. Ne pas faire ceci, ne pas faire cela, donner
le bon exemple, ne pas fumer sur scène, ne pas prendre de médicaments, expliquer pourquoi,
souligner, etc. L’artiste pose des questions et n’a pas à donner toutes les réponses. Je choisis
le théâtre jeune public parce que c’est un théâtre de création. Son histoire est jeune encore et
s’il y a déjà beaucoup de chemin accompli, il reste encore beaucoup à faire. Et je veux
participer à cette construction. »118
3. Le spectacle vivant jeune public, un terrain d’expérience fertile
Le jeune public, peut être plus qu’un autre secteur artistique, a besoin de recherche
perpétuelle, parce que le public d’enfants évolue sans cesse et rapidement. L’enfant du début
du siècle n’est pas le même que l’enfant d’aujourd’hui (tout comme le grand-père
d’aujourd’hui n’est pas le même que celui du début du siècle, mais c’est peut être plus
flagrant pour l’enfant). Il n’occupe plus la même place dans la famille et dans la société et ne
reçoit pas les mêmes propositions culturelles. Les formes artistiques destinées au jeune public
autrefois avaient tendance à être infantilisantes, entourées d’une morale, mais peut-être
correspondaient-elles aux attentes des enfants d’autrefois. La création doit donc s’adapter à
116
Florence Lavaud dans l’Express, « Jeune public deviendra… »
Jasmine Dubé, Pourquoi le choix de ne s’adresser qu’à de jeunes spectateurs ?ANETH
118
ibidem
117
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cette évolution. On peut se demander si c’est la proposition artistique qui fait évoluer l’enfant
ou l’évolution de l’enfant qui engendre une nécessaire réévaluation de la création. Le jeune
public, peut être plus que l’adulte est ouvert à la nouveauté, il n’est pas formaté et donc ne
censure pas son regard de spectateur. Les créateurs au contact du jeune public vont s’autoriser
à expérimenter de nouveaux langages, de nouvelles esthétiques. Le regard jeune est plus
« neuf » que celui d’un initié qui appréhendera le spectacle avec son vécu, son histoire, sa
connaissance du domaine, son expérience passée de spectateur. On s’aperçoit que la
production en direction du jeune public est riche et variée. Théâtre d’objets, Marionnettes,
Théâtre musical…, les formes se multiplient.
Le spectacle Lettres d’amour de 0 à 10…de Susie
Morgenstern, mis en scène par Christian Duchange par
exemple, fait très peu appel aux décors, le plateau est
quasiment nu. C’est le jeu des acteurs et le travail de
lumière qui comptent beaucoup plus. Le Journal de
Grosse Patate, de Dominique Richard, mis en scène
par Jean Jacques Mateu, se présente sous la forme d’un
monologue. On trouve aussi un travail de recherche
intense dans les formes. On observe souvent une
Illustration 13 : Lettres d’amour de
0 à 10…
rupture avec l’espace traditionnel frontal, les enfants ne
sont plus face aux comédiens mais se trouvent sur scène
ou peuvent évoluer dans l’espace de jeu. L’utilisation d’une salle de spectacle avec des
fauteuils n’est plus nécessairement la norme, ce qui introduit une proximité entre le public et
les comédiens. La proximité donne de l’intensité au jeu et crée l’émotion.
« J’aime le contact direct avec les enfants. J’aime leurs réactions immédiates. Je sais
tout de suite quand ils sont intéressés ou ennuyés. J’aime cette mer de spectateurs qui fait des
vagues, cette écoute active avec tout le corps qui participe, ces rires qui fusent, ces
immobilités quand ce qui se passe sur la scène est plus grave. Il y a des silences qui en disent
long, il y a des murmures qui assassinent. Bref, c’est la corde raide. C’est ici et maintenant
que ça se passe. J’adore. »119
119
Jasmine Dubé, Pourquoi le choix de ne s’adresser qu’à de jeunes spectateurs ?ANETH
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Concernant le spectacle vivant jeune public, artistes et public participent donc de
concert à son évolution. Ainsi, si la mise en question de la place de l’enfant dans la société a
sans doute contribué à l’émergence d’un secteur culturel jeune public, c’est également la
présence de propositions artistiques destinées au jeune public qui fait évolué le regard que la
société porte sur l’enfant. Peu à peu, le spectacle vivant jeune public est devenu un art à part
entière parce que les mouvements sociaux et leurs effets sur la relation entre le groupe social
de l’enfance et le reste de la société l’ont favorisé. Il est intéressant de noter de quelle manière
la société, en fonction de la relation qu’elle entretient avec le groupe de l’enfance, peut agir
sur le spectacle vivant jeune public. Cependant, il serait trop simple de considérer l’art comme
le « reflet » de la société. Il y a un mouvement d’aller-retour entre art et société, l’un
nourrissant l’autre et vice-versa. Si artistes et public sont soumis à des influences réciproques,
on peut tout de même souligner le caractère dangereux d’un public qui se voudrait juge
exclusif de ce que doit être l’art.
C. VERS LA MULTIPLICATION DE PROPOSITIONS EN AUTONOMIE
1. Le développement de projets au sein des collectivités territoriales
« L’organisation territoriale des politiques culturelles ne déroge guère à ce que l’on
peut observer pour bon nombre de politiques publiques. A première vue le paysage actuel
respecte à grands traits l’ordonnancement mis en place avec la décentralisation. (…) Pourtant
on peut constater chaque jour combien les pratiques brouillent cet ordre apparent. Il n’est
d’évènement artistique, ou de projet culturel, qui ne suscite concurrence entre institutions
territoriales ou financements croisés de leur part. Tout opérateur culturel sait combien il doit
en permanence gérer ses rivalités, et peut en tirer parti. (…) En matière d’action publique
territoriale, on assiste à une dissociation croissante entre le statut de chaque institution et la
fonction qu’elle assure en réalité. » 120
Le statut des collectivités territoriales et les lois de décentralisation définissant les
compétences et missions de chacune donne l’impression d’un ordre, d’une hiérarchie. Mais
dans les faits, sur le terrain on assiste à la volonté d’affirmation politique de chacun à travers,
notamment, la mise en place d’actions culturelles. Un conseil général pourra, par exemple
assurer son rôle de gestionnaire des archives départementales, sans en tirer aucun profit
politique et à côté, s’assurer l’image d’institution dynamique en développant un projet
120
Daniel Béhar et Philippe Estèbe, Politiques culturelles et territoire : La banalisation douloureuse, Bulletin
des Bibliothèques de France
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artistique spécifique. Ce n’est donc pas seulement le statut d’un conseil régional, d’un conseil
général ou d’une commune qui va déterminer la fonction politique qu’il jouera dans l’action
publique territoriale.
A côté des politiques d’éducation artistique développées pas les ministères de
l’Education nationale et de la Culture, on assiste donc au développement croissant des projets
réalisés par les collectivités territoriales d’une manière autonome.
« L’Etat a largement sous-estimé la capacité des collectivités à innover, à inventer de
nouveaux dispositifs. La liste de ces choix assumés est de plus en plus longue : cartes ou
chèques culture assortis de propositions de médiation culturelle dans plusieurs régions,
« Collèges au théâtre » en Loire-Atlantique, « Lycéens à l’Opéra » en Rhônes-Alpes…Il
manque non seulement un recensement, mais un suivi et une observation de ces
initiatives. »121
Ainsi, à Toulouse, il existe un chèque Toulouse Jeunes créé et
financé par la Mairie de Toulouse. Ce chèque est destiné au 18-26
ans et s’inscrit, comme le souligne Jean-Luc Moudenc, maire de
Toulouse, dans une volonté de « faciliter l’accès des jeunes à la
culture d’hier et d’aujourd’hui ». Lancé en 2003, le chèque a eu dès
le départ un grand succès, 10 000 chéquiers ont été vendus la
première année.
Illustration 14 : Chèque Toulouse Jeunes
La région Midi-Pyrénées a également mis en place un projet autonome appelé :
« Projet d’avenir ». Il s’agit d’un projet d’éducation artistique axé sur les classes des lycées,
des lycées agricoles et des CFA. Ils s’articulent autour de la réalisation d’une création
artistique et peuvent bénéficier du tutorat d’un artiste ou d’un professionnel de la culture. Le
Conseil régional sur le fait que les projets doivent pouvoir faire l’objet d’une présentation
publique notamment dans le cadre du Festiv’. Le « Projet d’avenir », qui doit être élaboré par
l’enseignant en septembre-octobre, se distingue des ateliers artistiques qui doivent être soumis
à la DAAC dès le mois de juin, avant même que le professeur n’ait rencontré sa classe. Le
« Projet d’avenir » a également l’intérêt d’être plus souple que le système d’ateliers artistiques
ou de classe à PAC, puisqu’il peut recouvrir un projet beaucoup plus large. De plus, il permet
un financement important du projet : jusqu’à 5 000 – 6 000 euros.
121
Marie-Christine Bordeaux in Assises Nationales de l’Education artistique théâtre / spectacle vivant
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Le Festiv’ est une manifestation organisée par le Conseil
Régional Midi-Pyrénées en partenariat avec le Conseil Régional
des Jeunes, le rectorat, DRAF et l’association des directeurs de
CFA afin de promouvoir le talent de lycéens et des apprentis
issus des CFA. En 2006, 2600 jeunes étaient présents pour
présenter les projets d’avenir.
Illustration 15 : Affiche du Festiv’
Le développement de ces projets permet souvent à la collectivité d’avoir une
visibilité politique importante et de se démarquer des autres collectivités, comme le souligne
Patrick Even : « Il y a le problème de la visibilité, une collectivité qui donne elle veut toujours
un retour médiatique. C’est ça aussi le problème des actions de bassin, la part de chacun va
être beaucoup plus diluée parce qu’elle est mise dans un pot commun. Alors que « Collège au
Théâtre » c’est beaucoup plus valorisant pour un Conseil Général Alors je crois que quand on
fait ce type de projet il faut être hyper attentif à ça, surtout nous qui à la limite n’avons rien à
revendiquer là dedans, c’est faire en sorte que la participation de chacun soit valorisée et
reconnue. »
Cependant cette tendance à développer des projets « visibles » et d’une manière
autonome ne va pas dans le sens d’une éducation artistique basée sur le principe du parcours
« de la maternelle au lycée », chaque collectivité étant responsable d’une entité scolaire. De
plus, Patrick Even note que cette tendance se retrouve également au sein même d’une
collectivité territoriale :
« Pour « Les lycéens au théâtre » avec le conseil régional il y avait le problème avec
le « Pass Culture » qui vient de la direction des affaires culturelles et qui offre souvent des
choses très alléchantes et puis tout à coup la direction de l’éducation qui offre « Les lycéens
au théâtre ». Enfin cette année c’est une proposition qui est passée quasi inaperçue, il a fallu
faire du phoning pour relancer les gens, parce que la proposition de l’autre direction était
beaucoup plus visible et plus alléchante. Donc là le problème aussi de l’étanchéité, du
manque de liens. C’est pervers, parce comme chaque collectivité territoriale est amenée à
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dépenser de plus en plus d’argent pour des nouvelles missions qui lui sont attribués, elle
délimite très très nettement son périmètre d’actions»
Si les collectivités territoriales, en participant à la création de nouveaux projets
d’éducation artistique, peuvent contribuer à pallier les défauts des politiques mises en place
par le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Culture (participation au
financement de projets qui ne seraient pas pris en charge par l’Etat faute de moyens et
élaboration de projets locaux plus adaptés aux caractéristiques de la région), en entrant très
rarement en collaboration les unes avec les autres, elles ne vont pas dans le sens d’une
meilleure cohérence de l’éducation artistique.
2. Le développement d’action artistique et de formation au sein des structures
culturelles
De plus en plus, les structures culturelles participent à la construction de nouveaux
modes d’approche de l’éducation artistique. Autour de leur programmation « jeune public »
ou autour de certains spectacles qui sont accessibles à un public de collégiens et de lycéens,
ces structures proposent des actions éducatives : « Nous on fait des propositions, comme des
packages, de venir à une répétition, de rencontrer le metteur en scène, après on essaie avec
l’enseignant d’affiner la chose. » 122 Le Théâtre Sorano a mis en place depuis 4 ans un
« accompagnement pédagogique » autour de ses spectacles pour les collégiens et les lycéens.
L’accueil de ce jeune public s’est fait d’une manière exponentielle, signe que ce type de
formule plaît beaucoup, notamment aux enseignants. Pour la saison 2006-2007, le Sorano
accueillera environ 4000 élèves au total. L’accompagnement pédagogique se présente sous
forme de rencontres avec les comédiens ou le metteur en scène. La présence de la troupe ExAbrupto et le fait que Didier Carette, directeur du Théâtre, soit aussi le metteur en scène de la
troupe, facilitent bien évidemment ce type d’actions. Ainsi Karine Chapert explique
l’organisation de ces rencontres :
« Sur Tartuffe, Didier avait mis en place avec deux comédiens la présentation d’une
scène jouée de trois façons différentes. Il parlait de ce que c’est que le travail de création au
Théâtre et ça les élèves avaient vraiment accroché. (…) Les profs aussi, parce que c’est
vraiment le travail d’interprétation. Donc on avait mis ça en place, ça avait bien marché,
beaucoup beaucoup d’élèves. Sur la saison suivante, on a remis ça en rajoutant des répétitions
ouvertes les après-midi, pendant les créations des spectacles, des visites du Théâtre et des
122
Karine Chapert, Théâtre Sorano
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débats. Toutes ces choses qu’on essayait de systématiser sur tous les spectacles de la
compagnie. »
Le TNT a également mis en place un certain nombre d’actions. « Pour ouvrir à
d’autres classes l’action menée dans le cadre de « Pièces à lire, pièces à entendre », le TNT
met à disposition des enseignants des « valises lecture ». Chacune contient 6 exemplaires de 5
pièces de théâtre contemporain. Destinées aux élèves de primaire, collège et lycée, elles
permettent de confronter les jeunes aux auteurs d’aujourd’hui et s’inscrivent dans leurs
parcours de spectateur. »
Les structures culturelles s’investissent de plus en plus et développent de nombreux
projets, tout en sollicitant l’aide financière des collectivités territoriales. Ainsi collectivités
territoriales et structures culturelles sont les nouveaux acteurs de l’éducation artistique et
également de la formation des enseignants et des comédiens à cette pratique, comme le note
Patrick Even :
« Au niveau de la formation, j’avais fait une étude sur la Loire-Atlantique pour les
Assises, je m’étais aperçu que 24 % de la formation était assurée par l’institution et que le
reste était essentiellement assuré par les structures culturelles avec l’aide des Conseils
Généraux et Régionaux et puis par les associations type « Vents et Marées », « COMETE. »
Donc ça c’est quand même une grande nouveauté. (…) « Collège au Théâtre », c’est à peu
près une centaine de profs, or ils n’apparaissent nulle part dans le PAF. (…) Il y a de plus en
plus de structures qui travaillent avec les établissements scolaires mais dans le cadre
d’accords, de conventionnements, aidés par les collectivités territoriales. Par exemple,
« Collège au Théâtre » c’est un budget de 160 000 euros par an, c’est énorme. »
On assiste donc de plus en plus à la tentative de construction de propositions
culturelles en solo, notamment de la part des collectivités territoriales. Celles-ci ayant compris
l’intérêt, en terme d’image et de retour électoral que peut avoir la culture sur un territoire.
Cependant, en terme d’efficacité, les différents acteurs culturels doivent admettre que la
coopération est bien souvent nécessaire. Le secteur du spectacle vivant jeune public, peut-être
plus que d’autres domaines culturels, se construit avant tout dans cette dynamique de
coopération.
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Conclusion
Au cours de mon étude, la conception de la problématique des politiques culturelles
en direction du jeune public a évolué. Si je n’avais pas l’intention au départ d’accorder une
place aussi importante à la question de l’école et de l’éducation artistique, il est rapidement
apparu que c’était justement dans cette relation entre Ecole et Théâtre que se situaient la
spécificité et les enjeux du théâtre jeune public. C’est notamment à travers les divers
entretiens que j’ai réalisés que j’ai pris conscience de l’importance de la question de
l’éducation artistique. Tout comme l’éducation artistique est au départ le fruit d’instituteurs
militants pour une autre école et une autre pédagogie, on s’aperçoit que l’apparition du secteur
jeune public au sein du spectacle vivant est le fruit d’artistes, d’auteurs, de metteurs en scènes,
très engagés et décidés à faire évoluer la relation entre l’enfant et l’art.
Si l’idée même d’éducation artistique semble être acquise et transparaît dans la
majorité des discours politiques, de droite comme de gauche, les modalités de sa mise en
place au sein de l’institution scolaire ne sont pas les mêmes pour tous. L’éducation artistique
doit-elle seulement être un plus, quelque chose qui viendrait après les outils « fondamentaux »
(lire, écrire, compter), doit-elle être ce « supplément d’âme » ? Ou n’est-il pas nécessaire
aujourd’hui, encore plus qu’hier, d’accorder une place primordiale à l’éducation artistique au
sein de l’école ? Parce que c’est l’école qui semble être la plus à même de participer à un
élargissement du public et parce que c’est par l’éducation artistique que les enfants sont
amenés à partager des expériences culturelles qui participent à l’accomplissement de leur
individualité et à la réalisation d’un meilleur vivre ensemble. Au-delà de ces questions,
comment mettre en place l’éducation artistique au sein de la classe ? Doit-on mettre un peu
d’éducation artistique partout, un peu d’art plastique dans l’apprentissage de l’écriture, un peu
de théâtre dans les cours d’histoire… au risque d’assister à une dilution de l’éducation
artistique et finalement à sa disparition ? Ne doit-on pas considérer que l’éducation artistique
se fait avant tout dans la pratique et qu’elle prend tout son sens lorsqu’elle oblige l’école à
s’ouvrir sur les mondes de l’art ?
Au-delà de l’éducation artistique, il convient de défendre l’existence de propositions
artistiques destinées aux enfants, puisque, comme le souligne Jean-Gabriel Carasso il n’est
pas possible d’apprendre à lire sans livres. De plus, le public d’enfants, caractérisé par une
approche plus spontanée au théâtre, représente pour les artistes une source de création
particulièrement intéressante. Malheureusement les pouvoirs publics, notamment l’Etat, à
105
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travers le ministère de la Culture, semblent encore peu réceptifs à l’intérêt de telles
propositions artistiques. L’ATEJ souligne dans La mise en question du droit des enfants au
Théâtre (2005), la nécessaire reconnaissance de l’identité et des objectifs des pratiques
théâtrales de l’enfant parmi la diversité des autres formes de pratiques artistiques et culturelles.
Concrètement, l’ATEJ demande à l’Etat de favoriser l’extension du réseau d’établissements
culturels spécialisés dans la diffusion de créations jeune public et d’améliorer la situation
économique des compagnies. Elle propose pour cela la mise en œuvre d’un fond
d’intervention pour le public d’enfants.
Le spectacle vivant jeune public investit pleinement l’espace public et contribue au
renforcement du lien social. Dans le cadre scolaire notamment, le spectacle vivant jeune
public devient accessible à tous. Il serait alors plus apte à créer du lien que le spectacle vivant
en général qui a de plus en plus de mal à renouveler et à diversifier son public. De plus, le
secteur du spectacle vivant jeune public constitue aujourd’hui un secteur dynamique
participant pleinement au renouvellement des formes théâtrales d’une manière générale. Il
questionne la relation entre la scène et la salle, il est inventif et imaginatif. Il est donc urgent
qu’il soit reconnu à sa juste valeur artistique.
La question du spectacle vivant jeune public en combinant des problématiques
d’ordre culturelle, artistique, sociale, politique et économique, se présente donc comme un
véritable enjeu de société.
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IEP Toulouse
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Annexes
Annexe 1 : Liste des entretiens réalisés
Annexes 2 : Entretien avec Marie Déqué et Danièle Soule
Annexe 3 : La mise en question(s) du droit des enfants au Théâtre
Annexe 4 : Questionnaire envoyés aux Théâtres de Toulouse programmant du jeune public
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2006-2007
Annexe 1 : Liste des entretiens réalisés
Entretien avec Mylène Idier- Auvinet, responsable secteur jeune public, 12 janvier 2007
Entretien avec Mireille Valls, chargée de mission théâtre à la Délégation Académique de
l’Action Culturelle de Toulouse, 16 janvier 2007
Entretien avec Valérie Mazarguil, responsable de l’action éducative au Théâtre du Capitole,
12 février 2007
Entretien avec Entretien avec Marion Echevin, responsable jeune public à la MCLA - Nantes,
22 février 2007
Entretien avec Patrick Even, coordonnateur académique, Délégation Académique de l’Action
Culturelle de Loire-Atlantique, 22 février 2007
Entretien avec Emilie Pradère, chargée de relations avec les publics, Théâtre National de
Toulouse, 28 février 2007
Entretien avec Karine Chapert, responsable des relations avec le public, Théâtre Sorano, 15
février 2007
Entretien avec Marie Déqué, ajointe à la culture de la mairie de Toulouse, 12 mars 2007
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2006-2007
Annexe 2
Entretien avec Marie Déqué, adjointe à la Culture de la ville de Toulouse et Danièle
Soule, direction des cultures urbaines le 12 mars 2007, 11h-12h à l’Hôtel de Ville de
Toulouse
Quel est le rôle de la politique culturelle de Toulouse dans l’attractivité, dans le
développement de la ville ?
Marie Déqué : Quand on mène une politique culturelle, on la fait pour ce qu’on
pense être une bonne réponse, une cohérence dans ce domaine. Mais il se trouve que nous
avons l’occasion de voir quelques sondages qui mettaient la culture en 2 ou 3ème position sur
l’attractivité que la ville de Toulouse portait du fait de la réponse qui apparemment est visible
même si à notre avis elle ne l’est pas assez. Mai oui effectivement ça pèse dans l’attractivité
de la ville.
Et sur rôle de la politique culturelle en direction du jeune public ?
M. D. : Ah bein là aussi par définition. Parce que si vous voulez c’est quoi une
politique culturelle ? Une politique culturelle on ne décide pas tout d’un coup de faire ça, on
construit en fonction de… ça veut dire qu’on est un héritage de réponses qui ont été données.
Pendant longtemps dans une partition, je dirais plutôt patrimoniale, plus plastique et depuis 4
ou 5 ans, on donne de la place aux cultures émergentes et aussi bien dans les structures
culturelles qu’en soutien aux compagnies. Et le JP bien évidemment, parce cette politique
dont je viens de vous parler c’est surtout le soutien à la création et répondre aux attentes du
public. Alors les publics, d’abord, ils sont en perpétuelle évolution et en même temps ce n’est
plus les mêmes publics aujourd’hui que hier ou avant-hier parce qu’il y a un brassage énorme
à Toulouse aujourd’hui, parce que les 16 000 habitants de plus intra-muros par an, et les
17 000 dans l’agglo, donc des gens qui viennent d’un peu partout en Europe et des fois
d’ailleurs, qui ont envie d’avoir une réponse, si vous voulez recouvre tout ce qu’on peut
atteindre d’une réponse culturelle dans une ville qui est la 4ème aujourd’hui ville de France,
avec en plus un public étudiant très important, parce que vous savez la place que nous tenons
dans ce domaine. Donc les jeunes publics, bien sûr les jeunes publics, j’allais dire d’abord
même si c’est pas que d’abord. Parce que là aussi chaque établissement à un travail spécifique
aussi bien le Capitole que les Abattoirs, les « Zateliers », donc en direction des jeunes publics
parce que ça nous paraît essentiel qu’il y ait une forte sensibilisation artistique d’abord et
l’éducation artistique que l’on souhaite de tous nos vœux, à partir du moment où elle peut être
mise en place avec l’établissement structurant. Parce que ça nous paraît essentiel. Pour la
qualité des personnes, pour leur devenir, quand on voit que malheureusement les grandes
écoles types HEC, ESSEC, Sup de Co ne réservent pas de temps pour la culture générale et
que du coup, nous après qui sommes en responsabilité publique ici ou ailleurs on sait aussi
tout l’intérêt majeur qu’il y aura à avoir du mécénat, mais le mécénat là aussi ça ne se décrète
pas, c’est des gens qui eux-mêmes ont une approche de la culture, puis se détermineront à être
mécène pour accompagner soit la musique, soit la danse, soit l’art contemporain, soit les arts
plastiques. Autant ailleurs en Europe c’est quelque chose qui fonctionne plutôt très bien et
ceci je le dis sans vouloir désengager du tout les collectivités mais il se trouve que lorsqu’on
est en réponse à un héritage avec des gros paquebots que constituent des réponses culturelles
dans une ville comme celle-ci, c’est des budgets colossaux. La culture c’est le 1er budget de la
ville de Toulouse mais dans le train et dans les wagons il y a évidemment l’orchestre, le
théâtre, le conservatoire, les Beaux-arts, les bibliothèques, médiathèque, futur muséum, enfin
je veux dire que, et toutes les compagnies que nous soutenons et donc pour les nouvelles
réponses, les crédits, ceux qu’on appelle « libres », sont quand même très ajustés puisqu’il y a
et c’est normal que nous continuions à faire cette réponse et de continuer à défendre notre
patrimoine et à le restaurer quand c’est nécessaire et à le conserver mais en même temps il
faut aussi toutes les nouvelles réponses. Donc le jeune public, oui d’abord je dis pour la
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qualité que ça induit et ensuite pour l’envie d’après, celle de gens en responsabilité
professionnelle. Et pour que eux-mêmes soient des publics de nos musées, de nos théâtres,
voila, donc ça nous paraît essentiel l’action envers les jeunes publics.
De quelle manière la politique culturelle de la ville de Toulouse s’articule t-elle
avec les autres domaines de la politique locale (éducation, aménagement du
territoire….) ?
M. D. : Oui, on parlera du contrat éducatif local, quand Danielle va nous rejoindre. Il
y a la mise en place d’un contrat éducatif local qui nous paraît indispensable pour justement la
mise en place de ce que l’on souhaite.
Les collectivités locales jouent un rôle croissant dans le financement public de la
culture (environ 2/3 des financements), comment percevez-vous cette évolution ?
M. D. : Ça a toujours été la priorité de la commune, des communes, pas seulement
Toulouse, mais certaines plus que d’autres, c’est vrai que si la région maintenant s’inscrit
dans une réponse possible culturelle, ce n’est pas normalement possible dans ses compétences
déléguées comme à l’agglo par ailleurs. Sauf que dans le cadre de l’aménagement du territoire
pour partie et après dans la politique de la ville, il y a des aides par différents champs et la
région s’inscrit plus dans des critères d’attribution de subventions qui sont : aide à la création,
formation, euh… oui enfin c’est surtout ça. Donc il est clair que la collectivité commune donc
la ville, c’est pour information, à la louche, c’est mettons 260 euros par an et par habitant,
pour Toulouse, alors que la région Midi Pyrénées, ça doit être 6 euros par habitant et par an.
Donc voyez le… donc après les missions de la région quand un soutien est amené, c’est
surtout avec des missions de maillage, de mise en réseau, et c’est normal, c’est pour donner à
voir, à entendre, à écouter tout ce que la ville centre peut abriter. C’est le rôle normal presque
des têtes de réseau que sont le TNT, les Abattoirs, d’irriguer la région et c’est pour ça que la
région intervient sur les compagnies ou sur les structures en ayant en demande si vous voulez
le…, oui la mise en réseau des spectacles et donc qui se donnent ailleurs en région.
Au niveau du financement, c’est la ville qui reste le pôle central ?
M. D. : La ville est le plus gros financeur la plupart du temps pour certains
établissements, derrière l’Etat ou très près de l’Etat.
Peut être plus encore dans une région comme Midi Pyrénées où il y a une grosse
ville centre.
M. D. : Le problème c’est la superficie de la région qui fait que en plus, autant on
peut travailler des fois avec des villes proches comme Montauban, Albi, Castres, Tarbes.
Espalion, Rodez, c’est vrai que c’est un peu plus compliqué et que c’est vrai que les artistes
nous le disent. Il y avait eu un colloque organisé il y a quelques années, il y avait 98 % des
artistes qui souhaitaient se produire à Toulouse. Encore une fois tout ça ne s’invente pas, c’est
parce que quelque part les publics sont là, ils le savent et il y a donc des repérages par rapport
à certains programmateurs. En région, c’est vrai, il y a peu d’endroits qui sont
structurellement équipés pour techniquement accompagner le spectacle et puis enfin souvent
il y a des gens qui ne sont pas professionnels. Mais ça c’est en train de bouger et il y a des
projets de pays qui se mettent en place et que pour que tout d’un coup il y a ait une lisibilité
possible et l’idée étant, moi je suis au conseil régionale de sensibilité opposée à la majorité
mais c’est ce que je propose parce que je pense qu’à un moment donné il sera intéressant de
tisser des passerelles dans certaines disciplines par rapport à certains projets de pays, pas
rester entre soi, appuyer sur l’existant, développer le savoir faire, et souvent historique,
pourtant c’est pas de l’inventer, ou s’ouvrir à de nouvelles disciplines et en travaillant en
réseau. Parce que sinon, je veux dire que des établissements de centralité parce que c’est
comme ça qu’on les appelle, ont une vocation de rayonnement de toute façon et qu’il me
paraît légitime que ils en fassent bénéficier la région dans laquelle ces structures sont
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installées et dans la ville capitale OK, mais ça me paraît être un objectif essentiel.
En ce qui concerne le partage des compétences entre les collectivités et l’Etat ?
M. D. : La région s’est mis dans ces critères que je vous ai définis tout à l’heure, en
plus ils sont un peu plus axés sur l’audio visuel, c’était un champ sur lequel la région s’est
inscrite parce qu’il lui paraissait intéressant et ensuite parce que c’était peut être un champ où
la commune était moins visible ou moins en accompagnement, ou moins en réponse. Tout
ceci s’explique, c’est parce que la ville elle était sur tous les autres champs. Donc à un
moment donné il était question pour nous de continuer à je vous dis préserver notre
patrimoine, sauvegarder, le donner à voir, donc ça fait des charges extrêmement lourdes et
donc vous savez s’inscrire sur un champ donné, d’abord je trouve que c’est bien quand ça
vient en complémentarité et en même temps ça me paraît intéressant pour celui qui le décide
parce qu’au moins, il y a une visibilité de déclenchée. Mais c’est vrai que l’on regrette quand
même que des établissements, on parlait de jeune public, le conservatoire ou les Beaux-arts
par exemple, on est à 95% de financement, la ville, alors qu’il y a mettons 5 % de
Toulousains dans chaque établissement. Donc là c’est dur, c’est lourd de porter si vous voulez
toutes les réponses parce que c’est notre devoir effectivement, parce que cette ville doit ça à
ses habitants et elle doit ça aussi à son rang de capital et elle doit ça aussi au rayonnement
nécessaire, elle doit ça aussi parce que mettons un conservatoire et une école des Beaux-arts
dans une ville, c’est une présence essentielle. Parce que l’enseignement aussi aux Beaux-arts
se fait pour nous amener aux interventions des artistes dans la ville, ils nous accompagnent
dans notre réflexion sur l’urbanisme et le design et même par rapport à des questions de
société, l’art en train de se faire, le nouveau rapport au public…c’est essentiel, mais des fois
c’est un peu lourd à porter seul, c’est un peu lourd parce que ça nous empêche de donner
d’autres réponses. Donc c’est toujours un peu compliqué quoi. Alors on se bat pour que
éventuellement ça bouge un peu, pour que des curseurs bougent, pour inviter l’Etat à être plus
présent, pour les Beaux-arts en particulier, peut être en faisant un EPCC parce qu’à un
moment donné il faut qu’on donne les réponses aussi pour que ces diplômes qui sont délivrés
par nos écoles soient de validité européenne et que donc ça inclut des moyens
supplémentaires, des axes de recherche qui n’existent pas faute de lieu, faute de moyens aussi
et voila.
Au niveau du département, comment ça se passe ?
M. D. : Alors le département se donne les compétences qu’il souhaite et le
département il est peu présent en général et par contre il peut être très présent en particulier.
Vous voyez ce que je veux dire ? Il est très présent mettons sur, je vais vous donner quelques
exemples, mais c’est eux qui pourraient répondre mieux que moi à ma place, mais ils sont très
présents sur le Jazz, sur le Théâtre Garonne qui est une scène dans le domaine du spectacle
vivant qui est un peu laboratoire innovant, ils sont très présents. Et ils sont très présents sur
certaines réponses musicales par exemple, ils soutiennent depuis très longtemps « Piano aux
Jacobins », sur des actions spécifiques où c’est de l’affichage. En même temps ça ne veut pas
dire, en tout cas ce sont des beaux choix, mais vous savez ce que je dis souvent c’est que moi
j’aime bien choisir. Vous savez le gîte et le couvert que nous offrent certains lieux que nous
portons ou que nous supportons et que nous accompagnons, des fois moi j’aimerais mieux
aider beaucoup plus à la création parce que c’est plus intéressant intellectuellement que
d’assurer le gîte et le couvert. Mais on aide aussi bien sûr à la création, quand on fait le bilan
des fois de certaines scènes, je ne parle pas des équipements de centralité, mais certains
théâtres de moyenne jauge, quand on voit ce qu’on met à disposition dans les lieux, les stocks,
des fois les personnels, je peux vous dire que la ville elle est de loin le plus gros financeur.
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De quelle manière la ville de Toulouse travaille t-elle en partenariat avec
d’autres acteurs culturels dans le domaine du spectacle vivant jeune public ? (Structures
culturelles, compagnies, DRAC, DAAC, région département…) ex : convention DAACToulouse en ce qui concerne le Capitole pour faciliter la venue des classes à l’Opéra.
M. D. : Aux Abattoirs on a la même chose, alors là il y a plusieurs choses, il y a des
ateliers spécifiquement destinés au JP par tranche d’âge, on avait même des enfants de crèche.
Mais il y a des questions de moyens, ç’est pas qu’on n’a pas souhaité accueillir les enfants des
crèche, c’est qu’à un moment, il a fallu choisir et que notre priorité allait plus facilement, plus
sincèrement surtout sur les collégiens et les lycéens. Il y a des milliers d’enfants qui défilent
aux Abattoirs sauf que notre souci c’est que l’Education Nationale et des fois les professeurs
qui accompagnent ne font pas ce travail en amont qui nous paraît nécessaire pour décoder ce
que les enfants vont voir. La chance c’est que ces enfants, très jeunes enfants, ils n’ont pas de
barrage, ils n’ont pas de complexe par rapport à la création contemporaine ce qui fait que c’est
très intéressant de voir leur réaction, sauf que au bout d’un moment c’est un peu la sortie
préférée je pense mais pas forcément comme on l’entendrait. Elle n’est pas préparée de façon
satisfaisante. Maintenant nous on a dorénavant un ½ poste, quelqu’un qui a été détaché par le
rectorat pour justement travailler sur tout ce qui est sensibilisation artistique par rapport à
certains publics, on a quelqu’un qui est donc détaché depuis le mois de octobre, novembre.
Et vous travaillez avec les Abattoirs, avec le Capitole, est-ce qu’il y a d’autres
structures avec lesquelles vous avez des partenariats spécifiques ?
M. D. : De toute façon le Capitole, il est sous notre tutelle immédiate. Les Abattoirs
c’est la ville qui préside donc c’est moi par délégation donc c’est quelque chose qui se fait
naturellement. Après il y a pas mal d’actions en JP mais c’est fait par directions artistiques
des établissements eux-mêmes, c’est un choix… Laurie Marsoni au TNT, c’est donc chacun
se donne et se dote de ce rendez-vous possible avec des actions spécifiques de chaque entité.
Dans les actions JP du TNT par exemple, est ce que la mairie va « intervenir »
sur le choix de ces actions ?
M. D. : Pas du tout. Pas parce que ça ne nous intéresse pas. Parce que c’est la liberté
totale qu’on laisse à nos directeurs d’établissement sur leur ligne et leur projet artistique qu’ils
ont à défendre. On fait partie des comités de pilotage ou des comités de suivi. Il est clair
qu’on est très attentif à cette action là et que si nous même avons de temps en temps d’autres
connaissances de ce qui se fait ailleurs et qu’il peut y avoir des croisements possibles et des
champs de rencontre, ça c’est possible.
Il peut y avoir un échange d’idées.
M. D. : Absolument. On peut amener le cadre, on peut amener les opportunités de
passerelles, on peut amener la connaissance qui est la nôtre par rapport à d’autres lieux,
d’autres disciplines et même ailleurs, par exemple par rapport au fait qu’on est en convention
avec l’AFAA, on peut amener des choses possibles pour ce JP qui serait à faire avec des
artistes qui viendraient d’ailleurs, de certains pays sur un projet culturel, on peut amener de la
matière, on amène notre veille et on amène notre acquiescement à tous ces projets parce que
ça fait partie de ce que nous nous pensons essentiel dans le cadre de la réponse culturelle qui
est attendue de notre ville.
Il y a un projet plus spécifique pour le JP : 1, 2, 3 en scène.
M. D. : Ça c’est pour le jeune public. Je vais appeler Danièle… (Sort pour aller
chercher Danièle Soule). Elle vous en parlera mieux. Ca c’est plus géré un peu par le
socioculturel que la culture, donc les centres culturels, l’espace Bonnefoy, l’espace Bellegarde,
la salle Henri Desbal…on est pas du tout pour la scission entre le culturel et le socioculturel,
c’est quelque chose qui a été mis en 2 délégations. On pense très sincèrement qu’aujourd’hui
cette connotation « socioculturel » ne veut pas dire grand-chose. Ce développement pourrait
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être une des franges, unes des portes de la réponse culturelle et qu’il y ait par contre un
service jeune public, la création d’une délégation jeunesse, ça semble avoir plus de sens,
d’abord par rapport à ce qu’on est en train de se dire et par rapport au fait que cette délégation
pourrait travailler complètement connectée avec plein de secteurs, la culture bien sûr, mais
d’autres aussi, le sport… c’est le jeune public qui deviendrait si vous voulez l’élément moteur
des demandes qui seraient éventuellement formulées, des attentes, mais en même temps qui
du coup dans chaque établissement il y aurait forcément une partition jouée par rapport à ce
public là. Et là ça donne une cohérence. Donc on est quelques uns à militer dans ce sens sur
une idée qui pourrait être celle là.
Comment concilier la volonté des professionnels de la culture (dans les
structures culturelles) d’aller vers des formes innovantes de l’art (parfois avant-garde)
et volonté ou nécessité pour la ville d’investir dans des actions culturelles qui pourraient
satisfaire le public urbain multiforme ?
M. D. : C’était bien le deal qui était le nôtre, à savoir ce que je vous disais tout à fait
au début, il y a eu pendant des années une réponse plus patrimoniale avec bon, c’était
nécessaire, on devait faire un grand théâtre c’était très important, à l’endroit où il a été fait en
particulier, Les Abattoirs musée d’art moderne et contemporain c’était essentiel parce que là
aussi on était en retard, la bibliothèque Cabanis bien évidemment aussi, c’est pas par hasard
qu’il y a 20 bibliothèques, la médiathèque maintenant, parce qu’il y a une politique très
volontariste dans le domaine de la lecture publique. Tout ça était très important sauf qu’en
même temps, il y avait un vivier sur la ville de Toulouse et des réponses qui n’étaient pas
données parce que tout ne peut pas être possible à la fois. C’est compliqué. Moi je suis là
depuis 83, c’est le 4ème mandat que je fais, j’étais déjà à la culture mais j’étais la plus jeune
conseillère municipale donc je savais les nécessités des réponses à donner et en même temps
le vivier qui devenait de plus en plus dense, toute discipline confondue. Et parce que c’est ça
Toulouse, c’est d’abord ça Toulouse, c’est tout ce que je viens de dire, cette histoire qui est
importante, ce patrimoine qui est magnifique, ces réponses plus classiques et qui étaient
nécessaires : l’Orchestre, l’Opéra avec la dimension que l’on connaît, le spectacle vivant
aujourd’hui qui a vraiment ses lettres de noblesse parce qu’il rayonne en Europe. Mais il y
avait aussi les arts du cirque, les arts de la rue, les danses urbaines, les graffs, donc on a
acheté des friches pour y installer des compagnies aussi bien de danse contemporaine que de
musique actuelle, d’atelier d’écriture… On va faire un Théâtre de verdure sur la Garonne de
1200 places, on a posé les 1ers pitons du futur lieu du LIDO, l’école de cirque contemporain
qui est connu en Europe entière. On va acheter la prison Saint Michel pour en faire un lieu
dédié à la création et la transmission, là aussi on y est dans… on est parti du principe si vous
voulez que cette ville abritait comme l’Ile de France, le plus de chercheurs et le plus de
laboratoires de recherche.
Danielle Soulet entre dans le bureau
Il nous a paru opportun de faire quelque chose qui faisait sens pour ressembler à ce qui vit
dans cette ville à savoir, faire se rapprocher des artistes, toute discipline confondue et des
chercheurs pour un moment donné chaque artiste cherche à faire évoluer sa création artistique
et les chercheurs peuvent les y amener à trouver la réponse qui leur permettra d’évoluer dans
la proposition artistique qu’ils ont. On a déjà ici à Toulouse des compagnies qui travaillent
aussi bien dans le domaine de la danse, danse et informatique, le festival musique électro
acoustique, on a une compagnie de cirque contemporain qui s’appelle la Compagnie 111, lui
il est ingénieur, il travaille sur l’équilibre, le point, le trait, c’est ça qu’on veut mettre comme
concept à la Prison, et la transmission quand on vous parlait pour les jeunes générations, c’est
à un moment donné techniquement trouver les moyens de transmettre tout ce que la recherche
aura permis à la création de faire, et donner les moyens de faire savoir, de faire voir, de faire
entendre ce qui aura été créé par la rencontre des alchimies de ces 2 mondes. C’est des lieux
où il se passera des choses, du travail, des rencontres, des interrogations, donc un lieu de vie
permanente avec peut être un pôle plus important sur le département musique et image mais
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dans une volonté de formation aussi, puisqu’il y a aura 1 aile, il y a 5 ailes à la prison Saint
Michel, il y en aura une qui sera dédiée à la formation, donc on est toujours dans cette volonté
politique d’éducation des jeunes publics, voilà on est dedans.
Se tourne vers Danielle Soulet.
Alors, on était parti sur le jeune public, donc le contrat éducatif local elle va le remettre dans
son chapitre mais je ne sais pas où, elle enregistre de toute façon, on a parlé de 1,2, 3 en scène.
J’ai juste fait, par rapport à la région, nous les critères qui sont les nôtres, c’est
d’accompagner et d’aider la création , de répondre à tous les publics, élargir les publics bien
évidemment, faire se décloisonner les disciplines et les structures et faire se croiser les publics,
c’est ce à quoi nous nous attachons et tous les publics, c'est-à-dire ceux qui sont déjà captifs à
certaines disciplines et qui du coup vont en découvrir d’autres parce que souvent les
disciplines elles mêmes se croiseront sur la scène qu’ils rencontrent ou pas. En tout cas l’idée
c’est de donner un autre rendez vous que ce auquel des fois ils sont habitués et que par
habitude ils pratiquent. Et donc les critères de la région c’est plus aides à la création,
formation, recherche, dans le domaine de l’audio visuel surtout ils sont un petit peu plus
visibles.
Danièle Soule : Après il y a des appuis spécifiques à des festivals. Et tout ce qui est
maillage du territoire, c’est plutôt dans cette démarche là.
Marie Déqué : C’est ce que je disais, projets de pays… et en même temps
professionnaliser les structures et les équipements, professionnaliser les acteurs, parce que
vous savez ce qui ne fonctionne pas bien ou des fois pas c’est ça. Comment voulez vous
transmettre l’intérêt des politiques publiques et d’une réponse culturelle si vous avez une salle
où il n’y a pas d’équipement qui permette de faire la meilleure réponse possible et des
personnes en face de vous qui ne comprennent rien… enfin je… ou pas bien ce qu’est un
théâtre. Parce que nous par exemple à l’agglo, nous sommes, il n’y a pas de compétence
culturelle agglo, ça se traite dans le cadre de la politique de la ville, on est parti sur un schéma
directeur, réponse possible parce qu’historiquement c’était né à cet endroit là, c’est art de la
rue, art du cirque et donc Mix art Myris, multi discipline, création artistique qu’on a installé
au nord de la ville mais pourquoi disais-je cela… pourquoi je parlais de l’agglo, ça va
revenir…
Danièle Soule : Sûrement, probablement pour ce qui avait été fléché en terme
d’éligibilité…
Marie Déqué : Oui, c’est parce que du coup maintenant même si dans cette réponse
visible que nous avons pu faire il y aura 2 équipements chacun de 8000 m2, donc l’idée n’est
pas de déployer toutes le disciplines et de multiplier les établissements, c’est pas le sujet, c’est
pas de mise, parce que d’abord on n’a pas les compétences culturelles agglo, mais par contre
d’amener autre chose, c'est-à-dire quelque chose qui n’existe pas forcément sur la ville centre
ou des fois dans certaines communes peut être et encore pour le moment je n’en connais pas
encore une qui l’ai fait. Mais c’est justement sensibilisation artistique, éducation artistique et
peut être des disciplines qui nous paraissent intéressantes à transmettre, peut être la danse, la
musique locale, encore une fois la sensibilisation artistique pour la musique et pour la danse
ou par la musique et par la danse, encore une fois que l’on donne du suivi à ce schéma
directeur, donc c’est là où on est un peu comme la région sans compétence dédiée mais on
s’inscrit sur ces champs là et ça permet d’avoir des contrats d’objectifs avec la région
communs par rapport à certaines disciplines et d’avoir cette volonté d’innerver, de mailler, de
développer, si vous voulez tout d’un coup une perception différente de ce que peut être une
réponse culturelle, ce qui nous parait essentiel, parce qu’il y a des endroits où c’est
extrêmement difficile de le faire. Donc Mme Soule c’était de voila, le contrat éducatif local et
« 1, 2, 3 en scène » où j’ai dit que c’était plutôt le socioculturel.
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Danièle Soule : Tout à fait, donc le contrat éducatif local, c’est un contrat qui est
signé avec l’Etat pour essayer d’accompagner les temps de l’enfance, sur les temps scolaires,
périscolaires et extra scolaire. La ville via les équipements scolaires intervient beaucoup dans
le temps scolaire et extra scolaire, peu sur le périscolaire, c'est-à-dire c’est le entre midi et 2 et
autres, donc pour les équipements de centralité c’est un peu difficile de les placer. Donc on est
surtout sur l’accueil extrêmement important durant le temps scolaire des équipements qu’ils
soient les musées, les bibliothèques, le Théâtre du Capitole, pour des visites et des ateliers
guidés, en général. Donc il y a par équipement, un référent éducatif dans chacun de ces
équipements là, qui assurent tout ce qui est l’animation. Mais ensuite il y a un grand
développement de tout ce qui est activité, stage, pendant les vacances scolaires, sur des
thèmes reliés bien entendu au projet culturel et aux collections de chacun de ces équipements.
Il y a un travail également particulier qui est conduit en direction du handicap, qu’ont
beaucoup développé les structures, que ce soit la médiathèque ou les musées, avec des visites
tactiles en particulier qui sont faites et qui sont vraiment en fort développement. Egalement
des animations qui sont faites en direction des enfants hospitalisés, dans le cadre d’une
convention culture à l’hôpital, alors ça peut être de l’ordre de concertation avec les festivals
de musique, avec des animations musicales qui se déroulent au sein de l’hôpital, c’est une TV
en milieu hospitalier : tam-tam, qui a été mis en place, qui travaille avec les enfants
hospitalisés et des spécialistes du domaine de la TV pour construire des émissions. J’insiste
beaucoup parce que sur le public handicapé et hospitalisé, il y a vraiment des choses très
importantes qui sont conduites, et au-delà du jeune public, ce sont souvent des actions qui
sont faites jeune public et famille et parents. Parce qu’on a beaucoup de difficulté, parce que
c’est une organisation prioritaire du contrat éducatif local que de travailler la relation avec les
parents pour les responsabiliser par rapport à l’éducation des enfants. Les musées en
particulier ont des visites contées et vraiment c’est une double direction jeune public et
famille. Il y a des activités spécifiques au-delà des 18-25 ans, en dehors des musées, il y a le
conservatoire qui a installé un certains nombre d’antennes sur des quartiers de la ville et où ils
ont développé en complémentarité du conservatoire centre, ce qu’ils appellent « la pratique
chorale », c'est-à-dire que c’est moins contraignant en terme de niveau que le conservatoire
centre et ça permet d’avoir une approche de la musique plus ludique. Il y a aussi les annexes
des Beaux-arts qui animent des ateliers. Il y a une programmation jeune public qui est faite
par le Théâtre du Capitole.
Marie Déqué : J’ai oublié de dire par rapport à nos souhaits dans ce domaine en
particulier, que nous avons accompagné de façon très visible, très vite d’ailleurs, un jeune
théâtre qui s’appelle le Théâtre du Grand Rond, parce qu’il était question que cet endroit
ferme ses portes, la ville s’est mobilisé immédiatement, on a pu éviter la fermeture, les autres
collectivités sont venues derrière mais on était le plus présent, on est encore, parce qu’ils ont
développé de façon très intéressante ces spectacles jeune public et c’est vraiment à ce titre là
qu’on a pu ou su leur apporter des réponses en nous engageant pendant 3 ans à leur donner, en
optimisant, selon les possibilités qui étaient les nôtres de subventions. Et en même temps on a
le théâtre du Chamboulé qui pour le moment est basé à Blagnac qui a produit un spectacle
jeune public qui a eu un papier encore aujourd’hui très intéressant, que l’on a accompagné
aussi parce qu’on le flèche sur ce champ là. Parce que c’est vrai qu’il faisait du bon travail
mais c’est parce qu’ils font du bon travail sur ce public là que c’est ce qui nous a amené des
critères possibles de subventions.
Danièle Soule : Et dernier point, c’est un travail particulier aussi qui est fait avec les
enfants les plus éloignés de ce monde culturel, avec des enfants issus des quartiers de la
politique de la ville, en particulier on a mis en place des activités spécifiques autour de
l’Opéra, c’est le travail de l’excellence. Ça c’est déroulé pendant les vacances, on a travaillé
avec le petit Capitole, on a profité des journées de l’Opéra, donc on a essayé de travailler avec
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les équipements dans et hors les murs. C'est-à-dire que Valérie Mazarguil a été pendant 2
jours a expliqué ce qu’est l’Opéra, les enfants ont visité les lieux et ensuite ils ont participé
aux journées de l’Opéra. On essaie aussi de se faire croiser les disciplines, on a fait beaucoup
de stages hip hop, culture et sport.
Quelle est la part du budget de la ville consacrée à l’action culturelle en
direction du jeune public ?
Marie Déqué : Dans le budget global ça je ne saurais pas vous dire. Les chiffres que
je peux vous donner, c’est la culture 1er budget de la ville, c’est 17 % du budget, c’est donc
124 millions d’euros, mais la part des jeunes publics, il faudrait voir par établissement.
Danièle Soule : Ils n’ont pas tous une comptabilité analytique parce que même
quand on parle du Théâtre du Grand Rond, à côté de cette activité jeune public, il y a une
activité générale. Les établissements ne sont pas tous dans cette logique de comptabilité
analytique.
Marie Déqué : Voila, je vais vous donner le Toulouse culture qu’on avait fait sur la
vivacité de Toulouse.
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IEP Toulouse
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Annexe 3 : La mise en question(s) du droit des enfants au théâtre
En mars 2005, l’ATEJ a voulu permettre aux compagnies théâtrales, s’adressant
occasionnellement ou en permanence aux publics d’enfants et de jeunes, de s’exprimer au
sujet de leurs conditions actuelles d’existence.
Organisées à l’occasion de la journée mondiale du Théâtre pour l’enfance et la jeunesse
(ASSITEJ – 20 mars 2005), trois réunions régionales (Ile de France, Rhône-Alpes,
Normandie-Picardie) ont eu lieu autour de questions d’actualité sur les objectifs artistiques
des compagnies, les conditions de la création, de la production et de la diffusion.
Quarante cinq compagnies professionnelles, au total, ont participé à ces réunions de travail.
Ces échanges ont permis, tel était leur but, de dresser un état des lieux cinq ans après la mise
en œuvre par Catherine Trautmann (Ministre de la culture) et Dominique Wallon (Directeur
DMDTS) d’une politique théâtrale pour jeunes spectateurs, actuellement toujours en vigueur,
et dont il n’est pas inutile de rappeler les objectifs et les modalités.
Une stratégie de renoncement
En 1999, Catherine Trautmann, alors Ministre de la Culture, dans le cadre d’une réforme de la
politique théâtrale de l’État, a défini une nouvelle politique du théâtre pour les jeunes
spectateurs. Une nouvelle politique qui, en fait, ne visait qu’à accentuer le désengagement
financier de l’État.
Résultat : le mode de financement des compagnies (toutes catégories confondues) a été
fondamentalement
bouleversé.
1° - Aujourd’hui, l’ensemble de la production théâtrale se trouve soumis au marché de la
diffusion. Des aides à la production se sont substituées aux subventions régulières de
fonctionnement.
2° - Une politique de généralisation par obligation impose en principe à tous les centres
dramatiques nationaux, et à toutes les scènes nationales et autres établissements culturels
subventionnés par l’État de consacrer une part non définie de leur budget à des activités
destinées aux enfants et aux jeunes. Cette obligation est imposée sans aucun
accompagnement financier supplémentaire de la part de l’État.
Dans les faits, cette politique de désengagement s’est traduite par la destruction ou la
« délabellisation» progressive du réseau des « centres dramatiques nationaux pour l’enfance
et la jeunesse » (CDNEJ). La promotion de quelques « scènes conventionnées jeunes
publics », présentée comme alternative à la destruction du réseau des CDNEJ, s’est limitée à
la « labellisation » de quelques établissements déjà existants, sans affectation d’un
financement
supplémentaire
suffisant
de
la
part
de
l’État.
Cette politique s’accompagne de la mise en jachère du réseau existant de compagnies et
d’établissements de diffusion dont le projet artistique s’adresse en permanence et en priorité
aux publics d’enfants et de jeunes.
Cette politique du désengagement est aussi celle du renoncement aux exigences
artistiques, de l’abandon aux lois du marché d’un secteur d’activité théâtrale qui, puisqu’il
s’agit des enfants, devrait plus que tout autre ressortir à la notion de service public, et donc
bénéficier d’un large soutien financier de l’État.
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Dès le 10 décembre 1999, parmi beaucoup d’autres observateurs, Eric Fourreau, dans « La
lettre du spectacle », écrivait : « La mobilisation de la profession dans le domaine jeune
public est salvatrice. La réflexion entamée par le ministère doit être approfondie, tant l’enjeu
est crucial. Oui, la création à destination des enfants doit concerner toutes les disciplines
ainsi que des artistes non « spécialistes ». Mais à trop vouloir effacer la spécificité du genre,
l’Etat fait fausse route. Toucher le jeune spectateur tant en termes de création que d’action
culturelle requiert une recherche, une connaissance et des efforts à long terme que les
professionnels qui s’y consacrent depuis des années ont acquis et qui ne s’improvisent pas du
jour au lendemain. Et surtout, cela ne peut reposer que sur une envie profonde et un
engagement quasi-militant, patents chez les artistes et les diffuseurs de spectacles pour
enfants. Contraindre des professionnels qui ne sont pas animés par ce moteur essentiel n’a,
sur le fond, aucun sens. L’enjeu n’est pas de remplir les salles de moutards mais d’amener la
jeune génération à rencontrer la création artistique par un long processus
d’accompagnement. Cela suppose une vraie politique. »
Une perte de sens artistique
La profusion actuelle de « spectacles jeunes publics » peut faire illusion.
On pourrait, à première vue, penser que la politique de « généralisation par obligation »
instituée par le Ministère de la Culture a été bénéfique : il n’existe plus, de nos jours, un seul
équipement culturel qui ne programme, dans les interstices vacants de sa saison pour adultes,
quelque objet désigné comme « spectacle jeune public » ou « spectacle tout public ».
Il est même devenu à la mode pour certains auteurs ou metteurs en scène de venir s’exhiber,
le temps d’une prestation sans lendemain, sur les territoires de l’enfance.
La fabrique de « spectacles jeunes publics » tourne donc à plein, mais qu’en est-il, parmi
tous ces spectacles, du théâtre contemporain, du théâtre d’art pour jeunes spectateurs ?
La machine de la généralisation par obligation ronronne, multiplie les quantités à
commercialiser, mais semble se gripper dès qu’il s’agit de souscrire à un minimum
d’exigence artistique. Comment le lui reprocher ? Elle travaille en continu et, lorsqu’elle
s’emballe, surtout par obligation ministérielle et administrative, pour remplir à moindre
coût un cahier des charges, ses produits n’ont pas toujours la qualité requise. Elle formate
des produits à la commande. Personne ne lui demande d’élaborer des œuvres.
Le plus préoccupant demeure, au regard des lois du marché, qu’une « pacotille
pluridisciplinaire » se vend beaucoup mieux que l’exigence artistique. Alors, on n’hésite
pas à truquer les étiquettes. Si l’on parle tant aujourd’hui de « spectacles jeunes publics »
c’est pour éviter de parler de théâtre (le théâtre se vend moins bien !). Si l’on parle tant
aujourd’hui de « spectacles tout public » c’est pour éviter de désigner les enfants, les publics
d’enfants et leurs particularités. Ainsi assistons-nous à l’inquiétant retour de trop nombreux
« spectacles jeunes publics » fabriqués pour le divertissement infantile de l’enfant,
formatés en fonction de recettes stéréotypées, qui n’ont plus grand chose à voir avec l’art
du théâtre, moins encore avec un théâtre d’art.
Un déséquilibre destructeur
Le développement théâtral en direction des publics d’enfants ne conserve tout son sens
que lorsqu’il y a une convergence d’objectifs artistiques entre créateurs et diffuseurs,
une volonté commune de placer l’enfant spectateur de théâtre au centre d’une réflexion sur les
enjeux de son éducation artistique.
En plaçant la création sous la dépendance institutionnelle et économique de la diffusion,
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IEP Toulouse
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la politique ministérielle actuelle ne favorise pas cette indispensable complémentarité. Toutes
les compagnies théâtrales, sans exception, déplorent et dénoncent cet état de fait :
« De plus en plus de spectacles sont fabriqués en fonction des attentes des diffuseurs. »
« Une dérive perverse du sens tend à faire des compagnies de simples prestataires de service
de la diffusion. »
« On voit même des diffuseurs substituer leur propre parole à la nôtre, s’arroger le droit de
parler à notre place, nous utilisant comme des subalternes pour l’exécution de leurs propres
projets. »
« Il faut faire des choix clairs et refuser que le financement déclenche l'offre. »
« Nous parlons de création artistique, il faut revoir ses fondamentaux : ici, c'est l'offre qui
doit primer sur la demande et non l'inverse. »
« Les compagnies sont de plus en plus contraintes à proposer un travail d’animation avec
leur spectacle. On assiste là à un retournement complet de sens : c’est alors l’animation qui
justifie la création. La création perd son rôle de moteur de l’action culturelle. » (Les
compagnies)
Pourtant, la question des rapports entre artistes et diffuseurs reste l’un des tabous du
milieu professionnel « jeunes publics ».
L’activité des diffuseurs, contrairement à celle de tous les artistes, se dispense de toute
évaluation
institutionnelle
de
la
part
du
Ministère
de
la
Culture.
L’activité des metteurs en scène et des compagnies est, elle, étroitement soumise aux
évaluations des comités d’experts régionaux.
Or non seulement il n’existe aucun organisme pour évaluer les compétences des
professionnels de la diffusion, mais, et c’est un comble, les comités d’experts régionaux qui
évaluent les projets des compagnies théâtrales sont constitués, à plus de 90 %, de
professionnels de la diffusion !
Le pouvoir actuellement laissé aux diffuseurs sur la vie théâtrale dans son ensemble
mériterait d’être interrogé.
La fausse querelle qui sert d'alibi
Le refus, par certains responsables de la politique théâtrale de l’État, d’admettre que des
artistes ou des professionnels de l’action culturelle puissent choisir, comme une priorité
artistique, de s’adresser aux publics d’enfants, est à l’origine d’un faux débat visant à
opposer, dans le domaine du théâtre pour jeunes spectateurs, la légitimité artistique des
spécialistes et celle des non- spécialistes.
Le théâtre pour jeunes spectateurs est un domaine de l’activité théâtrale contemporaine où
s’exposent et se confrontent, depuis des décennies, les œuvres de spécialistes et celles de nonspécialistes sans que jamais, sur le plan artistique, le pire ou le meilleur soit devenu
l’exclusivité des uns ou des autres. L’évidence artistique des œuvres théâtrales ne doit rien à
la spécialisation ou à la non spécialisation de leurs auteurs. Elle est liée à l’existence d’un
talent et d’une exigence artistiques aussi précieux et rares chez les non-spécialistes que chez
les spécialistes. Ce sont les œuvres, et les œuvres seules, qui en témoignent.
La mise en cause, par certains fonctionnaires du Ministère de la Culture, du rôle artistique des
spécialistes, ne résiste à aucune analyse rigoureuse et objective. C’est bien l’engagement
d’artistes de talent le plus souvent identifiés comme spécialistes, associé à l’engagement de
certains professionnels de l’action culturelle (programmateurs, diffuseurs), également
reconnus comme spécialistes, qui a toujours été et reste le meilleur gage et le principal
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moteur d’un développement théâtral de haut niveau artistique en direction des publics
d’enfants et de jeunes.
La mise en cause et le rejet des spécialistes par les instances ministérielles n’est rien d’autre
qu’un alibi pour tenter de justifier une injustifiable politique de désengagement vis-à-vis
de l’enfant spectateur.
Ce déni nuit aussi à toute hypothèse de transmission des savoirs et des pratiques
théâtrales adressés à l’enfant spectateur depuis Stanislavski, Charles Dullin, Léon Chancerel,
puis Miguel Demuynck, et leurs héritiers… Comme s’il n’y avait pas matière à mémoire utile
dans l’histoire riche et multiple du théâtre pour l’enfance et la jeunesse de ces quarante
dernières années.
Une nécessaire révision
Une révision de la politique en cours est devenue indispensable.
Pendant des années, les concertations avec les fonctionnaires représentant les différents
Ministres de la Culture ont été piégées par des malentendus conceptuels et des amalgames
pluridisciplinaires
qui
ont,
volontairement
ou
non,
égaré
la
réflexion.
Pour se persuader de l’ampleur de ces approximations, il suffit de relire le dommageable
« rapport Sellem » qui, en dépit de son indigence notoire, et sans avoir été analysé en
concertation avec les artistes et professionnels intéressés comme s’y était engagé le Ministère,
a été utilisé dès 1999 pour orienter la politique ministérielle actuellement à l’œuvre. Sans
doute n’était-ce qu’un rapport ad hoc…Seul un véritable bilan critique (qui, à ce jour, reste à
faire par les services concernés du Ministère de la Culture) permettra de remettre en cause les
effets d’une généralisation forcée qui a eu pour seul mérite de mettre en évidence l’étendue
des attentes, et l’importance des besoins.
Une réelle volonté de répondre à ces besoins, dans le sens de la nécessaire émancipation
artistique et culturelle des enfants dans une démocratie avancée, impose de sortir des
confusions conceptuelles et sémantiques, de reparler d’art et de théâtre, de reconnaître
explicitement l’identité et les objectifs des pratiques théâtrales de l’enfant parmi la
diversité des autres formes de pratiques artistiques et culturelles (littérature, danse,
musique, cinéma, cirque, audio-visuel, etc.)
Autrement dit, il s’agit d’écouter, d’entendre, et de reconnaître ce dont parlent les femmes et
les hommes de théâtre lorsqu’ils s’intéressent au théâtre contemporain pour jeunes spectateurs.
Il s’agit surtout de conforter et d’étendre, à l’échelle du territoire national et des besoins,
après cinq ans d’errements destructeurs, le réseau de compagnies et d’établissements de
référence, d’améliorer au plus vite la situation économique des compagnies et des
établissements qui font ou feront le choix délibéré d’un projet théâtral artistiquement fort
s’adressant prioritairement et de façon durable aux publics d’enfants et de jeunes.
La politique du Ministère doit être révisée d’urgence.
Un premier signe de cette volonté de révision pourrait être la création par l’État d’un
fonds d’intervention.
Dès 1995, dans un contexte alors beaucoup moins défavorable, l’ATEJ proposait déjà la
création par l’Etat (Ministère de la Culture) d’un fonds d’intervention approprié. Aujourd’hui,
les conditions nouvelles et les objectifs nouveaux de l’activité théâtrale en direction des
publics d’enfants rendent l’existence d‘un tel fonds d’intervention de plus en plus nécessaire.
En effet, il s’agit de soutenir cette activité sous toutes ses formes actuelles qu’il s’agisse
d’initiatives occasionnelles ou fondées sur une recherche permanente. Sans léser les unes au
détriment des autres. Sur la base d’un financement d’Etat repérable et clairement affecté aux
seules actions théâtrales s’adressant aux publics d’enfants.
Doté par le Ministère de la Culture d’une enveloppe budgétaire spécifique, ce fonds
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d’intervention permettrait à l’Etat républicain, par l’intermédiaire des DRAC, de mieux
affirmer son intérêt pour la formation théâtrale des nouveaux publics d’enfants et de jeunes,
de mieux pouvoir financer selon des modalités qui seraient définies par une concertation entre
représentants de l’Etat et représentants du milieu théâtral concerné, les projets de création des
compagnies au même titre que les projets des établissements de diffusion fondés sur la
permanence d’une activité théâtrale en direction de ces publics.
La mise en œuvre de ce fonds d’intervention pourrait constituer le signe fort et attendu d’une
nouvelle volonté de l’Etat de s’intéresser effectivement et concrètement aux droits de l’enfant
spectateur de théâtre, de réellement soutenir dans le respect des exigences artistiques et à
l’échelon du territoire national, la reconstruction et la dynamisation d’un nouveau réseau de
création et de diffusion théâtrales, permettant l’émergence et la circulation d’œuvres
théâtrales de qualité dédiées aux publics d’enfants et/ou de jeunes.
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Annexe 4 : Questionnaire envoyé aux Théâtres programmant du théâtre jeune public à
Toulouse
Combien de spectacles jeune public programmez-vous cette saison ? Pour un total de combien
de séances ?
Que part représente la programmation jeune public dans la programmation totale ?
Combien coûte en moyenne un spectacle jeune public ? Par rapport à un spectacle pour un
public adulte ?
Au sein de votre structure, y a-t-il une ou plusieurs personnes chargées exclusivement de la
programmation jeune public ?
Quelles sont les spécificités de votre programmation jeune public ? (Plutôt des compagnies
locales ou de toute la France voire de l’étranger, plutôt du théâtre d’objets, de marionnettes,
musical, des contes…)
Recevez-vous beaucoup de propositions de compagnies pour des spectacles jeune public ?
Organisez-vous des actions autour des spectacles jeune public : rencontre avec les artistes,
goûters après ou avant le spectacle, ateliers de pratique artistique pour enfants… ?
Accueillez-vous des publics scolaires ? Si oui quel part représente t-il dans la totalité du jeune
public ? Y a-t-il des jumelages ou partenariats organisez avec des classes.
Votre structure reçoit-elle des subventions ? Si oui de quelle manière se répartissent-elles
(municipalité, département, région, Etat, mécénat privé…) ? Recevez-vous des subventions
spécifiquement pour le jeune public ?
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IEP Toulouse
2006-2007
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Anne Gablin
IEP Toulouse
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pour la jeunesse, résumé de sa Thèse de doctorat en Arts du spectacle, Paris III-Sorbonne
Nouvelle, novembre 2004, 3 p.
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Hypothèses historiques, structurelles, artistiques, intervention dans le cadre du Festival
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Christine Valla, Ouvrir les yeux. Le spectacle vivant en direction des « jeunes publics » : une
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Rapport du Ministère de la culture, L’éducation à l’art et à la culture, janvier 2003
INSEE, Les pratiques culturelles : le rôle des habitudes prises dans l’enfance, février 2003
Textes de loi, discours
Plan de relance de l’éducation artistique et culturelle, janvier 2005
Charte des missions de service public du spectacle, 22 octobre 1998
André Malraux, Présentation du budget de la culture à l’Assemblée nationale, 27 octobre
1966
Un peuple, une culture, Manifeste de 1945 de Peuple et Culture
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Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Tables des matières
INTRODUCTION................................................................................................................................................. 1
I.
DEFINITION DU DOMAINE ETUDIE ................................................................................................... 5
A. UN CONTEXTE FAVORABLE A L’EMERGENCE D’UN THEATRE A DESTINATION DU JEUNE PUBLIC ..................... 5
1. Le mouvement des Universités populaires................................................................................................. 5
2. Un Théâtre pour le peuple......................................................................................................................... 5
3. Le mouvement d’éducation populaire ....................................................................................................... 6
4. Une politique de décentralisation, très dynamique dans le domaine du théâtre ....................................... 6
5. Le Théâtre, service public ......................................................................................................................... 7
B. DU SPECTACLE POUR ENFANTS AU THEATRE JEUNE PUBLIC ............................................................................ 7
1. « jeune public », « tout public », « à partir de… » : la multiplication des dénominations........................ 7
2. Le théâtre à destination des enfants, son histoire..................................................................................... 9
3. L’évolution de la place de l’enfant dans la société.................................................................................. 13
4. Spectacle pour enfant contre théâtre jeune public .................................................................................. 14
5. La question commerciale / artistique ...................................................................................................... 16
C. QUEL REPERTOIRE POUR QUEL PUBLIC ?....................................................................................................... 20
1. L’émergence d’un répertoire jeune public .............................................................................................. 20
2. Peut-on parler de tout ?........................................................................................................................... 21
3. Un public spécifique ? ............................................................................................................................. 21
4. Une écriture spécifique ?......................................................................................................................... 24
5. Au-delà du texte… aller au « pestacle » .................................................................................................. 25
D. DES ENFANTS DANS UN THEATRE….............................................................................................................. 26
1. La pratique culturelle du jeune public..................................................................................................... 26
2. « Jeune public deviendra … grand » ? .................................................................................................... 32
3. L’expérience artistique « en direct » ....................................................................................................... 33
4. Une expérience de groupe ....................................................................................................................... 35
II.
LA POLITIQUE CULTURELLE EN DIRECTION DU JEUNE PUBLIC ........................................ 36
A. EDUCATION / CULTURE : UNE ASSOCIATION DIFFICILE MAIS INDISPENSABLE ? ............................................ 36
1. Ministère de la Culture vs Ministère de l’éducation nationale................................................................ 36
2. Education artistique : une formation nécessaire à la rencontre avec l’œuvre ? ..................................... 37
3. Vers une réforme nécessaire de l’éducation artistique et des politiques culturelles ? ............................ 40
B. LE JEUNE PUBLIC : UNE RESPONSABILITE COLLECTIVE ................................................................................. 46
1. Le « jeune public » : parent pauvre du spectacle vivant ? ...................................................................... 46
2. L’intervention des acteurs publics........................................................................................................... 48
C. ETUDE DE L’OFFRE JEUNE PUBLIC A TOULOUSE ............................................................................................ 61
1. Un panorama de l’offre jeune public dans le domaine du spectacle vivant à Toulouse.......................... 61
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2. Le rôle de l’offre culturelle en direction du jeune public dans l’attractivité de la ville .......................... 70
III.
DIFFERENTS ACTEURS POUR UNE DEFINITION COMMUNE DU « JEUNE PUBLIC »... 74
A. UN RESEAU D’ACTEURS ................................................................................................................................ 74
1. Le jeune public sous la pression de missions multiples ........................................................................... 74
2. Un réseau d’acteurs culturels.................................................................................................................. 75
3. Le jeune public : un monde de l’art ?...................................................................................................... 76
4. Une typologie d’acteurs........................................................................................................................... 78
A. LE JEUNE PUBLIC : AU COEUR D’UN NECESSAIRE TRAVAIL DE COOPERATION ............................................... 83
1. La relation enseignant / artiste, vers une définition commune de l’éducation artistique ? ..................... 83
2. Quand l’école investit le Théâtre : l’appropriation du lieu culturel ....................................................... 87
3. La pratique artistique : quand le spectateur découvre le jeu ................................................................. 89
4. Au sein d’un territoire, l’articulation de multiples acteurs ..................................................................... 92
5. La nécessaire reconnaissance institutionnelle des actions pédagogiques mises en place par les
structures culturelles ................................................................................................................................... 93
B. LA CONSTRUCTION DU JEUNE PUBLIC : FRUIT D’INFLUENCES RECIPROQUES ................................................. 95
1. Théâtre jeune public : art à part entière ou outil pédagogique ?............................................................ 95
2. Un public prescripteur ?.......................................................................................................................... 97
3. Le spectacle vivant jeune public, un terrain d’expérience fertile ............................................................ 98
C. VERS LA MULTIPLICATION DE PROPOSITIONS EN AUTONOMIE .................................................................... 100
1. Le développement de projets au sein des collectivités territoriales...................................................... 100
2. Le développement d’action artistique et de formation au sein des structures culturelles ..................... 103
CONCLUSION ................................................................................................................................................. 105
ANNEXES ......................................................................................................................................................... 107
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................................ 123
TABLES DES MATIERES.............................................................................................................................. 126
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Anne Gablin
IEP Toulouse
2006-2007
Quatrième de couverture
Résumé
Depuis une trentaine d’années, on assiste au développement du spectacle vivant
jeune public. Un véritable répertoire s’est peu à peu créé, des compagnies théâtrales et des
metteurs en scène se spécialisent dans la création en direction du jeune public. Signe de
reconnaissance de la part des pairs, un prix « spectacle vivant jeune public » a été créé aux
Molières en 2005. Pourtant, le spectacle vivant jeune public n’est pas systématiquement
reconnu comme un secteur artistique à part entière. Chez les professionnels de la culture, le
secteur jeune public ne tient souvent qu’un second rôle. Aussi, la plupart du temps, c’est
l’image d’un théâtre pour enfants « rose-bonbon » qui s’impose dans l’imaginaire des gens. Et
pourtant, ce secteur encore jeune regorge d’inventivité et de dynamisme. Face à ce constat, il
convient de s’interroger sur la manière dont s’est peu à peu construit la création théâtrale en
direction du jeune public, quelles sont ses origines et comment tente t-elle de se faire une
place au sein du spectacle vivant. Etudier le secteur du spectacle vivant jeune public, c’est
également s’interroger sur les liens qui se tissent entre le Théâtre et l’Ecole à travers les
actions d’éducation artistique. Finalement, on constate qu’un réseau large d’acteurs, ayant
chacun une définition de ce que doit être le spectacle vivant jeune public, participe à sa
construction. Au travers de relations de coopération, d’influences réciproques et également de
tentatives d’autonomisation, ces différents acteurs font du spectacle vivant jeune public un
véritable « monde de l’art » au sens de Howard Becker.
Mots-clefs :
Jeune public, Spectacle vivant, Théâtre, Education artistique, Politiques culturelles, Toulouse
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