Contribution au Colloque AFEP 2013 POLITIQUE ECONOMIQUE : UN ESSAI D’INTERPRETATION A PARTIR DE LA REGULATION ET DES MEDIATIONS POLITIQUES Eric Lahille Université Paris-Est/ESIEE PARIS et CEMI-EHESS [email protected] PLAN Introduction 1. Théorie de la régulation et politique économique : du rejet critique de l’approche fonctionnaliste à la recherche d’un nouveau statut. 1.1. De la critique de la politique économique …à l’indétermination de sa place et à l’hétérogénéité de son statut. 1.2. Quels rôles pour la politique économique ? Des divergences d’interprétation à l’origine de difficultés théoriques et empiriques 1.3. Critiques et tentatives de dépassement. 2. Vers une économie politique régulationniste de la politique économique. 2.1. La politique économique vue sous l’angle des structures sociétales et politiques 2.2. La politique économique insérée dans les rapports Etat-économie 2.3. L’approche constructiviste de la politique économique : entre retour aux sources et limitation méthodologique et prescriptive. 2.4. Inclusion de la politique économique à la TR et affirmation de son rôle singulier dans la régulation. 2.5. Conclusion provisoire : une vue d’ensemble des processus complexes de détermination de la politique économique. 3. La place et le rôle du politique dans la TR : pluralité d’approches, évolutions et enjeux théoriques 3.1. L’ontologie sociale du politique dans la TR 3.2. Le politique dans la TR1 : son application à la crise. 3.3. TR étendue : entre primat du politique et autonomie relative de l’économie. 3.4. Quelques hypothèses sur les interactions Economie/Politique 3.5. Eléments de caractérisation du politique à partir du concept de mode de régulation politique. 3.6. La nécessaire intégration de la dimension d’Economie politique internationale 4. Régulation politique et politique économique : quelques hypothèses de travail pour ne pas conclure Introduction Aujourd’hui, les politiques économiques sont vues par la théorie standard sous un angle étroitement normatif et de façon purement technique. En fait, cette démarche dominante de la politique économique est la conséquence de la séparation ontologique de l’économie et du 1 politique qui structure la doctrine libérale depuis ses origines et dont le projet est d’imposer un primat de l’économique sur l’ensemble du système social. Cette instrumentalisation pose une série de problèmes épistémologiques et méthodologiques, de macroéconomie appliquée, ou encore relatifs à la régulation et à l’accumulation. C’est notamment le cas de l’Union Européenne et de la zone euro où l’acharnement à conduire des politiques budgétaires et fiscales de plus en plus restrictives aggrave la crise globale au lieu d’en contrecarrer les effets conjoncturels récessifs. Une des explications les plus couramment admises consiste à faire état du caractère hautement performatif des théories « néolibérales » qui servent de fondements à la mise en œuvre de telles politiques. Pourtant, à l’heure de l’extension et de l’aggravation des politiques d’austérité, cette thèse nous paraît insuffisante. En effet, l’enfermement dans de telles logiques ne fait même plus consensus au sein du courant dominant, comme l’attestent les récentes déclarations de l’économiste en chef du FMI, O. Blanchard, qui admet des erreurs dans le calcul des coefficients multiplicateurs des dépenses publiques. Si le cadre conceptuel dominant est à la base de politiques économiques impliquant des effets conjoncturels mais aussi structurels déstabilisateurs, qui, de toute évidence ont des conséquences politiques et sociales majeures, on ne peut, en revanche, se satisfaire de cette seule explication. Sauf à accepter de raisonner dans un cadre simpliste, les choix de mise en œuvre de politiques économiques (plus ou moins expansionnistes, neutres ou restrictives pour simplifier-) ne sauraient donc être abordés simplement sous l’angle unique de leur conformité vis-à-vis des normes néolibérales. Il convient, à tout le moins, de les juger à l’aune de leurs résultats macroéconomiques et, surtout, de les inscrire dans le réseau complexe de détermination économique, sociale et politique dans lequel elles prennent leur source et sur lequel elles font retour. Pour dépasser toute vision réductrice évacuant les tenants et aboutissants non économiques de leur mise en œuvre, considérés simplement comme des perturbations de l’ordre idéal marchand, il convient donc de penser les conditions sociales et politiques de leur élaboration. Notre hypothèse de départ est qu’une certaine configuration des rapports sociaux conditionne très largement la nature des politiques publiques en général et les politiques économiques en particulier. Aussi est-il fondamental de questionner ces déterminants « cachés » par la théorie standard en rompant avec l’hégémonie techniciste focalisée sur les seules variables économiques et le rejet du politique. En écartant cette perspective économiciste, on tente, non pas tant, de renverser la problématique du côté des seules variables non-économiques, que de suggérer un autre mode d’insertion de l’économique à la sphère sociale et à l’instance politique. Ce choix s’appuie sur les travaux de l’école de la régulation pour lesquels les institutions, dont la politique économique, ont un caractère non économique et principalement politique (Boyer, 2004). Pour ce faire, on rappellera, premièrement, les définitions, rôles et statuts de la politique économique à partir d’une présentation des hypothèses régulationnistes, des origines à nos jours. On s’emploie, ensuite, à articuler celles-ci avec les différentes approches du politique que l’on trouve dans la théorie de la régulation (TR). S’il n’y a pas de vision univoque au sein de la TR, tant au plan des politiques économiques qu’à celui du statut du politique, il est néanmoins possible d’avancer des éléments de réflexion qui prolongent certaines conceptualisations régulationnistes. Il s’agit notamment de compléter ces approches en y intégrant la dimension du rapport international que l’on articule aux logiques spécifiques de la régulation politique, afin de penser les différentes expériences en cours et d’aboutir à une étude « terrain ». A l’heure où de nombreux travaux hétérodoxes restent centrés sur la grande crise du néolibéralisme et des politiques néolibérales, nous insisterons donc plutôt sur les différences 2 politiques et institutionnelles qui sont directement à l’origine de la variété des régimes de politique économique qui se traduisent par une hétérogénéité de résultats. En s’inscrivant dans une perspective d’économie politique, ce travail doit être envisagé comme une tentative d’incorporation des variables non strictement économiques, et singulièrement des variables et déterminations politiques, qui, c’est l’hypothèse défendue ici, jouent un rôle central dans la conformation des régimes actuels de politique économique et dans leur dynamique macroéconomique, sociale et politique1. 1. Théorie de la régulation et politique économique : du rejet critique de l’approche fonctionnaliste à la recherche d’un nouveau statut. 1.1. De la critique de la politique économique …à l’indétermination de sa place et à l’hétérogénéité de son statut. Dès les années 70/80, la critique de la conception fonctionnaliste traditionnelle de la politique économique apparaît comme un des traits différenciant des travaux régulationnistes par rapport aux autres approches économiques. Ainsi c’est ainsi une certaine conception téléologique de la politique économique qui est remise en cause. En effet, pour la TR, celle-ci ne saurait être simplement le produit d’un acteur omniscient, en l’occurrence l’Etat, qui mobiliserait de manière intentionnelle ses moyens au service d’une régulation rationnelle du système économique (André et Delorme, 1983). Pour les régulationnistes la politique économique n’est, tout au plus, qu’une forme institutionnelle (FI) parmi les autres et seule leur configuration d’ensemble définit le mode de régulation. La politique économique décidée par un Etat, à supposer qu’elle soit homogène et cohérente, n’est donc qu’un vecteur de la dynamique d’ensemble. Ainsi n’a-t-elle pas le même statut que dans les approches standard ou même dans le keynésianisme et le marxisme, qui lui accordent un rôle absolument central et des vertus considérables dans la stabilisation et la cohérence économique globale. On comprend, dans ces conditions, qu’elle mette de côté la politique économique conjoncturelle (de type keynésienne) de court terme. Considérée comme un élément intégré dans un ensemble de structures dont la configuration fonde la dynamique économique d’ensemble, la TR propose un renversement de la perspective dominante et opère un changement conceptuel profond quant aux places et rôles de la politique économique. Ainsi, dans un premier temps, un des messages essentiels délivrés par la TR consiste à pointer les limites des politiques économiques, pensées fondamentalement comme soumises aux luttes d’influence entre acteurs sociaux et résultant de rapports de forces et de compromis institutionnalisés. Ce qui revient ensuite à en réduire singulièrement la portée. Cependant, un rapide survol des principales analyses régulationnistes en la matière fait ressortir une pluralité d’approches provenant d’une diversité des angles d’attaque. Le résultat est alors plus hétérogène qu’il n’y paraît au premier abord et dans cette phase d’émergence de la théorie plusieurs définitions et conceptions de la politique économique cohabitent entre elles de manière plus ou moins contradictoire. 1 Cette contribution théorique qui met l’accent sur les interactions signifiantes entre régulation économique et politique n’est que le 1er volet d’une étude ayant pour objet final de s’interroger sur ce qui unit et distingue les politiques macroéconomiques réellement menées aux Etats-Unis et en Europe depuis les années deux mille. Il s’agit donc d’esquisser ici une conceptualisation servant de cadre à une analyse comparative des régimes de politique économique sous l’angle des stratégies politiques des acteurs en concurrence dans les différents espaces sociaux. Ce travail entend donc avancer une série d’hypothèses nécessaire à une interprétation sociopolitique non déterministe des tenants et aboutissants des politiques économiques. Dans cet esprit, on essaie de préciser, ici, les principaux processus d’ordre politique susceptibles de discriminer les trajectoires entre les espaces sociaux et comment ils opèrent aux différents niveaux considérés. 3 Si l’option la plus répandue est, sans doute, de la considérer comme une FI à part entière, mais hiérarchiquement dominée par les autres FI et conformée par des structures sociales plus fondamentales, elle peut aussi être envisagée de manière plus horizontale, dispersée entre les différentes formes structurelles (monnaie, rapport salarial, etc.) (Benassi, Boyer, Gelpi, 1979). Enfin, elle s’avère, aussi, emboitée au sein de la FI « Etat » (André et Delorme, 1983, Delorme, 1995). Elle est ainsi considérée comme un sous-ensemble constitutif d’une FI plus vaste qui l’englobe. Dans tous les cas, elle est donc située soit en retrait, soit à un échelon inférieur à celui des principales FI, comme par exemple au sein de « la nature ou des formes de l’Etat », ou encore à un niveau plus orthogonal aux autres FI, qui relève plus globalement d’un régime hétérogène de politiques publiques. Son statut n’est donc pas équivalent à celui d’une FI « classique ». Cette place secondaire vis-à-vis des autres FI est, cependant, contestée de manière implicite, par le fait qu’elle occupe une position transverse par rapport aux principales structures institutionnelles, ce qui lui confère un statut pour le moins spécifique. En effet, en étant orthogonale aux autres FI, il n’est plus évident que son rôle soit aussi contraint que ne le postule généralement la TR, car c’est depuis son espace particulier qu’elle est susceptible de travailler en profondeur les déterminations des autres FI. Il apparaît alors une ambiguïté au sujet de la place conférée par la TR à la politique économique qui est source de contradiction et d’une tension logique au sein de son corpus théorique, dans la mesure où elle remet en question le constat initial sur une place et donc une portée limitées. En effet, ces constats sur l’absence de vision uniforme du mode d’insertion de la politique économique dans la régulation et sur la singularité de son positionnement ont évidemment des conséquences essentielles s’agissant de son degré exact d’influence et sur son rôle. 1.2. Quels rôles pour la politique économique ? Des divergences d’interprétation à l’origine de difficultés théoriques et empiriques F. Lordon (1994, 1995, p.200-202) ne recense pas moins de quatre positions régulationnistes différentes en la matière. Celles-ci vont d’une posture d’arraisonnement de la politique économique, qui représente le dénominateur commun régulationniste, en s’inspirant de l’approche poulantzasienne de l’Etat2, jusqu’à son « exclusion » pure et simple3. Elles s’opposent néanmoins à des approches moins radicales quant à son degré d’asservissement structurel et social (Boyer, 1986) et plus classiquement programmatique mettant l’accent sur la nécessité de politiques économiques structurelles dans la crise (Lipietz, 1984). Cette diversité des positions qui s’articule partiellement aux différences de statut de la politique économique dans la TR, est le signe d’une difficulté théorique rendant tout à fait improbable la définition d’une « politique économique régulationniste » homogène. En fait, l’hétérogénéité des rôle, place et statut de la politique économique doit être replacé dans le cadre plus vaste des travaux sur les grandes crises et les changements institutionnels de longue période, qui constituent le cœur du projet régulationniste. Ainsi la politique économique est-elle vue, avant tout, sous l’angle des grandes transformations structurelles. A ce titre, la TR questionne fondamentalement sa conformation à des déterminants historiques et institutionnels qui sont situés en amont (Théret, 1992). Ce qui débouche, au mieux, sur des réflexions portant sur les conditions de ses mutations et sur les modalités d’émergence de nouvelles formes de politiques économiques en relation avec les FI et les régimes d’accumulation (Boyer, 1986, p. 88-97). En raison de la nature de son projet initial, qui consiste à prendre à contre-pied les théories dominantes de la politique économique, la TR insiste principalement sur leurs limites dans la mesure où celles-ci ne peuvent être pensées indépendamment de la grande crise structurelle 2 3 Pour quelques précisions sur le sujet, supra cf. 2.3. Cf. infra, 1.3. 4 du fordisme. La question de leur efficacité ne dépend pas tant du choix de bonnes décisions et d’un fin réglage conjoncturel décrété par l’Etat, mais de leur adéquation avec la dynamique systémique et l’ordre social. Ainsi, la TR insiste plutôt sur leur caractère potentiellement déstabilisateur pour le mode de régulation, dont elles sont pourtant l’émanation, si les régularités socioéconomiques d’ensemble se trouvent modifiées (Aglietta, Orléan, Oudiz, 1980, Théret, 1992, 1999, Boyer, 1986). Le propos initial de la TR consiste donc en une opposition à la vision techniciste dominante basée sur la régulation conjoncturelle de la politique économique pour y substituer une conception structurelle, sociale et historique privilégiant la longue période. Celles-ci sont donc pensées non pas en tant que composante active et particulière d’un système économique donné, mais comme un élément plus ou moins « passif » de la structure socio-économique, sans réelle autonomie (Lordon, 1995). Autrement dit, la politique économique n’intéresse la TR que du point de vue des vastes recompositions institutionnelles dont elle est l’expression. Elle est ainsi condamnée à un rôle mineur dans la dynamique du changement structurel qui s’impose à elle plutôt qu’elle ne l’influence. Cette motion majoritaire est cependant progressivement amendée. Ainsi R. Boyer (1986) envisage-t-il la politique économique sous l’angle de son autonomie relative. Cette position non déterministe qui accorde une place et un rôle à part entière à la politique économique remet donc en question une vision structuraliste qui surestime le poids et l’effet des structures sur la dynamique institutionnelle et les décisions des acteurs. Si la politique économique est posée comme complexe, non univoque et insérée dans une dynamique socioéconomique qui l’englobe et la dépasse, elle ne saurait donc s’y réduire complètement. Globalement, les relations de la TR avec la politique économique ne sont donc ni simples ni homogènes et surtout pas sans ambiguïtés et sans faiblesses lorsqu’il s’agit de définir un modèle cohérent de politique économique. 1.3. Critiques et tentatives de dépassement. Cette conception inédite de la politique économique a suscité des incompréhensions et alimenté les débats internes et les réactions de tous bords4. Dès l’origine, la TR a donc dû faire face à des critiques à la fois nombreuses et récurrentes. En schématisant, on peut dire que ces critiques sont de deux ordres. D’une part, elles soulignent les difficultés théoriques et empiriques pour parvenir à inclure pleinement la politique économique à la perspective qui est la sienne et, d’autre part, elles se polarisent sur la faiblesse et l’hétérogénéité de son programme de politique économique. Comme le reconnaissent les régulationnistes, ces critiques n’apparaissent pas toujours complètement infondées. Un bref rappel des fondements épistémologiques et méthodologiques de la TR et de son projet initial permet de comprendre les difficultés qu’elle rencontre. De par son épistémologie métainstitutionnelle et historique, elle privilégie l’analyse des transformations structurelles du capitalisme en négligeant les dynamiques locales et le temps court. Or on constate empiriquement que certaines logiques partielles finissent par s’imposer et faire système et que des décisions de politique économique conjoncturelle peuvent modifier durablement l’architecture institutionnelle de tout système économique. La TR semble donc victime de sa prise de distance critique vis-à-vis de la politique économique traditionnelle. En outre, la dichotomie entre conjoncture et structure sur laquelle elle fonde sa démarche la conduit logiquement à sous-estimer l’impact des interventions publiques. On comprend alors les difficultés pour la TR d’investir le champ de la politique économique. Dans ces conditions, il ne peut exister de programme régulationniste de politique 4 Pour une vue d’ensemble Cf. Boyer (1986). 5 économique de sortie de crise. Il s’agit tout au plus d’une agrégation de mesures, plus ou moins hétérogènes et éparses, orientée vers des objectifs structurels. Pour des raisons qui tiennent à l’essence même du projet régulationniste initial qui consiste à comprendre la dynamique des crises structurelles, priorité est donnée à l’analyse d’ensemble et des problèmes de cohérences institutionnelles dans les mouvements longs de l’histoire. La TR ne peut donc, au moins dans un premier temps, se saisir pleinement de la question des décisions publiques, par ailleurs surdéterminées par le poids des structures. Elle néglige alors, logiquement, les mécanismes d’ajustement localisés qui apparaissent mineurs dans sa problématique de recherche. Pour la TR, ceci pose implicitement trois problèmes théoriques réels pour intégrer de façon plus pertinente la dimension programmatique à son objet théorique initial. Il convient alors de parvenir à réarticuler dynamique partielle (politique économique) et dynamique globale (système et structures). Il faut distinguer les différents niveaux de la politique économique et proposer une grille d’analyse des relations complexes qui relient nécessairement la politique structurelle de long terme avec la politique conjoncturelle de plus court terme. Il s’agit, enfin, de penser les interrelations entre temps historique court et temps historique long, car de toute évidence, il ne saurait être question de séparer ces différents registres les uns des autres. En outre, la dilution des mesures constituant un programme de politique économique régulationniste tient à la méfiance et au rejet ontologique des mesures de politique économique. En effet, la faiblesse voire l’absence de contenu prescriptif provient aussi pour partie d’une posture analytique d’essence « a-normative » revendiquée par la TR. En effet, la démarche adoptée par des auteurs clés de la TR (Aglietta et Orléan, 1982) consiste à opposer aux approches économiques normatives dominantes une approche scientifique, dans laquelle l’objet de la politique économique ne saurait être confondu avec les intérêts des groupes sociaux en concurrence rivalitaire entre eux au sein de toute formation sociale. Dans cette optique, le projet de faire science peut contraindre à renoncer aux tentations interventionnistes de la politique économique contra-cyclique de stabilisation, de toute façon sans grande portée. Quant aux politiques structurelles affectant les conditions de la régulation et de l’accumulation, elles sont pensées comme étant le produit des conflits entre les acteurs sociaux. De ce fait, tout programme de politique économique ne peut être séparé des conditions sociales de son élaboration et il n’existe pas de politiques économiques supérieures aux autres. Elles sont, en fait, le résultat des rapports de force entre les acteurs sociaux qui s’actualisent par le biais de compromis institutionnalisés, aussi bien dans le cadre de leur élaboration que dans celui de leur mise en œuvre. Fondamentalement, cette démarche insiste sur l’absence d’objectivité d’un discours économique qui est toujours pris dans les contradictions inhérentes à toute formation sociale et qui court donc le risque de l’instrumentalisation au service des intérêts de groupes particuliers. Une telle approche conduit donc à considérer avec prudence toute politique économique, voire à y renoncer, faute de pouvoir s’extraire du jeu de la violence sociale. Par extension, elle déplace aussi la question sur le rôle et la place de l’Etat dans l’économie, puisque celui-ci apparaît en dernier ressort comme étant au centre du jeu opposant les différentes forces sociales. 2. Vers une économie politique régulationniste de la politique économique. Comme l’a souligné F. Lordon (1995), l’exclusion de la politique économique est d’autant plus paradoxale pour la TR que la volonté de participer au débat est manifeste et que le besoin d’alternatives aux politiques néolibérales se fait cruellement sentir. Grâce à une seconde génération de travaux, les difficultés et contradictions originelles vont ainsi faire l’objet d’un réexamen critique largement impulsé par les travaux de Lordon. Il s’agit alors d’essayer d’expliciter une théorie régulationniste de la politique économique. Cependant, cette seconde vague de travaux reste à des degrés divers enracinée dans la problématique de départ. En 6 revisitant sa place et en réinterrogeant ses processus complexes de déterminations, ceux-ci tentent, en tous les cas, de mieux l’insérer dans le cadre d’un renouvellement des premières conceptualisations. Ce sont, ainsi, les analyses de l’Etat et des interactions entre l’économie et le politique qui deviennent un enjeu majeur du programme de recherche de la TR des années 90. En effet, une des idées force de ce programme repose sur une conception élargie de la politique économique, alors abordée sous l’angle d’un « couplage stratégique » de l’Etat et de l’économie capitaliste (Jessop, 1990). A la suite de Jessop, une des questions centrales consiste alors à expliciter la nature des interactions complexes qui relient l’Etat, le politique et l’économique. Sans être exhaustif, on peut schématiquement considérer qu’il existe quatre itinéraires régulationnistes différents pour y parvenir. Si chacun développe sa propre problématique et l’aborde selon des niveaux d’analyse différents, tous cherchent à donner un contenu à l’autonomie relative de la politique économique. Ils constituent donc un tournant décisif permettant de progresser dans la connaissance de ces interrelations et contribuent à fonder ce qu’il est convenu d’appeler une véritable économie politique de la politique économique, sujet qui est au cœur de la problématique du colloque de l’AFEP. -2.1. La politique économique vue sous l’angle des structures sociétales et politiques Dans cette optique, les travaux de B. Théret (1992, 1995, 1999), qui s’inscrivent dans le prolongement de la conception structuraliste critique de la TR, cherchent à expliquer en quoi le rôle actif de la politique économique est assujetti à l’espace social dans lequel il s’insère. Pour rendre compte des conditions d’autonomie et d’efficacité de toute politique économique il convient donc d’en expliciter les formes complexes d’insertion et d’articulation avec le niveau supérieur des structures sociales fondamentales. La démarche choisie consiste alors en un essai de conceptualisation des structures fondamentales de toute organisation sociale qui précise les interrelations complexes entre les principaux ordres de pratiques sociales ayant leur propre finalité (politique et économique). Cette méta-caractérisation de l’ordre social débouche sur une analyse historique et sur une véritable topologie du social dans laquelle « l’indépendance dans l’interdépendance » des ordres de pratiques est articulé avec les niveaux inférieurs. En distinguant les ordres des registres de pratiques sociales, soit le droit, la monnaie et le discours, il montre que toute politique économique est sujette à un parcours d’obstacles qui se complexifie encore lorsqu’on y ajoute le niveau des médiations et formes institutionnelles qui résultent des compromis entre les acteurs dans les différents registres. Cette approche matricielle des articulations et des médiations entre la politique économique et la sphère sociétale débouche ainsi sur une vision originale sur sa place et son rôle. Si elle conforte certaines thèses régulationnistes antérieures, notamment la critique de la vision fonctionnaliste dominante, sa forte indétermination et ses limites, elle montre aussi que la politique économique occupe une place éminemment transversale au sein de la topologie du social qui a été construite. Ainsi, en étant au carrefour des interactions sociales complexes et en mobilisant simultanément les différents registres dans les différents ordres de pratiques sociales, son rôle s’avère non négligeable. Le cadre conceptuel proposé par Théret permet donc d’appréhender les conditions de l’efficace de toute politique économique. Il permet, enfin, de souligner le rôle du politique dans le processus d’institutionnalisation de la politique économique. Ainsi, celle-ci est vue comme le reflet de: « …la stratégie politique d’un bloc historique d’acteurs organisés, stratégie privilégiant un parcours dans la topologie du social qui réduit les pertes d’information et de motivation qui se produisent inéluctablement dans les faisceaux d’interférences entre les sous-systèmes que la politique économique mobilise. » Théret, (1999, p 164) 7 On peut en déduire alors que la politique économique est un élément structurant essentiel, non univoque et à multi-facettes, de toute organisation sociale moderne qui fait simultanément retour sur celle-ci, par le biais de la dynamique institutionnelle et des rapports sociaux. La politique économique a donc fondamentalement un statut ambivalent. Elle joue un rôle non négligeable pour la stabilité d’un ordre social tout en y étant lié de par sa position dans la structure sociale. Cette réincorporation de la politique économique à la problématique régulationniste actualise l’idée d’autonomie relative à l’aune des interdépendances sociales (ordres/registres/médiations et institutions) et des stratégies politiques des groupes sociaux. -2.2) La politique économique insérée dans les rapports Etat-économie La théorisation de la politique économique avancée par Delorme (1991,1995) s’inscrit dans une démarche dont l’objet fondamental consiste à expliciter et caractériser les relations entre l’Etat et l’économie. Elle ne se situe donc pas au niveau social global, qui n’est pas cependant ignoré, mais à celui plus restreint de la sphère économique. La théorie est alors centrée sur l’Etat analysé en tant qu’il opère dans la régulation d’un système socioéconomique. Son rôle est alors considéré comme singulier mais « quasi-banalisé » par rapport aux autres FI. « La notion de Mode de Relation entre l’Etat et l’économie (MREE) (qui) exprime la présence réciproque de l‘état et de l’économie l’un dans l’autre. » (Delorme, 1995, p.183) est alors utilisée pour étudier les interdépendances complexes entre les deux instances et par extension comprendre le statut et le rôle des politiques économiques qui en découlent. En distinguant les différents niveaux et places de l’Etat, Delorme en propose un croisement qui donne un contenu au MREE et permet de comprendre les conditions d’insertion de la politique économique à un ensemble complexe qui l’englobe. Il en résulte une matrice dans laquelle sont articulés les 4 niveaux de l’Etat avec ses 3 rôles fondamentaux. L’Etat est ainsi envisagé selon une logique descendante à partir des niveaux de généralité les plus élevés. Le premier niveau est celui de la société prise dans sa totalité où l’Etat est vu comme principe social. Le niveau inférieur est celui des FI, où l’Etat, FI parmi les autres, contribue à définir les règles du jeu et recouvre toute une série de phénomènes politiques et économiques dont notamment l’ensemble des politiques publiques. Les niveaux inférieurs correspondent au déroulement du jeu et aux interactions entre les acteurs. Il s’agit donc de l’Etat en tant que hiérarchie publique et l’Etat acteur en concurrence avec les autres acteurs économiques (privés). Les trois fonctions de l’Etat retenues sont la coordination, la légitimation et la souveraineté. C’est donc à partir de cette forme de représentation des relations Etat-économie que l’on est en mesure d’en déduire les régimes de politiques publiques et plus particulièrement les politiques économiques, qui, en fait, correspondent, au sein d’un MREE, à « l’intersection » entre le rôle de coordination et le niveau de l’Etat en tant que FI. Une analyse comparée des politiques économiques est ainsi susceptible de faire apparaître des différences plus ou moins marquées selon la configuration singulière de chaque MREE. Delorme en conclut que c’est donc un ensemble de structures, composé de strates différentes mais non hiérarchisées a priori, qui détermine la nature d’un type de MREE lui-même déterminant pour toute politique économique. Un tel cadre conceptuel atténue le sens de causalité et la logique descendante d’inspiration structuraliste d’une partie de la TR, puisqu’il n’adhère pas à l’idée d’une prééminence de l’échelon le plus élevé (de l’ordre social) sur ceux situés aux échelons inférieurs. La régulation économique est donc le résultat de l’agrégation d’une série hétérogène de décisions localisées et situées à des niveaux spécifiques. S’il souligne que la cohérence d’ensemble d’un système économique est conditionnée par l’existence de régularités faisant système celles-ci sont néanmoins très contingentes, car elles dépendent de la coévolution de plusieurs séries d’éléments multiples, au sein desquels se trouve la politique économique. 8 Dans ces conditions, les processus d’ajustements auxquels participent les différents acteurs, dans lesquels il faut inclure les politiques économiques de l’Etat, ne sauraient refléter une quelconque rationalité instrumentale au service d’une organisation économique efficiente. -2.3) L’approche constructiviste de la politique économique : entre retour aux sources et limitation méthodologique et prescriptive. Cette approche questionne le statut de la politique économique à travers l’analyse du politique et de son articulation à l’économique à partir d’un renouvellement des débats et d’une reformulation du projet théorique visant à lui donner plus de place. Pour ce faire, elle réinterroge la relation Etat-économie qui traverse la TR inaugurale, qui, en s’appuyant sur une lecture de la vision « poulantzasienne » de l’Etat et du politique, aboutirait à des contradictions théoriques et logiques et à un problème méthodologique. En effet, selon Palombarini (1999), en postulant que l’Etat accomplit une fonction sociale qui lui est exogène et qui consiste en la reproduction de la structure sociale, une partie de la TR est amenée à lui conférer une position de surplomb vis-à-vis de la régulation d’ensemble du système qui télescope le schéma général de la TR fondé sur les cinq FI. En s’appuyant sur les travaux de Offe, dont la proximité logique avec les questionnements de la TR est soulignée, Palombarini (1999, p.104-107) rappelle que l’Etat n’est qu’une FI parmi d’autres. Il ne saurait en être autrement, car, plus généralement, comme l’a montré Théret, il existe une rupture fonctionnelle entre l’économie et la politique, en raison de la spécificité de la dynamique politique de l’Etat qui consiste en sa propre reproduction par autorégulation (cf. infra, 2.1.) Ainsi, pour Palombarini (1999, p.119) : « Nécessiter une politique économique signifie la penser comme réponse adaptée à la logique théoriquement attribuée au politique, étant données les contraintes théoriquement établies à son action et la configuration d’une série de facteurs théoriquement identifiés. » Ces réflexions contribuent alors à renforcer le postulat méthodologique régulationniste quant à l’absence de tout ingénieur-système ayant pouvoir de régulation, à réaffirmer la nonintentionnalité de la politique économique et à se différencier de la démarche « poulantzassienne » fonctionnaliste de l’Etat répandue au sein de la TR. Sur de telles bases, notre auteur distingue deux parcours régulationnistes possibles correspondant à deux logiques différentes fondées sur une épistémologie de la représentation et de la construction (Palombarini, 1999). En rompant avec la première optique, pour laquelle un mode de régulation pourrait être conformé par les stratégies d’acteurs capables de s’extérioriser par rapport aux structures sociales, et donc de les piloter, elle souligne au contraire la nonintentionnalité de mécanismes de la régulation qui, par ailleurs, englobent et échappent ontologiquement et fonctionnellement aux principaux acteurs. On peut donc en conclure, de ce fait, que l’Etat et donc la politique économique ne sauraient échapper à cette assignation. L’objet d’une théorie régulationniste de la politique économique doit alors être repensé sous cet angle. Il s’agit non pas tant de théoriser et de faire l’analyse, a priori, d’une politique économique à l’aune d’une théorie générale plus ou moins fonctionnaliste permettant de rendre compte d’une représentation complexe du réel et de viser ensuite à le transformer, sur la base d’un changement souhaitable de mode de régulation, que de reconstruire, a posteriori, les trajectoires effectivement empruntées par les différentes FI aboutissant à un type de régulation. La justification de cette démarche s’explique par : « …une position théorique irréductible à l’analyse macroéconomique traditionnelle, et cela précisément parce qu’elle introduit une fracture définitive entre le moment de la compréhension théorique du réel (possible seulement ex-post) et le moment de l’action politique -qui ne peut plus être conçue comme action « scientifiquement » fondée ». Elle réfute ainsi, dans l’esprit de certaines approches initiales (cf. infra, 1.3.), le contenu implicitement normatif et donc prescriptif d’une possible vision régulationniste, au motif que 9 la TR ne saurait disposer de bases théoriques scientifiques, c’est-à-dire objectivables, lui permettant de s’extraire complètement du jeu social. Le projet théorique doit ainsi être clairement circonscrit à une question de méthode. S’agissant de la portée de la démarche, la conceptualisation doit être envisagée sous la forme de simples hypothèses de travail amendables en fonction des études de cas pouvant remettre en question le modèle de départ. Ce qui revient à considérer la méthode d’analyse comme étant principalement positive. L’objectif d’une théorie régulationniste de la politique économique consiste donc essentiellement à comprendre l’existant en évitant la tentation de la schématisationgénéralisation et toute approche normative car il n’existe pas de démarche scientifique concernant les indications pour l’action (Palombarini, 1999, p.122). -2.4) Inclusion de la politique économique à la TR et affirmation de son rôle singulier dans la régulation. Par opposition à d’autres approches qui lui assignent une place et/ou un rôle secondaires, F. Lordon entend inclure pleinement la politique économique à l’analyse régulationniste. Ainsi, à partir d’un bilan critique de la démarche inaugurale de la TR, qui exclut majoritairement la politique économique de son périmètre conceptuel, il en propose une réintégration sur une base conceptuelle compatible avec la méthode régulationniste (Lordon, 1995). Ce projet d’inclusion comprend trois volets principaux. D’abord, il s’agit d’expliciter les fondements théoriques conférant à la politique économique une place en tant qu’institution à part entière, en reconsidérant les interactions politique-économie à la lumière de la seconde génération des travaux de l’école régulationniste. Ensuite, il s’agit d’étudier et de rendre compte de la réalité de ses rôles et places dans le cadre d’une analyse de la dynamique du capitalisme contemporain. Les transformations de la politique économique sont ainsi analysées à partir de leur logique institutionnelle particulière et sous l’angle de leur rapport réciproque avec les mutations de la régulation. Enfin, ce travail a pour objet de remédier à la pusillanimité de la TR en matière de programmes et d’influence dans les débats économiques et politiques. Le point de départ consiste, d’une part, à penser l’Etat comme une FI à part entière, c’est-àdire au même titre que les autres institutions, et d’autre part, à lui conférer un statut singulier, se caractérisant par sa capacité à intervenir sur les autres FI qui dérive de la position d’extériorité relative de l’Etat (et de la politique économique) par rapport aux autres institutions et au mode de régulation (Lordon, 1994, p.48-49). Ainsi : «… l’Etat est aussi une institution supérieure aux autres institutions puisque dotée du pouvoir, limité mais certainement pas nul, de les transformer (…) A la fois intérieur et extérieur, l’Etat se manifeste tantôt comme dispositif œuvrant au sein du mode de régulation (…) tantôt comme point d’appui externe d’où il est possible d’agir sur le mode de régulation. » » (Lordon, 1995 p.202-203). Ce changement de présupposé sur la place conférée à la politique économique en modifie alors radicalement le rôle. En effet, dans cette optique, la politique économique acquiert une autonomie significative par rapport au régime de croissance qui renverse le sens des causalités proposé par l’approche poulantzasienne. Au lieu de se situer dans un rapport de prédétermination structurelle vis-à-vis des autres FI et des compromis institutionnalisés, la politique économique prend alors un caractère de plus en plus indéterminé. Ce qui conduit à distinguer deux types de politique économique : celles de régime (de simple conformation aux structures économiques et sociales) et celles de transition de régime, marquées précisément par un large degré de liberté et d’incertitudes lié à l’ampleur des recompositions institutionnelles et des luttes sociales. Ainsi la politique économique peut-elle être pensée en tant que telle, à partir de ses propres dispositifs institutionnels internes, articulés à des processus externes, et débouchant sur des configurations particulières. En formant des cohérences plus ou moins stables, ces combinaisons définissent alors des régimes de politique économique qui évoluent dans 10 l’espace et dans le temps (Lordon, 1995, 1997, p.31-33). Du point de vue de ses composantes propres, il est alors envisageable de repérer la manière dont s’établissent de nouvelles régularités, dans la perspective de la logique interne à la politique économique, en prenant en compte notamment les médiations et les mécanismes de décisions simplement locaux ou plus globaux. L’inclusion de la politique économique dans la perspective de régulation d’ensemble et son autonomie relative débouchent logiquement sur des réflexions sur ses déterminants et sur ses conséquences. Ainsi, à partir de l’analyse de la désinflation compétitive en France, Lordon (1997) montre comment le changement de régime de politique économique, qui procède d’une mutation interne de son complexe institutionnel, peut contribuer aussi à la transformation de la dynamique d’ensemble d’un système économique particulier. Il existe une pluralité de facteurs qui conditionne tout régime de politique économique. Ceuxci sont de plusieurs ordres et leur influence s’exerce à différents niveaux. On trouve, tout d’abord, les interactions avec le mode de régulation et le régime d’accumulation, qui impriment une dynamique systémique au composite institutionnel dans son ensemble au sein duquel est emboîtée la politique économique. Mais, par ailleurs, si des déterminants macroinstitutionnels jouent un rôle central dans leur élaboration, Lordon questionne aussi la manière dont certaines décisions/mesures plus locales peuvent faire régime. Pour comprendre cette dimension de la manière dont s’impose un régime de politique économique, il convient d’élargir l’analyse en le concevant aussi comme le résultat d’un processus cognitif et idéologique, car toute politique économique traduit une construction symbolique qui se présente comme « projet articulé à une doctrine » (Lordon, 1997, p. 32). La représentation mentale de ses tenants et aboutissants s’articule donc au sociologique et au politique qui contribuent tous deux, en tant qu’instances en interactions avec l’économique, à l’élaboration de la politique économique, qu’il s’agisse de l’appareil d’Etat en lien avec le pouvoir symbolique (Lordon, 1997, 1999) ou des compromis politiques passés avec les différents groupes sociaux constituant un bloc hégémonique. (Lordon, 1997). En cohérence avec son projet théorique initial sur la politique économique, les travaux de F. Lordon consistent depuis lors à avancer systématiquement des recommandations et des principes d’action pour la politique économique ; éléments sur lesquels nous passerons car ils ne sauraient faire l’objet d’une analyse dans le cadre limité de ce travail. 2.5. Conclusion provisoire : une vue d’ensemble des processus complexes de détermination de la politique économique. Les différences décrites quant aux places et rôles de la politique économique conduisent à une hétérogénéité des conceptualisations régulationnistes tant en matière épistémologique et méthodologique qu’en termes d’angles de vue et de niveaux considérés. Il est cependant utile d’en proposer une appropriation synthétique critique (provisoire) privilégiant certaines pistes de réflexion qui sont en rapport direct avec notre problématique. Pour ce faire, on peut retenir 6 propositions. -1) La politique économique possède, en tant que composante essentielle de l’Etat, conçu comme une FI à part entière, une autonomie relative. -2) Cette autonomie se manifeste tout particulièrement dans les périodes de grande crise dans lesquelles le rôle structurant qui lui est assigné en termes de complémentarité institutionnelle et de soutien du mode de régulation entre en contradiction avec le régime d’accumulation et le mode de croissance. -3) En raison de sa double appartenance vis-à-vis du mode de régulation (endogène/exogène) d’une part, et d’autre part, des formes plus générales de l’Etat qui relèvent simultanément d’ordres de pratiques sociales (politique/économie/symbolique) ayant leur propre finalité, elle occupe une position transversale dans la dynamique d’ensemble. 11 Schéma n°1 : Processus de détermination de la politique économique dans la TR : une vue d’ensemble S R T U C T U R E S I N S T I T U T I O N S Ordre social (Anthropologie et structures sociales fondamentales) Ordre économique Finalités/Fonctions : Accumulation Modes de Régulation et de croissance : Configuration des 5 FI (dont Etat) Ordre symbolique Finalités/Fonctions : Identification/Cognition / Idéologie Conventions / Croyances Ordre Politique Finalités : Pouvoir Rapports de force entre groupes sociaux réglés en droit / Bloc hégémonique Formes de l’Etat Médiations institutionnelles symboliques, sociopolitiques et socioéconomiques -Appareil d’Etat / Hiérarchie publique / Référentiel cognitif collectif / Acteurs (positionnement) MREE etc. Régime des politiques publiques Domaines (Politique de la concurrence, industrielle, investissement, protection sociale, etc.) et Mécanismes institutionnels spécifiques Régime de Politique économique : (Médiations institutionnelles spécifiques + mécanismes endogènes en interactions avec les stratégies des acteurs) -4) Ainsi est-il réducteur de ne la concevoir que sous l’angle strictement économique, comme dans les approches standard. Dans l’ensemble complexe qui engendre toute politique économique, la TR montre qu’il y a quatre dimensions différentes mais intimement liées : à la fois sociale, économique, symbolique et politique. -5) Cependant, ce dénominateur commun régulationniste n’aboutit pas à une convergence de vue quant à son rôle et ses conséquences économiques et sociétales. Les raisons de cette hétérogénéité proviennent : 1) de différences d’ordre épistémologique et méthodologique qui 12 affectent 2) l’analyse de la dynamique de la régulation et de l’accumulation, 3) l’importance relative conférée à chaque champ et, enfin, 4) la théorisation des interrelations entre les domaines. -6) Les conceptualisations concernant le rôle du politique, mis en avant dans des travaux régulationnistes de seconde génération, permettent d’élargir la perspective et de ré-ouvrir la réflexion sur les politiques économiques. C’est, en effet, l’un des apports principaux de ces différents travaux que de montrer, par opposition à la vision standard proposant une dépolitisation de la politique économique, qu’une fraction fondamentale de son processus de production se joue et se noue depuis l’instance politique. 3. La place et le rôle du politique dans la TR : pluralité d’approches, évolutions et enjeux théoriques Au modèle simpliste de la TS, qui sépare les deux instances, la TR oppose une approche non déterministe des interrelations complexes entre les deux sphères. Ainsi, pour penser les crises systémiques, la TR situe les catégories politiques comme faisant partie d’un ensemble complexe mais articulé aux déterminants économiques. Il existe cependant au sein de la TR au moins trois modes de présence du politique (Lordon, 2008a) 5 et une hétérogénéité quant à ses places, rôles et statuts dans la dynamique sociale. 3.1. L’ontologie sociale du politique dans la TR D’emblée la TR a posé le politique comme une question centrale de son programme de recherche, qu’il s’agisse de mettre en évidence les interactions entre structures économiques et logiques politiques de rapports de force, mais surtout en fondant son analyse de la dynamique des rapports sociaux sur le caractère premier de la violence : « Le conflit est irréductible parce qu’il est inhérent aux séparations qui font de la formation de la société un problème. » (Aglietta, 1982, P. X). Dans ces conditions, chercher à savoir comment la rivalité sociale parvient à être médiatisée dans des institutions et à trouver une cohérence au moins temporaire dans un cadre social déterminé fait figure de fil conducteur pour la TR. Prolongeant cette conception fondatrice, Lordon réaffirme le primat du politique et en propose une nouvelle formalisation centrée sur le caractère ontologique du conflit et du politique dans l’organisation sociale (Lordon, 2002, 2008a). «Le fait du monde social que la théorie de la régulation élit comme le plus saillant (…) celui auquel elle accorde le plus grand pouvoir structurant, ce « fait primordial » c’est qu’il y a des rapports de pouvoir. Envisager quelque chose comme une ontologie politique de l’être social, c’est dire que sa matière même est le conflit, c’est dire le primat des luttes et la nécessité de la guerre en première instance. Considérer la violence et la divergence comme faits sociaux premiers est donc bien donner un caractère politique à cette ontologie sociale, si du moins on accepte une redéfinition extensive du concept de politique comme accommodation des conflits » (Lordon, 2008a, p. 30). Si on admet que le politique est consubstantiel des structures sociétales il convient de voir comment manières il opère dans des structures sociales déterminées. De ce point de vue, ce consensus ontologique débouche sur une hétérogénéité des définitions des registres et des modes d’insertion du politique dans la totalité sociale, tant au niveau d’abstraction le plus élevé qu’à celui de l’articulation avec les faits. On cherchera donc à progresser dans la prise en compte actuelle du politique par la TR et tout particulièrement au plan phénoménologique. 5 Pour sa part, F. Lordon retient trois approches du politique dans la TR. 1) « l’approche phénoménologique » développée notamment par R. Boyer, qui cherche « à prendre en compte le phénomène et le fait politique et ses effets sur les institutions du mode de régulation économique », 2) « l’approche topologique » proposée par B. Théret dans laquelle on cherche à : « …interroger la co-évolution plus ou moins cohérente des ordres économique et politique ». Enfin l’approche ontologique signalée ci-avant. Cf Lordon, 2008a, p. 26-33. 13 3.2. Le politique dans la TR1 . L’angle de vue choisi par la TR1 est, comme nous l’avons vu, économique. En soi, cette approche économique est aussi légitime que l’approche sociologique, politique, historique etc. Ce choix est d’autant plus fondamental qu’il s’agit au départ pour la TR de comprendre la nature des mutations économiques et sociales qui se jouent dans la crise du fordisme. La complexité des interactions entre variables et institutions économiques contraint à délimiter le champ de l’analyse. L’étude des formes économiques de la crise constitue donc une étape indispensable pour pouvoir l’appréhender. Dans la mesure où il est admis que la crise n’est pas indépendante du politique, le problème se corse, si par la suite, on ne pousse pas plus loin l’étude de l’emboîtement du politique à l’analyse économique. Or, sur ce terrain, il faut bien admettre que le développement d’une économie politique régulationniste de la crise, en tant que tentative d’articulation du politique à l’économique, est longtemps restée limitée, tout au moins dans la version canonique. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question de point de vue ni d’une affaire de circonstance. Si l’introduction de la dimension politique dans le champ de la réflexion s’inscrit dans le droit fil du programme de recherche de la TR pour lequel : « les institutions de base d’une économie ont une origine extra-économique, le plus souvent politique. » (Boyer, 2004a, p. 105), on peut légitimement se demander pourquoi son étude effective est restée longtemps secondaire. En fait, la polarisation sur une approche économique est la conséquence de la théorisation des institutions vues comme formes économiques par la TR1. En effet, dans la TR de première génération, celles-ci sont définies comme appartenant à la sphère économique. Cette question méthodologique, qui concerne les fondements de la théorisation de la TR, est l’objet de discussions. S’il existe une convergence autour de l’idée que l’instance politique joue un rôle clé dans la dynamique du changement institutionnel et dans les crises, il y a au moins quatre caractérisations possibles des structures socio-économiques, et donc du rapport politiqueéconomie, qui cohabitent aujourd’hui au sein de la TR (Billaudot, 2009b) et sur lesquelles nous reviendrons par la suite6. La conception économique des cinq FI, dont l’analyse est centrale, revient donc à mener l’analyse des changements institutionnels en séparant les champs économique et politique. Le politique, à l’origine des compromis institutionnalisés, de la création et des changements dans les FI est donc articulé de manière externe à l’économie. Son rôle est considéré comme essentiel dans toutes les phases critiques qui provoquent les grandes transformations institutionnelles. Ainsi, pour la TR1, l’origine politique des institutions ne leur ôte pas leur essence économique. Le politique se trouve dans une relation hiérarchique descendante de détermination vis-à-vis de l’économique qui est situé à l’étage inférieur, même si le régime économique rétroagit sur le politique via les crises et les conflits qui entraînent des transformations dans les règles et les lois (Boyer, 2004a, p. 26). D’une part, la dimension politique n’est pas intégrée à l’économique car elle n’est pas située sur le même plan ; elle se trouve en amont et en aval des FI et du mode de croissance. D’autre part, le temps du politique semble décalé par rapport à celui de l’économique. Dans le mouvement historique de mutations des FI c’est depuis cette instance que se recomposent les compromis de nature politique qui sont censés permettre de dépasser les blocages et les crises économiques (Boyer, 2011, p. 91). Le politique intervient donc essentiellement dans la genèse et les sorties de crise, ce qui est discuté (Billaudot, 2009b), et même considéré, dans certains cas, comme trop systématique voire mécanique (Sapir, 2005, p. 356). Cette remarque est aujourd’hui à nuancer dans la mesure où des travaux récents cherchent clairement à établir les articulations entre économie et politique dans la crise et à combler 6 Cf. Parties 3.3. et 3.4. 14 cette lacune (Boyer, 2011). A cette occasion, la place et le rôle du politique sont réaffirmés avec insistance. D’une part, certaines des interactions majeures entre l’ordre politique et la financiarisation du régime économique sont décrites, notamment en ce qui concerne l’influence du pouvoir financier sur le pouvoir politique états-unien (Boyer, Chapitre 1 à 3, 2011). D’autre part, la question plus vaste de la recomposition d’un nouvel ordre politique international est analysée sous l’angle d’un possible blocage (Boyer, 2011, Chap. 4). 3.3. TR étendue : entre primat du politique et autonomie relative de l’économie. I/ Une des principales différences entre la TR1 et la TR2 provient du changement de statut du politique et de ses effets sur la dynamique de l’économie et de la société. A partir des travaux de Théret (1992), il apparaît que le politique ne saurait être cantonné dans le registre instrumental de ses conséquences sur le mode de régulation économique. Le projet consiste alors, d’abord à redéfinir les interactions entre économie et politique et, ensuite, à élaborer, au même titre que pour le champ économique, les mécanismes essentiels de la régulation politique. Dans cette optique, économie et politique sont appréhendés comme deux ordres de pratiques sociales ayant leur propre registre (la monnaie et le droit) (Théret, 1992, Billaudot, 1996). La TR2 établit une différenciation entre la finalité politique qui a pour objet la recherche de pouvoir et la finalité économique, qui a trait à la production, la circulation et l’accumulation des richesses. L’espace du politique et celui de l’économique, en interactions, avec chacun leur propre logique déterminent alors un type d’ordre social et non pas seulement une trajectoire économique. Le programme de la TR2 change donc de niveau et invite à penser la « topologie du social » à partir d’une véritable sociopolitique d’ensemble (Théret, 1999). Dans ces conditions, le politique prend un poids croissant dans les travaux de la TR et, quelles que soient les orientations théoriques, il devient essentiel de pouvoir envisager les possibles configurations entre régime de croissance et ordre politique définissant une totalité sociale. Cet élargissement du cadre conceptuel régulationniste entraîne donc un renouvellement des travaux qui, pour une partie d’entre eux, se déplacent de l’économique vers le politique. II/ En tentant de généraliser à la sphère politique l’approche initiale sur les modes de régulation économiques, une nouvelle génération de travaux s’est donc déplacée vers le champ politique. Ainsi, Palombarini (1999, 2001), puis Amable et Palombarini (2003, 2005, 2012) ont cherché à expliciter la manière dont les mécanismes politiques entraient dans la dynamique de création et d’évolution des différents systèmes sociaux. En définissant le politique comme le domaine de la recherche du pouvoir entre les différents acteurs sociaux, ils confortent l’idée d’un champ politique vu comme un rapport social ou encore « un mode d’interaction social » (Amable et Palombarini, 2003, p. 48). Sous cet angle, l’analyse de la finalité politique consiste en une quête d’influence et de pouvoir d’un groupe ou d’une catégorie particulière au sein d’un système social donné. Les structures sociales (entendues comme structures constitutives d’une société) sont donc soumises aux changements de la dynamique politique qui évolue en fonction des rapports de force et des stratégies des différents groupes sociaux pour : « faire prévaloir une organisation sociale conforme à leurs intérêts tels qu’ils les conçoivent » (Amable et Palombarini, 2003, p. 48). Cette approche du politique modifie sensiblement la perspective régulationniste originelle. La possible hétérogénéité des dynamiques entre les domaines politiques et économiques entre en contradiction avec le schéma d’interactions réciproques mais asymétriques, postulé par la TR1 (Boyer, 2004a). En fait, l’idée d’une causalité descendante entre politique et économie, qui trouve sa justification pour la TR1 dans la ratification et la légitimation, au niveau de l’ordre politique, des choix décisionnels qui déterminent l’évolution des principales structures économiques, est ici remise en cause. Elle conduit à proposer un nouveau programme de 15 recherche en terme d’économie politique néo-réaliste définie comme: « ... la science sociale qui étudie les rapports de détermination réciproque entre dynamique politique et dynamique économique » (Amable et Palombarini, 2005, p. 213). Ainsi, il existe une pluralité de logiques d’action au sein de chaque formation sociale et celles-ci sont toujours placées sous le signe de la contradiction. Le problème central est donc de rendre compte de la manière dont s’organise la régulation du conflit social. Or, pour nos auteurs c’est depuis l’instance politique que s’opère cette régulation qui : « est le résultat (éventuel) de l’interaction entre trois sphères : celle de la traduction des intérêts socio-économiques en attentes sociales – que nous appellerons l’idéologie ; celle des règles du jeu social – les institutions ; et celle de la fixation des choix collectifs – la médiation politique. » (Amable et Palombarini, 2005, p. 220). La variété constatée des différentes formes de capitalismes (Amable, 2005) s’explique donc tout autant par la dynamique politique d’une formation sociale que par la simple différence de configuration entre les principales FI considérées sous l’angle économique. La nature et le nombre des interactions possibles entre régimes politique et économique démultiplient théoriquement la probabilité d’une hétérogénéité des systèmes sociaux. Leur possible diversification ou convergence dans l’espace et dans le temps ne résulte donc pas seulement de l’absence ou de la présence de similitude dans les interactions entre FI mais aussi et surtout de la configuration des dynamiques politiques qui conditionnent la dynamique économique et sociale, les politiques publiques et les choix institutionnels. Ainsi, ce qui distingue les travaux de B. Amable et Palombarini (2003, 2005) de la TR1 concerne principalement l’analyse des institutions qui sont vues comme le produit indifférencié du politique et de l’économique. De ce fait, si on ne peut pas parler d’un renversement complet de perspective, qui consisterait à se focaliser non plus sur la régulation économique mais sur la régulation politique, le processus de création et de mutation des formes institutionnelles apparaît contingent de l’ordre politique. Cette voie de recherche procède donc d’une vision englobante du politique, dans laquelle le processus de validation des structures sociales relève principalement des médiations politiques. La capacité d’un bloc social dominant à créer les conditions d’une stabilité politique s’accompagne de la définition d’une stratégie de médiation, notamment économique, qui serait l’expression des compromis passés entre groupes sociaux appartenant à ce bloc. On voit donc par là que la genèse et la fonction des FI procèdent de logiques différentes. L’application récente de ce modèle théorique à la crise systémique que traversent l’Italie et la France aboutit à penser les politiques économiques néolibérales comme des réponses à une crise dont l’origine est d’ordre politique. La rupture des anciens compromis sociopolitiques intervenus dans les deux pays, il y a vingt ans, aurait provoqué une crise politique aboutissant à une instabilité et à une crise systémique. La redéfinition des politiques publiques et les récentes stratégies néolibérales mises en œuvre en Italie et en France seraient une tentative de recomposition sociale visant à trouver un nouvel équilibre politique entre les principaux groupes sociaux dominants (Amable, Guillaud et Palombarini, 2012). III/Dans une autre perspective, quoique centrée sur le politique, Lordon élabore un modèle théorique qui peut être décomposé schématiquement selon trois propositions principales. La première est basée sur la philosophie spinoziste du conatus qui pose comme principe fondamental de l’action individuée l’inclinaison de chaque chose à la préservation et à l’expansion de son être : « … le conatus est l’expression immédiate d’une ontologie de l’activité et de la puissance » (Lordon, 2008a, p. 34) Partant de cette tendance immanente de toutes choses, y compris les hommes, à exercer leur désir ou volonté de puissance, Lordon fonde une véritable « métaphysique des luttes » (2008a, p. 39) dans laquelle l’homme conatif est appelé à rencontrer les tendances expansionnistes opposées de ses congénères. Cependant, cette force motrice ne doit pas être considérée comme subjective et indépendante du cadre social dans lequel elle s’actualise par le jeu d’un réseau de déterminations positionnelles et 16 structurales (Lordon, 2008, p. 34 à 37). En généralisant ce principe, d’une part, depuis le champ du politique à celui de l’économique et, d’autre part, de la sphère individuelle à l’ensemble de la dynamique des rapports sociaux, il montre que loin d’être un havre de paix la sphère économique et a fortiori la sphère sociale sont, par essence, le théâtre d’affrontements entre des puissances contraires (Lordon, 2002). Bien sûr ces luttes et ces conflits trouvent des formes de résolution et de contention. Précisément, comme le montre la TR, les institutions économiques et sociales canalisent les antagonismes fondamentaux et permettent de créer des cadres propices à l’exercice non chaotique des diverses expressions de la rivalité et de la puissance. Le deuxième terme de la démonstration, qui emprunte à la sociologie de P. Bourdieu un certain nombre de catégories et de principes méthodologiques, entend expliciter la logique des structures et des rapports sociaux. Pour ce faire, Lordon articule l’approche bourdieusienne de la domination sociale, du pouvoir symbolique et la théorie des champs avec sa théorie du conatus. Ainsi, chaque champ social est agi par le désir d’expansion et la lutte rivalitaire qui opposent les différentes puissances concurrentes qui s’affrontent. Le champ économique est donc marqué comme le champ politique par des logiques de recherche de pouvoir (Lordon, 2002) qui déterminent des configurations propres à chaque champ. Une interprétation du principe général qui travaille chaque champ est donnée par la relation hiérarchique dominant/dominé. Ainsi, la question de la domination économique, que la finance actionnariale exerce sur le salariat, le capital industriel et managérial, apparaît comme la conséquence d’un processus dont la nature est ontologiquement politique mais qui trouve son expression, comme dans chacun des principaux champs sociaux en fonction de la nature des rapports de force qui sont à l’œuvre et des caractéristiques spécifiques à chaque domaine. La quête de puissance s’exerce donc dans les différents espaces sociaux et sous différentes formes. Dans le champ de l’économie, l’hégémon financier a fini par imposer ses logiques au reste des acteurs et à transformer les structures fondamentales du capitalisme fordien. Dans son projet d’établir une métaphysique des luttes, Lordon propose un autre emboîtement des formes économique et politique dans l’espace social qui repose sur une théorie de l’action individuée via le conatus. Pour lui, la guerre et le conflit sont consubstantiels des pratiques des acteurs pris dans des structures sociales, elles-mêmes agies par la rencontre de puissances contraires. Il y a donc un primat du politique dans la genèse et dans les principes agissant les institutions et les acteurs. Le conatus est au fondement de l’ontologie politique de l’être social, car il est une force motrice qui trouve à s’employer aussi bien dans le champ politique, sous la forme de quête de pouvoir que dans le champ économique sous la forme d’une recherche de survaleur. Le politique, en tant que principe énergétique primaire est déterminant de la totalité sociale. Si on se place maintenant au plan des interactions entre ordres de pratique sociale, on est confronté à des changements dans les formes économiques, politiques et sociales au gré de l’évolution des structures et des rapports de force qui restent structurellement travaillés par des forces divergentes dans chaque champ. Le politique est donc à comprendre à deux niveaux. Celui de matrice sociale et celui d’un domaine particulier de l’ordre social avec ses finalités et ses formes particulières distinctes des autres instances sociétales. On doit donc distinguer le politique, en tant que principe structurant le social, qui est au cœur de l’analyse, et le politique en tant qu’élément particulier d’un ordre social avec ses propres institutions en interactions avec les autres institutions économiques et sociales. Dans tous les cas, l’économique comme le politique et le social sont mus par les mêmes forces motrices du conatus. La dialectique du conflit s’exprime donc aussi dans l’économie, notamment à partir de ce que Lordon nomme « le conatus du capital » qui se matérialise dans les luttes concurrentielles et les stratégies prédatrices ou défensives de survie qui opposent les groupes économiques entre eux (Lordon, 2002). Le politique, en tant que force structurale, 17 surdétermine donc les logiques qui sont à l’œuvre dans les différents domaines qu’ils soient politiques, économiques et symboliques. Enfin, le rôle central du politique est réaffirmé par Julien et Smith (2008a, 2008b) à partir d’une analyse des politiques publiques considérées du point de vue méso-économique. Leur imbrication est conçue sous l’angle d’un travail politique consistant en un processus relationnel et institutionnel articulant logiques politique et productive dans le cadre d’une régulation d’ensemble. Celle-ci définit alors un gouvernement spécifique des industries fonction du périmètre et du type de médiations politiques et des configurations sectorielles variables dans l’espace et le temps. IV/ Parallèlement à cette réorientation du programme de recherche originel, l’autre voie empruntée par la TR, à partir des travaux pionniers d’Aglietta et Orléan sur la monnaie revient à faire non pas tant l’analyse du politique, qui reste relativement secondaire, que celle d’une totalité sociale, qui dépasse et englobe les sphères économique et politique. Cette orientation privilégie l’exploration des interactions entre l’économie et la société, à travers l’analyse de son institution centrale, la monnaie, considérée comme l’expression des logiques sociales fondamentales qui travaillent toute communauté. Dans cette optique, la dynamique politique, loin d’être écartée du raisonnement, est abordée comme étant un élément constitutif de l’ordre social situé à un échelon supérieur. En outre, le politique est en fait principalement pensé et analysé sous l’angle de l’ordre symbolique. Dans leurs différentes études sur la monnaie, Aglietta et Orléan, s’ils n’omettent pas sa dimension politique, se concentrent sur les logiques sociétales qui donnent tout son sens au fait monétaire. Ainsi, leur objectif est de saisir : « …l’unité du phénomène monétaire dans son rapport privilégié avec la totalité sociale » (Aglietta et Orléan, 1998) et non pas, pourrions-nous ajouter, dans son seul rapport au politique ou à l’économique. Ainsi, la monnaie est-elle pensée, d’abord, sous l’angle de l’expression des valeurs d’un type de système social, c’est-à-dire, en partie indépendamment de son organisation politique, elle-même incluse dans la totalité sociale. Leur analyse fait ainsi ressortir ce qui constitue pour eux l’opposition fondamentale entre la place prise par les conceptions individuelles et autoréférentielles de la monnaie vis-à-vis de ses attributs collectifs et sociaux. Ces éléments d’analyse sont fondés sur deux types d’arguments principaux. Le premier, développé de longue date est de nature historique et se manifeste dans la genèse des premières formes monétaires. En effet, dès l’antiquité, et comme dans l’ensemble des sociétés préindustrielles, les fonctions économiques et fonctions symboliques, politiques, religieuses, militaires, etc. de la monnaie sont non seulement étroitement imbriquées mais indissociables. De sorte que les phénomènes monétaires semblent plus ressortir du politique, du militaire et de la structure sociale en général que de l’économique (Andreau, 1998). Le second, de nature ontologique, s’appuie sur une théorie de l’origine logique et conceptuelle de la genèse de la monnaie à partir de « la puissance de la multitude » définie comme un principe d’identification sociale qui préexiste aux formes institutionnelles concrètes et qui repose sur le mécanisme des interactions mimétiques à l’œuvre dans toute communauté (Lordon et Orléan, 2006). Si ce principe génétique est isomorphe au politique et à la monnaie, il n’est pas logiquement lié. Du point de vue historique, la TR insiste sur la tendance à l’autonomisation de la sphère économique vis-à-vis du politique et de la société. De manière générale, cette séparation progressive des logiques de l’économique par rapport au politique surgit à la faveur de l’essor des sociétés marchandes et capitalistes comme le souligne les travaux historiques de F. Braudel ou K. Polanyi largement repris par la TR (cf, Aglietta, Orléan, 1982 chap. 4, 1998, Billaudot, 1996, 2008, Théret, 1992). Cette autonomie partielle de l’économie se manifesterait, tout particulièrement, dans le domaine monétaire dont le rôle et la finalité sont 18 de produire de l’équivalence entre systèmes sociaux, organisations et individus dans le cadre des relations marchandes conçues, pour partie, indépendamment du politique (Aglietta et Orléan, 1982, 1998, 2002). Cette autonomisation de l’économique et du système monétaire et financier qui accompagne le projet social de la finance conduit dès l’origine le capitalisme vers des crises monétaires et financières de souveraineté. La période post fordienne réactualise cette contradiction originelle. La modification du lien de subordination de la finance et de la monnaie au politique, hérité du fordisme, aboutit à la financiarisation économique et sociale qui atteste d’un nouveau stade dans l’autonomie relative de l’économique par rapport au politique. Le découplage partiel des deux ordres serait même précisément une des caractéristiques majeures de la société moderne (Billaudot, 1996, 2009b). Les tentatives d’instrumentalisation monétaire et sociale portées par le pouvoir financier s’inscrivent dans une logique et une tendance plus générale à la dépolitisation du monde. Ainsi, Orléan peut-il écrire que : « …la monnaie autoréférentielle doit être comprise comme l’expression d’un projet spécifique d’organisation sociale qui cherche à isoler la sphère économique de toute perturbation extérieure, principalement politique… » (1998, p. 380). De la même manière cette autonomie de l’économique vis-à-vis du politique se manifeste-t-elle par l’intermédiaire de ce pouvoir caché qu’exerce la communauté financière qui tente d’imposer ses logiques à l’ensemble de la société y compris à l’ordre politique. Ainsi : « La finance doit être conçue comme un pouvoir autonome. » (Orléan 1999, p. 12). Mais ce pouvoir ne s’exerce pas directement et simplement par le seul biais des institutions politiques. Il doit être vu fondamentalement comme un pouvoir fondé sur l’opinion et la communication. Il s’agit donc d’un pouvoir d’influence de nature cognitive considéré principalement sous l’angle de l’intermédiation symbolique et des idées. On voit donc que les approches du politique qui coexistent au sein de la TR sont hétérogènes et, au mieux, partiellement complémentaires. On peut, d’abord, en partant du niveau d’abstraction le plus élevé considérer qu’existe un consensus sur la nature ontologique du conflit et sur le rôle central joué par les rapports de force, la violence, et donc le politique dans la dynamique sociale. Néanmoins, cette ontologie s’exprime diversement en raison de la différence des modes d’insertion du politique et de l’économique à la structure sociale. Cette variété dans les modèles explicatifs des interactions entre ordres économique, politique et social se manifeste logiquement lorsqu’on passe au plan phénoménologique. 3.4. Quelques hypothèses sur les interactions Economie/Politique Vouloir analyser un régime de politique économique dans une perspective d’économie politique régulationniste oblige à préciser nos choix méthodologiques relatifs au mode d’insertion du politique dans l’organisation sociale. Ce travail n’étant pas le lieu pour trancher les débats, on se contente ici de privilégier certaines pistes pour avancer dans notre projet, tout en laissant ouverte une partie de la question. On inscrit notre démarche dans le cadre développé par Théret (1992) et Billaudot (1996), pour lesquelles les deux ordres de pratique se trouvent dans une relation horizontale et sont relativement autonomes et constitutifs d’un type de société. Ils sont à la fois spécifiques et reliés entre eux partiellement, dans un rapport d’inclusion réciproque. A l’intersection des deux sphères correspond « l’économie du politique » et « la politique de l’économie ». L’essentiel est que les finalités politiques et économiques sont différentes et qu’à ce titre, même si elles sont interdépendantes, elles sont en rupture fonctionnelle (Théret, 1992, 1999). Les logiques de chaque ordre peuvent être complémentaires, cohérentes, contradictoires, ou antagoniques, selon les systèmes sociaux considérés. Ainsi on avance l’idée d’une possible détermination politique de l’économie dans certaines circonstances historiques, tout comme on admet que les logiques économiques (commerciales, financières ou monétaires) puissent s’imposer à l’instance politique. Par ailleurs, il existe une diversité de fonctionnement 19 possible à l’intérieur de chaque champ. Dans ces conditions, économie et politique seraient dans une relation de causalité réciproque et horizontale, de même niveau. Il n’y a pas, a priori, de position de surplomb d’une instance vis-à-vis de l’autre, mais une diversité d’interconnexions variables selon les systèmes sociaux. Cependant, ces interactions ne peuvent être conçues comme équivalentes car elles sont ontologiquement différentes. D’une part, leurs finalités n’étant pas les mêmes, elles produisent des effets structurellement différents d’un champ vers l’autre. D’autre part, les interconnexions entre formes économiques et politiques ne sont pas « égales », car l’instance politique est fonctionnellement en charge de la régulation des choix collectifs et des rapports sociaux. Ce qui ne saurait être le cas de l’instance économique, n’en déplaise à l’orthodoxie dominante dont le projet est précisément de s’affranchir du politique pour gouverner économiquement la société. Autrement dit, les fonctions et les finalités politiques, économiques et symboliques sont de nature différente. C’est, en effet, depuis l’espace du politique, par le biais de la législation, du droit et de l’ordre constitutionnel que s’opère la régulation d’ensemble. Le rapport au pouvoir de l’économique est donc différent et plus indirect. Il passe, en tous les cas, par toute une série de médiations institutionnelles et par des arrangements visant à agréger différents groupes sociaux pour peser sur la régulation politique. Ces rapports ne sont pas figés une fois pour toutes. Ils dépendent de l’histoire des organisations sociales et de la stratégie des acteurs individuels et collectifs. Dans certaines configurations sociales et historiques l’instance politique peut conditionnée le mode de régulation et de croissance. A l’inverse dans une autre configuration, le régime économique peut jouer un rôle déterminant pour l’ordre politique et social. Une structure sociale est donc le produit d’une codétermination hybride politique-économie historiquement déterminée. Si le politique est l’instance de validation des évolutions socio-économiques, il n’en détermine pas de manière autonome les tendances. Il ratifie (en droit) et organise les compromis institutionnalisés originaires de la sphère économique. Dans ces conditions, l’émergence des institutions est marquée du sceau du politique et de l’économique. Les cinq FI ne peuvent donc être considérées comme simplement du domaine de l’économique. Dans la mesure où elles naissent et évoluent en fonction des conflits et des compromis politiques et économiques leur nature est fondamentalement politique et économique. Cela signifie pour notre projet que les spécificités d’un régime de politique économique ne proviennent pas seulement d’une combinaison économique particulière des FI. Elles sont, plus fondamentalement, la manifestation d’une articulation sociale unique entre une certaine configuration des FI définissant un régime économique et un ordre politique ayant son propre mode de régulation. Tableau n°1 : Le politique dans la TR : comparaison et vue d’ensemble. Démarche/ Niveau et registre La violence au Point de fondement des départ et Dénominateur structures et commun institutions sociales Statut et définition Conflit inhérent à toute formation sociale : rôle central du politique Position dans la structure sociale Autonomie relative du politique structurellement lié à l’économique. Rôle et conséquence Le politique associé aux FI et aux compromis institutionnalisés 20 Boyer (TR1) Théret / Billaudot Amable / Palombarini Lordon Jullien / Smith Aglietta / Orléan Centrée sur les structures socioéconomiques et les FI / Approche phénoménologique Approche topologique à partir des structures sociétales fondamentales Notion d’ordre constitutionnel Causalité descendante Politique / Economie (avec rétroaction) Instance de validation et transformation des compromis institutionnalisés : genèse des FI Un ordre de Economie et Hétéro-régulation pratique sociale politique sont de « Economie et autonome avec même niveau Politique » pour finalité le Indépendance dans définit un type de pouvoir l’interdépendance : dynamique et de la forme des système social + sociétés modernes ou – cohérent. Une démarche « Mode Vision englobante Régulation constructiviste et d’interaction du politique en sociale par le positive recentrée social » Régulation position centrale politique : rôle du sur le politique du conflit social et dans la régulation bloc social spécificités des sociale. dominant qui fixe médiations la stratégie politiques économique Approche Primauté des Primat du -Matrice sociale, ontologique des rapports de politique : opère force structurale. dans tous les -Champs structures sociales pouvoir. Le fondamentales politique : champs spécifique (principe du « l’accommodation (économique, dominé par le conatus : ontologie des conflits ». Les symbolique, etc.) conflit et la quête selon la relation de pouvoir politique de l’être institutions dominant/dominé social) canalisent la violence. Méso-économie, « Travail Régulation à partir Articulation de FI et politiques politique » : du Gouvernement l’économie et du publiques processus des industries et politique dans la relationnels et des Rapports régulation des institutionnels. institués emboités industries et la dans le niveau régulation macrod’ensemble institutionnel Primat du Le politique est Une dynamique de Pouvoir financier symbolique et des l’expression des quête autonome idées (interactions valeurs sociales d’autonomisation (d’influence et mimétiques et qui le dépasse (financiarisation) cognitif) / au principes de l’économie / au politique. Crise d’identification politique et à la politique de sociale) société souveraineté 21 3.5. Eléments de caractérisation du politique à partir du concept de mode de régulation politique. Hors du champ de la théorie standard, il existe un consensus assez large pour admettre que c’est depuis l’instance politique que s’est opérée la grande transformation des structures économiques héritées du fordisme à partir des années 80. Des décisions politiques ont permis la déréglementation et la libéralisation du secteur financier aux Etats-Unis et dans le monde, à l’origine d’un nouveau mode de croissance. Pour la TR, c’est la fonction proprement institutrice du politique et de l’Etat à laquelle il est fait référence. L’Etat, en légiférant, modifie la nature des interactions entre FI et leur hiérarchisation initiale. Mais ces changements de l’ordre constitutionnel s’accompagnent d’une modification de la nature de l’ensemble des interventions publiques. Les nouvelles pratiques et le nouveau régime des politiques publiques, donc la politique économique, contribue à imposer une nouvelle cohérence systémique au point d’instituer une nouvelle forme de capitalisme financiarisé7. Cependant, une telle conception simplifiée du fait politique et de son rôle laisse de côté, d’une part, des éléments qui relèvent spécifiquement du champ politique et, d’autre part, ne tiennent pas suffisamment compte des médiations qui structurent les relations entre le politique et l’économique. Pour caractériser plus finement l’ordre politique et ses médiations principales avec les autres champs, on propose de se référer au concept de mode de régulation politique avancé par Commaille et Jobert (1998). De manière schématique ce mode de régulation se constitue autour de trois pôles. Le premier concerne le système de régulation interne de l’ordre politique et a trait à la conquête des positions de pouvoir. Le deuxième, relatif aux régimes des politiques publiques, est le lieu d’élaboration des enjeux de la régulation. Le troisième, celui des régimes de citoyenneté opère dans le registre symbolique de la légitimation des politiques. Cette approche présente un intérêt à plusieurs niveaux. Aborder, le politique par le biais de son mode de régulation, permet de donner un contenu à l’autonomie relative du politique sur le modèle élaboré par la TR pour l’économique. Le politique dont la finalité principale est la quête de pouvoir de groupes sociaux au sein d’une collectivité formerait ainsi un système dont la stabilité et la cohérence dépendrait de la configuration de ses principales FI. L’articulation entre les institutions politiques proprement dites, le régime de politiques publiques et le régime de citoyenneté déterminerait un mode singulier de régulation et les conditions de sa pérennité. La régulation politique se jouerait donc à un niveau politique et social avant d’être économique. Dans un registre finalement proche, les travaux récents de Amable, Guillaud et Palombarini, (2012, p. 27-28) permettent de compléter cette approche en proposant un bouclage de la régulation politique en considérant que : « …le conflit social est régulé et un équilibre politique apparaît lorsqu’existe un bloc social dominant stable composé de différents groupes sociaux qui soutiennent la stratégie de médiation mise en œuvre par le pouvoir politique. » Ces conceptualisations ont le mérite de fournir des outils d’analyse pour rendre compte de la manière dont le phénomène politique joue dans la fabrique des politiques économiques. Enfin, cette approche par le mode de régulation politique peut être articulée aux travaux régulationnistes sur l’Etat. En effet, au sein de l’ordre politique, l’Etat peut être analysé dans sa dimension globale tout en distinguant ses différentes formes (économique, politique, 7 Un tel constat ne doit pas être confondu avec l’idée que les décisions politiques de libéralisation et de financiarisation s’inscrivent dans un continuum où règnent en maître les impératifs de l’accumulation du capital. Un tel déterminisme économique conduit à dissoudre l’autonomie relative du politique et empêche toute explication historicisée des connexions complexes entre économie et politique. Cette vision qui surdétermine le poids des discours néolibéraux dans la déconstruction et la refondation du nouvel ordre social, écarte une question centrale : comment expliquer les coévolutions contradictoires entre l’économique et le politique ? 22 militaire, etc.) (Théret, 1998, 2002) ou dans son rapport à l’économie (André et Delorme, 1983, Delorme, 2002). Ainsi, si le politique ne se réduit pas à l’Etat, ce dernier n’en constitue pas moins un des éléments fondamentaux de l’ordre politique. Pour R. Delorme : « L’état est pris comme l’ensemble des institutions détentrices de prérogative de puissance publique » (Delorme, 2002, p. 182). Autrement dit, il est conçu comme une « méta-institution » qui couvre le champ politique, économique, juridique, symbolique, etc. avec une finalité : la puissance publique. Comme nous l’avons souligné, en tant qu’institution, l’Etat occupe pour la TR une place singulière du point de vue de la relation économie-politique. L’Etat est de la sphère politique mais aussi économique. Il est engendré par les compromis institutionnalisés historiquement déterminés et se situe dans un double rapport de détermination avec le politique et l’économie. Il est le produit des contradictions entre groupes sociaux, cristallisé dans des institutions politiques et économiques. En même temps, il serait réducteur de voir l’Etat comme simple reflet des tensions entre groupes sociaux. Il joue un rôle actif dans la dynamique socio-économique à plusieurs niveaux par l’intermédiaire de ses propres structures héritées de son histoire (administrations publiques, système politique, constitution, régime de gouvernement, idéologies, etc.) formant un système dont les fonctions et les finalités lui sont propres8. 3.6. La nécessaire intégration de la dimension d’Economie politique internationale Pour mener à bien l’analyse du politique il reste, enfin, à combler une lacune. Le politique ne saurait, en effet, être interprété en dehors de sa dimension internationale. Pour la TR, en effet, le politique et l’international sont appréhendés et articulés à partir de trois blocs analytiques. D’abord, l’exercice de la souveraineté politique, qui s’exprime dans le rapport entre Etats souverains, est vu comme la donnée fondamentale de la dynamique du capitalisme9, dans le prolongement des travaux de l’économie politique internationale (EPI)10. Ensuite, l’internationalisation (et la finance) sont conçues comme les FI dominantes, à la suite d’une série de choix politiques nationaux (Boyer, 1999). Enfin, « l’international » est conçu à partir de l’étude des FI nationales des différents Etats analysées dans leur « insertion-articulation » au régime international défini principalement à partir de ses formes économiques. Cette démarche nous semble devoir être complétée et bénéficier d’une perspective élargie sur la base des remarques précédentes. 1) Le plan politique recouvre deux phénomènes distincts ; les relations entre Etats et la dynamique géopolitique globalisée. Même si l’on n’adhère pas au postulat selon lequel la mondialisation préexiste à elle-même11 force est de constater, comme l’a souligné F. Fourquet, en avançant le concept de rapport international, défini « comme (…) rapport au monde de l’entité que nous étudions » (Fourquet, 2005, p. 167), qu’il convient de distinguer logique interétatique et dynamique du capitalisme mondialisé qui la dépasse. 2) Cette vision de la politique internationale, qui fait de l’international la FI dominante, s’accompagne d’un recentrage de l’analyse du politique par rapport à l’analyse économique de la globalisation. Dans une optique régulationniste étendue, le rapport 8 Delorme (2002) a proposé un cadre d’analyse des rapports entre Etat et économie, à travers le concept de Mode de Relation entre l’état et l’économie qui croise rôles et niveaux de l’Etat (MREE, Delorme, 2002, p. 185) qui montre que les formes du MREE évoluent dans le temps et dans l’espace. Les médiations politico-économiques, à l’œuvre dans les changements qui affectent la nature des rapports Etat-économie, apparaissent directement liées au régime de politiques publiques défini par un bloc social dominant au pouvoir. Le MREE fournit donc un cadre d’analyse possible de la relation triangulaire entre l’Etat, le politique et l’économie, car selon les stratégies des acteurs en présence, le degré et la nature des oppositions et des compromis, et l’évolution des structures institutionnelles, il en résulte plusieurs combinaisons possibles déterminant un type singulier de MREE. 9 Cf, L’Année de la régulation, 1998, Presses de sciences po. Paris 1999. 10 Ce qui n’est pas sans soulever quelques problèmes théoriques épineux qui ne peuvent être traités ici. Pour des développements, voir, C. Chavagneux, 2005. 11 Cette thèse audacieuse est avancée et défendue par F. Fourquet 2005. 23 international ressortit à la fois du registre de l’économique, du politique et du symbolique. « Le « rapport international » (…) : c’est un rapport non seulement économique, mais aussi politique et même religieux ; il implique les forces d’ampleur mondiale dont les conflits pénètrent au cœur (…) de toutes les formes institutionnelles nationales.» (Fourquet, 2005, p. 167). 3) Il existe une spécificité de la politique états-unienne car celle-ci est déterminante du rapport international. Ces interdépendances politiques sont au cœur de la dynamique du système international. De fait, si l’origine de la crise est états-unienne, elle se répercute sur l’ordre mondial parce que l’Etat américain en est la puissance dominante et la force structurante principale. Cette position singulière de leadership modifie la frontière classique entre politiques intérieure et internationale et confrontation des souverainetés interétatiques. Pour les Etats-Unis, les décisions majeures de politiques internes ne sont jamais indépendantes des conditions extérieures garantissant sa position hégémonique et la stabilité de l’ordre international. Dans son ouvrage pionnier sur la crise américaine, Aglietta souligne cette articulation particulière qui unit l’ordre politique et économique interne avec la dynamique internationale. : « Les Etats-Unis ne sont pas un pays comme un autre, mais le pivot de l’ordre international construit sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale. Aussi leur affaiblissement se manifeste-t-il d’abord par une perte d’influence dans les relations internationales. Les deux piliers de l’hégémonie américaine, le militaire et le monétaire, ont été atteints en même temps. » (1982, p. XIII-XIV). Toute grande crise (interne ou internationale) qui impacte le leader de l’ordre international constitue potentiellement un moment clé pour la remise en cause de la stabilité du rapport international. Cette dimension de la politique internationale de puissance, qui est propre aux pays leaders, peut donc être considérée comme l’expression ultime du désir de puissance, car située à l’échelon le plus élevé du rapport de force et du conflit ; celui de l’espace mondial. Il est donc à ce titre la forme supérieure du politique et il affecte l’ensemble des autres niveaux dans un rapport de détermination qui évidemment n’est pas univoque. De ce fait, tout mode de régulation politique est à la fois l’expression d’un type de rapport international qui le dépasse, de l’exercice de la souveraineté politique entre Etats et de sa dynamique interne. La régulation politique doit être conçue comme une détermination dialectique articulant les logiques internes des conflits/compromis entre groupes sociaux pris dans le jeu des puissances internationales dont l’influence varie en fonction du mode d’insertion des Etats dans la dynamique de l’ordre mondial. Il faut dire, enfin, combien cette articulation reste a priori largement ouverte. Car loin de penser que celle-ci résulterait de calculs politiques rationnels, elle apparaît le plus souvent comme un processus de tâtonnements, d’essais et d’erreurs et d’arbitrage entre des forces contradictoires mobilisant des modèles d’interprétation opposés et des intérêts contradictoires. En tant que leader du système, il représente l’élément moteur de la dynamique du capitalisme mondial. Mais à l’inverse des changements majeurs dans le rapport international se répercutent sur la régulation politique états-unienne. Toute grande transformation affectant le rapport international met donc à l’épreuve la régulation politique de la puissance hégémonique. Ces effets se répercutent à travers une série de médiations institutionnelles sur les différents champs (économique, politique, symbolique) de son espace national interne. Dans ces conditions, la dimension de quête/préservation de puissance est un élément central et permanent de sa stratégie. Enfin, on ne peut que très sommairement signaler ici que le rapport international doit être considéré comme force structurante pour la régulation politique de l’ensemble des Etats insérés selon des modalités diverses dans la dynamique globale et occupant de ce fait une position singulière au sein du système. Cette réflexion permet alors d’envisager le politique, mais aussi l’Etat et les régimes de politique économique sous un angle élargi et plus complet. 24 4. Régulation politique et politique économique : quelques hypothèses de travail pour ne pas conclure A ce stade de notre réflexion, les analyses développées précédemment permettent de déboucher sur un cadre d’analyse renouvelant quelque peu la caractérisation des processus complexes de construction et de mise en œuvre de la politique économique traitée ici principalement, mais non exclusivement, sous l’angle de la régulation politique. En s’inscrivant clairement dans la tradition régulationniste, la politique économique se présente donc comme un alliage institutionnel complexe qui associe simultanément l’économique (selon les mécanismes de la régulation et de l’accumulation), le symbolique (selon les mécanismes cognitifs des croyances et conventions) et la régulation politique qui relève de ses propres mécanismes et médiations institutionnelles conditionnées par ses fonctions et ses finalités spécifiques, en interaction avec les autres champs. La politique économique et plus généralement les politiques publiques ne sauraient être conçues indépendamment des formes de l’Etat dont on rappelle qu’elles se situent dans un double rapport de détermination interne/externe par rapport aux mécanismes de la régulation économique et politique. Une fois redits ces quelques éléments de cadrage généraux on propose ici de récapituler nos hypothèses relatives à la régulation politique sous la forme d’un schéma simplifié (cf. Schéma n°2) qui complète le schéma initial concernant la vue d’ensemble de la politique économique12. Ce second schéma qui s’intègre, en quelque sorte au premier, en le prolongeant et qui actualise son contenu concernant la partie « bloc politique » a donc pour vocation essentielle de progresser dans notre connaissance du champ politique et de son interaction avec le champ social, afin ensuite de prétendre à une explication de son efficace sur la politique économique. On voit que l’ambition de ce travail dépasse très largement le champ de compétences de l’économiste. Cette étude, qui déborde les frontières disciplinaires classiques, et résulte logiquement de notre démarche, constitue aussi une limite à ce travail. Le présent projet consiste donc à fournir une première esquisse servant d’hypothèses de travail à confronter au réel des politiques économiques et aux réflexions critiques des politistes. Dans cette optique, on peut d’ores et déjà dégager quelques éléments de réflexion pour comprendre le processus de détermination de la politique économique. -1) On peut d’abord postuler une autonomie d’action du politique vis-à-vis des autres champs (économique et symbolique). -2) Il convient alors de proposer une vision du politique recentrée sur ses fonctions spécifiques de régulation des antagonismes sociaux dans une double dimension, à la fois, interne, entre groupes appartenant à un même espace social, mais aussi, externe, à partir des modalités d’insertion d’une formation sociale (nationale, régionale) en interaction avec le « rapport politique international ». -3) Il est alors nécessaire de compléter cette approche en y incorporant de façon explicite le registre de la souveraineté sans lequel aucune réflexion sur le politique ne peut être menée sérieusement13. En introduisant la notion de régime ou de mode de souveraineté, désignant les principales modalités et les régularités structurelles et institutionnelles relatives à toute formation sociale dans son rapport au monde, il est alors possible de penser les interactions 12 13 Cf, Conclusion de la 2ème partie. Sur cette question cf. Sapir (2002). 25 complexes entre un mode de régulation politique historiquement et géographiquement déterminé et le rapport international. Schéma n°2 : Régulation politique et rapport international Rapport International (dynamique de quête de puissance globale) Système international (FI) Régime de souveraineté Mode de régulation politique -Système de régulation interne du politique(ensemble des médiations institutionnelles liées à la quête des positions de pouvoir) Régulation du conflit social Régime de citoyenneté (Médiations et mécanismes symboliques et de légitimation) Régime des politiques publiques (Expression des enjeux de la régulation socioéconomique) 26 -4) Tout mode de régulation politique est donc à analyser à partir de ses interdépendances avec l’échelon mondial. Ce qui implique la caractérisation des médiations et des formes institutionnelles spécifiques de connexion et d’influence réciproque vis-à-vis du rapport international. La régulation sociale d’ensemble, qui est la fonction essentielle de tout système politique, est donc à considérer dans son degré d’autonomie et/ou de dépendance vis-à-vis de la dynamique internationale. -5) Ces interrelations dépendent, d’une part, de la combinaison de forces structurantes exogènes (dont la nature est politique, économique et symbolique), définissant un type de rapport international, et d’autre part, des stratégies politiques et économiques des acteurs de chaque formation sociale qui trouvent leur incarnation dans des FI. -6) Le mode d’insertion international d’un système social, qui s’exprime, notamment, par l’intermédiaire de son régime de souveraineté, joue donc un rôle sur le mode de régulation politique interne et sur ses composantes principales. Parmi celles-ci, les politiques publiques (et donc notamment) la politique économique, en tant qu’expression de la stratégie socioéconomique d’une formation sociale traduit les choix collectifs qui ont été opérés via le système de régulation politique. -7) Tout régime de politique économique « interne » résulte donc d’un projet politique porté par des forces sociales coalisées entre-elles, dans une logique de « conflit/coopération », qui s’intègre au contexte institutionnel et structurel, qui en phase de mondialisation est dominé par les enjeux de quête de puissance globale. -8) La cohérence d’une politique économique est donc à interpréter à l’aune de ses déterminants sociopolitiques, socioéconomiques et symboliques. Autrement dit, il existe une multiplicité de combinaisons possibles définissant un fonctionnement, en régime, des politiques économiques. Celui-ci résulte conjointement -1) de l’état des croyances et conventions sociales, -2) des conditions de l’accumulation et de la régulation économique, et 3) du mode de régulation politique articulé au rapport international. Un régime de politique économique résulte donc d’une configuration historiquement et géographiquement déterminée d’effets de structure, de médiations institutionnelles et de choix d’acteurs sociaux relativement autonomes (cf. schéma n°3). Sa stabilité dépend donc de sa capacité à maintenir et prolonger une régulation économique et sociale conforme aux intérêts et aux valeurs d’un bloc social dominant. Elle relève donc des représentations mentales et du degré de conscience des différents acteurs sociaux quant à leurs intérêts (socioéconomiques, sociopolitiques et symboliques) et en dernier ressort des processus d’institutionnalisation de la régulation politique. On peut alors étudier un régime de politique économique sous plusieurs angles. -1) Celui des objectifs et des conditions de son élaboration. En phase de mondialisation, c’est évidemment la question de l’articulation des finalités internes aux finalités externes qui doit être analysée dans chaque champ. Dans ce registre, les rapports de force entre les groupes sociaux et les représentations mentales dominantes débouchent sur des arrangements institutionnels dont la nature dépend étroitement des modes de régulation politique. Ces choix sont donc variables dans l’espace et dans le temps, en fonction de la configuration des FI constituant le mode de régulation politique (système politique et électoral, etc.). 27 Schéma n°3 : Schéma actualisé du processus d’élaboration de la politique économique. S R T U C T U R E S I N S T I T U T I O N S Ordre social mondial / Rapport International (Anthropologie et structures sociales fondamentales) Ordre économique Finalités/Fonctions : Accumulation Ordre symbolique Finalités/Fonctions : Identification/Cognition / Idéologie Ordre Politique Finalités : Pouvoir Système mondial/international Modes de Régulation (5 FI) (dont Etat) et de croissance / Accumulation Conventions / Croyances Mode de Régulation politique Système politique interne, Régimes de Souveraineté et Citoyenneté, etc. Formes de l’Etat Médiations institutionnelles symboliques, sociopolitiques et socioéconomiques -Appareil d’Etat / Hiérarchie publique / Référentiel cognitif collectif / Acteurs (conscience et positionnement) MREE etc. Régime des politiques publiques Domaines (Politique de la concurrence, industrielle, investissement, protection sociale, etc.) et Mécanismes institutionnels spécifiques Régime de Politique économique -Politique monétaire, budgétaire et fiscale(Médiations institutionnelles spécifiques + mécanismes endogènes en interactions avec les stratégies des acteurs) 28 -2) Celui des processus de mise en œuvre. Dans ce domaine, il y lieu de se référer, là encore, au mode de régulation politique, à la notion de « travail politique » de nature relationnel et institutionnel (cf, Jullien et Smith, 2009) et enfin à l’appareil d’Etat et au dispositif politico-administratif. -3) Celui des résultats dans les différents champs considérés. Evidemment, l’économiste peut privilégier l’étude des résultats macro, méso, microéconomiques, mais aussi s’intéresser aux aspects symboliques qui sont aux fondements des politiques publiques et économiques ou encore chercher à questionner les registres sociopolitiques et socioéconomiques qui participent à leur définition. Ce sont alors les questions relatives à la cohérence économique, sociale et politique d’un régime de politique économique qui doivent être abordées. Ce programme de travail est suffisamment copieux pour qu’on ne puisse envisager de le mener ici, même sommairement. Il dépasse, en effet, très largement l’objet de cette étude. En revanche, il est clair qu’il convient maintenant de confronter ce modèle théorique au réel des politiques économiques. On se propose ainsi d’ébaucher, dans le cadre d’une analyse d’économie positive, à venir, portant sur les conditions d’élaboration des politiques économiques comparée UE/EU, une réflexion sur le degré de validité et de robustesse de nos hypothèses théoriques et leurs limites. Ce qui signifie que ce travail devra préciser quels sont les processus et les médiations par lesquels transite l’élaboration d’un régime de politique économique observable. Autrement dit, il s’agit d’expliciter le parcours institutionnel emprunté par chacun des deux modèles dans le schéma topologique proposé plus haut. 29 BIBLIOGRAPHIE Aglietta M. (1982) Régulation et crises du capitalisme, (2ème éd.), Calmann-Lévy, Paris. Aglietta M. et Orléan A. (1982), La violence de la monnaie, PUF, Paris, Aglietta M. et Orléan A. (1998), La monnaie souveraine, Paris, Odile Jacob. Aglietta M. et Orléan A. 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