AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 L’ENJEU DE LA LIQUIDITÉ DE MARCHE PRENDRE LA PLEINE MESURE DES EVOLUTIONS EN COURS POUR AGIR EN CONSEQUENCE Document de réflexion de l’Association française des marchés financiers Une liquidité de plus en plus évanescente. Comme en témoigne la succession de rapports, études et avis publiés ces derniers mois (v. notamment la bibliographie synthétique présentée en Annexe), la question de la liquidité des marchés est aujourd’hui une préoccupation centrale de nombre d’acteurs et d’observateurs des marchés financiers, et au premier chef des régulateurs et superviseurs de ces marchés ainsi que des banques centrales. Cette sensibilité nouvelle trouve sa source dans plusieurs « secousses » qui, au cours des derniers mois, ont affecté les marchés, et dont l’un des symptômes a été une brutale réduction de leur liquidité, voire sa disparition temporaire. En témoignent particulièrement le « mini flash crash » sur les bons du Trésor américain du 15 octobre 2014, la forte perturbation du marché des changes causée par la flambée du franc suisse à la suite de l’abandon, non anticipé par le marché, de son ancrage à l’euro par la Banque nationale suisse le 15 janvier 2015, ou, plus récemment, les chocs de marché du 24 août 2015, induits par les inquiétudes quant à l’état et aux perspectives de l’économie chinoise. Mais d’autres exemples, qui peuvent paraître moins significatifs, attestent eux-aussi de l’ampleur acquise par cette problématique. Ne pas reproduire la crise des subprimes. Heureusement momentanées, ces « secousses » ont néanmoins constitué, par leur intensité, un signal d’alerte compte tenu de l’enjeu que représente la liquidité pour le bon fonctionnement des marchés. Par ailleurs, personne n’oublie que, même si la nature très particulière des produits en cause a joué un rôle déterminant, la crise des subprimes a été déclenchée à la mi-2007 par la constatation que la liquidité de ces produits, considérée comme acquise jusqu’alors, était en réalité presque inexistante, d’où un risque majeur sur la représentativité des prix auxquels s’échangeaient ces produits. Cette révélation a entraîné de fortes incertitudes sur la valeur du bilan des acteurs qui les avaient acquis, et notamment des banques, déclenchant alors la crise systémique que l’on sait. Renforcer la résilience du système par celle des établissements. Depuis lors, l’objectif a été de renforcer vigoureusement la résilience du système financier en général et des banques en particulier, via notamment le durcissement des exigences prudentielles auxquelles les établissements doivent faire face. Mais la résilience accrue des établissements n’a qu’une portée limitée si le bon fonctionnement du marché, dont la liquidité est l’un des marqueurs importants, n’est pas simultanément assuré. Sans liquidité assez stable et durable des marchés, c’est le processus de détermination des prix qui se trouve affaibli, et avec lui la valorisation de nombreux actifs qui peut être mise en doute, mais aussi plus généralement, la capacité des agents économiques à lever des financements ou à couvrir leur risque au meilleur coût : le risque est alors d’enclencher la même spirale que celle qui, à l’automne 2008, a entraîné les économies occidentales dans la crise dont nous subissons encore les conséquences … La fragilité que mettent en évidence les ruptures de liquidité constatées récemment doit donc nécessairement retenir l’attention. AMAFI ■ 13, rue Auber ■ 75009 Paris Tél. : 01 53 83 00 70 ■ Fax : 01 53 83 00 83 ■ http://www.amafi.fr ■ E-mail : [email protected] ■ Twitter : @AMAFI_FR AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Prendre en compte le rôle accru du marché à l’instar de l’UMC. Cette attention est naturellement accentuée par le rôle croissant du marché dans le financement de l’économie, la gestion des risques et l’allocation de l’épargne. En Europe particulièrement, le modèle de financement des entreprises est appelé à poursuivre son évolution pour dépendre moins du crédit bancaire et davantage du marché. Cette évolution paraît d’autant plus irréversible qu’elle est sous-tendue, d’une part, par la volonté des entreprises de diversifier leurs sources de financement et, d’autre part, par l’impact des nouvelles réglementations prises depuis 2008 qui contraignent la capacité du système bancaire européen à dispenser des crédits. Dans cet environnement en évolution profonde, la capacité à assurer une liquidité du marché assez stable est critique pour le succès du projet d’Union des Marchés de Capitaux porté par la Commission européenne et, au-delà, pour le bon financement de l’économie européenne sans lequel le retour de la croissance et son maintien restent peu probables. Le risque aggravé de crises en spirale. Mais les ruptures de liquidité que connaît aujourd’hui le marché révèlent aussi une situation dont les conséquences ne doivent pas être mésestimées : il semble en effet probable que, si rien n’est entrepris pour endiguer, sinon contrecarrer les forces à l’œuvre, des crises de liquidité qui jusqu’ici, avaient des effets seulement passagers, puissent désormais plus facilement et plus rapidement se transformer en crises majeures, faute d’apporteurs de liquidité pouvant répondre suffisamment à la demande d’investisseurs dont les comportements sont toujours plus alignés. La liquidité de marché apparaît ainsi comme la source potentielle d’un risque systémique accru par rapport à la situation antérieure à la crise financière, situation d’autant plus paradoxale qu’elle résulterait pour partie des nombreuses et importantes mesures de régulation prises en réponse à cette crise. Apporter la contribution des professionnels de marché. Pour les acteurs de marché que l’AMAFI représente, la question de la liquidité de marché et de sa gestion en situation de crise est centrale : évidemment parce que c’est le cœur même de leur activité qui est en jeu, mais aussi, et beaucoup plus fondamentalement, parce que l’importance prise par les marchés oblige à rechercher tous les moyens d’optimaliser leur fonctionnement. Aussi, et dans le prolongement direct de la note qu’elle a consacrée en début d’année aux problématiques de tenue de marché (v. Tenue de marché – Un enjeu pour des marchés efficaces au service du financement de l’économie, AMAFI / 15-03, 6 janvier 2015), et dont ce document reprend d’ailleurs certains éléments, l’Association souhaite aujourd’hui apporter sa contribution aux débats en cours sur la question de la liquidité de marché. Elle considère que cette contribution peut être d’autant plus utile, qu’au-delà des données objectives qu’elle réunit, l’AMAFI exprime le sentiment de professionnels de marché qui, par leur proximité avec ce dernier, sont naturellement en mesure de percevoir avec acuité les modifications profondes en cours et les tendances qui s’en dégagent. Un constat de plus en plus partagé mais des solutions qui restent incertaines. Le travail mené en la matière par l’AMAFI depuis plusieurs mois lui a permis de constater une certaine unité de ton quant au constat. Ainsi, ce document s’appuie largement sur diverses réflexions menées en la matière pour, tout en rappelant l’enjeu de la liquidité de marché et en observant la multiplication récente des situations de stress de liquidité (A), fournir un éclairage assez synthétique sur l’effet de ciseau qui résulte de la hausse continuelle de la demande de liquidité, conjuguée à une diminution notable de l’offre de liquidité (B.). Dans un troisième temps, l’objectif est d’identifier un certain nombre d’éléments qui, du point de vue de l’Association, lui paraissent devoir être examinés de manière approfondie (C.). Par nature, ces pistes de solution sont très diverses et interagissent avec une multitude de parties prenantes avec lesquelles la réflexion doit être poursuivie. En tout état de cause, la conviction de l’AMAFI est qu’il n’existe pas un levier unique de solution, mais une multiplicité de leviers sur lesquels il faut agir de façon coordonnée. -2- AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 SOMMAIRE A. Le constat : essentielle à leur bon fonctionnement, la liquidité des marchés connaît de plus en plus de ruptures .................................................... 7 A.1. La liquidité secondaire, élément fondamental du bon fonctionnement des marchés ........................................................................................................................................ 7 A.1.1. De la liquidité dépend le coût du capital .............................................................................. 7 Encadré 1 : Apprécier la liquidité de marché .......................................................................... 7 A.1.2. Liquidité et intérêt général ................................................................................................... 8 Encadré 2 : Ne pas confondre liquidité de marché et liquidité monétaire ............................... 8 Illustration 1 : Pourquoi une liquidité résiliente est importante................................................ 9 A.1.3. Quels sont les facteurs d’une liquidité abondante et résiliente ? ........................................ 9 Illustration 2 : Contribution de différents facteurs à la performance en liquidité d’obligations d’entreprises durant l’épisode du « taper tantrum » .................. 10 A.2. Un risque de liquidité qui s’accroît .......................................................................................... 10 A.2.2. Des indicateurs qui semblent rassurants … ...................................................................... 10 Illustration 3 : Des signaux rassurants aux US … ................................................................ 10 Illustration 4 : … Comme dans la zone euro ........................................................................ 11 A.2.2. … Mais sans masquer une réalité plus inquiétante ........................................................... 11 La vitesse de rotation des actifs a assez significativement baissé............................... 11 Illustration 5 : Baisse de la vitesse de rotation des stocks obligataires ................................ 11 Le coût relatif à traiter un ordre a augmenté pour les investisseurs............................. 12 Illustration 6 : Exprimés en jours de rendement, les spreads bid-offer obligataires ont augmenté................................................................................................. 12 Illustration 7 : Baisse du montant moyen d’une transaction sur obligations d’entreprises US de catégorie investissement ............................................... 12 La taille moyenne des transactions a diminué.............................................................. 12 La profondeur des intérêts disposés à traiter a diminué, et l’impact des transactions a augmenté .............................................................................................. 12 Illustration 8 : Impact de prix en augmentation et profondeur de marché en déclin sur les valeurs US… ...................................................................................... 13 Illustration 9 : … comme sur les valeurs européennes ......................................................... 13 A.2.3. Un mécanisme de formation des prix fragilisé ................................................................... 13 Le « flash crash » sur le marché de la dette US le 15 octobre 2014, …. ..................... 14 Illustration 10 : Analyse par Citi du flash crash du 15 octobre 2014 ..................................... 14 -3- AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Le choc chinois du 24 août 2015 .................................................................................. 14 Illustration 11 : Le « choc chinois » du 24 août 2015, une volatilité implicite qui explose .......................................................................................................... 14 Le cas Glencore entre le 25 septembre et le 6 octobre 2015 ...................................... 14 Illustration 12 : Rendement de l’obligation Glencore 3,625% 2016 entre le 25 septembre et le 6 octobre 2015 ..................................................................... 14 B. Les causes : l’effet de ciseau créé par l’augmentation de la demande latente de liquidité face à la réduction de l’offre .............................................. 16 B.1. Une demande latente de liquidité en forte croissance, dans un contexte de politiques monétaires ultra-accommodantes ......................................................................... 16 B.1.1. Les politiques monétaires actuelles disposent les investisseurs de manière assez unanimement favorable ........................................................................................... 16 Illustration 13 : Evolution du bilan de la FED et de l’indice S&P ........................................... 16 Une raréfaction des actifs sûrs ..................................................................................... 17 Une recherche de rendements qui conduit au report vers des actifs plus risqués .......................................................................................................................... 17 Encadré 3 : Le QE de la FED et de la BCE .......................................................................... 17 Des investissements de plus en plus unidirectionnels ................................................. 18 La création de bulles spéculatives ................................................................................ 18 B.1.2. Dans le même temps, le besoin d’immédiateté des investisseurs n’a jamais été aussi grand, ni porté sur des actifs aussi divers ................................................................ 18 Illustration 14 : Évolution de la part des « redeemable funds » dans la détention des actifs financiers ....................................................................................... 18 Une hausse du besoin d’immédiateté due à la montée en puissance des organismes de placement collectifs … ......................................................................... 19 Illustration 15 : La concentration des actifs obligataires a cru depuis 2008 .......................... 19 … Amplifiée par la montée en puissance de la gestion indicielle................................. 19 Illustration 16 : Le marché des ETFs a enregistré une forte croissance depuis la crise financière .............................................................................................. 20 Un stock d’instruments financiers atteignant des sommets en valorisation … ............ 20 Illustration 17 : Un stock d’actifs obligataire US et européens en forte croissance .............. 20 … Mais aussi en diversité d’instruments en circulation ................................................ 21 B.2. La réduction de l’offre de liquidité, conséquence du retrait des apporteurs traditionnels de liquidité............................................................................................................ 21 B.2.1. En matière d’apport de liquidité aux marchés, les banques ne jouent plus aujourd’hui qu’une fraction du rôle qui était le leur avant la crise de 2008 ....................... 21 Illustration 18 : Évolution du bilan des banques d’investissement consacré à leurs activités de marché ........................................................................................ 22 Illustration 19 : Taille et composition des portefeuilles de négociation ................................. 22 -4- AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 B.2.2. Un désengagement des apporteurs de liquidité imputable au durcissement du cadre réglementaire ........................................................................................................... 22 a. La réglementation prudentielle, cause première du désengagement ............................... 23 Bâle 3, des exigences de solvabilité et de liquidité fortement accrues ........................ 23 Encadré 4 : Bâle 3 où le renforcement des ratios prudentiels .............................................. 23 Illustration 20 : Effet de Bâle 3 sur le capital des banques ................................................... 24 Les réformes de structure bancaire .............................................................................. 25 Les réformes liées au redressement et à la résolution des banques ........................... 26 b. Un désengagement accentué par les réglementations de marché et la fiscalité .............. 27 Encadré 5 : Réformer la structure de marché ...................................................................... 27 B.3. Le déséquilibre entre demande et offre de liquidité induit une fragilité inquiétante, surtout dans un contexte de normalisation attendue des politiques monétaires .................................................................................................................................. 28 Illustration 21 : Évolution contradictoire de la taille des marchés financiers et des inventaires ..................................................................................................... 28 Illustration 22 : Implications systémiques d’un choc de liquidité ........................................... 29 C. Quelles pistes de solution ?............................................................................... 30 C.1. L’émergence d’apporteurs de liquidité alternatifs aux acteurs historiques ? ..................... 30 C.1.1. Que signifie exercer une fonction d’apporteur de liquidité ? ............................................. 31 La capacité à prendre activement et régulièrement des positions « contrariantes » ........................................................................................................... 31 Connaître les marchés et savoir analyser les risques .................................................. 32 L’enjeu de l’effet de levier ............................................................................................. 32 C.1.2. Les acteurs de la gestion, une alternative au retrait des banques ? ................................. 32 Illustration 23 : Evolutions croisées de la détention d’actifs aux États-Unis par les gestions et les BFI ......................................................................................... 32 Mais seuls des hedge funds sembleraient en capacité d’assumer une véritable fonction d’apporteur de liquidité ..................................................................... 33 Illustration 24 : Les gérants recherchent des alternatives à la liquidité jusque là proposée par les market makers ................................................................... 33 Une capacité à hauteur de l’enjeu ? ............................................................................. 33 Encadré 6 : Les contraintes bilancielles de la gestion ......................................................... 33 Illustration 25 : Actifs sous gestion par les hedge funds....................................................... 34 C.2. Un faisceau de mesures nécessaires, agissant sur les différents facteurs de la liquidité........................................................................................................................................ 34 C.2.1. Le fonctionnement des marchés ........................................................................................ 34 Transparence et liquidité doivent être soigneusement arbitrées .................................. 34 L’électronisation des échanges, des effets limités ....................................................... 35 Le trading haute fréquence : mieux mesurer ses effets réels en termes de liquidité .......................................................................................................................... 36 Encadré 7 : Caractéristiques du trading haute fréquence ................................................... 36 Illustration 26 : CAC 40 et résistance de la liquidité aux chocs de marché .......................... 37 -5- AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 C.2.2. La gestion collective, une composante nécessairement importante ................................. 37 Favoriser l’émergence d’investisseurs de long terme .................................................. 37 Poursuivre la mise en adéquation de la liquidité de l’actif et du passif des OPC .............................................................................................................................. 38 Pouvoir gérer plus sereinement les périodes de tension ............................................. 38 Encadré 8 : Plusieurs mécanismes de maîtrise de la liquidité des fonds ............................. 38 C.2.3. Offrir aux émetteurs des solutions pour renforcer la liquidité de leurs titres ..................... 39 Normaliser les souches obligataires : une solution à ne pas surestimer ..................... 39 Illustration 2 : Contribution de différents facteurs à la performance en liquidité d’obligations d’entreprises durant l’épisode du « taper tantrum » .................. 39 Développer les services aux émetteurs qui favorisent la liquidité ................................ 40 Le placement privé type Euro PP, un atout important .................................................. 40 L’analyse financière, un vecteur important de l’intérêt des investisseurs .................... 41 C.2.4. Reconsidérer les arbitrages prudentiels à la lumière de l’enjeu que représente la liquidité de marché ......................................................................................................... 41 La liquidité de marché, élément de la stabilité financière ............................................. 41 Réévaluer la contrainte sur les fonctions d’apporteurs de liquidité des banques ? ..................................................................................................................... 42 Prévoir un traitement prudentiel allégé pour les actifs émis par les PME-ETI ............. 43 C.2.5. Réviser drastiquement les normes comptables ................................................................. 43 Réduire la procyclicité ................................................................................................... 43 Encadré 9 : L’effet particulièrement négatif de l’IFRS 9 ....................................................... 43 Une importance renforcée pour les investisseurs de long terme ................................. 44 Tenir compte de l’illiquidité de certains instruments ..................................................... 44 C.2.6. La fiscalité, un levier réel ................................................................................................... 45 C.2.7. Renforcer les leviers de refroidissement à disposition des autorités de marché .............. 45 BIBLIOGRAPHIE SYNTHETIQUE ................................................................................ 47 -6- AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 A. LE CONSTAT : ESSENTIELLE A LEUR BON FONCTIONNEMENT, LA LIQUIDITE DES MARCHES CONNAIT DE PLUS EN PLUS DE RUPTURES Mesurer l’enjeu de la liquidité de marché. La liquidité secondaire est un élément fondamental du bon fonctionnement des marché, à la fois pour ceux qui y interviennent directement, mais aussi beaucoup plus largement pour tous ceux qui sont impactés par les valorisations qu’il détermine (A.1.). Est alors nécessairement inquiétante la constatation qu’au-delà de certains facteurs rassurants mais superficiels, l’analyse met en évidence un affaiblissement significatif de la liquidité de marché (A.2.). A.1. La liquidité secondaire, élément fondamental du bon fonctionnement des marchés Intérêts particuliers et intérêt général. Pour tout instrument financier, la liquidité secondaire joue un double rôle. Si, dans le cas des titres de capital ou de créance, elle sert indubitablement l’intérêt de l’émetteur en conditionnant le coût auquel il pourra lever des financements sur le marché primaire (A.1.1.), c’est Encadré 1 : Apprécier la liquidité de marché plus largement d’elle aussi que dépend l’efficacité du La recherche universitaire a dégagé quatre processus de formation des prix, à partir desquels la dimensions qui permettent d’apprécier la valorisation des actifs et des opérations de couverture va liquidité de marché : être effectuée, de façon d’ailleurs automatique pour tous ceux comptabilisés en mark to market (A.1.2.). C’est cette conjugaison d’intérêts individuels et collectifs qui explique l’attention portée aux différents facteurs permettant de favoriser la liquidité de marché chaque 1 fois que cela est possible (A.1.3.). A.1.1. De la liquidité dépend le coût du capital la profondeur du marché (possibilité d’effectuer des transactions de grande taille sans entraîner de modification substantielle du prix), l’étroitesse de la fourchette (écart de cours entre le premier vendeur et le premier acheteur), l’immédiateté (rapidité d’exécution), la résilience (retour des prix après un épisode de turbulence). La liquidité de marché, un élément essentiel pour les investisseurs. L’efficacité d’un marché secondaire, qu’il soit organisé ou de gré à gré, est directement corrélée à sa liquidité, c’est-à-dire à la fluidité avec laquelle un instrument financier peut s’échanger entre contreparties acheteuses et vendeuses. Plus un actif est liquide, plus il est facile de s’en défaire ou, au contraire, de l’acquérir, y compris pour de grandes quantités, sans subir un impact de marché contreproductif : au fur et à mesure qu’il absorbe les quantités disponibles à l’achat ou la vente, l’investisseur sera en effet contraint de diminuer ou d’augmenter selon le cas, son prix d’intervention pour intéresser des acheteurs ou des vendeurs qui, jusqu’alors, n’étaient pas présents sur le marché. Tout investisseur est naturellement sensible à la liquidité de marché. Il l’est bien sûr parce que c’est une condition pour mesurer a priori, aussi finement que possible, le coût auquel il pourra acquérir la quantité de titres souhaitée, sans subir un impact de marché beaucoup plus difficilement mesurable quant à lui. Mais l’investisseur y est aussi sensible, et de façon en réalité plus importante, car c’est de la liquidité que dépend sa capacité à revendre rapidement les titres ou à retourner sa position lorsqu’il l’aura décidé, là aussi avec un impact de marché aussi faible que possible. 1 On peut chercher à améliorer la liquidité de marché mais il sera toujours difficile, sinon impossible de rendre liquide un instrument financier qui structurellement ne l’est pas. -7- AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Liquidité de marché et coût du capital sur le marché primaire. C’est ce dernier aspect qui d’ailleurs conduit à lier étroitement, dans le cas des titres, marché primaire et marché secondaire. Aucun souscripteur du marché primaire n’a en effet la certitude de conserver les titres souscrits jusqu’à l’échéance (laquelle peut d’ailleurs être « infinie », s’agissant des titres représentatifs de fonds propres). Dès lors l’appétence des investisseurs à souscrire, comme le prix de cette souscription, dépendent directement de la facilité avec laquelle ils pourront être mis en présence d’acquéreurs potentiels lorsqu’ils souhaiteront désinvestir. C’est la raison pour laquelle ces investisseurs incorporent une prime de liquidité dans le prix auquel ils se déclarent intéressés à souscrire à l’opération : moins le titre est liquide, plus la prime de liquidité est élevée et plus le prix de souscription est bas par rapport à ce qui résulte de l’analyse « normale » des fondamentaux. Encadré 2 : Ne pas confondre liquidité de marché et liquidité monétaire Même s’il existe des interactions entre l’une et l’autre (comme il sera vu plus loin), il ne faut pas confondre liquidité de marché et liquidité monétaire. La liquidité monétaire, régulée par la banque centrale, se rapporte à la quantité d’actifs totalement liquides circulant dans l’économie. De celle-ci, on peut rapprocher deux autres concepts de liquidité : d’une part, la liquidité de financement, qui désigne la facilité avec laquelle les agents économiques peuvent obtenir un financement externe ; d’autre part, la liquidité bancaire, qui reflète la capacité d’une banque à honorer ses engagements immédiats. Le marché primaire est celui sur lequel les entreprises, les Etats et autres institutions (collectivités territoriales, institutions supranationales et nationales, …) lèvent les financements qui leur sont nécessaires. La liquidité du marché secondaire conditionne donc la faculté de ces agents à se financer à des coûts optimisés, c'est-à-dire sans que le prix de souscription n’intègre une prime de risque élevée, voire parfois démesurée. Coût du capital et coût du risque. Mais la liquidité de marché n’est pas seulement importante pour lever des financements au Sur ces points, on renvoie particulièrement au Numéro travers de l’émission de titres de capital ou spécial Liquidité de la Revue de stabilité financière de février de titres de créance, elle l’est également en 2008, et notamment à : Liquidité de marché et stabilité matière de couverture des risques pour financière, A. Crockett. lesquels les marchés de produits dérivés jouent aujourd’hui un rôle très significatif. De la liquidité de ces marchés dérivés va en effet directement dépendre la capacité des agents économiques (industriels, commerçants, producteurs, et investisseurs) à pouvoir les utiliser, sans surcoût inutile, pour couvrir leurs risques. Pour toutes les personnes morales utilisatrices des marchés dérivés, il y a alors un lien évident à tracer entre coût du capital et coût du risque : le second rétroagit nécessairement sur le premier. A.1.2. Liquidité et intérêt général Liquidité de marché et efficacité du processus de formation des prix. La liquidité du marché secondaire n’est pas seulement importante pour l’investisseur et l’émetteur considérés individuellement, elle l’est aussi par rapport à la fonction de découverte du prix qu’assure le marché : plus nombreux en effet sont les échanges, plus le prix qui en ressort est fixé de façon optimale par rapport aux fondamentaux du marché. Une forte liquidité signifie en effet : sur les marchés dirigés par les ordres, la confrontation de quantités importantes proposées à l’achat et à la vente ; sur les marchés dirigés par les prix, la mise en compétition de nombreux teneurs de marchés proposant des prix à l’achat et à la vente. Or c’est au travers du prix fixé par le marché que les porteurs de projets (principalement les entreprises) vont voir valorisés leurs actifs et leur stratégie, fixé le coût de leur capital (c’est-à-dire le prix auquel ils peuvent lever de nouveaux capitaux), déterminé le prix auquel ils pourront réaliser des opérations de croissance externe en acquérant d’autres entreprises, voire être eux-mêmes la cible d’une opération de -8- AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 croissance externe par un tiers. Mais c’est également au travers de ce prix que les porteurs d’épargne vont voir leurs investissements valorisés et que les agents économiques vont pouvoir utiliser les marchés dérivés pour couvrir au meilleur coût leurs risques. Une importance soulignée par le FMI. Comme le relève le FMI dans son dernier rapport sur la stabilité financière mondiale, lorsque la liquidité diminue, les prix deviennent moins « informatifs », sont moins alignés avec leurs fondamentaux et ont tendance à sur-réagir tandis qu’une liquidité moins résiliente réduit la capacité d’absorption des chocs de l’économie, augmente les effets de contagion et la volatilité, susceptibles d’entraîner des ventes d’actifs dans l’urgence et pouvant conduire à une transition désordonnée d’un équilibre économique à un autre. Illustration 1 : Pourquoi une liquidité résiliente est importante Source FMI, GFSR - Global Financial Stability Report, Octobre 2015. Liquidité et manipulations de marché. La liquidité est aussi une garantie contre la manipulation de marché. Plus un marché est liquide, avec de nombreux intervenants qui interagissent à l’achat et à la vente, plus les prix qui en sont issus sont représentatifs, à tout instant et dans la durée, d’intérêts réels. En conséquence, toute tentative de le manipuler est difficile, peu discrète (donc davantage susceptible d’être détectée et sanctionnée par la puissance publique) et moins ses effets sont durables. A l’inverse, des marchés peu liquides ou à la liquidité fragile permettent, avec des capacités d’intervention relativement limitées, de créer et d’amplifier des mouvements qu’aucune tendance de fond ne justifie : dans ces situations en effet, l’information biaisée qu’adresse à dessein le « manipulateur » n’est pas corrigée par un flux d’informations plus intense qui refléterait les réels intérêts des acteurs pour l’instrument considéré. A.1.3. Quels sont les facteurs d’une liquidité abondante et résiliente ? Le rôle particulier des teneurs de marché. La liquidité de marché dépend de différents facteurs. La taille de l’émission bien sûr, mais aussi la présence d’intermédiaires jouant un rôle actif de 2 « distributeurs » auprès de leurs clients investisseurs , l’existence d’une stratégie de communication financière suivie dans la durée par l’émetteur, ou encore la mise en place sur les marchés dirigés par les 3 ordres d’un contrat de liquidité (sur ces aspects, v. aussi C.2.3.). 2 Notamment par la publication d’analyses financières, une étude ayant mis en évidence le lien existant entre couverture en analyse financière et coût du capital (The Real Effects of Financial Shocks: Evidence from Exogenous Changes in Analyst Coverage, F. Derrien et A. Kecskés, Journal of Finance, vol. 68, issue 8, août 2013, p. 1407). 3 Sur cet aspect, v. Contrat-type AMAFI de liquidité (AMAFI / 09-21a et b). -9- AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Mais au-delà, la liquidité d’un marché dépend d’assez nombreux facteurs exogènes pour chaque intervenant individuel : le nombre des acteurs, leur diversification (objectifs, horizons d’investissement, benchmarks, etc.), la facilité de financement de leurs portefeuilles (rôle du repo et accès à la liquidité banque centrale), le niveau de confiance dans leur faculté de pouvoir couvrir rapidement leurs risques ou retourner une position, y compris en cas de tension momentanée, la robustesse des infrastructures de marché, la stabilité et l’efficacité du cadre juridique, etc. Dans ce contexte, la tenue de marché joue également un rôle particulier dont l’importance ne peut, ni ne doit être mésestimée (v. AMAFI / 15-03 précitée). Comme le montre l’exemple du « taper tantrum » de mai 2013 où l’annonce par la Réserve fédérale de la réduction progressive de son programme de rachat d’actifs a entraîné des troubles de marché, le nombre de teneurs de marché est l’un des facteurs qui a une influence forte sur la liquidité. Au final, la liquidité est une externalité positive qui se renforce ellemême (plus il y a de teneurs de marché, plus il y a de liquidité et plus il y a d’intervenants actifs). A.2. Illustration 2 : Contribution de différents facteurs à la performance en liquidité d’obligations d’entreprises durant l’épisode du « taper tantrum » Source FMI, GFSR précité. Un risque de liquidité qui s’accroît Différents signaux. Au cours des derniers mois, plusieurs épisodes de correction brutale, dont les désormais répétés « flash crash », révèlent la situation pour le moins contrastée de la liquidité sur plusieurs marchés, où la volatilité, signe d’une liquidité amoindrie, reparaît par à-coups. D’une façon plus générale, les intervenants de marché s’inquiètent d’une plus grande difficulté à exécuter des ordres de grande taille sans impact de prix significatif, et d’une dégradation de l’immédiateté sur plusieurs marchés. A.2.2. Des indicateurs qui semblent rassurants … Volumes élevés et spreads bid-offer bas … En première approche, les indicateurs de liquidité les plus immédiatement accessibles, particulièrement s’agissant des actions et des obligations, apparaissent Illustration 3 : Des signaux rassurants aux US … Source : Citi Research - 10 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 rassurants quant au fonctionnement et à la fluidité des marchés financiers. Les volumes d’échange restent élevés et les écarts de prix entre acheteurs et vendeurs prêts à traiter (bid-offer spreads) sont au plus bas. Sur la période récente, ces indicateurs affichent en outre une orientation assez rassurante, du moins pour les actifs les plus liquides (actions et dettes souveraines), avec des volumes en hausse tendancielle depuis 2008, et des spreads revenus aux niveaux d’avant crise et proches de leurs plus bas historiques. A.2.2. Illustration 4 : … Comme dans la zone euro Source : BCE … Mais sans masquer une réalité plus inquiétante Des indicateurs davantage révélateurs de l’état réel de la liquidité. Une analyse plus approfondie atteste d’une dégradation des conditions d’accès à la liquidité sur la plupart des marchés, même en l’absence de tensions. De fait, plusieurs phénomènes, d’ailleurs interconnectés, dénotent une dégradation de la liquidité des marchés financiers. La vitesse de rotation des actifs a assez significativement baissé Le marché obligataire particulièrement concerné. Cette baisse est particulièrement notable dans le cas des obligations, et cela bien que les volumes d’échanges aient augmenté au cours des dernières années. Elle traduit notamment la forte augmentation du stock de titres, qui est allée de pair avec l’augmentation des actifs sous gestion (v. aussi infra B.1.2.). Illustration 5 : Baisse de la vitesse de rotation des stocks obligataires US Treasury Volumes quotidiens ramenés au stock France – OAT et BTAN Volumes trimestriels ramenés au stock US high-grade Volumes annuels ramenés au stock 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 1,500 1,400 1,300 1,200 1,100 1,000 900 800 700 600 500 Stock BTAN + OAT en MdEUR, éch. droite Source : PwC report, SIFMA Source : PwC report, SIFMA - 11 - Source : AMAFI, AFT Rotation trimestrielle en %, éch. gauche AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Assez différenciée par zone et par type d’actifs – les marchés historiquement plus électroniques ayant subi l’impact le plus important –, cette évolution dénote, non pas une modification dans la nature des investisseurs – la proportion des investisseurs de long terme n’ayant pas augmenté (v. infra illustration 8) –, mais plutôt, d’une part, un alignement des intérêts des investisseurs du fait de l’environnement monétaire (v. infra B1.1.) et, d’autre part, une difficulté croissante des acteurs à matérialiser à bon compte leur intérêt à acheter ou à vendre. Le coût relatif à traiter un ordre a augmenté pour les investisseurs Au cours de la période récente, la baisse des bid-offer spreads en termes absolus n’a pas compensé la baisse des rendements. En conséquence, l’exécution d’un intérêt acheteur ou vendeur réclame de la part de l’investisseur l’abandon d’un nombre croissant de jours de rendement de son actif (« carry »). Ainsi, au cas des OAT 10 ans, traiter un ordre coûte aujourd’hui plus de 2 « jours de rendement », contre moins du quart d’un « jour de rendement » avant la crise, soit une multiplication par huit. Illustration 6 : Exprimés en jours de rendement, les spreads bid-offer obligataires ont augmenté OAT 10 ans 10 5.0% 9 4.5% 8 4.0% 7 3.5% 6 3.0% 5 2.5% Spread / taux, moyenne à 1 mois 4 2.0% Rendement 3 1.5% 2 1.0% 1 0.5% - 0.0% Source : AMAFI, Tradeweb En outre, même s’il n’existe pas de statistique disponible sur cet aspect, les efforts de réduction de leurs RWAs (actifs pondérés par les risques) et de leurs inventaires par les intermédiaires de marché, et plus particulièrement les banques, ont conduit à une segmentation accrue de la clientèle, impliquant qu’il est probablement un peu plus compliqué pour un investisseur de moyenne taille d’exécuter rapidement des ordres significatifs sur des titres moins liquides (« off the run »). Illustration 7 : Baisse du montant moyen d’une transaction sur obligations d’entreprises US de catégorie investissement La taille moyenne transactions a diminué des Le contexte d’électronisation croissante des marchés n’est sans doute pas indifférent à cette évolution. Le mouvement de baisse de la taille moyenne des transactions est en effet particulièrement sensible sur les marchés obligataires US, sur lesquels le poids des traders électroniques (principal trading firms) est plus élevé. La profondeur des intérêts disposés à traiter a diminué, et l’impact des transactions a augmenté Cet effet, au-delà des obligations (v. illustrations 8 et 9 en page suivante), affecte l’ensemble des instruments financiers. Ainsi, le rapport PwC note Source : BRI, rapport annuel 2015 - 12 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 un effet similaire pour les futures : « JPMorgan estimated one investor could have traded 100 contracts of 30-year Bund futures in early 2014 without moving the market significantly. In May 2015, that number had fallen to 20 contracts » (v. Bibliographie en annexe). Illustration 8 : Impact de prix en augmentation et profondeur de marché en déclin sur les valeurs US… Source : US Fed blog Illustration 9 : … comme sur les valeurs européennes Source : FMI, GFSR précité A.2.3. Un mécanisme de formation des prix fragilisé Quand la liquidité disparaît, les prix s’en ressentent. Dans ce nouvel environnement de marché, outre la difficulté croissante pour les investisseurs à traiter leurs ordres à bon compte, même en conditions « normales » de marché, la dégradation de la liquidité se traduit de manière extrêmement visible en situation de stress, par une disparition quasi immédiate de la liquidité, qui s’accompagne alors de mouvements massifs et erratiques des prix. Ce phénomène trouve des illustrations de plus en plus fréquentes et exemplaires, que trois situations traduisent particulièrement : Le « flash crash » sur le marché de la dette US le 15 octobre 2014, Le choc chinois du 24 août 2015, Le cas Glencore entre le 25 septembre et le 6 octobre 2015. - 13 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Le « flash crash » sur le marché de la dette US le 15 octobre 2014, …. Illustration 10 : Analyse par Citi du flash crash du 15 octobre 2014 Le choc chinois du 24 août 2015 Ce jour-là, en l’absence de toute nouvelle économique, les marchés ont enregistré un choc de volatilité (mesuré par l’évolution du VIX) d’une magnitude comparable à celui causé par la crise grecque, et seulement dépassée par le choc induit par la faillite de Lehman. Surtout, la volatilité implicite du VIX (ou VVIX), qui mesure la difficulté du marché à proposer des couvertures contre le risque de volatilité, a atteint le 24 août des niveaux inédits. Illustration 11 : Le « choc chinois » du 24 août 2015, une volatilité implicite qui explose 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 Aug-06 Aug-07 Aug-08 Aug-09 VIX Aug-10 Aug-11 Aug-12 Aug-13 Aug-14 Aug-15 VVIX (vol du VIX) Source : SG Research, Bloomberg Le cas Glencore entre le 25 septembre et le 6 octobre 2015 Illustration 12 : Rendement de l’obligation Glencore 3,625% 2016 entre le 25 septembre et le 6 octobre 2015 Source : Bloomberg - 14 - Parallèlement aux fluctuations très importantes observées sur l’action Glencore à la fin du mois de septembre 2015, les obligations de cette entreprise ont connu des évolutions encore plus importantes. Ainsi, le rendement moyen à la maturité de l’obligation 3,625 % 2016 est passé en deux jours de 0,625 % à 30 % (soit une augmentation de 4.800 %) pour s’établir ensuite à 5,81 %. AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Une illusion de liquidité … Au final, l’état général des marchés est tel que la BRI évoque désormais une 4 « illusion de liquidité », masquant de grandes fragilités, avec parfois des évolutions qui peuvent être trompeuses. Ce qui est certain, au-delà de toutes ces données statistiques, c’est que les professionnels de marché font état de leurs inquiétudes sur l’état de la liquidité au travers de multiples entretiens réalisés dans le cadre de différentes études sur la tenue de marché ou la liquidité (rapport sur la tenue de marché du Comité sur le système financier mondial, rapport de l’ICMA sur les marchés secondaires d’obligations d’entreprises, rapport PwC sur la liquidité notamment). 4 Il est à noter que « le risque d’une « illusion de liquidité » se renforce : la liquidité du marché semble abondante en temps normal, mais s’évapore rapidement dès que des tensions apparaissent sur le marché » (BRI, Rapport annuel 2015, juin 2015). - 15 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 B. LES CAUSES : L’EFFET DE CISEAU CREE PAR L’AUGMENTATION DE LA DEMANDE LATENTE DE LIQUIDITE FACE A LA REDUCTION DE L’OFFRE Des causes de plus en plus documentées. Le constat d’une liquidité de marché qui, quoique essentielle au bon fonctionnement des marchés, connaît des situations de rupture plus fréquentes oblige à en rechercher les causes. Celles-ci sont désormais assez bien documentées, de multiples analyses ayant été produites sur ces aspects au cours des derniers mois. Ce qui en ressort est un effet de ciseau où l’augmentation de la demande latente de liquidité (B.1.) se 5 conjugue à la baisse de l’offre de liquidité (B.2.). Les « intermédiaires de marché », apporteurs traditionnels de liquidité, conduisent en effet, du fait de l’évolution de leur cadre réglementaire, une revue stratégique de leurs activités qui les mène à se désengager de ces fonctions. De ce déséquilibre marqué entre offre et demande de liquidité résulte une situation de grande fragilité (B.3.). B.1. Une demande latente de liquidité en forte croissance, dans un contexte de politiques monétaires ultra-accommodantes La liquidité monétaire masque le besoin de liquidité de marché. Face à la crise, les banques centrales ont réagi depuis plusieurs années en mettant en place des politiques monétaires conduisant à injecter puissamment de la liquidité monétaire dans les économies. Ces politiques, au-delà de leurs effets 6 macro-économiques, entretiennent l’ « illusion de liquidité » des marchés financiers qu’évoque la BRI (B.1.1.) laquelle, pour l’heure, masque l’accroissement important du besoin d’immédiateté sur les marchés (B.1.2.). B.1.1. Les politiques monétaires actuelles disposent les investisseurs de manière assez unanimement favorable Illustration 13 : Evolution du bilan de la FED et de l’indice S&P Des taux directeurs qui n’ont jamais été aussi durablement bas. Pour susciter le retour de la croissance économique et lutter contre les tendances récessionnistes, les banques centrales font usage depuis quelques temps déjà d’outils nonconventionnels afin de tenter de favoriser la reprise des économies. En résulte une situation exceptionnelle à plus d’un titre, les politiques d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing, QE) et de taux bas étant inédites, tant en ampleur qu’en durée. 5 Sous ce terme, sont regroupées ici deux grandes catégories d’intervenants : d’une part, les banques qui mènent une activité de marché, le plus souvent à côté d’une activité purement bancaire (dépôts, crédits, …) ; d’autre part, les intervenants « purs » de marché qui, dans l’Union européenne, exercent leurs activités sous le statut d’entreprise d’investissement. En tant qu’apporteur de liquidité, ces « intermédiaires de marché » agissent souvent pour compte propre. 6 Rapport BRI précité. - 16 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Ainsi, aucune augmentation des taux directeurs n’est intervenue aux États-Unis depuis 2006, tandis que la borne zéro (ZLB « zero lower bound ») a été atteinte dans plusieurs zones monétaires, et que les grandes banques centrales de la planète ont multiplié les programmes d’achats d’actifs. Les taux d’intérêt, tant nominaux que réels, ont atteint des niveaux extrêmement bas, certaines obligations souveraines s’échangeant maintenant à des niveaux négatifs (plus de 2.000 Md USD entre avril 2014 et mai 2015 d’après les données de la BRI), symptôme d’un malaise quant à la valorisation des actifs. Des effets sensibles sur les marchés. Au-delà des effets espérés de ces actions vigoureuses, que cela soit en matière de libération des bilans bancaires et de liquidités disponibles pour l’investissement, l’utilisation de ces outils nonconventionnels a des effets encore insuffisamment analysés sur la disponibilité des stocks d’instruments et l’orientation des stratégies d’investissement. Dans ce contexte d’accès facile aux liquidités de la banque centrale, quatre constats appellent cependant particulièrement l’attention. Une raréfaction des actifs sûrs Encadré 3 : Le QE de la FED et de la BCE Le QE est un plan de création monétaire : la banque centrale transfère du cash aux détenteurs de titres financiers en contrepartie des acquisitions de ces titres sur le marché. Ce cash augmente la masse monétaire et soutient les indices de prix à la consommation (la théorie classique énonce que les prix sont proportionnels à la masse monétaire). Selon la doctrine, les agents qui reçoivent du cash le réinvestissent dans l’économie réelle, en souscrivant à des augmentations de capital, des émissions de dette obligataire ou en octroyant des prêts. Le QE a une conséquence secondaire. Il augmente les prix des actifs financiers. Directement car les achats de la banque centrale exercent une pression haussière sur les titres, en particulier les obligations d’Etat. Indirectement car les agents économiques achètent aussi des titres sur le marché avec les liquidités qui leur ont été transférées. Le QE et les anticipations qu’il suscite ont donc été un moteur important de la hausse des marchés d’action et des multiples de valorisation des firmes : aux Etats-Unis, le PER ajusté des cycles a augmenté de 15 à 25. Depuis 2009, le bilan de la FED est ainsi passé de 5 % à 25 % du PIB américain tandis que le cours de l’indice S&P a triplé dans la même période Ce faisant, il a aussi contribué à rétablir les banques en revalorisant leur actif et leurs fonds propres. La hausse des cours contribue enfin à l’essor des opérations de fusion-acquisition et au redéploiement industriel des firmes. L’aspiration du Quantitative Easing et Ce mécanisme, même s’il ne s’agit pas de son l’augmentation des besoins en collatéral. Les objectif principal, soutient donc l’activité et les programmes de rachat d’actifs ont introduit une résultats des grandes entreprises. concurrence inédite entre les banques centrales et les autres agents économiques pour disposer d’actifs de bonne qualité, entraînant des effets d’éviction. Ainsi, le programme d’assouplissement quantitatif lancé par la BCE aspire jusqu’à 60 Md EUR par mois de dettes d’État européennes. Cette raréfaction des actifs classiquement considérés comme sûrs et disponibles pour des échanges a été renforcée par la recherche accrue d’actifs d’assez bonne qualité pour servir de garanties, conséquence de nouvelles règles instaurant des obligations de collatéralisation, EMIR notamment pour ce qui concerne l’Europe (v. par exemple article de J. Metzger, Journal Eurofi de Riga). Une recherche de rendements qui conduit au report vers des actifs plus risqués Une moins bonne appréciation du couple rendement / risque ? La moindre disponibilité des actifs sûrs contribue par éviction au report d’une part importante des investissements vers des actifs considérés jusqu’ici moins attractifs. Ce mouvement se voit puissamment renforcé en outre par la recherche de rendements, dérivant du contexte de taux bas qui affecte le rendement des actifs les moins risqués. Cet afflux des investisseurs vers des actifs de moindre qualité que ceux historiquement privilégiés induit une compétition pour leur acquisition dont l’un des effets notables d’un point de vue de marché, est une valorisation qui n’apparaît pas nécessairement justifiée du point de vue de leurs fondamentaux économiques (« mispricing »). Sont ainsi acceptés des couples rendement / risque qui sans doute auraient été considérés peu justifiables précédemment. - 17 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Des investissements de plus en plus unidirectionnels Des valorisations soutenables ? L’effondrement des taux d’intérêt à des niveaux jusqu’à cette date sans précédent, constitue déjà une disruption considérable. On peut craindre ainsi que l’abondance des liquidités ait conduit de nombreux marchés – financiers mais aussi immobiliers – à des niveaux de valorisation non soutenables. On peut craindre en outre que le caractère exceptionnellement expansionniste de la politique monétaire pousse les investisseurs à fonder leur décision d’investissement moins sur l’analyse des fondamentaux économiques des actifs, et plus sur les promesses de hausse des 7 cours liées à la poursuite jugée inévitable de telles injections . La communication des banques centrales (forward guidance) tend d’ailleurs à entraîner les investisseurs dans cette direction. On peut certes regretter que ceux-ci ne procèdent pas à une analyse suffisamment critique. Mais une attitude contraire (avoir raison contre le marché) se traduit pendant un temps qui peut être assez long par des pertes, préjudiciables pour les mandants tant que le marché n’aura pas intégré cet aspect. D’autre part et surtout, le rôle naturellement directeur des banques centrales est tel que prendre une position en sens contraire fait courir un risque tel qu’il est irrationnel au sens économique. La création de bulles spéculatives Un risque de décrédibilisation du marché. Tous ces effets des politiques de taux anormalement bas que conduisent les banques centrales contribuent à une compression des primes de risque sur les actions, le crédit et la liquidité et, de ce fait, accentuent notablement la capacité du marché à former des bulles spéculatives de grande ampleur. Ces bulles ont toutes chances d’éclater lorsque la sortie de ces politiques sera engagée et qu’il s’agira de gérer, dans des marchés plus facilement disloqués car moins liquides, la transition vers un nouvel environnement de primes de risque « normales ». Au-delà du « chaos » inévitable qui résultera des pertes sévères que devront enregistrer de nombreux agents économiques, cette situation se traduira par une nouvelle décrédibilisation du marché ... B.1.2. Dans le même temps, le besoin d’immédiateté des investisseurs n’a jamais été aussi grand, ni porté sur des actifs aussi divers Un cocktail dangereux. L’immédiateté est la rapidité avec laquelle il est possible d’exécuter un ordre : elle constitue de ce fait l’une des dimensions fondamentales – la dimension temps – de la définition de la liquidité de marché. Illustration 14 : Évolution de la part des « redeemable funds » dans la détention des actifs financiers Si la volonté de minimiser l’impact de marché constitue depuis plusieurs années un sous-jacent important de la hausse constante de la demande d’immédiateté des investisseurs (sur ces aspects, v. supra A.1.), cette tendance de fond connaît actuellement une très forte augmentation. Et ce alors même qu’on assiste à une forte croissance du nombre et de la valeur des instruments financiers en circulation. C’est un cocktail dangereux qui influe défavorablement sur l’évolution de la liquidité des marchés. 7 The liquidity paradox, Matt King, Citi Research, 4 mai 2015. - 18 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Une hausse du besoin d’immédiateté due à la montée en puissance des organismes de placement collectifs … Part croissante des redeemable funds et concentration de la détention d’actifs. La hausse du besoin d’immédiateté dérive notamment de la montée en puissance des acteurs de la gestion d’actifs, et notamment des organismes de placement collectif qui, à tout moment, sont en position de faire face à des demandes de liquidation sans préavis (redeemable funds). De ce fait, ces investisseurs sont statutairement obligés d’assurer une liquidité de court terme de leur passif, quotidienne pour la plupart des fonds. Cette demande latente Illustration 15 : La concentration des actifs obligataires a cru depuis 2008 est en outre accrue par la concentration croissante de la détention d’actifs, dont l’effet est de contribuer à uniformiser les pratiques d’investissement, entre les mains de quelques acteurs importants. Ainsi, les 20 principaux gestionnaires d’actifs au niveau mondial détenaient plus de 60 % des actifs gérés en 2012 Source : FMI, GFSR avril 2015 contre 50 % en 2002, le phénomène tendant à s’accélérer depuis la crise. Cette concentration s’illustre de façon encore plus marquée sur certains segments d’actifs exotiques, sous l’effet de la quête de rendements. L’uniformisation des comportements. Mais la concentration des actifs accroît aussi la probabilité de mouvements uniformes, notamment en cas de tension des marchés, ce qui constitue aussi un facteur de hausse de la demande latente d’immédiateté. En témoigne notamment la forte corrélation observée entre la concentration de la détention et la dégradation du prix des actifs à l’occasion des chocs de 2008 ou de 2013 (v. FMI, GFSR avril 2015, p. 107). … Amplifiée par la montée en puissance de la gestion indicielle Le développement des ETFs. La baisse de variété des prises de position est également renforcée par la forte croissance de nouvelles techniques de gestion, avec la montée en puissance de la gestion indicielle dont le développement est lié à la baisse des coûts que permet le recours à des benchmarks. Principale traduction de cette évolution, le marché des ETFs (exchange-traded funds, ou fonds indiciels cotés) qui, inexistant en 2000, enregistre un rapide essor, notamment sur la période récente pour les ETFs sur obligations, jusqu’à atteindre 3.000 Md USD aujourd’hui. La gestion indicielle favorise par construction l’uniformisation des comportements, les benchmarks utilisés, lorsqu’’ils ne sont pas proches, voire identiques, étant souvent étroitement liés entre eux. Le développement de cette forme de gestion, et le moindre poids relatif en conséquence des investisseurs 8 fondant leurs décisions sur un raisonnement propre , peut ainsi conduire à des « amplifications » brutales et « anormales » des tendances de marché. Certes, en situation « normale » de marché, les ETFs sont dotés d’une liquidité secondaire intrinsèque, qui peut aider les investisseurs à contourner les difficultés induites par une moindre liquidité du sous-jacent. L’expérience montre toutefois que cette liquidité 8 Mais qui peut aussi conférer à ces investisseurs « raisonnés » une force directionnelle dans le marché … C’est en tous cas l’accusation qui est souvent portée à l’encontre des hedge funds. - 19 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 9 intrinsèque disparaît lorsque le marché du sous-jacent est soumis à un stress de valorisation : dans ce cas en effet, les intérêts des porteurs de parts – le plus souvent exprimés par des demandes de rachat – s’alignent, de sorte que la demande de liquidité ne peut trouver d’autre réponse que celle offerte par le mécanisme de création / rédemption, ajoutant à la tension sur la liquidité et la valorisation du sous-jacent lui-même. Illustration 16 : Le marché des ETFs a enregistré une forte croissance depuis la crise financière Source : Blackrock – ETP landscape Un stock d’instruments financiers atteignant des sommets en valorisation … Un recours accru aux financements de marché. La forte croissance de la valeur des instruments financiers en circulation sur les marchés est indéniable. On constate ainsi la montée en flèche des émissions primaires d’instruments de dette notamment, mais aussi des émissions sur les marchés actions. Cette hausse du stock d’actifs, qui témoigne d’une vitalité des marchés primaires, résulte en partie de la largesse des politiques monétaires, qui accroît les capitaux à investir tout en garantissant aux émetteurs un accès à des financements réclamant un faible rendement, même à des maturités longues ; mais aussi de l’évolution des ratios prudentiels bancaires, qui rend plus compétitifs les financements de marché par rapport au recours au crédit. Elle trouve également sa source dans la volonté des émetteurs de diversifier leurs sources de financement en se tournant davantage vers les marchés financiers, volonté qu’amplifie 10 la raréfaction du crédit bancaire, annoncée quand elle n’est pas déjà constatée . Illustration 17 : Un stock d’actifs obligataire US et européens en forte croissance Source: SIFMA, BCE et rapport PwC 9 Plus de 300 ETFs n’ont pas pu coter aux Etats-Unis, pendant 35 mn, le 24 août 2015 (v. Les Echos, 29 septembre 2015, p. 32). 10 La France constituant néanmoins une exception assez notable en Europe, le crédit bancaire (notamment à destination des PME et ETI) étant stable quand il n’est pas en progression. - 20 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 … Mais aussi en diversité d’instruments en circulation 130.000 souches obligataires en euro. Plus d’émetteurs présents avec des besoins de financement plus divers signifie aussi une multiplication du nombre d’instruments financiers en circulation. Il est par exemple notable que Bloomberg répertoriait 130.000 souches libellées en euro en juin 2015, en hausse de plus de 10 % en un an. B.2. La réduction de l’offre de liquidité, conséquence du retrait des apporteurs traditionnels de liquidité Les banques, apporteurs historiques de liquidité. Dans la réduction de l’offre de liquidité qui est actuellement constatée, les banques – auxquelles on assimilera ici tous les acteurs qui exercent une 11 fonction d’apport de liquidité, et notamment les entreprises d’investissement – jouent sans conteste un rôle majeur. Les évolutions profondes qu’a connues leur cadre d’exercice, dans le sens d’un net durcissement des exigences pesant sur elles, les ont en effet conduites à engager une revue stratégique 12 13 de leurs activités , périodiquement réactualisée en fonction des nouvelles évolutions qui se dessinent . Dans le cadre d’une réduction générale du périmètre de leurs activités de marché, l’une des conséquences de cette revue a été un désengagement significatif des fonctions d’apporteurs de liquidité dont elles constituaient historiquement les intervenants essentiels, sinon quasi uniques. La réduction importante de l’activité des banques comme apporteurs de liquidité et les raisons qui soustendent cette tendance ont été largement documentées au cours de ces derniers mois par de 14 nombreuses publications . Au vu de la richesse des études ainsi menées, dont l’AMAFI partage dans l’ensemble les conclusions, il est important de chercher à synthétiser les facteurs nécessaires à la compréhension des mouvements en cours. B.2.1. En matière d’apport de liquidité aux marchés, les banques ne jouent plus aujourd’hui qu’une fraction du rôle qui était le leur avant la crise de 2008 La baisse des fonds propres alloués à la tenue de marché ... Depuis 2008, progressivement, mais régulièrement, les banques se sont désengagées des activités de tenue de marché dans lesquelles traditionnellement, elles jouaient un rôle majeur pour fournir de la liquidité sur les marchés et face à leurs clients (v. AMAFI / 15-03 précitée). Ce désengagement, piloté par chaque établissement via le niveau des fonds propres alloués aux activités de marché, est surtout visible au travers de la diminution de la taille des bilans et des stocks de titres détenus dans le cadre de leur activité d’inventaire. 11 En Europe, les entreprises d’investissement, soumises quasiment au même cadre d’exercice, mènent également des activités de tenue de marché. Du fait d’une taille généralement moindre que les banques, celles-ci ont toutefois des périmètres d’intervention plus réduits, souvent en limitant leur activité aux plateformes de marché organisés. Aux Etats-Unis en revanche, avant la crise de 2008, la césure était marquée entre les banques commerciales et les banques d’investissement. Ces dernières, avec un statut proche de celui d’une entreprise d’investissement européenne, menaient alors des activités de marché plus importantes que celles des banques européennes. Cette césure est presque effacée aujourd’hui : une des conséquences de la crise a été en effet un rachat des principales banques d’investissement par les banques commerciales. 12 Cette revue stratégique ne concerne pas seulement les banques, mais aussi tous les autres acteurs impactés par les nouvelles réglementations. Les banques doivent toutefois faire face à des exigences supplémentaires du fait du rôle particulier qu’elles jouent en tant que telles. 13 Cette analyse est d’autant plus impérative qu’en ce qui concerne les banques, une analyse de leur bilan montre que sous la pression des analystes et investisseurs, elles sont conduites à anticiper les calendriers réglementaires et pour disposer de « coussins managériaux » leur permettant de faire face aux hausses à venir liées aux stress tests. 14 Mener des activités de tenue de marché n’a de sens que si leur profitabilité permet au moins de dégager le rendement que l’établissement s’assigne au regard du niveau de risque encouru. Sur ces questions, on se référera plus particulièrement au rapport PwC, août 2015. - 21 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Ainsi, les grandes banques d’investissement ont sensiblement allégé le poids de leurs activités de marché. Sur les activités de fixed income, où la tenue de marché joue un rôle 15 particulièrement essentiel , des baisses de l’ordre de 30 % de la taille de bilan de ces activités ont été enregistrées depuis 2010 et il est estimé que cette taille pourrait encore diminuer de 10 à 20 % dans les quelques années à venir. Illustration 18 : Évolution du bilan des banques d’investissement consacré à leurs activités de marché … Traduite dans la diminution des tailles d’inventaire ... Cela se traduit notamment par une forte diminution des stocks de titres Source : Oliver Wyman détenus par les banques d’investissement, 16 nécessaires à l’exercice d’une activité de tenue de marché . … Et la baisse du nombre de teneurs de marché. Ce désengagement se traduit également par une baisse du nombre de teneurs de marché présents pour un même instrument financier. Ainsi, pour les obligations d’entreprises européennes, le nombre moyen de teneurs de marché par instrument entre 2009 et 2013 a été plus que divisé par deux, passant de 9 à 4 (Source Morgan Stanley, reprise dans Pictet, Shifting sands: how a banking retrenchment is reshaping Europe's corporate bond market). Illustration 19 : Taille et composition des portefeuilles de négociation Aux Etats-Unis par ailleurs, sur les 8 principaux acteurs sur les US Treasury, seulement 2 aujourd’hui sont des banques teneurs de marché. Liquidité et tenue de marché, des facteurs corrélés. Ce désengagement des teneurs de marché a des effets en termes de liquidité. Le FMI relève ainsi la corrélation positive existant entre le nombre de teneurs de marché sur un titre obligataire et la résilience de la liquidité du titre : à cet égard, il est estimé que la présence d’un teneur de marché additionnel augmente la performance relative du titre de 15 % (v. FMI, GFSR précité, p. 59). B.2.2. Un désengagement des apporteurs de liquidité imputable au durcissement du cadre réglementaire La modification des équilibres économiques antérieurs. En réponse à la crise, de nombreuses exigences réglementaires ont été renforcées, tandis que simultanément de nouvelles étaient introduites. Particulièrement, il a été cherché à accroître la robustesse systémique des établissements financiers (banques et entreprises d’investissement) au travers d’un important durcissement du cadre prudentiel. Dans le même temps, la réglementation de marché et le cadre fiscal ont connu ou sont en train de 15 Les marchés obligataires, compte tenu des volumes très importants échangés, sont largement organisés sur un modèle dirigé par les prix dans lequel des teneurs de marché agissant en concurrence proposent sur demande du client (request for quote) des prix pour traiter la quantité demandée. 16 Sur cet aspect, v. particulièrement AMAFI /13-25 précitée, p. 10. - 22 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 connaître des évolutions significatives, qui affectent directement l’activité des apporteurs de liquidité sur les marchés. Toutes ces évolutions, à des degrés divers, mais avec un effet cumulé réel, modifient sensiblement l’équilibre économique d’un certain nombre d’activités. Aussi, les établissements qui les exercent sont conduits à supprimer celles dont la rentabilité est devenue trop faible au regard des fonds propres désormais nécessaires ainsi que celles qui, pour être rentables, exigeraient la mobilisation de moyens qui ne sont pas en adéquation avec les orientations stratégiques que chacun s’est assigné. Les banques sont évidemment au cœur de ce processus, parfois drastique, de revue de leurs activités, dont l’une des principales conséquences est leur désengagement massif des activités de tenue de marché dont l’essentiel est constitué par des activités de flux, reposant sur des volumes importants avec des marges 17 faibles . a. La réglementation prudentielle, cause première du désengagement Des exigences anticipées quand elles ne sont pas en vigueur. La réglementation prudentielle doit s’entendre au sens large pour concerner, non seulement celle issue des accords de Bâle, et particulièrement ceux connus sous le nom de Bâle 3, Encadré 4 : Bâle 3 qui concernent à la fois la solvabilité et la liquidité des où le renforcement des ratios prudentiels établissements financiers, mais aussi les réformes La réglementation prudentielle des acteurs liées à la structure bancaire ainsi que celles relatives financiers, élaborée au niveau international dans le aux mécanismes de résolution. Certaines mesures ont d’ores et déjà été mises en œuvre, d’autres entreront en vigueur dans les mois ou les années à venir, tandis que d’autres encore restent en cours d’élaboration. Leurs effets sont différents selon les classes d’actifs et selon les activités exercées, mais toutes concourent, par leur effet cumulatif, à réduire la capacité des établissements concernés, et particulièrement des banques, à apporter de la liquidité aux marchés. Bâle 3, des exigences de solvabilité et de liquidité fortement accrues cadre des accords de Bâle, vise à assurer la robustesse et la stabilité du système financier. Après la crise, Bâle 2.5 (CRD 3 en Europe) a été mis en œuvre, et Bâle 3 (CRD 4 en Europe) adopté en 2010, est graduellement mis en place, avec une mise en œuvre progressive entre 2013 et 2019. Cette réglementation définit notamment les normes de fonds propres à mettre en regard des positions de marché détenues par les banques et les acteurs de marché qui leur sont assimilés (les entreprises d’investissement en Europe), avec des conséquences directes sur leur capacité à se positionner comme teneurs de marché (v. AMAFI / 15-03 précitée). Elle a également pour objet de faire en sorte que les établissements financiers puissent faire face à leurs échéances de liquidité. À cette fin, la réglementation catégorise les actifs financiers selon des critères de maturité et de liquidité, et encadre strictement les positions que les banques peuvent détenir, en matière d’équilibre entre actif et passif, dans une perspective de liquidation des positions en situation de stress. La hausse des fonds propres exigés, en niveau comme en qualité. Bâle 3 introduit d’abord un certain nombre d’exigences nouvelles quant au niveau de fonds propres exigé des banques. Certaines de ces exigences renchérissent particulièrement leurs interventions sur les marchés financiers et leur capacité à y apporter de la liquidité. Sont ainsi singulièrement affectées les activités de tenue de marché sur titres souverains, dont les inventaires sont rendus davantage coûteux, au moment même où leur rendement tend à diminuer. 18 Parmi ces nouveautés , il faut noter : Le renforcement de la qualité et du niveau des fonds propres pour couvrir les risques (encours pondérés par les risques – RWA), qui augmente le coût du capital et induit ainsi un retrait des 17 Ce qui s’explique aussi en termes d’efficience de marché : des marges fortes, seulement possibles dans un univers faiblement ou pas concurrentiel, constituent un surcoût pour l’investisseur qui se répercute directement sur le coût du capital de l’émetteur (v. supra A.1.1.). 18 Et dans un contexte où le calcul des exigences en capital a été profondément modifié par l’introduction de la Stress VaR en 2011, de l’IRC (Incremental risk charge) et de la CVA VaR ou Kcva en 2014. - 23 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 activités dont la rentabilité ramenée aux fonds propres consommés apparaît insuffisante (v. illustration 14 en page suivante). Ainsi, le core equity tier 1 qui était de 2 % est passé à 4,5 % et le niveau requis pour les fonds propres « de base » (Tier One), qui était autour de 4 % avant la crise, doit croître jusqu’à dépasser 8 % en 2019, en incluant le « coussin de conservation ». A 19 ceci s’ajoutent des exigences de « coussins » supplémentaires selon les établissements , qui pourront atteindre 5 % en 2019. Illustration 20 : Effet de Bâle 3 sur le capital des banques 12,0% 10,0% 8,0% Tier 2 6,0% Other Tier 1 4,0% Capital Conservation Buffer (CET 1) Common Equity Tier 1 (CET 1) 2,0% 0,0% Source : Comité de Bâle, AMAFI L’introduction d’une charge en capital pour les variations de risque de contrepartie (Kcva), qui contraint fortement les expositions liées à des dérivés de maturité longue, celles qui sont noncollatéralisées ainsi que celles dont les contreparties présentent un risque de crédit élevé ou pour 20 lesquelles il n’existe pas de marché liquide de CDS pour couvrir le risque . L’introduction d’un ratio de levier, qui vise à plafonner l’effet de levier des activités financières. Ce ratio fait l’objet d’une publication par les établissements depuis début 2015 et sera intégré dans les normes de fonds propres en 2018 (au moins 3 % du capital de catégorie 1). Il a ceci de particulier qu’il n’est pas calibré en fonction du risque des activités, mais à raison de la seule taille de bilan. Il incite donc les banques à se retirer d’activités objectivement peu risquées et, de façon corollaire, peu génératrices de revenus, mais qui du fait de ce ratio de levier, induisent 21 désormais une consommation de fonds propres trop élevée . Les effets anticipés du FRTB. Plus récemment, le Comité de Bâle a entrepris un exercice de revue des règles applicables au portefeuille de négociation (Fundamental Review of the Trading Book – FRTB). Ces règles devraient être finalisées au niveau international fin 2015 pour une mise en œuvre prévue en 2018. L’objectif est notamment d’obtenir une définition plus fine et stable des actifs alloués au portefeuille de négociation et au portefeuille de crédit mais surtout de rénover les méthodes de prise en compte du risque, les modèles étant ramenés au niveau des tables de négociations individuelles et non plus au niveau de l’établissement lui-même. 19 Outre le coussin de « conservation des fonds propres » susmentionné, (i) les établissements peuvent se voir imposés un « add-on » de pilier 2, (ii) une surcharge spécifique aux établissements systémiques s’établira entre 1 % et 3,5 % et, enfin, (iii) le coussin « contracyclique » est aujourd’hui laissé à 0, mais pourrait être ultérieurement recalibré. 20 Le Parlement européen a certes inséré dans CRD 4 une dérogation de Kcva pour les entreprises non financières. Non prévue par le Comité de Bâle, elle risque cependant de ne pas être pérenne du fait des travaux de l’EBA – Autorité bancaire européenne en cours. 21 En particulier s’agissant des activités de repo / prêt et emprunts de titres ou de la tenue de marché sur les titres souverains. - 24 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Le besoin en fonds propres devant croître naturellement de ce fait, les revues d’activités menées par les 22 établissements intègrent d’ores et déjà cet aspect . Le LCR et le NSFR. La crise financière de 2007-2008 a montré que, globalement, avant d’affronter des problèmes de solvabilité, les établissements financiers avaient dû faire face à des problèmes de liquidité qui, dans certains cas, ont eu d’importants effets de contagion sur le système financier dans son ensemble. Bâle 3 introduit donc deux ratios visant à limiter l’exposition des banques au risque de liquidité : le Ratio de liquidité à court terme (LCR) et le Ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR). Le LCR a pour objectif de favoriser la résilience à court terme des banques en veillant à ce que celles-ci disposent de suffisamment d’actifs liquides de haute qualité (HQLA, High Quality Liquid Assets) pour surmonter une grave crise de liquidité qui durerait 30 jours. Ce ratio est introduit progressivement, passant de 60 % en 2015 à 100 % en 2019. Cette norme a pour conséquence de contraindre les banques à immobiliser dans leurs bilans des stocks importants d’instruments, distrayant des ressources significatives (en termes de taille de bilan comme de fonds propres alloués) qui, ne sont ainsi plus disponibles pour leurs activités d’apport de liquidité, mais également (et paradoxalement) les positionnent comme des consommatrices de liquidité. Le NSFR vise à réduire le risque de financement à horizon plus lointain en imposant aux banques de financer leurs activités par des sources suffisamment stables pour atténuer le risque de difficultés de financement ultérieures. Le dispositif doit entrer en vigueur en 2018 et ses modalités ne sont pas encore définitivement arrêtées. Pour autant, dans les modalités actuellement envisagées, le ratio impacterait très lourdement les activités de pensions livrées, indispensables à la liquidité des échanges sur le marché, ainsi que 23 les activités sur produits dérivés . Les réformes de structure bancaire Séparer les activités de marché. Plusieurs projets de réforme de la structure des banques ont été lancés dans différents pays, que ce soit la règle Volcker aux États-Unis, qui interdit la négociation en pur compte propre, la réforme Vickers qui au Royaume-Uni prévoit la filialisation légale et opérationnelle des activités de détail au sein des groupes bancaires, ou encore dans l’Union européenne, le « projet 24 25 Barnier » qui, s’appuyant sur les conclusions du rapport Liikanen , promeut en l’état la séparation structurelle entre les activité de marché et les activités de dépôt, de paiements et de crédit. Ces projets visent dans l’ensemble à une séparation, plus ou moins stricte et suivant des modalités différentes, des activités de marché par rapport aux activités de banque de détail. Mais d’ores et déjà, la 22 A cet égard, on peut souligner que les exigences opérationnelles et les risques de variabilité du capital (lorsqu’une table de négociation individuelle ne remplit plus les conditions pour être éligible au modèle interne) peuvent conduire les acteurs les moins importants à opter pour la méthode standard, qui, selon toute vraisemblance, sera particulièrement pénalisante (RWAs multipliés par 4 en moyenne selon l’étude menée par la Global Association of Risk Professionals) et les conduira probablement à sortir de tout ou partie des activités de marché menées aujourd’hui. 23 S’agissant du prêt emprunt, notamment sur titres souverains, la réforme contient en l’état une asymétrie de traitement entre les repos et les reverse-repo courts (moins de 6 mois), qui entraverait l’activité de tenue de marché sur ces produits, en introduisant artificiellement un coût en liquidité pour des opérations en réalité équilibrées. S’agissant des produits dérivés, leur traitement est si défavorable que le Comité de Bâle estime à 1.000 Md EUR le besoin de funding stable résultant de l’application de la norme au stock actuel des banques (Basel III Monitoring Report du Comité de Bâle, Sept. 2015, p. 40). 24 High level expert group on reforming the structure of the Eu banking sector, Final report, 2 octobre 2012, dit Rapport Liikanen. 25 Le projet reste en discussion, le Conseil et le Parlement européen n’ayant pas encore trouvé d’accord sur le dispositif qui doit être mis en œuvre. - 25 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 prohibition assez large des activités de pur compte propre pour les intervenants bancaires s’est traduite par : La disparition de flux qui, indépendamment de toute considération sur la robustesse des banques, contribuaient objectivement à la liquidité des marchés, notamment au travers d’activités d’arbitrage, alors même que l’activité d’arbitrage, dans sa définition de base, est à risque faible ou nul. Une complexité de gestion et un risque réglementaire accrus pour les banques internationales qui sont soumises à plusieurs dispositifs similaires mais non identiques et doivent suivre certains indicateurs spécifiques (âge et rotation des portefeuilles, « RENTD » - Reasonable near term demand of client), l’ensemble exerçant une pression à la baisse des inventaires. L’augmentation des coûts attachés aux activités de marché conservées par les banques, et notamment à celles de tenue de marché. En particulier, la mise en œuvre de cadres d’audit et de conformité afin de différencier les activités de tenue de marché de celles, abandonnées ou séparées, de pur compte propre, se traduit mécaniquement par une augmentation des coûts de la tenue de marché et donc une dégradation de la rentabilité des capitaux propres (ROE). L’application des ratios à la seule entité de marché. Au-delà, et surtout si elles devaient se traduire par le respect des divers ratios bâlois (v. supra) à l’échelle des seules activités de marché et non plus des 26 groupes , ces réformes de structure se traduiraient immanquablement pour les banques concernées par l’obligation de gérer, sur ces activités, des jeux de contraintes resserrées, et d’accroître d’autant le malthusianisme de leurs orientations stratégiques en matière de tenue de marché. Les réformes liées au redressement et à la résolution des banques Traiter la faillite d’une banque. La question de la gestion ordonnée de la résolution d’une faillite bancaire s’est posée avec acuité au lendemain de la crise financière, après la nécessaire intervention des États pour injecter des liquidités, et parfois des capitaux dans les systèmes bancaires. Afin d’être en mesure de réagir plus efficacement et rapidement en cas de nouvelle crise, il a été décidé de mettre en place des autorités de gestion de résolution, d’imposer aux établissements la préparation de plans crédibles de redressement et de résolution, et d’imposer des exigences minimales quant au stock d’instruments de dette éligibles au renflouement interne (bail-in, par opposition au bail-out avec injection de fonds publics) afin de pouvoir recapitaliser en urgence un établissement défaillant sur la base de ses ressources propres. Des mesures ont ainsi été introduites aux États-Unis à travers du Dodd-Frank Act et en Europe par la Directive sur le redressement et la résolution des crises bancaires – BRRD (Directive 2014/59/UE du 15 mai 2014). L’impact de ces mesures sur l’activité de tenue de marché se fait surtout sentir par le renforcement des exigences prudentielles : TLAC et fonds de résolution. Le TLAC. Pour les établissements bancaires considérés comme systémiques, soit une trentaine d’établissements dans le monde environ, le Conseil de stabilité financière (FSB) a proposé, en novembre 2014, la fixation d’un niveau minimum pour les éléments du passif susceptibles de participer à l’absorption des pertes en cas de renflouement interne ou bail-in (Total Loss-Absorbing Capacity – 27 TLAC). Sur ces bases, à compter de 2019, le montant total des fonds propres et de la dette éligible devrait représenter au moins (i) 16 % à 20 % des actifs pondérés des risques et (ii) deux fois le ratio de levier pour ces établissements. 26 En pratique, les réformes Volcker et Vickers contournent assez largement cette difficulté, la menace pesant surtout sur les banques qui se trouveraient assujetties à la réforme européenne. 27 Les fonds propres s’entendent ici avant prise en compte des coussins, cf. supra. En outre, la notion de « dette éligible » reste devoir être précisée, s’agissant notamment de l’éligibilité des notes structurées. - 26 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Pour une bonne part des établissements concernés, l’adaptation à cette contrainte nouvelle supposera alternativement ou de manière concomitante (i) l’émission de nouvelle dette, accroissant d’autant le coût d’exercice des métiers, et obligeant à revoir le niveau minimum de rentabilité exigée des activités, et (ii) l’optimisation de la taille des activités (avec, selon le cas, un accent sur le risque pondéré des actifs – RWA – ou sur leur taille bilancielle). Dans tous les cas, ce mécanisme d’adaptation pèsera sur les activités de marchés (et notamment d’apport de liquidité) les moins rentables eu égard à leur niveau d’encours pondérés ou à leur taille de bilan. Création d’un Fonds de résolution. Enfin, la contribution des établissements financiers de la zone euro les plus importants au Fond de résolution unique (FRU) affectera nécessairement leur stratégie en termes d’activités de marché. En effet, cette contribution, qui devrait atteindre 55 Md EUR entre 2016 et 2024 constitue une charge supplémentaire pour les établissements financiers et sera d’autant plus pénalisante pour les activités de marché qu’assise sur la taille des bilans, elle incite à leur réduction. b. Un désengagement accentué par les réglementations de marché et la fiscalité Des effets amplificateurs. Si la revue des portefeuilles d’activités de marché menée par les établissements financiers en général, et les banques en particulier, est d’abord et avant tout conditionnée par l’évolution des normes prudentielles, les réglementations de marché et la fiscalité, compte tenu également de leur évolution, ont également des conséquences sur leurs comportements. Ainsi, même si ces aspects n’ont pas d’effet directeur dans cette revue, ils contribuent indéniablement à accentuer la portée des décisions que la réglementation prudentielle détermine en premier lieu. MIF 2 et la dégradation des fonctions d’apporteurs de liquidité. En Europe particulièrement, mais aussi aux Etats-Unis quoique dans des conditions parfois sensiblement différentes, les conditions d’intervention sur les marchés connaissent des modifications profondes. Encadré 5 : Réformer la structure de marché Au-delà des réformes visant à renforcer la robustesse des établissements financiers, la crise a aussi entraîné une refonte des règles de marché en vue d’éviter que ne se reproduisent les dysfonctionnements constatés alors. Aux États-Unis, cela a été l’objet du Dodd-Frank Act de 2010, tandis que l’Europe adoptait en 2012 EMIR (Règlement (UE) n° 648/2012 du 4 juillet 2012 sur les produits dérivés de gré-à-gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux) et en 2014 le dispositif MIF 2, ces deux derniers textes renforçant les exigences pesants sur les intermédiaires de marché, banques et entreprises d’investissement. Ces règles, dont toutes les obligations ne sont pas encore en vigueur, et qui ne sont pas tout à fait homogènes entre l’Europe et les États-Unis, visent notamment à mettre en œuvre les objectifs du G20 s’agissant des dérivés de gré à gré. Sont ainsi introduites l’obligation de déclaration des transactions, la compensation centrale et la négociation sur plateformes de négociation transparentes pour les dérivés les plus standardisés, ainsi que des appels de marge bilatéraux pour les dérivés non-compensés. L’Union européenne est ainsi en train de finaliser le 28 dispositif MIF 2 qui, devant entrer en application début 2017, vise à accroître la transparence de marché (pré et post-négociation) tout en limitant la part des transactions de gré à gré et en favorisant la concentration des transactions sur des plateformes électroniques. En pratique, et même si le calibrage de diverses mesures n’est pas encore définitivement arrêté, il est anticipé que MIF 2 va assez significativement modifier les conditions d’exercice de l’activité d’apporteur de liquidité : d’une part, en accroissant significativement la probabilité et la vitesse de dévoilement des positions des acteurs concernés ; d’autre part, en les assujettissant à des contraintes particulières en matière de présence, d’accès à leurs cotations, voire d’agressivité des prix proposés. Bien que graduées en fonction de la liquidité des actifs ou de la taille des ordres, ces exigences vont vraisemblablement changer la nature de la liquidité apportée sur les marchés, en favorisant la montée en puissance d’acteurs de haute fréquence sur des marchés dont ils étaient jusque là assez absents et, à l’inverse, en décourageant l’activité des apporteurs de liquidité traditionnels intervenant sur des tailles importantes au profit de leurs clients (sur l’effet des acteurs de haute fréquence sur la liquidité des marchés, v. infra, C.2.1.). 28 Qui au travers d’une directive (Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014) et d’un règlement (Règlement 2014 (UE) 600/2014 du 15 mai 2014) modifie la directive MIF actuellement en vigueur (Directive 2004/39/CE du 24 avril 2004). - 27 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Une fiscalité nettement durcie. Les difficultés importantes auxquelles de nombreux établissements financiers ont fait face ont conduit certains Etats à engager des actions énergiques pour assurer leur pérennité, et éviter le déclenchement d’une crise systémique majeure. Ces actions, qui ont mobilisé les 29 finances publiques , n’ont toutefois pas permis d’empêcher que, même si d’autres facteurs ont joué, la 30 crise financière ne se transforme en crise économique. Aussi, poussés par leurs opinions publiques , les Gouvernements ont durci les règles fiscales s’appliquant aux établissements financiers et aux opérations financières dans un esprit punitif d’après crise, qui se combine à des objectifs budgétaires et parfois à l’idée selon laquelle l’outil fiscal pourrait également servir des objectifs de régulation financière en contenant les activités de marché jugées inutiles. Ce faisant, dans plusieurs pays, la rentabilité des activités de marché s’est trouvée affectée par le poids d’une fiscalité croissante. C’est ainsi que le secteur financier a été mis à contribution, parfois assez lourdement, via des impôts fondés sur la taille de bilan comme le bank levy au Royaume-Uni ou la taxe systémique en France. Par ailleurs, après qu’une taxe sur les transactions financières a été mise en œuvre en France et en Italie, 11 pays de l’Union européenne travaillent actuellement à une initiative visant à instaurer une taxe commune de cette nature, dans le cadre d’une coopération renforcée. Si les contours de ce projet sont toujours en cours de définition, il existe un risque non négligeable que les activités de tenue de marché, d’inventaire et de couverture associées ne bénéficient que d’exemptions réduites, au détriment de la rentabilité économique des activités menées, et donc de leur soutenabilité pour les acteurs concernés. B.3. Le déséquilibre entre demande et offre de liquidité induit une fragilité inquiétante, surtout dans un contexte de normalisation attendue des politiques monétaires Offre et demande de liquidité, une évolution opposée. Ainsi, l’offre de liquidité par les intervenants bancaires et la demande d’immédiateté de la part des investisseurs ont connu sur la période récente des évolutions diamétralement opposées. Tandis qu’était constatée une attrition massive de l’offre de liquidité, le besoin latent d’immédiateté augmentait fortement, soutenu comme on l’a vu par différents facteurs qui se cumulent : une forte croissance en taille des marchés, des instruments en circulation de plus en plus variés, et des investisseurs plus homogènes avec des comportements d’investissement davantage alignés. Illustration 21 : Évolution contradictoire de la taille des marchés financiers et des inventaires Témoigne par exemple de cet « effet ciseau » le marché de la dette des entreprises européennes, qui a crû de 40% depuis 2008, tandis que le bilan bancaire consacré à sa détention était divisé par 2. 29 Source : BCE Parfois temporairement, comme dans le cas de la France, avec en outre un résultat bénéficiaire pour le Trésor public. 30 Parfois confortées par l’idée que la contribution du secteur financier aux charges publiques serait trop faible, ce qui concernant la France, est faux. Ainsi, dès 2010, dans les débats sur l’opportunité d’introduire au lendemain de la crise économique et financière, une Taxe sur les Activités Financières (TAF) ou une Taxe sur les Transactions Financières (TTF) les travaux de la Commission européenne relevaient la présence en France d’une TAF consistant à une taxe sur les salaires n’existant pas dans les autres pays et représentant déjà une contribution de plus de 10 Md EUR (13,1 MdEUR en 2014) – dont 85 % supportée par le secteur financier – (v. Taxation papers SEC(2010)1166 : Financial sector taxation n° 25, Annexe B2, p. 43). Ce constat s’est aggravé depuis si l’on se réfère au rapport 2013 du Conseil des Prélèvements Obligatoires selon lequel la part des entreprises du secteur financier dans l’ensemble des prélèvements obligatoires est passée de 4,9 % en 2010 à 5,2 % en 2012 et 5,3 % en 2013 (v. Les prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier, Rapport CPO 2013). - 28 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Les risques de la normalisation des politiques monétaires. La normalisation à venir, déjà engagée pour la politique monétaire américaine (fin des injections d’achats d’actifs par la Fed entamée en 2014, hausse des taux d’ici fin 2015) risque de révéler combien est inconfortable la situation de liquidité sur les marchés, masquée jusqu’ici par l’illusion d’une liquidité facile mais dont le niveau réel apparaîtra sensiblement réduit. En effet, même si les autorités monétaires ont essayé de préparer les agents économiques à cette perspective, un relèvement des taux aboutira mécaniquement à une réallocation de nombreux portefeuilles. Or, compte tenu des facteurs précédemment rappelés, cette réallocation a toutes chances de conduire à de fortes corrections (firesales), voire d’entraîner une spirale baissière particulièrement rapide : non seulement parce que seront concernés un grand nombre et une grande diversité d’actifs, mais aussi parce qu’en face, la capacité à fournir de la liquidité se sera tarie de façon importante, les teneurs de marché ne pouvant plus jouer le rôle d’amortisseurs de chocs qu’ils assumaient par le passé (v. aussi supra illustration 11 et Encadré 4). Un risque systémique. A bien des points de vue donc, cette phase exceptionnelle où les banques centrales interviennent activement apparaît comme un intermède, évidemment explicable en termes de soutien macroéconomique, mais conduisant le marché à une illusion de liquidité, à la formation de bulles, et à une sortie à risque. Illustration 22 : Implications systémiques d’un choc de liquidité En définitive, le hiatus entre la forte croissance de la demande d’immédiateté latente et la diminution de la capacité des apporteurs de liquidité fait peser un grand risque pour la stabilité du système financier. Le caractère systémique aujourd’hui atteint par le risque de liquidité sur les marchés financiers est du reste confirmé par la plus récente mise à jour du « Global Financial Stability Report » du Fond monétaire international, qui estime notamment à plus de 100 Md EUR l’impact qu’une crise de liquidité pourrait avoir sur les investisseurs, à l’échelle mondiale. Réussir l’UMC ? D’ores et déjà, ce hiatus constitue un facteur d’impossibilité pour le projet d’Union des Marchés de Capitaux. En effet, le succès de l’UMC suppose la capacité d’absorption par les marchés financiers européens, dans de bonnes conditions de liquidité secondaire, d’une masse croissante d’instruments financiers, de dette comme de capital. Or, on l’a vu, l’offre de liquidité secondaire apparaît déjà insuffisante en regard du niveau actuel de la demande, et la nature des facteurs qui la contraignent amènent en l’état à considérer que cette offre sera, dans un avenir prévisible, au mieux constante, plus vraisemblablement décroissante, et en aucun cas élastique face à une demande qui augmenterait. - 29 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 C. QUELLES PISTES DE SOLUTION ? Passer du constat à la recherche de solutions. Si les éléments du constat semblent aujourd’hui largement partagés, les solutions à apporter restent plus floues alors que les enjeux sont grands. L’objectif premier est donc ici de dégager des pistes à cet effet. Cette ambition s’impose compte tenu de la complexité du sujet et surtout, comme on l’a vu précédemment, de l’imbrication des initiatives réglementaires. L’interaction qu’entretiennent les objectifs assignés à ces initiatives avec l’enjeu de la liquidité de marché oblige à une pesée précise, qui doit en outre être réalisée dans un cadre large associant les multiples parties prenantes concernées, et au premier chef les régulateurs financiers. Traiter la crise « ordinaire » et non la crise majeure. La situation de liquidité constatée aujourd’hui est inquiétante parce qu’elle apparaît potentiellement en mesure de transformer une crise de liquidité « ordinaire », qui auparavant se serait résolue assez naturellement dans un délai relativement court, en une crise majeure avec des effets virtuellement systémiques. Ce point est essentiel : trop souvent l’utilité de la réflexion est remise en cause au motif que les apporteurs de liquidité ne jouent plus aucun rôle lors d’une crise systémique, comme l’a illustré la situation de 2008… De fait, il est indéniable qu’en cas de crise majeure, aucun opérateur privé n’est en mesure d’apporter de façon volontariste de la liquidité dans un marché en chute libre, la gestion de la crise devenant alors du ressort des banques centrales au travers de l’injection de liquidités dans le système. Pour autant, on ne peut nier le rôle joué par les teneurs de marchés lors de périodes de tension « ordinaires » : le risque a beau être plus grand qu’en situation de volatilité faible, il reste néanmoins gérable par des acteurs outillés pour l’analyser et le maîtriser, notamment au travers d’instruments de couverture. Deux axes. Ce cadre posé, la réflexion doit suivre deux axes. Il s’agit en premier lieu d’analyser la capacité que pourraient avoir de nouveaux acteurs à assumer dans l’avenir la fonction d’apporteur de liquidité en substitution de ceux qui se retirent (C.1.). En second lieu, au regard du résultat de cette analyse, il faut déterminer les actions à entreprendre plus largement pour faciliter l’établissement d’un nouvel équilibre stable entre offre et demande de liquidité, via un faisceau de mesures intéressant les différents acteurs des marchés (C.2.). C.1. L’émergence d’apporteurs historiques ? de liquidité alternatifs aux acteurs Un « processus de destruction créatrice » ? Au cours de la période récente, différentes voix se sont exprimées, qui considèrent que la situation actuelle pourrait révéler la possibilité d’un processus de 31 « destruction créatrice ». La nature ayant horreur du vide, la place autrefois essentiellement assumée par les « intermédiaires de marché » sera inévitablement prise à terme par d’autres acteurs, le déséquilibre actuel n’étant alors, dans une vision schumpétérienne, que la marque d’une phase de transition nécessaire à la montée en puissance de ces derniers. Certains acteurs de la gestion se sont d’ailleurs exprimés en ce sens au cours des derniers mois. 31 “With further growth of market-based intermediation activities expected due to likely structural changes in the financial system, supervisory authorities need to anticipate ancillary risks, such as concentration risks, for example generated by the potential rise of new systemic institutions, cross border exposures and regulatory arbitrage. Structural change may also go along with destructive creation, implying challenges for supervisors and management in terms of sustainability of business models, in particular for banks.” (v. Rapport du Comité mixte des Autorités européennes de surveillance de mars 2015, p. 7). - 30 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Pour tenter d’évaluer l’effectivité d’une telle alternative (C.1.2.), il est toutefois nécessaire au préalable de rappeler les grands traits d’une fonction d’apporteur de liquidité (C.1.1.). C.1.1. Que signifie exercer une fonction d’apporteur de liquidité ? Une fonction rendue nécessaire par la demande d’immédiateté. Comme cela a été souligné précédemment (v. supra A.1. et B.1.2.), face aux décalages temporels qui ne manquent pas d’exister entre l’offre et la demande d’instruments financiers de la part des agents économiques, l’intervention d’un tiers en capacité de prendre temporairement une position est souvent d’autant plus nécessaire que les investisseurs sont de plus en plus attentifs à éviter de subir un impact de marché défavorable du fait de l’absence de contrepartie(s) immédiatement présente(s) face à la totalité de leur intérêt vendeur ou acheteur. Pour fonctionner efficacement, tout apporteur de liquidité doit donc présenter un certain nombre de caractéristiques. La capacité à prendre activement et régulièrement des positions « contrariantes » Une valeur apportée réelle. L’apport de la tenue de marché est fréquemment discuté au motif qu’effectuée dans des marchés souvent déjà liquides par eux-mêmes, son utilité serait en réalité nulle. Outre toutefois que peu d’instruments bénéficient d’une liquidité naturelle permettant de vérifier automatiquement une telle assertion, cette approche méconnaît au moins deux aspects qui rendent les teneurs de marché incontournables : 32 D’une part, un grand nombre de transactions sont réalisées en dehors de plateformes organisées qui, à l’image de la place du marché dans un village, ont pour objet de rassembler ensemble acheteurs et vendeurs autour d’un même système d’échanges. Ces transactions bilatérales supposent une appréciation particulière de chacun sur la capacité de son cocontractant à remplir ses obligations nées de la transaction (y compris, dans le cas des titre, celle de régler / livrer), et donc sur son risque de contrepartie. Pour l’investisseur, comme pour la chambre de compensation qui s’interpose le cas échéant, il est important de pouvoir traiter face à des acteurs bien identifiés, et soumis à une réglementation particulièrement exigeante en ce qui concerne leur capacité à assumer leurs obligations. D’autre part, et comme cela a déjà été développé, l’immédiateté que fournit le teneur de marché, et qui nécessite qu’il détienne un inventaire ou un « book » et soit à même de gérer efficacement les risques induits par sa position, est essentielle pour un nombre toujours plus important de clients. Par son intervention, il permet à l’investisseur de conserver la maîtrise de l’impact de marché de son ordre, en n’étant plus exposé, s’il est vendeur d’un titre ou acheteur d’une protection, à l’évolution de la valeur de l’actif et, s’il est acheteur, de bénéficier sans délai et sans surprise de sa performance. Pouvoir se positionner à l’encontre du marché. Par ailleurs, lorsque la liquidité de marché se tend, la capacité d’être contrariant, c’est-à-dire de pouvoir se positionner à l’encontre du mouvement immédiat du marché, prend tout son sens. C’est alors que le risque de marché, pris au travers de sa position, est le plus important puisque le teneur de marché n’est jamais parfaitement assuré de pouvoir la retourner à un prix intéressant. 32 Du fait de leurs caractéristiques particulières, en termes de volume notamment, ou des pratiques de marché (marché obligataire). - 31 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 En tout état de cause, la rémunération du teneur de marché prend en compte la liquidité existante sur l’instrument lui-même et sur ceux lui permettant de couvrir ses risques. Cette rémunération sera, ne serait-ce que du fait de la concurrence d’autres teneurs de marchés, plus faible dans un marché liquide où le risque est moindre. Une présence qui ne peut être seulement épisodique. La tenue de marché est une activité commerciale qui suppose que des clients identifient tel ou tel intervenant comme un acteur susceptible de leur proposer des prix intéressants. La présence du teneur de marché doit donc être régulière, y compris dans les situations de tension de marché … Connaître les marchés et savoir analyser les risques Une appréciation de plus en plus complexe. Assumer le risque d’être contrariant implique une connaissance intime du marché et des capacités d’analyse des risques d’autant plus importantes que les instruments financiers se diversifient et se multiplient tandis que les marchés s’interconnectent. Le niveau d’expertise requis ne cesse ainsi de croître, et avec lui le niveau de sophistication et, partant, le coût des outils afférents, notamment informatiques. La conséquence de cette évolution est qu’à défaut de consentir les investissements nécessaires au maintien de cette expertise, non seulement l’activité ne saurait être rentable, mais surtout elle serait susceptible de mettre en péril l’établissement s’y livrant. C’est sans doute l’une des raisons expliquant le rôle majeur des banques dans les activités de tenue de marché. L’enjeu de l’effet de levier Un couple rendement / risque acceptable du fait de l’effet de levier. Parce qu’elle comporte des risques réels, l’activité de tenue de marché suppose une rémunération fixée en conséquence, étant rappelé que cette rémunération a pour contrepartie le rendement de l’actif vendu ou acheté par l’investisseur : plus l’une augmente, plus l’autre baisse, et réciproquement. L’un des motifs sous-tendant le rôle majeur des banques dans les activités de tenue de marché tient alors sans doute au fait qu’elles opèrent avec un mixte de capitaux comportant un fort effet de levier. Cela leur permet d’accepter une rémunération inférieure à celle que nécessiterait, au regard des risques pris, la même activité financée entièrement en fonds propres. Mais cela suppose évidemment aussi une surveillance adaptée tant par l’établissement, que par ses régulateurs et superviseurs (v. supra B.2.2.), pour laquelle un savoir-faire particulier est indispensable. C.1.2. Les acteurs de la gestion, une alternative au retrait des banques ? Différentes initiatives. La nouvelle configuration des marchés se traduit notamment par un déplacement du risque de liquidité, désormais plus largement porté par les gestionnaires d’actifs. On constate ainsi que leur part dans la détention d’instruments financiers a connu une augmentation forte tandis que celle des BFI se réduisait. - 32 - Illustration 23 : Evolutions croisées de la détention d’actifs aux États-Unis par les gestions et les BFI AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Dans ce cadre, les acteurs de la gestion d’actifs participent aux évolutions de la structure des marchés, et recherchent des alternatives à l’utilisation de teneurs de marché intervenant pour des tailles importantes au profit de leurs clients. A l’extrême, certains peuvent envisager de se positionner comme faiseurs de prix tandis que d’autres lancent des plateformes de croisement des ordres. Illustration 24 : Les gérants recherchent des alternatives à la liquidité jusque là proposée par les market makers Mais seuls des hedge funds sembleraient en capacité d’assumer une véritable fonction d’apporteur de liquidité Disposer d’un mandat clair à cet effet. L’activité de tenue de marché est une activité à risque qui, dans le cadre d’un organisme de placement collectif, suppose nécessairement que les investisseurs qu’il rassemble aient la claire conscience de ce risque au travers du mandat qu’ils confient au gérant. Mais, même à supposer qu’il soit obtenu et que cette Encadré 6 : activité soit compatible avec le statut de société de Les contraintes bilancielles de la gestion gestion tel qu’il est défini réglementairement, ce Les exigences de liquidité du passif applicables à mandat n’est pas à lui seul suffisant. Il faut certains acteurs de la gestion, avec une évaluation également que l’OPC puisse agir dans un cadre quotidienne de la liquidité dans un certain nombre de conforme à ce que suppose une activité de tenue fonds, comme l’appréciation « au marché » (mark to de marché. market) de l’actif peuvent avoir des conséquences extrêmement procycliques en cas d’événement de marché, avec des risques d’effondrement accéléré en cas de rachats massifs. Cela ne paraît pas compatible avec la fonction d’un OPC, supposé effectuer un pur placement, astreint à une valorisation périodique (souvent quotidienne), et largement investi en permanence. Seuls semblent alors en mesure de répondre à ces impératifs, compte tenu de leurs caractéristiques, les hedge funds ou fonds de gestion alternative. Leur particularité est en effet de disposer de fonds bloqués sur une durée assez longue, sans obligation de liquidité permanente ni de valorisation quotidienne. En outre ils bénéficient d’une bien plus grande liberté de gestion que les OPC. Par ailleurs, les gérants sont soumis à des contraintes de rendements, quand ce ne sont pas des contraintes réglementaires dans certaines juridictions, qui les empêchent de détenir des liquidités en quantité pour pouvoir le cas échéant intervenir. Leur capacité de mobilisation du bilan est donc moindre que celle des BFI, et les solutions étudiées (lignes de crédit envisagées) ne semblent pas à ce jour pouvoir répondre à ce défi. Une capacité à hauteur de l’enjeu ? Quel actif mobilisable ? Ainsi, les hedge funds pourraient en théorie jouer plus aisément un rôle de tenue de marché. Mais encore faudrait-il pour cela que l’actif qu’ils seraient susceptibles de mobiliser à cet effet soit en rapport avec l’enjeu : en d’autres termes, est-on raisonnablement assuré que suffisamment d’investisseurs soient prêts à leur confier pendant suffisamment de temps les sommes leur permettant de remplir le rôle que jouaient jusqu’ici les apporteurs de liquidité historiques ? Quelle part de l’actif des hedges funds serait en réalité utilisable à cet effet ? Cette question a d’autant plus de sens que trois facteurs complémentaires doivent être pris en compte : Tout d’abord, les hedge funds ne doivent pouvoir jouer avec le même effet de levier que les banques que dans le cadre d’une réglementation adaptée tenant compte des risques systémiques qu’emporte l’utilisation d’un effet de levier. Il serait en effet paradoxal, surtout au moment où les réflexions sur le shadow banking sont particulièrement nourries, que cet aspect - 33 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 soit ignoré, alors qu’il est moteur dans le retrait des banques de cette activité. On peut alors douter que la place laissée libre par les banques puisse être prise par des hedge funds. Ensuite, puisqu’ils agiraient en recherche de rendement pour le compte de leurs mandants, les hedge funds ne disposeraient pas de la même incitation commerciale que les établissements financiers, qui voient dans la tenue de marché le moyen de compléter l’offre de services qu’ils proposent à leurs clients. Illustration 25 : Actifs sous gestion par les hedge funds Enfin, et en tout état de cause, on observe que le comportement des hedge funds tend à se rapprocher de celui des fonds collectifs selon le FMI, avec une moindre capacité à fournir de la liquidité en situation de tension des marchés (v. FMI, GFSR d’octobre 2014, p. 35 et 36). Source : Evestment Conduire une réflexion approfondie. Cette question nécessite un examen approfondi. Cela est d’autant plus important que de la capacité plus ou moins large des acteurs du buy-side à assumer des fonctions d’apporteur de liquidité, et donc à prendre la relève des établissements financiers qui se désengagent, dépend directement l’attention qui doit être portée aux autres pistes de solution. Moins cette capacité est grande, plus il devient nécessaire d’examiner ces autres pistes. C.2. Un faisceau de mesures nécessaires, agissant sur les différents facteurs de la liquidité Les effets conjoncturels ne doivent pas masquer le besoin de mesures structurelles ciblées. Les politiques monétaires en cours, dont l’objet dépasse largement le seul cadre du marché, ont des effets majeurs sur le fonctionnement de celui-ci, et les ruptures de liquidité qu’il connaît. Cet effet conjoncturel, même s’il semble appelé à durer encore quelque temps, ne doit pas masquer pour autant les causes structurelles qui sont à l’œuvre et qui appellent des solutions. Compte tenu des bouleversements qui ont affecté le cadre d’exercice des activités d’apporteurs de liquidité, la recherche de solutions passe nécessairement par plusieurs axes d’action qui doivent être mis en œuvre cumulativement à différents niveaux selon qu’il s’agit du fonctionnement des marchés (C.2.1.), des investisseurs (C.2.2.), des émetteurs (C.2.3.), des intervenants de marché (C.2.4.), des normes comptables (C.2.5.) et fiscales (C.2.6.) ou des leviers à disposition des régulateurs (C.2.7.). C.2.1. Le fonctionnement des marchés Transparence et liquidité doivent être soigneusement arbitrées La transparence, réaction à l’asymétrie. À la suite de l’identification des asymétries d’information comme l’une des causes majeures du déclenchement de la crise de 2008, les autorités ont fait de la - 34 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 33 transparence sur les marchés financiers la colonne vertébrale d’un certain nombre de réformes . Pour l’Europe, c’est le dispositif MIF 2 qui est le principal vecteur réglementaire de cette action. L’introduction d’obligations de transparence renforcées sur les lieux d’exécution, avec la limitation du volume traitable dans les dark pools pour les actions et instruments assimilés et l’extension des obligations de transparence, à la fois pré et post-négociation, aux instruments non-equity (obligations et dérivés principalement) sont les exemples les plus notables d’évolutions appelées à profondément changer le fonctionnement de certains segments de marché. Des dysfonctionnements potentiellement brutaux. Comme déjà souligné (v. supra B.2.2.b.), les orientations qui sont en cours de finalisation en matière de transparence vont, notamment pour les instruments autres que les actions, pour lesquels les marchés sont essentiellement dirigés par les prix, dégrader les conditions d’exercice des apporteurs de liquidité s’engageant sur des tailles importantes, en accroissant le risque de voir leurs positions dévoilées à des tiers. Sans remettre en cause l’impératif de renforcement de la transparence, il est néanmoins vital de veiller à ce que cette transparence soit adaptée à la réalité du fonctionnement des marchés auxquels elle est appliquée. A défaut, s’agissant notamment des transactions de grande taille, il est à craindre que le fonctionnement des marchés concernés n’en soit déstabilisé, au détriment des investisseurs, et indirectement des émetteurs, au travers de l’impact induit sur le prix des transactions. La nécessité d’une étude d’impact. Alors que les études d’impact menées en amont de l’édiction des mesures de niveau 2 encourent de sérieuses critiques, il est nécessaire que l’effet de MIF 2 sur la liquidité des marchés fasse l’objet d’une étude d’impact approfondie. Celle-ci doit être menée assez rapidement après la mise en œuvre effective du nouveau dispositif, afin d’être en mesure de réviser dans les meilleurs délais les dispositions qui se révéleraient contreproductives. L’enjeu étant le bon fonctionnement du marché, un suivi attentif est d’autant plus nécessaire que les conditions d’adoption des normes européennes ne favorisent pas une réaction rapide. Devraient particulièrement être examinées, à la lumière d’une telle étude, les critères de qualification de la liquidité des différentes familles d’instrument, les exigences pesant sur les apporteurs de liquidité (sur plateforme ou en bilatéral), la calibration des seuils d’exemption à la transparence pre-trade ou d’accès aux différés post-trade, ainsi que la durée de ces derniers. Soulignons d’ailleurs que ces questions doivent être examinées conjointement avec celles liées au développement du trading de haute fréquence (v. infra), favorisé, à l’inverse de l’apport de liquidité effectué pour des tailles importantes, par la généralisation de la transparence pre-trade et de l’exécution sur plateforme électroniques. L’électronisation des échanges, des effets limités L’électronisation, piste miraculeuse ? L’électronisation a indéniablement transformé (positivement à de nombreux égards) un certain nombre de marchés sur produits standardisés (actions, futures, titres d’État). Cela fait en conséquence plusieurs années que la piste d’une extension de cette solution à d’autres instruments est régulièrement explorée. En pratique toutefois, les tentatives menées par exemple sur d’autres types d’obligations, pour installer une plateforme de marché permettant de rapprocher les intérêts acheteurs et vendeurs des investisseurs, se sont à ce jour, révélées plutôt infructueuses. 33 Cet objectif est issu du Sommet du G20 de Pittsburgh du 25 septembre 2009, le considérant 4 de la Directive MIF 2 indiquant : « La crise financière a révélé des faiblesses en termes de fonctionnement et de transparence des marchés financiers. L’évolution des marchés financiers a mis en lumière la nécessité de renforcer le cadre prévu pour la réglementation des marchés d’instruments financiers, notamment lorsque les transactions effectuées sur ces marchés ont lieu de gré à gré, afin d’accroître la transparence, de mieux protéger les investisseurs, d’affermir la confiance, de s’attaquer aux domaines non réglementés et de faire en sorte que les autorités de surveillance soient dotées de pouvoirs adéquats pour remplir leur mission. » - 35 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 S’il est probable que le peu d’accoutumance des investisseurs à ce mode de transactions est l’une des raisons de cet échec, des causes plus fondamentales ne peuvent être ignorées. La principale est sans doute la quantité d’instruments en circulation : rappelons ainsi que le nombre de souches obligataires en euro s’élève à plus de 130.000 titres, à comparer selon ESMA avec environ 5.750 actions européennes cotées, dont 2.600 en euro. Si la question de la normalisation des souches obligataires (v. infra C.2.3.) a indéniablement des liens étroits avec la capacité à développer l’électronisation du marché obligataire, le nombre d’émetteurs qui pourront utiliser avec profit cette solution restera limité, de sorte que le nombre de souches en circulation restera quant à lui élevé. Il devient alors peu vraisemblable que des intérêts d’investissement et de désinvestissement puissent se rencontrer de façon spontanée sur des plateformes 34 de cotation électroniques . Dit autrement, les plateformes permettant de concentrer une liquidité existante mais fragmentée peuvent augmenter la liquidité du marché (externalité positive) mais elles ne peuvent en elles même créer de la liquidité lorsque celle n’existe pas sur des souches « off the run ». Le trading haute fréquence : mieux mesurer ses effets réels en termes de liquidité Un fort développement. Les techniques de trading haute fréquence (THF), se sont développées rapidement et fortement au cours des dernières années, accentuées par le mouvement d’électronisation et de mise en concurrence des marchés actions. Encadré 7 : Caractéristiques du trading haute fréquence Il est communément admis que l’activité de THF peut être caractérisée quand les conditions suivantes sont remplies : activité exercée en pur compte propre, La part du THF sur les marchés est désormais loin période très courte de détention des titres, d’être négligeable. Dans une étude publiée en taux très élevé d’annulation des ordres peu décembre 2014, l’AEMF évalue la proportion des après leur présentation au marché, volumes traités en THF sur les marchés actions position des titres à zéro en fin de journée, européens dans une fourchette allant de 24 % à utilisation de services de colocation pour 35 43 % . Dans le même temps, huit des dix plus gros minimiser la latence. intervenants sur une plateforme de négociation de bons du Trésor américain (BrokerTec) étaient des « non banques », la plupart d’entre eux étant des 36 acteurs du THF, alors qu’ils n’étaient que trois à la fin de l’année 2006 . Qualité de la liquidité. Du fait de son fort développement et de ses modalités très particulières d’intervention, le THF est l’objet, depuis quelque temps maintenant, de différentes, et parfois très vives critiques. Parmi celles-ci est fréquemment évoquée la qualité de la liquidité que ces acteurs fourniraient au marché : très présents quand les marchés fonctionnent dans des conditions « normales », ils se désengageraient rapidement lorsque les conditions de marché se dégradent. Le THF nourrirait ainsi cette « illusion de liquidité », particulièrement évanescente au premier choc. Au-delà des autres questions que soulève le THF, cet aspect mériterait d’être analysé de façon approfondie au regard de la problématique de liquidité ici en jeu, certains éléments n’accréditant pas la thèse d’une liquidité qui disparaîtrait au premier choc. Une liquidité stable sur le CAC 40. Ainsi, en rapportant les volumes de marchés (Euronext et MTFs) à l’ampleur des variations quotidiennes de l’indice CAC 40, et en neutralisant l’effet prix pour mesurer la portion des valeurs de l’indice qui tournent en situation de stress, on constate que, sur l’horizon de temps d’une journée, la liquidité, après une période de dispersion correspondant au « cœur » de la crise financière (2009 / 2012), semble revenue à des niveaux de qualité et de quantité similaires, et peut-être même supérieurs, à ceux qui prévalaient avant la crise et la montée en puissance du THF. Evidemment, ces conclusions ne sauraient être généralisées, ni en termes de marchés, ni quant à l’impact du trading haute fréquence sur des horizons de temps plus courts, sans étude approfondie. 34 Ainsi, le rapport Oliver Wyman mentionné plus haut conclue-t-il, pour le cas des obligations d’entreprises US : « Even for fairly liquid bonds only 70% of volumes would meet natural buy & sell orders in 1 month ». 35 Economic Report “High-frequency trading activity in EU equity markets”, AEMF, décembre 2014. 36 er “The fast and the furious: HFT in US Treasury markets”, Risk Magazine, 1 octobre 2015. - 36 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Illustration 26 : CAC 40 et résistance de la liquidité aux chocs de marché Source : AMAFI Le débat est donc ouvert mais, dans l’état actuel des analyses, ne paraît pas représenter un facteur majeur pour la problématique ici examinée, d’ailleurs concentrée avant tout sur les marchés pilotés par les prix et difficilement électronisables, c’est-à-dire ceux dont le fonctionnement est directement et substantiellement affecté par le retrait des teneurs de marché traditionnels. C.2.2. La gestion collective, une composante nécessairement importante Un poids massif dans les marchés. Le poids désormais pris dans les marchés par les acteurs de la gestion collective les rend incontournables pour la recherche de solutions face à l’enjeu de la liquidité. Les gestionnaires d’actifs sont d’ailleurs très conscients de la fragilité de la situation actuelle en termes de liquidité (v. supra illustration 21), et certains cherchent à se prémunir contre le risque induit par une situation de rachats massifs par des moyens qui semblent trop spécifiques pour pouvoir constituer une 37 réponse réelle . Dans ce contexte, un certain nombre de pistes sont déjà en cours d’analyse ou de réalisation. Favoriser l’émergence d’investisseurs de long terme La nécessité impérative de passifs plus longs. Le développement d’investisseurs de long terme, dont les horizons de détention, plus longs, sont par définition moins tributaires des mouvements de marché, est une nécessité pour rendre les marchés plus stables : leur présence atténue les mécanismes mimétiques qui, en cas de secousses, poussent les autres investisseurs dans le même sens. C’est aussi, et surtout peut-être, une nécessité pour être en mesure de réaliser les investissements de long, voire de très long terme dont nos économies ont besoin. Nul doute à cet égard que l’existence de fonds de pension constitue un puissant levier et qu’en France au moins, il serait nécessaire de dépasser l’opposition stérile entre répartition et capitalisation : l’un et l’autre systèmes ont leurs avantages et leurs inconvénients, mais en les combinant, il est possible de tirer la meilleure part de chacun, au profit des assurés sociaux et de l’économie. 37 Ainsi, la presse s’est fait l’écho d’un gestionnaire d’actifs ayant conclu une ligne de crédit assez massive auprès de banques : « Aberdeen sets up $500m hedge against bond redemptions » (Citywire,16 juin 2015). Ce dispositif n’est toutefois pas sans poser des questions. En premier lieu, il paraît difficile d’imaginer la multiplication de ce type de mécanismes : compte tenu des contraintes prudentielles s’appliquant aux banques, les lignes de crédits ainsi accordées ne pourront pas bénéficier à tous les acteurs de la gestion, ni, en volume, se substituer à la liquidité qu’apportent les teneurs de marché. - 37 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Un lien évident avec les problématiques de comptabilisation. Pour que l’investissement de long terme se développe à la hauteur des besoins, il est toutefois nécessaire que les acteurs concernés bénéficient, encore plus que les autres, d’une comptabilité qui prenne en compte leur horizon de gestion (v. infra C.2.5.). Poursuivre la mise en adéquation de la liquidité de l’actif et du passif des OPC Allonger le passif. La hausse de la demande de liquidité est aussi la résultante d’un passif court chez les investisseurs. Cette question a commencé à être prise en charge, et les travaux et évolutions en ce sens doivent être poursuivis. 38 Diverses réglementation ont été élaborées ou sont en cours d’examen en Europe afin de gérer le risque de liquidité encourus par les OPC. Ainsi, la Commission européenne a publié, en septembre 2013, une proposition de règlement sur les fonds monétaires qui envisage d’instaurer des normes communes pour accroître la liquidité de ces fonds et assurer la stabilité de leur structure. De même, alors que la directive OPCVM IV de 2009 a introduit de premières Encadré 8 : Plusieurs mécanismes mesures en la matière, la question de la de maîtrise de la liquidité des fonds gestion de la liquidité a tenu une place Outre les règles de suspension à la main du régulateur ou importante dans la consultation lancée par la du gérant en période de tension (v. C.2.6.) mises en place Commission européenne sur la révision des dans certains régimes, différents dispositifs permettant de règles applicables aux OPCVM en 2012, gérer la liquidité ont connu un important développement signe d’une attention renforcée des autorités dans les années suivants la crise. quant à la question de la liquidité envisagée Périodes de préavis cohérents avec l’horizon de sous le prisme de la gestion d’actifs. liquidité pour racheter des parts d’OPC. Gérer la liquidité. De nombreux mécanismes de gestion de la liquidité sont lancés sous 39 l’impulsion des autorités . Le développement de ces nouvelles techniques et le renforcement de la réglementation en la matière sont particulièrement bienvenus au regard du nouvel environnement de tensions sur la liquidité. Il devient en effet essentiel de donner aux gestionnaires d’actifs les moyens de faire face à leur risque de liquidité. L’action entamée en ce sens paraît donc devoir être également poursuivie. - Dispositifs de fractionnement des rachats (gates) - Le swing pricing ou valeur liquidative ajustée est un mécanisme permettant d’assurer une certaine égalité entre les porteurs de part entrant ou sortant par rapport aux porteurs présents dans l’OPC, et d’éviter que les investisseurs les plus prompts à réclamer le remboursement de leurs parts en cas de tension ne bénéficient d’un effet d’aubaine par rapport aux investisseurs restants. - Side pocket, compartiment où sont logés les actifs non-liquides dont la cession lèserait l’intérêt des porteurs de part, créé dans des situations exceptionnelles. Parmi les pistes à explorer, il pourrait être approprié de faire varier l’horizon de valorisation et de rachat des OPCVM au cas par cas : dans bien des situations en effet la nature des investissements (actions par exemple) pourrait s’accommoder d’une valorisation et de rachats hebdomadaires. Pouvoir gérer plus sereinement les périodes de tension Renforcer le cadre de surveillance de la liquidité. Par ailleurs, et afin de répondre au risque plus spécifique supporté par les fonds, surtout dans les situations de suspension de marché qui deviendraient sinon intenables pour eux, il est important de réfléchir au renforcement des dispositifs de gestion de la 40 liquidité. Les régulateurs se sont d’ailleurs emparés de la question, que ce soit au niveau de l’OICV ou 41 du Comité européen du risque systémique , et d’ores et déjà des mécanismes de suspension, à la main 38 L’encadrement de l’investissement des mutual funds est bien moins contraignant aux Etats-Unis. On notera ainsi les propositions récemment formulées en ce sens par la Securities and exchanges Commission aux Etats-Unis : http://www.sec.gov/news/pressrelease/2015-201.html. 40 Recommandations de l’OICV, octobre 2012. 41 Recommandation du CERS concernant les organismes de placement collectif monétaires, décembre 2012. 39 - 38 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 42 des sociétés de gestion ou des autorités de supervision, ont été introduits par certains États . En particulier, l’appareil d’évaluation du risque de liquidité, qui prévoit un certain nombre de tests de résistance dont les résultats sont jusqu’à présent jugés décevants, devrait être renforcé. Plus généralement, il convient que ces démarches de revue et d’adaptation du cadre d’exercice des acteurs de la gestion, encore assez nouvelles, soient poursuivies : il est vital d’assurer une meilleure cohérence entre le passif et l’actif, et d’empêcher que le passif ne se réduise trop rapidement sous les effets d’une ruée de détenteurs de parts cherchant à se désengager, obligeant le gérant à une cession désordonnée de son actif. C.2.3. Offrir aux émetteurs des solutions pour renforcer la liquidité de leurs titres Un intérêt direct. La liquidité du marché est la somme de la liquidité individuelle de chaque instrument. Comme cela a été souligné (v. supra A.1.1.), les émetteurs ont un intérêt direct à veiller à la liquidité de leurs titres. Plusieurs axes d’action doivent être suivis à cet effet. Normaliser les souches obligataires : une solution à ne pas surestimer Une moindre adéquation aux besoins. L’idée de standardiser les émissions obligataires gagne du terrain : en émettant des instruments de dette fongibles avec d’autres déjà émis, le nombre de souches en circulation se réduirait tandis que parallèlement la liquidité augmenterait sur chacune d’entre elles. Cette idée bénéficie du soutien de grands gestionnaires internationaux d’actifs qui y voient un moyen de revitaliser 43 le marché . Elle est séduisante : le marché est aujourd’hui extrêmement fragmenté entre des souches de petite taille puisque sur les 130.000 titres obligataires en Europe, 86 % présentent un montant inférieur à 50 M EUR ; et le fait est que la taille des émissions semble bien avoir été un des principaux facteurs de stabilité, ou du moins de résilience, de la liquidité des souches lors des chocs récents (v. illustration 2, rappelée ci-contre). Et bien évidemment, une telle normalisation faciliterait en outre le passage à des protocoles d’échanges électroniques (v. supra C.2.1.). Illustration 2 : Contribution de différents facteurs à la performance en liquidité d’obligations d’entreprises durant l’épisode du « taper tantrum » Source : FMI, GFSR précité Néanmoins, face aux bénéfices attendus, il convient également de prendre en considération certains inconvénients. Ainsi, pour les émetteurs, normaliser leurs émissions impliquerait un coût du fait de la moindre adéquation des flux financiers aux flux économiques des projets financés. De leur point de vue, une telle évolution ne peut donc se concevoir que si ce coût additionnel est équilibré par le surcroît de liquidité des instruments et par l’économie du coût de financement afférent. Une solution limitée à quelques grands émetteurs. En tout état de cause, une telle approche ne peut concerner que les plus gros émetteurs, pour lesquels, à l’image de l’action menée par de nombreux Etats depuis plusieurs années, cette rationalisation présente un intérêt réel. Ce mouvement a du reste déjà été engagé par certains d’entre eux. 42 La directive OPCVM IV ouvre la possibilité de suspension par les autorités, qui a été octroyée à l’AMF dans le cadre de la Loi bancaire de 2013 43 « Lack of liquidity for corporate bonds harms issuers and investors alike, with attendant consequences for dealers and trading venues. A movement toward product standardization, accompanied by expanded e-trading venues and new trading protocols, along with changes in stakeholder behavior, is needed » (v. Corporate bond market structure: the time for reform is now, BlackRock, septembre 2014). - 39 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Développer les services aux émetteurs qui favorisent la liquidité La liquidité ne se décrète pas, mais elle peut être améliorée. Beaucoup d’instruments, surtout quand ils sont émis par des émetteurs de petite taille comme des PME-ETI, ne disposent pas d’une liquidité naturelle. Il est alors particulièrement important que l’émetteur s’implique activement. Garantir une meilleure information sur les flux de marché. L’existence d’une stratégie de communication financière bien ciblée et suivie dans la durée est un élément particulièrement important pour les investisseurs, et donc pour les émetteurs (sous réserve de ne pas induire des surcoûts importants qui pénaliseraient les financements de marché par rapport aux financements bancaires). En la matière, la connaissance de l’état des intérêts acheteurs et vendeurs (répartition géographique, par type d’investisseur, etc.) est un élément d’appréciation important pour les émetteurs. C’est pourquoi le développement de fourniture de cette information doit être favorisé, sous réserve du respect des règles applicables en termes de conflits d’intérêts notamment. L’enjeu des mécanismes d’apport de liquidité, type contrat de liquidité. Les mécanismes d’apport de liquidité sont particulièrement importants : en favorisant les échanges, ils permettent aux acheteurs et vendeurs de trouver une contrepartie tout en permettant l’établissement de prix, et donc la valorisation des actifs. Dans de nombreux pays, il est considéré que cet apport de liquidité ressort de teneurs de marché qui ont un intérêt économique à la fournir. Si cela est vrai dans un certain nombre de cas (v. aussi infra C.2.4.), la réalité est parfois plus complexe. C’est pour cette raison que la France a développé une pratique des contrats de liquidité, par laquelle un émetteur met des moyens à disposition d’un apporteur de liquidité pour qu’en toute indépendance, ce dernier intervienne sur le marché en vue de favoriser la liquidité de ses titres, la régularité des cotations et d’éviter les décalages de cours non justifiés par la tendance du marché. Cette pratique, discutée un temps dans le cadre de la révision du dispositif européen Abus de marché, a été finalement reconnue compte tenu de son intérêt. Ce mécanisme, mis en place à l’origine en France pour les titres de capital sur des plateformes de négociation (v. Contrat-type AMAFI de liquidité, AMAFI / 11-23a et b) a été plus récemment étendu aux obligations traitées sur plateformes (v. Contrat-type de liquidité titres de créance, Europlace, 2012). Il est important de continuer à assurer son développement, et en tout état de cause, chaque fois que des mécanismes de tenue de marché se révèlent insuffisants pour fournir la liquidité dont le marché a besoin pour son bon fonctionnement. Le placement privé type Euro PP, un atout important Une illiquidité assumée. L’initiative prise pour mettre en place un contrat Euro PP constitue aujourd’hui un outil important en développement : il y a ainsi une appétence de plus en plus grande des investisseurs pour structurer des émissions en placements privé. Le modèle présente en effet un double bénéfice : les investisseurs disposent d'instruments adaptés à leurs besoins dont, étant en outre seuls détenteurs, ils escomptent une valorisation plus stable ; de leur côté, les émetteurs indiquent bénéficier de conditions de fait plus avantageuses que pour des émissions publiques, les investisseurs assumant dès l'origine le caractère illiquide du produit et ne demandant pas (du moins au même niveau) la prime qui accompagne les nouvelles émissions publiques ("New Issue Premium"). Ce développement est au fond l’acceptation du fait que pour une série d’instruments l’exigence de cotation permanente et de liquidité est contreproductive. Mieux vaut alors tenir compte de cette réalité que de forcer ces instruments dans un modèle de marché liquide qui ne leur convient pas. Encore faut-il en tirer les conséquences en termes de réglementation applicable aux investisseurs concernés, pour que de tels instruments ne soient pas anormalement défavorisés. - 40 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 L’analyse financière, un vecteur important de l’intérêt des investisseurs MIF 2 ou la volonté incompréhensible de déstabiliser le modèle existant. La couverture de valeurs 44 par des analystes financiers est un facteur admis comme participant au renforcement de la liquidité . Aussi est-il nécessaire d’assurer que le financement de l’analyse financière, prestation intellectuelle à haute valeur ajoutée, ne soit pas mis à mal par de nouvelles règles bouleversant trop brusquement un modèle de financement déjà fragile, notamment pour les valeurs les moins liquides, souvent émises par des PME-ETI. Dans ce contexte, la volonté de revoir en profondeur le mécanisme de financement de l’analyse financière sur toutes les classes d’actifs à travers les mesures d’application de MIF 2, en coupant le lien 45 entre rémunération et volume de négociation, est particulièrement incompréhensible , surtout au regard des priorités affichées par l’Europe au travers de l’initiative d’UMC. Un impact sur le financement des PME-ETI. A l’heure où les capacités de recherche sur le segment PME-ETI sont en réduction forte depuis plusieurs années alors que l’un des enjeux de la reprise économique réside dans les solutions de financement que le marché sera en mesure d’apporter à ces entreprises, il n’est pas possible de négliger l’impact macroéconomique qu’entraînerait les mesures actuellement envisagées au niveau européen. L’objectif de protection des mandants poursuivi est légitime, mais celui du financement des PME-ETI l’est également. L’enjeu est donc de réaliser, en ayant soupesé tous les facteurs à l’œuvre, l’arbitrage qui s’impose, quitte à différencier les règles appliquées selon la nature des entreprises (le cas des PME-ETI justifie d’un traitement ad hoc) et des instruments visés (la recherche sur des instruments autres que des actions, n’étant pas rémunérée par des commissions, ne pose pas les mêmes enjeux en matière de protection des mandants). C.2.4. Reconsidérer les arbitrages prudentiels à la lumière de l’enjeu que représente la liquidité de marché Un volet important. Au regard de la capacité qu’auront ou non des acteurs alternatifs à se substituer aux établissements financiers dans leur fonction historique d’apporteur de liquidité (v. supra C.1.2.), il semble utile de se reposer la question de l’équilibre et de l’articulation des réformes prudentielles touchant les banques de marché, et plus particulièrement d’adopter une démarche volontariste pour les actifs émis par les PME et ETI. La liquidité de marché, élément de la stabilité financière Un enjeu de la politique monétaire. Les contraintes réglementaires posées sur les apporteurs de liquidité historiques que sont les « intermédiaires de marché », et particulièrement les banques, l’ont été avec le souci légitime de renforcer la stabilité financière. Pourtant, ce faisant, et parce que les questions liées à la liquidité du marché n’étaient pas au cœur des préoccupations des régulateurs, elles ont induit de nouveaux risques, partiellement occultés par l’ « illusion de liquidité » due à l’environnement exceptionnel des marchés et à l’action des banques centrales. Il est désormais indispensable de mieux prendre en compte les éléments qui participent à la fragilisation des marchés. 44 La production d’analyses financières est un moyen précieux d’intéresser les investisseurs à des opportunités d’investissement qu’ils ne détecteraient pas sinon, (V. aussi Derrien et A. Kecskés précités). 45 D’autant plus malvenu qu’aucun débat n’a eu lieu au niveau 1 entre les colégislateurs européens, et que le sujet, malgré ses enjeux, n’est apparu qu’au niveau 2, pourtant réputé se cantonner à la précision technique des mesures de niveau 1 (v. aussi MIF 2 – Mesures d’application paiement de la recherche, AMAFI / 15-10). - 41 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 La nécessité d’un bilan. Dans cette optique, et au regard de l’enjeu que représente la liquidité de marché pour le bon fonctionnement des marchés et in fine la stabilité financière, il est indispensable d’effectuer un bilan coûts/avantages de ces réglementations, qui prenne la mesure du rôle des 46 apporteurs de liquidité, des éléments d’analyse désormais disponibles sur les effets du durcissement des règles pesant sur eux et des impacts en termes de fragmentation. Ce bilan doit être mené de façon suffisamment fine et prendre en compte l’impact des différentes règles sur les différentes classes d’actifs financiers et sur les différentes activités de marché exercées par les « intermédiaires de marché ». En d’autres termes, la liquidité des marchés est un facteur majeur à prendre plus systématiquement en compte tant au niveau des banques centrales (dans leur double rôle monétaire et de supervision des banques) que par les autorités en charge du risque systémique (ce qui en pratique implique à nouveau de façon majeure les banques centrales). Les unes et les autres le font de plus en plus mais ce rôle devrait être plus clairement explicité. Réévaluer la contrainte sur les fonctions d’apporteurs de liquidité des banques ? Identifier les effets excessifs. S’il ne peut être question de revenir sur les avancées majeures accomplies ces dernières années en termes de stabilité du système financier, il faut néanmoins constater que l’effet cumulé des nouvelles normes mises en place ou en cours de mise en place n’a pas été analysé en tant que tel. Particulièrement, la capacité du système financier en général, et du marché en particulier, à jouer aussi efficacement que possible leur rôle de financement de l’économie n’a pas été réellement prise en compte : rétablir la résilience des établissements a constitué un impératif en luimême, laissant dans l’ombre d’autres considérations dont l’importance pour le bon fonctionnement des économies modernes et la cohésion du corps social, ne peuvent pourtant plus être ignorées. Une revue approfondie doit donc être menée en vue d’identifier les effets excessifs – et non désirés - de certaines réglementations. Cette revue, qui ne peut être réalisée que dans le cadre d’une coopération entre les régulateurs prudentiels, les superviseurs de marché et les acteurs concernés, devrait conduire à identifier, dans le corpus de normes prudentielles, celles qui, seules ou de manière cumulée, ont un impact négatif disproportionné sur la liquidité de marché au regard des gains procurés en matière de stabilité financière. A cet égard, Il convient de saluer, comme une première étape indispensable, le « Call for Evidence – EU regulatory framework for financial services » initié par la Commission européenne dans le cadre du projet d’Union des Marchés de Capitaux. Plus généralement, dans l’élaboration des futures réglementations, les régulateurs doivent prendre davantage en compte la gestion du continuum entre la liquidité de marché (celle qui existe en « marche normale ») et la liquidité « prudentielle » (celle qui existe en « situation de stress »), en adoptant davantage des approches holistiques, mesurant les interactions entre les différents corpus de normes. Peser soigneusement les arbitrages en cours. Dans ce cadre, une révision du calibrage des normes prudentielles encore en cours d’élaboration devrait dès à présent être envisagée afin de « sanctuariser » les activités de tenue de marché encore viables. Leur exemption dans des limites raisonnables (c’est-àdire sans impact systémique) d’un certain nombre de calculs de ratios aurait des effets grandement bénéfiques sur ces activités, dont l’utilité par rapport au financement de l’économie et à la couverture des risques est établie (v. AMAFI / 15-03 précitée). En tout état, de cause, pour les normes encore en cours de discussion, et tant que l’étude approfondie qui est indispensable n’a pas été effectuée, un principe de neutralité sur le coût en fonds propres et en funding, devrait être retenu pour l’avenir, sans doute à l’échelle régionale et au niveau de chaque famille d’instruments, tant il apparaît que toute exigence supplémentaire a toute chance de s’exercer aux dépens du bon fonctionnement des marchés, et in fine du financement de l’économie. 46 Ainsi, les trois Autorités européennes de surveillance semblent former le constat des effets négatifs des réglementations sur la liquidité de marché (v. Rapport du Comité mixte des Autorités européennes de surveillance d’août 2015 précité). - 42 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Prévoir un traitement prudentiel allégé pour les actifs émis par les PME-ETI Des actifs non systémiques. En tout état de cause, un traitement prudentiel allégé des actifs nonsystémiques détenus dans le cadre d’une activité de tenue de marché, et tout particulièrement de ceux émis par les PME-ETI, doit être assuré : par construction, ils ne présentent pas de risque pour le système financier ; or le soutien des fournisseurs de liquidité est particulièrement nécessaire à la bonne tenue de leur marché et à sa liquidité ; le renforcer serait donc positif pour le redémarrage de l’économie et son bon fonctionnement. Cela est d’autant plus justifié en Europe que, déjà, ces mêmes actifs font l’objet d’un traitement préférentiel dans le portefeuille bancaire (banking book) tel que défini par CRD 4. Étendre ce type de traitement au portefeuille de négociation (trading book) démontrerait l’appui des autorités aux valeurs moyennes, dont le financement est au cœur des engagements de la nouvelle Commission européenne tels que formulés dans le cadre du projet d’Union des Marchés de Capitaux (UMC), concrètement lancé par Jonathan Hill au printemps 2015. C.2.5. Réviser drastiquement les normes comptables Des effets graves mis en évidence par la crise financière. La crise financière a été indéniablement aggravée par l’effet de normes comptables qui érigent comme incontournable le principe d’une comptabilisation en valeur de marché. Encadré 9 : L’effet particulièrement négatif de l’IFRS 9 Quand celui-ci, faute de liquidité, n’est plus en mesure d’assumer sa fonction de Parmi les conséquences potentielles de la norme IFRS 9 découverte des prix, l’incertitude sur la « Instruments Financiers » qui sera applicable à compter du er 1 janvier 2018, l’EFRAG a identifié une problématique liée valeur des bilans devient insupportable. Réduire la procyclicité Le déclenchement de spirales baissières. L’effet des normes comptables est transversal dans la mesure où elles s’appliquent à tous les acteurs précédemment envisagés (investisseurs, émetteurs, établissements financiers). Dans ce cadre, l’effort de réduction du besoin de liquidité passe par une limitation des effets procycliques de ces normes en situation de crise : cela suppose particulièrement de réfléchir à la valorisation des actifs en fonction de la durée des investissements. Un tel ajustement est en effet impératif pour rendre ces investissements moins sensibles à des variations de court terme et diminuer les effets procycliques qui sinon sont engendrés. A cet égard, la mise en place de normes comptables internationales (IFRS), applicables en er 47 Europe depuis le 1 janvier 2005 , avec en particulier l’introduction de la juste valeur (IAS 32 et 39), qui rompt avec la aux investissements à long terme sous forme d’apports en capitaux propres. Les actions détenues par les investisseurs qui apportent ainsi les capitaux seront par défaut évaluées en juste valeur par résultat (comme les actifs de trading), ce qui pourra générer en résultat une volatilité incohérente avec l’horizon de détention et de retour attendu sur investissement. L’option offerte par la norme IFRS 9 de les évaluer en juste valeur par OCI (Other Comprehensive Income) est peu attractive car lors de la revente des actions, les plus ou moins-values ne seront pas reconnues en résultat mais directement recyclées d’OCI en réserves. L’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), dans son projet de recommandation sur l’adoption de la norme IFRS 9 par l’Union européenne, souligne les limites de la norme pour ces investissements à long terme en actions et s’interroge sur les effets potentiels sur les politiques de placement des investisseurs. L’ANC (Autorité des Normes Comptables française) souligne également ces conséquences potentiellement négatives de la norme et leur incohérence avec la volonté européenne de promouvoir les financements en capital des entreprises. L’ANC indique également que la norme devait avoir des effets négatifs sur l’appétit des investisseurs pour les titres actions, cela pourrait poser problème aux banques qui devront augmenter leurs fonds propres prudentiels par l’émission de nouveaux instruments de capitaux propres. 47 Obligation d’appliquer le référentiel de l’IASB pour les sociétés cotées sur un marché réglementé (Règlement (CE) n° 1606/2002). - 43 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 tradition comptable française et introduit un élément majeur de procyclicité, n’est pas sans poser des questions quant à leurs effets en situation de stress, en particulier pour les valeurs peu liquides. La comptabilisation systématique à la valeur du marché (mark-to-market) peut en effet renforcer une spirale baissière. Les conséquences de ces nouvelles normes, dont certaines sont encore en cours d’élaboration (v. encadré), n’ont sans doute pas été suffisamment prises en compte et mériteraient donc d’être reconsidérées dans tous les cas où la valeur de marché immédiate n’est pas un déterminant essentiel de l’horizon de gestion (c’est-à-dire en pratique pour la grande majorité des investisseurs - hors OPCVM). Une importance renforcée pour les investisseurs de long terme Un horizon d’investissement qui nécessite une comptabilisation adaptée. Afin que les investisseurs de long terme puissent se développer, il est important de commencer par reconnaître la spécificité de leur horizon de gestion : celui-ci étant différent, la mesure des résultats ne peut être la même que dans un investissement à court terme. Ainsi, on ne voit pas pour quelles raisons le même actif devrait être apprécié comptablement de la même façon selon qu’il est détenu par un OPCVM à cotation quotidienne, un hedge fund à effet de levier, ou par un intervenant en assurance-vie engagé sur le long terme : il ne semble en effet pas opportun qu’un investisseur dont l’horizon de passif est long soit soumis à des contraintes de valorisation court terme pour son actif. Doivent lui être appliquées des normes de constatation de la valeur ad hoc, et des normes prudentielles différentes de celles induites par Solvabilité 2. A l’inverse, la question pourrait même se poser du moyen d’assurer, pour les investisseurs dont le passif est d’une duration moyenne assez élevée, une orientation plus large vers des actifs longs, un horizon et des méthodes de valorisation différentes, ce qui peut et doit favoriser une gestion moins dominée par les indices à court terme et par là moins consommatrice en liquidité de marché. Tenir compte de l’illiquidité de certains instruments Un mark to market par nature inadapté. Certains instruments, malgré tous les efforts que l’on peut déployer, resteront par nature peu liquides. En ce sens ils sont moins conformes à la définition idéale d’un instrument de marché. Le marché n’a en effet de sens que lorsqu’il permet une confrontation a minima d’offreurs et de demandeurs, car c’est cette confrontation qui donnera une réalité aux prix qu’il détermine. Il est donc naturel que la réglementation des établissements comme des instruments reconnaisse cette particularité, sans pour autant pénaliser excessivement ces instruments, qui sont indispensables pour permettre à certaines entreprises et à certains projets d’avoir accès à des financements de marché. C’est pourquoi, à côté des efforts déployés pour améliorer la liquidité de chaque compartiment de marché pour lequel cet effort est possible, la réglementation devrait s’orienter vers une prise en compte plus claire et plus explicite du caractère fondamentalement peu liquide de certains instruments. D’une part, via 48 une réglementation « marché » adaptée pour ces produits . D’autre part, via une meilleure reconnaissance pour la partie des investisseurs institutionnels, du véritable niveau de liquidité des instruments, à mettre en cohérence avec leur mode de financement et leur horizon de valorisation et de gestion, favorisant ainsi l’émergence de formules à plus long terme, cohérentes avec cette plus faible liquidité (le format ELTIF – European Long Term Investment Fund – formant ici une première composante évidente). 48 Comme le propose l’AMAFI dans sa réponse à la consultation sur l’Union des Marchés de Capitaux (v. Construire une Union des marchés de capitaux – Contribution de l’AMAFI au Livre vert de la Commission européenne, AMAFI / 15-28). - 44 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 C.2.6. La fiscalité, un levier réel L’accroissement de la profondeur du marché. La fiscalité joue un rôle certain dans l’orientation de l’épargne, et donc dans l’attrait que présente le marché pour les investisseurs individuels, qu’ils y agissent en direct ou de façon intermédiée. Or plus d’épargne sur les marchés, c’est aussi plus de liquidité pour ceux-ci. Si l’objet n’est pas ici de rentrer dans le détail d’une problématique très particulière qui a de nombreuses implications, notamment budgétaires, il est néanmoins important de mesurer également les effets négatifs que peut avoir la fiscalité sur la liquidité des marchés. Outre l’enjeu spécifique d’une TTFE, dont l’essentiel du coût sera supporté par les investisseurs finaux résidant dans les Etats participants (v. supra B.2.2.b.) la fiscalité surtout quand elle n’est pas corrélée au risque supporté par l’investisseur qui accepte de financer l’économie, peut être très désincitatives, au point de détourner l’intérêt objectif des acteurs individuels d’instruments dont le développement semble pourtant correspondre à l’intérêt collectif (sur cet aspect en ce qui concerne la France, v. Fiscalité de l’épargne et financement des entreprises – er Baromêtre AMAFI 2015, AMAFI / 15 45, 1 octobre 2015). C.2.7. Renforcer les leviers de refroidissement à disposition des autorités de marché Les autorités ont un rôle incontournable à jouer. Le rôle des autorités de marché ne peut être seulement un rôle de régulation (définition des règles applicables), de contrôle (des marchés et entités placées sous leur tutelle) et de sanction des manquements détectés. La liquidité et le bon fonctionnement des marchés relèvent en effet d’une forme de bien commun, et la crise nous l’a rappelé. Cela suppose une analyse préventive des risques de liquidité d’ensemble ou marché par marché, permettant par exemple de prévoir à l’avance quels sont les segments significatifs sur lesquels une disparition totale de la liquidité peut se produire rapidement, comme en 2007. Cela suppose aussi une régulation appropriée de ces situations, notamment au vu du financement des positions des acteurs dans ces produits et des effets de levier correspondants. Un actif faiblement liquide doit, comme on l’a vu, être financé par une ressource de plus long terme, toutes choses égales par ailleurs. Eviter l’emballement. La crise de 2008 a démontré, si besoin était, que le marché pouvait connaître des épisodes d’emballements aux conséquences potentiellement néfastes pour l’économie dans son ensemble. Ces différentes constatations amènent à se poser la question de la gestion du marché, et de l’élaboration de dispositifs permettant d’enrayer l’émergence d’une nouvelle crise, avant que les canaux du financement ne soient à nouveau bloqués comme en 2008. Or, on l’a vu, l’analyse des chocs de marchés les plus récents semble indiquer que la transition d’une situation de tension à une situation de disparition de la liquidité et de crise ouverte est devenue à la fois plus rapide et plus probable. Certes, il existe d’ores et déjà des dispositifs qui, permettant d’ « arrêter » le marché pendant une certaine période, et laissant aux investisseurs le temps de l’analyse, sont de nature à empêcher qu’une spirale baissière (mais parfois aussi haussière) s’enclenche sur des bases insuffisamment raisonnées. Ces dispositifs, particulièrement importants à l’heure où beaucoup de transactions sont provoquées par des automates, sont de deux grandes natures : pouvoirs de suspension des négociations des autorités de marché d’une part, mécanismes de suspension et de limitation des transactions des plateformes de 49 marché d’autre part. Il n’est pas sûr toutefois que dans l’environnement actuel, ces dispositifs, complexes et délicats à mettre en œuvre, quand leurs effets ne restent pas limités, soient suffisants. 49 Mis en œuvre à leur initiative ou pour répondre à des obligations réglementaires, ces mécanismes peuvent viser tous les intervenants d’une même plateforme ou seulement certains d’entre eux (coupe-circuits pour la négociation HFT). - 45 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 Deux pistes à explorer. Il faut alors se demander s’il ne serait pas opportun d’aller plus loin dans cette voie. Deux pistes, qui peuvent d’ailleurs se combiner pour apporter une réponse graduée mériteraient d’être explorées à cet effet. La première consisterait à prévoir, pour un temps, de substituer aux échanges en continu des enchères espacées dans le temps et soumises à des variations de prix encadrées. La seconde piste quant à elle, consisterait à prévoir qu’une nullité « d’ordre public » est attachée à toute transaction réalisée pendant la période de suspension. Pour assurer que ces outils soient effectivement utilisables rapidement, il serait sans doute nécessaire que les conditions de leur utilisation soient précisées a minima dans un contexte de tension sur la liquidité. Leur utilisation par les régulateurs et leur acceptation par le marché en seraient facilitées. - 46 - AMAFI / 15-48 26 octobre 2015 BIBLIOGRAPHIE SYNTHETIQUE (Pour davantage de précisions on se reportera notamment à l’étude PwC citée ci-dessous) Rapports et avis Market liquidity – Resilient or fleeting?, Global Financial Stability Report 2015, FMI, 29 septembre 2015 Rapport sur les risques et vulnérabilités dans le système financier de l'Union européenne, Comité mixte des autorités européennes de surveillance, mai 2015 et août 2015 Global financial liquidity study, PwC, août 2015 Rapport annuel, Banque des règlements internationaux, 28 juin 2015 “When Market Liquidity Vanishes”, Global Financial Stability Report, FMI, avril 2015 Wholesale Investment Banking Outlook, rapport Oliver Wyman pour Morgan Stanley, 19 mars 2015 “Shifting tides – Market liquidity and market-making in fixed income instruments”, BIS Quaterly Review, Banque des règlements internationaux (BRI), mars 2015 Rapport annuel 2014, Office of Financial Research, décembre 2014 Financial Stability Review, Banque centrale européenne, novembre 2014 Market-making and proprietary trading: industry trends, drivers and policy implications, Groupe de travail présidé par Denis Beau, Committee on the Global Financial System, CGFS Papers No 52, Banque des règlements internationaux, novembre 2014 Articles universitaires Market Making Under the Proposed Volcker Rule, D. Duffie, Report to the Securities Industry and Financial Markets Association, janvier 2012 The Economic Consequences of the Volcker Rule, A.V. Thakor, Center for Capital Markets Competitiveness, été 2012 Divers Dark pools and platforms vie to fix broken credit markets, Risk.net, 31 mars 2015 Financial Market Volatility and Liquidity – a cautionary note, discours de Chris Salmon, Banque d’Angleterre, 13 mars 2015 Letter to Shareholders, Jamie Dimon, JPMorgan Chase, 8 avril 2015 Liquidity, Oaktree Note, Howard Marks, 25 mars 2015 Liquidity in markets, The Economist, 18 avril 2015 - 47 -