Prise en charge médicamenteuse et non

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PRISE EN CHARGE MEDICAMENTEUSE ET NON MEDICAMENTEUSE DE LA
DOULEUR
Daniel ANNEQUIN
Responsable de l’unité Douleur, Hôpital pédiatrique Armand Trousseau, Paris
Je m’adresse aujourd’hui à vous sous une double une casquette : celle de responsable d’une
unité de douleur pédiatrique à l’hôpital Trousseau et celle de chef de projet du programme national de
lutte contre la douleur au ministère de la Santé.
Les douleurs sont de différents types. Il existe les douleurs nociceptives, qu’on pourrait qualifier de
« douleur classique », faisant intervenir la stimulation des fibres nerveuses qui est relayée au niveau de
la moelle épinière et du thalamus pour aboutir au cortex afin d’entraîner la perception de la douleur chez
le sujet. Mais il y a aussi d’autres types de douleurs, dites neuropatiques, qui se caractérisent par une
atteinte spécifique de la fibre nerveuse (atteinte toxique, mécanique, infectieuse…) entraînant des
décharges spontanées et douloureuses avec des troubles de la sensibilité et des fulgurances.
Bien entendu la prise en charge de la douleur n’est pas forcément la même selon le type de douleur
dont il s’agit.
LA PRISE EN CHARGE MEDICAMENTEUSE
La prise en charge pharmacologique s’organise autour de l’utilisation des antalgiques, des
anesthésiques locaux (particulièrement intéressants pour les douleurs liées aux soins ou aux effractions
cutanées) et du mélange équimolaire (contenant une quantité fixe d’oxygène et de protoxyde d’azote).
L’Organisation Mondiale de la Santé classifie les antalgiques en trois niveaux
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Le premier niveau est celui des « antalgiques périphériques » c’est à dire le paracétamol,
l’aspirine et les anti-inflammatoires qui sont très, peut-être trop, largement utilisés.
-
Le deuxième niveau concerne les morphiniques faibles, qui sont également très largement
utilisés même si leur nom de morphinique continue encore à effrayer parfois.
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Le troisième niveau regroupe les morphiniques puissants, c’est à dire la morphine sur laquelle
beaucoup d’idées fausses ont été répandues. On connaît maintenant très bien ce produit et on
sait qu’on peut l’utiliser sur des patients de tous âges y compris chez les nouveaux-nés et les
nourrissons (c’est à partir de 3 mois que le métabolisme de l’enfant permettra l’excrétion
correcte de ce produit au niveau hépatique et rénal, en dessous de 3 mois la vigilance devant
être plus grande) ou les personnes âgées.
Les idées fausses sur la morphine
On a longtemps cru que l’utilisation de la morphine, en particulier chez les enfants mais aussi chez les
adultes, présentait un risque trop important de rendre les patients toxicomanes ou d’entraîner une
dépression respiratoire par exemple. Les produits morphiniques étaient considérés comme des produits
de fin de vie, et plutôt même d’accélération de fin de vie.
Aussi la morphine a-t-elle été très peu voire pas du tout utilisée pendant des années.
Tout cela est pourtant faux. On ne peut pas devenir toxicomane quand on utilise de la morphine à bon
escient et en bonne indication médicamenteuse. De même en ce qui concerne la dépression
respiratoire, et même chez des patients présentant déjà des déficits respiratoires comme c’est souvent
le cas des personnes handicapées, qui ne représentent pas une contre-indication à l’utilisation de la
morphine en cas de douleurs nociceptives si sa prescription est accompagnée d’une vigilance
adéquate.
Toutefois il ne faut pas non plus croire que la morphine soit la solution à tous les problèmes que posent
la douleur. Il est vrai qu’elle a été pendant longtemps sous-utilisée et qu’en réaction s’est développé un
discours nécessaire de promotion de son utilisation, notamment de la part de certains médecins
pionniers dans ce domaine dont j’ai fait partie. Mais pour autant les médecins comme les patients
doivent rester conscients du fait que la morphine ne va pas soulager toutes les douleurs intenses,
notamment en ce qui concerne les douleurs neurogènes ou psychogènes. Par exemple dans le cas des
douleurs migraineuses, pourtant sévères, il ne faut surtout pas prescrire de morphine.
L’utilisation de la morphine
Pour l’administration de la morphine il existe la fameuse « pompe à morphine », qui consiste en une
administration par voie veineuse. L’idée de ce principe est que le patient l’utilise lui-même en gérant
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l’administration des doses qui lui semblent nécessaires pour soulager sa douleur (le PCA, patient
control analgesia).
Bien entendu pour que ces pompes soient bien utilisées il est nécessaire que leur introduction dans les
services soit accompagnée d’une formation pour le personnel soignant comme pour les patients et leur
famille lorsqu’il s’agit d’enfants ou de personnes handicapées par exemple. En ce qui concerne les
personnes handicapées ayant un déficit intellectuel il est difficile d’utiliser ce type de matériel, mais il
existe ce qu’on appelle les NCA (nurse control analgesia) c’est à dire que l’infirmière gère l’injection des
doses de morphine.
Les morphiniques puissants peuvent aussi être administrés par voie orale, sous la forme de comprimés
et maintenant de gouttes. La morphine qui existe sous ces formes d’administration orale peut être à
libération immédiate avec un effet du produit qui commence à agir au bout de trente minutes et dure
quatre heures, ou à forme retard ce qui signifie que le produit sera actif pendant douze heures et
permet de limiter les prises à deux par jour.
La posologie de ces produits peut être augmentée sans risque si le patient n’est pas soulagé et qu’on
ne constate pas d’effet indésirable de la morphine. Mais il est certain que si les résultats sur la douleur
n’apparaissent toujours pas malgré l’augmentation des doses administrées, il faudra aussi que le
médecin se demande s’il a bien prescrit le produit adapté au problème posé.
Les effets indésirables de la morphine
Différents effets indésirables de la morphine ont été répertoriés tels que les nausées, les vomissements,
les rétentions d’urine, le prurit souvent facial, les hallucinations, les vertiges voire même des
céphalées… Néanmoins il ne faut pas systématiquement attribuer tout événement un peu inattendu à la
morphine.
Cela a été le réflexe un peu rapide dans les premières équipes qui ont prescrit de la morphine. Dès
qu’un problème se présentait chez un patient qui était traité avec de la morphine, on pointait la
responsabilité de celle-ci et suspendait donc son utilisation. C’était une erreur. Certes il existe des effets
indésirables de la morphine, mais d’autres paramètres peuvent aussi largement intervenir et avant de
suspendre un traitement morphinique du fait d’effets indésirables il faut bien analyser la situation pour
identifier la responsabilité réelle de ce produit.
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Les critères de choix pour l’application de stratégies médicamenteuses
Le premier critère pour savoir s’il peut être intéressant ou non d’utiliser la morphine, comme pour tout
autre médicament, est celui de l’origine et des caractéristiques de la douleur.
S’agit-il d’une douleur neuropatique ? La douleur est-elle continue, a-t-elle des accès ?
Ensuite il faut analyser la situation du patient lui-même.
Quelles sont les voies d’accès possible pour la prise des traitements ? Le patient peut-il utiliser la voie
orale (avec une sonde gastrique il faut savoir que certaines molécules passeront difficilement, je pense
notamment à certaines morphines retard qui peuvent adhérer aux parois du tube) ?
Y a-t-il des risques d’interactions médicamenteuses ? Il faut être initialement très prudent quant aux
interactions entre les différentes molécules, notamment chez des patients polymédicamentés comme le
sont souvent les personnes handicapées.
Enfin il faut veiller à bien analyser les effets des traitements proposés, leur efficacité.
La stratégie thérapeutique est-elle efficace ? Faut-il la poursuivre ou la modifier ? Si elle est poursuivie,
est-il nécessaire d’adapter les posologies à la hausse ou à la baisse ?
La prise en charge antalgique a pour objectif de soulager le patient. Si cet objectif n’est pas atteint il faut
la modifier.
L’utilisation de morphiniques en France aujourd’hui
On a souvent dit, à raison, que la France était en retard dans l’utilisation des morphiniques. La situation
a aujourd’hui considérablement changé puisque si on analyse les données de la Caisse Nationale
d’Assurance Maladie, quant à la consommation en volume des médicaments remboursés en France, on
se rend compte que la molécule la plus prescrite est le paracétamol et qu’en deuxième position apparaît
le dextropropoxyphène qui est un morphinique faible.
Les médicaments antalgiques en France sont donc très prescrits, peut être trop prescrits. Il y a
aujourd’hui probablement en France une surconsommation de produits morphiniques, notamment de
morphiniques faibles.
Si l’on s’intéresse maintenant à la consommation mondiale de morphine à visée médicale on voit qu’en
1984 elle était de 2,2 tonnes, en 1995 de 17 tonnes, en 1998 de 20 tonnes et en 2001 de 23,4 tonnes.
Le premier consommateur sont les Etats-Unis et le deuxième la France.
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Il faut pondérer ces chiffres car ils intègrent aussi la consommation des laboratoires qui utilisent la
morphine pour produire des médicaments qui seront ensuite exportés, mais ils restent néanmoins
révélateurs d’une tendance à l’augmentation étonnante de la consommation de morphine à visée
médicale. Il faut rappeler que celle-ci est consommée à 80% par les pays riches.
L’utilisation de crèmes anesthésiantes
Ces crèmes sont très utiles pour réaliser des actes douloureux comme les ponctions ou les piqûres.
Le problème est que ces crèmes abolissent la douleur mais pas la peur de l’acte, et malgré l’utilisation
de crèmes anesthésiantes on peut voir parfois les patients développer des réactions phobiques. Ce qui
rappelle l’importance de l’anticipation dans le traitement de la douleur, et on verra plus loin dans cette
optique le rôle central que jouent les politiques de service dans la prise en charge de la douleur.
L’utilisation du mélange équimolaire oxygène / protoxyde d’azote (MEOPA, Kalinox®, entonox®,
anatasol®)
Il s’agit d’une méthode simple qui peut rendre de grands services.
La propriété de ce mélange est d’être à la fois anxiolytique, par l’action du gaz euphorisant, et
antalgique. Son action est rapide, elle n’excède pas trois minutes. Ce mélange facilite donc la
réalisation de nombreux actes quotidiens, comme des ponctions artérielles ou veineuses et de la petite
chirurgie, en association fréquente avec des anesthésiques locaux.
L’association Sparadrap propose un livret d’information très pédagogique sur cette méthode.
D’autres moyens disponibles dans le cas de nouveaux nés
On a récemment redécouvert scientifiquement, chez le nouveau-né, un moyen antalgique qui avait
l’habitude d’être utilisé dans le passé : les solutions sucrées. Lorsqu’on donne par exemple des
solutions de saccharose à 20 ou 30% il est possible de faire des ponctions avec un bénéfice antalgique
réel et significatif. Il faut donner ces solutions deux minutes avant le geste médical.
On a aussi montré que l’allaitement maternel (le peau à peau, la méthode kangourou) donnait aussi des
bénéfices antalgiques lors de ces effractions cutanées.
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Ce type de moyens suit les priorités du deuxième plan national de lutte contre la douleur qui, en plus du
traitement de la douleur chronique, cherche à s’attaquer aux douleurs quotidiennes provoquées par les
soins et par la chirurgie ainsi qu’à la douleur chez l’enfant et à la migraine.
LA PRISE EN CHARGE NON MEDICAMENTEUSE
En dehors de l’utilisation des médicaments nous allons voir qu’il existe des méthodes riches et
nombreuses pour lutter contre la douleur.
Les méthodes alternatives
Il s’agit de faire de l’économie de la douleur au quotidien.
Par exemple on s’est rendu compte que pour réaliser certains pansements il est préférable d’utiliser des
compresses non tissées qui adhèrent moins à la plaie. Il y a donc une réduction substantielle de la
douleur du patient sans avoir recours à des médicaments.
On peut aussi se poser la question des indications. Est-il réellement nécessaire d’aspirer les enfants
toutes les heures, ne peut-on pas le faire toutes les trois heures ? De la même façon ne peut-on pas
réduire la fréquence de certains prélèvements douloureux comme ceux effectués au talon chez les
nouveaux nés, ou encore les remplacer lorsque c’est possible par de nouveaux moyens non invasifs ?
Cela passe par des réflexions d’équipe sur les pratiques habituellement réalisées de façon
systématique. Faut-il poursuivre toutes nos pratiques de façon aussi systématique connaissant l’impact
douloureux de certains gestes ?
Les méthodes cognitives
Il s’agit des explications et de la préparation apportées aux patients, notamment aux enfants.
Je pense ici aux méthodes développées par Martine HENNEQUIN, professeur de chirurgie dentaire à
Clermont-Ferrand qui travaille beaucoup avec les enfants handicapés. Elle accompagne ses soins de
tout un travail d’explication : on montre la salle et le matériel avant l’acte, aux enfants. Grâce à ce travail
sur l’environnement du soin elle réussit à faire des soins dentaires chez ces enfants handicapés alors
qu’une anesthésie générale devait être auparavant employée.
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Ce type de méthode requiert un temps très important qui doit être consacré aux explications et à la
préparation des enfants, et finalement au fait de donner du sens à l’acte du soin.
Le médicament n’est pas dissociable de la manière qu’on a de le donner. La relation entre le médecin,
le soignant et le patient influence largement l’efficacité des médicaments, c’est un élément qu’il faut
toujours avoir en tête. Le fameux effet placebo, qui est péjoratif dans la tête de beaucoup, peut en fait
renforcer le médicament en permettant de libérer les endorphines cérébrales qui vont augmenter
l’efficacité de bien des traitements.
Par ailleurs, les techniques de distraction lors des soins , ont montré leur efficacité : bulles de savon lors
d’une prise de sang, vidéo 3D lors de pansements chez les brûlés, l’association sparadrap a réalisé en
2011 un DVD de formation1 destiné aux équipes soignantes
LES METHODES PSYCHO-CORPORELLES
Ce sont p essentiellement la relaxation ou l’hypnose.
Nous utilisons beaucoup l’hypnose à l’hôpital Trousseau pour des douleurs récurrentes comme celles
des crises migraineuses.
Nous avons récemment réalisé une étude auprès de 38 enfants migraineux entre 6 et 15 ans. Nous les
avons répartis en 3 groupes : à un groupe on ne donnait que les traitement médicamenteux (des antiinflammatoires en général), aux deux autres étaient prescrits en plus des médicaments un
apprentissage de la relaxation ou de l’hypnose en douze séances sur une période de 3 mois.
L’étude a duré 6 mois et les enfants ont été évalués initialement, au bout de 3 mois et après 6 mois. Il
s’est révélé que le nombre de crises a diminué de façon significative quand les enfants ont suivi des
techniques de relaxation ou d’hypnose, de façon sensiblement plus importante que dans le groupe
témoin. Par ailleurs nous avons vu que les traitements médicamenteux fonctionnaient eux aussi de
façon plus efficace chez les enfants ayant appris la relaxation et l’hypnose, avec une baisse plus
importante de l’intensité des crises dans ces deux groupes.
L’organisation quotidienne pour la prise en charge de la douleur
Les choix des établissements et des responsables de service peuvent également permettre de faire des
économies en matière de douleur.
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http://www.sparadrap.org/Catalogue/Tout-le-catalogue/A-vous-de-jouer-!-La-distraction-des-enfants-lors-dessoins-Ref.DV29
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Le choix du matériel avec lequel s’équipe l’hôpital ou le service constitue un des niveaux de réflexion et
d’action pour la réduction de la douleur.
Le fait qu’il y ait ou pas un comité de lutte contre la douleur peut-être révélateur du souci de réduire la
douleur des patients. S’occupe-t-on régulièrement au sein de l’établissement de vérifier si les protocoles
antalgiques existent, s’ils circulent, s’ils sont suivis, s’ils sont évalués ? Il existe souvent une grande
hétérogénéité, entre différents services au sein d’un établissement, dans la prise en charge de la
douleur.
Il existe de bons indicateurs pour évaluer si un service est sensibilisé à la prise en charge de la
douleur : la crème anesthésiante est-elle utilisée, les intra-musculaires et les sous-cutanées sont-elles
encore pratiquées pour les produits antalgiques, les pompes à morphine sont-elles disponibles… ? Tout
ceci est largement lié à la volonté personnelle des chefs de service, que ce soit le chef de service ou le
cadre infirmier. En tout cas il existe au niveau national une volonté politique clairement affirmée visant à
l’amélioration de la prise en charge de la douleur.
Je conclurai donc en rappelant que les médicaments sont bien sûr nécessaires et incontournables dans
la prise en charge de la douleur, mais ceux-ci doivent être combinés à un éventail de solutions non
pharmacologiques pour en accroître l’efficacité. Et cela dépend avant tout de nous au quotidien, de
l’organisation que nous nous donnons.
Pour en savoir plus :
www.pediadol.org
www.sparadrap.org
www.cnrd.fr
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