L’Encéphale (2013) 39, 44—50 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP NEUROPSYCHOLOGIE Place de l’inhibition dans le trouble obsessionnel-compulsif The role of inhibition in obsessional-compulsive disorders M. Dupuy a,b,∗, F. Rouillon b, C. Bungener a a LPPS EA 4057, IUPDP, université Paris Descartes, 75014 Paris, France Clinique des maladies mentales et de l’encéphale, centre hospitalier Sainte-Anne, université Paris 5 René-Descartes, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France b Reçu le 3 août 2011 ; accepté le 6 mars 2012 Disponible sur Internet le 23 septembre 2012 MOTS CLÉS Trouble obsessionnelcompulsif ; Inhibition ; Modèles neurocognitifs KEYWORDS Obsessive-compulsive disorders; Inhibition; Neurocognitive models ∗ Résumé La nature des mécanismes neuropsychologiques sous-jacents à l’expression symptomatique du trouble obsessionnel-compulsif reste encore à déterminer. Nombreuses sont les études qui mettent en évidence des déficits cognitifs mais la diversité des méthodologies et la mixité des sous-types cliniques empêchent de dégager des constantes en termes de profil neurocognitif. Les études qui se sont attachées à l’examen des fonctions exécutives accordent toutefois une importance au rôle exercé par l’inhibition et la flexibilité cognitive dans l’expression symptomatique du trouble obsessionnel et compulsif (TOC). La plupart d’entre elles mettent en évidence un défaut d’inhibition et une altération de la flexibilité cognitive qui pourraient rendre compte du caractère inflexible et répétitif des pensées et des actes commun à toutes les formes du TOC. L’objectif de cet article est de réunir des arguments de la littérature qui plaident en faveur de l’hypothèse d’un déficit d’inhibition et de flexibilité cognitive. La première partie est consacrée à l’approche théorique neuropsychologique plaçant l’inhibition et la flexibilité comme médiateur prometteur pour la compréhension du TOC. En seconde partie, nous passerons en revue des études utilisant différentes mesures de l’inhibition et la flexibilité, dont les résultats vont dans le sens de cette hypothèse. © L’Encéphale, Paris, 2012. Summary Introduction. — The nature of neuropsychological mechanisms underlying the clinical picture of obsessions and compulsions has not been clearly determined. A number of studies has emphasized the role of cognitive deficits, but diversity of methodology and overlapping of clinical sub-groups have not established a specific cognitive functioning of these patients. The studies carried out on executive functions have, however, helped to identify the important role that both inhibition and cognitive flexibility play in obsessive-compulsive (OC) symptoms. Most of them have found that a deficit of inhibition and alteration of cognitive flexibility could explain Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Dupuy). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012. http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.06.016 Place de l’inhibition dans le trouble obsessionnel-compulsif 45 inflexibility and repetitive thoughts and actions typical of all types of OC disorders. The aim of the paper is to present the published data supporting the hypothesis of a specific role played by a deficit of inhibition and cognitive inflexibility. In the first, theoretical part, we present the neuropsychological approach emphasizing inhibition and lack of flexibility as a promising explanation of the functioning of OC disorders. In the second part, we will present studies using various measurements of inhibition and the results of which, therefore, support this hypothesis. Arguments and discussion. — On the theoretical level, it is the model of attention that was used in explaining the OCD hypothesis. In the model of attention control of action, described by Norman, Shallice and Burgess, three systems were emphasized: one that takes care of routine actions, and the second that takes over the first in situations where automatic activities must stop in order to establish an attention control and therefore inhibit automatic responses. When selection of everyday and automatic activities is not sufficient to accomplish a task, it is the third system, that of cognitive control, which takes over. This supervisory attentional system operates in non-routine and ambiguous activities. The cognitive control is charged with detecting potential or emitted cognitive errors and resolving ambiguous situations. Neurocognitive studies show that cingular anterior cortex and prefrontal lateral cortex are engaged in ambiguous and conflicting situations. These two regions are considered essential for inhibition of routine actions, adjustment to change and, more generally, for an efficient and flexible behaviour. Repetitive nature of verification rituals in OCD could be explained in terms of lack of relationship between two systems, leaving in action the one that regulates automatic activities. Therefore, the rituals are considered to be under particular influence of the system which, being in charge of automatic actions, has a deficit in disengagement. Another model of attention, described by Posner, gives a further explanation of OCD. Mental inhibition has the capacity to treat information, either by applying strategies to control it (i.e. trying not to remember an unpleasant event) or leaving it to automatic control (i.e. incapacity to experience an emotion in relation to a particular event). In this way, the effort to suppress an intrusive thought is considered as controlled and deliberate cognitive treatment of emotionally charged information. In OCD, in the context of heightened anxiety, the assumed negative valence of information would influence habitual suppression of thought during controlled treatment. As a result, controlled efforts to suppress obsessions in emotionally stressful situations, would lead to the production of repetitive thoughts, as controlled treatment of information has failed in this action. On a clinical and experimental level, these studies have led to a better understanding and conceptualization of OCD. In spite of some conflicting results, there are concordant data in favour of hypotheses of the role of sub-cortical and frontal regions and their function in inhibition/desinhibition implied in the onset and maintenance of OCD. Functional neuroimagery anomalies are also in favour of the role of sub-cortical-frontal region in clinical manifestations of OCD. They are often associated with low performance in cognitive tasks, especially those implying frontal functions, which are, in turn, dependent on a necessary level of attention in order to guide or inhibit motor and cognitive programs. © L’Encéphale, Paris, 2012. Introduction Le trouble obsessionnel et compulsif (TOC) est une maladie psychiatrique qui touche 2 à 3 % de la population générale [1—3]. En termes de prévalence, elle se situe au quatrième rang des maladies mentales [4]. Elle est responsable d’une souffrance psychique et peut être invalidante en pesant fortement sur la vie quotidienne du sujet. Dans un cas sur deux, les symptômes débutent lors de l’enfance ou de l’adolescence [5,6]. Le sex-ratio est proche de 1 bien que l’âge de début soit souvent plus précoce chez le garçon [7]. À l’âge adulte, le tableau peut évoluer sous des formes symptomatiques diverses [8]. La maladie s’installe de manière insidieuse. La guérison est aléatoire et l’évolution est le plus souvent chronique. Le TOC se caractérise par des obsessions telles que des idées, représentations ou des impulsions émotionnellement pénibles faisant irruption dans la pensée de façon incontrôlée et contre la volonté de la personne. Elles sont persistantes, récurrentes et porteuses d’une charge anxieuse. Les compulsions ou rituels sont des actes que le patient se sent forcé de répéter incessamment afin de soulager l’anxiété présente [1]. L’éventail des rituels et des obsessions est large. En pratique, pour faciliter le dépistage, on les regroupe par thème [9]. Il n’existe pas de modèle unique qui explique la cause et la complexité des troubles. Des facteurs psychologiques, neurophysiologiques, neurocognitifs (implication de régions cérébrales) et une susceptibilité génétique joueraient un rôle dans le développement et/ou le maintien des symptômes [10—13]. Grâce aux techniques d’imagerie, l’un des courants de recherche le plus prometteur actuellement à l’intersection des sciences cognitives et de la neurobiologie s’intéresse 46 aux processus neurocognitifs sous-jacents à l’expression du trouble. Les études dans ce domaine cherchent à faire évoluer notre compréhension des symptômes dans la perspective d’améliorer la démarche de soin et d’optimiser les stratégies thérapeutiques futures [14,15]. Les investigations en neurosciences fournissent des éléments essentiels à la compréhension des symptômes TOC, notamment de la complexité des circuits neuronaux impliqués dans l’expression de ceux-ci [16]. L’approche cognitivo-comportementale et ses outils thérapeutiques ont contribué à faire progresser la connaissance des mécanismes émotionnels et cognitifs sous-jacents au trouble [17—20]. De même, la convergence entre les données cognitives et les techniques d’imagerie fonctionnelle a apporté des éléments de compréhension selon un angle neurocognitif. Parmi les hypothèses neurocognitives avancées, certains auteurs privilégient le rôle possible exercé par l’inhibition et la flexibilité mentale dans l’expression symptomatique du trouble obsessionnel compulsif. Des éléments de compréhension du TOC ont été proposés à partir des modèles cognitifs de l’attention. Ils mettent en avant le rôle de l’inhibition et de la flexibilité qui régulent et contrôlent nos conduites. L’attention en tant que superviseur cognitif prend dans ce contexte clinique et théorique un intérêt tout particulier, notamment si le TOC est considéré comme une perte de l’aptitude à inhiber des programmes cognitifs et moteurs. C’est ce que nous allons illustrer dans cet article. Rôle de l’inhibition et de la flexibilité dans le contrôle cognitif et comportemental Quand une situation exige d’aller au-delà des habiletés cognitives sur-apprises, divers processus exécutifs sont impliqués dans le contrôle du comportement. Les fonctions d’inhibition et de flexibilité mentale y jouent un rôle essentiel. Ainsi, l’inhibition interrompt ou réprime les pensées ou les actions inutiles pour l’exécution d’une tâche. Sa fonction est de bloquer les conduites préalablement activées et devenues superflues [21]. C’est un processus actif qui rend possible le traitement sélectif des informations cognitives. L’inhibition sert aussi de filtre en triant les informations inutiles et en éliminant les « bruits de fond » ou les éléments perturbateurs. Elle sert à supprimer les informations non pertinentes provenant de la mémoire de travail afin de ne pas entraver une tâche en cours. Une défaillance de ce mécanisme peut se traduire par l’impulsivité comportementale ou cognitive. Des erreurs du quotidien illustrent bien les défaillances transitoires du contrôle inhibiteur (par exemple réaliser tardivement, sur un trajet habituel, qu’il fallait poster son courrier, appuyer sur l’interrupteur en entrant dans une pièce déjà éclairée). Une autre fonction exécutive, dissociable de la fonction d’inhibition est la flexibilité cognitive. Elle se caractérise par l’aptitude à changer de stratégie et à modifier un schéma d’action afin de s’adapter aux nouvelles situations. Elle sert aussi à passer d’une activité à l’autre ou à alterner l’attention entre plusieurs tâches. Elle permet ainsi de configurer et d’ajuster notre système cognitif de façon à émettre la réponse comportementale la mieux adaptée à un environnement changeant. Les troubles de la flexibilité affectent les tâches qui requièrent des M. Dupuy et al. changements de stratégie. Ces troubles se manifestent par des comportements répétitifs, inflexibles, mal adaptés à la situation. Quand on est amené à changer une décision, cela implique d’être capable d’inhiber le premier choix et de déplacer son attention vers un nouveau choix (flexibilité). Ces fonctions d’inhibition et de flexibilité cognitive sont associées à un mécanisme de contrôle cognitif composé d’un ensemble de processus qui guide la sélection et la coordination des actions en fonction d’un but et des événements. Le défaut d’inhibition mentale peut-il caractériser l’incapacité des patients TOC à stopper leurs pensées et comportements ? Approche théorique : les modèles de l’attention Les modèles cognitifs de la régulation de l’action des systèmes attentionnels et de la mémoire de travail fournissent des éléments de compréhension [22—25]. Le modèle du contrôle attentionnel de l’action de Norman et Shallice [23] décrit des caractéristiques cognitives du comportement normal dans un contexte de traitement de l’information. Selon les auteurs, que les actions soient routinières ou nouvelles, elles s’engagent au travers d’un système d’inhibition et d’activation de schémas d’actions. L’action est réalisée sous la dépendance de schémas comprenant trois niveaux d’intégration de programmation et de planification de l’action. Le premier est un répertoire de schémas d’actions qui gère les séquences d’actions surpratiquées et automatiques. Il est actif pour les situations bien connues qui n’engagent pas un niveau d’attention élevé. Le second système « gestionnaire de priorité » agit en cas de conflit, quand deux schémas d’habitudes moteurs ou cognitifs sont activés en même temps. Il priorise une action en sélectionnant le schéma le mieux adapté au contexte. Quand la sélection des activités routinières et automatiques ne suffit plus pour mener une tâche, c’est un troisième système de contrôle cognitif qui prend le relais. Ce système de supervision attentionnelle intervient en situation non routinière ou ambiguë. Shallice et Burgess [27] ont proposé de le fractionner en sous-systèmes rattachés à des fonctions spécialisées : activation de « marqueurs » ou messages indiquant que le comportement ne doit pas être exercé comme une routine, choix et application d’une stratégie, évaluation après vérification du résultat. Le contrôle cognitif est chargé de détecter les erreurs potentielles ou émises et de résoudre les situations conflictuelles. Le test de Stroop illustre une situation où il y a compétition entre deux plans d’action. La tâche consiste à dénommer la couleur d’un mot qui n’est pas compatible avec son nom de couleur (VERT écrit en rouge). Il y a interférence dans le traitement de la couleur par automaticité de la lecture. Cette tâche implique la mise en œuvre de divers processus exécutifs comme l’attention sélective qui détecte le conflit couleur/mot et le risque d’erreur, ainsi que l’inhibition de l’automaticité de lecture. Elle fait également appel à la sélection d’une réponse et à son ajustement, à l’anticipation des réponses en tenant compte des effets des réponses antérieures. Ces opérations exécutives sont gouvernées par le contrôle cognitif qui engage au cours de ces situations conflictuelles Place de l’inhibition dans le trouble obsessionnel-compulsif 47 deux régions frontales (cortex cingulaire et région préfrontale). Le premier détecte les situations ambiguës et les erreurs. Il est sensible quand des erreurs se produisent aux épreuves d’inhibition. En situation incongrue (VERT écrit en rouge) il est plus sollicité que dans la condition où couleur et mot sont congruents [28]. Quand un risque d’erreur apparaît (essai incongru) à un moment inattendu (essais à faible risque d’erreur qui se suivent) il est davantage mobilisé. La répétition d’essais au test entraîne des temps de réponses plus rapides par ajustement du contrôle cognitif [28]. Une fois la situation conflictuelle repérée, son rôle est d’évaluer le besoin de contrôle cognitif qu’il transmet à la région préfrontale ; celle-ci ajustera alors son contrôle cognitif selon les besoins [29]. Ces auteurs montrent que ces deux régions ont des rôles complémentaires dans l’ajustement des comportements. Elles sont essentielles à l’inhibition des comportements routiniers, à l’anticipation des réponses pour s’adapter aux changements et plus globalement, à l’efficacité et à la flexibilité des comportements [30]. En cas d’atteinte exécutive d’origine organique (patients cérébro-lésés ou présentant une maladie neurodégénérative) la dissociation entre ces deux systèmes peut se révéler par l’atteinte du système superviseur. Celle-ci se traduit alors par des actions anormalement répétées d’un même schéma d’actions (persévérations) dans une situation non familière et par un déficit des conduites d’inhibition, alors que dans un contexte de « routine », les activités restent correctement menées. Les aires préfrontales jouent un rôle majeur dans le contrôle cognitif. Les troubles du contrôle cognitif perturbent la planification et se révèlent souvent dans des tâches complexes qui comportent des interférences ou la mise en jeu de processus compétitifs. Les déficits du contrôle cognitif touchent la régulation des processus cognitifs qui ont un but et l’adaptation aux nouvelles situations. Ces déficits se traduisent par des erreurs comme la sélection incorrecte d’une réponse ou des erreurs de substitution, comme par exemple, jeter l’œuf et conserver la coquille. Le modèle du contrôle attentionnel de l’action de Norman et Shallice peut constituer selon Tallis un cadre éclairant pour appréhender les mécanismes qui soustendent le comportement répétitif et qui empêchent son arrêt. Selon Tallis, plusieurs hypothèses peuvent être formulées à partir de ce modèle [31,32]. Dans le comportement normal, le fait de vérifier peut s’entendre comme une action adaptée, nécessaire au contrôle et à l’ajustement d’une activité en cours. Chaque vérification est déclenchée par l’activation d’un marqueur dit « temporel » (système superviseur) qui implique une situation de mémorisation au moment du contrôle. Un besoin excessif de répéter les conduites pourrait résulter d’un défaut de mise à jour (réactualisation) de ce marqueur temporel qui resterait alors anormalement activé. Plusieurs facteurs de maintien des rituels peuvent être envisagés en regard du gestionnaire des priorités. Avec l’évolution de la maladie, les rituels comportementaux, particulièrement les plus anciens, tendent à évoluer sous une forme plus automatisée. Ainsi, des séquences d’actions peuvent s’abréger, se produire même en l’absence d’obsessions et d’une prise de conscience au moment de l’acte. Ces conduites devenues plus automatisées et requérant peu de contrôle attentionnel comme les comportements routiniers seraient alors davantage soumises au contrôle du gestionnaire de priorité, que le système superviseur ne parviendrait pas à interrompre en dirigeant l’activité vers une autre conduite. La pensée intrusive est considérée comme un phénomène normal. Elle prend une forme exagérée dans l’obsession où elle subit une évaluation émotionnelle et cognitive excessivement négative. Cette évaluation à charge émotionnelle négative conduirait le système de supervision attentionnelle à interrompre un comportement en cours et dirigerait le gestionnaire de priorité vers un comportement « réparateur » ou « préventif » sous la forme de schémas d’actions automatisés. Ce comportement « réparateur », comme par exemple le « lavage », serait sélectionné en priorité par le système gestionnaire devant le caractère logique du contenu de pensée comme la crainte d’être contaminé. Un déficit de désengagement de ce système de l’attention participerait à la production répétée de ce schéma d’actions de comportements réparateurs. Le modèle attentionnel développé par Posner peut se prêter à un cadre interprétatif susceptible d’apporter des éléments de compréhension complémentaires au comportement compulsif [24,32]. Ce modèle distingue trois systèmes attentionnels, chacun présentant des fonctions différentes. Le premier système est spécifique à l’orientation attentionnelle engagée dans les activités de localisation visuo-spatiale. Les deux autres systèmes dits de maintien attentionnel et de contrôle attentionnel sont impliqués dans l’orientation endogène de l’attention et sont particulièrement adaptés à la détection de cibles et à l’inhibition des réponses automatisées. En neuropsychologie, la mise en jeu du système de maintien attentionnel [24], fonction proche de celle du système superviseur [23] est appréciée à partir de tests dits de « double tâche » et d’épreuves de « situations conflictuelles ». Ces dernières sont basées sur un principe de compétition des réponses comme les épreuves de réponses contrariées (Go/No-Go) pour évaluer l’inhibition motrice et le paradigme d’interférence (Stroop) pour évaluer l’inhibition cognitive [33]. Dans la pratique, les mesures de sensibilité à l’interférence et d’effet d’amorçage négatif à partir de tests cognitifs sont des indicateurs d’efficacité de l’inhibition. Classiquement, en situation expérimentale, la procédure d’amorçage consiste à fournir un indice sur les propriétés physiques (couleur, forme, taille) ou conceptuelles (catégorie, lien associatif) d’une information avant sa présentation. Cette procédure facilite habituellement le traitement de l’information. En condition d’amorçage négatif, après la détection répétée d’une cible, le distracteur devient cible à l’essai suivant. L’effet d’amorçage négatif se traduit normalement par un ralentissement lors de la détection de la cible lié à l’inhibition initialement associée. L’absence d’un effet d’amorçage négatif est considérée comme la conséquence d’un défaut d’inhibition. La notion d’interférence se réfère à la capacité chez le sujet de résister à l’intervention d’une réponse distractrice (ayant un traitement automatique, donc rapide) en l’ignorant. Le test de Stroop est habituellement utilisé pour évaluer l’impact interférant des habitudes fortement installées (le traitement automatique de la lecture de mots) à 48 l’égard d’une consigne requérant un traitement inhabituel des mots. Il existe une classification de l’inhibition sur la base d’opérations essentiellement cognitives mais aussi dans le domaine des relations entre les émotions et les cognitions [34]. Ainsi, l’inhibition est présentée comme ayant une action sur l’information liée à une émotion (c’est par exemple ne pas se souvenir d’un événement émotionnel) ou sur l’émotion elle-même (se souvenir de l’événement émotionnel en inhibant le ressenti émotionnel lié à l’événement). L’inhibition possède une forme de traitement, soit contrôlée (tenter de ne pas se rappeler d’un événement désagréable), soit automatique (incapacité à ressentir une émotion relative à un événement émotionnel). Ainsi, l’action d’effort pour supprimer une pensée intrusive est considérée comme un traitement contrôlé et délibéré d’une information émotionnelle. Selon Tallis, la charge anxieuse liée au contenu négatif de l’information tendrait à bloquer la fonction de suppression de la pensée au cours du traitement contrôlé. En conséquence, ce sont les efforts contrôlés pour supprimer les obsessions en situation de stress émotionnel qui favoriseraient la production répétitive des pensées, le traitement contrôlé assurant mal sa fonction de suppression [31]. Les techniques utilisées en thérapie cognitive ne permettent pas de contrer le caractère intrusif et involontaire des pensées obsédantes. Certains auteurs ont suggéré la technique du « stop signal » qui consiste à s’inventer un panneau « stop » quand une obsession fait irruption. Cette technique est discutée car elle semble provoquer un effet rebond de la pensée, autrement dit s’empêcher de penser provoque davantage l’apparition de la pensée. Approche clinique et expérimentale : études neuropsychologiques Les études ont permis des progrès dans la compréhension et la conception du TOC. Même si les travaux mettent en évidence des résultats contrastés, un consensus se dégage pour soutenir l’hypothèse du rôle des régions sous corticales, frontales et leurs liens avec les processus engagés dans l’activité d’inhibition/désinhibition impliquées dans la production et le maintien du TOC. Ces anomalies sont souvent associées à de faibles performances dans des tâches cognitives impliquant les fonctions frontales, elles-mêmes dépendantes des capacités attentionnelles pour diriger ou inhiber des programmes moteurs et cognitifs. Des liens entre symptômes TOC et certaines maladies neurologiques sont étudiés. Des patients TOC développent des troubles neurologiques dominés par des troubles du mouvement et inversement des patients atteints de certaines affections neurologiques ont aussi des symptômes TOC [35]. Baxter et al. [36] suggèrent un modèle explicatif du TOC. Il souligne le rôle des boucles frontosous-corticales engagées dans le contrôle et le refus de stimuli ou de distracteurs. Des anomalies de ces structures, (notamment du striatum) point de convergence et d’intégration des informations provenant du cortex, pourraient être une piste explicative du trouble notamment par le rôle inhibiteur sur les pensées et les images mentales. Saxena et al. font l’hypothèse qu’un déséquilibre du circuit M. Dupuy et al. cortico-striato-thalamo-corticale serait à l’origine des rituels moteurs [37]. L’idée prévalente serait qu’un rituel moteur volontaire dans un contexte d’anxiété, subirait un déficit d’inhibition ou, à l’inverse, une suractivation liée à ce déséquilibre. Une série d’études met en évidence chez des patients TOC exposés à faire une erreur des perturbations du fonctionnement des régions cérébrales engagées dans la détection des erreurs [38,39]. Cela entraînerait la perception qu’a le patient d’être constamment en situation d’erreur ce qui favoriserait le doute et les comportements compulsifs répétitifs [40]. L’étude de Roth et al. montre un déficit d’inhibition motrice chez les patients TOC allant de pair avec des perturbations des régions cérébrales impliquées dans l’inhibition et le degré de sévérité des symptômes [41]. L’étude de Gu et al. montre un déficit de flexibilité mentale chez des patients TOC associé à des perturbations de l’activité de régions cérébrales impliquées à cette fonction cognitive [42]. Chamberlain et al. mettent en évidence que des parents sains de premier degré de patients TOC ont des perturbations de la flexibilité cognitive et de l’inhibition motrice [43]. Les études neuropsychologiques qui évaluent l’inhibition fournissent des résultats très contrastés probablement pour des raisons de variabilité méthodologique des mesures et des groupes de TOC mixtes. Le plus souvent, elles utilisent l’un des trois paradigmes expérimentaux de mesure de l’inhibition : • la procédure d’effet d’amorçage négatif où le distracteur lors d’un premier essai devient une cible à l’essai suivant avec comme effet une augmentation du temps de réponse pour surpasser le résidu d’inhibition lié à l’essai précédent [44]. McNally et al. montrent un déficit d’inhibition chez les patients TOC (moindre effet d’amorçage négatif) [26] ; • le paradigme de Stroop utilisé dans certaines études plaide en faveur d’un déficit d’inhibition avec un effet plus fort d’interférence chez les patients TOC comparés à des patients présentant un trouble panique [45—47] ; • la tâche de Go/No-Go qui requiert l’inhibition d’une réponse motrice a aussi été largement proposée chez ces patients. Certains résultats montrent un déficit d’inhibition [48]. Les investigations neuropsychologiques sont un apport substantiel à la compréhension des mécanismes qui soustendent l’expression clinique du TOC. Le fait que l’inhibition renvoie à des mécanismes différents et qu’il n’existe pas de tâche pure d’inhibition pourrait expliquer les patterns de résultats de la littérature. Pour les études à venir, les efforts devraient porter d’une part, sur une sélection plus homogène des TOC, d’autre part, sur le choix des outils de mesure de l’inhibition. Références [1] American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental disorder. 4th ed. Washington DC: Washington American Psychiatric Association; 1994. [2] Robins LN, Helzer JE, Weissman MM, et al. Lifetime prevalence of specific psychiatric disorders in three sites. Arch Gen Psychiatry 1984;41(10):949—58. Place de l’inhibition dans le trouble obsessionnel-compulsif 49 [3] Weissman MM, Bland RC, Canno GJ, et al. The cross national epidemiology of obsessive compulsive disorder. The Cross National Group (supplementary). J Clin Psychiatry 1994;55(Suppl.):5—10. [4] Kessler RC, Berglund P, Demler O, et al. Lifetime prevalence and age of onset distributions of DSM-IV disorders in the National Comorbidity Survey Replication. Arch Gen Psychiatry 2005;62(6):593—602. 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