Le site orné de Carroufra - Groupe Archéologique de Carpentras

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Le site orné de Carroufra, un nouveau jalon de l’art schématique
postglaciaire sur le piedmont nord des monts de Vaucluse (Venasque,
Vaucluse).
Thomas Croze
Les Clos Tondus, Les Imberts, 84 220 Gordes.
Parmi les régions françaises, celle du sud-est tient une place prépondérante dans le champ
d’expression graphique post-glaciaire, avec une large représentation de la peinture pariétale
schématique sur près d’une centaine de sites actuellement recensés (Hameau 2007). Secteur
biogéographique déterminant dans l’historicité de l’occupation humaine, cette région, fruit d’une
intense activité géotectonique (plissement pyrénéo-provençal et alpin) offre par la permanence de ses
structures géomorphologiques accusées, des espaces privilégiés d’expression graphique et de sa
persistance au travers du temps. Bien que l’attribution de cette graphie à un âge donné repose encore
sur des relations ténues et complexes, l’étendue du corpus de sites ornés offre aujourd’hui, par une
lecture globale des ressources archéologiques et la cohérence inter-sites des formes picturales, un
possible rapprochement de ces témoignages peints à une occupation humaine située au cours du
Néolithique (Hameau et al. 2001 ; Hameau 2007).
Les monts du Vaucluse ont tenu une place notable dans l’histoire des sociétés néolithiques de la région
qui ont largement investi cet espace ; en témoignent les nombreux sites d’occupation établis à la
faveur des multiples abris offerts par les parois rocheuses calcaires de la périphérie du massif.
Plusieurs d’entre elles recèlent encore des formes d’expressions picturales et en jalonnent le contour :
gorges de la Nesque au nord-est ; Fontaine-de-Vaucluse à l’est ; Joucas au sud… Ces différents jalons
positionnés à l’interface des plaines et du plateau ont pu constituer des points de liaison et
d’intersection dans un réseau préhistorique associant les gisements de silex du plateau et les sites
d’occupations humaines situés en deçà (Croze & Hameau 2015).
C’est sur la commune de Venasque, encartée sur le flanc septentrional du massif, qu’un nouvel abri
peint a été découvert en Décembre 2012 au lieu-dit « Carroufra » (Longitude 5°08’54.3’’E ; Latitude
43°58’26.3’’N). Il prend place en rive droite d’une petite vallée incisée dans les calcaires Burdigalien
qui forme ici un entonnoir évasé et ceinturé par de puissantes parois rocheuses. Ce val dissimulé par
les croupes montueuses aujourd’hui boisées de chêne vert (Quercus ilex), forme un monde à part
entière où se mêlent en étroite accointance plusieurs complexes d’habitats troglodytiques (voir
Dautier, 1999), grottes bergeries et sources discrètement captées. Bien qu’il soit situé en versant nord
du massif, la courbure du val offre une exposition clémente entretenue par les pentes escarpées de la
rive droite qui parent les vents du nord. L’évasement du val offre en position basse des terrains abrités,
peu pentus et profonds, constitués par un colluvionnement fossile et favorables à la mise œuvre de
pratiques agraires. Quelques centaines de mètres à l’aval, un rétrécissement rocheux clos cet ensemble,
la vallée se prolongeant plus étroite et monotone en direction du village du Beaucet.
La barre rocheuse hébergeant le site orné, exposée au sud, souligne l’interface de la croupe et du
versant. Etendue sur près de trois cent mètres en discontinuité, cette frange rupestre cerne et enveloppe
le val en rive droite. Particulièrement développée au niveau du site orné, l’édifice pariétal présente une
architecture complexe et tout à fait singulière par sa composition et sa coloration. Espace monumental
formant une avancée par rapport au reste de la paroi, l’édifice géomorphologique constitue par son
panoptisme une place prépondérante dans la spatialité du val. L’abri rocheux est borné à ses extrémités
par deux puissants piliers à la morphologie tourmentée et sont prolongés en un fronton protecteur qui
forme un auvent d’une dizaine de mètres de hauteur à son extrémité. Le parterre de l’abri est constitué
par une série de banquettes subhorizontales rehaussées et décurrentes par rapport à la base de la paroi,
formant ainsi un balcon perché auquel on accède par une rampe insérée dans le front rocheux. Un mur
en pierre sèche prend assise sur le rebord du balcon. Remarquablement construit mais partiellement
détruit, il s’étend sur toute la longueur de la corniche et vient conforter l’espace abrité. Mur et parois
rocheuses sont dépourvus d’indices permettant de concevoir un type d’occupation plus complexe
(habitation avec plancher, fenêtre…). L’absence d’accumulation de fèces ovins et caprins laisse
supposer qu’il ne s’agissait pas non plus d’une bergerie. Cet espace troglodytique qui a pu être investi
jusqu’au maximum démographique du XIXème, a probablement jouer un rôle (remise, séchoir) pour les
habitants du hameau troglodytique situé une centaine de mètres à l’est (Dautier, 1999).
Trois alcôves cernées par de puissants piliers aux singulières proéminences composent l’architecture
du site orné de Carroufra. L’alcôve centrale condensée en une demi-sphère supporte sur son plafond
l’essentiel de l’expression picturale (Photo : Thomas Croze, Mars 2013)
Le volume intérieur de l’abri est composé par trois renfoncements que l’on découvre successivement
d’ouest en est en pénétrant dans l’abri et en suivant le balcon muré sur sa frange sud. La première
alcôve est la plus vaste, ses parois présentent des variations chromatiques d’un blanc-gris-bleuté en
partie liées aux eaux de percolation qui sourdent en de nombreux points de dissolutions et forment des
bourrelets de calcites et quelques draperies. L’alcôve centrale est la plus réduite, elle forme un volume
harmonieux semi-circulaire pourvue d’un plafond horizontal bas, sorte de niche exhaussée d’un peu
plus d’un mètre par rapport au plancher dont les parois sont dépourvues de suintements actifs ou
fossiles et se doublent d’une pigmentation naturellement chaude orangé, avec quelques plages brunes.
La dernière alcôve, à laquelle on accède par un étroit couloir lié au rétrécissement du balcon,
présentent des parois fissurées aux teintes chaudes, elles aussi dépourvues de suintements.
Les peintures qui ont pu être observées sont localisées sur la paroi de la première alcôve et sur le
plafond de la seconde. Elles sont toutes tracées avec un pigment rouge et présentent une dizaine de
centimètres d’envergure. Dans le premier cas, les concrétions de calcites pourraient recouvrir une
partie des figures. Seules quelques traces relictes persistent en fond du renfoncement avec un trait
vertical et une forme quadrangulaire. Dans le second cas, une quinzaine de figures sont recensées sur
une surface comprise entre un et deux mètres carrés du plafond de l’alcôve. Les figures y occupent
essentiellement les surfaces brunes du plafond qui souffrent ici d’une desquamation locale de la roche
en plaquettes minces semblant avoir entamée partiellement la scène d’expression. Pour autant il est
possible de distinguer plusieurs formes picturales ; parmi lesquelles nous notons deux figures en
« U », l’une d’elle étant associée à une ponctuation ; série de traits rectilignes ; série de traits en
faisceau convergent.
Exemples notables de pictogrammes observés sur le plafond de l’alcôve centrale : figure en « U »
associé à une ponctuation ; série de trait en faisceau convergent (Photos : Sylvain Bernard, Mars 2013)
Le site orné de Carroufra, par sa position manifeste dans le paysage, la teinte dominante chaude
orangée de ses parois mais aussi par la concentration en son sein d’un régime bimodal contrasté
associant ensoleillement et suintement, présente une somme de paramètres naturels intrinsèques qui
semblent être structurants dans le choix d’un site d’ornementation (Hameau 1999). En outre, la
pigmentation et la stylistique des ornementations mais aussi la dimension des figures et leur
réitération, constituent nombre d’analogies avec le corpus iconographique provençal post-glaciaire
connu à ce jour (Hameau 2002) et auquel elles pourraient être ainsi censément affiliées.
Glossaire
Burdigalien : série de calcaires formés par la mer Miocène entre 20 et 15 millions d’années durant
l’ère Tertiaire.
Colluvionnement : dépôts d’éléments descendus des versants.
Décurrent : « qui court le long de ».
Calcite : carbonate naturel de calcium cristallisé, issu de la précipitation au contact de l’air des ions
calciums contenus dans les eaux de dissolution de roche mère calcaire.
Desquamation : enlèvement, chute de minces écailles rocheuses.
Peinture pariétale : expression picturale exécutée sur parois.
Panoptisme : qui permet d’embrasser du regard l’ensemble d’un paysage sans pour autant être vu.
Bibliographie
T. Croze & Ph. Hameau, 2015 – Expression graphique sur le piedmont nord des monts du Vaucluse : le
site de Carroufra (Venasque, Vaucluse). Bulletin Archéologique de Provence, vol. 36, à paraître.
A.Y. Dautier, 1999 – Trous de mémoire : troglodytes du Lubéron et du plateau de Vaucluse. Mane-Apt,
Les Alpes de Lumières / Parc Naturel Régional du Luberon, 168 p.
Ph.Hameau, 1999 - Héliotropisme et hygrophilie des abris à peintures schématiques du sud de la
France. L’Anthropologie, vol. 103 : 617-631.
Ph. Hameau, V. Cruz, E. Laval, C. Vignaud et M. Menu, 2001- Les peintures postglaciaires du sud de
la France : recette picturales. Anthropologie (Paris), vol. 105 : 611-626.
Ph. Hameau, 2002 – Passage, transformation et art schématique : l’exemple des peintures néolithiques
du sud de la France. British Archeological Reports, vol. 1044, 280p. 204 fig.
Ph. Hameau 2007 – Espaces de réclusion et de rassemblement et expression graphique au Néolithique.
L’Anthropologie, vol. 111 : 721-751.
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