Référence : Magnan A., 2014. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique : éléments de réflexion pour les sciences sociales. In Monaco A., Prouzet P. (dir.), Risques côtiers et adaptations des sociétés, ISTE Editions, pp. 241-274. Chapitre 7 De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique : éléments de réflexion pour les sciences sociales Alexandre Magnan (Iddri) Introduction générale Ce texte n’a pas vocation à dresser un état de l’art exhaustif des travaux scientifiques traitant des questions de vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique. Son objectif est de proposer une approche globale de ces deux concepts qui permette à des chercheurs en sciences sociales, confirmés ou débutants et relevant de diverses disciplines, de développer des travaux de terrain et fassent progresser la connaissance. De sorte à clarifier ce que vulnérabilité et adaptation signifient, et à en expliciter les principaux enjeux, ce texte développe quatre sections. La figure 7.1 les 2 Risques côtiers et adaptations des sociétés rassemble, avec en fil conducteur la progression des mécanismes de la vulnérabilité à ceux de l’adaptation. Figure 7.1. La structure générale du chapitre La première section (7.1), outre qu’elle présente brièvement l’origine du concept de vulnérabilité, explique en quoi la vulnérabilité d’une société réside dans les multiples croisements entre, d’une part, la nature, les temporalités et l’ampleur des perturbations naturelles et, d’autre part, la nature, les temporalités et des spatialités du territoire. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 3 Sur ces bases, la section 7.2 développe l’hypothèse selon laquelle la vulnérabilité actuelle prend racine dans les caractéristiques historiques du façonnement de la société et de son territoire. Cette section propose en ce sens une approche globale et systémique de la vulnérabilité à travers six grands facteurs d’influence : la configuration spatiale, la sensibilité des écosystèmes, la cohésion de la société, la diversification des activités économiques et de subsistance, l’organisation politique et institutionnelle, et les conditions de vie. La troisième section (7.3) dresse ensuite un pont entre vulnérabilité et adaptation au changement climatique. Elle montre en premier lieu que ces deux concepts s’alimentent l’un l’autre : s’adapter permet de réduire la vulnérabilité, et réduire la vulnérabilité favorise l’aptitude à s’adapter. Si bien que le niveau de vulnérabilité comme les formes de l’adaptation sont par nature évolutifs. Il s’agit donc de concepts dynamiques. La section entre alors dans le détail du concept d’adaptation pour en identifier trois dimensions principales (processus, état, stratégie). Enfin, la dernière section (7.4) propose de passer du cadre théorique précédent à un cadre d’action. Elle discute alors de l’intérêt du principe de flexibilité comme caractéristique fondamentale d’une société pour que celle-ci puisse dépasser les barrières posées par l’incertitude sur les impacts locaux du changement climatique. Deux piliers-clés sont mis en avant : l’anticipation et la résilience. 7.1. Autour du concept de vulnérabilité Les relations entre les différents concepts de risque, de vulnérabilité, d’aléa et de territoire sont suffisamment complexes pour que l’on s’y attarde un peu. Si les aléas liés au changement climatique auront une place privilégiée ici, d’autres phénomènes non liés aux conditions météo-marines (par ex. les tremblements de terre) seront ponctuellement invoqués, de sorte à montrer les multiples dimensions du risque et de la vulnérabilité. Les premiers intéressés par le risque ont été les naturalistes en raison de la nature même des aléas (éruptions volcaniques, tremblements de terre, cyclones, etc.). Puis progressivement, d’autres scientifiques se sont ouverts aux aspects humains des catastrophes. La multiplication des analyses a introduit l’idée qu’il existait une différence terminologique entre risque et catastrophe, le premier terme faisant référence à la survenue probable d’un aléa, le second à ses conséquences réelles sur le système (Blaikie et al 1994, Dauphiné 2001, Veyret et al 2007). Cela a conduit à élargir les réflexions aux facteurs du risque (Beck 2001, Cardona 2004), posant ainsi les fondements nécessaires à l’émergence de la notion de vulnérabilité. Celle-ci a dans un premier temps été définie comme un simple degré d’exposition au risque, 4 Risques côtiers et adaptations des sociétés puis elle a progressivement gagné ses lettres de noblesse pour devenir un concept scientifique à part entière (Bankoff et al 2004, Adger 2006). 7.1.1. L’évolution des conceptions de la vulnérabilité Sur ces bases, deux conceptions principales du risque, et indirectement de la vulnérabilité, se sont affirmées entre les décennies 1950 et 1980, qui ont finalement favorisé l’émergence d’une troisième, aujourd’hui la plus aboutie. Il y a eu ensuite une prise de conscience progressive de l’importance des interactions qui s’établissent entre les hommes et l’espace qu’ils occupent (Fraser et al 2003, Hilhorst 2004, Reghezza 2006). Ces interactions ne sont pas simplement de l’ordre de l’exploitation des ressources naturelles. Elles vont bien au-delà au travers du rapport historique et identitaire aux lieux et, par conséquent, du rôle des caractéristiques de l’espace sur les dynamiques et les attitudes des sociétés (Diamond 2000). Dépasser la dichotomie Hommes/Milieu a introduit davantage de complexité dans l’approche des phénomènes naturels et de leurs conséquences sur les sociétés (Bankoff et al 2004, O’Brien et al 2004). Sur le plan épistémologique, l’évolution a consisté en un renversement du rapport de domination entre Nature et Société dans l’explication de la survenue d’une catastrophe, ce que nous pouvons montrer en repartant des trois paradigmes (physique, structurel, complexe1) développés par D. Hilhorst (2004). L’approche du paradigme physique a émergé dans les années 1950. Elle reposait sur l’idée que les causes d’une catastrophe étaient avant tout à rechercher dans les caractéristiques physiques de la perturbation et du processus d’impact. Les sciences dures (géologie, climatologie, etc.) dominaient alors le champ de l’étude des perturbations naturelles et la nature des sociétés comme facteur explicatif n’intervenait que de manière marginale. Le rôle des sciences sociales était relégué à l’identification des comportements des individus face au risque et à la catastrophe (analyse a posteriori). C’était donc ignorer le rôle des caractéristiques intrinsèques de la société dans l’explication de la survenue d’une catastrophe. Une telle idée a pris de l’ampleur dans les années 1980 au travers de travaux d’anthropologues, de géographes et de sociologues. L’on est passé d’une démarche « aléa-centrée » à un courant de pensée structuré autour du paradigme structurel, avec comme idée centrale que les catastrophes ne résultent pas en premier lieu de processus géographiques2 (Hilhorst 2004 : 53, citant K. Hewitt3). Le rôle de la pauvreté était 1 D. Hilhorst parle behavioural paradigm, du structural paradigm et du complexity paradigm. 2 Dans l’ensemble de ce texte, les citations en anglais ont été traduites en français par l’auteur et les versions originales figurent en notes de bas de page. Ici, D. Hilhorst écrit : Disasters were not primarily the outcome of geographical processes. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 5 notamment évoqué et, à travers lui, les processus sociaux et économiques. Ainsi la dimension socioculturelle de la vulnérabilité aux risques naturels émergea-t-elle, imposant une distinction entre processus physiques (aléa) et humains (vulnérabilité). La formule désormais classique « Risque = Aléa x Vulnérabilité » est d’ailleurs née de cette évolution conceptuelle. Cette stricte séparation entre processus physiques et humains s’est cependant révélée insatisfaisante en ce sens qu’elle ne permettait pas de comprendre pourquoi divers groupes d’une même population subissaient différemment les impacts d’une même perturbation, autrement dit pourquoi ils présentaient des degrés de vulnérabilité variables. Une troisième conception s’est donc manifestée dès les années 1990, donnant naissance au paradigme complexe ou paradigme de la réciprocité4. Il s’agissait alors de mettre en avant la mutualité des processus physiques et humains, rappelant que si l’aléa exerce une influence directe sur le fonctionnement de la société, les activités humaines ont en retour un impact sur la probabilité qu’un aléa se déclenche, autrement dit sur la survenue d’une catastrophe. À une échelle locale, ce principe de réciprocité est particulièrement évident lorsqu’on s’intéresse à la question de l’érosion côtière : si la lutte contre ce phénomène, qui est avant tout inhérent à une pénurie naturelle en sédiments, passe par l’implantation sur le trait de côte d’épis et de murs de protection, cela a pour effet pervers d’accentuer à moyen terme les difficultés de maintien du sable, et donc de renforcer le problème initial d’érosion. À une échelle planétaire, les activités humaines tendent à renforcer la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ce qui a pour conséquence une augmentation des températures terrestres et des eaux marines de surface, d’une part, et une accélération de la fonte des glaciers, d’autre part. Or, ces phénomènes se combinent pour expliquer l’élévation du niveau de la mer. Ces deux exemples montrent bien que processus physiques (les aléas) et humains s’influencent plus encore qu’ils ne se rencontrent simplement à un moment précis, celui de la perturbation (Blaikie et al 1994). Si le paradigme de la réciprocité a indéniablement fait avancer les réflexions sur les concepts de risque et de vulnérabilité, il a en même temps considérablement compliqué l’identification de stratégies pragmatiques de réduction des risques (Wisner 2004). D’abord parce qu’il a accru le nombre de variables à considérer (de surcroît des variables de natures différentes), ensuite parce qu’il a imposé de tenir compte à la fois des interactions entre ces variables et de leurs temps de latence respectifs. En effet, si les impacts d’une perturbation sont en premier lieu directs (pertes humaines, dégradations diverses, ruptures des réseaux, etc.), ils peuvent également s’étaler dans le temps suivant le principe des dominos (Dauphiné et Provitolo 2007, 3 Hewitt K., 1983. Interpretation of calamity from the viewpoint of human ecology. Landmark publication. 4 « Mutuality paradigm » en anglais. 6 Risques côtiers et adaptations des sociétés Provitolo 2007), allongeant ainsi la « durée de vie » d’une catastrophe. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte du changement climatique, qui oblige à prendre en compte le temps long (risques graduels et incertitude associée). En resserrant l’échelle de temps, on constate que la vulnérabilité du territoire joue un grand rôle dans l’enchaînement des conséquences d’une catastrophe, car la nature propre de cette vulnérabilité est double : elle a trait d’abord à la fragilité (environnementale et/ou humaine) d’un système face à une perturbation, mais aussi à la capacité de ce dernier à absorber la crise et à retrouver un équilibre (on parle de résilience). Schématiquement, la fragilité explique les impacts les plus directs, et la résilience ceux qui interviennent par effet dominos. Or, comment analyser cette résilience sans intégrer dans les réflexions les multiples interactions entre les composantes de la société, d’une part, et entre la société et son environnement, d’autre part ? Ce questionnement fonde la pertinence du paradigme de la réciprocité, qui impose finalement d’adopter une vision dynamique de la relation homme/milieu, donc du risque, de la vulnérabilité et de l’aléa. En termes d’analyse, cela suppose de tenir compte du fait que la vulnérabilité résulte à la fois d’influences endogènes et exogènes (Füssel & Klein 2006), ce que ne laissait que peu entendre le paradigme structurel, et aussi que le niveau de vulnérabilité peut évoluer dans le temps. Une définition assez aboutie de la vulnérabilité a inauguré l’entrée dans le XXIe siècle, au travers d’un consensus entre des chercheurs du monde entier réunis dans le cadre du GIEC5 autour de la problématique du changement climatique. Faisant expressément référence à l’interface Homme/Nature et aux relations entre les hommes, le rapport de 2001 du GIEC entendait donc par vulnérabilité le degré par lequel un système risque de subir ou d’être affecté négativement par les effets néfastes des changements climatiques, y compris la variabilité climatique et les phénomènes extrêmes. La vulnérabilité dépend du caractère, de l’ampleur et du rythme des changements climatiques auxquels un système est exposé, ainsi que de sa sensibilité et de sa capacité d’adaptation6. Si cette définition présente encore quelques ambiguïtés (Brooks 2003, Magnan 2012), preuve de la complexité du champ thématique, elle a le mérite de caractériser indirectement la vulnérabilité par une triple dimension : caractère, ampleur et rythme. 5 Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, en anglais Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) – www.ipcc.ch. 6 Vulnerability is the degree to which a system is susceptible to, and unable to cope with, adverse effects of climate change, including climate variability and extremes. Vulnerability is a function of the character, magnitude, and rate of climate change and variation to which a system is exposed, its sensitivity, and its adaptive capacity. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 7 7.1.2. Perturbation, territoire et vulnérabilité Il est fondamental à ce stade de comprendre comment les notions de perturbation7 (les aléas) et de territoire s’imbriquent pour exprimer une vulnérabilité. On peut alors décrire la perturbation et le territoire suivant la triple dimension exprimée par le GIEC (caractère, ampleur et rythme), et ainsi montrer les croisements qui définissent la vulnérabilité (cf infra figure 7.3). Le tableau 7.1 montre l’équivalence des termes utilisés ci-après. GIEC Définition classique de l’aléa/événement/perturbation Équivalence de termes dans ce texte Perturbation Territoire Caractère Nature Nature Nature Rythme Fréquence Temporalités Temporalités Ampleur Intensité, lieu Ampleur Spatialités Tableau 7.1. Équivalence des termes employés dans la démonstration ci-après (à mettre en parallèle avec la figure 7.3) Perturbation La nature de la perturbation est souvent très complexe. Si celle-ci prend source en un milieu particulier, sa traduction en processus physique (vents, houles, mouvements de terrain, etc.) peut se réaliser au sein de l’une ou de plusieurs des trois grandes sphères air/terre/mer. C’est le cas des cyclones qui prennent naissance au-dessus de l’océan et génèrent, sur les côtes, à la fois des vents violents, de fortes houles et des pluies intenses. Le volcanisme également peut à la fois combiner des coulées de lave, des nuées ardentes et des glissements de terrain. Ainsi, au-delà de la nature originelle de la perturbation (le cyclone, l’éruption volcanique), ce sont surtout des effets d’enchaînement de processus physiques qu’il convient de considérer pour expliquer la transformation d’un aléa originel en de multiples aléas secondaires d’un point de vue séquentiel. La nécessité de cette approche 7 Nous préfèrerons ici le terme de perturbation à celui d’aléa, car il est plus aisé à appréhender pour la majorité des sciences sociales qui, en dehors de la géographie, n’ont pas de formation spécifique aux mécanismes physiques qui génèrent l’aléa. Ainsi, il nous semble plus approprié pour permettre aux sciences sociales d’intégrer à la fois les changements environnementaux ponctuels et graduels, et donc de prendre en compte les combinaisons d’aléas et de risques. 8 Risques côtiers et adaptations des sociétés combinatoire est encore plus prégnante lorsque l’on considère les effets du changement climatique : l’accroissement des températures, par exemple, se traduit sur le temps long par une accélération de la fonte des glaciers et une augmentation du volume de la masse océanique (processus de dilatation thermique), soit par une élévation du niveau de la mer qui, associée à d’autres processus, conduit à l’exacerbation d’événements extrêmes (par ex., les tempêtes) et à des changements environnementaux plus lents (par ex., salinisation des nappes phréatiques et des sols). L’enjeu face au changement climatique est donc d’arriver à prendre en compte l’ensemble des modifications des processus naturels. Cela explique le choix de parler ici de perturbations au sens très large du terme, en englobant à la fois les processus et leurs manifestations ponctuelles (les aléas). Sur le plan des temporalités, la perturbation peut être circonscrite dans le temps (orages violents, inondations ou encore feux de forêt) ou bien diffuse, graduelle. La question du changement climatique combine ces deux mécanismes puisque la possibilité d’exacerbation et d’intensification d’événements ponctuels plus ou moins récurrents (sécheresses, vagues de chaleur, cyclones, etc.) annonce des changements graduels, tant en termes de conditions (températures, courants, précipitations, etc.) que de ressources (eau, poissons, etc.). Le changement climatique renvoie dès lors à une modification potentiellement profonde des milieux naturels et, indirectement, des cadres de développement des sociétés humaines. Cela introduit un autre élément important : les temporalités de certaines perturbations peuvent être complexes, à michemin entre ponctuel et graduel. C’est typiquement le cas des sécheresses dont les incidences peuvent varier de quelques jours à plusieurs mois, voire des années, et qui peuvent résulter d’une pénurie d’eau latente révélée à un moment donné par un déficit en précipitations, par des températures plus élevées qu’à la normale et/ou par des problèmes de surconsommation. Les temporalités (pas de temps et rythmes) influent sur la nature et sur l’ampleur des impacts, et donc sur les formes de vulnérabilité. Sur cette base, N. Brooks (2003) proposait une classification des perturbations en trois catégories. Celle des perturbations ponctuelles récurrentes8, d’abord, regroupant des perturbations brèves mais qui se répètent dans le temps, avec plus ou moins de fréquence. Les tempêtes, les sécheresses ou les inondations entrent typiquement dans cette catégorie. Ces perturbations sont aujourd’hui relativement bien connues, car de nombreux travaux scientifiques se sont attachés à des études de cas et à l’analyse des divers impacts. La deuxième catégorie, celle des perturbations graduelles9, renvoie à des phénomènes continus tels l’augmentation des températures moyennes à la surface de la terre, l’élévation du niveau de la mer ou encore la désertification. Les sociétés modernes sont plus démunies face à ces perturbations, car si des solutions 8 « Discrete recurrent hazards ». 9 « Continuous hazards ». De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 9 techniques peuvent exister pour prévenir les perturbations ponctuelles10, l’approche des risques graduels impose des évolutions de comportements et des choix de développement profonds, qui eux-mêmes supposent une projection sur le long terme (Magnan 2013). C’est d’ailleurs ce qui explique les principales inquiétudes relatives au changement climatique. Enfin, la troisième catégorie est celle des perturbations ponctuelles isolées11, soit des phénomènes qui interviennent de manière ponctuelle mais non récurrente, et de manière brutale ou progressive. Leur identification dépend alors de l’échelle de temps considérée : un stress climatique12 ou un changement dans la circulation des courants océaniques, par exemple. Bien sûr, on est ici à la limite des deux catégories précédentes, mais cela permet de renforcer l’idée suivant laquelle un risque, et donc un niveau de vulnérabilité, s’appréhendent différemment selon le pas de temps considéré. Enfin, la perturbation se définit par son ampleur, c’est-à-dire son emprise dans l’espace. Le tsunami de Sumatra (décembre 2004) s’est par exemple fait sentir jusque sur les côtes orientales de l’Afrique, soit à plusieurs milliers de kilomètres de sa source. À l’inverse, d’autres phénomènes peuvent être extrêmement localisés tels les incendies ou les phénomènes de submersion marine. L’élévation attendue du niveau de la mer ou encore le réchauffement global sont de par leurs conséquences des problèmes d’ordre planétaire, même s’ils n’agiront pas partout de la même manière. L’intérêt de prendre en compte la (les) spatialité(s) de la perturbation est donc double. Il réside d’abord en la compréhension et l’identification des processus et des impacts potentiels, notamment à travers la cartographie de zones d’exposition ; ensuite en l’identification des mesures adéquates à prendre pour limiter le risque. L’une des grandes questions soulevées par le tsunami de décembre 2004 a concerné la mise en place d’un système d’alerte commun à l’ensemble de l’océan Indien, sachant que dans un pays comme les Maldives, dont près de 90 % des 298 km2 de terres émergées se trouvent à moins de 1 m d’altitude, les solutions locales d’anticipation sont modestes13. En revanche, la gestion des crues, par exemple, ne requiert souvent pas de solutions techniques d’envergure internationale, et leur régulation en appelle à une échelle locale (système de prévention et d’aide) à nationale (systèmes d’assurance, par exemple). L’enjeu qu’impose le changement climatique consiste, au travers des stratégies d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation, dont un but commun est de limiter la survenue de catastrophes, à mêler les échelles internationales, nationales et locales. 10 Solutions qui sont d’ailleurs souvent onéreuses, dont l’efficacité est variable et qui ne relèvent pas que d’aspects techniques (acceptabilité sociale, par exemple). 11 « Discrete singular hazards ». 12 On entre là dans la distinction entre variabilité climatique et changement climatique. 13 Ce qui n’empêche pas le pays de tenter de mettre en place aujourd’hui des solutions innovantes (Duvat et Magnan 2012). 10 Risques côtiers et adaptations des sociétés Territoire Le territoire répond lui aussi à la triple dimension nature, temporalités et spatialités. Sa nature lui confère des caractéristiques spécifiques qui ont trait tant à sa configuration spatiale, exprimée en termes de potentialités/contraintes, qu’à la société qu’il abrite et qui définit des stratégies d’exploitation de ces potentialités/contraintes originelles. Une vaste surface continentale constituée de grandes plaines parcourues de manière homogène par de nombreux cours d’eau n’offre à l’évidence pas les mêmes potentialités de développement agricole qu’un archipel océanique ou qu’une île sèche de Méditerranée. De même que deux espaces aux configurations spatiales comparables peuvent ne présenter ni les mêmes axes de développement (tourisme plutôt qu’agriculture, par exemple), ni les mêmes niveaux de développement, et ce du fait de différences en matière d’héritages historiques, de choix politiques ou encore de niveaux d’échanges avec d’autres espaces (Diamond 2006). Parallèlement, un territoire, même s’il se définit avant tout comme le produit des liens systémiques entre une communauté et un espace (Di Méo 1991, Collignon 1999), est constitué d’une multitude de territoires de hiérarchies inférieures, d’une mosaïque d’espaces eux-mêmes fonctionnant comme des micro-territoires. À tel point qu’il est extrêmement difficile de délimiter un territoire, car quelle que soit sa taille, un système est toujours à la fois composé de sous-systèmes et englobé par un système d’échelon supérieur (Péguy 1996). Ainsi les spatialités du territoire sontelles multiples (figure 7.2). De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 11 Figure 7.2. Les spatialités du territoire Enfin, les caractéristiques propres du lieu confrontées à l’identité du groupe qui l’occupe, ainsi que les interactions qui s’établissent entre ce territoire spatialement circonscrit et ses voisins, définissent les manières dont ce dernier s’est édifié et évolue. On entre ici dans une logique de processus, donc dans une dimension de temporalités. Celle-ci est fondamentale pour bien appréhender le territoire, dont les potentialités et contraintes actuelles résultent d’évolutions socioculturelles, économiques, politiques et environnementales plus ou moins récentes et rapides. Le présent s’enracinant dans l’histoire, la vulnérabilité d’un territoire confronté un moment donné à une perturbation recèle elle-même toute cette profondeur temporelle, de la même manière qu’elle varie d’une échelle de lecture à une autre et qu’elle dépend des caractéristiques propres tant au phénomène perturbant qu’au territoire. La vulnérabilité, point de rencontre entre la perturbation et le territoire En confrontant les trois dimensions de la perturbation, d’une part, et du territoire, d’autre part, une conclusion s’impose : le rapport entre les atouts et les contraintes d’un territoire soumis à une perturbation naturelle, rapport qui explique l’ampleur et la nature des impacts, dépend intrinsèquement des relations qu’entretiennent ces six 12 Risques côtiers et adaptations des sociétés variables (figure 7.3). L’ampleur de la perturbation, par exemple, influe sur les temporalités du territoire car elle se traduit par une surface d’impact plus ou moins grande, qui englobe de fait plus ou moins de zones abritant une activité économique. Cela se répercute sur les rythmes du processus de développement. À titre d’exemple, rappelons que bien que l’intensité de l’onde de tsunami ait été plus forte en Inde et au Sri Lanka qu’aux Maldives, les répercussions économiques de la catastrophe de 2004 ont proportionnellement été moins lourdes de conséquences dans ces deux premiers pays que dans l’archipel maldivien (Cosaert 2005, Landy 2005). À cela, une double raison : l’Inde et le Sri Lanka présentent une moindre part de linéaire côtier14, donc a priori et toutes proportions gardées, moins de surface d’exposition ; mais surtout, d’une part les activités qui constituent le cœur de leurs économies n’étaient pas localisées dans les zones côtières dévastées, d’autre part ces pays étaient en phase de relativement forte croissance économique. Aux Maldives, en revanche, le tourisme est exclusivement balnéaire et il contribue au tiers du PNB et aux trois-quarts des entrées de devises étrangères. À une échelle plus fine, toutes les îles maldiviennes n’ont pas réagi de la même manière à l’onde de tsunami et en termes de dégâts et d’évacuation de population, les contrastes ont pu être très forts entre des îles distantes pourtant de moins d’un kilomètre (Magnan, 2006). Le niveau de vulnérabilité varie donc dans l’espace, parfois à des échelles très fines. Figure 7.3. Les spatialités du territoire Sur un autre plan, les temporalités de la perturbation jouent sur celles du territoire, plus exactement sur la planification territoriale. En effet, la perturbation se traduit en une menace qui est soit concentrée dans le temps, soit graduelle, donc qui est plus ou moins pressante en matière de réduction des risques et d’aménagement du territoire. Cela peut amener une société à s’implanter sur des côtes protégées des tempêtes récurrentes, mais localisée dans une région qui sera soumise, à l’échelle de 14 Rapport de la longueur de côtes (en km) sur la superficie totale du pays (en km2). De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 13 quelques décennies, à un problème d’épuisement de la nappe phréatique, mal alimentée en raison d’un régime hydrologique déficitaire. Ici, le risque du temps court a davantage d’impact en termes de politique publique que celui du temps long. Le cas de l’implantation de nouveaux pôles touristiques sur les côtes méditerranéennes offre un exemple typique de la faible prise en compte du temps long par les aménageurs et opérateurs économiques, alors même que le changement climatique, en l’état actuel des connaissances et en tenant compte du poids des facteurs locaux dans les évolutions régionales (échelle de la Méditerranée), soulève a priori à la fois des contraintes et des opportunités (Perry 2001). En Tunisie, par exemple, un projet touristique (15 hôtels, un golf, une marina) vise le comblement partiel d’une lagune (Lella Hadhria) sur la partie est de l’île de Djerba, alors même que le cordon sableux qui la sépare de la mer présente des dimensions modestes (quelques mètres de hauteur, au mieux 250 m de large) et que l’érosion côtière est fort active sur cette portion de côte (Paskoff 1985, Oueslati 2004). Or, selon l’évolution des courants côtiers, de l’élévation du niveau de la mer et de ses effets dérivés, ce phénomène d’érosion risque de s’intensifier dans les décennies futures. Pourquoi donc ne pas avoir imaginé ce projet sur les pentes (très faibles) à l’ouest direct de cette lagune, ce qui aurait à l’évidence permis non seulement de s’affranchir du risque d’érosion et des coûts qu’il implique, mais également de proposer à la future clientèle un paysage remarquable (cordon bas piqueté de palmiers, entourés d’une eau rose à bleutée) ? Si l’une des raisons aurait pu être une très forte probabilité de réduction des ressources hydriques de cette zone pentue – avec par exemple des problèmes induits d’instabilité des sols –, des enquêtes de terrain15 ont montré qu’un tel scénario n’a même pas été envisagé et que plus largement, les aménageurs ont une vision sélective des enjeux à prendre en compte sur les moyen et long termes. Ainsi, les problèmes potentiels relatifs à la montée des eaux ou encore aux pénuries d’eau, aux vagues de chaleur ou à une évolution des modes de consommation touristique en Europe ne sont guère pris en compte. D’une manière générale, la préoccupation du changement climatique a du mal à s’imposer et les décisions de planification se structurent autour de problèmes jugés plus immédiats (développement économique, par exemple). Les risques graduels semblent donc être des moteurs moins forts en termes de décisions publiques et privées, individuelles et collectives, que ne le sont les risques ponctuels. On retiendra donc à ce stade que ce sont ces liens entre nature, temporalités et ampleur/spatialités de la perturbation et du territoire qui expliquent la vulnérabilité. En ce sens, l’adoption par le GIEC d’une définition globale de la vulnérabilité constitue un pas en avant fondamental. 15 Réalisées en juillet 2009. 14 Risques côtiers et adaptations des sociétés 7.2. Pour une approche globale et systémique de la vulnérabilité au changement climatique Le changement climatique n’est assurément pas le seul facteur de modification des conditions futures. Le tsunami du Japon en mars 2011 rappelle que ce ne sont pas seulement les risques d’ordre météo-marins qui sont à considérer, mais les risques naturels en général, et leurs combinaisons potentielles. D’autre part, le changement climatique va en grande partie essentiellement exacerber des pressions qui existent déjà aujourd’hui, telles les difficultés d’accès à une eau de qualité ou la dégradation des écosystèmes forestiers, par exemple. Un tel constat impose de chercher à décloisonner une approche du risque qui tend encore aujourd’hui à diviser les spécialistes des risques naturels et les spécialistes des impacts du changement climatique. Ces deux communautés scientifiques utilisent d’ailleurs des mots différents pour traiter de questions somme toute assez similaires dans leurs grandes lignes. Le schéma de pensée que nous proposons ici a pour vocation non pas de nous positionner dans l’une de ces deux communautés, mais plutôt de tenter de émerger une vision commune des grands facteurs qui influencent la vulnérabilité d’un territoire, d’un système. Ces grands facteurs ainsi que leurs interactions constituent en effet des pistes de recherche fédératrices et qui invitent au développement de recherches transdisciplinaires en sciences sociales. 7.2.1. De la vulnérabilité aux changements environnementaux en général Ce que dit le GIEC de la vulnérabilité au changement climatique L’on tire de la définition de la vulnérabilité au changement climatique par le GIEC (cf. supra) que celle-ci dépend de trois grandes composantes : l’exposition, la sensibilité et la capacité d’adaptation. Le GIEC fournit également des définitions pour ces trois composantes. L’exposition caractérise la nature et le degré auxquels un système est soumis à des variations climatiques significatives16. La sensibilité est le degré d’affectation positive ou négative d’un système par des stimuli liés au climat [et dont] l’effet peut être direct (modification d’un rendement agricole en réponse à une variation de la moyenne, de la fourchette, ou de la variabilité de température, par exemple) ou indirect (dommages causés par une augmentation de la fréquence des inondations côtières en raison de l’élévation du niveau de la mer, par exemple)17. Enfin, la capacité d’adaptation représente la capacité d’ajustement 16 The nature and degree to which a system is exposed to significant climatic variations. 17 The degree to which a system is affected, either adversely or beneficially, by climate- related stimuli. The effect may be direct (e.g., a change in crop yield in response to a change in the mean, range, or variability of temperature) or indirect (e.g., damages caused by an increase in the frequency of coastal flooding due to sea-level rise). De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 15 face aux changements climatiques (y compris à la variabilité climatique et aux extrêmes climatiques)18. Or, dans les approches classiques du risque, la vulnérabilité est une fonction de l’aléa et de l’exposition du système à cet aléa. Les notions de sensibilité comme de capacité d’adaptation ne sont pas évoquées explicitement, bien qu’elles constituent implicitement des éléments de l’analyse. Ainsi, les spécialistes de la résilience vont par exemple avoir tendance à parler de la capacité de réponse d’un système (coping capacity), quand les spécialistes de l’adaptation au changement climatique vont parler de capacité d’adaptation (adaptive capacity). Le fait est que ces deux notions renvoient schématiquement à des conceptions comparables de l’aptitude (ou non) d’un système à la fois à répondre à un aléa et à anticiper les suivants. Il nous semble donc qu’une approche « simplifiée », c’est-à-dire qui n’entre pas dans les débats conceptuels opposant spécialistes du risque et spécialistes du changement climatique, a sa place. « Simplifiée » ne signifie cependant pas « simplificatrice » en ce sens qu’elle ne néglige aucunement l’exigence de profondeur d’analyse que requiert l’étude de la vulnérabilité. Or, cette profondeur d’analyse se justifie par le fait que la vulnérabilité d’un système, actuelle comme future, s’enracine en fait dans une certaine épaisseur temporelle. Des racines de la société aux conditions de vie actuelles Blaikie, Cannon, Davis et Wisner ont développé au début des années 1990 le modèle dit des « pressions et relâchements » (Pressure and Release en anglais, le PAR Model, figure 7.4). L’idée de base repose sur le constat qu’une catastrophe se situe à l’intersection de deux forces opposées : les processus qui génèrent la vulnérabilité, d’une part, et l’exposition physique aux aléas, d’autre part19 (1994: 22). Leur travail présente essentiellement l’intérêt d’avoir développé une lecture de la vulnérabilité enracinée dans les fondements intimes de la société considérée. Les facteurs humains qui expliquent les fragilités d’un groupe relèvent de trois dimensions originelles, ce qui incite le scientifique à ancrer son analyse dans les valeurs fondamentales de cette société. 18 The ability of a system to adjust to climate change (including climate variability and extremes). 19 (…) a disaster is the intersection of two opposing forces: those processes generating vulnerability on one side, and physical exposure to a hazard on the other. 16 Risques côtiers et adaptations des sociétés Figure 7.4. Le Pressure and Release Model, ou les forces et faiblesses sous-jacentes du système (d’après Blaikie et al 1994). De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 17 La première dimension renvoie aux caractéristiques du système humain au moment où la perturbation survient. Cette dernière peut en effet révéler des dysfonctionnements latents au niveau des réseaux d’électrification et/ou de communication, une certaine fragilisation du milieu par les activités humaines, une instabilité économique et/ou politique, un creusement des écarts sociaux, etc. Inversement, les conditions préalables à la perturbation peuvent conférer au système une relative solidité/stabilité qui lui permet de mieux résister à la crise. Ces caractéristiques de surface (par opposition aux causes plus profondes, cf. infra) sont à l’interface directe de l’événement, la confrontation expliquant le déclenchement d’une catastrophe et son ampleur. Mais si des effets dominos jouent et si l’étalement de la catastrophe dans le temps dépasse la simple confrontation système/événement, c’est que d’autres logiques sous-tendent les caractéristiques de surface. Ces logiques renvoient à la deuxième dimension du PAR Model, celle des pressions dynamiques20 dans le vocabulaire de Blaikie, Cannon, Davis et Wisner. Il n’est plus fait référence à ce stade à un état statique, mais à des évolutions. La prise en compte des dynamiques environnementales, socioculturelles, politicoinstitutionnelles et économiques impose à l’analyse de voir les caractéristiques de surface comme le résultat de multiples évolutions. Cela sous-entend que la vulnérabilité qui caractérise ce système s’est elle-même construite dans le temps, et donc que tenter de la réduire (en améliorant la gestion des crises ou en les anticipant) suppose un travail de fond sur le fonctionnement même du système, et pas seulement des réajustements de surface. Typiquement, il s’agit davantage de repenser la relation aux espaces littoraux plutôt que de simplement lutter contre l’érosion ou la submersion, phénomènes qui peuvent alors être vus comme des éléments d’un puzzle plus complexe. Ici, l’émergence d’une catastrophe s’enracine au-delà de la simple interface système/perturbation, dépassant d’ailleurs le cadre du passé proche (qui explique les caractéristiques actuelles du système) pour remonter les échelles temporelles jusqu’à un passé moins récent. On passe schématiquement de l’échelle de la décennie à celle du siècle. La thématique du changement climatique invite à cette profondeur temporelle puisqu’elle suppose des évolutions de comportements et des changements dans les modes de développement. Elle constitue en ce sens une véritable opportunité scientifique pour sonder et partiellement réinventer les trajectoires de développement des sociétés. Une troisième dimension apparaît donc dans le PAR Model, plus enracinée encore dans les temps lointains et qui renvoie aux causes profondes21. L’échelle de temps, séculaire à pluriséculaire, renvoie cette fois-ci aux valeurs fondamentales sur lesquelles s’est édifiée la société : organisation hiérarchique, répartition du pouvoir, rapport aux ressources naturelles, système de croyances, orientations économiques, 20 « Dynamic pressures ». 21 « Root causes ». 18 Risques côtiers et adaptations des sociétés etc. Ce sont ces schémas ancestraux qui, via le canal du temps et des pressions dynamiques, sont à l’origine des choix de fonctionnement récents du groupe et, par voie de fait, de sa vulnérabilité au risque. Cette conception multidimensionnelle de la vulnérabilité d’un territoire nous amène à proposer une analyse des facteurs qui influencent cette vulnérabilité, soit qu’ils l’atténuent, soit qu’ils la renforcent. L’objectif est alors double : rendre compte de la complexité de la vulnérabilité et proposer un cadre conceptuel. Six familles principales de facteurs peuvent ainsi être distinguées qui recoupent à la fois les trois dimensions du PAR Model (causes profondes, dynamiques et de surface) et celles évoquées dans la définition du GIEC (exposition, sensibilité et capacité d’adaptation). 7.2.2. Les six grands facteurs d’influence de la vulnérabilité Que l’on cherche à appréhender la vulnérabilité aux risques naturels en général ou au changement climatique, une conclusion s’impose rapidement : la vulnérabilité dépend à la fois de multiples paramètres (environnementaux, économiques, socioculturels et/ou politico-institutionnels) et de leurs combinaisons (Bankoff 2001, Becerra 2012). On peut alors distinguer 6 grands facteurs d’influence de la vulnérabilité au changement climatique et, plus largement, aux risques naturels (figure 7.5). Figure 7.5. Les spatialités du territoire La configuration spatiale De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 19 Elle se traduit en termes de potentialités et de contraintes pour le développement de la société, et elle recouvre deux dimensions principales. La première a trait au contexte régional auquel appartient le territoire et qui va déterminer une série d’événements possibles, tels les cyclones et la mousson dans les zones tropicales, ou les tempêtes de neige dans les zones froides. Elle fournit en quelque sorte un cadre général aux aléas naturels. Ensuite, tous les espaces d’une même zone climatique (intertropicale, tempérée, polaire) ne sont pas soumis aux mêmes perturbations, soit que les aléas varient en nature comme en intensité, soit que leurs impacts ne se traduisent pas de manière uniforme partout. Le type des côtes, à l’échelle locale et micro-locale, joue par exemple un rôle fondamental : les lidos du Languedoc et de Camargue ne réagiront pas de la même manière à de fortes vagues que les côtes rocheuses des îles grecques. De même que la part de linéaire côtier, le degré de ramification du réseau hydrographique, la topographie d’un bassin, la morphologie sous-marine, etc. vont concourir à expliquer le degré d’exposition du territoire aux aléas (submersions et inondations, par ex). La sensibilité des écosystèmes Les écosystèmes qui composent un territoire vont être plus ou moins perturbés par une modification du contexte (moins de pluies, des vents plus forts, des eaux plus chaudes, etc.). On parle de leur sensibilité, laquelle influe indiscutablement sur la probabilité qu’une perturbation affecte ou non les équilibres en place. Or, cela jouera à termes sur la vulnérabilité du territoire dans son ensemble. Faune et flore peuvent en effet jouer un rôle dans l’atténuation des risques, comme c’est notamment le cas des récifs coralliens, des mangroves ou des dunes de sable qui, sur les littoraux, constituent des espaces tampon face aux houles de tempête. Ces protections naturelles peuvent toutefois être sévèrement affectées par des vagues plus fortes qu’à l’habitude, ou dans le cas des récifs coralliens, par un réchauffement des eaux de surface et/ou leur acidification progressive. De même que des espèces végétales très sensibles aux variations de la pluviométrie ne retiendront plus les sols en cas de sécheresse prolongée, conduisant de fait à une érosion de ces derniers et à des glissements de terrain si des épisodes pluvieux surviennent. Ainsi, les écosystèmes joueront d’autant moins leur fonction protectrice qu’ils auront été affaiblis par des événements extrêmes ou des changements graduels, qu’il s’agisse d’ailleurs de pressions liées au changement climatique ou aux activités humaines (pollution, dégradation mécanique, etc.). 20 Risques côtiers et adaptations des sociétés La cohésion de la société Elle repose sur les rapports sociaux entre les individus du groupe, sur le partage d’une identité culturelle et, a priori, sur une relative homogénéité entre les classes économiques22. Et elle peut contribuer à l’atténuation de la vulnérabilité du territoire en favorisant les mécanismes de solidarité à différentes échelles (individuelles et collectives) et dans différents domaines (alimentation, scolarisation, logement, formation, etc.). La cohésion d’une société se construit sur la base d’une conscience d’appartenance à un même groupe, dans lequel le sort des uns est plus ou moins directement lié à celui d’autres. C’est en soi un élément-clé de l’édification d’une identité partagée, et à termes de la reconnaissance d’un territoire commun. La cohésion sociétale peut prendre diverses formes selon les contextes, des systèmes d’assurance dans les pays industrialisés à des mécanismes de partage de nourriture, par exemple, dans des systèmes encore traditionnels. Quelque soit sa forme, la cohésion sociétale va jouer d’abord jouer un rôle en temps de crise, en favorisant les stratégies de réponse collectives plutôt qu’individuelles, et limitant ainsi l’ampleur de la catastrophe et ses conséquences dans le temps. Elle va ensuite avoir une influence sur la possibilité de mettre en place des démarches anticipatives qui reposent nécessairement sur l’acceptation par la population d’avoir à fournir des efforts immédiats pour des bénéfices ultérieurs. C’est un point crucial de l’actuelle lutte contre le changement climatique, tant du point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre que de la mise en œuvre de stratégies et de mesures d’adaptation. La diversification des activités économiques et de subsistance La vulnérabilité est d’autant plus forte qu’il y a peu d’activités différentes sur le territoire et que, lorsqu’il y en a, celles-ci dépendent majoritairement d’une unique ressource environnementale. Dans un contexte de mono-activité, l’affaiblissement du secteur dominant par une catastrophe naturelle ne pourra être compensé, au moins pour un temps, par l’activité d’un autre secteur. Dès lors, et tant qu’une aide extérieure n’interviendra pas, le territoire se retrouvera sans ressources économiques, alors même que celles-ci sont plus que nécessaires au moment de la reconstruction. La mono-activité présente également l’autre inconvénient de proposer un spectre d’emplois restreint, si bien qu’en cas de perturbation, c’est rapidement l’ensemble 22 Au sens d’écarts de richesse qui ne sont pas trop importants. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 21 de la force de production du territoire qui est affectée. La perte des emplois et le manque d’autres perspectives se répercutent sur les revenus des ménages, amputant leur capacité à se rétablir d’une crise. Un effet de cercle vicieux peut rapidement s’instaurer. La diversification des activités n’est cependant pas en elle-même une garantie de moindre vulnérabilité. Encore faut-il que celles-ci ne reposent pas toutes sur l’exploitation d’une même ressource. En effet, si un aléa dégrade durablement cette ressource, le territoire se retrouve dans la configuration précédente, à savoir celle d’un endommagement du système de production dans son ensemble. L’organisation politique et institutionnelle La structuration politique et institutionnelle, et par voie de fait également administrative, renvoie aux mécanismes qui régissent le fonctionnement du territoire. Elle traduit a priori le fait qu’un territoire constitué de composantes territoriales (des communes, par ex.) n’ayant que peu de liens entre elles sera a priori plus fragile face à une perturbation qu’un espace plus « cohérent », c’est-àdire dont le fonctionnement repose aussi sur l’articulation de réseaux23. Cette fragilité aura une double conséquence. D’abord, une propension plus grande à ce qu’à l’échelle de la circonscription touchée, le risque se transforme en véritable catastrophe puisque ce micro-territoire tendra à se retrouver relativement seul face à la perturbation. Ensuite, une capacité moins grande de la circonscription d’abord, puis du territoire dans son ensemble, à contrecarrer les effets dominos caractéristiques de la catastrophe et en réduire l’ampleur spatiale et temporelle. Ainsi, si la cohésion sociétale et la diversification économique, par exemple, peuvent limiter la vulnérabilité, d’autres logiques interviennent en parallèle, qui caractérisent les mécanismes de régulation des crises et de prévention des risques naturels. Il s’agit d’une part, des dispositions légales et réglementaires applicables à l’ensemble du territoire, et d’autre part, des instruments et organes utiles à leur mise en œuvre. Ces éléments peuvent être traditionnels ou adopter des formes plus modernes. Deux questions principales émergent alors. D’abord, existe-t-il à l’échelle de l’ensemble du territoire une complémentarité des compétences politiques et institutionnelles (traditionnelles ou modernes) en matière de gestion et de prévention des risques naturels ? Autrement dit, tous les domaines du risque, et indirectement 23 Cela est vrai si en parallèle, cette articulation des composantes territoriales ne favorise pas la propagation des conséquences d’une perturbation du lieu d’impact à l’ensemble du territoire-mère. On touche ici à l’ambiguïté du fonctionnement des systèmes en réseau, dans laquelle nous n’entrerons pas ici mais qui montre toute la difficulté qu’il peut y avoir à traiter de manière généraliste de la vulnérabilité des territoires. 22 Risques côtiers et adaptations des sociétés tous les facteurs influençant la vulnérabilité, sont-ils couverts ? La réponse amène la seconde question: ces compétences sont-elles coordonnées ? Se complètent-elles les unes les autres et, au-delà, sont-elles susceptibles de répondre ensemble à la globalité du risque ? Ces interrogations sont particulièrement prégnantes dans le contexte des risques graduels, car les mécanismes d’anticipation – donc de cadrage sur le long terme – requièrent cette cohérence des approches politiques et institutionnelles afin de construire des réponses structurées susceptibles d’enrayer le plus tôt possible les effets dominos inhérents à une perturbation. Les conditions de vie de la population Le niveau de développement contribue, au même titre que les autres facteurs, à créer/conserver des marges de manœuvre. On considère ici les conditions de vie de la population comme un reflet de ce niveau de développement. Dès lors, divers éléments sont à considérer, et notamment : la démographie, l’habitat, l’éducation, l’emploi, les transports, l’énergie et la santé. Le taux de croissance démographique, les densités de population variables d’un lieu à un autre, ou encore la configuration de la pyramide des âges ont une influence sur la vulnérabilité. Une forte croissance démographique requiert par exemple des investissements considérables en matière d’aménagement du territoire (logements, télécommunications, structures publiques, etc.), ce qui peut paradoxalement tendre à amputer les capacités financières allouées à la gestion des perturbations en même temps qu’elle en amplifie les impacts. De même que la densification progressive des îles-capitales des archipels coralliens, par exemple, conduit clairement à une augmentation de la population exposée aux aléas météo-marins (Duvat et Magnan 2012). Les conditions d’habitat influent directement sur la vulnérabilité des communautés locales face au risque. Les habitations peuvent être précaires et peu résistantes à des mouvements d’eau, à des vents violents, à de fortes chaleurs ou encore à l’agression par le sel. Elles peuvent par ailleurs être plus ou moins bien adaptées à une évolution des conditions climatiques. La relation vulnérabilité/éducation est très ambigüe. A priori, on pourrait penser que les niveaux d’éducation de la population tendent à préfigurer la capacité des individus à adopter des comportements et des pratiques qui réduisent la vulnérabilité. Cependant, un haut niveau d’éducation ne suppose pas fatalement une connaissance précise de tous les types de risques menaçant le territoire de vie et des réactions adéquates à adopter. De la même manière, les savoir traditionnels, qui sont des mécanismes d’éducation à part entière, peuvent alimenter des formes d’anticipation et de résilience adéquats face à des aléas connus. Il faut donc De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 23 appréhender la dimension éducative dans un sens très large et en fonction des particularités du contexte étudié. Les aspects relatifs à l’emploi, qui sont à la fois quantitatifs et qualitatifs (part de population active, types d’activités, niveaux de salaires, emploi informel, activités des subsistance, etc.), ont eux aussi une influence en ce sens qu’ils se traduisent en termes de niveau de revenus des ménages. Or, ces revenus expliquent en grande partie l’accès à des logements résistants (qu’ils soient modernes ou traditionnels), à des moyens de transport, à des ressources spécifiques, etc. Selon les contextes, les revenus peuvent également expliquer l’implantation dans des zones moins à risques, mais cela doit être analysé avec précaution, car des plaines littorales bordant des lagons, comme celle de l’Ermitage à la Réunion par exemple, sont des lieux de forte attractivité dans lesquels le prix du foncier est élevé. Les transports, publics et privés, ainsi que la qualité et la diversité des réseaux de transport permettent de gérer de manière plus ou moins efficace les périodes de crise, en favorisant par exemple les logiques d’évacuation ou d’acheminement des premiers secours et d’aliments. Ainsi, les réseaux et moyens de transport peuvent accompagner une organisation spatiale adaptée aux évolutions naturelles graduelles, c’est-à-dire un (re)déploiement d’activités existantes ou nouvelles vers d’autres portions du territoire. Cela renvoie à des questions d’accès des populations aux véhicules, à des voies de circulation praticables, et aux espaces de repli et de prise en charge (hôpitaux, zones d’hébergement temporaire, etc.). Le type d’énergie utilisée par les ménages constitue un facteur limitant ou aggravant de vulnérabilité en reflétant une dépendance à une source énergétique, elle-même plus ou moins sensible à des perturbations. De nombreux foyers dans le monde utilisent encore majoritairement le bois pour se chauffer ou pour cuisiner. En cas d’incendie, d’inondation ou sur un plus long terme, de réduction des productions locales de bois, quels effets sont à attendre de difficultés dans l’approvisionnement en source d’énergie ? De la même manière, une ville privée d’électricité durant plusieurs jours peut être confrontée à de multiples problèmes. Ceux-ci sont alors à la mesure de la capacité du territoire à restaurer les réseaux électriques et les appareils de production d’énergie. Enfin, les conditions sanitaires peuvent aggraver ou atténuer la vulnérabilité. Schématiquement, une population en bonne santé tendra à être moins affectée par la perturbation et ses conséquences indirectes (insalubrité principalement). De même qu’ayant moins à palier les urgences socio-sanitaires, elle sera a priori davantage disponible pour développer des stratégies d’adaptation de long terme et plus globales. Ici comme pour d’autres éléments, les problèmes de marginalisation et d’inégalités vont expliquer que des groupes de population sont plus menacés que d’autres. Relativisons cependant ici aussi en rappelant combien des populations 24 Risques côtiers et adaptations des sociétés immunes de certaines pathologies peuvent être fragiles face à de nouvelles. Or, le changement climatique est porteur d’une (ré)émergence de maladies dans des zones dans lesquelles elles n’existent pas ou plus. La principale conclusion que l’on peut tirer à ce stade est que compte tenu de la diversité des facteurs d’influence possibles, seule une analyse de ceux-ci et de leurs combinaisons potentielles peut permettre de tenir un discours cohérent et réaliste sur la vulnérabilité du territoire ou du système étudié. L’analyse de la vulnérabilité est donc par nature une démarche transdisciplinaire, dans laquelle les sciences sociales ont désormais un rôle majeur à jouer. 7.3. De la vulnérabilité à l’adaptation : le cadre théorique 7.3.1. Des relations dynamiques entre vulnérabilité et adaptation L’essence même de l’analyse de la vulnérabilité d’un système est de comprendre comment ce dernier fonctionne (quels risques ? Quels enjeux ? Quelles régulations sont nécessaires ?), pour ensuite envisager des scénarios d’avenir et proposer des réponses pragmatiques (Downing et Patwardhan 2003). En retour, la mise en œuvre de stratégies d’adaptation a pour but de réduire la vulnérabilité du territoire aux risques naturels sur le long terme. Toujours selon le GIEC, l’adaptation est l’ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimuli climatiques présents ou futurs ou à leurs effets, afin d’atténuer les effets néfastes ou d’exploiter des opportunités bénéfiques24. Dès lors, des courants de pensée divergent pour faire de la vulnérabilité une fonction de la capacité des sociétés à s’adapter, ou au contraire de l’adaptation une fonction du niveau de vulnérabilité. Une autre position consiste à dire que l’on peut distinguer deux stades de vulnérabilité selon que l’on prend ou non en compte la dimension changement climatique. En effet, en dehors de cette préoccupation, un territoire est soumis à certains types d’aléas naturels. Or, le changement climatique, même s’il pourra confronter le territoire à de nouveaux aléas, devrait essentiellement exacerber son exposition à des aléas déjà connus. Chaque territoire fait donc état d’une vulnérabilité intrinsèque (ou originelle) que le changement climatique modifiera. Cette vulnérabilité résultante constituera un second stade et celle-ci plus que la précédente dépendra aussi des formes d’adaptation mises en œuvre par la société (dans le dessein de réduire la vulnérabilité intrinsèque). Nous défendons 24 The adjustment of natural or human systems in response to present and future climatic stimuli or to their effects, in order to mitigate the damage or to exploit beneficial opportunities. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 25 donc ici l’idée que la vulnérabilité constitue dans le cadre du changement climatique un bon traceur de l’efficacité des choix d’adaptation. La vulnérabilité doit alors être entendue comme une caractéristique qui évolue dans le temps (figure 7.6), se renforçant ou s’atténuant selon l’évolution du contexte des aléas d’une part, et des choix de société, d’autre part. Ainsi des cercles vertueux ou vicieux s’instaurent-il entre vulnérabilité et adaptation, et de fait, l’adaptation doit elle aussi être entendue comme dynamique, évolutive. 26 Risques côtiers et adaptations des sociétés Figure 7.6. La vulnérabilité évolue dans le temps, en fonction des choix d’adaptation et des capacités d’adaptation que ceux-ci mobilisent 7.3.2. L’adaptation, un concept en trois dimensions (processus, état, stratégie) L’adaptation est liée aux choix qu’une société va opérer au fil des évolutions du contexte dans lequel elle évolue. Parallèlement, l’adaptation revêt aussi des formes De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 27 spécifiques qui se matérialisent sous la forme de projets, de programmes, de plans et de politiques. Plusieurs dimensions doivent donc être distinguées pour caractériser de manière complète le concept d’adaptation. On peut dès lors y voir à la fois un processus, un état et une stratégie (Magnan 2009). Si l’adaptation en tant que processus traduit le fait d’être ou non en train de s’adapter, l’adaptation comme état traduit celui d’être ou non adapté à un moment donné, et l’adaptation comme stratégie celui de vouloir ou non s’adapter (tableau 7.2). Distinguer ces trois dimensions doit aider à développer des analyses scientifiques utiles à différents types d’acteurs, tant en termes de sensibilisation aux enjeux de l’adaptation au changement climatique que d’identification d’options d’adaptation à la fois réalistes du point de vue de leur mise en œuvre et ambitieuses du point de vue de leurs objectifs. Dimension d’adaptation Traduit le fait de… Synonyme Démarche sousjacente Processus Être en train de s’adapter Mécanisme * État Être adapté Forme Action Stratégie Vouloir s’adapter Politique Intention * Selon nous, il n’y a pas derrière l’idée de processus de démarche volontaire à proprement parler, comme c’est le cas pour les dimensions état et stratégie. Ici, la dimension processus renvoie à la nature même du système et aux aptitudes que lui confèrent ses composantes et leurs interactions. Suivant ce point de vue, l’ambition de s’adapter est indirecte dans la dimension processus alors qu’elle est directe dans les dimensions état et stratégie. Tableau 7.2. Les trois dimensions de l’adaptation : processus, état, stratégie L’adaptation comme processus Le processus d’adaptation renvoie aux mécanismes de l’adaptation, c’est-à-dire aux logiques propres au système qui expliquent l’évolution des diverses formes que peut prendre l’adaptation (projets, programmes, plans, politiques). Conformément au caractère nécessairement global et systémique de la vulnérabilité, et donc de l’adaptation, la dimension processus intègre les dynamiques à la fois environnementales et anthropiques qui caractérisent le territoire analysé (cf. les facteurs d’influence précédents). Elle fait donc spécifiquement référence à l’idée d’évolution des schémas de développement à promouvoir, pour qu’ils soient de moins en moins vulnérables aux perturbations naturelles. 28 Risques côtiers et adaptations des sociétés L’adaptation comme état L’adaptation en tant qu’état fait référence cette fois aux formes que revêt l’adaptation sur le terrain, dans diverses sphères et à différentes échelles spatiales. Il peut s’agir de formes matérialisées (des projets, des groupements associatifs, un plan national d’adaptation, un changement de pratiques, etc.) ou non (des idées nouvelles, par exemple). L’état d’adaptation traduit le fait d’être ou non adapté à l’environnement naturel à un moment donné. Cela renvoie à une certaine unité de temps, et donc à une échelle de temps spécifique. Autrement dit, s’il est possible de dire qu’une société est adaptée (ou non) à la variabilité climatique actuelle, il nous semble a priori impossible de dire si cette même société est adaptée (ou non) au changement climatique. En effet, ce dernier est une expression de conditions nécessairement changeantes et que l’on ne connaît pas précisément à l’avance. Dès lors, une société adaptée aux conditions climatiques à un moment T pourra ne plus l’être à T+1, de même que l’inverse est vrai. Notons simplement ici que cette discussion sur les échelles de temps pertinentes renvoie à l’idée de mécanismes évolutifs d’adaptation, donc à la dimension processus. Il apparaît dès lors que les deux premières dimensions, de même que la suivante, sont complémentaires, ce qui contribue à la cohérence du cadre de lecture proposé ici. L’adaptation comme stratégie Enfin, une troisième dimension voit en l’adaptation une stratégie, c’est-à-dire une politique. L’adaptation renvoie alors à des logiques non plus de processus ou d’action au sens propre du terme (état), mais plutôt à une intention d’agir, et ce au travers de modes d’occupation des territoires, de gouvernance des sociétés, de la planification du développement, etc. Il y a là à la fois l’idée d’intention et celle de conscience des enjeux présents et à venir. Là encore, l’aspect nécessairement évolutif de l’adaptation est mis en avant et contrairement à la dimension état, l’adaptation entendue comme une stratégie suppose de mêler différentes échelles temporelles, de même qu’elle implique une prise en compte de multiples échelles spatiales. 7.3.3. Penser en termes de trajectoires d’adaptation Ce découpage peut paraître quelque peu artificiel car processus, état et stratégie entretiennent des relations de causalité, et elles s’articulent donc plus qu’elles ne se distinguent. L’utilité de les dissocier est pourtant bien réelle, car au-delà d’alimenter les réflexions conceptuelles sur l’adaptation au changement climatique, l’exercice peut favoriser l’adéquation des connaissances scientifiques sur l’adaptation aux discours de divers types d’interlocuteurs dont la culture et les filtres d’analyse sont De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 29 différents. Tous ne parlent pas le même langage, bien qu’ils aient à traiter de la même chose, ici la mise en œuvre de l’adaptation. Schématiquement, les responsables politiques nationaux vont par exemple avoir tendance à être plus sensibles à l’angle d’entrée stratégie (quels choix politiques pour quelle vision de moyen à long-terme ?). L’opérateur touristique faisant face à un problème d’érosion côtière, par exemple, recherchera des solutions de plus court-termes, et donc sera dans une logique d’adaptation comme un état. Quant à l’anthropologue ou au sociologue, par exemple, il se penchera probablement davantage sur la dimension processus de l’adaptation. Nous soutenons ainsi l’idée selon laquelle distinguer ces trois dimensions de l’adaptation peut permettre d’améliorer l’intégration des connaissances scientifiques dans des dynamiques sociétales complexes, et ce à différentes échelles territoriales. Cela peut aider à rassembler les acteurs autour d’un langage commun. Dès lors, l’élaboration de démarches d’adaptation pertinentes, car contextualisées, peut largement bénéficier de ce triple cadre d’analyse, car ce dernier permet, par la segmentation, d’une part d’identifier toutes les composantes d’un territoire/d’une société qui sont impliquées dans l’adaptation, d’autre part de faire émerger différentes voies et différents types d’outils (politiques, règlementaires, sociaux, etc.) pour mettre en œuvre l’adaptation. L’enjeu consiste ensuite à faire le lien entre ces composantes et acteurs, ce qui suppose de les lier autour de la notion de trajectoire d’adaptation. On entend par trajectoire d’adaptation le cheminement suivant lequel un territoire tente de s’adapter à la variabilité et au changement climatiques. La notion de trajectoire traduit l’idée d’une adaptation nécessairement dynamique. Elle doit être comprise non pas comme la quête d’une image figée du futur (« être adapté en 2050 ou en 2100 »), mais comme un état d’équilibre relatif Hommes/Environnement qui ne sera jamais figé à jamais et qui demandera en permanence des réajustements plus ou moins profonds. Autrement dit, un enjeu fort consiste non seulement à tenter de déterminer dès aujourd’hui les formes de l’adaptation future (dimension état), mais aussi à identifier des grandes orientations d’adaptation qui vont permettre de conserver une certaine souplesse du point de vue de la mise en œuvre de l’adaptation (dimensions stratégie et processus). C’est l’idée de flexibilité : compte tenu des incertitudes sur les impacts locaux du changement climatique, il nous semble en effet évident aujourd’hui que bâtir des démarches solides d’adaptation doit reposer à la fois sur une bonne maîtrise du processus d’adaptation et sur l’élaboration de visions référentes pour l’avenir (l’état « idéal » d’adaptation). La notion de trajectoire fait le pont entre les deux puisqu’elle vise à déterminer comment atteindre ces points de référence. Ainsi la trajectoire d’adaptation est-elle nécessairement une fonction croisée du processus d’adaptation, des états successifs d’adaptation et des stratégies d’adaptation. 30 Risques côtiers et adaptations des sociétés 7.4. Le cadre d’action : penser l’adaptation au carrefour de l’anticipation et de la résilience Pour résumer ce qui précède, et d’un point de vue très général, on peut dire que l’essence même de l’adaptation est de permettre aux sociétés de réduire leur vulnérabilité aux changements environnementaux, actuels comme futurs, soudains comme graduels. Elle ne peut donc être envisagée que de manière évolutive et suivant trois dimensions puisqu’elle est à la fois un processus, un état et une stratégie. Reste à savoir comment passer de ce cadre théorique à un cadre d’action. L’approche théorique peut se traduire en ces termes : le défi de l’adaptation au changement climatique consiste à rendre les choix actuels compatibles avec les enjeux environnementaux futurs. C’est aussi l’un des principes forts du développement durable, avec ceci de particulier dans le contexte du changement climatique qu’il faut s’adapter dès maintenant à des changements environnementaux futurs qui, aux échelles locales, restent marqués par de fortes incertitudes. Pour contourner ce problème de l’incertitude, qui ne peut décemment constituer un alibi à l’inaction, une option intéressante pour les sociétés consiste à conserver un maximum de marges de manœuvre afin d’être toujours en mesure de réajuster leurs choix de développement au fur et à mesure des nouvelles connaissances. Autrement dit, il s’agit pour ces sociétés non seulement d’être suffisamment solides pour projeter leurs choix de développement dans le temps, mais également suffisamment flexibles pour opérer des réajustements. La notion de flexibilité est donc centrale, et elle repose elle-même sur deux manières éminemment complémentaires d’aborder l’avenir : l’anticipation et la résilience. Schématiquement, la première renvoie à l’aptitude d’une société à se projeter dans le temps, et la seconde à l’aptitude à accroître sa réactivité face à des perturbations relativement imprévisibles. 7.4.1. Anticiper pour s’adapter L’anticipation, c’est la dimension la plus communément admise de l’adaptation au changement climatique. Elle fait référence au temps long et à la capacité que l’on a ou que l’on développe à imaginer et initier des réponses en amont des problèmes. Les horizons temporels 2030, 2050, voire 2100 sont souvent évoqués car ils correspondent aux pas de temps des simulations des modèles climatiques, et ce sont les échéances auxquelles l’on estime qu’il est nécessaire ou souhaitable de penser la lutte contre les impacts du changement climatique. De plus, toute société nécessite elle-même du temps pour changer ses modes de consommation, ses pratiques d’aménagement du territoire, son rapport à l’environnement, etc. Faire évoluer le fonctionnement de nos systèmes d’ici quelques décennies suppose donc d’enclencher maintenant les changements, autrement dit d’anticiper. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 31 L’une des principales questions soulevées alors est celle de la capacité des décideurs politiques, des acteurs économiques, des associations locales et des populations à se confronter à l’incertitude sur les impacts futurs du changement climatique. Comment se préparer à quelque chose qu’on n’identifie pas clairement ? La question pose de nombreuses difficultés, mais il faut également avoir conscience que l’incertitude liée au changement climatique ne constitue qu’une partie du problème. En effet, le changement climatique agira en parallèle d’autres moteurs de changement : les trajectoires économiques, l’évolution des relations géopolitiques, les phénomènes de mode, d’autres aléas naturels (tremblements de terre, tsunami, éruptions volcaniques, etc.), le creusement des inégalités socioéconomiques, etc. Or, ces derniers sont eux aussi emprunts de fortes incertitudes. Si bien que les incertitudes associées aux simulations climatiques, avant de poser des questions nouvelles, renforcent d’abord un défi qui existe déjà, à savoir celui d’avoir à parier sur les bénéfices à venir d’actions que l’on doit initier maintenant. Anticiper n’est donc pas un défi nouveau, bien que la réalité du changement climatique en fasse désormais une nécessité vitale. Par ailleurs, le fait qu’il y ait des incertitudes sur les impacts locaux du changement climatique à l’horizon de plusieurs décennies ne signifie aucunement que les aléas futurs seront fatalement nouveaux. Au contraire, une part importante des menaces que porte le changement climatique consiste en l’exacerbation de perturbations naturelles qui frappent déjà et parfois depuis longtemps de nombreux territoires. Il existe donc une certaine expérience des risques passés qui peut être mise à profit d’une meilleure anticipation des risques futurs. Et s’il n’est bien entendu pas exclu que des territoires puissent être confrontés à l’avenir à des aléas qu’ils n’avaient pas ou peu coutume de côtoyer auparavant, ils pourront au moins en partie bénéficier de l’expérience d’autres territoires. Dresser ce constat revient à prendre un peu de recul sur le problème de l’incertitude et à ainsi véhiculer un message positif, à savoir que les acteurs de l’adaptation ne sont pas totalement démunis face au défi du changement climatique. Ils disposent d’ores et déjà de moyens d’intervention. Les initiatives ex-ante ne peuvent toutefois se suffire à elles-mêmes, car toutes les perturbations ne seront jamais totalement prévisibles longtemps à l’avance. Une démarche complémentaire doit donc être initiée en parallèle : favoriser la réactivité des sociétés aux aléas naturels imprévisibles. 7.4.2. Rester ou devenir résilient Sans entrer dans les détails terminologiques d’un concept étudié depuis les années 1970, on peut définir la résilience comme étant le mécanisme qui permet à 32 Risques côtiers et adaptations des sociétés un système de retrouver une forme d’équilibre après une perturbation25. C’est un mécanisme qui intervient donc ex-post, contrairement à l’anticipation. Pourtant, il n’en participe pas moins de l’adaptation. En effet, devenir ou continuer d’être capable de réagir à un événement imprévu reste un enjeu d’actualité étant donné que la variabilité climatique, qui explique la survenue d’événements extrêmes, se combinera au changement climatique en tant que tel26 (Berkes 2007). Renforcer notre aptitude à « digérer » des crises qui surviendront toujours est donc l’objectifclé du pilier résilience. Là encore, l’expérience actuelle peut être utile puisque des aléas naturels qui ressemblent à s’y méprendre à ceux de demain surviennent déjà. Le défi de l’adaptation consiste alors à projeter la capacité ou l’incapacité d’un territoire à être résilient dans le futur. Les travaux scientifiques enseignent que la résilience repose en grande partie sur une consolidation de la cohérence territoriale et de la cohésion sociétale, sur une amélioration des conditions de vie (habitat, santé, alimentation, etc.) et plus généralement des conditions de développement (éducation, politiques publiques, emploi, etc.), et enfin sur une meilleure préservation/conservation de milieux naturels et de la biodiversité (services éco-systémiques notamment). Cela n’est pas sans rappeler les facteurs d’influence de la vulnérabilité décris précédemment, et ici encore, il s’agit en quelque sorte de cimenter les caractéristiques de base des territoires, mais sans pour autant les figer. Ressurgit l’impératif de flexibilité : dès lors qu’on ne peut prédire l’avenir lointain avec certitude, une stratégie intéressante consiste à être aussi capable de réagir « en temps réel » ; or, une certaine flexibilité dans le fonctionnement d’un système influe sur son degré de réactivité et, à termes, sur son aptitude à être résilient. 7.4.3. Le croisement entre anticipation et résilience Parce qu’il consiste en la réaction à une perturbation et qu’il renvoie à une dimension de court à moyen termes, le mécanisme de résilience répond aux manques du mécanisme d’anticipation, qui n’agit justement pas en réaction à quelque chose et s’établit sur des échelles de temps moyennes à longues. Inversement, la logique d’anticipation comble les failles du mécanisme de résilience, et c’est pour cette raison qu’ensemble, ils sont les deux piliers complémentaires de 25 Qu’il s’agisse de retrouver l’équilibre préalable à la perturbation ou qu’il s’agisse d’un autre type d’équilibre qui aurait intégré les changements initiés par la perturbation. Cette question reste largement en débat au sein de la communauté scientifique. 26 Globalement, le changement climatique caractérise l’évolution des moyennes des paramètres climatiques (à l’échelle de plusieurs décennies), alors que la variabilité climatique caractérise l’évolution de ces paramètres autour d’une moyenne. Les deux phénomènes peuvent donc se combiner. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 33 la flexibilité des sociétés et des territoires, et donc de leur aptitude à s’adapter au changement climatique à venir. Il faut en déduire que le temps long n’est pas le seul horizon temporel à considérer en matière d’adaptation, et que le temps court, celui de l’action concrète, l’est tout autant. Cela revient à affirmer que les démarches d’adaptation ne peuvent s’affranchir de l’imbrication des échelles temporelles, si bien que des actions d’aujourd’hui et à bénéfices immédiats ne sont pas déconnectées des enjeux de l’adaptation au changement climatique. Autrement dit, l’on peut d’ores et déjà mener de nombreuses actions en faveur de l’adaptation (par ex. réviser les plans d’aménagement en y intégrant les risques, ou encore lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales), à condition bien entendu de les penser dans un objectif de renforcement à la fois de la résilience du système et de sa capacité d’anticipation. Conclusion générale Ce texte propose une approche des concepts vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique qui puisse permettre à une large gamme de chercheurs en sciences sociales (différentes disciplines, différents niveaux de maturité scientifique) de s’en emparer et de contribuer, par des études de terrain, à l’amélioration des connaissances. L’analyse de la vulnérabilité au changement climatique, et plus encore de l’adaptation, est relativement jeune et elle est née du constat d’interactions fortes entre sociétés humaines et phénomènes naturels. Si les sciences dites dures (climatologie, géomorphologie, océanographie, etc.) ont un rôle capital à jouer dans la définition de la nature, de l’intensité et de la fréquence des aléas naturels futurs et des changements environnementaux, et il en va de même pour les sciences sociales, dont la responsabilité est d’éclairer les dimensions humaines de la vulnérabilité et du risque. De multiples dimensions (environnementales, culturelles, politiques, etc.) et échelles temporelles sont donc à intégrer les unes par rapport aux autres, et c’est leur croisement qui fonde la légitimité du concept de vulnérabilité. Ce texte propose un cadre d’analyse reposant sur six grands facteurs d’influence de la vulnérabilité au changement climatique et, plus largement, au changement global : la configuration spatiale, la sensibilité des écosystèmes, la cohésion de la société, la diversification des activités économiques et de subsistance, l’organisation politique et institutionnelle, et les conditions de vie. L’analyse par ces six facteurs permet de comprendre le contexte du risque (composantes et dynamiques à l’œuvre), et ce au service de l’élaboration de stratégies de réponse. Ainsi passe-t-on de la 34 Risques côtiers et adaptations des sociétés vulnérabilité à l’adaptation, le but de celle-ci étant clairement de réduire la vulnérabilité sur le long terme. Le texte propose également un cadre d’analyse de l’adaptation au changement climatique. Il avance notamment l’idée selon laquelle l’adaptation doit être analysée à la fois comme un processus, un état et une stratégie. L’adaptation en tant que processus traduit le fait d’être ou non en train de s’adapter. L’adaptation comme état traduit celui d’être ou non adapté à un moment donné. Et l’adaptation comme stratégie renvoie au fait de vouloir ou non s’adapter. Imbriquées, ces trois dimensions permettent de penser la lutte contre les impacts du changement climatique en termes de trajectoires d’adaptation, c’est-à-dire de manière nécessairement évolutive. La notion de trajectoires d’adaptation renvoie donc explicitement à la nature dynamique tant de la vulnérabilité que de l’adaptation. Enfin, le texte propose de passer d’une approche théorique de l’adaptation à un cadre d’action plus concret. La théorie peut se résumer ainsi : le défi de l’adaptation au changement climatique consiste à rendre les choix actuels compatibles avec les enjeux environnementaux futurs. Or, la modélisation climatique ne peut pas et ne pourra pas prévoir longtemps à l’avance toutes les modifications environnementales, si bien qu’il existe et qu’il existera toujours une part – mais une part seulement – d’incertitude sur les aléas futurs, notamment en matière d’événements extrêmes. Un tel constat impose de placer au cœur de la capacité d’une société à s’adapter au changement climatique la notion de flexibilité, dont les deux piliers centraux sont l’anticipation et la résilience. L’anticipation renvoie à l’aptitude de la société à se projeter dans le temps, quand la résilience renvoie à son aptitude à accroître sa réactivité face à des perturbations imprévues. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 35 Bibliographie ADGER W.N., Vulnerability, Global Environmental Change 16: 268-281, 2006. BANKOFF G., Rendering the World unsafe : ‘vulnerability’ as Western discourse, Disasters 25(1): 19-35, 2001. BANKOFF G., FRERKS G., HILHORST D. (Eds.), Mapping vulnerability: disasters, development and people. Earthscan, London, 2004. BECERRA S., Vulnérabilité, risques et environnement : l’itinéraire chaotique d’un paradigme sociologique contemporain, VertigO 12(1): 1-23, 2012. BECK U., La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, Flammarion, Paris, 2001. BERKES F., Understanding uncertainty and reducing vulnerability: lessons from resilience thinking, Natural Hazards 41: 283-295, 2007. BLAIKIE P., CANNON T., DAVIS I., WISNER B., At risk : natural hazards, people's vulnerability and disaster, Routledge, 1994. BROOKS N., Vulnerability, risk and adaptation: a conceptual framework. 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