De la vulnérabilité à l`adaptation au changement

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Référence :
Magnan A., 2014. De la vulnérabilité à l’adaptation au changement
climatique : éléments de réflexion pour les sciences sociales. In Monaco A.,
Prouzet P. (dir.), Risques côtiers et adaptations des sociétés, ISTE Editions,
pp. 241-274.
Chapitre 7
De la vulnérabilité à l’adaptation au
changement climatique : éléments de
réflexion pour les sciences sociales
Alexandre Magnan (Iddri)
Introduction générale
Ce texte n’a pas vocation à dresser un état de l’art exhaustif des travaux
scientifiques traitant des questions de vulnérabilité et d’adaptation au changement
climatique. Son objectif est de proposer une approche globale de ces deux concepts
qui permette à des chercheurs en sciences sociales, confirmés ou débutants et
relevant de diverses disciplines, de développer des travaux de terrain et fassent
progresser la connaissance.
De sorte à clarifier ce que vulnérabilité et adaptation signifient, et à en expliciter
les principaux enjeux, ce texte développe quatre sections. La figure 7.1 les
2
Risques côtiers et adaptations des sociétés
rassemble, avec en fil conducteur la progression des mécanismes de la vulnérabilité
à ceux de l’adaptation.
Figure 7.1. La structure générale du chapitre
La première section (7.1), outre qu’elle présente brièvement l’origine du concept
de vulnérabilité, explique en quoi la vulnérabilité d’une société réside dans les
multiples croisements entre, d’une part, la nature, les temporalités et l’ampleur des
perturbations naturelles et, d’autre part, la nature, les temporalités et des spatialités
du territoire.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 3
Sur ces bases, la section 7.2 développe l’hypothèse selon laquelle la vulnérabilité
actuelle prend racine dans les caractéristiques historiques du façonnement de la
société et de son territoire. Cette section propose en ce sens une approche globale et
systémique de la vulnérabilité à travers six grands facteurs d’influence : la
configuration spatiale, la sensibilité des écosystèmes, la cohésion de la société, la
diversification des activités économiques et de subsistance, l’organisation politique
et institutionnelle, et les conditions de vie.
La troisième section (7.3) dresse ensuite un pont entre vulnérabilité et adaptation
au changement climatique. Elle montre en premier lieu que ces deux concepts
s’alimentent l’un l’autre : s’adapter permet de réduire la vulnérabilité, et réduire la
vulnérabilité favorise l’aptitude à s’adapter. Si bien que le niveau de vulnérabilité
comme les formes de l’adaptation sont par nature évolutifs. Il s’agit donc de
concepts dynamiques. La section entre alors dans le détail du concept d’adaptation
pour en identifier trois dimensions principales (processus, état, stratégie).
Enfin, la dernière section (7.4) propose de passer du cadre théorique précédent à
un cadre d’action. Elle discute alors de l’intérêt du principe de flexibilité comme
caractéristique fondamentale d’une société pour que celle-ci puisse dépasser les
barrières posées par l’incertitude sur les impacts locaux du changement climatique.
Deux piliers-clés sont mis en avant : l’anticipation et la résilience.
7.1. Autour du concept de vulnérabilité
Les relations entre les différents concepts de risque, de vulnérabilité, d’aléa et de
territoire sont suffisamment complexes pour que l’on s’y attarde un peu. Si les aléas
liés au changement climatique auront une place privilégiée ici, d’autres phénomènes
non liés aux conditions météo-marines (par ex. les tremblements de terre) seront
ponctuellement invoqués, de sorte à montrer les multiples dimensions du risque et
de la vulnérabilité.
Les premiers intéressés par le risque ont été les naturalistes en raison de la nature
même des aléas (éruptions volcaniques, tremblements de terre, cyclones, etc.). Puis
progressivement, d’autres scientifiques se sont ouverts aux aspects humains des
catastrophes. La multiplication des analyses a introduit l’idée qu’il existait une
différence terminologique entre risque et catastrophe, le premier terme faisant
référence à la survenue probable d’un aléa, le second à ses conséquences réelles sur
le système (Blaikie et al 1994, Dauphiné 2001, Veyret et al 2007). Cela a conduit à
élargir les réflexions aux facteurs du risque (Beck 2001, Cardona 2004), posant ainsi
les fondements nécessaires à l’émergence de la notion de vulnérabilité. Celle-ci a
dans un premier temps été définie comme un simple degré d’exposition au risque,
4
Risques côtiers et adaptations des sociétés
puis elle a progressivement gagné ses lettres de noblesse pour devenir un concept
scientifique à part entière (Bankoff et al 2004, Adger 2006).
7.1.1. L’évolution des conceptions de la vulnérabilité
Sur ces bases, deux conceptions principales du risque, et indirectement de la
vulnérabilité, se sont affirmées entre les décennies 1950 et 1980, qui ont finalement
favorisé l’émergence d’une troisième, aujourd’hui la plus aboutie. Il y a eu ensuite
une prise de conscience progressive de l’importance des interactions qui
s’établissent entre les hommes et l’espace qu’ils occupent (Fraser et al 2003,
Hilhorst 2004, Reghezza 2006). Ces interactions ne sont pas simplement de l’ordre
de l’exploitation des ressources naturelles. Elles vont bien au-delà au travers du
rapport historique et identitaire aux lieux et, par conséquent, du rôle des
caractéristiques de l’espace sur les dynamiques et les attitudes des sociétés
(Diamond 2000). Dépasser la dichotomie Hommes/Milieu a introduit davantage de
complexité dans l’approche des phénomènes naturels et de leurs conséquences sur
les sociétés (Bankoff et al 2004, O’Brien et al 2004). Sur le plan épistémologique,
l’évolution a consisté en un renversement du rapport de domination entre Nature et
Société dans l’explication de la survenue d’une catastrophe, ce que nous pouvons
montrer en repartant des trois paradigmes (physique, structurel, complexe1)
développés par D. Hilhorst (2004).
L’approche du paradigme physique a émergé dans les années 1950. Elle reposait
sur l’idée que les causes d’une catastrophe étaient avant tout à rechercher dans les
caractéristiques physiques de la perturbation et du processus d’impact. Les sciences
dures (géologie, climatologie, etc.) dominaient alors le champ de l’étude des
perturbations naturelles et la nature des sociétés comme facteur explicatif
n’intervenait que de manière marginale. Le rôle des sciences sociales était relégué à
l’identification des comportements des individus face au risque et à la catastrophe
(analyse a posteriori). C’était donc ignorer le rôle des caractéristiques intrinsèques
de la société dans l’explication de la survenue d’une catastrophe. Une telle idée a
pris de l’ampleur dans les années 1980 au travers de travaux d’anthropologues, de
géographes et de sociologues. L’on est passé d’une démarche « aléa-centrée » à un
courant de pensée structuré autour du paradigme structurel, avec comme idée
centrale que les catastrophes ne résultent pas en premier lieu de processus
géographiques2 (Hilhorst 2004 : 53, citant K. Hewitt3). Le rôle de la pauvreté était
1 D. Hilhorst parle behavioural paradigm, du structural paradigm et du complexity paradigm.
2 Dans l’ensemble de ce texte, les citations en anglais ont été traduites en français par l’auteur
et les versions originales figurent en notes de bas de page. Ici, D. Hilhorst écrit : Disasters
were not primarily the outcome of geographical processes.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 5
notamment évoqué et, à travers lui, les processus sociaux et économiques. Ainsi la
dimension socioculturelle de la vulnérabilité aux risques naturels émergea-t-elle,
imposant une distinction entre processus physiques (aléa) et humains (vulnérabilité).
La formule désormais classique « Risque = Aléa x Vulnérabilité » est d’ailleurs née
de cette évolution conceptuelle. Cette stricte séparation entre processus physiques et
humains s’est cependant révélée insatisfaisante en ce sens qu’elle ne permettait pas
de comprendre pourquoi divers groupes d’une même population subissaient
différemment les impacts d’une même perturbation, autrement dit pourquoi ils
présentaient des degrés de vulnérabilité variables.
Une troisième conception s’est donc manifestée dès les années 1990, donnant
naissance au paradigme complexe ou paradigme de la réciprocité4. Il s’agissait alors
de mettre en avant la mutualité des processus physiques et humains, rappelant que si
l’aléa exerce une influence directe sur le fonctionnement de la société, les activités
humaines ont en retour un impact sur la probabilité qu’un aléa se déclenche,
autrement dit sur la survenue d’une catastrophe. À une échelle locale, ce principe de
réciprocité est particulièrement évident lorsqu’on s’intéresse à la question de
l’érosion côtière : si la lutte contre ce phénomène, qui est avant tout inhérent à une
pénurie naturelle en sédiments, passe par l’implantation sur le trait de côte d’épis et
de murs de protection, cela a pour effet pervers d’accentuer à moyen terme les
difficultés de maintien du sable, et donc de renforcer le problème initial d’érosion. À
une échelle planétaire, les activités humaines tendent à renforcer la concentration de
gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ce qui a pour conséquence une augmentation
des températures terrestres et des eaux marines de surface, d’une part, et une
accélération de la fonte des glaciers, d’autre part. Or, ces phénomènes se combinent
pour expliquer l’élévation du niveau de la mer. Ces deux exemples montrent bien
que processus physiques (les aléas) et humains s’influencent plus encore qu’ils ne se
rencontrent simplement à un moment précis, celui de la perturbation (Blaikie et al
1994). Si le paradigme de la réciprocité a indéniablement fait avancer les réflexions
sur les concepts de risque et de vulnérabilité, il a en même temps considérablement
compliqué l’identification de stratégies pragmatiques de réduction des risques
(Wisner 2004). D’abord parce qu’il a accru le nombre de variables à considérer (de
surcroît des variables de natures différentes), ensuite parce qu’il a imposé de tenir
compte à la fois des interactions entre ces variables et de leurs temps de latence
respectifs.
En effet, si les impacts d’une perturbation sont en premier lieu directs (pertes
humaines, dégradations diverses, ruptures des réseaux, etc.), ils peuvent également
s’étaler dans le temps suivant le principe des dominos (Dauphiné et Provitolo 2007,
3 Hewitt K., 1983. Interpretation of calamity from the viewpoint of human ecology. Landmark
publication.
4 « Mutuality paradigm » en anglais.
6
Risques côtiers et adaptations des sociétés
Provitolo 2007), allongeant ainsi la « durée de vie » d’une catastrophe. Cela est
d’autant plus vrai dans le contexte du changement climatique, qui oblige à prendre
en compte le temps long (risques graduels et incertitude associée). En resserrant
l’échelle de temps, on constate que la vulnérabilité du territoire joue un grand rôle
dans l’enchaînement des conséquences d’une catastrophe, car la nature propre de
cette vulnérabilité est double : elle a trait d’abord à la fragilité (environnementale
et/ou humaine) d’un système face à une perturbation, mais aussi à la capacité de ce
dernier à absorber la crise et à retrouver un équilibre (on parle de résilience).
Schématiquement, la fragilité explique les impacts les plus directs, et la résilience
ceux qui interviennent par effet dominos. Or, comment analyser cette résilience sans
intégrer dans les réflexions les multiples interactions entre les composantes de la
société, d’une part, et entre la société et son environnement, d’autre part ? Ce
questionnement fonde la pertinence du paradigme de la réciprocité, qui impose
finalement d’adopter une vision dynamique de la relation homme/milieu, donc du
risque, de la vulnérabilité et de l’aléa. En termes d’analyse, cela suppose de tenir
compte du fait que la vulnérabilité résulte à la fois d’influences endogènes et
exogènes (Füssel & Klein 2006), ce que ne laissait que peu entendre le paradigme
structurel, et aussi que le niveau de vulnérabilité peut évoluer dans le temps.
Une définition assez aboutie de la vulnérabilité a inauguré l’entrée dans le XXIe
siècle, au travers d’un consensus entre des chercheurs du monde entier réunis dans le
cadre du GIEC5 autour de la problématique du changement climatique. Faisant
expressément référence à l’interface Homme/Nature et aux relations entre les
hommes, le rapport de 2001 du GIEC entendait donc par vulnérabilité le degré par
lequel un système risque de subir ou d’être affecté négativement par les effets
néfastes des changements climatiques, y compris la variabilité climatique et les
phénomènes extrêmes. La vulnérabilité dépend du caractère, de l’ampleur et du
rythme des changements climatiques auxquels un système est exposé, ainsi que de sa
sensibilité et de sa capacité d’adaptation6. Si cette définition présente encore
quelques ambiguïtés (Brooks 2003, Magnan 2012), preuve de la complexité du
champ thématique, elle a le mérite de caractériser indirectement la vulnérabilité par
une triple dimension : caractère, ampleur et rythme.
5 Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, en anglais
Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) – www.ipcc.ch.
6 Vulnerability is the degree to which a system is susceptible to, and unable to cope with,
adverse effects of climate change, including climate variability and extremes. Vulnerability is
a function of the character, magnitude, and rate of climate change and variation to which a
system is exposed, its sensitivity, and its adaptive capacity.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 7
7.1.2. Perturbation, territoire et vulnérabilité
Il est fondamental à ce stade de comprendre comment les notions de
perturbation7 (les aléas) et de territoire s’imbriquent pour exprimer une
vulnérabilité. On peut alors décrire la perturbation et le territoire suivant la triple
dimension exprimée par le GIEC (caractère, ampleur et rythme), et ainsi montrer les
croisements qui définissent la vulnérabilité (cf infra figure 7.3). Le tableau 7.1
montre l’équivalence des termes utilisés ci-après.
GIEC
Définition classique de
l’aléa/événement/perturbation
Équivalence de termes dans
ce texte
Perturbation
Territoire
Caractère
Nature
Nature
Nature
Rythme
Fréquence
Temporalités
Temporalités
Ampleur
Intensité, lieu
Ampleur
Spatialités
Tableau 7.1. Équivalence des termes employés dans la démonstration ci-après (à mettre en
parallèle avec la figure 7.3)
Perturbation
La nature de la perturbation est souvent très complexe. Si celle-ci prend source
en un milieu particulier, sa traduction en processus physique (vents, houles,
mouvements de terrain, etc.) peut se réaliser au sein de l’une ou de plusieurs des
trois grandes sphères air/terre/mer. C’est le cas des cyclones qui prennent naissance
au-dessus de l’océan et génèrent, sur les côtes, à la fois des vents violents, de fortes
houles et des pluies intenses. Le volcanisme également peut à la fois combiner des
coulées de lave, des nuées ardentes et des glissements de terrain. Ainsi, au-delà de la
nature originelle de la perturbation (le cyclone, l’éruption volcanique), ce sont
surtout des effets d’enchaînement de processus physiques qu’il convient de
considérer pour expliquer la transformation d’un aléa originel en de multiples aléas
secondaires d’un point de vue séquentiel. La nécessité de cette approche
7 Nous préfèrerons ici le terme de perturbation à celui d’aléa, car il est plus aisé à
appréhender pour la majorité des sciences sociales qui, en dehors de la géographie, n’ont pas
de formation spécifique aux mécanismes physiques qui génèrent l’aléa. Ainsi, il nous semble
plus approprié pour permettre aux sciences sociales d’intégrer à la fois les changements
environnementaux ponctuels et graduels, et donc de prendre en compte les combinaisons
d’aléas et de risques.
8
Risques côtiers et adaptations des sociétés
combinatoire est encore plus prégnante lorsque l’on considère les effets du
changement climatique : l’accroissement des températures, par exemple, se traduit
sur le temps long par une accélération de la fonte des glaciers et une augmentation
du volume de la masse océanique (processus de dilatation thermique), soit par une
élévation du niveau de la mer qui, associée à d’autres processus, conduit à
l’exacerbation d’événements extrêmes (par ex., les tempêtes) et à des changements
environnementaux plus lents (par ex., salinisation des nappes phréatiques et des
sols). L’enjeu face au changement climatique est donc d’arriver à prendre en compte
l’ensemble des modifications des processus naturels. Cela explique le choix de
parler ici de perturbations au sens très large du terme, en englobant à la fois les
processus et leurs manifestations ponctuelles (les aléas).
Sur le plan des temporalités, la perturbation peut être circonscrite dans le temps
(orages violents, inondations ou encore feux de forêt) ou bien diffuse, graduelle. La
question du changement climatique combine ces deux mécanismes puisque la
possibilité d’exacerbation et d’intensification d’événements ponctuels plus ou moins
récurrents (sécheresses, vagues de chaleur, cyclones, etc.) annonce des changements
graduels, tant en termes de conditions (températures, courants, précipitations, etc.)
que de ressources (eau, poissons, etc.). Le changement climatique renvoie dès lors à
une modification potentiellement profonde des milieux naturels et, indirectement,
des cadres de développement des sociétés humaines. Cela introduit un autre élément
important : les temporalités de certaines perturbations peuvent être complexes, à michemin entre ponctuel et graduel. C’est typiquement le cas des sécheresses dont les
incidences peuvent varier de quelques jours à plusieurs mois, voire des années, et
qui peuvent résulter d’une pénurie d’eau latente révélée à un moment donné par un
déficit en précipitations, par des températures plus élevées qu’à la normale et/ou par
des problèmes de surconsommation.
Les temporalités (pas de temps et rythmes) influent sur la nature et sur l’ampleur
des impacts, et donc sur les formes de vulnérabilité. Sur cette base, N. Brooks
(2003) proposait une classification des perturbations en trois catégories. Celle des
perturbations ponctuelles récurrentes8, d’abord, regroupant des perturbations brèves
mais qui se répètent dans le temps, avec plus ou moins de fréquence. Les tempêtes,
les sécheresses ou les inondations entrent typiquement dans cette catégorie. Ces
perturbations sont aujourd’hui relativement bien connues, car de nombreux travaux
scientifiques se sont attachés à des études de cas et à l’analyse des divers impacts.
La deuxième catégorie, celle des perturbations graduelles9, renvoie à des
phénomènes continus tels l’augmentation des températures moyennes à la surface de
la terre, l’élévation du niveau de la mer ou encore la désertification. Les sociétés
modernes sont plus démunies face à ces perturbations, car si des solutions
8 « Discrete recurrent hazards ».
9 « Continuous hazards ».
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 9
techniques peuvent exister pour prévenir les perturbations ponctuelles10, l’approche
des risques graduels impose des évolutions de comportements et des choix de
développement profonds, qui eux-mêmes supposent une projection sur le long terme
(Magnan 2013). C’est d’ailleurs ce qui explique les principales inquiétudes relatives
au changement climatique. Enfin, la troisième catégorie est celle des perturbations
ponctuelles isolées11, soit des phénomènes qui interviennent de manière ponctuelle
mais non récurrente, et de manière brutale ou progressive. Leur identification
dépend alors de l’échelle de temps considérée : un stress climatique12 ou un
changement dans la circulation des courants océaniques, par exemple. Bien sûr, on
est ici à la limite des deux catégories précédentes, mais cela permet de renforcer
l’idée suivant laquelle un risque, et donc un niveau de vulnérabilité, s’appréhendent
différemment selon le pas de temps considéré.
Enfin, la perturbation se définit par son ampleur, c’est-à-dire son emprise dans
l’espace. Le tsunami de Sumatra (décembre 2004) s’est par exemple fait sentir
jusque sur les côtes orientales de l’Afrique, soit à plusieurs milliers de kilomètres de
sa source. À l’inverse, d’autres phénomènes peuvent être extrêmement localisés tels
les incendies ou les phénomènes de submersion marine. L’élévation attendue du
niveau de la mer ou encore le réchauffement global sont de par leurs conséquences
des problèmes d’ordre planétaire, même s’ils n’agiront pas partout de la même
manière. L’intérêt de prendre en compte la (les) spatialité(s) de la perturbation est
donc double. Il réside d’abord en la compréhension et l’identification des processus
et des impacts potentiels, notamment à travers la cartographie de zones
d’exposition ; ensuite en l’identification des mesures adéquates à prendre pour
limiter le risque. L’une des grandes questions soulevées par le tsunami de décembre
2004 a concerné la mise en place d’un système d’alerte commun à l’ensemble de
l’océan Indien, sachant que dans un pays comme les Maldives, dont près de 90 %
des 298 km2 de terres émergées se trouvent à moins de 1 m d’altitude, les solutions
locales d’anticipation sont modestes13. En revanche, la gestion des crues, par
exemple, ne requiert souvent pas de solutions techniques d’envergure internationale,
et leur régulation en appelle à une échelle locale (système de prévention et d’aide) à
nationale (systèmes d’assurance, par exemple). L’enjeu qu’impose le changement
climatique consiste, au travers des stratégies d’atténuation des émissions de gaz à
effet de serre et d’adaptation, dont un but commun est de limiter la survenue de
catastrophes, à mêler les échelles internationales, nationales et locales.
10 Solutions qui sont d’ailleurs souvent onéreuses, dont l’efficacité est variable et qui ne
relèvent pas que d’aspects techniques (acceptabilité sociale, par exemple).
11 « Discrete singular hazards ».
12 On entre là dans la distinction entre variabilité climatique et changement climatique.
13 Ce qui n’empêche pas le pays de tenter de mettre en place aujourd’hui des solutions
innovantes (Duvat et Magnan 2012).
10
Risques côtiers et adaptations des sociétés
Territoire
Le territoire répond lui aussi à la triple dimension nature, temporalités et
spatialités. Sa nature lui confère des caractéristiques spécifiques qui ont trait tant à
sa configuration spatiale, exprimée en termes de potentialités/contraintes, qu’à la
société qu’il abrite et qui définit des stratégies d’exploitation de ces
potentialités/contraintes originelles. Une vaste surface continentale constituée de
grandes plaines parcourues de manière homogène par de nombreux cours d’eau
n’offre à l’évidence pas les mêmes potentialités de développement agricole qu’un
archipel océanique ou qu’une île sèche de Méditerranée. De même que deux espaces
aux configurations spatiales comparables peuvent ne présenter ni les mêmes axes de
développement (tourisme plutôt qu’agriculture, par exemple), ni les mêmes niveaux
de développement, et ce du fait de différences en matière d’héritages historiques, de
choix politiques ou encore de niveaux d’échanges avec d’autres espaces (Diamond
2006).
Parallèlement, un territoire, même s’il se définit avant tout comme le produit des
liens systémiques entre une communauté et un espace (Di Méo 1991, Collignon
1999), est constitué d’une multitude de territoires de hiérarchies inférieures, d’une
mosaïque d’espaces eux-mêmes fonctionnant comme des micro-territoires. À tel
point qu’il est extrêmement difficile de délimiter un territoire, car quelle que soit sa
taille, un système est toujours à la fois composé de sous-systèmes et englobé par un
système d’échelon supérieur (Péguy 1996). Ainsi les spatialités du territoire sontelles multiples (figure 7.2).
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 11
Figure 7.2. Les spatialités du territoire
Enfin, les caractéristiques propres du lieu confrontées à l’identité du groupe qui
l’occupe, ainsi que les interactions qui s’établissent entre ce territoire spatialement
circonscrit et ses voisins, définissent les manières dont ce dernier s’est édifié et
évolue. On entre ici dans une logique de processus, donc dans une dimension de
temporalités. Celle-ci est fondamentale pour bien appréhender le territoire, dont les
potentialités et contraintes actuelles résultent d’évolutions socioculturelles,
économiques, politiques et environnementales plus ou moins récentes et rapides. Le
présent s’enracinant dans l’histoire, la vulnérabilité d’un territoire confronté un
moment donné à une perturbation recèle elle-même toute cette profondeur
temporelle, de la même manière qu’elle varie d’une échelle de lecture à une autre et
qu’elle dépend des caractéristiques propres tant au phénomène perturbant qu’au
territoire.
La vulnérabilité, point de rencontre entre la perturbation et le territoire
En confrontant les trois dimensions de la perturbation, d’une part, et du territoire,
d’autre part, une conclusion s’impose : le rapport entre les atouts et les contraintes
d’un territoire soumis à une perturbation naturelle, rapport qui explique l’ampleur et
la nature des impacts, dépend intrinsèquement des relations qu’entretiennent ces six
12
Risques côtiers et adaptations des sociétés
variables (figure 7.3). L’ampleur de la perturbation, par exemple, influe sur les
temporalités du territoire car elle se traduit par une surface d’impact plus ou moins
grande, qui englobe de fait plus ou moins de zones abritant une activité économique.
Cela se répercute sur les rythmes du processus de développement. À titre d’exemple,
rappelons que bien que l’intensité de l’onde de tsunami ait été plus forte en Inde et
au Sri Lanka qu’aux Maldives, les répercussions économiques de la catastrophe de
2004 ont proportionnellement été moins lourdes de conséquences dans ces deux
premiers pays que dans l’archipel maldivien (Cosaert 2005, Landy 2005). À cela,
une double raison : l’Inde et le Sri Lanka présentent une moindre part de linéaire
côtier14, donc a priori et toutes proportions gardées, moins de surface d’exposition ;
mais surtout, d’une part les activités qui constituent le cœur de leurs économies
n’étaient pas localisées dans les zones côtières dévastées, d’autre part ces pays
étaient en phase de relativement forte croissance économique. Aux Maldives, en
revanche, le tourisme est exclusivement balnéaire et il contribue au tiers du PNB et
aux trois-quarts des entrées de devises étrangères. À une échelle plus fine, toutes les
îles maldiviennes n’ont pas réagi de la même manière à l’onde de tsunami et en
termes de dégâts et d’évacuation de population, les contrastes ont pu être très forts
entre des îles distantes pourtant de moins d’un kilomètre (Magnan, 2006). Le niveau
de vulnérabilité varie donc dans l’espace, parfois à des échelles très fines.
Figure 7.3. Les spatialités du territoire
Sur un autre plan, les temporalités de la perturbation jouent sur celles du
territoire, plus exactement sur la planification territoriale. En effet, la perturbation se
traduit en une menace qui est soit concentrée dans le temps, soit graduelle, donc qui
est plus ou moins pressante en matière de réduction des risques et d’aménagement
du territoire. Cela peut amener une société à s’implanter sur des côtes protégées des
tempêtes récurrentes, mais localisée dans une région qui sera soumise, à l’échelle de
14 Rapport de la longueur de côtes (en km) sur la superficie totale du pays (en km2).
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 13
quelques décennies, à un problème d’épuisement de la nappe phréatique, mal
alimentée en raison d’un régime hydrologique déficitaire. Ici, le risque du temps
court a davantage d’impact en termes de politique publique que celui du temps long.
Le cas de l’implantation de nouveaux pôles touristiques sur les côtes
méditerranéennes offre un exemple typique de la faible prise en compte du temps
long par les aménageurs et opérateurs économiques, alors même que le changement
climatique, en l’état actuel des connaissances et en tenant compte du poids des
facteurs locaux dans les évolutions régionales (échelle de la Méditerranée), soulève
a priori à la fois des contraintes et des opportunités (Perry 2001). En Tunisie, par
exemple, un projet touristique (15 hôtels, un golf, une marina) vise le comblement
partiel d’une lagune (Lella Hadhria) sur la partie est de l’île de Djerba, alors même
que le cordon sableux qui la sépare de la mer présente des dimensions modestes
(quelques mètres de hauteur, au mieux 250 m de large) et que l’érosion côtière est
fort active sur cette portion de côte (Paskoff 1985, Oueslati 2004). Or, selon
l’évolution des courants côtiers, de l’élévation du niveau de la mer et de ses effets
dérivés, ce phénomène d’érosion risque de s’intensifier dans les décennies futures.
Pourquoi donc ne pas avoir imaginé ce projet sur les pentes (très faibles) à l’ouest
direct de cette lagune, ce qui aurait à l’évidence permis non seulement de
s’affranchir du risque d’érosion et des coûts qu’il implique, mais également de
proposer à la future clientèle un paysage remarquable (cordon bas piqueté de
palmiers, entourés d’une eau rose à bleutée) ? Si l’une des raisons aurait pu être une
très forte probabilité de réduction des ressources hydriques de cette zone pentue –
avec par exemple des problèmes induits d’instabilité des sols –, des enquêtes de
terrain15 ont montré qu’un tel scénario n’a même pas été envisagé et que plus
largement, les aménageurs ont une vision sélective des enjeux à prendre en compte
sur les moyen et long termes. Ainsi, les problèmes potentiels relatifs à la montée des
eaux ou encore aux pénuries d’eau, aux vagues de chaleur ou à une évolution des
modes de consommation touristique en Europe ne sont guère pris en compte. D’une
manière générale, la préoccupation du changement climatique a du mal à s’imposer
et les décisions de planification se structurent autour de problèmes jugés plus
immédiats (développement économique, par exemple). Les risques graduels
semblent donc être des moteurs moins forts en termes de décisions publiques et
privées, individuelles et collectives, que ne le sont les risques ponctuels.
On retiendra donc à ce stade que ce sont ces liens entre nature, temporalités et
ampleur/spatialités de la perturbation et du territoire qui expliquent la vulnérabilité.
En ce sens, l’adoption par le GIEC d’une définition globale de la vulnérabilité
constitue un pas en avant fondamental.
15 Réalisées en juillet 2009.
14
Risques côtiers et adaptations des sociétés
7.2. Pour une approche globale et systémique de la vulnérabilité au changement
climatique
Le changement climatique n’est assurément pas le seul facteur de modification
des conditions futures. Le tsunami du Japon en mars 2011 rappelle que ce ne sont
pas seulement les risques d’ordre météo-marins qui sont à considérer, mais les
risques naturels en général, et leurs combinaisons potentielles. D’autre part, le
changement climatique va en grande partie essentiellement exacerber des pressions
qui existent déjà aujourd’hui, telles les difficultés d’accès à une eau de qualité ou la
dégradation des écosystèmes forestiers, par exemple. Un tel constat impose de
chercher à décloisonner une approche du risque qui tend encore aujourd’hui à
diviser les spécialistes des risques naturels et les spécialistes des impacts du
changement climatique. Ces deux communautés scientifiques utilisent d’ailleurs des
mots différents pour traiter de questions somme toute assez similaires dans leurs
grandes lignes. Le schéma de pensée que nous proposons ici a pour vocation non pas
de nous positionner dans l’une de ces deux communautés, mais plutôt de tenter de
émerger une vision commune des grands facteurs qui influencent la vulnérabilité
d’un territoire, d’un système. Ces grands facteurs ainsi que leurs interactions
constituent en effet des pistes de recherche fédératrices et qui invitent au
développement de recherches transdisciplinaires en sciences sociales.
7.2.1. De la vulnérabilité aux changements environnementaux en général
Ce que dit le GIEC de la vulnérabilité au changement climatique
L’on tire de la définition de la vulnérabilité au changement climatique par le
GIEC (cf. supra) que celle-ci dépend de trois grandes composantes : l’exposition, la
sensibilité et la capacité d’adaptation. Le GIEC fournit également des définitions
pour ces trois composantes. L’exposition caractérise la nature et le degré auxquels
un système est soumis à des variations climatiques significatives16. La sensibilité est
le degré d’affectation positive ou négative d’un système par des stimuli liés au
climat [et dont] l’effet peut être direct (modification d’un rendement agricole en
réponse à une variation de la moyenne, de la fourchette, ou de la variabilité de
température, par exemple) ou indirect (dommages causés par une augmentation de
la fréquence des inondations côtières en raison de l’élévation du niveau de la mer,
par exemple)17. Enfin, la capacité d’adaptation représente la capacité d’ajustement
16 The nature and degree to which a system is exposed to significant climatic variations.
17 The degree to which a system is affected, either adversely or beneficially, by climate-
related stimuli. The effect may be direct (e.g., a change in crop yield in response to a change
in the mean, range, or variability of temperature) or indirect (e.g., damages caused by an
increase in the frequency of coastal flooding due to sea-level rise).
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 15
face aux changements climatiques (y compris à la variabilité climatique et aux
extrêmes climatiques)18.
Or, dans les approches classiques du risque, la vulnérabilité est une fonction de
l’aléa et de l’exposition du système à cet aléa. Les notions de sensibilité comme de
capacité d’adaptation ne sont pas évoquées explicitement, bien qu’elles constituent
implicitement des éléments de l’analyse. Ainsi, les spécialistes de la résilience vont
par exemple avoir tendance à parler de la capacité de réponse d’un système (coping
capacity), quand les spécialistes de l’adaptation au changement climatique vont
parler de capacité d’adaptation (adaptive capacity). Le fait est que ces deux notions
renvoient schématiquement à des conceptions comparables de l’aptitude (ou non)
d’un système à la fois à répondre à un aléa et à anticiper les suivants. Il nous semble
donc qu’une approche « simplifiée », c’est-à-dire qui n’entre pas dans les débats
conceptuels opposant spécialistes du risque et spécialistes du changement
climatique, a sa place. « Simplifiée » ne signifie cependant pas « simplificatrice » en
ce sens qu’elle ne néglige aucunement l’exigence de profondeur d’analyse que
requiert l’étude de la vulnérabilité. Or, cette profondeur d’analyse se justifie par le
fait que la vulnérabilité d’un système, actuelle comme future, s’enracine en fait dans
une certaine épaisseur temporelle.
Des racines de la société aux conditions de vie actuelles
Blaikie, Cannon, Davis et Wisner ont développé au début des années 1990 le
modèle dit des « pressions et relâchements » (Pressure and Release en anglais, le
PAR Model, figure 7.4). L’idée de base repose sur le constat qu’une catastrophe se
situe à l’intersection de deux forces opposées : les processus qui génèrent la
vulnérabilité, d’une part, et l’exposition physique aux aléas, d’autre part19 (1994:
22). Leur travail présente essentiellement l’intérêt d’avoir développé une lecture de
la vulnérabilité enracinée dans les fondements intimes de la société considérée. Les
facteurs humains qui expliquent les fragilités d’un groupe relèvent de trois
dimensions originelles, ce qui incite le scientifique à ancrer son analyse dans les
valeurs fondamentales de cette société.
18 The ability of a system to adjust to climate change (including climate variability and
extremes).
19 (…) a disaster is the intersection of two opposing forces: those processes generating
vulnerability on one side, and physical exposure to a hazard on the other.
16
Risques côtiers et adaptations des sociétés
Figure 7.4. Le Pressure and Release Model, ou les forces et faiblesses sous-jacentes du
système (d’après Blaikie et al 1994).
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 17
La première dimension renvoie aux caractéristiques du système humain au
moment où la perturbation survient. Cette dernière peut en effet révéler des
dysfonctionnements latents au niveau des réseaux d’électrification et/ou de
communication, une certaine fragilisation du milieu par les activités humaines, une
instabilité économique et/ou politique, un creusement des écarts sociaux, etc.
Inversement, les conditions préalables à la perturbation peuvent conférer au système
une relative solidité/stabilité qui lui permet de mieux résister à la crise. Ces
caractéristiques de surface (par opposition aux causes plus profondes, cf. infra) sont
à l’interface directe de l’événement, la confrontation expliquant le déclenchement
d’une catastrophe et son ampleur. Mais si des effets dominos jouent et si l’étalement
de la catastrophe dans le temps dépasse la simple confrontation système/événement,
c’est que d’autres logiques sous-tendent les caractéristiques de surface.
Ces logiques renvoient à la deuxième dimension du PAR Model, celle des
pressions dynamiques20 dans le vocabulaire de Blaikie, Cannon, Davis et Wisner. Il
n’est plus fait référence à ce stade à un état statique, mais à des évolutions. La prise
en compte des dynamiques environnementales, socioculturelles, politicoinstitutionnelles et économiques impose à l’analyse de voir les caractéristiques de
surface comme le résultat de multiples évolutions. Cela sous-entend que la
vulnérabilité qui caractérise ce système s’est elle-même construite dans le temps, et
donc que tenter de la réduire (en améliorant la gestion des crises ou en les
anticipant) suppose un travail de fond sur le fonctionnement même du système, et
pas seulement des réajustements de surface. Typiquement, il s’agit davantage de
repenser la relation aux espaces littoraux plutôt que de simplement lutter contre
l’érosion ou la submersion, phénomènes qui peuvent alors être vus comme des
éléments d’un puzzle plus complexe. Ici, l’émergence d’une catastrophe s’enracine
au-delà de la simple interface système/perturbation, dépassant d’ailleurs le cadre du
passé proche (qui explique les caractéristiques actuelles du système) pour remonter
les échelles temporelles jusqu’à un passé moins récent. On passe schématiquement
de l’échelle de la décennie à celle du siècle. La thématique du changement
climatique invite à cette profondeur temporelle puisqu’elle suppose des évolutions
de comportements et des changements dans les modes de développement. Elle
constitue en ce sens une véritable opportunité scientifique pour sonder et
partiellement réinventer les trajectoires de développement des sociétés.
Une troisième dimension apparaît donc dans le PAR Model, plus enracinée
encore dans les temps lointains et qui renvoie aux causes profondes21. L’échelle de
temps, séculaire à pluriséculaire, renvoie cette fois-ci aux valeurs fondamentales sur
lesquelles s’est édifiée la société : organisation hiérarchique, répartition du pouvoir,
rapport aux ressources naturelles, système de croyances, orientations économiques,
20 « Dynamic pressures ».
21 « Root causes ».
18
Risques côtiers et adaptations des sociétés
etc. Ce sont ces schémas ancestraux qui, via le canal du temps et des pressions
dynamiques, sont à l’origine des choix de fonctionnement récents du groupe et, par
voie de fait, de sa vulnérabilité au risque.
Cette conception multidimensionnelle de la vulnérabilité d’un territoire nous
amène à proposer une analyse des facteurs qui influencent cette vulnérabilité, soit
qu’ils l’atténuent, soit qu’ils la renforcent. L’objectif est alors double : rendre
compte de la complexité de la vulnérabilité et proposer un cadre conceptuel. Six
familles principales de facteurs peuvent ainsi être distinguées qui recoupent à la fois
les trois dimensions du PAR Model (causes profondes, dynamiques et de surface) et
celles évoquées dans la définition du GIEC (exposition, sensibilité et capacité
d’adaptation).
7.2.2. Les six grands facteurs d’influence de la vulnérabilité
Que l’on cherche à appréhender la vulnérabilité aux risques naturels en général
ou au changement climatique, une conclusion s’impose rapidement : la vulnérabilité
dépend à la fois de multiples paramètres (environnementaux, économiques,
socioculturels et/ou politico-institutionnels) et de leurs combinaisons (Bankoff 2001,
Becerra 2012). On peut alors distinguer 6 grands facteurs d’influence de la
vulnérabilité au changement climatique et, plus largement, aux risques naturels
(figure 7.5).
Figure 7.5. Les spatialités du territoire
La configuration spatiale
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 19
Elle se traduit en termes de potentialités et de contraintes pour le développement
de la société, et elle recouvre deux dimensions principales.
La première a trait au contexte régional auquel appartient le territoire et qui va
déterminer une série d’événements possibles, tels les cyclones et la mousson dans
les zones tropicales, ou les tempêtes de neige dans les zones froides. Elle fournit en
quelque sorte un cadre général aux aléas naturels.
Ensuite, tous les espaces d’une même zone climatique (intertropicale, tempérée,
polaire) ne sont pas soumis aux mêmes perturbations, soit que les aléas varient en
nature comme en intensité, soit que leurs impacts ne se traduisent pas de manière
uniforme partout. Le type des côtes, à l’échelle locale et micro-locale, joue par
exemple un rôle fondamental : les lidos du Languedoc et de Camargue ne réagiront
pas de la même manière à de fortes vagues que les côtes rocheuses des îles grecques.
De même que la part de linéaire côtier, le degré de ramification du réseau
hydrographique, la topographie d’un bassin, la morphologie sous-marine, etc. vont
concourir à expliquer le degré d’exposition du territoire aux aléas (submersions et
inondations, par ex).
La sensibilité des écosystèmes
Les écosystèmes qui composent un territoire vont être plus ou moins perturbés
par une modification du contexte (moins de pluies, des vents plus forts, des eaux
plus chaudes, etc.). On parle de leur sensibilité, laquelle influe indiscutablement sur
la probabilité qu’une perturbation affecte ou non les équilibres en place. Or, cela
jouera à termes sur la vulnérabilité du territoire dans son ensemble. Faune et flore
peuvent en effet jouer un rôle dans l’atténuation des risques, comme c’est
notamment le cas des récifs coralliens, des mangroves ou des dunes de sable qui, sur
les littoraux, constituent des espaces tampon face aux houles de tempête. Ces
protections naturelles peuvent toutefois être sévèrement affectées par des vagues
plus fortes qu’à l’habitude, ou dans le cas des récifs coralliens, par un réchauffement
des eaux de surface et/ou leur acidification progressive. De même que des espèces
végétales très sensibles aux variations de la pluviométrie ne retiendront plus les sols
en cas de sécheresse prolongée, conduisant de fait à une érosion de ces derniers et à
des glissements de terrain si des épisodes pluvieux surviennent.
Ainsi, les écosystèmes joueront d’autant moins leur fonction protectrice qu’ils
auront été affaiblis par des événements extrêmes ou des changements graduels, qu’il
s’agisse d’ailleurs de pressions liées au changement climatique ou aux activités
humaines (pollution, dégradation mécanique, etc.).
20
Risques côtiers et adaptations des sociétés
La cohésion de la société
Elle repose sur les rapports sociaux entre les individus du groupe, sur le partage
d’une identité culturelle et, a priori, sur une relative homogénéité entre les classes
économiques22. Et elle peut contribuer à l’atténuation de la vulnérabilité du territoire
en favorisant les mécanismes de solidarité à différentes échelles (individuelles et
collectives) et dans différents domaines (alimentation, scolarisation, logement,
formation, etc.). La cohésion d’une société se construit sur la base d’une conscience
d’appartenance à un même groupe, dans lequel le sort des uns est plus ou moins
directement lié à celui d’autres. C’est en soi un élément-clé de l’édification d’une
identité partagée, et à termes de la reconnaissance d’un territoire commun. La
cohésion sociétale peut prendre diverses formes selon les contextes, des systèmes
d’assurance dans les pays industrialisés à des mécanismes de partage de nourriture,
par exemple, dans des systèmes encore traditionnels.
Quelque soit sa forme, la cohésion sociétale va jouer d’abord jouer un rôle en
temps de crise, en favorisant les stratégies de réponse collectives plutôt
qu’individuelles, et limitant ainsi l’ampleur de la catastrophe et ses conséquences
dans le temps.
Elle va ensuite avoir une influence sur la possibilité de mettre en place des
démarches anticipatives qui reposent nécessairement sur l’acceptation par la
population d’avoir à fournir des efforts immédiats pour des bénéfices ultérieurs.
C’est un point crucial de l’actuelle lutte contre le changement climatique, tant du
point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre que de la mise en
œuvre de stratégies et de mesures d’adaptation.
La diversification des activités économiques et de subsistance
La vulnérabilité est d’autant plus forte qu’il y a peu d’activités différentes sur le
territoire et que, lorsqu’il y en a, celles-ci dépendent majoritairement d’une unique
ressource environnementale. Dans un contexte de mono-activité, l’affaiblissement
du secteur dominant par une catastrophe naturelle ne pourra être compensé, au
moins pour un temps, par l’activité d’un autre secteur. Dès lors, et tant qu’une aide
extérieure n’interviendra pas, le territoire se retrouvera sans ressources
économiques, alors même que celles-ci sont plus que nécessaires au moment de la
reconstruction.
La mono-activité présente également l’autre inconvénient de proposer un spectre
d’emplois restreint, si bien qu’en cas de perturbation, c’est rapidement l’ensemble
22 Au sens d’écarts de richesse qui ne sont pas trop importants.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 21
de la force de production du territoire qui est affectée. La perte des emplois et le
manque d’autres perspectives se répercutent sur les revenus des ménages, amputant
leur capacité à se rétablir d’une crise. Un effet de cercle vicieux peut rapidement
s’instaurer.
La diversification des activités n’est cependant pas en elle-même une garantie de
moindre vulnérabilité. Encore faut-il que celles-ci ne reposent pas toutes sur
l’exploitation d’une même ressource. En effet, si un aléa dégrade durablement cette
ressource, le territoire se retrouve dans la configuration précédente, à savoir celle
d’un endommagement du système de production dans son ensemble.
L’organisation politique et institutionnelle
La structuration politique et institutionnelle, et par voie de fait également
administrative, renvoie aux mécanismes qui régissent le fonctionnement du
territoire. Elle traduit a priori le fait qu’un territoire constitué de composantes
territoriales (des communes, par ex.) n’ayant que peu de liens entre elles sera a
priori plus fragile face à une perturbation qu’un espace plus « cohérent », c’est-àdire dont le fonctionnement repose aussi sur l’articulation de réseaux23. Cette
fragilité aura une double conséquence. D’abord, une propension plus grande à ce
qu’à l’échelle de la circonscription touchée, le risque se transforme en véritable
catastrophe puisque ce micro-territoire tendra à se retrouver relativement seul face à
la perturbation. Ensuite, une capacité moins grande de la circonscription d’abord,
puis du territoire dans son ensemble, à contrecarrer les effets dominos
caractéristiques de la catastrophe et en réduire l’ampleur spatiale et temporelle.
Ainsi, si la cohésion sociétale et la diversification économique, par exemple,
peuvent limiter la vulnérabilité, d’autres logiques interviennent en parallèle, qui
caractérisent les mécanismes de régulation des crises et de prévention des risques
naturels. Il s’agit d’une part, des dispositions légales et réglementaires applicables à
l’ensemble du territoire, et d’autre part, des instruments et organes utiles à leur mise
en œuvre. Ces éléments peuvent être traditionnels ou adopter des formes plus
modernes.
Deux questions principales émergent alors. D’abord, existe-t-il à l’échelle de
l’ensemble du territoire une complémentarité des compétences politiques et
institutionnelles (traditionnelles ou modernes) en matière de gestion et de prévention
des risques naturels ? Autrement dit, tous les domaines du risque, et indirectement
23 Cela est vrai si en parallèle, cette articulation des composantes territoriales ne favorise pas
la propagation des conséquences d’une perturbation du lieu d’impact à l’ensemble du
territoire-mère. On touche ici à l’ambiguïté du fonctionnement des systèmes en réseau, dans
laquelle nous n’entrerons pas ici mais qui montre toute la difficulté qu’il peut y avoir à traiter
de manière généraliste de la vulnérabilité des territoires.
22
Risques côtiers et adaptations des sociétés
tous les facteurs influençant la vulnérabilité, sont-ils couverts ? La réponse amène la
seconde question: ces compétences sont-elles coordonnées ? Se complètent-elles les
unes les autres et, au-delà, sont-elles susceptibles de répondre ensemble à la
globalité du risque ? Ces interrogations sont particulièrement prégnantes dans le
contexte des risques graduels, car les mécanismes d’anticipation – donc de cadrage
sur le long terme – requièrent cette cohérence des approches politiques et
institutionnelles afin de construire des réponses structurées susceptibles d’enrayer le
plus tôt possible les effets dominos inhérents à une perturbation.
Les conditions de vie de la population
Le niveau de développement contribue, au même titre que les autres facteurs, à
créer/conserver des marges de manœuvre. On considère ici les conditions de vie de
la population comme un reflet de ce niveau de développement. Dès lors, divers
éléments sont à considérer, et notamment : la démographie, l’habitat, l’éducation,
l’emploi, les transports, l’énergie et la santé.
Le taux de croissance démographique, les densités de population variables d’un
lieu à un autre, ou encore la configuration de la pyramide des âges ont une influence
sur la vulnérabilité. Une forte croissance démographique requiert par exemple des
investissements considérables en matière d’aménagement du territoire (logements,
télécommunications, structures publiques, etc.), ce qui peut paradoxalement tendre à
amputer les capacités financières allouées à la gestion des perturbations en même
temps qu’elle en amplifie les impacts. De même que la densification progressive des
îles-capitales des archipels coralliens, par exemple, conduit clairement à une
augmentation de la population exposée aux aléas météo-marins (Duvat et Magnan
2012).
Les conditions d’habitat influent directement sur la vulnérabilité des
communautés locales face au risque. Les habitations peuvent être précaires et peu
résistantes à des mouvements d’eau, à des vents violents, à de fortes chaleurs ou
encore à l’agression par le sel. Elles peuvent par ailleurs être plus ou moins bien
adaptées à une évolution des conditions climatiques.
La relation vulnérabilité/éducation est très ambigüe. A priori, on pourrait penser
que les niveaux d’éducation de la population tendent à préfigurer la capacité des
individus à adopter des comportements et des pratiques qui réduisent la
vulnérabilité. Cependant, un haut niveau d’éducation ne suppose pas fatalement une
connaissance précise de tous les types de risques menaçant le territoire de vie et des
réactions adéquates à adopter. De la même manière, les savoir traditionnels, qui sont
des mécanismes d’éducation à part entière, peuvent alimenter des formes
d’anticipation et de résilience adéquats face à des aléas connus. Il faut donc
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 23
appréhender la dimension éducative dans un sens très large et en fonction des
particularités du contexte étudié.
Les aspects relatifs à l’emploi, qui sont à la fois quantitatifs et qualitatifs (part de
population active, types d’activités, niveaux de salaires, emploi informel, activités
des subsistance, etc.), ont eux aussi une influence en ce sens qu’ils se traduisent en
termes de niveau de revenus des ménages. Or, ces revenus expliquent en grande
partie l’accès à des logements résistants (qu’ils soient modernes ou traditionnels), à
des moyens de transport, à des ressources spécifiques, etc. Selon les contextes, les
revenus peuvent également expliquer l’implantation dans des zones moins à risques,
mais cela doit être analysé avec précaution, car des plaines littorales bordant des
lagons, comme celle de l’Ermitage à la Réunion par exemple, sont des lieux de forte
attractivité dans lesquels le prix du foncier est élevé.
Les transports, publics et privés, ainsi que la qualité et la diversité des réseaux de
transport permettent de gérer de manière plus ou moins efficace les périodes de
crise, en favorisant par exemple les logiques d’évacuation ou d’acheminement des
premiers secours et d’aliments. Ainsi, les réseaux et moyens de transport peuvent
accompagner une organisation spatiale adaptée aux évolutions naturelles graduelles,
c’est-à-dire un (re)déploiement d’activités existantes ou nouvelles vers d’autres
portions du territoire. Cela renvoie à des questions d’accès des populations aux
véhicules, à des voies de circulation praticables, et aux espaces de repli et de prise en
charge (hôpitaux, zones d’hébergement temporaire, etc.).
Le type d’énergie utilisée par les ménages constitue un facteur limitant ou
aggravant de vulnérabilité en reflétant une dépendance à une source énergétique,
elle-même plus ou moins sensible à des perturbations. De nombreux foyers dans le
monde utilisent encore majoritairement le bois pour se chauffer ou pour cuisiner. En
cas d’incendie, d’inondation ou sur un plus long terme, de réduction des productions
locales de bois, quels effets sont à attendre de difficultés dans l’approvisionnement
en source d’énergie ? De la même manière, une ville privée d’électricité durant
plusieurs jours peut être confrontée à de multiples problèmes. Ceux-ci sont alors à la
mesure de la capacité du territoire à restaurer les réseaux électriques et les appareils
de production d’énergie.
Enfin, les conditions sanitaires peuvent aggraver ou atténuer la vulnérabilité.
Schématiquement, une population en bonne santé tendra à être moins affectée par la
perturbation et ses conséquences indirectes (insalubrité principalement). De même
qu’ayant moins à palier les urgences socio-sanitaires, elle sera a priori davantage
disponible pour développer des stratégies d’adaptation de long terme et plus
globales. Ici comme pour d’autres éléments, les problèmes de marginalisation et
d’inégalités vont expliquer que des groupes de population sont plus menacés que
d’autres. Relativisons cependant ici aussi en rappelant combien des populations
24
Risques côtiers et adaptations des sociétés
immunes de certaines pathologies peuvent être fragiles face à de nouvelles. Or, le
changement climatique est porteur d’une (ré)émergence de maladies dans des zones
dans lesquelles elles n’existent pas ou plus.
La principale conclusion que l’on peut tirer à ce stade est que compte tenu de la
diversité des facteurs d’influence possibles, seule une analyse de ceux-ci et de leurs
combinaisons potentielles peut permettre de tenir un discours cohérent et réaliste sur
la vulnérabilité du territoire ou du système étudié. L’analyse de la vulnérabilité est
donc par nature une démarche transdisciplinaire, dans laquelle les sciences sociales
ont désormais un rôle majeur à jouer.
7.3. De la vulnérabilité à l’adaptation : le cadre théorique
7.3.1. Des relations dynamiques entre vulnérabilité et adaptation
L’essence même de l’analyse de la vulnérabilité d’un système est de comprendre
comment ce dernier fonctionne (quels risques ? Quels enjeux ? Quelles régulations
sont nécessaires ?), pour ensuite envisager des scénarios d’avenir et proposer des
réponses pragmatiques (Downing et Patwardhan 2003). En retour, la mise en œuvre
de stratégies d’adaptation a pour but de réduire la vulnérabilité du territoire aux
risques naturels sur le long terme. Toujours selon le GIEC, l’adaptation est
l’ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimuli climatiques
présents ou futurs ou à leurs effets, afin d’atténuer les effets néfastes ou d’exploiter
des opportunités bénéfiques24.
Dès lors, des courants de pensée divergent pour faire de la vulnérabilité une
fonction de la capacité des sociétés à s’adapter, ou au contraire de l’adaptation une
fonction du niveau de vulnérabilité. Une autre position consiste à dire que l’on peut
distinguer deux stades de vulnérabilité selon que l’on prend ou non en compte la
dimension changement climatique. En effet, en dehors de cette préoccupation, un
territoire est soumis à certains types d’aléas naturels. Or, le changement climatique,
même s’il pourra confronter le territoire à de nouveaux aléas, devrait essentiellement
exacerber son exposition à des aléas déjà connus. Chaque territoire fait donc état
d’une vulnérabilité intrinsèque (ou originelle) que le changement climatique
modifiera. Cette vulnérabilité résultante constituera un second stade et celle-ci plus
que la précédente dépendra aussi des formes d’adaptation mises en œuvre par la
société (dans le dessein de réduire la vulnérabilité intrinsèque). Nous défendons
24 The adjustment of natural or human systems in response to present and future climatic
stimuli or to their effects, in order to mitigate the damage or to exploit beneficial
opportunities.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 25
donc ici l’idée que la vulnérabilité constitue dans le cadre du changement climatique
un bon traceur de l’efficacité des choix d’adaptation.
La vulnérabilité doit alors être entendue comme une caractéristique qui évolue
dans le temps (figure 7.6), se renforçant ou s’atténuant selon l’évolution du contexte
des aléas d’une part, et des choix de société, d’autre part. Ainsi des cercles vertueux
ou vicieux s’instaurent-il entre vulnérabilité et adaptation, et de fait, l’adaptation
doit elle aussi être entendue comme dynamique, évolutive.
26
Risques côtiers et adaptations des sociétés
Figure 7.6. La vulnérabilité évolue dans le temps, en fonction des choix d’adaptation et des
capacités d’adaptation que ceux-ci mobilisent
7.3.2. L’adaptation, un concept en trois dimensions (processus, état, stratégie)
L’adaptation est liée aux choix qu’une société va opérer au fil des évolutions du
contexte dans lequel elle évolue. Parallèlement, l’adaptation revêt aussi des formes
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 27
spécifiques qui se matérialisent sous la forme de projets, de programmes, de plans et
de politiques. Plusieurs dimensions doivent donc être distinguées pour caractériser
de manière complète le concept d’adaptation. On peut dès lors y voir à la fois un
processus, un état et une stratégie (Magnan 2009). Si l’adaptation en tant que
processus traduit le fait d’être ou non en train de s’adapter, l’adaptation comme état
traduit celui d’être ou non adapté à un moment donné, et l’adaptation comme
stratégie celui de vouloir ou non s’adapter (tableau 7.2). Distinguer ces trois
dimensions doit aider à développer des analyses scientifiques utiles à différents
types d’acteurs, tant en termes de sensibilisation aux enjeux de l’adaptation au
changement climatique que d’identification d’options d’adaptation à la fois réalistes
du point de vue de leur mise en œuvre et ambitieuses du point de vue de leurs
objectifs.
Dimension
d’adaptation
Traduit le fait de…
Synonyme
Démarche sousjacente
Processus
Être en train de s’adapter
Mécanisme
*
État
Être adapté
Forme
Action
Stratégie
Vouloir s’adapter
Politique
Intention
* Selon nous, il n’y a pas derrière l’idée de processus de démarche volontaire à
proprement parler, comme c’est le cas pour les dimensions état et stratégie. Ici, la
dimension processus renvoie à la nature même du système et aux aptitudes que lui
confèrent ses composantes et leurs interactions. Suivant ce point de vue, l’ambition de
s’adapter est indirecte dans la dimension processus alors qu’elle est directe dans les
dimensions état et stratégie.
Tableau 7.2. Les trois dimensions de l’adaptation : processus, état, stratégie
L’adaptation comme processus
Le processus d’adaptation renvoie aux mécanismes de l’adaptation, c’est-à-dire
aux logiques propres au système qui expliquent l’évolution des diverses formes que
peut prendre l’adaptation (projets, programmes, plans, politiques). Conformément au
caractère nécessairement global et systémique de la vulnérabilité, et donc de
l’adaptation, la dimension processus intègre les dynamiques à la fois
environnementales et anthropiques qui caractérisent le territoire analysé (cf. les
facteurs d’influence précédents). Elle fait donc spécifiquement référence à l’idée
d’évolution des schémas de développement à promouvoir, pour qu’ils soient de
moins en moins vulnérables aux perturbations naturelles.
28
Risques côtiers et adaptations des sociétés
L’adaptation comme état
L’adaptation en tant qu’état fait référence cette fois aux formes que revêt
l’adaptation sur le terrain, dans diverses sphères et à différentes échelles spatiales. Il
peut s’agir de formes matérialisées (des projets, des groupements associatifs, un plan
national d’adaptation, un changement de pratiques, etc.) ou non (des idées nouvelles,
par exemple). L’état d’adaptation traduit le fait d’être ou non adapté à
l’environnement naturel à un moment donné. Cela renvoie à une certaine unité de
temps, et donc à une échelle de temps spécifique. Autrement dit, s’il est possible de
dire qu’une société est adaptée (ou non) à la variabilité climatique actuelle, il nous
semble a priori impossible de dire si cette même société est adaptée (ou non) au
changement climatique. En effet, ce dernier est une expression de conditions
nécessairement changeantes et que l’on ne connaît pas précisément à l’avance. Dès
lors, une société adaptée aux conditions climatiques à un moment T pourra ne plus
l’être à T+1, de même que l’inverse est vrai. Notons simplement ici que cette
discussion sur les échelles de temps pertinentes renvoie à l’idée de mécanismes
évolutifs d’adaptation, donc à la dimension processus. Il apparaît dès lors que les
deux premières dimensions, de même que la suivante, sont complémentaires, ce qui
contribue à la cohérence du cadre de lecture proposé ici.
L’adaptation comme stratégie
Enfin, une troisième dimension voit en l’adaptation une stratégie, c’est-à-dire
une politique. L’adaptation renvoie alors à des logiques non plus de processus ou
d’action au sens propre du terme (état), mais plutôt à une intention d’agir, et ce au
travers de modes d’occupation des territoires, de gouvernance des sociétés, de la
planification du développement, etc. Il y a là à la fois l’idée d’intention et celle de
conscience des enjeux présents et à venir. Là encore, l’aspect nécessairement
évolutif de l’adaptation est mis en avant et contrairement à la dimension état,
l’adaptation entendue comme une stratégie suppose de mêler différentes échelles
temporelles, de même qu’elle implique une prise en compte de multiples échelles
spatiales.
7.3.3. Penser en termes de trajectoires d’adaptation
Ce découpage peut paraître quelque peu artificiel car processus, état et stratégie
entretiennent des relations de causalité, et elles s’articulent donc plus qu’elles ne se
distinguent. L’utilité de les dissocier est pourtant bien réelle, car au-delà d’alimenter
les réflexions conceptuelles sur l’adaptation au changement climatique, l’exercice
peut favoriser l’adéquation des connaissances scientifiques sur l’adaptation aux
discours de divers types d’interlocuteurs dont la culture et les filtres d’analyse sont
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 29
différents. Tous ne parlent pas le même langage, bien qu’ils aient à traiter de la
même chose, ici la mise en œuvre de l’adaptation. Schématiquement, les
responsables politiques nationaux vont par exemple avoir tendance à être plus
sensibles à l’angle d’entrée stratégie (quels choix politiques pour quelle vision de
moyen à long-terme ?). L’opérateur touristique faisant face à un problème d’érosion
côtière, par exemple, recherchera des solutions de plus court-termes, et donc sera
dans une logique d’adaptation comme un état. Quant à l’anthropologue ou au
sociologue, par exemple, il se penchera probablement davantage sur la dimension
processus de l’adaptation. Nous soutenons ainsi l’idée selon laquelle distinguer ces
trois dimensions de l’adaptation peut permettre d’améliorer l’intégration des
connaissances scientifiques dans des dynamiques sociétales complexes, et ce à
différentes échelles territoriales. Cela peut aider à rassembler les acteurs autour d’un
langage commun. Dès lors, l’élaboration de démarches d’adaptation pertinentes, car
contextualisées, peut largement bénéficier de ce triple cadre d’analyse, car ce dernier
permet, par la segmentation, d’une part d’identifier toutes les composantes d’un
territoire/d’une société qui sont impliquées dans l’adaptation, d’autre part de faire
émerger différentes voies et différents types d’outils (politiques, règlementaires,
sociaux, etc.) pour mettre en œuvre l’adaptation. L’enjeu consiste ensuite à faire le
lien entre ces composantes et acteurs, ce qui suppose de les lier autour de la notion
de trajectoire d’adaptation.
On entend par trajectoire d’adaptation le cheminement suivant lequel un
territoire tente de s’adapter à la variabilité et au changement climatiques. La notion
de trajectoire traduit l’idée d’une adaptation nécessairement dynamique. Elle doit
être comprise non pas comme la quête d’une image figée du futur (« être adapté en
2050 ou en 2100 »), mais comme un état d’équilibre relatif Hommes/Environnement
qui ne sera jamais figé à jamais et qui demandera en permanence des réajustements
plus ou moins profonds. Autrement dit, un enjeu fort consiste non seulement à tenter
de déterminer dès aujourd’hui les formes de l’adaptation future (dimension état),
mais aussi à identifier des grandes orientations d’adaptation qui vont permettre de
conserver une certaine souplesse du point de vue de la mise en œuvre de l’adaptation
(dimensions stratégie et processus). C’est l’idée de flexibilité : compte tenu des
incertitudes sur les impacts locaux du changement climatique, il nous semble en
effet évident aujourd’hui que bâtir des démarches solides d’adaptation doit reposer à
la fois sur une bonne maîtrise du processus d’adaptation et sur l’élaboration de
visions référentes pour l’avenir (l’état « idéal » d’adaptation). La notion de
trajectoire fait le pont entre les deux puisqu’elle vise à déterminer comment atteindre
ces points de référence. Ainsi la trajectoire d’adaptation est-elle nécessairement une
fonction croisée du processus d’adaptation, des états successifs d’adaptation et des
stratégies d’adaptation.
30
Risques côtiers et adaptations des sociétés
7.4. Le cadre d’action : penser l’adaptation au carrefour de l’anticipation et de
la résilience
Pour résumer ce qui précède, et d’un point de vue très général, on peut dire que
l’essence même de l’adaptation est de permettre aux sociétés de réduire leur
vulnérabilité aux changements environnementaux, actuels comme futurs, soudains
comme graduels. Elle ne peut donc être envisagée que de manière évolutive et
suivant trois dimensions puisqu’elle est à la fois un processus, un état et une
stratégie. Reste à savoir comment passer de ce cadre théorique à un cadre d’action.
L’approche théorique peut se traduire en ces termes : le défi de l’adaptation au
changement climatique consiste à rendre les choix actuels compatibles avec les
enjeux environnementaux futurs. C’est aussi l’un des principes forts du
développement durable, avec ceci de particulier dans le contexte du changement
climatique qu’il faut s’adapter dès maintenant à des changements environnementaux
futurs qui, aux échelles locales, restent marqués par de fortes incertitudes. Pour
contourner ce problème de l’incertitude, qui ne peut décemment constituer un alibi à
l’inaction, une option intéressante pour les sociétés consiste à conserver un
maximum de marges de manœuvre afin d’être toujours en mesure de réajuster leurs
choix de développement au fur et à mesure des nouvelles connaissances. Autrement
dit, il s’agit pour ces sociétés non seulement d’être suffisamment solides pour
projeter leurs choix de développement dans le temps, mais également suffisamment
flexibles pour opérer des réajustements. La notion de flexibilité est donc centrale, et
elle repose elle-même sur deux manières éminemment complémentaires d’aborder
l’avenir : l’anticipation et la résilience. Schématiquement, la première renvoie à
l’aptitude d’une société à se projeter dans le temps, et la seconde à l’aptitude à
accroître sa réactivité face à des perturbations relativement imprévisibles.
7.4.1. Anticiper pour s’adapter
L’anticipation, c’est la dimension la plus communément admise de l’adaptation
au changement climatique. Elle fait référence au temps long et à la capacité que l’on
a ou que l’on développe à imaginer et initier des réponses en amont des problèmes.
Les horizons temporels 2030, 2050, voire 2100 sont souvent évoqués car ils
correspondent aux pas de temps des simulations des modèles climatiques, et ce sont
les échéances auxquelles l’on estime qu’il est nécessaire ou souhaitable de penser la
lutte contre les impacts du changement climatique. De plus, toute société nécessite
elle-même du temps pour changer ses modes de consommation, ses pratiques
d’aménagement du territoire, son rapport à l’environnement, etc. Faire évoluer le
fonctionnement de nos systèmes d’ici quelques décennies suppose donc
d’enclencher maintenant les changements, autrement dit d’anticiper.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 31
L’une des principales questions soulevées alors est celle de la capacité des
décideurs politiques, des acteurs économiques, des associations locales et des
populations à se confronter à l’incertitude sur les impacts futurs du changement
climatique. Comment se préparer à quelque chose qu’on n’identifie pas clairement ?
La question pose de nombreuses difficultés, mais il faut également avoir conscience
que l’incertitude liée au changement climatique ne constitue qu’une partie du
problème. En effet, le changement climatique agira en parallèle d’autres moteurs de
changement : les trajectoires économiques, l’évolution des relations géopolitiques,
les phénomènes de mode, d’autres aléas naturels (tremblements de terre, tsunami,
éruptions volcaniques, etc.), le creusement des inégalités socioéconomiques, etc. Or,
ces derniers sont eux aussi emprunts de fortes incertitudes. Si bien que les
incertitudes associées aux simulations climatiques, avant de poser des questions
nouvelles, renforcent d’abord un défi qui existe déjà, à savoir celui d’avoir à parier
sur les bénéfices à venir d’actions que l’on doit initier maintenant. Anticiper n’est
donc pas un défi nouveau, bien que la réalité du changement climatique en fasse
désormais une nécessité vitale.
Par ailleurs, le fait qu’il y ait des incertitudes sur les impacts locaux du
changement climatique à l’horizon de plusieurs décennies ne signifie aucunement
que les aléas futurs seront fatalement nouveaux. Au contraire, une part importante
des menaces que porte le changement climatique consiste en l’exacerbation de
perturbations naturelles qui frappent déjà et parfois depuis longtemps de nombreux
territoires. Il existe donc une certaine expérience des risques passés qui peut être
mise à profit d’une meilleure anticipation des risques futurs. Et s’il n’est bien
entendu pas exclu que des territoires puissent être confrontés à l’avenir à des aléas
qu’ils n’avaient pas ou peu coutume de côtoyer auparavant, ils pourront au moins en
partie bénéficier de l’expérience d’autres territoires. Dresser ce constat revient à
prendre un peu de recul sur le problème de l’incertitude et à ainsi véhiculer un
message positif, à savoir que les acteurs de l’adaptation ne sont pas totalement
démunis face au défi du changement climatique. Ils disposent d’ores et déjà de
moyens d’intervention.
Les initiatives ex-ante ne peuvent toutefois se suffire à elles-mêmes, car toutes
les perturbations ne seront jamais totalement prévisibles longtemps à l’avance. Une
démarche complémentaire doit donc être initiée en parallèle : favoriser la réactivité
des sociétés aux aléas naturels imprévisibles.
7.4.2. Rester ou devenir résilient
Sans entrer dans les détails terminologiques d’un concept étudié depuis les
années 1970, on peut définir la résilience comme étant le mécanisme qui permet à
32
Risques côtiers et adaptations des sociétés
un système de retrouver une forme d’équilibre après une perturbation25. C’est un
mécanisme qui intervient donc ex-post, contrairement à l’anticipation. Pourtant, il
n’en participe pas moins de l’adaptation. En effet, devenir ou continuer d’être
capable de réagir à un événement imprévu reste un enjeu d’actualité étant donné que
la variabilité climatique, qui explique la survenue d’événements extrêmes, se
combinera au changement climatique en tant que tel26 (Berkes 2007). Renforcer
notre aptitude à « digérer » des crises qui surviendront toujours est donc l’objectifclé du pilier résilience. Là encore, l’expérience actuelle peut être utile puisque des
aléas naturels qui ressemblent à s’y méprendre à ceux de demain surviennent déjà.
Le défi de l’adaptation consiste alors à projeter la capacité ou l’incapacité d’un
territoire à être résilient dans le futur.
Les travaux scientifiques enseignent que la résilience repose en grande partie sur
une consolidation de la cohérence territoriale et de la cohésion sociétale, sur une
amélioration des conditions de vie (habitat, santé, alimentation, etc.) et plus
généralement des conditions de développement (éducation, politiques publiques,
emploi, etc.), et enfin sur une meilleure préservation/conservation de milieux
naturels et de la biodiversité (services éco-systémiques notamment). Cela n’est pas
sans rappeler les facteurs d’influence de la vulnérabilité décris précédemment, et ici
encore, il s’agit en quelque sorte de cimenter les caractéristiques de base des
territoires, mais sans pour autant les figer. Ressurgit l’impératif de flexibilité : dès
lors qu’on ne peut prédire l’avenir lointain avec certitude, une stratégie intéressante
consiste à être aussi capable de réagir « en temps réel » ; or, une certaine flexibilité
dans le fonctionnement d’un système influe sur son degré de réactivité et, à termes,
sur son aptitude à être résilient.
7.4.3. Le croisement entre anticipation et résilience
Parce qu’il consiste en la réaction à une perturbation et qu’il renvoie à une
dimension de court à moyen termes, le mécanisme de résilience répond aux
manques du mécanisme d’anticipation, qui n’agit justement pas en réaction à
quelque chose et s’établit sur des échelles de temps moyennes à longues.
Inversement, la logique d’anticipation comble les failles du mécanisme de résilience,
et c’est pour cette raison qu’ensemble, ils sont les deux piliers complémentaires de
25 Qu’il s’agisse de retrouver l’équilibre préalable à la perturbation ou qu’il s’agisse d’un
autre type d’équilibre qui aurait intégré les changements initiés par la perturbation. Cette
question reste largement en débat au sein de la communauté scientifique.
26 Globalement, le changement climatique caractérise l’évolution des moyennes des
paramètres climatiques (à l’échelle de plusieurs décennies), alors que la variabilité climatique
caractérise l’évolution de ces paramètres autour d’une moyenne. Les deux phénomènes
peuvent donc se combiner.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 33
la flexibilité des sociétés et des territoires, et donc de leur aptitude à s’adapter au
changement climatique à venir.
Il faut en déduire que le temps long n’est pas le seul horizon temporel à
considérer en matière d’adaptation, et que le temps court, celui de l’action concrète,
l’est tout autant. Cela revient à affirmer que les démarches d’adaptation ne peuvent
s’affranchir de l’imbrication des échelles temporelles, si bien que des actions
d’aujourd’hui et à bénéfices immédiats ne sont pas déconnectées des enjeux de
l’adaptation au changement climatique. Autrement dit, l’on peut d’ores et déjà
mener de nombreuses actions en faveur de l’adaptation (par ex. réviser les plans
d’aménagement en y intégrant les risques, ou encore lutter contre la pauvreté et les
inégalités sociales), à condition bien entendu de les penser dans un objectif de
renforcement à la fois de la résilience du système et de sa capacité d’anticipation.
Conclusion générale
Ce texte propose une approche des concepts vulnérabilité et d’adaptation au
changement climatique qui puisse permettre à une large gamme de chercheurs en
sciences sociales (différentes disciplines, différents niveaux de maturité scientifique)
de s’en emparer et de contribuer, par des études de terrain, à l’amélioration des
connaissances.
L’analyse de la vulnérabilité au changement climatique, et plus encore de
l’adaptation, est relativement jeune et elle est née du constat d’interactions fortes
entre sociétés humaines et phénomènes naturels. Si les sciences dites dures
(climatologie, géomorphologie, océanographie, etc.) ont un rôle capital à jouer dans
la définition de la nature, de l’intensité et de la fréquence des aléas naturels futurs et
des changements environnementaux, et il en va de même pour les sciences sociales,
dont la responsabilité est d’éclairer les dimensions humaines de la vulnérabilité et du
risque. De multiples dimensions (environnementales, culturelles, politiques, etc.) et
échelles temporelles sont donc à intégrer les unes par rapport aux autres, et c’est leur
croisement qui fonde la légitimité du concept de vulnérabilité.
Ce texte propose un cadre d’analyse reposant sur six grands facteurs d’influence
de la vulnérabilité au changement climatique et, plus largement, au changement
global : la configuration spatiale, la sensibilité des écosystèmes, la cohésion de la
société, la diversification des activités économiques et de subsistance, l’organisation
politique et institutionnelle, et les conditions de vie. L’analyse par ces six facteurs
permet de comprendre le contexte du risque (composantes et dynamiques à l’œuvre),
et ce au service de l’élaboration de stratégies de réponse. Ainsi passe-t-on de la
34
Risques côtiers et adaptations des sociétés
vulnérabilité à l’adaptation, le but de celle-ci étant clairement de réduire la
vulnérabilité sur le long terme.
Le texte propose également un cadre d’analyse de l’adaptation au changement
climatique. Il avance notamment l’idée selon laquelle l’adaptation doit être analysée
à la fois comme un processus, un état et une stratégie. L’adaptation en tant que
processus traduit le fait d’être ou non en train de s’adapter. L’adaptation comme état
traduit celui d’être ou non adapté à un moment donné. Et l’adaptation comme
stratégie renvoie au fait de vouloir ou non s’adapter. Imbriquées, ces trois
dimensions permettent de penser la lutte contre les impacts du changement
climatique en termes de trajectoires d’adaptation, c’est-à-dire de manière
nécessairement évolutive. La notion de trajectoires d’adaptation renvoie donc
explicitement à la nature dynamique tant de la vulnérabilité que de l’adaptation.
Enfin, le texte propose de passer d’une approche théorique de l’adaptation à un
cadre d’action plus concret. La théorie peut se résumer ainsi : le défi de l’adaptation
au changement climatique consiste à rendre les choix actuels compatibles avec les
enjeux environnementaux futurs. Or, la modélisation climatique ne peut pas et ne
pourra pas prévoir longtemps à l’avance toutes les modifications environnementales,
si bien qu’il existe et qu’il existera toujours une part – mais une part seulement –
d’incertitude sur les aléas futurs, notamment en matière d’événements extrêmes. Un
tel constat impose de placer au cœur de la capacité d’une société à s’adapter au
changement climatique la notion de flexibilité, dont les deux piliers centraux sont
l’anticipation et la résilience. L’anticipation renvoie à l’aptitude de la société à se
projeter dans le temps, quand la résilience renvoie à son aptitude à accroître sa
réactivité face à des perturbations imprévues.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 35
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