CAHIERS D`ÉPISTÉMOLOGIE

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CAHIERS
D'ÉPISTÉMOLOGIE
Publication du Groupe de Recherche en Épistémologie Comparée
Directeur: Robert Nadeau
Département de philosophie, Université du Québec à Montréal
Les trois courants complémentaires du champ de l’économie de
l’environnement : une lecture systémique
Olivier Godard
332e numéro
Cahier nº 2005-09
http://www.philo.uqam.ca
Cette publication, la trois cent trente-deuxième de la série, a été rendue possible grâce à la contribution
financière du FQRSC (Fonds québécois de recherche sur la société et la culture).
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Dépôt légal – 2e trimestre 2005
Bibliothèque Nationale du Québec
Bibliothèque Nationale du Canada
ISSN 0228-7080
ISBN: 2-89449-132-8
© 2005 Olivier Godard
Les trois courants complémentaires du champ de
l’économie de l’environnement :
une lecture systémique
Olivier Godard
Directeur de recherche au CNRS
et professeur à l’École Polytechnique de Paris
[[email protected]]
Mars 2005
Résumé
C’est de façon non contingente au regard de son objet que l’économie de l’environnement s’est
structurée autour de trois courants principaux : le courant néo-classique, abordant
l’environnement comme une collection de biens relevant de la problématique générale de
l’allocation des biens en fonction des préférences des agents ; « l’économie écologique » qui
étudie tendanciellement l’économie humaine comme elle le ferait pour un système écologique ; la
socio-économie, centrée sur l’articulation entre les comportements d’utilisation des ressources et
des milieux, les institutions et les normes sociales. C’est ce que permet de comprendre le concept
d’environnement dérivé de la théorie de l’auto-organisation. Deux points d’appui montreront la
pertinence de ce regard théorique sur ce champ : la révélation de la déficience intrinsèque de
l’approche en termes d’internalisation des effets externes à penser le développement durable ;
l’inadaptation du concept économique de bien pour faire face aux enjeux de la protection de la
biodiversité.
Abstract
It is not by a contingent chance that environmental economics are hosting three main approaches:
the neo-classical one, which considers the environment as a set of goods submitted to the general
problem of searching the best allocation according to individual preferences; ecological
economics, which tends to consider human economy as an ecological system; socio-economics,
focused on links between economic behaviours, institutions and social norms. This is what can be
understood through an examination of the structure of the concept of environment derived from
self-organizing systems thinking. Two insights will demonstrate the relevance of this theoretical
view: the first will reveal the intrinsic deficiencies of the framing of internalizing environmental
externalities for thinking sustainable development strategies; the second will show the illadaptation of the concept of economic good to address challenges of biodiversity protection.
Mots-clé : environnement, théorie économique, auto-organisation, effets externes,
développement durable
Key words: environment, economic theory, self-organization, external effects, sustainable
development
Classification JEL: A13 B41 D62 Q01 Q20
Introduction
L’analyse économique ne s’est trouvée véritablement confrontée à la question de
l’environnement que depuis les années 1960. Certes, des bases théoriques avaient été posées bien
avant, tant pour les phénomènes de pollution - de Pigou (1920) à Coase (1960) -, avec
l’introduction de l’idée d’un écart entre coûts sociaux et coûts privés résultant de la présence
d’effets externes -, que pour l’exploitation et la gestion des ressources naturelles - Hotelling
(1931) pour l’économie des ressources épuisables et Gordon (1954) et Shaefer (1955) pour des
ressources renouvelables comme les pêcheries -, sans remonter aux problématiques et débats du
XIXe siècle. Les années 1950 avaient vu des contributions importantes comme l’article de
Samuelson (1954) sur les biens collectifs (désignés de façon impropre comme biens publics à
partir du point de vue initial adopté par Samuelson qui est celui des dépenses publiques), les
articles de Meade (1952) et Scitovsky (1954) sur les distinctions à opérer au sein des effets
externes, mais aussi le livre prémonitoire de Kapp (1950) sur les coûts sociaux de l’économie de
marché.
Un nouveau cycle d’inquiétude environnementale et de critique sociale s’est amorcé et
développé avec puissance, au milieu des années 1960. L’ouvrage de Rachel Carson sur les
menaces chimiques pesant sur les oiseaux date de 1962 ; l’article de Burton Weisbrod
introduisant pour la première fois l’idée de prix d’option dans un débat sur les modes de gestion
des parcs naturels date de 1964, tandis que le livre de Ezra Mishan sur les coûts de la croissance
économique date de 1967. Animé par une double prise de conscience scientifique et militante,
mais aussi pratique, par exemple s’agissant de la gestion de la ressource en eau, ce mouvement a
conduit les gouvernements des pays industrialisés à se doter de nouvelles structures ministérielles
dédiées à la protection et à la valorisation de l’environnement et des ressources naturelles (1969
aux États-Unis, 1971 en France, par exemple).
Dans ce contexte l’abord des problèmes d’environnement par les économistes a pu
prendre deux formes : celle du déploiement des ressources conceptuelles et méthodologiques déjà
acquises, qui n’exclut pas des innovations conceptuelles à l’intérieur d’un cadre donné ; celui de
la recherche d’un renouvellement théorique profond en réponse à un défi inédit. C’est ce qu’on a
observé. Depuis lors, le champ de l’économie de l’environnement est marqué par la diversité des
approches au moins autant que la discipline économique peut l’être de façon plus générale.
5
Toutes les écoles qui composent cette dernière (néo-classicisme, néo-marxisme, néo ou postkeynesianisme, tradition autrichienne, socio-économie, etc.) s’y sont retrouvées, certes avec une
audience inégale, surajoutant leurs différences et leurs difficultés de dialogue aux différences de
postures visant, les unes, l’application d’un corpus déjà constitué, les autres, son renouvellement.
La diversité est telle qu’il n’est pas aisé de saisir l’unité scientifique de ce champ de
connaissance. Faut-il incriminer un manque de consistance et de maturité scientifique en dépit de
ces décennies d’élaboration ? Ou bien existe-t-il, au-delà d’une diversité bien réelle, une unité
plus profonde qui relie entre eux des courants scientifiques rivaux qui se pensent volontiers
chacun comme exclusif des autres ? De quelle nature est alors cette unité ? L’idée que j’ai sur ces
questions est la suivante : au-delà des relations de rivalité entre écoles, c’est de façon non
contingente au regard de son objet que le champ de l’économie de l’environnement s’est structuré
autour de trois courants principaux : le courant néo-classique, abordant l’environnement comme
une collection de biens qui, certes un peu particuliers, relèvent de la problématique générale de
l’allocation des biens en fonction des préférences des agents ; « l’économie écologique » qui, à la
limite, étudie l’économie humaine comme elle le ferait pour un système écologique, par exemple
à travers l’étude des transferts d’énergie, quitte à plaquer ensuite sur ce type de modélisation les
normes d’équité supposées les plus progressistes ; la socio-économie, centrée sur l’articulation
entre les comportements d’utilisation des ressources et des milieux et les institutions et les
normes sociales, et regardant ces dernières comme des médiations nécessaires entre économie et
nature. En d’autres termes, l’intelligibilité du champ nécessite la mobilisation des savoirs
construits à partir de ces trois courants, même si leurs hypothèses constitutives sont différentes et
antagonistes.
Le texte est organisé comme suit : la première section introduit les trois courants
principaux mentionnés ; la deuxième pose les principaux enjeux philosophiques de l’engagement
d’une démarche économique sur la question de l’environnement ; la troisième revient sur le
concept d’environnement en s’appuyant sur la théorie de l’auto-organisation pour montrer quelle
place théorique occupe chacun des trois courants dans l’ensemble ; la quatrième propose une
critique de l’approche en termes d’effets externes et souligne en quoi la référence au
développement durable implique un basculement théorique ; la cinquième propose une réflexion
sur la catégorie économique de ‘bien’ et ses insuffisances pour aborder un problème comme la
protection de la biodiversité.
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1. Trois courants à l’influence inégale
Les économistes se sont saisis de la question de l’environnement de trois manières. Dominante
par le nombre des travaux et des publications, la première a consisté à affermir une « économie
de l’environnement » (Cropper et Oates, 1992 ; Oates, 1994 ; Sterner et al., 1998), dont le
programme réside en l’application aux problèmes dits environnementaux des concepts et
méthodes issus de la discipline économique, et particulièrement de son paradigme standard puisé
aux source de l’école néoclassique : l’économique posé comme univers en soi, existant
indépendamment des institutions sociales, mais pouvant être affecté par elles ; individualisme
méthodologique et normatif rabattant les phénomènes collectifs sur les logiques individuelles ;
explication des comportements individuels en termes d’anticipations, de choix rationnels et de
préférences ; caractère central de l’idée d’équilibre ; priorité intellectuelle donnée à la
coordination par les prix et par les contrats. En cela, l’environnement a offert une nouvelle
opportunité aux stratégies d’extension des champs d’application de cette discipline, qui avait
parallèlement engagé d’autres conquêtes comme l’économie du crime et du mariage, ou
l’économie de la réglementation et du droit.
Bien que soumis dans les années 1970 à une critique sévère, voire à un rejet de la part de
pionniers comme René Passet (1979), le courant néoclassique s’est finalement imposé, une
trentaine d’années plus tard, par la puissance de ses formalisations et la masse des chercheurs qui,
nouvellement investis dans ce champ de l’environnement, ont alors utilisé le cadre conceptuel
qu’ils connaissaient, et appliqué les outils qu’ils maîtrisaient. Aux yeux de beaucoup, cette
manière de définir les problèmes constitue le cadre naturel, non questionné d’analyse des
problèmes d’environnement. Le corps théorique ainsi développé s’est notamment imposé auprès
des institutions internationales et des administrations nationales. Ainsi, lorsqu’en 1972, l’OCDE a
adopté le fameux principe pollueur-payeur, c’est en se référant à la théorie néo-classique du
commerce – il ne fallait pas distordre le commerce et l’investissement international – et à la
théorie de l’internalisation des effets externes : les prix des marchandises devaient être corrigés
pour refléter les coûts externes des activités qui requièrent l’emploi de ressources rares de
l’environnement jusqu’alors non tarifées (OCDE, 1975), tout en adoptant curieusement une
formulation en décalage avec ces références puisque le PP se réfère aux dépenses jugées
7
nécessaires par les pouvoirs publics pour que l’environnement soit dans un état acceptable et pas
à un niveau optimum de pollution (Godard, 2002a). De nombreux décideurs ont vu dans cet
outillage néoclassique la base la plus solide, parmi les contributions possibles des sciences
sociales à la rationalisation des processus publics de décision et du choix des instruments de
politique. Les chercheurs travaillant sur ces questions disposent de revues académiques
spécialisées reconnues comme the Journal of Environmental Economics and Management, la
plus ancienne, Land Economics, et Environmental and Resources Economics, la revue
européenne, pour ne citer que les plus connues.
Naturellement, sur une telle période, l’évolution des fronts de recherche au sein du
mainstream a provoqué un déplacement et un renouvellement parallèles des problèmes étudiés
dans le champ de l’environnement : les modèles principal-agent se sont généralisés pour étudier
les situations d’asymétrie d’information dans le domaine de la régulation de l’activité des
entreprises responsables de pollutions ; les modèles issus de la théorie des jeux ont envahi
l’analyse tant des problèmes de coordination internationale (Barrett, 2003), que des interactions
entre politiques environnementales et équilibres économiques en situation de concurrence
imparfaite (Carraro et al., 1996).
Le second courant a pour ambition non seulement de se saisir des enjeux inédits et des
exigences nouvelles dont la question de l’environnement est porteuse, mais de repenser
l’économique à cette aune, à la fois dans ses fondements et dans ses outils. Bioéconomie,
économie écologique, physico-économie, tels furent les principaux noms donnés à l’affirmation
que la question de l’environnement était si décisive pour le devenir humain qu’il fallait constituer
une nouvelle science pour lui rendre justice. L’objet qui lui était assigné était l’étude des
interactions complexes entre l’économie humaine et le fonctionnement physique et biologique de
la planète Terre dont cette économie dépend, dans une démarche générale qui est celle de la
physique, de la thermodynamique et de l’écologie systémique. Les outils de cette nouvelle
science devaient être empruntés à la fois aux sciences de la nature et à la partie des travaux
économiques les plus préoccupés du fonctionnement de l’économie matérielle des hommes.
D’abord mise en avant par des personnalités scientifiques relativement isolées venant de
la communauté des économistes, comme Kenneth Boulding (1966), Herman Daly (1968), Robert
Ayres (1969), Nicholas Georgescu-Roegen (1971), René Passet (1979), Malte Faber (1987), cette
8
seconde approche recherche le renouvellement conceptuel et méthodologique de l’économie dans
le rapprochement interdisciplinaire avec ces sciences de la nature qui se sont affirmées au
XXième siècle : thermodynamique, théorie de l’information, biologie des systèmes ou biologie
intégrative, toutes sciences qui ont la théorie des systèmes pour référent général. Elle a débouché
sur un courant qui s’est identifié à ses propres yeux et aux yeux des autres à travers la formation
d’une Association internationale pour une économie écologique, d’une revue de bonne notoriété
internationale Ecological Economics, et d’ouvrages dont celui dirigé par Robert Costanza (1991)
fut la première manifestation.
Les participants à ce nouveau courant assez hétérogène ont cependant parfois induit une
forme de réductionnisme symétrique de celui qu’ils dénonçaient de la part du mainstream. La
visée d’une meilleure adéquation aux conceptions des sciences de la nature s’est révélée si
prenante qu’une partie des chercheurs en question en sont venus à délaisser ce qui fait qu’une
société humaine n’est pas seulement un système naturel, bien qu’elle ait un soubassement
matériel et naturel.
Le troisième courant s’inscrit dans la perspective d’une socio-économie qui souligne
l’inscription du rapport au milieu naturel et à ses ressources dans des institutions, des cultures,
des visions morales (Foster, 1997) et un fonctionnement social qui médiatisent la formation des
choix individuels (Kapp, 1950 ; Bromley, 1995) et leur modes de coordination (Godard, 1990).
Loin d’être l’expression des préférences individuelles, l’institution collective en est à leurs yeux
l’une des conditions d’émergence en fournissant les repères conceptuels, les connaissances et
l’information à partir desquels ces préférences peuvent se construire. Elle préside également à la
distribution des profits, des coûts et des risques (Beck, 2001), par exemple en incitant, à travers
les transactions marchandes, à la privatisation des profits et à la socialisation des coûts. Ce type
de renversement de perspective - partir de l’institution ou du système de légitimité pour penser
l’action collective et rendre compte de l’univers moral de choix des personnes (Godard, 2004) va être notamment opéré dans le champ des théories normatives du développement, lorsque est
formulée en 1973 l’approche de l’écodéveloppement (Sachs, 1980) dont les figures centrales ne
sont ni les marchés, ni les contrats, ni les préférences individuelles des consommateurs, mais des
instances de planification décentralisée et participative permettant à la fois la délibération des
citoyens-producteurs et l’engagement de leur action collective au plus près des besoins et des
conditions écologiques particulières de chaque population (Godard, 1998).
9
Naturellement, certains auteurs peuvent contribuer alternativement à ces différents
courants ou proposer des vues qui agencent plus ou moins bien des points de vue différents. Il
n’en reste pas moins que les trois courants mentionnés correspondent à des postures théoriques
idéales qu’on peut identifier avec netteté.
2. Enjeux cognitifs et éthiques de la saisie économique de l’environnement : le cadre néoclassique en question
La représentation économique néoclassique du monde repose sur une partition élémentaire en
deux classes : les « agents » humains, dont les préférences et les choix fournissent la référence
ultime du jugement sur les allocations, et les « biens »1, objets utiles dont la plupart sont
appropriés par les agents et échangeables entre eux – les biens marchands ordinaires -. À la base
du regard porté sur le monde, il y a cette idée strictement anthropocentrique qu’un ensemble
d’êtres et d’objets - les biens - sont à la disposition d’autres êtres - les humains et eux seuls - qui
sont fondés à disposer et jouir des premiers selon leur bon plaisir. Cette idée, l’économie
néoclassique ne l’a pas en propre, mais elle en est totalement empreinte. Le rapport instrumental
qu’elle institue s’inscrit dans cette tradition occidentale que cristallise la formule de Descartes
« être comme maître et possesseur de la nature ». Le développement complet du concept de
propriété en fournit la quintessence pratique, en associant le droit d’usage (usus), le droit sur le
fruit (fructus) et la faculté de céder ou de détruire le bien (abusus).
L’environnement est alors défini comme une collection de biens, ou d’actifs naturels
rendant des services à l’homme, que ces services soient directement utiles comme les aménités
d’environnement entrant dans les fonctions d’utilité des consommateurs (spectacle de la nature
sauvage, paysages, air pur, température extérieure compatible avec la vie humaine, etc.) ou qu’ils
le soient à travers leur incorporation à une production sous forme de facteurs de production ou de
matières premières (sols agricoles, semences, engrais végétal, bois), de réserves de ressources
naturelles (forêts) ou encore de fonctions d’assimilation des déchets (zones humides). Les biens
environnementaux relèvent alors du même statut de base, que les biens productibles dont la
reproduction est assurée par l’appareil de production économique, même s’ils comportent
1
Un « bien », selon Bernard Walliser et Charles Prou (1988, p. 159) peut être défini comme
« une entité à la fois physiquement isolable et socialement échangeable, (...) caractérisable par
des paramètres physiques et dénombrable à l’aide d’unités physiques ».
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quelques particularités dont l’analyse économique cherche à repérer les effets sur l’organisation
et la régulation économique. Dès lors, les deux types de biens sont traités comme des
commensurables et soumis en apparence aux mêmes principes d’évaluation et d’allocation.
Dans cette représentation, les agents humains sont les maîtres des biens, ce qui implique
la combinaison de deux propriétés : d’une part, la finalité des biens est hétérocentrée, s’épuisant
totalement dans la satisfaction procurée aux agents humains (maîtrise par destination) ; d’autre
part, les agents humains disposent des moyens juridiques et techniques d’assurer leur emprise
physique sur les biens, de les prendre sous leur garde (maîtrise par la prise de contrôle). La
première propriété s’exprime de la façon la plus manifeste lorsque les biens sont conçus et
fabriqués en vue de la satisfaction des agents. Elle implique détournement et asservissement, au
sens cybernétique, lorsqu’elle s’applique à des êtres naturels auto-finalisés, en particulier les êtres
vivants. La seconde propriété implique la mobilisation d’un savoir, d’un savoir-faire technique et
d’une puissance instrumentale au service d’une prise de contrôle, par exemple pour détourner un
fleuve, domestiquer des animaux sauvages et transformer la vie animale en une production
industrielle d’aliments et de déchets.
Les débats lancés par l’éthique de la nature ou la deep ecology donnent à voir d’autres
représentations possibles, qui méritent, elles-aussi, d’être passée au crible de la critique (Larrère,
1997). L’une d’elle vise l’extension de la notion d’utilité à des êtres non-humains ; d’autres la
reconnaissance de formes de droits à de tels êtres, au moins sous la forme d’obligations des
humains à leur égard. Selon les cas, ces réflexions visent : les animaux supérieurs, en référence
notamment à la capacité à ressentir la souffrance ; toutes les espèces, avec par exemple le postulat
anti-spéciste d’un égal droit de toutes les espèces à éprouver leur potentiel de vie naturelle
conformément à leur constitution biologique ; des communautés biotiques comme des
écosystèmes. Dans ce dernier cas c’est le postulat de la valeur intrinsèque d’associations
fonctionnelles spécifiques de différentes espèces vivantes et de composantes inanimées
spatialisées qui est mis en avant. Si notre société faisait des pas dans ces directions, il ne serait
plus possible d’assimiler les êtres non humains à des biens à la disposition des humains.
Il est ici manifeste que derrière la question environnementale se joue à nouveau, même
dans un contexte philosophique dégagé de l’emprise de la création divine, la légitimité et
l’effectivité du rapport de maîtrise imposé par des agents humains au reste du monde.
11
L’émergence historique de la question de l’environnement est inséparable du mouvement de
critique de la logique technique, économique et sociale qui a présidé au développement du
capitalisme occidental depuis le début de l’industrialisation jusqu’à la fin du XXe siècle. Diverse
dans ses inspirations, cette critique s’est adressée aux deux composantes du rapport de maîtrise :
l’asservissement des êtres naturels à la finalité consommatrice humaine et l’effectivité des
capacités de contrôle, soit des êtres et systèmes naturels, soit des êtres, choses et objets
techniques que les humains font advenir à l’existence, telles la pollution chimique par des
substances de synthèse que la nature ne connaît pas et la diffusion dans la nature d’organismes
vivants originaux, transformés par l’homme dans leur constitution génétique. Dans le premier
cas, c’est la réduction pure et simple des êtres non-humains au statut de « biens » qui est en jeu.
Dans le second cas, ce sont les limites pratiques et techniques du rapport de maîtrise qui sont
mises en avant, avec le constat d’une impossibilité des hommes de contenir les effets de leurs
dispositifs techniques : il y a toujours dispersion, fuites, explosions, contaminations… Avant
d’être rabattue sur les considérations gestionnaires aujourd’hui dominantes, la question de
l’environnement s’est imposée comme aiguillon d’une réflexion sur l’exercice de la maîtrise
humaine sur le monde2. En ce début de XXIème siècle, l’interrogation qui surgit est la suivante :
que serait une maîtrise réflexive, une maîtrise qui intégrerait le savoir de ses propres limites, sur
le plan des finalités comme sur celui du contrôle, dans son positionnement vis-à-vis du monde ?
Avec ces questions, il n’est plus possible de voir seulement dans l’application du regard
économique néoclassique aux problèmes d’environnement une nouvelle conquête rayonnante de
la rationalité. N’opère-t-elle pas d’abord une formidable réitération du rapport de soumission du
monde à la satisfaction de sujets humains individuels ? Ne se trouve-t-elle pas exposée, de ce fait,
au risque d’aveuglement sur la source profonde du malaise et de la tension entre développement
humain et préservation de la biosphère ? N’est-elle pas ce par quoi s’affirme avec le plus
d’arrogance le refus de reconfigurer l’idée de maîtrise ? De façon structurelle et à long terme,
n’est-elle pas davantage du côté du problème que de celui de la solution ?
Pour discerner la signification de la posture néoclassique, il nous faut l’appréhender
comme un opérateur produisant des effets sur le monde de la nature. Quels sont donc ces effets ?
2
Le philosophe qui a poussé le plus loin, sans rompre avec la tradition philosophique
occidentale, l’interrogation sur la menace contenue dans l’idée d’une maîtrise humaine du monde
par la technique est certainement Hans Jonas, dans son livre Le principe responsabilité (1990).
12
3. Retour sur le concept d’environnement
Que veut-on dire quand on qualifie un bien ou un problème d’environnemental ? La réflexion
proposée dans cette section ambitionne de répondre à cette question en prenant appui sur les
conceptions tirées des travaux sur l’auto-organisation de systèmes complexes (Godard, 1984,
1995). Cette approche permet de situer avec clarté la place théorique occupée par les différents
courants économiques précédemment identifiés.
L’environnement et le système : une « hiérarchie enchevêtrée »
Le concept d’environnement ici proposé vise la relation cognitive et pratique établie par un
système auto-organisateur et son environnement. Il faut, pour cela, avoir affaire à un système
dont l’identité et l’autonomie résultent d’un fonctionnement opérationnellement clos et d’une
ouverture physique sur un domaine d’existence qui constitue son environnement. L’idée de
clôture opérationnelle signifie que ce type de système crée son propre espace de signification et
lui donne une base organisationnelle. La rationalité autocentrée qui s’en dégage est le principe à
travers lequel des événements, fluctuations et changements de son environnement prennent sens
pour lui. La référence à l’environnement de ce système vise à situer son existence, son activité et
son devenir dans un contexte interactif englobant qui, tout à la fois, l’inclut, le dépasse et
rassemble un ensemble de conditions critiques pour son existence et son développement.
L’idée générale est que le couple système - environnement agence deux hiérarchies
inverses de sens3 H et H dans la constitution des entités en présence (le système S et son
environnement E) et qu’il a donc une structure de «hiérarchie enchevêtrée». En posant la relation
> comme une relation d’antériorité logique et/ou définitionnelle, je vise les questions suivantes :
qu’est-ce qui procède de quoi ? quelle entité est condition de l’autre ? Ceci étant admis, on peut
caractériser la structure de hiérarchie enchevêtrée (S-E) de la façon suivante :
1° le couple S-E associe d’une façon paradoxale deux hiérarchies inverses de sens, H et H ,
3
Cette idée de hiérarchie de sens peut être comprise à partir de la relation > signifiant « …
procède de…». Si ce qui constitue Y comme entité procède de X, on dira alors que X est
hiérarchiquement supérieur à Y : X > Y.
13
avec H tel que S > E, et H tel que E > S
(1) ;
2° cette association est telle que
•
D’un point de vue structurel chaque hiérarchie comprend l’autre comme composante
nécessaire d’elle-même
•
(2) ;
D’un point de vue dynamique, chaque hiérarchie débouche logiquement et
provisoirement sur son inverse, en constitue un moment, en un mouvement de
circulation analogue au déplacement sur un anneau de Möbius
•
(3) ;
Dans le cas des relations entre économie humaine et environnement naturel, la
hiérarchie enchevêtrée est in fine dominée cognitivement par la hiérarchie H: S > E, car
la question de l’environnement ne peut être posée que par les hommes, mais dominée
pratiquement par H: S < E dans la mesure où l’existence de la nature est une
précondition logique de l’existence de l’humanité.
La proposition (1) découle des deux points suivants :
•
d’un côté, le terme hiérarchiquement premier est le système S initialement choisi pour
référence première de l’analyse ; l’environnement est alors le terme second, puisque sa
qualité d’environnement dépend de sa relation au système de référence ; cette hiérarchie H
correspond à l’affirmation de la logique auto-référentielle qui émane du système ; le point de
vue de l’analyse cherche alors à coïncider ici avec le point de vue du système lui-même ;
•
de l’autre côté, l’environnement, comme réalité englobante dont émanent cohérences,
régulations, ressources essentielles mais aussi menaces et déséquilibres, s’impose au système
comme condition même de son existence et de sa survie. Avec ce statut, s’affirme la
hiérarchie inverse H dont le terme premier est l’environnement, faisant du système un terme
second et dépendant. H correspond à la logique hétéro-référentielle par laquelle le système se
trouve soumis à une réalité dont émane un sens qui n’est pas le sien, mais à laquelle il prend
part et dont il dépend de façon essentielle.
Le paradoxe du couple conceptuel S-E est ainsi d’associer deux hiérarchies inverses sans
qu’elles se neutralisent mutuellement.
14
Les propositions (2) et (3) touchent aux effets du paradoxe : chaque hiérarchie comprend
l’autre comme composante et moment d’elle-même ; cela signifie que le plein déploiement du
sens propre à l’une d’elle implique, à une certaine phase de son développement, son basculement
provisoire sur le sens attaché à la hiérarchie inverse. Au total le sens global émanant de ce couple
n’est pas un sens homogène, mais un sens complexe : il agence des sens qui se construisent sur
des relations inverses de construction. C’est ce que montrent les programmes de recherches qui
s’affrontent de façon polaire dans la discipline économique à propos de la question de
l’environnement biophysique des sociétés humaines.
Deux courants économiques associés respectivement à chacune des deux hiérarchies et le
troisième focalisé sur la mise en relation des deux précédents
Considérons la relation entre l’économie humaine, appréhendée comme un système complexe
auto-organisateur, et la « biosphère » appréhendée comme son environnement. Le point de vue
auto-référentiel trouve une expression pure et réductionniste – individualisme méthodologique dans la représentation néoclassique, puisque la recherche de la meilleure allocation des biens est
référée en dernière instance aux préférences des agents individuels qui forment la société et que
la théorie des effets externes qui lui sert de cadre principal de référence pour aborder les
problèmes de pollution et de déséquilibre écologique n’appréhende les transformations de
l’environnement que comme vecteurs d’une variation non compensée d’utilité des agents faisant
suite à une incomplétude de marché (voir plus bas).
Le point intéressant est le suivant : lorsqu’on veut appliquer cette dernière théorie à
l’environnement et qu’on en suit les étapes logiques, on fait inéluctablement le constat que ce
type d’effets externes ne peut être reconnu, évalué et pris en compte sans que le sens que
prennent les actions humaines pour l’environnement ne se soit révélé pratiquement ou ne soit
élucidé sur le plan cognitif. Autrement dit, afin de qualifier économiquement un dommage
externe, experts et agents doivent en passer par le stade de l’analyse des impacts sur
l’environnement et donc des séquences de causalité entre phénomènes biophysiques, de façon à
identifier l’effet ultime subi par l’environnement. Lors de cette étape, ils sont contraints
d’abandonner la sémantique auto-référentielle (préférences, utilité, choix, évaluation, …) pour
une sémantique hétéro-référentielle (transferts d’énergie, dynamique ou déséquilibre des espèces,
perturbations fonctionnelles, instabilités, résilience, …). Dans cette phase là, le sens pour
15
l’environnement émanant des processus bio-physiques en jeu est bien directeur, commandant le
sens économique qui en dépend in fine. La logique auto-référentielle doit embrasser l’hétéroréférence comme moment de sa propre réalisation.
En pratique l’économiste doit intervenir à la fois en amont et en aval de ses collègues
spécialistes des phénomènes physiques et écologiques : en amont pour déterminer l’intensité des
facteurs initiaux d’impact (consommations énergétiques, changements d’utilisation de l’espace,
flux de déchets, etc.) ; en aval pour donner un sens économique aux chnagements physiques
repérés ou anticipés. Il lui incombe de procéder à deux reprises à des opérations de traduction
d’un univers sémantique à l’autre, d’abord du sens auto-référentiel vers le sens hétéro-référentiel,
puis de ce dernier vers le sens auto-référentiel. Ces opérations sont délicates car les sémantiques
ne s’ajustent pas aisément et la collaboration interdisciplinaire n’offre pas les mêmes
gratifications académiques que l’émulation au cœur des disciplines.
De façon symétrique, le courant de la bioéconomie ou de l’économie écologique entend
s’identifier au point de vue hétéro-référentiel lorsqu’il formule des énoncés touchant au sens que
prennent les phénomènes pour l’environnement à l’échelle de la planète, par exemple une
description des perturbations des échanges océan-atmosphère ou de l’évolution à venir de la
température et des précipitations impliquant de nouvelles contraintes sur les agrosystèmes ou
l’exploitation forestière et, par là, sur la disponibilité de différentes ressources naturelles. En fait
les chercheurs investissant ce point de vue ne sont pas en position de connaître directement et
parfaitement le sens que prennent les phénomènes pour l’environnement. Ils l’approchent à partir
de la construction de savoirs scientifiques qui demeurent marqués par la contingence historique et
sociale propre à la société humaine à laquelle ils appartiennent (état de développement des
savoirs et des techniques, moyens mobilisés dans les appareils de recherche, choix de priorités,
formes d’organisation et de circulation des connaissances, influence des courants idéologiques).
De ce fait leurs énoncés sont des émanations conjecturelles de l’économie humaine – je considère
ici la production de connaissances comme une partie intégrante de l’économie humaine, ce qui
correspond certainement au stade actuel du développement scientifique et technique - dans le
mouvement même où ils prétendent livrer le sens pour l’environnement des phénomènes en
cause. Aucune interprétation s’inscrivant dans une logique hétéro-référentielle n’échappe alors au
processus de controverses scientifiques et sociales et à l’incomplétude des énoncés sur le sens de
la globalité environnementale. Les cadres interprétatifs de l’hétéro-référence portent de façon
16
indélébile la marque du point de vue auto-référentiel.
Comme d’autres types de réalités humaines, l’environnement est socialement construit à
travers un composé de représentations sociales, de formes d’intéressement et de savoirs dont les
connaissances scientifiques ne sont qu’une des composantes. Tout cela dépend de cadres
d’interprétation et de jeux structurés par des institutions singulières. C’est l’entrée choisie par la
socio-économie de l’environnement que de récuser symétriquement les deux réductionnismes
opposés auto-référentiel individualiste et hétéro-référentiel holiste pour montrer comment les
deux hiérarchies se complètent et s’appuient l’une l’autre dans une relation d’étayage4. Prenant
acte de l’incertitude humaine face à l’environnement, elle s’intéresse aux processus collectifs par
lesquels les problèmes d’environnement vont être construits et pris en charge à l’interface de
l’action publique et des jeux économiques. Les enjeux d’institution, de légitimité contestable,
d’identité, de coordination et d’engagement y sont mis en valeur, mais sans les déconnecter des
enjeux économiques classiques (formation et distribution de revenus, stratégies concurrentielles,
efficacité allocative, etc.) Ce faisant cette socio-économie contribue à enchâsser l’économique à
la fois dans le socio-institutionnel et dans la matérialité biophysique du monde. Elle vise tout
autant à rendre compte du mouvement inverse par lequel des mécanismes économiques donnent
leur relief à certains enjeux de conventions et d’institution plutôt qu’à d’autres et produisent le
monde physique de demain dans des conditions qui font que la reproduction de l’environnement
demeure une question ouverte à travers laquelle l’humanité se met en risque. En conclusion, si
chacun des deux pôles opposés (économie néoclassique de l’environnement et bioéconomie)
s’identifie sans ambiguïté et de façon revendiquée à l’une des hiérarchies constitutives de la
hiérarchie enchevêtrée, la socio-économie de l’environnement travaille à la charnière des deux
points de vue considérés et vise à travers la notion d’étayage à rendre compte à la fois de
l’autonomie d’appréhension des problèmes par l’économie humaine en faisant valoir la pluralité
des constructions possibles et effectives, au-delà de la construction individualiste néo-classique,
et de l’assise apportée à cette construction par les phénomènes naturels eux-mêmes. Il n’est donc
pas étonnant que cette socio-économie là se soit intéressée à ce point aux effets des situations de
controverse scientifique et au processus d’expertise scientifique en contexte d’incertitude
4
Je dois cette idée d’étayage de l’institution humaine sur les processus naturels à Cornelius
Castoriadis (1975).
17
scientifique5.
Ce positionnement particulier de la socio-économie est conforté par la reconnaissance de
deux facteurs de complexification : la pluralité des niveaux d’organisation et celle des ordres de
justification de l’action publique. Ces deux facteurs jouent un rôle clé dans la réinscription de
l’hétéro-référence dans l’autoréférence.
La complexité et la pluralité des niveaux d’organisation de l’environnement
Si l’on pouvait avoir l’assurance que les impacts de l’activité humaine seraient à jamais contenus
localement ou à l’intérieur d’un seul niveau d’organisation, ces impacts pourraient ne jamais
avoir d’autre sens que ceux qu’ils prennent directement pour les hommes qui les perçoivent à ce
niveau ; logiques auto-référentielle et hétéro-référentielle pourraient alors coïncider. La
problématique de l’environnement n’est pas faite ainsi. Elle se nourrit des débordements d’un
niveau sur les autres et de l’absence de clôture définitive sur un seul niveau. Ainsi les travaux
concernant la biodiversité cherchent à donner un sens régional et planétaire à des phénomènes
locaux d’érosion génétique ou de disparition de certaines espèces naturelles. Acceptons donc
cette idée : la problématique de l’environnement est faite de ces remontées incessantes des
niveaux, de cette absence de clôture définitive. Dès lors que les processus environnementaux se
déploient sur une pluralité de niveaux d’organisation, c’est un ensemble ouvert d’effets multiples
qui doivent être pris en compte et interprétés.
Or la remontée des niveaux s’accompagne de phénomènes d’inversion du sens apparent
des phénomènes. Tel phénomène de destruction locale se présentera au niveau supérieur comme
un élément positif de régulation du point de vue de la viabilité organisationnelle, à la manière des
modèles « prédateur-proie » : c’est parce que les lions mangent les gazelles qu’émerge, à un
niveau supérieur, un écosystème dans lequel lions et gazelles, en tant qu’espèces, ont
durablement leur place. Ce sont les relations de prédation, destructrices et donc « négatives »
pour les individus qui les subissent, qui sont les ressorts de l’équilibration démographique des
deux espèces, y compris de l’espèce-proie, au sein de l’organisation englobante qu’est
5
C’est ici que trouvent leur place les débats sur le principe de précaution en tant que repère pour
guider les choix face à des risques encore potentiels ou hypothétiques. Voir Godard et al. (2002),
Godard (2003a et b, 2005).
18
l’écosystème.
Cette propriété d’inversion de la qualification des phénomènes selon le niveau
d’organisation considéré n’a aucune raison d’être une singularité propre au rapport « individuespèces-écosystème ». Il en résulte trois conséquences :
a)
toute opération de clôture du domaine phénoménal considéré est frappée de doute ; un
sens latent relevant d’un autre niveau d’organisation pourrait démentir le sens apparent
émanent du niveau d’organisation conventionnellement choisi par l’observateur ;
b)
compte tenu de la remontée des niveaux, du niveau local au niveau planétaire, toute
qualification tranchée des événements au regard du sens qu’ils prennent pour
l’environnement devient impossible : pluridimensionnelle, cette qualification dépend
en particulier du niveau auquel le porteur de la logique hétéro-référentielle décidera de
fixer prioritairement son attention. Un tel choix ne peut désormais se justifier que par
des considérations relevant de la logique auto-référentielle du système : intérêts
économiques ou politiques, visions morales de l’univers, etc., tous éléments qui se
mettent en forme au sein des principaux ordres de justification qui coexistent dans les
sociétés pluralistes.
c)
les économistes qui ont l’habitude de classer les conséquences d’une action soit dans la
catégorie des coûts, soit dans celle des avantages sont ici confrontés à la radicale
ambivalence des phénomènes environnementaux, difficilement classables dans une
seule catégorie.
Par ailleurs, la remontée des niveaux implique logiquement que l’on sache établir des
relations stabilisées et éprouvées entre les phénomènes s’inscrivant à des niveaux différents. Si
l’on s’en tient à la définition de la complexité proposée par Atlan (1979), celle-ci peut être
caractérisée par l’information qui manque à l’observateur pour pouvoir rendre compte des
éléments du comportement global d’un système dont il a connaissance à partir de son savoir sur
les relations élémentaires qui se déploient au sein de ce système. Reconnaître la complexité c’est
donc reconnaître les limites qui sont celle d’un observateur ou d’un acteur pour passer des
énoncés établis à un niveau d’organisation donné aux énoncés relatifs à un niveau d’organisation
supérieur. Or les phénomènes d’auto-organisation, explique Atlan, se manifestent de façon
dynamique sous la forme d’une complexification croissante : l’observateur parvient de moins en
19
moins à établir un lien entre les éléments du savoir touchant à des phénomènes appréhendés à des
niveaux différents d’organisation...
Ces deux traits ouvrent un large champ à l’emprise de discours herméneutiques
contradictoires sur le sens que prennent les phénomènes du point de vue attribué à
l’environnement. Un état de controverse sociale potentiellement illimité y prend sa source,
d’autant que la dynamique des controverses s’enracine dans le jeu des mécanismes
d’intéressement des acteurs sociaux à partir des intérêts multiples qui composent la société. C’est
de façon non contingente que le champ de l’environnement se trouve associé à l’idée d’univers
controversé (Godard et Salles, 1991 ; Godard, 1997).
La pluralité des ordres de justification
Une des sources de la complexité des sociétés contemporaines occidentales tient à la pluralité des
ordres de justification (Boltanski et Thévenot, 1991) qui y coexistent pour coordonner les
situations multi-acteurs. La théorie de la justification qui a mis en évidence cette pluralité vise à
rendre compte des ressources et procédures dont usent les personnes pour arbitrer leurs différends
ou parvenir à s’accorder sur une action commune ou sur des actions qui engagent le collectif. Elle
propose une issue à l’opposition devenue stérile entre l’individualisme méthodologique pour lequel
l’univers social est supposé pouvoir être reconstruit à partir d’un ensemble de postulats sur le
comportement rationnel des individus, et l’holisme déconstruisant à ce point les sujets individuels
qu’il en fait le jouet passif de normes ou déterminations sociales. Pour la théorie de la justification,
les individus sont dotés de compétences cognitives pour discerner les traits principaux des
situations matérielles et sociales dans lesquelles ils se trouvent et faire des choix stratégiques dans
la mobilisation de tel ou tel registre d’arguments, d’attitudes et d’épreuves plutôt que de tel autre.
Ils apprennent à se mouvoir dans un monde social et matériel qui, pour eux, est toujours déjà là et
qui ne peut certainement pas être construit ex nihilo à partir de leurs choix premiers. Il y a tout à la
fois de l’individuel et du social, sans rabattre l’un sur l’autre, sans non plus postuler une sorte
d’abîme intellectuel entre une réalité sociale étrangère aux stratégies et comportements
individuels, et des sujets individuels souverains que les réalités socio-historiques ne pourraient
pas affecter.
20
À la pluralité des ordres de justification6 répond autant de constructions différentes d’une
représentation du monde naturel (Godard, 1990, 2004). Ainsi, une même situation brute peut être
rapportée à plusieurs cadres d’interprétation et d’action, sans qu’aucun ne puisse prétendre
fournir une matrice unique de représentation des problèmes. Les incertitudes et controverses
scientifiques touchant à l’environnement, comme les hésitations d’interprétation des phénomènes
peuvent alors entrer en résonance avec les hésitations sur les ordres de justification à solliciter
pour arbitrer les différends sur la conduite à tenir.
Les directions générales de l’analyse proposée étant désormais tracées, les sections à venir
visent à en montrer la pertinence par des coupes thématiques. La section 4 considère un des
schèmes majeurs de l’analyse néoclassique de l’environnement, celui de l’internalisation
optimale des effets externes comme base de définition d’une politique optimale des autorités
publiques. On y verra comment une identification trop étroite au pôle auto-référentiel
individualiste empêche ce schème de servir de repère pertinent pour asseoir de façon théorique
une stratégie de développement durable : l’exigence de durabilité oblige en effet à se saisir de
façon plus complète de la problématique environnementale, en intégrant la tension avec le pôle
hétéro-référentiel. La section 5 s’attaque à un problème présumé majeur mais aux contours assez
imprécis celui de la biodiversité. On montrera ici que la catégorie économique de ‘biens’ est trop
étroite pour constituer une base satisfaisante au développement des actions de préservation de la
6
Il s’agit d’une pluralité limitée. Dans leur maître-ouvrage, Boltanski et Thévenot (1991)
repèrent six ordres de justification répondant à l’axiomatique de ce qu’ils appellent le modèle de
la « cité ». Il s’agit des ordres « domestique », « marchand », « industriel », « civique »,
« inspiré » et de « l’opinion ». Dans un ouvrage plus récent Boltanski et Chiapello (1999)
proposent de caractériser l’évolution du capitalisme moderne par l’émergence d’un nouvel ordre,
celui de la cité par « projets ». Des doctrines comme l’eugénisme ou le nazisme, mais aussi la
deep ecology, pour des raisons différentes, ne satisfont pas un ou plusieurs des axiomes
constitutifs d’un ordre légitime : (1) principe de commune humanité (distinction entre les
hommes et les autres êtres, et identité de statut ontologique de tous les hommes) ; (2) principe de
dissemblance (il existe différents états sociaux) ; (3) principe de commune dignité (identique
puissance d’accès aux états sociaux) ; (4) principe d’ordre sur les états sociaux (certains états sont
plus recherchés ou plus valorisés que d’autres ; il existe donc une échelle de valeurs) ; (5)
formule d’investissement ou de sacrifice (pour être légitime, l’accès aux états supérieurs doit
résulter d’un effort des postulants ou de l’acceptation d’un coût pertinent au regard de cet ordre) ;
(6) principe de du bien commun profitant à tous (les « grands » ne sont pas seulement ceux qui
ont plus d’avantages que d’autres ; pour être légitimes il leur faut engendrer un bien commun
dont bénéficient les sociétaires ; ils sont les garants du principe supérieur commun qui institue
l’ordre en question).
21
biodiversité ; il faut mobiliser des constructions plus diverses des types d’intéressement et des
formes sociales que la seule référence à la valorisation marchande des « ressources de la
biodiversité ».
4. Le schème de l’internalisation des effets externes comme impuissance à penser le
développement durable
L’économie néoclassique de l’environnement est une branche de la discipline qui interprète les
phénomènes économiques comme la composition de comportements individuels qui, eux-mêmes,
expriment les préférences des agents individuels dans les contextes de choix dans lesquels ces
derniers se trouvent placés. La modélisation de l’agent suppose ce dernier équipé d’une fonction
d’évaluation normative propre qui sous-tend les relations de préférence qu’il établit sur les
paniers de biens auxquels il peut accéder. Sur ce fond, cette approche se préoccupe de la
recherche de l’efficacité collective de l’allocation des biens entre tous les agents.
Ce que sont les effets externes
Des effets externes, dits « technologiques », se présentent lorsque l’action d’un agent affecte
positivement ou négativement la fonction d’utilité d’un autre agent en dehors d’un échange
volontaire entre eux et de toute mise en jeu d’un phénomène de marché7. En présence de telles
externalités, l’effet d’« utilité » ou de « désutilité » imposé aux tiers ne fait pas l’objet d’un
paiement compensatoire (voir la figure 1). Sa valeur est donc ignorée de l’agent émetteur, ce qui
engendre une inefficacité dans l’allocation des ressources : du fait de l’écart entre coûts privés et
coûts sociaux, l’agent émetteur produit en trop grandes quantités le bien dont la production
engendre l’externalité, lorsque celle-ci est négative8. D’où la proposition centrale de cette théorie,
qui est de viser l’internalisation des effets externes pour rétablir une allocation efficace.
7
Les effets externes qui sont transmis par le marché, telle la baisse des prix provoquée par une
innovation, sont dits pécuniaires et ne concernent pas spécifiquement le champ de
l’environnement.
8
Il en va ainsi quand l’activité d’un agent crée une nuisance supportée par un autre agent en
dehors de tout accord de ce dernier : la pollution de l’air ou de l’eau rentre généralement dans ce
cas.
22
La tradition pigouvienne de l’économie publique attend cette internalisation d’une action
correctrice de l’État. Une taxe reflétant le dommage externe marginal – qu’il faut donc évaluer
(IDEP, 1998) - est l’instrument théorique privilégié pour viser une internalisation optimale (voir
la figure 2). Plus récente, la tradition coasienne réinterprète le problème en termes
d’incomplétude des droits de propriété et d’usage, et mise sur le contrat et le marché pour réinternaliser spontanément les externalités dont le coût social est supérieur aux coûts de
transaction imposés par l’internalisation. Le rôle de l’État n’est pas supprimé, mais il est
différent, puisqu’il est essentiellement de créer et de protéger les droits de propriété. Les marchés
de permis d’émission sont un écho indirect de cette approche : par exemple, dans un système de
quotas échangeables, une autorité fixe le plafond total d’émissions polluantes acceptables pour un
périmètre et une période donnés, répartit les permis individuels en conséquence et laisse
l’échange des permis régler leur allocation finale en fonction du repère donné par le prix de
marché (Godard, 2001). Que penser de cette construction ? Pour en juger, référons-nous à la
notion qui a rassemblé les suffrages depuis 15 ans : le développement durable.
SYSTEME ECONOMIQUE DE MARCH E
Agent A
q
Agent B
p
ENVIRONNEMENT
Effet externe environnemental
Figure 1. L’effet externe environnemental
23
Sur la figure 1, un effet externe environnemental résulte de l’action de l’agent A et
prend la forme d’une transformation ou d’une altération de l’environnement
biophysique. Cela a pour conséquence de dégrader la position économique de l’agent
B en modifiant la productivité de sa fonction de production ou la capacité des biens
consommés à lui donner satisfaction. À la différence des transactions marchandes
dans lesquelles les flux de biens transférés (q) sont régulés par un paiement (p),
l’externalité environnementale « brute » se traduit par la non compensation et la non
régulation de la relation, ce qui constitue une source d’inefficacité collective.
Coûts
Dommage marginal
externe
Coût marginal
d’épuration
T*
0
III
II
I
Q*
Qo
Quantités de pollution
émises
Figure 2. L’internalisation optimale des effets externes
La figure 2 représente le raisonnement de base de l’internalisation pigouvienne des
externalités environnementales. L’optimum collectif est rétabli pour une valeur
optimale non nulle des émissions polluantes Q* qui égalise coûts marginaux de
dépollution et dommage marginal externe de la pollution. Une taxe est le signal à
24
donner aux agents économiques décentralisés pour les inciter à modifier leurs
comportements de façon collectivement efficace. Soumis à cette taxe, les agents vont
réduire leur pollution jusqu’au point où il leur en coûte davantage de réduire encore
cette pollution que de payer la taxe. Les dépenses alors supportées sont égales à la
somme de la zone I (coût de l’effort de dépollution consenti à l’optimum) et des
zones II (valeur du dommage résiduel à l’optimum de pollution) et III qui
correspondent au prélèvement fiscal. La zone 0 est l’économie réalisée par l’agent
soumis à la taxe en réduisant sa pollution par rapport au niveau initial Q0. Égal à
l’aire T*Q*, le prélèvement fiscal peut être restitué aux agents sur une base neutre,
utilisé en partie pour compenser les dommages résiduels, ou encore servir de base à
un ajustement de la fiscalité générale dans un sens moins distorsif pour l’économie.
Le développement durable
Qu’est-ce donc que le développement durable ? Ce mode de développement concilie les
dimensions économique, sociale et environnementale de façon à assurer la viabilité durable de
l’ensemble. Ce développement doit notamment « répondre aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures de satisfaire les leurs » (Rapport Brundtland :
CMED, 1988). À cet effet les choix de développement doivent être inscrits dans un référentiel
plus large qu’on ne le faisait jusqu’à présent : les décisions de court terme dans leurs implications
de long terme ; les décisions locales dans leur signification à des échelles territoriales plus vastes,
jusqu’au niveau planétaire pour des problèmes comme le changement climatique, la biodiversité
ou les épidémies comme le SIDA ; les décisions économiques dans le tableau de leurs coûts
sociaux et de leurs effets distributifs face à l’exigence d’équité sociale, en particulier dans le
contexte des rapports Nord-Sud.
L’expression a une qualité essentielle : elle marque bien le fait que l’environnement voit
son sort se jouer dans les modes de développement qui seront adoptés par l’humanité, qu’il n’y
aura pas de politique à long terme de l’environnement planétaire sans une transformation des
modes de développement. Cela va bien au-delà du confinement auquel conduit l’économie de
l’environnement.
Selon la théorie standard des effets externes, le niveau optimal de pollution ne peut être
25
qu’exceptionnellement la pollution zéro car bien qu’il existe un dommage externe pour des
agents « victimes » de la pollution, il faut reconnaître que, sur l’autre plateau de la balance,
réduire la pollution est également coûteux. Il faut donc arbitrer entre ces deux composantes des
coûts pour la collectivité. Aller plus loin dans la réduction de la pollution, voire la supprimer
entièrement, serait la source d’une inefficacité ; des ressources économiques susceptibles d’avoir
un meilleur emploi seraient gaspillées. Ce raisonnement semble incarner le bon sens économique.
Est-il pourtant recevable ?
Un modèle de David Pearce (1976) servira de point de départ à la démonstration que
l’apparence peut être trompeuse. Certes, ce n’est pas l’idée d’une internalisation qui est contestée,
si l’on entend par là l’introduction d’un mécanisme social de prise en compte des conséquences
environnementales d’une action donnée. En revanche le raisonnement suivi pour déterminer la
norme environnementale optimale est clairement en cause. Les données essentielles du
raisonnement de Pearce sont présentées dans la figure 3.
Soit la production d’une entreprise, métaphore du système économique tout entier, dont
résulte un produit en quantité X et des rejets polluants R, tels que la quantité de rejets soit une
fonction croissante du niveau de production (R = R(X) et R’(X) > 0). Ces rejets sont diffusés dans
l’environnement et on suppose que ce dernier dispose d’une capacité d’assimilation A t, définie
comme la quantité de rejets R qu’il peut absorber, décomposer et réintégrer dans les cycles
naturels pendant la période t (par exemple un an) avec une capacité A t disponible en début de
période t. La fonction R(X) et la capacité A sont représentées dans la partie supérieure de la figure
3. Dans la partie inférieure, on représente d’une part la fonction Bm, de profit marginal privé de
l’entreprise, net des coûts privés de production, qui dépend du niveau de production X, et d’autre
part les fonctions de dommage marginal externe D mt représentant l’évaluation du dommage
marginal externe associé à l’émission de rejets pendant la période t compte tenu du niveau de
capacité d’assimilation At disponible au début de cette période. Cette fonction de dommage est
croissante en fonction du niveau des rejets et donc du niveau de production.
26
Rejets et capacité
d’assimilation
R, A
R(X)
R*1
A1
A2
O’
m
B ,D
X
m
Bm(X)
Dm1(X)
O
X A1
X *1
Xp
PRODUIT X
Figure 3. Le problème de l’externalité dynamique : l’amorce de première période
(d’après Pearce, 1976)
En début de période 1, la capacité d’assimilation disponible est A1. L’optimum privé de
production se trouve en X p, quand le bénéfice marginal tiré de la production supplémentaire
devient nul. La pollution émise entraîne le dommage externe représenté par la courbe Dm1(X). La
logique standard d’internalisation des effets externes conduit à comparer ce dommage social au
profit privé représenté par la courbe Bm(X). Il en résulte la détermination d’un niveau optimal de
pollution R*1 et une production optimale correspondante X*1. Que devient cependant cette
pollution, jugée optimale, alors versée en excès au regard de la capacité d’assimilation de
l’environnement A1 ? Du fait des lois de conservation de la matière et de l’énergie, cette pollution
27
en excès diminue la capacité d’assimilation de la période suivante. Cela se traduit sur la partie
supérieure de la figure 3 par l’abaissement de A1 en A2, nouvelle capacité d’assimilation pour la
période 2. Les enchaînements suivants, entraînés par récurrence, sont représentés sur la figure 4.
En période 2, 3, …, n, avec une capacité d’assimilation réduite, la courbe de dommage marginal
social connaît un déplacement latéral vers la gauche, ce qui déplace l’optimum de production de
X*1 vers X*2, puis X*3, … X*n et le montant des rejets optimaux de R*1 vers R*2, puis R*3, …,
R*n.
L’issue à long terme de ce processus est assez claire : au bout de n périodes, la totalité de
la capacité d’assimilation de l’environnement aura disparu, comme d’ailleurs toute possibilité de
production. Si l’on reconnaît quelque vraisemblance aux enchaînements décrits dans les figures 3
et 4, c’est donc la catastrophe écologique finale qui se trouve au bout du chemin de
l’internalisation standard des effets externes. Curieux résultat pour un dispositif qui est présenté
comme le socle intellectuel indispensable pour aborder correctement la question de
l’environnement ! Mais peut-être le modèle de Pearce n’est-il pas aussi convaincant qu’il n’en a
l’air ?
28
Rejets et capacité
d’assimilation
R, A
R(X)
R*1
R*2
A1
R*3
A2
A3
O’
m
B ,D
X
m
Bm(X)
Dm3(X
)
Dm2(X)
Dm1(X)
O
X *3
X
A
3
X
A
2
X
A
X *2
1
X *1
Xp
PRODUIT X
Figure 4. Le problème de l’externalité dynamique : le processus sur trois périodes
Soulignons d’abord que la logique de l’enchaînement décrit ne doit rien à la contingence
de la représentation graphique. Tout se joue sur le point suivant : sur le cadran inférieur des
figures 3 et 4, la courbe de dommage externe Dm(X) prend naissance à partir du point X A,
production maximale compatible avec la capacité d’assimilation disponible pour la période
considérée. La raison en est la suivante : en deçà de ce seuil, les rejets émis sont assimilés par
l’environnement sans que ce dernier soit altéré dans ses fonctions ; ils n’entraînent donc pas de
dommages pour d’autres agents ; il n’y a pas d’effets externes au sens de la théorie considérée.
Ce n’est qu’une fois le seuil A franchi que des dommages commencent à se faire sentir pour des
différents agents économiques : perte de ressources naturelles exploitées, incidences sanitaires,
surcoût économique pour satisfaire des besoins essentiels comme l’approvisionnement en eau de
29
la population, etc. Par nécessité théorique, l’optimum de production après internalisation des
effets externes environnementaux se trouve donc en un point excédant le seuil compatible avec la
capacité d’assimilation de l’environnement9.
Des issues de secours crédibles à l’intérieur du schème de l’internalisation ?
Différentes parades sont a priori envisageables pour éviter l’issue fatale annoncée, mais il faut en
voir les conditions et la signification. La première (P1) a trait à la transformation de la fonction
d’utilité collective dans le temps, puisque cette dernière détermine l’évaluation du dommage
externe. Si elle est telle que chaque déplacement latéral de D m(X) vers la gauche entraîne
également son raidissement au point que l’excès de pollution apporté par chaque période forme
une suite rapidement décroissante, le processus peut mener asymptotiquement à une stabilisation
sur un point fixe qui n’est pas la catastrophe écologique finale10. L’interprétation en serait la
suivante : la prise de conscience croissante de la possible issue catastrophique conduit la société à
accorder une valeur croissante aux dommages externes imposés par les rejets et à les tolérer de
moins en moins, en dépit du jeu de l’actualisation qui vient relativiser l’importance de dommages
dont la plus grande partie est différée dans le temps. À l’équilibre stable obtenu, l’environnement
préservé sera un environnement singulièrement appauvri, ce qu’on pourrait appeler un
environnement de survie.
On peut également éviter l’issue fatale si, pour chaque période où il y a excès, un progrès
technique vient abaisser le taux d’émissions polluantes par unité produite dans la période
suivante et rend compatible le niveau des émissions et la capacité d’assimilation de
l’environnement alors disponible (P2) : sur la figure 5, la fonction technique de pollution R(X)
s’abaisse en période 2 de façon suffisante pour rendre égales émissions et capacité
d’assimilation ; il y a là un équilibre ponctuel. Toutefois, ce progrès technique supplémentaire
doit intervenir à chaque période, faute de quoi les enchaînements décrits se réamorcent. C’est ce
9
Certes il existe des effets externes qui ne dépendent pas d’une dégradation fonctionnelle de
l’environnement ; c’est par exemple le cas des nuisances sonores comme le tapage nocturne. Ces
effets peuvent être importants pour le bien-être des consommateurs mais ils sont étrangers à la
question de l’environnement biophysique qui nous occupe.
10
Il y a là une analogie formelle avec les conditions de l’utilisation infinie de ressources finies ou
épuisables étudiées par Robert Solow (1974) et William Baumol (1986).
30
que montre le positionnement de la fonction D m3(X) qui conduit à un optimum social de
production auquel, si un progrès technique n’intervient pas, sont associés à nouveau des rejets en
excès de la capacité d’assimilation. Il faut aussi supposer exogène et imprévu ce progrès
technique : ce dernier doit intervenir à chaque fois à la manière d’un Deus ex machina comme
une heureuse surprise. S’il devait être endogène et coûteux à obtenir, il ne se justifierait pas dans
le cadre du raisonnement standard identifiant la pollution optimale. S’il était prévu dans sa
régularité, les agents en tiendraient compte dans leur évaluation des dommages et la parade ne
fonctionnerait plus.
Autre voie : il pourrait se trouver que la production considérée soit responsable, outre les
effets externes environnementaux, d’autres types d’effets externes négatifs subis par la
collectivité bien avant que le seuil de la capacité d’assimilation de l’environnement ne soit
franchi. La prise en compte de ces autres effets externes devrait alors conduire à des mesures
d’internalisation qui seraient également bénéfiques du point de vue de l’environnement. Ce
dernier serait en quelque sorte préservé par accident, sans intention ni action spécifiques (P3).
31
Rejets et capacité
d’assimilation
R, A
R 1(X)
R*1
A1
R*2
A2
R 2(X)
O’
m
B ,D
X
m
Bm(X)
Dm2(X)
Dm1(X)
Dm3(X)
O
X
A
2
X
A
X *2
1
X *1
Xp
PRODUIT X
Figure 5 : la possible stabilisation de la dégradation de l’environnement du fait d’un
progrès technique exogène permanent
On peut également envisager que les agents économiques parviennent à trouver différents
moyens leur permettant de s’adapter à un environnement qui se dégrade et dont la capacité
d’assimilation se réduit (P4). Par exemple, dans les controverses sur les politiques à mener face à
la perspective du changement du climat de la planète, certains considèrent qu’il convient surtout
de promouvoir les solutions d’adaptation sans entreprendre des démarches excessivement
coûteuses de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’origine du changement redouté
(Dornbusch et Poterba, 1992). En faisant l’hypothèse d’un succès de stratégies d’adaptation,
quelles en seraient les conséquences ?
32
Les agents économiques se montreraient de moins en moins sensibles aux dommages
environnementaux, ce qui se représente sur la figure 6 par un aplatissement croissant, de période
en période, de la fonction Dm(X). Paradoxalement les solutions d’adaptation permettant d’atténuer
l’effet dommageable ressenti du fait d’une dégradation de l’environnement ont alors pour résultat
d’accélérer le processus menant à la catastrophe écologique en augmentant à chaque période le
niveau « optimal » des rejets en excès de la capacité d’assimilation de l’environnement. Lorsque
l’altération de l’environnement est inéluctable, mieux vaut prendre des mesures d’adaptation que
de rester vulnérable. Cependant, lorsqu’elle ne l’est pas, une stratégie d’adaptation atténue la
charge des problèmes à court et moyen terme aux dépens de leur gonflement ultérieur plus
rapide…
Rejets et capacité
d’assimilation
R, A
R(X)
R*1
R*2
R*3
A1
A2
A3
O’
m
B ,D
X
m
Bm(X)
Dm2(X)
Dm1(X)
Dm3(X
)
O
X
A
3
X
A
2
X
A
X *3 X *2 X *1 X p
1
PRODUIT X
Figure 6 : Incidence de mesures d’adaptation sur le processus de dégradation de
l’environnement
33
La dernière parade envisageable repose sur les capacités propres de l’environnement : le
processus catastrophique serait stoppé si des processus naturels étendaient la capacité
d’assimilation de l’environnement de période en période en dépit des prélèvements et pressions
d’origine anthropique (P5).
Les directions tracées imposent des conditions drastiques dont on peut mettre en doute la
réalisation. Dans un monde combinant un environnement fragile aux capacités limitées et une
économie humaine dépourvue de progrès technique exogène régulier et efficace du point de vue
de l’amélioration continue de sa performance environnementale absolue11, seule l’intégration
forte de la perspective catastrophique dans la fonction d’utilité collective peut conduire à contenir
la production humaine à l’intérieur des limites d’assimilation de l’environnement. Ce résultat
rejoint l’inspiration de la construction philosophique de Hans Jonas (1990) autour d’une
heuristique de la peur visant à rendre actuelle pour les générations présentes la menace
apocalyptique que l’action humaine fait peser sur l’avenir du monde et de l’humanité. Mais Jonas
désespérait de la capacité d’une société démocratique à donner un tel poids à la menace pour
l’avenir…
L’alternative à ce saisissement par la menace de catastrophe réside dans un progrès technique
bénéfique. Pour que ce dernier joue le rôle attendu, il faudrait qu’il prenne sur la longue durée des
formes bien particulières aptes à surmonter l’argument de base de Jonas et d’autres penseurs
critiques de la technique : à leurs yeux, en démultipliant la puissance humaine d’action sur le
monde, et en s’incarnant dans des systèmes qui échappent à la maîtrise collective des hommes, la
technique est elle-même la source principale de la menace apocalyptique. Développer la
puissance technique au service de la modestie de l’impact humain sur le fonctionnement des
systèmes naturels, tel est l’enjeu de cette issue. Cela ne peut pas résulter de la logique
d’internalisation des effets externes et n’est pas envisageable sans l’établissement d’un puissant
11
Dans une économie en croissance, il ne suffit pas que le progrès technique améliore la
performance environnementale par unité de produit ; il faut que l’impact environnemental absolu
de l’activité humaine baisse de période en période pour se mettre en ligne avec une capacité
d’assimilation environnementale elle-même réduite.
34
dispositif de régulation sociale de l’interface sciences / techniques et des conditions de mise en
œuvre des innovations techniques12.
Ce n’est que dans un monde disposant d’un environnement capable de s’auto-régénérer en dépit
de la pression humaine que la théorie standard des effets externes retrouve sa pertinence en ne
s’occupant que des « affaires humaines » ; c’était en fait l’hypothèse des économistes classiques
qui ont jeté les bases de la théorie des effets externes.
Au total, la première voie (P1) mise sur une mobilisation dont les hommes ne font généralement
preuve que dans les situations mettant en jeu leur survie à court terme. Pour le dire avec des
termes économiques, l’effet du taux d’actualisation est de relativiser fortement l’impact
décisionnel de toute perspective de catastrophe pour peu qu’elle ne soit pas inscrite dans
l’horizon d’action pertinent des acteurs économiques et politiques. La deuxième (P2) repose sur
un pari qui n’est étayé ni par des mécanismes économiques ni par ce qu’on sait de la technique et
de son ambivalence. P3 est accidentelle. La quatrième (P4) est un leurre à long terme puisque la
solution immédiate accélère le grossissement du problème à plus long terme. La dernière (P5)
reflète une croyance dont l’inspiration prend le contre-pied de tous les éléments de savoir
scientifique aujourd’hui disponibles sur l’environnement de la planète. Aussi est-il sage de
rechercher une autre manière de sortir du piège décrit par le modèle de Pearce.
C’est donc une révision qui s’impose quant au statut de la théorie des effets externes dans
le domaine de l’environnement. L’optimum d’internalisation des effets externes atténue certes la
pression exercée sur l’environnement - et en ce sens marque un progrès pratique indéniable par
12
Cette approche suppose également que les hommes aient la faculté de discerner à un stade
précoce lesquels parmi les développements techniques sont susceptibles de représenter une
menace grave pour l’environnement et lesquels sont inoffensifs. Faute de cette faculté, il ne peut
y avoir d’assurance sur la solution positive apportée par le progrès technique. Or c’est
précisément l’impossibilité de disposer de façon précoce de cette faculté qui sape le bien-fondé
de la maxime proposée par Jonas pour les risques apocalyptiques : « jamais l’existence ou
l’essence de l’homme dans son intégralité ne doivent être mis en jeu dans les paris de l’avenir. Il
en résulte automatiquement qu’ici les simples possibilités du type qui a été caractérisé (celles qui
comportent un potentiel apocalyptique) sont à considérer comme des risques inacceptables
qu’aucune des possibilités qui lui sont opposables ne rendent davantage acceptables » (…).
« nous devons traiter ce qui certes peut être mis en doute, tout en étant possible, à partir du
moment où il s’agit d’un possible d’un certain type, comme une certitude en vue de la décision ».
Faute du savoir requis, l’injonction jonassienne ne peut éviter l’arbitraire ou la paranoïa du
catastrophisme généralisé (Godard, 2002b ; Godard et al. 2002, pp. 82-103). Ex ante il faut se
résoudre à admettre le progrès technique dans son ambivalence fondamentale.
35
rapport à l’absence de toute prise en compte -, mais il participe, par construction, du processus
par lequel un système économique dégrade et épuise son environnement jusqu’à l’issue finale. Si
l’on désigne par le terme « externalisation » le mouvement par lequel un système altère les
conditions de reproduction de son environnement, alors on peut dire que le mode
d’internalisation proposé par la théorie des effets externes inscrit l’externalisation au cœur même
de l’internalisation proposée. En cela cette théorie ne fait qu’incarner la logique auto-référente
d’un système auto-organisateur qui, ayant défini ses propres frontières, externalise, c’est-à-dire
n’assume pas, les enjeux de reproduction de ce qui devient son environnement. Loin d’être la
base de définition d’un processus de développement durable, cette ligne de conduite est partie
prenante du problème qui a conduit les milieux scientifiques et politiques internationaux proches
du système onusien à se ranger sous la bannière du développement durable !
Comment sortir du piège ? En intégrant les
exigences de reproduction de l’environnement.
Appliquée à l’environnement, la théorie des effets externes débouche sur une énigme : comment
le raisonnement de base d’une théorie enseignée depuis plusieurs décennies peut-il mener à une
issue que la plupart des gens raisonnables trouveraient aberrante ? Pour le comprendre, il faut
remonter à la source d’une erreur dans le maniement d’un outil conceptuel qui avait été élaboré
dans un but différent.
Cette erreur se manifeste dans la mise en comparaison qu’opère le schéma de
l’internalisation entre deux types de coûts traités de façon symétrique : les dommages externes
environnementaux et les coûts économiques de réduction de la pollution, qui sont des coûts
internes. Or ces deux types de coûts présentent une asymétrie conceptuelle qui empêche de les
considérer comme directement commensurables. Cette asymétrie tient en ceci : les coûts
économiques internes correspondent à des coûts qui sont compensés, dans un mouvement de
reproduction des conditions économiques de la production, par la création d’une valeur
marchande dont la réalisation dans l’échange permet le renouvellement du cycle productif. Dans
un équilibre économique stationnaire, en éliminant le facteur de risque de l’entreprise, chaque
agent retrouve en fin de période les conditions lui permettant de réamorcer le cycle dans la
période suivante.
36
À l’inverse, ce qui est désigné par « dommage externe » correspond à une destruction nette,
consistant en une rupture des régulations et boucles de reproduction des systèmes
biophysiques affectés. Le concept d’effets externes ne fait que prendre en charge les
conséquences secondes de cette destruction nette, non compensée, sur les fonctions d’utilité
attribuées aux agents. Inscrite dès le départ comme un postulat du raisonnement, la
destruction nette de l’environnement se retrouve au terme du raisonnement, sans être validée
pour autant. L’utilisation de la théorie des effets externes pour définir les politiques
d’environnement revient à prendre sans le savoir une méta-décision d’établir une partition
entre les facteurs et biens pour lesquels le modélisateur va intégrer une contrainte de
reproduction et les facteurs et biens pour lesquels il écarte une telle contrainte.
S’agissant du capital productif, on a inventé le concept d’amortissement pour s’assurer
que le processus économique assure bien le renouvellement des moyens économiques de
remplacer ou reconstituer le capital physique dégradé. La question est alors posée : au nom de
quelle justification l’approche économique de l’environnement ne devrait-elle pas, elle aussi, se
situer dans le cadre d’une décision première, celle d’inscrire le développement économique de
l’humanité dans un environnement dont les contraintes de reproduction seraient structurellement
prises en compte, au même titre que celles des facteurs économiques « classiques » ? Pourquoi se
positionner vis-à-vis de l’environnement d’une façon qui paraîtrait manifestement aberrante si on
l’adoptait envers le capital productif ?
En prenant le terme « environnement » dans un autre sens, non plus biophysique, mais
celui, abstrait, de la théorie des systèmes appliquée aux phénomènes naturels, le traitement de
l’environnement bio-physique est suspendu à une opération première de partition entre un
système de référence, défini par le domaine soumis à une contrainte structurelle de reproduction
dans le temps, et un environnement dont la propriété centrale est de ne pas voir ses exigences de
reproduction prises en compte par le système. Le concept systémique d’environnement incorpore
de façon structurelle ce déni, de la part du système, des exigences de la reproduction de ce dont il
dépend néanmoins ; l’externalisation est un processus actif de rejet de la prise en charge de la
reproduction de certains éléments essentiels au maintien et au développement du système
(Godard, 1995).
37
Il est certes envisageable qu’une telle méta-décision soit prise à une échelle locale, mais
elle doit être instruite afin d’en assurer le bien-fondé. Ce n’est pas la théorie des effets externes
qui peut guider cette instruction car ses prémisses la situent en aval d’une des branches de
l’alternative : la théorie des effets externes est dépendante d’une justification qui doit mobiliser
d’autres registres d’argumentation. À l’échelle planétaire, cette méta-décision n’a de toute façon
plus de sens, sauf à décider de mener volontairement à sa fin l’expérience humaine sur cette
planète.
La direction à suivre est désormais plus claire. C’est celle qui oriente l’agenda des travaux
sur le développement durable. Elle consiste à identifier et imposer des contraintes de
reproduction écologique au raisonnement économique et à n’accepter mises en équivalence et
compensations entre différentes composantes que lorsque cela est compatible avec l’exigence de
reproduction de l’ensemble. Alors les bases de la comparabilité avec les coûts économiques
internes se trouvent établies et les experts économistes peuvent correctement déterminer laquelle
des deux stratégies est la plus efficace : réduire la pollution à la source, ou bien laisser la
pollution faire son œuvre dans les milieux et assumer ensuite les dépenses de réparation et
restauration de l’environnement. Concrètement cela signifie que sur les figures 3 et suivantes il
faut remplacer la fonction Dm(X) par une autre : Em(X) qui représente le coût marginal de
restauration de l’environnement dans ses fonctions et ses régulations.
Certes, le concept de reproduction est difficile à utiliser dès lors qu’on veut lui donner un
contenu empirique : les écosystèmes évoluent ; la question des seuils de perturbation en deçà
desquels ils se reproduisent et au-delà desquels ils se dégradent demeure largement une question
controversée, dépendant d’ailleurs de la nature des perturbations ; les ressources individuellement
épuisables ne peuvent pas être reproduites à l’horizon du temps humain pertinent, etc. Cependant,
pour difficile que soit la mise en pratique, elle ne bute pas sur une impossibilité théorique :
reproduction ne veut pas dire perpétuation à l’identique ; il ne s’agit pas de figer
l’environnement, mais de lui conserver son organisation fonctionnelle de base et sa capacité à
évoluer d’une façon qui conserve ses régulations et de préserver une diversité suffisante des
ressources qu’il abrite. Malgré les difficultés opératoires, le concept de reproduction apporte au
raisonnement l’élément irremplaçable dont l’oubli est payé d’une erreur majeure : ne pas se poser
le problème de la reproduction de l’environnement, c’est implicitement considérer ce dernier
38
comme un donné inaltérable ; c’est définitivement passer à côté de la question moderne de
l’environnement.
5. Biodiversité et conception économique du bien
L’idée de biodiversité s’entend généralement comme portant à la fois sur la diversité génétique
au niveau de l’espèce, la diversité des espèces (diversité spécifique) et la diversité des
écosystèmes (diversité écologique), avec le souci de prendre en compte les interactions entre ces
niveaux. C’est cette idée qui a été retenue par la Convention cadre sur la biodiversité de 1992, qui
vise à établir un cadre international de préservation de cette diversité contre les atteintes d’origine
anthropique.
De nombreux travaux proposent aujourd’hui d’aborder les enjeux et problèmes de la
biodiversité à partir des outils et concepts de l’analyse économique (Randall & Farmer, 1995 ;
Swanson, 1994 ; Barbier et al., 2004). Très bien, mais lesquels ? Je ne projette pas ici de faire une
revue d’ensemble des apports économiques sur ce point. Je me contenterai de proposer une
réflexion sur le degré de pertinence de la catégorie économique de « biens », déjà introduite et
mise en perspective dans la section 2.
Les conditions à réunir pour être un bien économique
Pour que la biodiversité soit considérée comme un bien, il faudrait d’abord qu’elle soit identifiée
et désirée par des agents humains comme la source de services directement utiles - auquel cas elle
serait présente dans les fonctions d’utilité des consommateurs - ou comme matières premières
entrant dans un processus de production ou enfin comme processus substitutif d’un processus de
production (assimilation et traitement de déchets). En satisfaisant cette première condition, la
biodiversité pourrait entrer en communauté de statut avec les autres biens environnementaux et
avec les biens marchands dont la reproduction est assurée par l’appareil de production
économique. Son état à un moment donné serait considéré comme un capital naturel
commensurable avec d’autres formes de biens capitaux artificiels et à ce titre soumis aux mêmes
principes d’évaluation et de répartition, mais également de substitution (équivalence au sein
d’une fonction d’utilité).
39
Allons plus loin. Au sens économique, l’idéal-type d’un bien est caractérisé par les
propriétés suivantes :
•
une discontinuité spatio-temporelle permettant une délimitation physique du bien, sa
distinction vis-à-vis d’autres biens, mais aussi son détachement de la personne des
sujets humains,
•
l’aptitude au dénombrement permettant de repérer n unités du bien,
•
la définition de classes d’équivalences telles que toute unité appartenant à la classe de
bien considérée soit équivalente à tout autre unité de la même classe, ce qui les rend
parfaitement substituables ; lorsqu’il existe des différences significatives qui altèrent la
parfaite substituabilité, c’est qu’on a affaire à des biens différents,
•
l’insertion de la biodiversité dans la fonction de production ou d’utilité d’au moins un
agent humain, au côté d’autres biens qui lui sont complémentaires ou substituables, ou
qui sont simplement neutres ; les variations de la demande se font dans le même sens
pour les biens complémentaires et en sens inverse pour les biens substituables,
l’arbitrage se faisant en fonction d’indicateurs de rareté relative des biens considérés,
les prix.
Naturellement, les classes élémentaires de biens peuvent être regroupées dans des
ensembles plus larges, permettant une représentation plus agrégée. Il existe cependant différentes
stratégies de regroupements qui ne permettent pas de répondre aux mêmes questions. Des biens
assez largement substituables pour les usages qu’on en fait, tels le charbon et le pétrole, peuvent
être regroupés dans la même catégorie « énergie fossile ». On peut aussi vouloir associer dans les
mêmes ensembles des biens complémentaires qui forment des ensembles fonctionnels : ainsi une
usine sidérurgique agence tout un ensemble d’équipements, de matières, mais aussi des bureaux,
une localisation à un nœud de réseaux de transports, etc. Ces deux manières de constituer des
ensembles plus larges ne débouchent pas sur des entités de même statut : certains deviennent
seulement des représentations agrégées sans plus désigner des biens, mais des ensembles de
biens. D’autres forment des biens composites complexes, qui sont des biens à part entière, pour
lesquels existe une demande spécifique : les usines clés en main s’évaluent et se vendent ; un parc
naturel privé, offrant un paysage varié et l’opportunité d’observer une variété d’animaux
40
sauvages est aussi un bien de ce type, dont la gestion peut être rémunérée, au moins en partie13,
par le prix d’entrée des visiteurs.
Au vu de ces repères, comment qualifier la biodiversité ? Il paraît difficile de faire entrer
directement l’idée englobante de biodiversité, avec ses trois niveaux d’expression (gènes,
espèces, écosystèmes), dans la fonction d’utilité des agents, qu’ils soient producteurs ou
consommateurs. Les uns et les autres trouvent les biens qui leur sont utiles dans des ressources
naturelles élémentaires (eau, pétrole, bois, …) ou des aménités délimitées et identifiées, dont la
jouissance requiert l’implication de biens composites locaux associés à des activités particulières
(la pêche, la chasse, l’observation, la promenade,…) ; ces biens ne portent pas la problématique
de la biodiversité dans son ensemble. De ce fait la biodiversité ne paraît pas pouvoir
techniquement entrer dans la catégorie économique ou juridique du bien, au-delà de la valeur
positive attachée à cette notion. La qualification de la biodiversité comme un bien serait
également hasardeuse au regard du rapport de maîtrise : la biodiversité est engagée dans une
évolution multiforme sur laquelle l’homme n’exerce aucune maîtrise, mais une influence
collective importante. Les agents humains constatent cette évolution, bien imparfaitement, la
déplorent souvent, mais n’en ont pas le contrôle. Tout au plus pourraient-ils réguler les actions à
la source des atteintes les plus visibles, même si on peut penser que ce ne sont pas les plus
déterminantes. À ces deux titres, la biodiversité apparaît davantage comme une condition
favorable et, à certains niveaux d’organisation, nécessaire à l’existence ou à la production de
différents biens simples et composites, que comme un bien per se.
Cette conclusion provisoire fait apparaître l’écart existant entre les catégories sémantiques
sur lesquelles s’appuie l’économie standard et celles qui émanent des sciences de la nature et en
particulier de l’approche du monde comme biosphère : cette dernière est peuplée d’autres entités
que des agents et des biens, mais l’économie n’a guère de noms pour elles, sinon, du bout des
lèvres, celui de « contraintes », qui donne certes un étayage physique à l’idée économique de
rareté.
13
La controverse engagée par Weisbrod (1964) portait sur le fait qu’une partie des visiteurs
potentiels prêts à payer un prix d’option pour visiter un parc naturel plus tard ne le ferait
finalement jamais : une gestion privée ne pourrait pas capter ce consentement à payer, ce qui
biaiserait les conditions économiques de gestion des espaces naturels si leur gestion était
privatisée.
41
Deux regards sur la biodiversité
On peut porter deux regards différents sur la biodiversité : (a) un regard centré sur l’identification
de son effet sur le fonctionnement14 des systèmes aux différents niveaux pertinents ; (b) un regard
valorisant la richesse potentielle des ressources ainsi disponibles. Le premier regard sous-tend les
démarches de connaissance qui visent les conditions écologiques générales d’équilibre ou de
viabilité en amont de la disponibilité des biens naturels, ce que j’ai appelé plus haut la logique
hétéro-référentielle. Le second regard, qu’on pourrait caractériser par la métaphore du « gardemanger », correspond à la logique auto-référentielle ; elle débouche sur des logiques d’inventaire,
de classement, d’identification et de conservation centrées sur les éléments constitutifs des
écosystèmes en vue de leur usage par l’homme. L’existence du « garde-manger » préserve la
variété du choix futur en fonction de la valorisation acquise par tel ou tel élément devenu
ressource effective. Il est en prise plus directe avec la thématique économique des ressources, des
techniques et des usages.
Dans les deux cas, l’incertitude est une dimension essentielle de l’approche, mais elle
n’est pas de la même nature. Elle porte dans le premier cas sur les exigences de régulation de
systèmes complexes. Elle concerne dans le second cas l’identification des éléments susceptibles
de devenir des ressources, les ressources identifiées ne représentant qu’une partie, jugée assez
faible bien que déjà importante, de l’ensemble des éléments du « garde-manger ».
L’appréhension des potentiels dépend de l’avancée des connaissances techniques : pour une part
importante, nous avons affaire à une présomption de richesse possible. Gérer une richesse
potentielle sous contrainte de moyens limités est une tâche complexe qui demande d’arbitrer
entre l’étendue de la variété du fonds préservé et la capacité d’en faire un usage informé dans des
délais satisfaisants au regard des conditions d’émergences d’une demande (Trommetter, 1993).
Des institutions et conventions manquantes
La thématique du « garde-manger » permet de mettre en évidence le problème posé par
l’aboutissement de la biodiversité sur le terrain d’une gestion. Si l’organisation économique de
14
Avec en particulier la thématique du lien entre diversité, stabilité et résilience des systèmes.
42
marché permet l’expression d’offres et demandes concurrentielles pour des biens individuels de
type privé, elle ne permet guère l’expression de demandes et d’offres globales pour des « paniers
de biens » étendus caractérisés par leur diversité interne. Les limites en taille et en variété des
paniers sont celles des droits de propriété. Cela est bien révélé par les exceptions ordinaires qu’on
peut mettre en avant, à savoir des transactions sur des biens composites faisant l’objet de droits
de propriété dont la valeur tient précisément à une diversité composée faisant sens pour
l’acquéreur (une collection, un fonds documentaire, une cave de vins fins ou l’accès à une réserve
naturelle peuplée d’une diversité d’espèces d’oiseaux à observer). Au-delà, les paniers de biens
sortent du cadre des droits de propriété. Par ailleurs, il faut souligner qu’il n’existe pas de marché
des univers futurs de choix, même s’il existe des marchés d’options : un acteur économique n’a
pas la possibilité de faire connaître sur un marché ses préférences sur la variété d’offre dont il
souhaite bénéficier à l’avenir ; il ne peut faire connaître de telles préférences qu’à travers ses
achats ou options d’achat de biens identifiés15. Or c’est idéalement ce type d’institution dont on
aurait besoin pour « gérer la biodiversité ». Ainsi, prise comme entité englobante, la diversité
biologique ne peut pas faire directement l’objet d’une gestion décentralisée par des mécanismes
de marché et ne peut pas, de façon rigoureuse, être considérée comme un bien.
Le fait que la biodiversité s’appréhende surtout à une échelle plus proche des niveaux
d’intervention des institutions humaines dédiées à l’administration des territoires et à
l’organisation des activités économiques serait en soi un facteur favorable à la mise en place de
dispositifs de gestion collective. Cependant, l’avancée d’une problématique gestionnaire pour la
biodiversité est freinée par l’absence d’un équivalent général qui permettrait de comparer
l’incidence des innombrables actions humaines qui l’affecte : d’un côté les cibles sont diverses et
ne parviennent pas à se totaliser d’une manière convaincante, la réduction à une comptabilité des
espèces disparues et en voie de disparition induisant une focalisation excessive à la fois sur
l’espèce comme catégorie et sur le nombre comme principe de valeur ; de l’autre côté, les actions
humaines agissent sur la biodiversité à travers de multiples influences, le plus souvent assez
indirectes. Cela fait que le devenir de la biodiversité semble davantage dépendre du bruit de fond
de l’activité humaine (changements de l’utilisation des sols, extension de l’emprise urbaine,
15
L’effet irréversibilité en économie tient précisément à cette cristallisation de deux problèmes
de choix dans un seul acte : le choix d’aujourd’hui détermine en même temps l’univers de choix
disponible à l’avenir (Godard et Salles, 1991).
43
développement de l’agriculture…) que d’actions précisément identifiées en nombre limité qui
pourraient être reconsidérées en fonction de leur incidence écologique. En d’autres termes, un
système de régulation économique comme celui défini à Kyoto pour le climat, qui a pu s’étayer
sur l’équivalent CO2 comme mesure universelle et comme vecteur central de l’articulation des
actions locales et des enjeux planétaires, n’a pas de pendant dans le domaine de la biodiversité.
Malgré tout, des sous-ensembles délimités et territorialisés de biodiversité peuvent être
tenus pour des biens pour certains usages et en fonction de certaines techniques : ainsi les
chercheurs en biologie travaillent en utilisant une certaine biodiversité comme matière première
soit pour sélectionner des variétés soit pour aboutir à de nouvelles constructions génétiques.
L’écotourisme exploite également une certaine biodiversité locale qui s’étend à la dimension
paysagère. Il y a là quelques points d’accroche pour la mise en place d’une gestion économique
dès lors qu’on parviendrait à définir des équivalences et des droits ou bien à faire émerger une
offre et une demande. Ce serait toutefois tromper son monde que de prétendre faire tenir un
régime d’ensemble visant la préservation de la biodiversité planétaire sur ces seules bases.
Résumons-nous. De la façon la plus générale la manifestation de la biodiversité à un
niveau donné de l’organisation écologique se présente comme une condition qui peut affecter la
fonction de production des agents économiques c’est-à-dire leur aptitude technique à transformer
des intrants en produits en mobilisant différents facteurs de production. Cette influence, qui peut
jouer couramment pour les productions très dépendantes des écosystèmes comme la production
agricole et forestière, a plusieurs visages : celui des menaces (insectes nuisibles ou attaques
virales) d’un côté, celui de la résilience et de la viabilité fonctionnelle entretenue à plus long
terme de l’autre côté. Sur cette dimension de la production, la biodiversité est ainsi une condition
ambivalente, à apprécier au cas par cas, sans pouvoir compter comme une valeur absolue. Que les
agents économiques aient à en tenir compte ne suffit pas à en faire un objet de gestion
économique.
Propriété émergente du fonctionnement et de l’évolution de systèmes vivants, la
biodiversité se présente comme une variable d’influence de la productivité des activités humaines
et parfois, lorsqu’elle est délimitée et encapsulée, comme une ressource. Ce rôle de ressource
productive ne peut pas faire tenir à lui seul une problématique de régulation des activités
humaines en fonction de leur incidence sur la biodiversité. Pour raccorder cette problématique à
44
l’économie des hommes, il faut prendre appui sur les mille cheminements locaux, pratiques et
culturels, par lesquels des hommes portent intérêt à des aspects et à des segments de la
problématique d’ensemble.
S’appuyer sur les différentes formes
d’intéressement des agents humains
Les sociétés occidentales démocratiques sont pluralistes, avons-nous reconnu plus haut. Elles
disposent de plusieurs référents de base pour qualifier une situation, surmonter des conflits, juger
d’une hiérarchie de valeur ou déterminer l’action qui convient. De ce fait les situations sociales
sont plurielles, non pas seulement parce que chacun est confronté à l’infinie variété des
contingences empiriques de la vie en société, mais parce que les référents pour se coordonner
sont eux-mêmes pluriels. Selon les situations et les problèmes en jeu, tel ou tel ordre de
justification apparaîtra comme plus pertinent que les autres, c'est-à-dire approprié à la situation et
aux valeurs qu’elle engage aux yeux des agents qui ont à s’accorder avec autrui. Les différents
ordres concernent la manière de qualifier le monde des choses (Eymard-Duvernay, 1989) en
même temps que celui des personnes. Il en va ainsi des diverses qualifications des problèmes
d’environnement (Godard, 1989, 1990).
Ainsi, du point de vue de « l’ordre industriel », la « grande » nature est celle qui est
valorisée productivement (les grandes cultures céréalières, les grands barrages, etc.) ; la « petite »
nature est celle qui est improductive, imprévisible, capricieuse, tel le fleuve au débit erratique qui
ne cesse de déplacer son lit et qui ne permet pas la navigation. Dans cette perspective, la
biodiversité importe, selon la métaphore du garde-manger, comme source potentielle
d’innovations futures dans le domaine de la pharmacie, du génie génétique ou des nouveaux
matériaux. Ce regard débouche sur une problématique de la meilleure stratégie de conservation in
situ ou ex situ des ressources potentielles appréhendées de façon individuelle. Si cet ordre se
soucie de la diversité des écosystèmes, ce n’est que dans la mesure où elle conditionnerait la
préservation de ressources génétiques potentiellement de grande valeur ou tout autre valorisation
productive compétitive.
L’ordre civique est centré sur la souveraineté des citoyens formant communauté et sur la
valeur d’équité entre les générations présentes et les générations futures. Chaque communauté
revendique des droits sur son environnement et les ressources qu’il abrite mais, dans le même
45
temps, affirme le droit des générations successives à bénéficier de cet environnement. Il en
résulte une obligation pour chaque génération de veiller à transmettre cet environnement commun
aux générations suivantes afin de respecter équitablement les droits de chacun16 ; cette exigence
est strictement indépendante de l’usage que chaque génération fait ou ne fait pas de ce droit de
jouissance de l’environnement, dès lors que le fonds n’est pas entamé.
Pour l’ordre domestique, qui est le principe symbolique de représentation de la société
humaine sur le mode de la famille, enracinée dans un territoire et inscrite dans un lignage, il est
essentiel à la définition même du groupe patrimonial de revendiquer la possession du territoire au
nom d’une histoire d’interaction entre hommes et milieux, mais aussi de veiller au lien
intergénérationnel à l’intérieur de ce groupe et donc de faire que le patrimoine reçu soit
retransmis. L’enjeu n’est pas ici l’égalité de principe de tout homme membre de la société, mais
celle de la survie physique et culturelle d’un groupe patrimonial déterminé. L’impératif de
transmission ne porte que sur les éléments patrimoniaux, c’est-à-dire ceux à qui est attribuée une
dimension identitaire et ceux qui représentent des ressources essentielles pour la survie.
Pour l’ordre de l’opinion, la biodiversité est intéressante par ses êtres les plus fameux : les
baleines, les phoques, les girafes, les lions vont alors tenir un rang que n’auront pas les
moustiques de différentes espèces que l’on peut trouver au fin fond de la forêt tropicale. Il y a
ainsi des hauts lieux de l’imaginaire partagé et un panthéon des espèces qui suscitent
l’émotion et prennent valeur emblématique, des bébés phoques au panda. Ces êtres reçoivent
alors une valorisation sans commune avec la nature ordinaire, d’une façon qui ne correspond
en rien aux hiérarchies que l’écologue pourrait établir.
Pour l’ordre marchand, la biodiversité ne vaut qu’à la mesure des activités marchandes
qui peuvent se greffer sur elle, le plus souvent sur le mode de l’exploitation de ressources
naturelles. Comme cela a été indiqué plus haut, ce n’est alors pas la biodiversité en tant que telle
qui importe et qui se trouve directement valorisée. Elle apparaît le plus souvent comme un facteur
de modulation de la productivité de certains investissements, comme le montre l’incidence
indirecte qu’elle peut avoir sur la valorisation des activités touristiques. Il peut même exister des
entreprises privées de valorisation d’une biodiversité enclose pour des écotouristes (Aretino et al.,
2001).
16
Voir Gosseries (2004) pour un réexamen de cette idée à la lumière de la démarche cohérentiste
en philosophie morale.
46
Tout autre est l’ordre appelé « inspiré ». Ce dernier instaure un rapport au monde
physique et social « ici et maintenant » qui est appréhendé en référence à un au-delà et un
ailleurs, source transcendante du sens. Il n’est cependant accessible qu’au travers de l’expérience
sensible autorisée par une incarnation, mais en dépassement de cette dernière. Cet au-delà peut
être religieux ; il peut également renvoyer à des formes atténuées ou sécularisées du religieux,
comme lorsque la nature se trouve sacralisée ou chargée d’une dimension mystique. Les êtres qui
la peuplent sont ici appréciés selon une valeur d’unicité et de non-commensurabilité. Une ascèse
à la fois physique et morale est exigée des hommes pour faire d’eux des initiés jugés dignes
d’avoir accès à la beauté et à la grandeur de la nature. La biodiversité est ici appréhendée comme
spectacle d’une richesse donnée à profusion et initiation au mystère de l’être. Elle appelle non
l’usage, mais la contemplation.
La cause de la protection de la biodiversité peut ainsi trouver des accroches variées à des
intérêts qui procèdent de ces différents ordres. Cette variété-là constitue certainement une source
vivante de malentendus persistants et de conflits renouvelés, forme humaine des relations
écologiques. Par exemple, l’idée de faire ou d’élargir une route pour faciliter l’accès d’un site
naturel remarquable et pouvoir ainsi amener les foules au plus près de la nature, projet se situant
au croisement de l’ordre industriel et de l’ordre civique, est strictement incompréhensible et
inadmissible de l’intérieur de l’ordre « inspiré » : ce projet fait disparaître l’effort d’approche et
l’approfondissement de la démarche de préparation personnelle préalable à l’accès proprement
dit ; or seule une telle démarche rend le promeneur moralement disponible à la grandeur du site
naturel en question.
Cependant, les personnes dont le rôle social les conduit à vouloir inscrire leur rapport à
l’environnement dans le cadre de l’un ou l’autre des ordres mentionnés peuvent trouver à
s’accorder un temps sur certains objectifs et certaines actions, tout en s’opposant sur d’autres.
Ces plages d’accord peuvent alors faire émerger et tenir pour un temps et une situation donnée un
‘compromis de justification’ qui permet une certaine action collective. Il faut alors que les
dispositifs de compromis adoptés permettent à chacun de ne pas perdre ses référents tout en
surmontant ce qu’ils peuvent avoir de contradictoire.
Ainsi la régulation du problème de la biodiversité ne peut pas se concevoir autrement que
comme l’articulation, en un régime composite, de dispositifs d’action déployés à différents
47
niveaux et prenant des formes diverses. Le choix de ces formes dépend des situations dont
émergent les problèmes, des ordres de justification sur lesquels ils s’étayent et des compromis qui
auront pu être noués par les acteurs concernés. Ce régime ne peut pas avoir la netteté,
satisfaisante pour l’esprit, d’un régime reposant sur la seule création de marchés de ressources
génétiques.
Conclusion
L’environnement est un des champs où la discipline économique peut le mieux éprouver ses
fondements, ses orientations et ses limites à travers la confrontation à des objets et des questions
qui ne lui viennent pas naturellement. C’est aussi un champ dans lequel la discipline doit ne pas
s’abandonner à une posture auto-référentielle mais au contraire s’ouvrir à des sémantiques
étrangères avec lesquelles il lui est indispensable de communiquer, ce qui ne va pas sans une
certaine appropriation. L’enjeu n’est seulement d’élargir les données prises en compte ; il est
aussi de comprendre des articulations et d’admettre les basculements et autres inversions de
sémantiques nécessaires à la pleine compréhension des problèmes et à l’adoption de repères
pertinents pour l’orientation collective. De ce fait et en dépit de sa recherche de cohérence, la
sémantique économique ne peut pas être homogène, comme l’a montré le passage du concept
d’effets externes à la notion de développement durable.
L’ouverture requise doit se faire dans deux directions opposées et souvent perçues comme
contradictoires : celle des sciences de la nature, dites dures, avec lesquelles la discipline a
toujours recherché des affinités du côté de la formalisation et de l’approche par modèles ; mais
aussi celle des sciences sociales ayant pour objets les représentations mentales, les réseaux, les
institutions, les procédures de justification dans l’espace public et les normes sociales. D’où les
deux courants de l’économie écologique et de la socio-économie au côté du mainstream
néoclassique qui s’identifie à la logique auto-référentielle individualiste. Faute de tenir la balance
entre les différentes composantes, les économistes qui consacrent leurs talents au champ de
l’environnement tombent soit dans un réductionnisme à l’intensité redoublée qui les laissera
pétrifiés d’incompréhension devant la réalité de l’action collective engagée au nom de
l’environnement, soit dans un discours critique et normatif versant dans l’idéologie et ce que les
Britanniques appellent le wishful thinking. L’économie de l’environnement est faite de trois
48
courants. Il leur reste encore à trouver les conditions apaisées de gestion de leur rivalité et de leur
nécessaire coexistence.
49
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53
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Bruce J. Caldwell: Popper and Hayek: Who Influenced Whom? (No 2003-01).
Daniel Vanderveken: Formal Ontology, Propositional Identity and Truth – With an Application
of the Theory of Types to the Logic of Modal and Temporal Propositions (No 2003-02);
Daniel Vanderveken: Attempt and Action Generation – Towards the Foundations
of the Logic of Action (No 2003-03);
Robert Nadeau: Cultural Evolution True and False: A Debunking of Hayek’s Critics (No 2003-04);
D. Wade Hands: Did Milton Friedman’s Methodology License the Formalist Revolution? (No 2003-05);
Michel Rosier: Le questionnement moral : Smith contre Hume (No 2003-06);
Michel Rosier: De l’erreur de la rectification par Bortkiewicz d’une prétendue erreur de Marx (No 2003-07) ;
Philippe Nemo : La Forme de l’Occident (No 2003-08);
Robert Nadeau: Hayek’s and Myrdal’s Stance on Economic Planning (No. 2003-09);
Guillaume Rochefort-Maranda: Logique inductive et probabilités : une analyse
de la controverse Popper-Carnap (No. 2003-10);
Guillaume Rochefort-Maranda: Probabilité et support inductif. Sur le théorème
de Popper-Miller (1983) (No. 2003-11);
F.P.O’Gorman: Rationality, Conventions and Complexity Theory:
Methodological Challenges for Post-Keynesian Economics (No. 2003-12);
Frédérick Guillaume Dufour: Débats sur la transition du féodalisme au capitalisme en Europe.
Examen de contributions néo-wébériennes et néo-marxistes (No. 2003-13);
Jean Robillard: Théorie du sujet collectif et attribution des propriétés sémantiques individuelles (No. 2003-14);
Philippe Mongin: L’analytique et le synthétique en économie (No. 2003-15) ;
Philippe Mongin: Value Judgments and Value Neutrality in Economics. A Perspective from Today (No. 2003-16) ;
Maurice Lagueux : Explanation in Social Sciences. Hempel, Dray, Salmon and van Fraassen Revisited (2003-17) ;
Learry Gagné : Les fondements rationnels et émotifs des normes sociales (2003-18) ;
Pierre Milot : La transformation des universités dans le contexte d’application de l’économie du savoir (2003-19);
Marc Chevrier: Les conflits de savoirs en démocratie constitutionnelle: le cas du constructivisme judiciaire canadien (200320);
Guillaume Rochefort-Maranda: Confirmation et corroboration: accords et désaccords (2003-21);
Robert Nadeau: Has Hayek Refuted Market Socialism? (2004-01);
Mathieu Marion: Investigating Rougier (2004-02);
Frédérick Guillaume Dufour: Historical Sociology and the Analysis of Social-Property Relations (2004-03);
Christian Arnsperger: Reopening the road from Frankfurt to Vienna: Why “Hayekian Critical Theory”
is not an oxymoron (2004-04);
Christian Arnsperger: Critical instrumental rationality between spontaneity and reflexivity:
Spelling Out Hayekian Critical Theory (2004-05);
Christian Arnsperger: The two meanings of “critical mass”: Probing the new frontiers of economics
in search of social emancipation (2004-06);
Frédérick Guillaume Dufour: Beyond Modernity : Social Relations
and the Emergence of Capitalism and Nationalism (No 2004-07);
Alban Bouvier: Le problème de l’unification des théories en sociologie. Un exemple : choix rationnel
et logiques de l’honneur (No 2004-08);
Olivier Servais: Dispositions et détermination de l’action dans la théorie de la régulation (No 2004-09);
Learry Gagné: Social norms outside rationality (No 2004-10);
Mathieu Marion: Sraffa and Wittgenstein: Physicalism and Constructivism (No 2004-11);
Robert Nadeau: L’explication rationnelle en histoire. Dray, Collingwood et Hempel (No 2005-01);
Maurice Lagueux: Peut-on séparer science et idéologie en économique ? (No 2005-02);
Chinatsu Kobayashi & Mathieu Marion: La philosophie de l’histoire de Collingwood : rationalité, objectivité et anti-réalisme
(No 2005-03);
Vincent Bourdeau: La solidarité chez Walras, entre droit naturel de l’État et marché républicain (No 2005-04);
Daniel Vanderveken: Aspects cognitifs en logique intensionnelle et théorie de la vérité (No. 2005-05);
Maurice Lagueux: L’agent économique: rationalité maximale ou minimale ? (No 2005-06).;
Christian Nadeau: L’histoire comme construction sociale politique : une lecture croisée
de Reinhart Koselleck et Quentin Skinner (No 2005-07) ;
Dario Perinetti : Humean Explanations : Sagacity and Prudence (No 2005-08) ;
Olivier Godard : Les trois courants complémentaires du champ de l’économie de l’environnement :
une approche systémique (No 2005-09).
http://www.philo.uqam.ca
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