L’ IRM : quelles contraintes pour l’anesthésiste ? Gestion du malade de réanimation Gérard Audibert (Nancy) L’imagerie par résonance magnétique (IRM) fournit des images d’une résolution spatiale bien supérieure à celle de la tomodensitométrie. La multiplication des appareils, le raccourcissement des séquences aboutissent à l’accroissement d’indication d’anesthésieréanimation dans un environnement à risques spécifiques. Les explorations en urgence, notamment de patients de réanimation, aujourd’hui anecdotiques, vont devenir plus régulières. 1. L’environnement de l’IRM et ses risques 1.1 Principes de l’IRM Les noyaux de certains atomes à nombre impairs de protons (1H, 13 C, 19 F, 23 Na, 31 P) possèdent un spin, c’est à dire tournent sur leur propre axe (comme une toupie), ce qui, compte tenu de leur charge électrique, engendre un champ magnétique. A l’état naturel, ces petits aimants ont une orientation aléatoire. Placés dans un champ magnétique, ils s’orientent dans la même direction que celui-ci (comme l’aiguille d’une boussole). Ensuite, on soumet les noyaux à une onde de radio-fréquence, de brève durée, perpendiculaire au champ initial, dont la fréquence est spécifique de l’atome étudié : les noyaux pivotent alors en absorbant de l’énergie. A l’arrêt de l’onde de radio fréquence, les noyaux reviennent à la position de repos en libérant de l’énergie sous forme d’une onde électromagnétique, qui va être captée. Le temps que met l’énergie à se dissiper est appelé temps de relaxation ; il se décompose en deux parties T1 et T2. Pour pouvoir localiser les signaux émis dans l’espace, on crée dans le champ magnétique principal une variation de champ magnétique ou gradient magnétique au moyen de bobines. L’IRM fait appel à la résonance magnétique de l’hydrogène, abondamment représenté dans tous les tissus de l’organisme et qui permet de différencier des tissus en fonction de leur teneur en eau. 1.2 L’appareil d’IRM Il comporte un aimant puissant produisant un champ magnétique permanent. Il s’agit le plus souvent d’aimants supra conducteurs refroidis par de l’hélium liquide. Une fuite importante de celui-ci entrainerait une diminution de la fraction d’oxygène de l’air environnant avec un risque d’hypoxie. L’aimant comporte en son centre un cylindre de 2 m de long, dans lequel est placé le patient. Lors de l’examen, des bobines électromagnétiques créent des gradients magnétiques, générés par des variations d’intensité importantes de courant électrique pendant des temps courts. Ceci engendre des vibrations des conducteurs, responsable d’un bruit important (70-90 dB). Un émetteur d’onde de radio fréquence est placé au niveau de la partie du corps explorée, la réception du signal étant effectuée par une antenne proche du patient. L’intensité du champ magnétique est maximale au centre de l’aimant et s’atténue très rapidement (cf annexe1). Il est recommandé que la ligne de champ magnétique 5 Gauss soit matérialisée au sol. (1)La plupart des IRM installées en France en 2003 sont des IRM de 1,5Tesla (1 Tesla vaut 10 000 Gauss). Dans un avenir proche vont se développer des machines d’IRM dites de haut champ de 3T. L’intérêt de celles-ci est particulièrement net dans le domaine neurologique : elles permettront une meilleure résolution spatiale et temporelle avec de meilleurs contrastes. 1.3 Effets du champ magnétique sur le patient Toute pièce de métal magnétique, placée sur ou dans le patient, va être soumise au champ magnétique. Celui-ci est maximum lorsque le patient est placé dans l’appareil. Les pacemakers, défibrillateurs implantables et pompes implantables peuvent être arrêtés ou déprogrammés. Le port d’un pace-maker ou d’un défibrillateur implantable est une contreindication à l’IRM. Les implants chirurgicaux peuvent bouger s’ils sont ferromagnétiques et placés dans une structure molle, sans réaction fibreuse (exp : clip sur un anévrysme cérébral) de même que les corps étrangers (antécédents de plaies par balle) notamment intra-oculaires (cas des fraiseurs de métaux). Les implants chirurgicaux actuels à base de nickel, de titane ou de platine ne sont pas magnétiques. Les implants en acier inoxydable (exp : certains filtres de Greenfield) peuvent être légèrement magnétiques : l’examen IRM est possible 6 à 8 semaines après l’implantation du matériel, délai au cours duquel celui-ci est fixé à la paroi vasculaire par la prolifération tissulaire adjacente. (2)Les valves de dérivation ventriculaire ne posent pas de problème. Des informations actualisées sont disponibles sur le site Internet : www.mrisafety.com. Les gradients magnétiques peuvent entraîner des sensations visuelles de type flash lumineux. Les effets biologiques des champs magnétiques < 2Tesla sont considérés comme nuls. Cependant certains auteurs recommandent d’éviter de pratiquer une IRM lors du premier trimestre de la grossesse. (3) 1.4.Effets du champ magnétique sur les objets Selon leur masse, tous les objets ferromagnétiques (pinces, ciseaux, pièces de monnaie, clés,…) placés dans un champ magnétique > 30-50 Gauss peuvent être projetés violemment vers l’aimant (“ effet missile ”). Ainsi, récemment, un moniteur d’anesthésie d’un poids de 25 kg, pourtant compatible IRM, a été projeté sur l’aimant : la force de 5 personnes a été nécessaire pour le décoller !! (4)Les cartes magnétiques, les disquettes d’ordinateur et les montres sont détériorées. Les batteries des appareils médicaux (pousse-seringue électrique) peuvent se décharger brutalement, avec arrêt inopiné ; les programmations des appareils peuvent être modifiées. L’effet varie avec la distance par rapport à l’aimant (Figure 1). 2. L’IRM : quelles contraintes pour l’anesthésiste ? L’environnement magnétique a donc des spécificités propres qui doivent être connues de l’anesthésiste avant de s’y engager. Les enfants en bas âge constituent la majorité des cas de recours à l’anesthésie pour IRM. Les patients de réanimation, intubés et ventilés, ont des indications d’IRM actuellement plus nombreuses. Enfin, certains adultes claustrophobes (jusqu’à 14% dans certaines séries) (5) nécessitent également la présence d’un anesthésiste. Le plus souvent, une information précise sur le déroulement de l’examen permet de rassurer le patient. L’examen IRM nécessite une immobilité absolue pendant l’acquisition de la séquence qui dure entre 2 et 10 minutes. Tout mouvement pendant cette période impose la répétition complète de l’acquisition. Le nombre de séquence est variable, l’examen durant entre 30 et 60 minutes. L’hospitalisation se fait souvent sur le mode ambulatoire. 2.1. Moniteurs et matériel de ventilation Le signal ECG est altéré par le champ magnétique et l’onde de radio fréquence. Les perturbations dépendent du câble et des électrodes. Les boucles formées par les câbles peuvent engendrer des courants induits responsables de brûlures cutanées. Des électrodes compatibles doivent être placées proches les unes des autres, près du centre du champ, les câbles doivent être tressés. Les dérivations V5 et V6 sont les moins perturbées. Parfois le moniteur fait partie de l’installation IRM, ce qui permet de synchroniser l’acquisition des données par les 2 appareils. La mesure non invasive de la pression artérielle est possible grâce à un allongement du circuit pneumatique permettant l’éloignement de l’appareil. Pour la mesure invasive, la tête de pression doit être amagnétique car la connexion du cathéter artériel à celle-ci ne peut pas être allongée sous peine d’un amortissement du signal . Plusieurs oxymètres de pouls courants fonctionnent en IRM (3,6). Le câble ne doit pas faire de boucles et le capteur être placé loin de la zone explorée. Ils peuvent perturber l’imagerie mais les interférences sont limitées par l’utilisation d’un câble à fibres optiques. La surveillance du CO2 expiré et des agents halogénés est réalisable avec un allongement des circuits de prélèvement. Des moniteurs multi paramètres, évidemment onéreux, ont été conçus pour fonctionner dans une enceinte IRM (Maglife C, Schiller Médical ; IRM S/5 ; Datex-Ohmeda). Lorsque le patient est laissé en ventilation spontanée, un circuit coaxial de Bain a été proposé. Lorsque la ventilation est assistée, le respirateur doit être utilisable dans le champ magnétique, positionné habituellement dans la zone où celui-ci est < 50 Gauss (environ 3 m de l’aimant). Plusieurs respirateurs sont utilisables (3,6). Certains sont particulièrement conçus pour fonctionner à proximité d’un appareil d’IRM (Fabius IRM, Dräger ; Aestiva 5IRM, Datex-Ohmeda). Les tuyaux doivent être rallongés et à faible compliance, ce qui rend indispensable le monitorage du CO2 expiré, notamment chez l’enfant. Les vaporisateurs contenant des parties magnétiques peuvent être déréglés mais plusieurs modèles sont utilisables. 2.2. Evaluation pré-anesthésique Pour les sujets porteurs d’un implant médical, l’interrogatoire permet de s’assurer de la faisabilité de l’examen ou de porter une contre-indication en concertation avec le radiologue. C’est également un moment privilégié pour informer des contraintes de bruit et de confinement et rassurer le patient (et ses parents pour les enfants) au sujet du déroulement de l’examen. Après l’age de 5 ans, la présence des parents contribue à rassurer l’enfant (3). Chez l’enfant, une prémédication par atropine est souvent préconisée pour limiter la salivation. 2.3. Choix de la technique anesthésique -une sédation orale simple peut être utilisée, éventuellement administrée par des infirmières, en dehors de toute présence anesthésique. Cette approche, justifiée par les contraintes économiques, a été validée dans deux grandes études (7,8). La sédation faisait appel à l’hydrate de chloral pour les enfants de poids < 10 kg et à une association benzodiazépinedropéridol pour les enfants de poids supérieur. La présence de mouvements empêchait la réalisation de l’examen dans 5 à 7des cas et une hypoxémie modérée apparaissait dans 2,9% des cas, résolutive sans intubation. Cette approche est controversée (9) et les contre-indications suivantes doivent être strictement respectées : risque d’obstruction des voies aériennes (exp : apnée du sommeil), anomalies des centres respiratoires, insuffisance rénale ou hépatique, hypertension intracrânienne, risque d’inhalation -l’anesthésie en ventilation spontanée sans intubation (parfois qualifiée de sédation profonde) fait actuellement appel au propofol. Elle a été utilisée avec succès par plusieurs équipes mais les collectifs des études sont faibles (3,10,11). Ont été rapportées des épisodes de désaturation mineure ou d’hypercapnie transitoire, n’ayant pas nécessité d’intubation. Des études plus anciennes mentionnent le thiopental. Outre l’absence de contrôle des voies aériennes, cette approche a l’inconvénient de la difficulté de l’abord veineux chez le petit enfant. Les contreindications de la sédation s’appliquent aussi à cette technique. -l’anesthésie générale avec contrôle des voies aériennes peut faire appel à une induction par sévoflurane ou propofol et un entretien par isoflurane ou propofol (12). Cette technique est la seule alternative pour les patients présentant une contre-indication à la sédation. Lorsque cette solution est retenue, l’intubation oro-trachéale est habituellement préconisée (3,6). Le masque laryngé a parfois été proposé. Certains d’entre eux altèrent la qualité des images. Les difficultés d’accès aux voies aériennes et la quasi impossibilité de surveillance visuelle du patient lorsqu’il est dans l’aimant doivent rendre prudent quant à ses indications. Evénement indésirable : le plus utilisé des produits de contraste intraveineux est le dimeglumine gadopentetate (gadolinium). Il s’agit d’un produit très peu allergisant mais une réaction anaphylactoïde grave a été rapportée (13). 2. Gestion du patient de réanimation L’IRM a beaucoup de mal à supplanter la tomodensitométrie pour les patients de réanimation. En effet, cette dernière demeure beaucoup plus rapide et permet en urgence un bilan beaucoup plus complet. Néanmoins, pour le système nerveux central, l’IRM offre des images de qualité bien supérieure, permet des diagnostics inaccessibles au scanner et pourrait permettre d’affiner le bilan des patients souffrant de traumatismes crâniens. (14) L’équipe médicale et paramédicale qui assurera le transport et la surveillance du patient à l’IRM doit avoir été formée aux contraintes du champ magnétique. Celles-ci doivent être rappelées dans une procédure écrite facilement accessible sur le site de l’IRM. Avant la décision de l’examen IRM, les antécédents du patient seront soigneusement recherchés afin d’éliminer toute présence d’implants ferro-magnétiques. En urgence, ceci n’est pas toujours aisé. Si le patient de réanimation n’est pas intubé, sa fonction ventilatoire doit être précisément évaluée. Il devra pouvoir supporter d’être allongé en décubitus dorsal strict pendant 45 à 60 minutes, dans des conditions de surveillance souvent précaire. La balance bénéfice-risque de l’examen doit alors être soigneusement pesée. En cas d’intervention neurochirurgicale récente, toute sonde d’intubation armée doit être remplacée par une sonde simple. Les conditions de ventilation du patient doivent pouvoir être assurées par le respirateur implanté à l’IRM. Les électrodes de scope seront remplacées à l’arrivée à l’IRM. Le matériel de monitorage est celui décrit ci-dessus. Pour les patients dont la pression intracrânienne est mesurée par un capteur à fibres optiques, l’amplificateur doit être déconnecté ; la fixation avec un écrou doit être évitée car il peut s’échauffer et parasiter le signal IRM. Les pousse-seringues électriques peuvent être positionnés à 4m de l’aimant, moyennant un allongement des connexions (à réaliser de préférence en réanimation pour les patients recevant des catécholamines). Le protocole de réanimation cardio-respiratoire doit être établi en dehors d’une situation de crise. Des appareils amagnétiques sont disponibles mais l’investissement qu’ils représentent est à discuter . Le plus simple est de sortir le patient le plus vite possible de l’enceinte IRM et de disposer à proximité du matériel de réanimation. Références 1. Association of anaesthetists of great britain and ireland: Provision of anaesthetic services in magnetic resonance units., 2002 2. Sawyer-Glover AM, Shellock FG: Pre-MRI procedure screening: recommendations and safety considerations for biomedical implants and devices. J Magn Reson Imaging 2000; 12: 510. 3. Steib A, Schwartz E, Stojeba N, Gengenwin N, Hartmann G: [Anesthesia for MRI examination]. Ann Fr Anesth Reanim 1994; 13: 373-80. 4. Farling P, McBrien ME, Winder RJ: Magnetic resonance compatible equipment: read the small print! Anaesthesia 2003; 58: 86-7. 5. Murphy KJ, Brunberg JA: Adult claustrophobia, anxiety and sedation in MRI. Magn Reson Imaging 1997; 15: 51-4. 6. Bruder N, Levrier O: Anesthésie pour IRM, Conférences d'actualisation de la SFAR, 1994, pp 33-45 7. Sury MR, Hatch DJ, Deeley T, Dicks-Mireaux C, Chong WK: Development of a nurse-led sedation service for paediatric magnetic resonance imaging. Lancet 1999; 353: 1667-71. 8. Malviya S, Voepel-Lewis T, Eldevik OP, Rockwell DT, Wong JH, Tait AR: Sedation and general anaesthesia in children undergoing MRI and CT: adverse events and outcomes. Br J Anaesth 2000; 84: 743-8. 9. Lawson GR: Controversy: Sedation of children for magnetic resonance imaging. Arch Dis Child 2000; 82: 150-3. 10. Levati A, Colombo N, Arosio EM, Savoia G, Tommasino C, Scialfa G, Boselli L: Propofol anaesthesia in spontaneously breathing paediatric patients during magnetic resonance imaging. Acta Anaesthesiol Scand 1996; 40: 561-5. 11. Frankville DD, Spear RM, Dyck JB: The dose of propofol required to prevent children from moving during magnetic resonance imaging. Anesthesiology 1993; 79: 953-8. 12. Keengwe IN, Hegde S, Dearlove O, Wilson B, Yates RW, Sharples A: Structured sedation programme for magnetic resonance imaging examination in children. Anaesthesia 1999; 54: 1069-72. 13. Weiss KL: Severe anaphylactoid reaction after i.v. Gd-DTPA. Magn Reson Imaging 1990; 8: 817-8. 14. Cosnard G, Duprez T, Morcos L, Grandin C: [MRI of closed head injury]. J Neuroradiol 2003; 30: 14657.