M. Liotard - Lycée Camille Vernet - DS en 2H : le résumé Homans (1961) souligne que, dans des situations de monopole ou d’oligopole cognitif1, l’individu a des raisons d’être conformiste : la plus immédiate étant que cela lui permet d’éviter les coûts sociaux et/ou matériels d’une attitude déviante. Le fait de vouloir éviter d’être mis à mort de mille façons, de subir des violences ou même d’essuyer le sarcasme ou le mépris de ses congénères constitue un ensemble de raisons solides d’être conformiste. Ce que l’on pourrait appeler le conformiste « utilitariste » ne recouvre cependant pas tous les aspects de ce phénomène. En effet, dans l’expérience d’Asch2, on peut supposer que les coûts sociaux et/ou matériels étaient nuls ou très faibles. Ce qui était en jeu, ce n’était pas tant la peur d’être désavoué par les autres que la confusion mentale générée par la situation. Dans les situations de la vie sociale, l’individu peut donc, quant à ses croyances, être influencé par les dix-sept personnes qu’il fréquente en moyenne et avec qui il entretient des relations régulières, non pas parce que le groupe aurait une influence d’ordre magique sur sa personnalité, mais tout simplement parce que, pourvu qu’il n’entretienne pas un rapport inconditionnel ou quasi inconditionnel à un énoncé, il a des chances de considérer que, si les autres sont majoritaires à penser ce qu’ils pensent, c’est qu’ils ont des raisons solides de le faire. Tandis que le citoyen ordinaire ne fréquentera que des réseaux perméables à l’écosystème social, ce qui confèrera une certaine labilité à nombre de ses points de vue et une certaine conditionnalité à beaucoup de ses croyances, l’extrémiste, on l’a vu, sera placé ou se placera dans des conditions sociocognitives bien différentes. Pour cette raison, il y a plus d’homogénéité de croyances dans les réseaux sociaux extrémistes que dans ceux que fréquente « Monsieur Tout-le-monde ». Cette dernière remarque conduit à la conclusion paradoxale que l’extrémiste est bien plus conformiste que l’homme ordinaire. Il serait sans doute insatisfait de le savoir dans la mesure où l’orgueil de la révolte et de la distinction est souvent chez lui un soutien de son fanatisme. Il argumenterait sans doute contre cette idée en faisant valoir qu’il se rebelle contre les valeurs dominantes de l’espace social qu’il fré- 1" /"1 quente, ce qui fait de lui un paria, voire un hors-laloi. C’est vrai. Mais en fait, le conformisme ne se mesure qu’à la lumière des espaces sociocognitifs qu’un individu fréquente, le reste n’est que rhétorique. Accordons à l’extrémiste qu’enserré mentalement comme il l’est, il faut des circonstances exceptionnelles ou une personnalité qui ne l’est pas moins pour se défaire de l’emprise de la doctrine de ceux qui tissent la trame de son univers social. Seulement, la chose est possible comme le prouvent tous les exemples d’individus renonçant, souvent avec beaucoup de souffrances, à leurs croyances extrêmes. Le parcours de ces individus démontre, s’il en était besoin, à tous ceux qui trouvent commode de concevoir les hommes comme des êtres hétéronomes que leur théorie a bien des avantages, mais qu’elle n’est pas réaliste d’un point de vue descriptif. C’est le caractère imprédictible des conduites humaines qui rend les sciences sociales si peu exactes. C’est cette spécificité de chaque individu qui fait que, même lorsque la stimulation informationnelle est homogène dans un espace social, ses conséquences sont parfois modales mais jamais mécaniques. Les produits cognitifs ne s’imposent pas, mais se proposent à l’acteur social. Ils peuvent être systématiquement consommés dans le cas des monopoles, et statistiquement préférés dans le cas des oligopoles, mais un individu ne peut être contraint à croire comme l’on tord une barre de fer. D’ailleurs, les techniques dites de manipulation mentale, qui ont inspiré et inspirent tant de fantasmes, sont généralement fondées sur l’assentiment individuel. Gérald BRONNER, La Pensée extrême : comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, Paris, PUF, 2016. 1 C’est-à-dire dans un environnement où l’individu est en contact avec des gens qui partagent tous la même opinion (monopole cognitif), ou avec un nombre restreint d’opinions concurrentes (oligopole cognitif). 2 Dans l’expérience d’Asch, menée en 1951, un sujet participe à une expérience au milieu de complices de l’expérimentateur : deux images sont disposées, l’une avec une ligne, l’autre avec trois lignes. Il s’agit de déterminer laquelle des trois lignes de la seconde image fait la même longueur que la ligne de la première, la réponse étant évidente et la différence de longueur entre les lignes très nette. À un certain moment de l’expérience, tous les complices se mettent à donner une réponse fausse : le sujet « naïf » qui répond en avant-dernier, donne alors dans un tiers des cas la même réponse que les complices. www.monsieurliotard.fr