L’hypnose médicale Dr M. Carlon (Pôle Anesthésie - Réanimation) Dr M. Bernardin (Pôle Neurosciences Cliniques) CHU NICE 10/09/2013 Séance d'hypnose, par Richard Bergh, 1887 Qu’est-ce que l’hypnose médicale? • Expérience relationnelle mettant en jeu des mécanismes physiologiques et psychologiques permettant à l’individu de mieux supporter, d’atténuer, voire de supprimer une pathologie aigüe ou chronique. • La suggestion est la base de cette relation médecin patient. Suggérer… une autre sensation, … un autre comportement, une autre représentation de ce que vit le patient. • Il s’agit d’une thérapie brève (3 à 5 séances) qui s’intègre dans l’arsenal thérapeutique. Historique • Dr Franz-Anton Mesmer (1775): ses cures collectives participent à l’action thérapeutique; ses expériences ont un grand succès à Paris. • Dr Jean-Marie Charcot (1880): travaille sur l’hystérie. Ecole de la Salpétrière. • Dr Hippolyte Bernheim (1884): état naturel utilisé à des fins thérapeutiques. Ecole de Nancy. • Dr Milton Erickson (1965):élargit la connaissance de l’hypnose. Approche adaptée, respectueuse et éthique de l’individualité de chaque patient. Une expérience avant tout subjective • Concentration et recentrement de l’attention • Diminution de la réceptivité aux stimuli extérieurs • Modification de la perception du temps • Modification des sensations corporelles • Augmentation de la réceptivité à la suggestion… • Pas de perte de contrôle mais modification • Pas de perte de conscience ni de maîtrise L’hypnose médicale, thérapeutique • Objectif: réactiver les ressources naturelles du patient. • Utilise le processus de dissociation. • Il s’agit d’instaurer, chez le patient et avec sa participation active, l’état hypnotique. Ce que ça n’est pas Aspects neurologiques • De nombreuses études cliniques viennent étayer l’intérêt de l’hypnose (Pet scan, IRM fonctionnelle). • L’hypnose permet de moduler l’activité des structures cérébrales impliquées dans la douleur ( variation du débit sanguin cérébral), au niveau du cortex cingulaire antérieur. • Signaux différents du sommeil, rêve, imagerie autobiographique. Neurones miroirs • Faire …et…imaginer faire…activent les mêmes zones cérébrales corticales. • « Voir faire » chez l’autre…active les mêmes zones cérébrales chez soi Fabbri-Destro M, Rizzolati G. Mirror neurons and mirror systems in monkeys and humans. Physiology, 2008;23:171-179 Indications de l’hypnose • • • • • • • • Douleurs aiguës et chroniques Addictions (tabac, alcool) Boulimie Syndrome anxio-dépressif Phobies Troubles du sommeil Syndrome post-traumatique Soins palliatifs Nombreuses indications dans la douleur • • • • • • • Douleurs chroniques Colon irritable Lombalgie chronique Fibromyalgie Algodystrophie Membre fantôme Migraines et céphalées de tension • • • • • Douleurs aiguës Soins dentaires Soins aux brûlés Endoscopie digestive Chirurgie non invasive, avec sédation (esthétique, thyroïde..) • Maternité Chez quels patients la pratiquer? • L’hypnose peut être proposée au plus grand nombre. • Motivation…confiance…coopération • Enfants à partir de 5-6 ans • Contre indication; psychose non suivie (dissociation) Hypnose et douleur: points clés neurophysiologiques • La douleur, comme toute stimulation sensorielle, est soumise à l’influence de l’attention, anticipation, imagerie mentale, conditionnements antérieurs. • L’hypnose va agir sur les composantes sensorielles et émotionnelles de la douleur. Elle module l’intensité de la sensation douloureuse et de la composante émotionnelle en agissant au niveau cérébral et au niveau spinal (système inhibiteur descendant). • Son action ne passe pas par le système endorphinique (non antagonisée par la naloxone). Hypnose conversationnelle et douleur: rompre l’anticipation anxieuse L’anticipation anxieuse • « Si une personne s’attend à avoir mal, elle bloque les mécanismes d’inhibition cérébraux et spinaux de la douleur, et dans ces conditions, elle a vraiment mal » Goffaud P, Redmond WJ, Rainville P, Marchand S. Pain, 2007;130:137-143 • Pour rompre cette anticipation anxieuse de la douleur, en cas de soin douloureux par exemple, l’hypnose conversationnelle est fondamentale: il s’agit d’un dialogue avec le sujet qui est déjà dissocié puisque fixé sur la région qui va être touchée. De ce fait, les mots prononcés auront une grande portée Hypnose et douleur:distraction et détente Distraction • Surtout chez les enfants: plusieurs techniques proposées: mouvement d’un mobile, film à la TV, chantonner, raconter ce qu’il y a dehors, bulles de savon. • La distraction peut servir d’induction hypnotique, en saturant et confusionnant, relayée ensuite par l’imaginaire. Détente • Non recherchée en douleur aiguë en 1ère intention; va ensuite s’orienter vers la recherche d’un endroit agréable, qui sera décliné pour inspirer la détente. Hypnose conversationnelle • Le cerveau n’entend pas la négation • « concentrez-vous… je ne veux pas que vous pensiez à un éléphant rose » • Le stress diminue la capacité critique • « N’aie pas peur… tu n’auras pas mal… » • « Ne t’inquiète pas » • « Vous n’avez pas trop froid… » • « sois rassuré, tout va bien se passer » • « sois tranquille » • « avez-vous assez chaud? » Hypnose conversationnelle • Projeter le patient dans le futur du geste… ou de la chirurgie…ou vers un projet…voire la guérison • « Je sais que vous n’êtes pas rassurée… mais dans 2 ou 3 minutes, vous aurez ce bébé, nouveau-né dans les bras…vous pourrez le caresser… le toucher…l’embrasser • « tu pourras tellement mieux jouer avec tes copains quand tu auras pris ton traitement » Comment se déroule une séance? • Trois étapes • 1/ Induction hypnotique (permet d’être attentif à son corps) • 2/ Entretien de l’état hypnotique pour faire le travail (suggestions) • 3/ Sortie de l’état hypnotique • Une séance dure environ 45 minutes L’induction hypnotique • Le patient est assis ou allongé, dans le calme ou avec un fond sonore • Le thérapeute parle d’une voix calme et demande au patient de faire abstraction du monde environnant et d’être centré sur un élément ( fixation visuelle, auditive ou corporelle) • L’intellect est mis provisoirement en sommeil, au profit d’une perception élargie de son corps et de son environnement L’induction hypnotique • Le patient ressent son corps s’engourdir; il se dissocie progressivement de ses perceptions sensorielles, de ses croyances et de ses peurs; il entend moins, voit moins, ressent moins. • Il reste cependant présent et éveillé • La transe hypnotique est un état de conscience modifié, de veille paradoxale Le travail antalgique: la composante émotionnelle • La dramatisation est la tendance à exagérer, à amplifier le contexte de la situation douloureuse. • Un des objectifs de l’hypnose consiste à réduire ce catastrophisme grâce à des suggestions. -Réduire le dramatisation -Apprendre à affronter la douleur Le travail antalgique: la composante cognitive • Le thérapeute cherche à modifier le contexte de la douleur et sa perception par le patient en lui faisant des suggestions: • Suggérer une réduction de la douleur • Suggérer un déplacement de la douleur sur une autre zone corporelle • Suggérer une substitution de la douleur par une autre sensation (fourmillement, chaleur, fraîcheur…) • Réinterpréter le traumatisme ou la pathologie Le « réveil » • Le thérapeute sort doucement le sujet de son état hypnotique, avec quelques suggestions rassurantes sur « le bien-être à ressentir durant les heures et jours qui vont suivre la séance » • Le sujet retrouve progressivement le contrôle de ses muscles • Il ressent souvent une distorsion spatiotemporelle (il perd la notion du temps et de l’espace pendant la séance) L’auto-hypnose • Processus autonome de modification de l’état ordinaire de conscience; c’est un phénomène naturel • Elle permet de reproduire des séances d’hypnose vécues avec le thérapeute. • L’objectif est de renforcer les suggestions, par exemple en mémorisant des mots ou des images-clés • La séance peut ne durer que quelques minutes • Le sujet se réapproprie son traitement Conclusion • Etat de veille paradoxale favorisant l’interaction conscient-inconscient. • Le sujet est en hypnose, accompagné par le thérapeute, « catalyseur » et non « magicien » doté de pouvoirs spéciaux. • Le sujet garde son libre arbitre et le contrôle de son comportement; il n’est pas sous l’emprise du thérapeute, même s’il accepte son influence. • Le patient est acteur et devient « compétent » pour gérer sa pathologie, avec l’aide des soignants. Conclusion • Outil de communication patient-soignant • L’hypnose fait partie des thérapeutiques proposées dans les centres anti-douleur (HAS migraines chez l’enfant) • Nécessité impérative d’une formation de qualité • Attention aux dérives Bibliographie • Benhaiem JM. Les caractéristiques et le champ d’application de l’hypnose en analgésie. Douleurs, 2002; 3; 16-25 • Benhaiem JM. L’hypnose qui soigne. Ed J.Lyon 2005 • Bioy A, Wood, C, Celestin Lhopiteau I. L’aide m émoire d’hypnose. Ed Dunod, 2010 • Faymonville ME. Hypnosis and its application in surgery. Rev Med Liège, 1988; 53: 414-418 • Michaux D, Halfon Y, Wood C. Manuel d’hypnose pour les professions de santé. Ed Maloine, 2007 • Michaux D. Douleur et hypnose. Imago, 2004 • Rainville P. Medecine Science, 2000;16:519-527