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Quand le climato-scepticisme rassure
vendredi 26 mars 2010
"Le climato-scepticisme est, du point de vue psychologique, un puissant anxiolytique qui
contribue à l’universelle illusion et au si désirable sommeil de la raison" affirme le philosophe
français Jean-Jacques Delfour dans les pages de La Libre. Plus largement encore, "la seule
admission de l’hypothèse de la causalité humaine du changement climatique dessine une
situation insoutenable au point de vue politique, moral, psychologique et culturel".
Source : lalibre.be. Voir aussi le blog de Jean-Jacques Delfour.
Ces derniers mois, une tempête médiatique s’est abattue sur le Giec, remettant en cause, sans arguments
probants, la validité des travaux scientifiques sur le réchauffement climatique. Quels sont les fondements
de ce déni ?
Le climato-scepticisme est motivé non pas tant par des raisons scientifiques que par le souci normal
d’éviter des angoisses pénibles ainsi que par le désir de protéger la jouissance. Car la notion scientifique
de "réchauffement climatique" sert aussi, dans l’inconscient collectif, de symbole pour d’autres processus
catastrophiques ou destructeurs.
Sans examiner ses fondements scientifiques, la seule admission de l’hypothèse de la causalité humaine du
changement climatique dessine une situation insoutenable au point de vue politique, moral, psychologique
et culturel. Politiquement d’abord : si elle était vraie, cette hypothèse exigerait une entente mondiale
entre tous les pays afin de stopper l’émission de CO2 ; donc une solidarité entre tous les humains de la
planète. Or les relations internationales sont régies par l’égoïsme, le capitalisme et la lutte pour
l’hégémonie. Le règne quasi absolu du chacun pour soi rendrait à peu près impossible ce mouvement
mondial de solidarité. La "communauté" internationale est le titre d’un projet, voire d’un rêve ; le seul
consensus réel porte sur son absence.
Moralement : si l’hypothèse est vraie, chacun ne contribue que pour une infime partie à ce
réchauffement climatique. La responsabilité a été constituée en Occident pour des micro-situations, des
chaînes causales courtes, jamais pour des enjeux globaux ou des chaînes causales de longue durée. C’est
si vrai que le pouvoir politique n’a que très rarement de comptes à rendre au sujet de ses actes, même les
pires. La responsabilité est un poids et si quelques-uns en acceptent la charge, c’est de manière
ponctuelle, mesurée, limitée, et échangeable contre des bénéfices. Notre monde contemporain préfère
massivement l’irresponsabilité (dont d’ailleurs le capitalisme a fait commerce sous la forme de l’assurance
qui anticipe son irresponsabilité personnelle). Deux facteurs qui rendent inacceptable l’idée d’une
responsabilité personnelle pour un événement aussi vaste, permanent, presque infini, que le
réchauffement climatique.
Psychologiquement : si l’hypothèse est vraie, alors le monde de demain, d’ici quelques décennies, risque
de devenir invivable. Cette idée du réchauffement climatique, très anxiogène, coïncide imaginairement
avec le spectre d’un meurtre long, lent, inéluctable de l’ensemble de la nature, laquelle mort ne peut faire
autrement qu’entraîner celle des humains, certes progressivement et inégalement. Ce cimetière universel
que la climatologie suscite dans l’inconscient est intolérable. Nous avons pu vivre - et nous pouvons
encore vivre - dans l’angoisse de la mort nucléaire parce qu’elle exigeait une décision ou du moins un
événement déclencheur (faisons comme si la guerre nucléaire sous la forme des pittoresques "essais" était
sans importance) ; nous ne pouvons pas vivre dans l’angoisse climatique parce que le processus de
destruction globale de la nature a (aurait) déjà commencé. Nous serions, si l’hypothèse était vraie, pris
comme des rats, dans un piège dont il n’y a pas d’issue puisque le piège est toute la terre.
Culturellement. Notre rapport à la nature est peu rationnel. D’un côté, elle est vécue comme une mère
toute-puissante, éternelle, nourricière, résistant à toutes les agressions. Nous vivons en elle comme dans
le ventre maternel. Personne ne croit sérieusement que la nature globale puisse mourir. Rien ne nous
prépare à penser cette destruction du monde, son devenir invivable. De l’autre côté, les occidentaux, dont
l’idéologie technique est universellement dominante, se croient "au-dessus" de la nature. Leur
aveuglement au fait que les hommes sont une partie des vivants et qu’ils doivent prendre soin de ce dont
ils dépendent pour la continuité de leur vie est évident. Nous sommes largement indifférents à la pollution
multiforme, à l’exploitation massive des écosystèmes et à leur épuisement, à la destruction de la
biodiversité, etc. Que penser d’un individu qui déverserait ses poubelles dans la baignoire dans laquelle il
prend son bain ? Folie, dirait-on, sans doute. C’est pourtant cela même que nous faisons.
Assumer ces différentes angoisses de mort est très difficile ; la connaissance scientifique en climatologie
est très complexe et anxiogène. Tandis que le renoncement à l’hypothèse climatique catastrophique
suscite un sentiment immédiat de soulagement. Ouf ! Et si ce n’était pas vrai ? Nous serions débarrassés
de cette responsabilité intenable à porter, des difficultés innombrables à surmonter, des angoisses
terrifiantes ; nous serions du même coup dégagés des privations de jouissance fatalement entraînées par
"l’erreur" voire "l’imposture climatique" (en attendant le signifiant "climato-fascisme"). Adieu au
catastrophisme climatologique, bonjour à la jouissance universelle tranquille !
Le climato-scepticisme est, du point de vue psychologique, un puissant anxiolytique qui contribue à
l’universelle illusion et au si désirable sommeil de la raison. Le bénéfice inconscient et affectif est si grand
qu’il suffit d’une très faible base épistémologique pour le soutenir : une erreur ici, une précision là, une
correction ailleurs (le commun de la vie scientifique normale). Citoyens, encore un effort de la raison si
vous voulez être cosmopolitiques !
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