M. BARATEAU, A COROMPT, J. SOULAN, 1. BOURDEL-MARCHASSON C.H.U. BORDEAUX ETUDE MULTICENTRIQUE INFIRMIERE EVALUANT L’INTERET D’UN SOUTIEN NUTRITIONNEL DANS LA PREVENTION DES ESCARRES CHEZ LA PERSONNE AGEE A RISQUE* RÉSUMÉ SUMMARY Bedsores prevention is part of the specific role of the nurse, as defined namely in the order 84-869 of the 17. July 1984. The analysis of the risk factors for the appearance of bedsores shows that immobilization, reduction of mobility linked to vigilance disorders and the urinary and faecal incontinence are major elements which justify protocols of well defined local cares. More recently, the role of undernutrition was highlighted but the recommendations lack accuracy. The proteino-energizing undernutrition is frequent among the elderly patients in hospital, reaching 60 % of all the patients in the department of acute affections. The association of a constituted bedsore and of clinical and/or biological stars of proteino-energizing undernutrition is demonstrated and justifies a re-feeding of the patients suffering from bedsores. On the other hand, although a bad nutrition state seems to favour the appearance of a bedsore, it is not proved that the nutrition intensification associating the diagnosis of an undernutrition and the starting of an adapted re-feeding (with enriched food or assistance) decreases the actual incidence of the bedsores. A prospective, multicentered, randomized survey was therefore proposed. Its aim was to study the Influence of Nutrition in the Bedsores Prevention among the Elderly Patients in hospitals, suffuring from acute affections. This research follows upon the preventions audits of bedsores and the nutrition protocol started up in a department of geriatrics intern medicine in the Regional Center of Geriatrics of Bordeaux. La prévention des escarres fait partie du rôle propre de I’infirmière défini notamment par le décret 84-869 du 17 juillet 1984. L’analyse des facteurs de risque de survenue d’une escarre montre que l’immobilisation, la réduction de mobilité liée à des troubles de la vigilance, l’incontinence urinaire et f é c a l e sont des éléments majeurs qui justifient des protocoles de soins locaux bien définis. Plus récemment, la responsabilité de la dénutrition a été mise en évidence - mais les recommandations manquent de précision. La dénutrition protéino-énergétique est fréquente chez les sujets âgés hospitalisés, atteignant 60 % de l’ensemble des patients en service d’aïgus. L’association d’une escarre constituée et de stigmates cliniques et/ou biologiques de dénutrition protéino-énergétique, est démontrée et justifie une réalimentation des patients escarrifiés. Par contre, bien qu’un mauvais état nutritionnel paraisse favoriser l’apparition d’une escarre, il n’est pas démontré que l’intensification de la prise en charge nutritionnelle associant le diagnostic d’une dénutrition et la mise en œuvre d’une réalimentation adaptée (par supplémentation ou assistance) diminue l’incidence réelle des escarres. Une étude prospective, multicentrique, randomisée, a donc été proposée. Elle avait pour objectif d’étudier l’influence de la prise en charge nutritionnelle dans la prévention des escarres chez les personnes agées hospitalisées, atteintes d’affections aiguës. Cette recherche fait suite aux audits prévention d’escarres et au protocole nutritionnel mis en place dans un service de médecine interne gériatrie au Centre Régional de Gériatrie de Bordeaux. Conclusion Conclusion Deux résultats sont à retenir dans ce travail infirmier. II a permis de remettre en question les pratiques professionnelles des équipes soignantes qui ont participé à la recherche, et d’actualiser leurs connaissances dans le domaine de la prévention des escarres. Ainsi elles ont pu connaître l’existence de grilles qui évaluent le risque d’escarre, la dépendance ou encore I’apport nutritionnel et en apprécier l’intérêt pour améliorer la qualité des soins. D’autre part, nous avons mis en évidence la possibilité d’augmenter les apports énergétiques et protidiques par une distribution de suppléments oraux. De plus cette action a eu un effet bénéfique dans la prévention des escarres des personnes âgées. Mots-clés : escarres - nutrition - supplémentation nutritionnelle - personnes âgées. Two results must be retained in this nursing survey. It gave the possibility of calling into question the professional experience of the nursing teams which participated to the research and to update their knowledge in the field of the bedsores prevention. They could thus be acquainted with the existence of the grids which evaluate the risk of bedsore, the dependence or even the nutrition supply and to assess the interest for improving the cares quality. On the other hand, we highlighted the possibility of increasing the energy and protein supply by a distribution of enriched food supplements. Moreover, this action has had a beneficial influence in the bedsores prevention among the old people. Key words : bedsores, nutrition, food supplements, * Cette recherche a été présentée lors des journées d’études de L’ARSI en Janvier 1998 42 Recherche en soins infirmiers No 55 - Décembre 1998 old people. ECHERCHE ETUDE MULTICENTRIQUE INFIRMIERE EVALUANT L’INTERET D’UN SOUTIEN NUTRITIONNEL DANS LA PREVENTION DES ESCARRES CHEZ LA PERSONNE AGÉE A RISQUE ORGANISATION DE L’ENQUETE En 1992, le Ministère de la Santé et de l’Action Humanitaire lance un appel à candidature relatif à la mise en place de programmes de recherche clinique dans les hôpitaux. Un alinéa stipule que parmi ces projets, certains pourront également concerner ou inclure des recherches en soins infirmiers. Un projet de recherche en soins infirmiers, présenté par le Pr G. Manciet médecine interne gériatrique, et J. SOULAN Directeur du service des soins infirmiers au CHU de Bordeaux est accepté et financé par le Progamme Hospitalier de Recherche Clinique. PROPOSITION D’ETUDE La prévention des escarres et l’alimentation du patient hospitalisé font partie du rôle propre de l’infirmière. L’intensité des soins dans ce domaine est cependant variable en fonction de l’implication de chaque équipe soignante. La fréquence des stigmates de dénutrition protéino- énergétique parmi la population âgée hospitalisée en service aigu, la faible consommation énergétique des patients âgés à risque d’escarres laissent penser qu’une amélioration de la prise en charge nutritionnelle pourrait améliorer l’état de ces patients et réduire le risque d’escarres. Cependant, il n’est pas démontré qu’une intervention nutritionnelle intensive permette un meilleur apport énergétique, ni qu’un apport énergétique augmenté soit associé à une diminution de l’incidence des escarres. Par une étude prospective, randomisée, multicentrique, nous nous proposons d’évaluer l’efficacité d’un protocole de décision de soutien nutritionnel versus un comportement standard, appliqués à des patients âgés de plus de 65 ans, identifiés comme étant à risque d’escarres. Cette étude a été réalisée dans plusieurs services appliquant aux patients identifiés à risque d’escarres le même protocole de soins locaux. Ces services ont été randomisés en 2 groupes qui ont appliqué pendant toute la durée de l’étude, soit le protocole nutritionnel intensif, soit le protocole nutritionnel standard. L’enjeu était de fédérer des infirmières dans une étude clinique portant sur des soins infirmiers avec un objectif scientifique commun et dont les résultats ne seraient pas immédiatement accessibles. 1. LA METHODOLOGIE DE L’ENQUETE COORDONNATRICE DE L’ETUDE Une infirmière du CHU de Bordeaux a été détachée 2 ans pour coordonner cette étude. Après avoir formulé et mis en place les protocoles de prévention d’escarres et d’interventions nutritionnelles, elle a formé les équipes soignantes des services participants aux différents recueils de données. Elle est restée en relation directe avec chaque service par téléphone et par des visites régulières sur les sites, a mis en commun les données et en a effectué la codification. Parallèlement elle a assuré le suivi des patients 1 mois après leur hospitalisation. Son rôle était également de rédiger et communiquer les résultats. CHOIX DES SERVICES Le rapport de gestion indiquant les services les plus significatifs quant à l’hospitalisation des personnes âgées de plus de 65 ans et la durée moyenne d’hospitalisation a servi de base de sélection des services du CHU de Bordeaux participant à l’étude. Pour la région Aquitaine, les services choisis ont été ceux appartenant au réseau GAGE (Groupe Aquitain Gérontologique d’Evaluation). Ce groupe composé de médecins gériatres et d’infirmières des hôpitaux d’Agen, Bayonne, Bazas, Dax, Pau, Pontacq Nay, a pour objectif d’animer et coordonner toute action en vue d’améliorer la qualité des soins donnés aux personnes âgées. Après accord des chefs de services, 35 services ont été retenus pour la pré-enquête : services de gériatrie (court, moyen et long séjour), de médecine (neurologie, gastro-entérologie, dermatologie) de chirurgie (vasculaire, orthopédie). II convient de souligner que la volonté de participation du personnel soignant à cette enquête a été toute relative. En effet, les services ont été choisis en fonction de l’objectif recherché et non d’une demande de leur part. 26 services ont finalement participé, la préenquête ayant confirmé leur possibilité de recrutement et la volonté de participation des équipes. CARACTERISTIQUES D’ESCARRES DES PATIENTS A surveillance et soins infirmiers, indication de rééducation. RISQUE Le score est compris entre 0 et 10. Plus le score est élevé, plus le patient est dépendant et entraîne une importante charge de travail. Les patients sont inclus au plus tard 48 h après l’entrée dans le service. Les infirmières les recensent car ils répondent aux critères suivants - l’état nutritionnel du patient par une pesée du patient quand elle est possible et par un bilan sanguin évaluant 2 protéines nutritionnelles, l’albumine (N entre 35,5 et 55 g/l) et la préalbumine (N entre 210 et 410 mg/l) et 2 protéines inflammatoires, la C. Réactive Protéine (N entre 0 et 5 mgA) et I’orosomucoïde (N entre 50 et 120 mg/l) - plus de 65 ans - en phase aigue : événement pathologique non prévu justifiant des examens complémentaires et/ou un nouveau traitement dans les 48 h. - en bon état cutané : c’est-à-dire indemne de trouble trophique. - ne se mobilisant pas seul : immobilisé au lit ou au fauteuil ou incapable de se déplacer sans aide. LA PREVENTION DES ESCARRES - ne s’alimentant pas seul : ayant besoin d’une aide pour couper la viande, ouvrir les pots de yaourts..., ou ayant besoin d’une aide totale ou partielle pour manger. Elles consignent alors sur un document réalisé pour cette étude les renseignements demandés dans le bilan d’inclusion : Tous les services ont le même protocole de prévention des escarres. - Prise en charge générale : l - I’age, le sexe, le motif d’hospitalisation - l’évaluation du risque d’escarre par l’échelle de NORTON (annexe 1) Chacun des 5 items est coté de 1 à 4. En additionnant les notes obtenues dans chaque rubrique (condition physique, état mental, activité, mobilité, incontinence), il est possible de classer le patient et de déterminer son niveau de risque de présenter des escarres. Entre 14 et 20, le patient ne doit pas faire l’objet de précautions particulières; entre 10 et 14, le plan de prévention doit être instauré car le patient présente des risques graves; lorsque le score est inférieur à 10, le patient présente des risques sévères contre lesquels la prévention ne sera pas nécessairement efficace; enfin lorsque le score est à 5, le patient développera des escarres. l l l l -soins personnels : alimentation, toilette, habillage; l l - dépendance sphinctérienne; et changer de position pour diminuer la durée de la pression (toutes les 3 heures pour les sujets alités et toutes les 2 heures pour les sujets assis) tenir compte du comportement du patient. Le niveau de déterioration intellectuelle peut influencer le comportement du patient, ses capacités à percevoir l’inconfort d’un appui trop prolongé et ses possibilités de communication. corriger l’affection immobilisante en assurant une ventilation pulmonaire correcte (drainage postural. ..), un bon retour veineux (contention, verticalisation du patient si possible.. .), une hydratation suffisante.. . - Les soins locaux : -l’évaluation de la dépendance par l’échelle de Kuntzmann (annexe 2) 9 indicateurs sont cotés en 3 niveaux (0, 1, 2). Ces niveaux sont définis en fonction de critères précis et objectifs prenant en compte le type, le nombre et la durée des interventions nécessaires : - transferts utiliser du matériel anti-escarre pour agir sur I’intensité de la pression (matelas, coussins, arceau, oreillers...) déplacements, - dépendance psychique; veiller à une hygiène corporelle correcte en éliminant la sueur, les bactéries, les cellules mortes afin de favoriser le rôle protecteur de la peau, lutter contre les effets irritants chimiques et mécaniques, selles, urines, savon mal rinçé, alcool, plis au niveau des draps, matériels à risque pour l’intégrité de la peau... frictionner, masser pour améliorer la microvascularisation des plans sous cutanés sans être douloureux ni provoquer le cisaillement des tissus sur le plan osseux ou de micro-hémorragie sous une rougeur. La mise en place d’une feuille de surveillance spécifique permettait un meilleur suivi des soins. - besoins de santé : surveillance et soins médicaux, 44 Recherche en soins infirmiers No 55 - Décembre 1998 ETUDE MULTICENTRIQUE INFIRMIERE EVALUANT L’INTERET D’UN SOUTIEN NUTRITIONNEL DANS LA PREVENTION DES ESCARRES CHEZ LA PERSONNE AGEE A RISQUE LA PRISE EN CHARGE NUTRITIONNELLE L’analyse statistique a permis d’étudier trois points essentiels : Pour l’enquête, un tirage au sort des services a permis de différencier de façon homogène par un protocole nutritionnel, 2 groupes de travail 1”) Les 2 groupes sont-ils comparables par rapport à I’age, la répartition par sexe; la durée de séjour; le nombre de décès, le risque d’escarre, la dépendance, l’état nutritionnel ? -groupe 1 : prise en charge intensive l l 2”) La prise en charge nutritionnelle intensive ou standard aboutit-elle à une différence effective entre les apports nutritionnels des 2 groupes ? inciter et aider systématiquement le patient à prendre ses repas servir une ration énergétique de 1800 kcal/j 3”) L’incidence des escarres est-elle moindre dans le groupe 1 supplémenté que dans le groupe 2 non supplémenté ? donner 2 supplémentations énergétiques industrielles soit 400 kcal/j : une à 16 h et une au petit déjeuner. Cet apport supplémentaire a été testé dans un service de médecine gériatrique et s’est avéré possible. l - groupe 2 : prise en charge standard l l II. RESULTATS servir une ration énergétique de 1800 kcal/i supplémentation éventuelle à l’initiative de l’infirmière Pour les 2 groupes, toutes les prises alimentaires devaient être notées. Une feuille de recueil des repas avec une échelle à 114, 112, 314,414 pour chaque catégorie d’aliments, a permis une évaluation journalière protidique et calorique. LES 679 patients ont été inclus. Dans le groupe 1 : groupe supplémenté, 297 patients moyenne d’âge 83 ans 67,3% de femmes et 32,7% d’hommes, durée de séjour 18,8 jours. 146 pesées de plateaux ont permis de valider cette fiche de recueil des repas. Pour cela, une diététicienne a été affectée à l’évaluation diététique. RECUEIL DES DONNEES CONCERNANT ESCARRES ET LES DECES PATIENTS Dans le groupe 2 : groupe non supplémenté, 382 patients moyenne d’âge 82 ans, 63,1% de femmes et 36,9 % d’hommes, durée de séjour 18,2 jours. LES L’équipe soignante surveille l’état cutané des patients inclus dans l’étude. Les infirmières notent la date d’apparition des escarres ainsi que le stade, pendant le protocole et à la fin du protocole (le 15 ème jour ou avant ou le jour de la sortie si le patient quittait le service avant : décès, transéat dans un autre service, retour domicile...). La coordinatrice de l’étude a contacté par courrier les patients (ou la famille ou l’infirmière de la maison de repos ou de retraite) pour connaître leur état cutané (rougeur, désépidermisation ou phlyctène, nécrose) 1 mois après leur sortie du service. La validité des réponses a été contrôlée sur une cinquantaine de patients vus en consultation par un médecin et l’infirmière coordinatrice. LES DECES Parmi les 679 patients suivis, il y a eu 47 décès pendant le protocole (6,9%), 25 dans le groupe 1 supplémenté et 22 dans le groupe 2 non supplémenté. II n’y a pas de différence significative entre les 2 groupes quant à l’incidence des décès. Parmi les patients escarrifiés pendant le protocole, 24 parmi 267 décèdent (9%) et seulement 23 (5,6%) parmi les 412 patients sans escarres. Ceci confirme que les escarres sont associées à une aggravation du pronostic vital. ANALYSE STATISTIQUE DESCRIPTION DES GROUPES D’APRES LA GRILLE DE NORTON, L’ECHELLE DE KUNTZMANN. Le traitement des données a été effectué par I’INSERM u 330 Les 2 groupes sont comparables lors de l’évaluation par les échelles de NORTON et de KUNTZMANN, rem- 45 Recherche en soins infirmiers No 55 - Décembre 1998 plies par les infirmières au début et à la fin du protocole (annexe 3) La C. Réactive Protéine (N entre 0 et 5 mg/l) et I’orosomucoïde (N entre 50 et 120 mg/l) traduisent l’intensité de la réaction inflammatoire. Ces 2 protéines sont élevées dans les 2 groupes de manière comparable, confirmant s’il en était besoin que tous ces patients sont bien en phase aiguë d’une pathologie. Les patients présentent tous un risque important d’escarre à l’entrée dans l’étude mais aussi à la fin puisque le score au Norton est inférieur à 14. Le score au Kuntzmann montre bien que ces patients sont très dépendants et entraînent une importante charge de travail. L’ANALYSE DE L’APPORT CALORIQUE ET PROTIDIQUE Par contre la différence apparaît si l’on compare les patients qui ont développé des escarres et ceux qui n’en ont pas développé. Si nous étudions l’apport en calories et en protides fourni uniquement par l’alimentation (sans tenir compte des supplémentations énergétiques industrielles), là encore les 2 groupes sont comparables. Les patients qui ont présenté des escarres ont en moyenne, à l’entrée un NORTON entre II, 1 et 11,9 et un KUNTZMANN entre 8,50 et 8,8, tandis qu’à la sortie le NORTON reste entre 11,6 et 12,2 et le KUNTZMANN entre 7,9 et 8,3. CALORIES les patients qui n’ont pas présenté d’escarres ont en moyenne, à l’entrée un NORTON entre 12,5 et 12,9 et un KUNTZMANN entre 8 et 8,l et à la sortie un NORTON entre 14,2 et 14,3 et un KUNTZMANN entre 6,7 et 6,5 Groupe 1 supplémenté Groupe 2 non supplémenté PREALBUMINE CRP OROSOMUCOîDE Groupe 2 non supplémenté 30,35 32,46 191 219 56,ll 65,70 146 49,4 1073 49,9 Dans le protocole nutritionnel « intensif » (groupe 1 ), les patients devaient prendre 2 supplémentations/jour, soit 400 kcal et environ 30 gr de protides en plus de l’alimentation. En moyenne, l’apport supplémentaire effectif a été de 258,25 kcal/j et de 16,9 gr de protides/j alors que lë plus souvent les 2 supplémentations étaient proposées aux patients. Le bilan sanguin, révèle une différence entre les 2 groupes pour l’albumine ce qui va par la suite nécessiter un ajustement de l’analyse statistique finale. ALBUMINE 1127,45 CALORIES ET PROTIDES APPORTÉS PAR L’ALIMENTATION LE BILAN SANGUIN Groupe 1 supplémenté PROTIDES Dans le groupe non obligatoirement supplémenté (groupe 2), les patients ont pris peu de supplémentations énérgétiques industrielles cet apport ayant été de 55,4 kcal/j et de 6,2 gr de protides/j. CALORIES 136 BILAN SANGUIN A L’ENTRÉE DU PROTOCOLE PROTIDES Groupe 1 supplémenté 1385,7 66,3 Groupe 2 non supplémenté 1128,4 56,l CALORIES ET PROTIDES APPORTÉS PAR L’ALIMENTATION ET LA SUPPLEMENTATION L’albumine (N entre 35,5 et 55 g/l) permet d’apprécier l’état nutritionnel 3 semaines avant l’hospitalisation et la préalbumine (N entre 210 et 410 mg/l) 48 heures avant la phase aiguë. Dans cette étude, nous pouvons noter que les personnes âgées hospitalisées sont très souvent dénutries. L’albumine est en moyenne inférieure à la normale. La préalbumine est à la limite de la normale, mais il n’est pas rare de trouver des résultats inférieurs à 100 mg/l. Nous pouvons dire que seul, l’apport énergétique calorique et protidique différencie les 2 groupes. INCIDENCE DES ESCARRES L’intérêt dans cette étude est de savoir si une prise en charge nutritionnelle intensive diminue l’incidence des 46 Recherche en soins infirmiers No 55 - Décembre 1998 ETUDE MULTICENTRIQUE INFIRMIERE EVALUANT L’INTERET D’UN SOUTIEN NUTRITIONNEL DANS LA PREVENTION DES ESCARRES CHEZ LA PERSONNE AGEE A RISQUE escarres chez les personnes âgées pendant leur hospitalisation, mais également si cette diminution persiste 1 mois après leur sortie du service. C’est pourquoi 611 patients ont été suivis après leur hospitalisation. PENDANT LE PROTOCOLE Erythème excoriation nécrose Groupe Sur l’ensemble des patients l’incidence des escarres, les patients décédés n’étant plus pris en compte au fur et à mesure du déroulement de l’étude, est de : 1 supplémenté Groupe 2 non supplémenté 39,3% (267 patients sur 679) pendant le protocole Groupe Par contre les patients du groupe 1 supplémenté développent moins d’escarres que les patients du groupe 2 non supplémenté; 1 supplémenté Groupe 2 non supplémenté 0% Groupe 26,1% (7 1) à la fin du protocole contre 30,8% (Ill) Groupe 2 non supplémenté La différence entre les 2 groupes est significative : en moyenne les patients qui ont reçu systématiquement une supplémentation développent moins d’escarres : 4,7% de moins à la fin du protocole 5,8% de moins 1 mois après la sortie. Groupe 2 supplémenté A la fin du protocole 26,1% 30,8% 1 mois après la sortie du service 22,4% 28,2% 10,3% 2,5% 1 supplémenté 8,5% 12,7% 8% 9,6% 5,8% 5,9% Si l’aspect et la distribution sont les mêmes dans les 2 groupes, la distribution dans le temps est différente. Sur l’ensemble de la population, l’incidence des rougeurs, 34,7% est très élevée en début d’hospitalisation, mais diminue pour passer à 16,5% à la fin du protocole et à 10,6% 1 mois après. Par contre, le pourcentage d’excoriations et de nécroses augmente, passant respectivement de 3,9% en début d’hospitalisation à 8,8% 1 mois après et de 0,2% à 5,8%. Ceci traduit une transformation probable de certains érythèmes, en excoriations ou nécroses. 8,2% de moins pendant le protocole 42,9% 2,6% % DE PATIENTS PORTEUSES D’ESCARRES ET TYPE DE L’ESCARRE A CHAQUE PHASE DU SUIVI (82) 37,7% 18% 8,5% Erythème excoriation nécrose 22,4% (50) 1 mois après la sortie du service contre Pendant le protocole 15,1% 1 MOIS APRES LA SORTIE 34,7% (103 patients) dans le groupe 1 ont développé des escarres pendant le protocole contre 42,9% (164) dans le groupe 2 non 3,4% 0,3% Erythème excoriation nécrose 25,5% (131 sur 514) 1 mois après la sortie du service. Groupe 1 supplémenté 39,5% 4,4% A LA FIN DU PROTOCOLE 28,8% (182 sur 632) à la fin du protocole 28,2% 30% DISCUSSION Cette étude démontre qu’une intervention nutritionnelle intensive permet un meilleur apport énergétique et protidique et que cette augmentation de l’apport permet bien une diminution de l’incidence des escarres. DIFFERENCE D’INCIDENCE D’ESCARRE ENTRE LE GROUPE 1 SUPPLEMENTE ET LE GROUPE 2 NON SUPPLEMENTE La dénutrition protéino-énergétique est fréquente chez les sujets âgés hospitalisés, atteignant 60% de I’ensemble des patients en service d’aigu. (l-2). Les états d’hypercatabolisme induits par une phase aiguë augmentent les besoins énergétiques bien au-delà des dépenses de base (1600 kcal) (-3-J. Cet apport devrait atteindre 2500 kcal/j, avec une augmentation des besoins protidiques (4). Nous constatons, dans cette étude que l’apport énergétique dans les 2 groupes ne Dans cette étude, le stade de l’escarre est soit I’érythème, soit I’excoriation ou la phlyctène, soit la nécrose. 47 Recherche en soins infirmiers N” 55 - Décembre 1998 peut couvrir les besoins puisque les patients ne prennent qu’en moyenne 1100 kcal/j. Ceci s’explique par l’anorexie présente très fréquemment chez ce type de patient. De nombreux soignants ne reconnaissent pas I’érythème comme une escarre débutante. Pourtant elle est souvent rapidement réversible à condition de mettre en place les actions appropriées : arrêt des massages et mise en décharge des points de pression en complément des soins de prévention. Non pris en compte, l’escarre s’aggrave alors rapidement et les conséquences sont lourdes pour la personne âgée et pour l’entourage. L’impact est psychologique, atteinte de l’image corporelle, régression, désinsertion socio-familiale et aussi physique, risque infectieux, douleur, aggravation de l’état général du patient pouvant aller jusqu’au décès. Les conséquences sont également économiques : investissement dans les structures de soins en matériels, personnels et traitements, augmentation de la durée d’hospitalisation et de la charge de travail. La prévention nutritionnelle a fait baisser plus particulièrement le taux des rougeurs pendant le protocole évitant ainsi l’évolution vers I’excoriation ou la nécrose. Dans le cadre de la prévention des escarres, la décision de donner des supplémentations ne suffit pas. En effet, lorsque 2 supplémentations par jour, soit 400 kcal sont proposées aux patients, seulement 258 kcal sont effectivement absorbées. Le problème est de faire manger une personne âgée déjà plus ou moins dénutrie, en phase aiguë, fatiguée, anorexique. Le supplément a l’avantage d’être plus facilement ingéré. La prise en charge nutritionnelle doit faire partie intégrante du soin. L’infirmière doit mettre en place une stratégie qui puisse améliorer la prise alimentaire. En collaboration avec l’aide soignante et la diététicienne, elle doit observer et noter toutes les prises alimentaires, adapter la composition des repas et texture des aliments après évaluation des goûts et habitudes alimentaires. Elle peut proposer la participation de l’entourage du patient à la prise se des repas. La prévalence des escarres varie selon les auteurs et le mode de recrutement des malades, entre 2,6% et 45%. En France, 5 à 10% de la population est porteuse d’escarres (5). L’incidence varie de 1 à 5% dans les hôpitaux recevant des patients pour soins de pathologies aiguës. Les escarres se développent dans 7,7% des cas les trois premières semaines d’hospitalisation et il est démontré que 40% des patients admis en réanimation développent une escarre durant les deux premières semaines du séjour (6). Contacter les patients 1 mois après leur hospitalisation a permis de constater que cette prise en charge nutritionnelle intensive diminue l’incidence des escarres pendant la phase aiguë mais aussi que ce bénéfice se retrouve dans le temps. II faut néanmoins admettre que tous les efforts de prévention ne peuvent éviter l’apparition des escarres chez certains patients aux pathologies très lourdes, et réunissant tous les facteurs de risque. Dans cette étude, l’incidence des escarres est de 39,3% pendant le protocole et 28,8% à la fin. Ces chiffres élevés, ainsi que le taux élevé de décès s’expliquent si l’on tient compte de l’état des patients : âgés, tous à risque d’escarres et très dépendants puisqu’à l’échelle de Kuntzmann ils sont supérieurs à 8. Cette population de patients très fragiles a réellement besoin d’une stratégie de prévention efficace. CONCLUSION Deux résultats sont à retenir dans ce travail infirmier. II a permis de remettre en question les pratiques professionnelles des équipes soignantes qui ont participé à la recherche, et d’actualiser leurs connaissances dans le domaine de la prévention des escarres. Ainsi elles ont pu connaître l’existence de grilles qui évaluent le risque d’escarre, la dépendance, ou encore l’apport nutritionnel et d’en apprécier l’intérêt pour améliorer la qualité des soins. D’autre part nous avons mis en évidence la possibilité d’augmenter les apports énergétiques et protidiques par une distribution de suppléments oraux. De plus cette action a eu un effet bénéfique dans la prévention des escarres des personnes âgées. Aux Etats-Unis, 3% des malades hospitalisés sont porteurs d’escarres : 75% sont des rougeurs ou des phlyctènes, 20% des nécroses tissulaires et 5% des nécroses tissulaires avec atteintes des muscles ou des os (7). En France, l’association PERSE (Prévention Education Recherche Soins Escarre) a mené en 1993 une enquête épidémiologique dans la région Ile-de-France. L’incidence des escarres étaient de 5,2%, et 40% des escarres étaient de stade 1, à savoir une rougeur persistante. La rougeur est effectivement le stade le plus fréquent, malgré toutes les stratégies de prévention mises en place dès le début de l’hospitalisation. II n’est pas toujours comptabilisé dans les chiffres de prévalence. 48 Recherche en soins infirmiers N” 55 - Décembre 1998