De la gestion Coût – Délai – Qualité au pilotage par la valeur de la

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De la gestion Coût – Délai – Qualité
au pilotage par la valeur de la
performance organisationnelle
Michel Pendaries
Enseignant chercheur
Kedge Business School,
Campus de la grande Tourrache,BP 261, 83078 Toulon Cedex, France
Cret-log d’Aix en Provence, France.
[email protected]
Michel Pendaries
156
Résumé :
Aujourd’hui, il ne sert à rien de vouloir optimiser individuellement les
composantes « coût – délai – qualité » dans une gestion globale de la
performance de l’entreprise, car, la somme des optimums ne fait pas l’optimum
de la somme. Chacune de ces trois composantes est étroitement imbriquée avec
les autres. Face aux limites conceptuelles et pratiques des méthodes actuellement
utilisées en Contrôle de gestion (Target costing, ABC/ABM, Time Driven ABC, UVA,
etc.), nous recherchons un système de pilotage pertinent qui faciliterait le
développement de l’entreprise grâce à un processus d’optimisation de sa
performance globale organisationnelle. Cette recherche tend à démontrer que
l’avenir du pilotage de la performance des organisations repose sur un
changement de logiciel, en passant d’une logique de coût à une logique de valeur
dans les outils de pilotage de la performance de la relation organisation-activités.
La phase empirique de la recherche s’appuie sur une étude de cas longitudinale
réalisée dans une entreprise industrielle française.
Mots clés : Développement d’entreprise, Performance organisationnelle,
Pilotage par la valeur, Valeur ajoutéehoraire.
Abstract: Today, to optimize the individual componentof the “cost – delay –
quality” management system as a performance management control of the
enterpriseis not relevant, because, the sum of the optimums does not mean the
optimum of the sum. All components are interlinked. Faced to conceptual and
practical limits of methods using today in Management control (Target costing,
ABC/ABM, Time-driven ABC, UVA, etc.), we are researching a relevant
management system able to make easy the development of the enterprise within
a global organizational performance process. This research tries to prove that the
future of the performance management control of the organizations is founded
on a reasoning change, from a logical cost to a logical value approach, in the
performance management tools of the organization-activities relationship. The
empirical phase of the research is realized as a longitudinal case study in aFrench
industrial firm.
Key words: Business development, Organizational performance, Value
based management, Time-driven value added.
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
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Introduction
Le triptyque coût – délai – qualité pour piloter la performance globale de
l’organisation doit reposer sur un processus d’optimisation globale de ses
composantes et pas de manière individuelle, car la somme des optimums n’égale
jamais l’optimum de la somme.
En effet, chercher l’optimisation des délais (Traitement des commandes,
Conception des produits, Approvisionnement des matières premières, Fabrication
et Distribution des produits finis, etc.) mobilise les activités de l’entreprise. Il y a
donc une relation étroite entre le délai et le niveau des ressources mises en jeu et
donc consommées.Si ces activités (au sens de l’Activity based costing - ABC) sont à
valeur ajoutée nulle et non nécessaires, elles doivent disparaître car ce sont des
opérations à coûts inutiles qui allongent les délais. Si ces activités sont à valeur
ajoutée nulle, mais nécessaires au fonctionnement de l’entreprise (ex : la
manutention), elles doivent consommer le minimum de temps et de ressources.
Par contre, les activités à valeur ajoutée faible, moyenne ou forte doivent être
pilotées à partir de leur rapport valeur-coût, c’est à dire assurer le degré de
satisfaction attendu au moindre coût. Quels que soient ces critères, fonctionnels,
processuels et spatiaux, le délai est lié à la notion de temps qui lui-même est
étroitement associé à la notion de consommation de ressources.
Rechercher l’optimisation dela qualité, qu’elle soit totale (extrapolation
des relations de type clients-fournisseurs à toutes les relations de l’entreprise ou
de l’organisation), ou intégrale (embrasser l’intégralité des dimensions de
l’entreprise ou de l’organisation à travers l’intégration de l’économique, du social
et de l’environnemental), c’est satisfaire aux attributs de valeur (Normes,
Fonctions, Prix, etc.) imposés par les marchés. D’ailleurs, de ce point de vue, les
délais ne font-ils pas partie des normes imposées par le marché ? A ce titre, ils
sont aussi un attribut de valeur. La qualité est aussi une affaire de jugement à la
fois externe (Clients, Prescripteurs, etc.) et interne (Actionnaires, Salariés, etc.) à
l’organisation. L’optimisation de la qualité est associéeà la représentation de la
performance globale mesurée en termes d’efficacité (capacités à atteindre les
objectifs), d’efficience (capacité à utiliser au mieux les ressources) et d’effectivité
(capacité à satisfaire les parties prenantes).
Chercher l’optimisation des coûtsn’a de sens que dans sa relation avec les
autres composantes du triptyque (délai et qualité). Car, c’est la valeurqui tire les
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158
coûts et pas l’inverse. Si, selon Capron et Quairel-Lavoizelee (2006), l’objectif de la
performance finale est toujours économique, alors il ne sert à rien de vouloir
piloter la performance à partir d’un système de coûts. Car, comme le souligne
Mévellec (2000), « les systèmes de coût n’étant pas autonomes mais construits, ils
ne poursuivent aucune finalité propre… ». Cela implique nécessairement un
système de pilotage. Mévellec précise, « … quecontrairement aux systèmes de
coût, les systèmes de pilotage, du fait de leur caractère téléologique, poursuivent
leur propre finalité ». Par conséquent, seul un système de pilotage est susceptible
d’intégrer, à la foiset dans un même corpus théorique, les dimensionscoût – délai
– qualitédans une finalité économique de la performance des organisations.
Comment alors passer d’une logique de coût à une logique de valeur dans
un système de pilotage de la performance ?
Comme l’avait annoncé Johnson (1990), « pour maîtriser le couple valeurcoût dans l’économie mondiale, les dirigeants doivent gouverner les personnes et
gérer les activités : ils doivent cesser de chercher à maîtriser les coûts en gérant la
production ». Mais comme l’a dit Malleret (2009), « il faut dissocier la valeur et le
coût si l’on veut que la problématique de la gestion coûts-valeur ait un intérêt
conceptuel et pratique ». Cette affirmation, induit qu’il n’y aurait aucune relation
entre la valeur perçue par le marché et la valeur construite par l’organisation. Ces
deux éléments seraient pilotés de manière disjointe. Ce n’est pas l’avis de certains
auteurs comme Bréchet et Desrumeaux (2001), et que nous partageons : « la
valeur, considérée du point de vue des organisations, est une réalité à la fois
donnée et construite et pour le moins autant construite par les acteurs, et
notamment par les organisations, que par le marché ». Il faut alors s’assurer de la
cohérence dans les actions que conduisent les acteurs.
En intégrant à la fois les dimensions interne et externe de l’entreprise et le
triptyque coût-délai-qualité,l’avenir du pilotage de la performance globale des
organisationsserait fondé sur un système de pilotage par la valeurdu
coupleorganisation-activitésde l’entreprise, facilitant ainsi son développement.
C’est ce que nous allons nous efforcer de montrer dans cette recherche,
dans une posture épistémologique de type constructiviste. Et, plus
particulièrement, comment le pilotage du couple organisation-activités peut être
mis en œuvre à travers le processus de fixation des prix des offres de l’entreprise
grâce au concept de valeur ajoutée horaire.
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1. Fondement d’un système de pilotage par la valeur
Afin de mieux appréhender l’enjeu de cette recherche, il nous a semblé
pertinent, dans un premier temps, de préciser les concepts de valeur et de
pilotage par la valeur.
1.1.La valeur : définition et source
Selon la définition de la valeur donnée par la norme AFNOR1EN 1325-1,
celle-ci se définit « comme la relation entre la satisfaction du besoin et les
ressources utilisées pour y parvenir ».
En sciences de gestion, nous n’allons pas chercher à arbitrer une définition
du concept polymorphe de la valeur, car elle semble floue face aux nombreuses
définitions données dans la littérature. Bourguignon (2005) s’y est essayé sans
pour autant avoir normé le concept. Mévellec (2005) considère par exemple, que
la source de la valeur réside dans les attributs lorsqu’il affirme : « La valeur … est
le résultat d’un assemblage de fonctionnalités perçues par le client et chacune
porteuse d’une dimension utile » (p. 57). Trois conceptions de la valeur sont
présentes dans la littérature : la valeur d’échange (relative à un autre bien) qui est
associée au prix, la valeur d’usage (relative au besoin à satisfaire) et la valeur
d’estime (relative à l’image que l’on s’en fait).
La valeur est donc associée à la notion de besoin. Pour une entreprise, le
besoin doit être évalué dans toutes ses dimensions. Il y a une approche externe
du besoin mais aussi interne. L’externe fait référence aux attributs de valeur jugés
par les parties prenantes externes et en particulier les clients. Ce sont eux qui
achètent la solution qui va satisfaire leur besoin. Tandis que l’interne fait
référence aux besoins de l’organisation et des actionnaires. Ces besoins se
décomposent en besoins de service et en besoins techniques. Les premiers
expriment les usages, qui se réfèrent à des activités concrètes et mesurables, et
l’estime, qui se fonde sur des considérations subjectives, éthiques ou morales
quand les deuxièmes,font référence aux besoins de fonctionnement et à la
composition du système.
La valeur est également associée à la notion de fonction. L’analyse
fonctionnelle permet de déterminer les fonctions que doivent réaliser le produit
1
AFNOR = Association Française de NORmalisation
Michel Pendaries
160
ou le service pour satisfaire le besoin. En ce sens, la fonction est l’action qui
réalise le besoin.
La valeur est aussi associée à la notion de ressources. Ce sont elles qui
permettent la mise en action des fonctions. Pour l’entreprise, les ressources sont
matérielles et physiques comme les matières premières, les équipements et la
main-d’œuvre. Mais elles sont aussi immatérielles, comme un brevet ou un
savoir-faire, et abstraites, comme la propriété intellectuelle. L’observatoire de
l’immatériel estime que plus de 80% de la « valeur de l’entreprise » sont fondés
sur ses actifs immatériels (le capital humain, le capital organisationnel, le capital
client, le capital technologique, le capital sociétal, etc.). L’importance d’un
élément comme le temps, comme élément de ressource, s’est accrue récemment
avec des concepts comme le « time to market », le « total cost to serve ». Le
concept de temps s’est aussi imposé dans des méthodes de calcul de coûts
comme la Time-driven ABC (Kaplan et Anderson, 2004), en réponse aux critiques
de la méthode ABC. Déjà dès 1998, en utilisant l’unité de temps, Kaplan et Cooper
affirmaient qu’elle réduit les erreurs de mesure en caractérisant les facteurs qui
font varier la consommation de temps d’une activité et la complexité des activités
liées à la multiplication des facteurs d’évènement.
1.2. Le pilotage par la valeur
L’AFNOR propose déjà une norme intitulée « Management par la valeur et
Analyse fonctionnelle» (EN 12973 :2000). Cette norme est en permanence
revisitée et actuellement la commission de normalisation sur le management par
la valeur et l’analyse fonctionnelle est en charge de refondre la norme « Coût
global de possession » à l’horizon 2016.
Le Management par la valeur (MV) se fonde sur une culture de la valeur. Si
l’on cherche à le définir,selon l’Afnor « il peut être défini comme une approche
transverse, une façon commune de concevoir les différents modes de management
de secteurs déterminés de l’entreprise (relations humaines, technologies, coûts,…).
Il centre l’attention sur le concept de valeur afin de valider les objectifs
opérationnels et de définir des stratégies particulières ».Comme l’analyse de la
valeur, le MV est avant tout un état d’esprit que doit cultiver l’entreprise.
Concernant le concept de pilotage et de système de pilotage, il n’y a pas
vraiment de consensus dans la littérature sur une définition, ni même de
définitions exhaustives. Si nous prenons la définition du petit Larousse, le pilotage
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est défini comme une action, un art de piloter ou piloter est pris au sens de
diriger. Cette définition met l’accent sur la dimension dynamique (action) du
principe. D’ailleurs, les anglo-saxons n’utilisent qu’une seule expression pour les
systèmes de contrôle et de pilotage : a management control system.Concernant le
passage du contrôle au pilotage, Lorino (1995) souligne qu’il « se traduit par un
basculement connexe et simultané : du paradigme de la mesure, corollaire du
contrôle, au paradigme de l’interprétation, corollaire du pilotage ».
Unsystème de pilotage par la valeur s’appuie sur différentes sources de
création de valeur, aussi bien disciplinaires que cognitives, telles que :
- Le réseau dont la valeur se réalise à travers les partenariats, les clusters,
les communautés de pratique, etc.
- La R&D dont la valeur se construit à travers les innovations techniques et
technologiques, le design, l’ingénierie d’expertise, etc.
- L’affaire ou le projet dont la valeur se développe à travers les systèmes de
pilotage des organisations, la mutualisation des ressources et des compétences,
les processus collaboratifs de co-construction, les capacités dynamiques
organisationnelles, etc.
- L’institutionnel dont lavaleur se fonde sur l’image, l’identité, la
communication, la relation de confiance, la légitimité, etc. des acteurs du marché.
Ce qui nous conduit à proposer dans la deuxième partie un concept de
système de pilotage par la valeur.
2. Approche conceptuelle d’un système de pilotage par la valeur
Toutes les sources de valeur,citées précédemment, se cristallisent dans la
valeur d’échange, c'est-à-dire le prix, des offres de l’entreprise. L’idée est de
construire un système qui permette de formuler une proposition de valeur à
l’échange qui satisfasse aussi bien celui qui la fournit en termes de profitabilité (le
fournisseur) que celui qui l’achète en termes de satisfaction (le client) et qui soit
le prétexte au développement des interactions sociales au sein de l’organisation.
2.1. Les méthodes et outils actuels utilisés dans le « management par la
valeur »
Plusieurs méthodes et outils ont été développés au cours des dernières
décennies comme l’Analyse de la valeur, le Target-costinget la Conception à Coût
Objectif, le Kaizen-costinget le processus d’amélioration continu,le Coût de
Michel Pendaries
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fonction, l’AMDEC2, le Six-sigma et plus récemment le Lean managementqui
remplace le principe de la production de masse par une « efficient use of
resources and elimination of waste ». Certaines méthodes récentes sont
davantage destinées à la création de nouveaux espaces stratégiques comme celle
de l’Océan bleu (Kim et Mauborgne, 2005), mais hors de notre champ de
recherche. Mais aucune d’entre-elles ne s’exonère de la logique de coût dans son
approchede la performance économique des entreprises. Même si certaines
méthodes, comme le Target-costing partent de contraintes comme les prix du
marché pour déterminer un objectif de coût, elle ne conseille pas explicitement
sur le coût à respecter. Des méthodes comme la Value Creation Model (VCM) de
Mc Nair et al. (2001), veulent introduire le concept d’attribut de valeur dans le
calcul des coûts. Mais, sur cette méthode, Malleret (op. cit.) expose les mêmes
critiques que celles faites au Target-costing et « en particulier, le lecteur ne sait
pas comment et par quel mécanisme ou raisonnement les coûts des activités sont
reliés et affectés aux attributs ».
Pourquoi faut-il alors vouloir à tout prix relier les coûts à la valeur si aucune
des méthodes n’est satisfaisante pour établir cette relation valeur-coût ? Une voie
possible est de construire un système de pilotage de la performance de
l’organisation qui s’exonère de toute logique de coût.
2.2. Proposition d’une méthode de pilotage globale par la valeur
En passant d’une logique de coût à une logique de valeur dans un système
de pilotage de la performance, la valeur ajoutée horaire (VAH) est une méthode
qui a pour finalité de pouvoir piloter la performance globale, en se fondant sur la
seule logique de valeur dans l’élaboration des prix de ses offres aux clients. Cette
approche est plus particulièrement adaptée au contexte B to B3 aussi bien aux
secteurs industriels qu’aux services.
2
3
AMDEC = Analyse des Modes de Défaillance et de leurs Effets et de leur Criticité
Business to Business
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2.2.1. Les fondements théoriques de la méthode VAH
Le fondement théorique de la méthode VAH est de considérer que la
valeur, créée et produite4par l’entreprise, est basée sur ses ressources et ses
compétences5 pilotées à partir de ses capacités dynamiques organisationnelles6.
Le rôle des ressources a été initialisé par les travaux de Penrose (19591995) et complété par ceux de Grant (1991-1996) sur les compétences. Pour
Penrose, et confirmé par Arena et Solle (2008), les ressources n’ont de valeur que
dans la mesure où elles sont mobilisées dans des activités modulaires, au service
de la logique d’action et non pas dans des fonctions cloisonnées de l’entreprise.
Pour Grant, la bonne utilisation des ressources permet à la firme de développer
de nouvelles opportunités productives et des compétences propres à son histoire
et à son apprentissage. La mise en œuvre des ressources passe par un effort de
coordination entre les managers, rendu possible par les capacités cognitives de
chacun. Ce qui implique le partage d’une même vision cognitive de l’entreprise.
Selon Penrose, le processus productif peut se concevoir comme un processus de
développement de services et de création de compétences. L’organisation, en
devenant transversale et transfonctionnelle, et les processus de coordination
administrative, qui relient intrinsèquement la notion de ressources à la capacité
organisationnelle de l’entreprise, peuvent provenir pour le moins partiellement
des opérationnels eux-mêmes.
Les capacités organisationnelles (Helfat, 1997 ; Teece, 2007) ont permis de
faire le lien entre la structure et la dynamique d’apprentissage. Les travaux sur les
capacités organisationnelles ont été complétés par ceux sur les capacités
dynamiques (op. cit.) qui ont permis de mettre en évidence le rôle clé des
managers dans leurs capacités à identifier et à adapter les opportunités (sensing),
à les intégrer (seizing) puis à reconfigurer les ressources (reconfiguring). Pour
Ahmed et Wang (2007), ces trois facteurs sont corrélés mais conceptuellement
4
Pendaries en 2011 a montré l’existence de deux processus connexes et simultanés aux
caractéristiques distinctes dans le processus de création de valeur : un processus de création de
valeur destinée aux parties prenantes (Stakeholders value) et, un processus de production de la
valeur créée destinée principalement aux actionnaires (Shareholders value).
5
Resources based view (RBV) et Competences based view (CBV) : deux modèles anglo-saxons basés
sur les ressources et les compétences. Approches développées par des auteurs comme Rumelt
(1972,1981), Barney (1989,1996), Teece (1982) et Wenerfelt (1984).
6
Concept développé par des auteurs comme : Cohen et Levinthal, 1990 ; Teece et Pisano, 1994 ;
Teece, Pisano et Shuen, 1997, Teece, 2007 ; Helfat et alii, 2007
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distincts. Le premier insiste sur la flexibilité et l’alignement de l’interne sur
l’externe, le deuxième sur la capacité à intégrer en interne ce qui vient de
l’externe et le troisième sur l’innovation en interne et son développement sur le
marché externe.
Ces approches mettent en avant le rôle important des acteurs de
l’organisation interne et de leurs interactions dans le processus de création de
valeur. L’influence de l’interne sur l’externe et réciproquement induit un système
de pilotage particulier. Si l’on part du postulat que la performance globale de
l’entrepriseest la conjonction de la performance de son processus
« technologique et d’innovation produits (ou services) » et de son processus
« organisationnel », il faut chercher une méthode qui permette à la fois de vendre
ses innovations (réponses aux besoins de ses clients) et de contribuer à
l’efficacité, l’efficience et l’effectivité de son organisation, à travers le processus
d’élaboration des prix de vente.
2.2.2. Conceptualisation de la méthode
Comme les ressources internes de l’entreprise se traduisent aujourd’hui
majoritairement par des coûts fixes ou quasi fixes, le seul moyen d’assurer ou
d’améliorer la profitabilité de l’entreprise est de mieux agencer et vendre (faire
valoir) ses ressources et ses compétences à ses clients, tout en produisant la
valeur créée de manière efficiente, efficace et effective. Ce prérequis repose à la
fois sur une certaine stabilité des ressources de l’entreprise car comme l’a
démontré l’approche socio-économique des organisations (Savall, 1975 ; Savall et
Zardet, 1992, 2011), l’instabilité des ressources est source de dysfonctionnements
et donc de coûts cachés, et sur leur adéquation avec les objectifs stratégiques
poursuivis.
La méthode VAH repose sur les deux principes suivants :
- « L’heure d’entreprise » est la représentation de ses ressources et ses
compétences internes. Le temps est « une dimension constitutive de
l’organisation (en tant que coût de transaction). Il fixe l’horizon de la décision
(l’urgence). Il est aussi le poids de l‘expérience (la durée), le futur prévisible
(l’horizon), la trajectoire singulière de l’entreprise (l’histoire), un flux d’intensité
changeante (le rythme) et un ensemble de conditions environnantes (la période),
(Batch, 2002) » mais aussi porteur de valeur.Toute entreprise, quel que soit son
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secteur d’activité, doit chercher à vendre (faire acheter par les clients) des heures
de son organisation cristallisées dans ses produits et/ou ses prestations de
service. Les attributs de valeur, sur lesquels le client va décider d’acheter ou non
le produit ou le service, constituent les éléments qui vont permettre au futur
client de juger de la valeur qu’il va acheter. Ce jugement peut être objectif lorsque
le futur client évalue la valeur d’usage et davantage subjectif lorsqu’il évalue la
valeur d’estime.Par exemple,des attributs de valeur se matérialisent dans l’heure
de design (l’esthétisme, en termes de forme, de couleur et de choix des matériaux
du produit, est perçue comme une valeur d’estime) et dans l’heure de conception
(les fonctionnalités créées sont perçues comme une valeur d’usage), mais aussi
dans l’heure de fabrication (la finition et les modes de contrôle sont très souvent
porteurs de valeur). Par contre, la manutention, le stockage comme la
commercialisation par exemple, ne sont pas des activités porteuses d’attributs de
valeur puisque le client ne porte pas de jugement de valeur sur ces activités. Il y a
donc des activités de l’organisation génératrices de valeur et d’autres non.
- La profitabilité doit être recherchée grâce aux capacités dynamiques
internes de son organisation, source de création de valeur et pas sur la valeur
créée par ses partenaires (Fournisseurs, Cotraitants, etc.) qui est ajoutée aux
produits ou aux services vendus. Cette valeur « achetée » doit être considérée
comme revendue en l’état au client, c'est-à-dire sans marge. Ceci concerne les
achats de matières, les achats de sous-traitance, les achats d’études, les achats de
prestations logistiques, ainsi que toutes autres prestations qui seraient incluses
dans les processus de conception, d’approvisionnement, de fabrication et de
commercialisation des produits. Ceci exclut bien sûr les entreprises dont l’activité
est d’acheter en gros pour revendre au détail. Ce postulat permet d’évaluer la
seule performance organisationnelle de l’entreprise.
La VAH repose sur le concept de « l’heure vendable (HVA)», en partant du
principe précédemment exposé que toutes les heures travaillées de l’organisation
ne sont pas « à vendre » aux clients puisqu’ils ne les achèteront pas. Pour calculer
les heures vendables sur une période (en principe sur la durée d’un exercice), il
faut donc retirer les temps « non vendables au client ». Concernant les temps
« homme » cela vise : les heures de formations, les temps de congés payés, les
heures de développement commercial, les temps de préparation hors norme, les
temps de déplacement, les temps de manutention, etc. Concernant les temps
« machine » cela vise : les heures d’arrêts pour le nettoyage et la maintenance, les
heures de réglage hors norme, etc. Ces heures vendables sont regroupées en
« îlots de valeur ». Les îlots de valeur sont identifiés en fonction du caractère
homogène des heures vendables sur le plan de leur création de valeur. Une
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166
déduction de temps est ensuite opérée pour anticiper le slack7 de l’îlot de valeur.
Cette anticipation repose sur une évaluation du niveau d’expérience et
d’apprentissage de chaque îlot de valeur. Ce slack fait l’objet d’une
négociationpréalable entre la Direction et l’îlot de valeur dans le processus
d’élaboration du budget de l’entreprise. Cette négociation fixe l’objectif de la
performance organisationnelle de chaque îlot de valeur. Lorsqu’une vente est
réalisée, elle se traduit en « heures vendues » de l’organisation.
La VAH repose également sur le concept de la « Valeur Ajoutée
Brute (VAB) ». Elle se détermine en déduisant du Chiffre d’affaires hors taxes, la
valeur ajoutée « achetée » aux partenaires de l’entreprise. Ainsi, en divisant la
VAB totale d’un exercice par la totalité des heures vendables on obtient la VAH de
l’entreprise. En quelque sorte, la VAH est le « prix de vente » de l’heure
d’entreprise.
Chaque îlot de valeur à un niveau différent de production de valeur. Si l’on
part du principe, quel que soit le coût horaire de chaque îlot de valeur, qu’il est
légitime que le pourcentage de marge dégagée par la vente d’une heure de
chacun des îlots soit le même, il faut alors pondérer les heures vendables de
chaque îlot. Un coefficient de pondération8 est alors calculé en rapportant le coût
horaire de l’îlot au coût horaire moyen de l’ensemble des îlots. L’application de ce
coefficient aux heures vendables de chaque îlot de valeur, permet de rendre
équivalent les heures vendables en termes de production de valeur. Ainsi, les
heures à vendre de chaque îlot de valeur sont des heures vendables pondérées.
Cette pondération permet de faire la somme d’heures vendables qui, sans elle, ne
seraient pas sommables. Par construction, la somme totale des HVA est égale à la
somme des HVA pondérées.Cette sommation révèle toute son importance
lorsque l’on souhaite évaluer la production de valeur d’un processus
transfonctionnel aux différents îlots de valeur, dans le cas d’une vente par
exemple.La méthode UVA (Zaya et al, 2001) sur ce point, a montré qu’une vente
7
Le slack (terme anglo-saxon) est la différence entre le potentiel de valeur de l’entreprise et la valeur
qui est effectivement obtenue. Ce différentiel provient de la difficulté qui existe à contrôler et à
gérer l’utilisation qui est faites des activités, desressources et des compétences de l’entreprise.
(Voir les travaux de H. Bouquin, Ex Professeur à l’Université de Paris IX - Dauphine et Directeur du
CREFIGE).
8
On retrouve ici le postulat des constantes occultes de G. Perrin (1962, 1976).
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était le résultat complexe detrois processus : un processus produit, un processus
client et un processus gestion.
2.2.3. Exemple d’application : Méthodologie et résultats de la recherche
Nous présentons ici un résumé des résultats obtenus après une étude
longitudinale effectuée dans une entreprise de mécanique sous-traitante des
filières aéronautique et automobile.
Le contexte de cette recherche
La baisse des prix constante dans l’industrie aéronautique associée à
l’augmentation des coûts des activités « supports » a contraint l’entreprise à
optimiser ses prix de vente. Leur élaboration à partir des taux horaires (coûts
horaires) ne leur suffisait plus. La détermination des taux horaires a créé la
discussion parmi les divers responsables de l’entreprise. Celle-ci, alla jusqu’à un
tel point que depuis deux ans, les taux horaires de la profession ont été pris pour
référence dans le processus d’élaboration des prix de vente en lieu et place des
taux horaires internes. La DG de l’entreprise a souhaitéégalement remettre de la
cohérence dans ses prix. Elle a souhaité que l’ensemble de l’organisation soit mis
sous tension et que chacun des acteurs internes soit impliqué dans la
performance globale de l’entreprise.
Méthodologie de la recherche
Nous avons privilégié une recherche action-intervention dans sa version
ingénierique. Comme le souligne Koening (1993), « une recherche – action n’est
utile que si les acteurs s’en approprient les résultats ». Pour lui, la recherche
ingénierique se différencie par nature de la recherche action. « L’ingénierie
organisationnelle s’intéresse au devenir d’un projet, tandis que la recherche action
est fondée sur l’interaction entre l’observateur participant et les participants
observés ». En effet, du fait que le processus d’aller et retour entre le théorique et
le pratique doit permettre la conception, la construction et la mise en œuvre d’un
outil capable d’un « début appropriation des résultats de la recherche par les
praticiens » (Chanal et al., 1997), notre recherche correspond sur un plan
méthodologique à une recherche ingénierique. Elle s’est déroulée sur deux ans.
Par analogie à la méthode d’intervention socio-économique des organisations
(démarche HORIVERT), nous avons procédé en trois phases : une phase de
Michel Pendaries
168
diagnostic (entretiens, étude et analyse) qui a permis la triangulation des
informations, une phase d’ingénierie et une phase de préparation et de
réalisation de l’action.
Résultats de la recherche
Nous avons résumé ci-après les données recueillies sur une année
concernant les heures vendables (HVA), le calcul de la VAB et de la VAH ainsi que
deux exemples d’application dans la fixation des prix de vente de deux affaires.
Dans le tableau n°1 suivant, seuls les îlots de valeur indiqués ont été jugés
comme attributs de valeur par les clients. Le slack organisationnel a été évalué en
concertation avec les différents îlots de valeur. Le coût horaire de l’îlot est un coût
complet et ne sert qu’une fois dans la méthode à calculer le coefficient de
pondération. Ce dernierest un élément stable dans le temps. Il ne sera donc pas
recalculé dans les années suivantes, sauf en cas de transformation
organisationnelle importante.
Tableau n°1 : Calcul des HVA annuelles à vendre par îlot de valeur
Heures productives potentielles
Total des heures non productives
Arrêts
vacances
(4)
Total des
heures
productives
(HP)
(5)=(1)-(2)-(3)(4)
Coût
horaire
de l’îlot de
valeur
(6)
Coefficient
de
pondération
(7)=(6)/32,83
HVA à
vendre
(8)=(5)x(7)
2352
2058
18816
33,25 €
1,013
19056
273
2184
1911
17472
27,19 €
0,828
14468
30240
378
3024
2646
24192
23,19 €
0,706
17089
EROSION
23520
294
7280
2058
13888
18,91 €
0,576
7998
Îlot N°5
AJUSTAGE
6720
50
1344
1176
4150
91,55 €
2,788
11572
Îlot N°6
MONTAGE
5040
50
1008
882
3100
79,54 €
2,423
7510
Îlot N°7
CONTRÔLE
8400
50
1680
1470
5200
50,95 €
1,552
8070
Îlot N°8
ETUDES &
METHODES
3360
0
672
157
2531
46,52 €
1,417
3586
122640
1389
19544
12358
89349
32,83 €¹
Îlot de
valeur
Désignation
Total
(1)
Heures de
maintenance
(2)
Îlot N°1
T.C.N.
23520
294
Îlot N°2
C.U.
21840
Îlot N°3
RECTIF
Îlot N°4
TOTAL ÎLOTS
Slack
organisationnel
(3)
89349
(1) le coût horaire de 32,83 € est le coût horaire moyen de l’ensemble des
huit îlots de valeur
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
De la gestion Coût – Délai – Qualité au pilotage par la valeur …
169
A partir des éléments du compte d’exploitation de l’entrepriseet d’une
analyse des « achats de valeur ajoutée», il a été possible de calculer,à posteriori,
la VAB annuelle et la VAH de l’entreprise.
La VAB globale est égale au Chiffre d’affaires hors taxesannuel diminué de
la Valeur ajoutée annuelle achetée. Dans notre exemple, elle a été évaluée à 9330
K€ sur l’exercice annuel de référence. D’où la VAH est égale, à la VAB globale / ∑
HVA(9330000 € / 89349 HVA),soit 104, 42 €/h.
Ainsi, toute HVA à vendre sera valorisée à ce prix dans le processus
d’élaboration d’un prix de vente d’une affaire au client.
Exemple de calcul d’un prix de vente d’une affaire
Dans les deux exemples qui suivent, nous avons retenu le cas de deux
affaires aux caractéristiques différentes destinées à un même client. Nous
présentons les deux modes de calcul. La méthode Cost+ qui est celle utilisée par
l’entreprise dans la filière, et la méthode VAH.
L’affaire n°1, présentée dans le tableau n°2 ci-après,a été négociée en
réalité avec le client à un prix de 293,00 € l’unité (valorisé à 293,17€ avec la
méthode Cost+). Dans ce cas, nous constatons que ce prix est inférieur à celui
calculé à partir de la VAH (312,05€). Dans cet exemple, il n’y avait pas de contexte
concurrentiel particulier et après avoir interrogé le commercial de l’entreprise, il
aurait pu proposer un prix de 312,00 € l’unité et obtenir le marché. L’entreprise
s’est donc privée d’une rémunération supplémentaire du faite de l’utilisation de
sa seule méthode actuelle.
Tableau n°2: Comparatif des méthodes de valorisation du Prix de vente par affaire
Système de pricing actuel du
Cost+
Coefficien
t de
Prix
Valeur
marge
(3)=(1)x(
(1)
(2)
2)
AFF2 (sur 3 ans)
Volume pièces par an
Taille du lot en fabrication
Achats
Système de pricing basé sur la VAH
Coefficient
de
HVA
Valeur
pondérati
Vendues
HP
on
par lot
250
250
50
Prix
d’achat
unitaire
50
Prix
d’achat
unitaire
Matières premières
9,78 €
1,15
11,25 €
9,78 €
PMA (Sous-traitance)
41,00 €
1,15
47,15 €
41,00 €
58,40 €
50,78 €
Sous-Total 1
50,78 €
Michel Pendaries
Processus
Débit
170
Coût
par lot
Ajustage (Îlot 5)
320,00 €
5 200,00
€
1 600,00
€
1 040,00
€
Contrôle (Îlot 7)
4
TCN2 (Îlot 1)
CU (Îlot 2)
Emballage
Sous-Total 2
Total = S/Tot 1 + S/Tot 2
(4)
Coefficient de marge finale
(5)
Prix de vente unitaire HT
(4)x(5)
1,5
Pas
valorisé
Pas
valorisé
4
0
1,05
109,20 €
65
1,013
65,845
1,04
33,28 €
20
0,828
16,560
1,02
21,22 €
Pas
valorisé
Pas
valorisé
13
2,788
36,244
4,16
1,552
6,456
Pas
valorisé
163,70 €
222,10 €
4,16
0
125,105
50,78 €
1,32
293,17 €
312,05
€¹
(1)VAH à vendre sur (104,42 €/h) x Nombre d’HVA vendues (125,105)/Taille du lot en
fabrication (50) + Prix d’achat unitaire des pièces (50,78 €) = 312,05 €
L’affaire n°2 (selon le même type de tableau), ressort à 39,47€ l’unité avec
la méthode Cost+ et à 31,22€9 l’unité avec la méthode VAH pour un marché de
15000 pièces par an. Le prix a été négocié en réalité avec le client à 37,00 €
l’unité. Puisque la rémunération était évaluée à 31,22 € l’unité par la méthode
VAH, le négociateur de l’entreprise pouvait, en toute connaissance de cause,
descendre le prix proposé à cette juste valeur, s’il y avait eu un contexte
concurrentiel assez fort sur cette offre, face à un risque de perdre l’affaire.
D’une manière générale, sur l’ensemble des exemples traités lors de la
recherche, il apparaît que les affaires les plus complexes dans leurs processus de
fabrication, sont évaluées à un prix plus élevé par la méthode VAH que par la
méthode du Cost+. Ce qui tend à montrer que la logique de coût, mise en œuvre
dans la méthode Cost+, n’intègre pas suffisamment le degré de complexité dans la
valorisation des prix de vente.
Ce que nous avons aussi constaté, c’est l’amplification des échanges entre
les ingénieurs d’affaires et les îlots de valeur dans la phase précédent la
9
VAH à vendre (104,42 €/h) x Nombre d’HVA vendues (1844,304)/Volume de pièces par an (15000)
+ Prix d’achat unitaire des pièces (18,38 €) hors coefficient de marge = 31,22 €
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De la gestion Coût – Délai – Qualité au pilotage par la valeur …
171
proposition de prix d’une offre au client. Les premiers cherchent à optimiser le
prix d’une affaire en cherchant à acheter le minimum possible d’HVA aux îlots de
valeur, tandis que les deuxièmes cherchent à vendre aux ingénieurs d’affaires la
juste quantité d’HVA qu’implique une affaire, en minimisant les risques de voir la
part de la sous-traitance venir accroître la valeur achetée au détriment de la
valeur produite en interne par les îlots de valeur. Ces échanges sont salutaires
pour améliorer la performance organisationnelle.
Exemple d’un tableau de bord de suivi de la performance organisationnelle
La méthode VAH permet également de piloter la performance
organisationnellede l’entreprise. La VAH est calculée dans cette exemple à 105,00
€/h. La performance organisationnelle est mesurée à la fois par îlot de valeur et
globalement. La valeur créée et produite, peut être évaluée, interprétée et
négociée à tout moment par les acteurs de l’organisation entre les îlots de valeur
et les commerciaux, à partir de données sur :
- La performance commerciale (Tableau n°3), en comparant le total des
heures vendues au total des heures vendables,
Tableau n°3 : Performance commerciale
Dans notre exemple, et après trois mois d’exercice, globalement 52% des
heures vendables au total ont été vendues. On remarque que certains îlots sont
en retard comme l’îlot n°4 avec 43,75%. Ceci est dû au fait que les affaires
négociéessur le premier trimestre n’ont pas vendu suffisamment d’HVA
d’érosion.En termes de performance organisationnelle, plus vite les HVA des îlots
de valeur sont vendues et plus sûrement l’objectif de production de valeur sera
atteint.
- La performance de production(Tableau n°4), en comparant le nombre
d’HVAproduites à celles qui restent à produire par rapport à l’objectif fixé, ainsi
que le slack réel à celui négocié par îlot de valeur en début d’exercice.
Michel Pendaries
172
Tableau n°4 : Performance de production
Après trois mois on constate que 38,8% des heures vendables et 74,4% des
heures vendues (35100/47200) ont été produites avec un slack de16,32%,
légèrement supérieur aux 15,95% budgétés.En termes de performance
organisationnelle, certains îlots de valeur ont un slack réel supérieur et d’autre
inférieur à l’objectif, ce qui tend à révéler une perte potentielle de valeur plus
élevée de certains îlots.
- Et, la performance économique(Tableau n°5), en calculant la contribution
de valeurméritéeprojetéeen fin d’exercice et en la comparant à l’objectif de
budgété.
Tableau n°5 : Performance économique
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173
La VAB produite est de3685 K€ après trois mois (ligne 11)pour un objectif
annuel de 9492 K€ (ligne 10), soit la réalisation de 39% de l’objectif de production
de valeur après trois mois.
La performance économique est évaluée aussi en contribution de
valeur(ligne12). Elle est calculée à partir de la VAB estimée produite en fin
d’exercice (9492 K€), diminuée du coût total budgété des îlots de valeur (2965
K€). Une correction est apportée en cours d’exercice, en termes de boni etde mali
(ligne 16), lorsque les affaires vendues et produites ont été contractées à une VAH
plus ou moins élevée à celle budgétée.Outre la contribution de valeur projetée à
la fin du premier trimestre (720 K€, ligne 13), la contribution de valeur globale
projetée en fin d’année (ligne 17) s’élève à 1 985 K€ soit 30% (1985/6527) de
l’objectif annuel compte tenu de la VAB vendue et qui reste à produire sur
l’exercice. Cette projection part de l’hypothèse que les coûts des îlots de valeur
sont maintenus au niveau budgété. Sinon, un correctif doit être appliqué.
En termes de performance organisationnelle, la VAB produite et la maîtrise
globale des coûts de l’organisation au jour j associée aux HVA venduesqui reste à
produire sur l’exercice, traduisent la capacité de l’entreprise à atteindre son
objectif de profit.
3. Limites conceptuelles et discussions théoriques
Le temps comme élément constitutif principal de la méthode VAH, est à la
fois un indicateur de mesure et un indicateur de pilotage de la performance. En
effet, il sert à la fois à mesurer les efforts de production, dans ce cas c’est un
temps productif consommateur de ressources (coût), et à évaluer la valeur
achetée par les clients, dans ce cas c’est un temps de création de valeur cristallisé
dans la production vendue (valeur). Il y aurait donc deux facettes dans le concept
de temps, celle représentative des ressources consommées qui sert au calcul des
taux horaires de l’entreprise et celle représentative de la valeur créée par les
processus de l’entreprise lorsqu’il est perçu par le client comme un attribut de
valeur. A titre d’exemple, l’heure de manutention est représentative d’un coût et
pas de valeur. L’heure de Design est représentative d’un coût et d’une valeur.
L’heure de réglage de la machine peut être considérée à la fois comme un coût et
une valeur lorsqu’elle fait partie d’un temps « aux normes », implicitement
accepté par les clients, et uniquement comme un coût lorsqu’elle fait partie d’un
Michel Pendaries
174
temps « hors normes ». Avec ces trois exemples, on s’aperçoit que tous les temps
productifs ne sont pas tous achetables par les clients. Une première difficulté dans
la mise en œuvre de la méthode VAH réside dans l’identification des temps
« vendables » car ils sont liés à la stabilité des critères de jugement des clients. Ce
qui demande une « mise à jour » régulière mais compatible apparemment avec
une période annuelle comme l’exercice comptable de l’entreprise. Une deuxième
difficulté réside dans la coordination de deux processus, l’un exogène à
l’entreprise, celui des « offres aux clients » et l’autre endogène, celui des « offres
d’heures à vendre » par les îlots de valeur. Par exemple, cette coordination est
généralement dévolue à l’ingénieur d’affaires dans une organisation gérée par
affaire. Ce qui est aujourd’hui une organisation répandue dans le secteur
industriel et des services. Dans d’autres formes d’organisation, cette coordination
peut impliquer plusieurs responsables et rend alors l’action plus complexe.
L’organisation n’est pas figée. Elle évolue au cours du temps pour s’adapter aux
nouvelles exigences du marché. Que le changement organisationnel dicté par le
marché à l’entreprise soit radical ou incrémental, la dialogique des offres, citées
ci-dessus, va créer une situation de négociation permanente entre les
responsables d’affaires et les îlots de valeur. Elle se traduit par un ajustement
régulier de la VAH, en recherchant le meilleur mix activités-organisation. La maille
d’ajustement devrait être calquée sur la durée budgétaire afin de pouvoir évaluer
les écarts de performance. Sur ce plan, on peut affirmer que la méthode VAH
intègre une relation causale entre la valeur exigée par le marché (l’heure achetée)
et la valeur à créer par l’organisation (l’heure vendable) en s’appuyant sur une
double lecture du temps. Au plan théorique, sa finalité rejoint celle du modèle
socio-économique dans la maximisation du comportement d’autonomie d’une
organisation, c'est-à-dire l’accroissement de sa capacité de négociation avec son
environnement. Comme le souligne Capelletti (2012), « cette finalité renvoie au
paradigme hétérodoxe de la firme (Rojot, 2005)».
Compte tenu de la récence de cette méthode, nous n’avons pas observé de
discussion dans la littérature. Si ce n’est quelques retours sur une similitude avec
la méthode VAD (Brodier, 1988). En l’occurrence, cette similitude n’est observable
que sur le principe de la pondération, initié par Perrin (1962, 1976), par les
« heures de transformation » de la matière dans la méthode VAD et par les
« heures vendables » dans la méthode VAH, car la différence est nette, comme
nous l’avons vu précédemment, dans la méthode de calcul et les éléments pris en
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
De la gestion Coût – Délai – Qualité au pilotage par la valeur …
175
compte. Une confusion existe également sur une similitude conceptuelle entre les
postes UVA (Opérateurs consommateurs de ressources internes) et les îlots de
valeur (Producteurs de valeur). Si dans la méthode UVA (Zaya et al, op. cit. ;
Levant Y. et de la Villarmois O, 2005) toute l’organisation est décrite en poste UVA
(Processus-produits, Processus-clients, Processus-gestion), seule une partie de
celle-ci, celle qui crée et produit de la valeur, est décrite en îlot de valeur dans la
méthode VAH. La partie de l’organisation, non organisée en îlots de valeur, est
suivie en termes de performance, selon les méthodes classiques de contrôle
budgétaire.
« La valeur produite découle de la consommation de ressources (vision
implicitement véhiculée par la représentation de la chaine de valeur de Porter,
dans laquelle les coûts s'additionnent tout au long de la flèche, dans le même sens
que la flèche de la valeur) et est portée par un produit physique. Nous sommes
dans une vision de coûts poussés. Si les objets sont multiples, matériels et
immatériels, combinables dans des « systèmes d'offre » (Norman et Ramirez, 1993
et 1999) alors nous sommes implicitement passés à une vision beaucoup plus
complexe de la valeur, portée par des attributs et construite dans l'échange et non
en interne, et les coûts sont tirés par la valeur.Dès lors le souci du détail dans un
calcul des coûts devient secondaire, ce qui nous importe, ce sont des périmètres
d’analyse, les processus au sein desquels la réconciliation coût-valeur peut se
faire » (Mévellec et Gosselin, 2003). Selon ces auteurs, la logique de coût ne laisse
aucune place à l’arrangement des ressources (logique de pilotage) alors qu’une
logique de valeur le permet.Parmi les méthodes de pilotage, une méthode comme
la VAH cherche à lier la valeur à créer (l’heure achetable par le client) au coût
(l’heure à vendre par l’organisation). De ce point de vue, on peut affirmer que la
VAH serait fondée sur une logique de valeur.
Conclusion
Les analysesdes méthodes qui postulent une relation valeur-coût sont
toutes issues de l’idée de vouloir établir une relation de cause (la valeur)à effet
(les coûts). On voit que ce thème fait toujours débat aujourd’hui dans la
communauté scientifique qui s’intéresse aux Sciences de l’action collective.
Si l’on veut que la gestion du triptyque coût – délai – qualité ait du sens, il
faut considérer que ces trois composantes ne sont pas disjointes mais forment un
Michel Pendaries
176
tout indissociable dans le pilotage de la performance. Le développement de
l’entreprise s’appuie à la fois sur la performance d’innovation produit-service et
sur la performance organisationnelle. Il ne suffit pas d’élaborer une proposition
de valeur pour s’assurer de son succès sur le marché. Il faut également une
architecture de valeur, qui permet de délivrer la proposition de valeur à travers
les chaînes de valeur interne et externe, ainsi que des ressources et des
compétences nécessaires aux modes d’articulation et d’exploitation des actifs
matériels et immatériels décisifs de l’organisation, d’où l’importance d’un
système de pilotage de la performance organisationnelle pour l’entreprise. Ce
système de pilotage doit avoir comme finalité de permettre aux acteurs de
l’organisation de rechercher, dans les interactions internes et externes, la juste
adéquation organisation-activités qui crée et produit un optimum de valeur.
Dossiers de Recherches en Economie et Gestion : Numéro spécial : Décembre 2014
De la gestion Coût – Délai – Qualité au pilotage par la valeur …
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