Chapitre 1 Prescription médicamenteuse 1. Automédication : Patrice Queneau, Christian Ghasarossian 2. Polymédication : Christian Ghasarossian, Patrice Queneau 3. M édicaments à prescription particulière : Aurélie Daumas, Patrick Villani, Bernard Gay 4. Gestion de l’observance : Alain Moreau, Patrice Queneau 5. É ducation thérapeutique du patient : Jean‑Louis Demeaux, Jean‑Philippe Joseph, Louis Sibert 6. Iatrogénie et pharmacovigilance : Marc Vidal, Gilles Bouvenot, Patrice Queneau Chapitre 1. Prescription médicamenteuse/ 1 Automédication Patrice Queneau, Christian Ghasarossian Points clés : • L’automédication est un fait de société qui ne peut être négligé. • Il faut distinguer l’automédication « sauvage », prise anarchique de médicaments ou de traitements non validés, et la prise de « spécialités d’automédication » adaptées à un usage sans contrôle médical obligatoire. • Le médecin doit prendre en compte l’automédication et notamment : – la connaître en interrogeant systématiquement le patient, – prendre en compte les interactions potentielles entre médicaments prescrits et automédication, – rechercher l’automédication méconnue lors de la survenue de tout nouveau symptôme. • Le médecin doit toujours conseiller son patient et l’éduquer à une automédication dans le respect du « bon usage » du médicament. 1. Introduction Il existe une tendance de la société menant à une autonomisation de la prise en charge de sa santé par chacun sans l’avis d’un médecin. Ce souhait de société se heurte à des difficultés multiples : formation insuffisante des médecins et des autres soignants à ce type de traitement ; coût de l’achat des médicaments d’automédication ; dangers potentiels de celle-ci ; flou de la législation. Il est permis de « rêver » à une automédication efficace et bien tolérée, facilement accessible au patient, qui devrait pouvoir repérer en pharmacie le médicament capable de faire régresser un symptôme (mal de tête, douleur gastrique, diarrhée) en toute sécurité. L’actuel « flou » dans la législation rend difficile le positionnement de la vraie automédication par rapport à des médicaments déremboursés ou à des médicaments en vente libre ne correspondant pas aux objectifs de l’automédication. L’information donnée au patient sur ces médicaments doit être objective et positive, sans dénigrement systématique ni incitation inconsidérée. Thérapeutique en médecine générale Le prix des médicaments d’automédication est un problème. Certains sont actuellement plus chers que les médicaments de prescription, ce qui, évidemment, peut inciter le malade à préférer aller consulter son médecin, même pour une affection bénigne, plutôt que d’acheter directement les médicaments. Une politique positive d’automédication devrait probablement passer par une révision de la politique des prix. À titre d’exemple, le lopéramide, antidiarrhéique, existe en tant que spécialité d’automédication sous la forme d’Imossel®, lequel se trouve être sensiblement plus cher (prix libre fixé par le pharmacien, avec des variantes importantes : moins de 3,50 € à plus de 5,50 €) que l’Imodium®, spécialité de prescription et remboursée par la Sécurité Sociale (4,18 € pour 20 gélules de lopéramide dosé à 2 mg). 2. Définition L’automédication correspond à la prise d’un médicament en l’absence de prescription médicale. C’est un comportement fréquent, « à la mode », beaucoup de 21 Automédication personnes considérant aujourd’hui que la prise d’un médicament ne requiert pas nécessairement un avis médical. Dans le meilleur des cas, l’automédication concerne la prise de spécialités d’automédication : médicaments ayant l’AMM et adaptés au traitement personnel de certains troubles mineurs (douleurs, céphalées, fièvre, toux sèche, diarrhée) ou de situations clairement définies (contraception d’urgence, aide à la désaccoutumance du tabac), sans le recours nécessaire au conseil d’un médecin. Cependant, la notion d’automédication peut aussi concerner la prise intempestive de médicaments anciens gardés dans l’armoire à pharmacie familiale et antérieurement prescrits à soi-même (pour la même ou pour une autre maladie) ou à un tiers. L’automédication peut concerner aussi des traitements non médicamenteux (bracelets de cuivre) ou le recours à des pratiques charlatanesque diverses. Des précautions doivent être prises pour que cette automédication puisse se développer dans le respect de la Santé Publique. Une difficulté majeure est l’absence de définition officielle des spécialités d’automédication. Ce concept n’apparaît pas dans le Code de la Santé Publique. Il n’y a pas de définition spécifique des spécialités de prescription médicale facultative (PMF) : elles représentent, par défaut, toutes les spécialités ne présentant pas les critères d’inscription sur une des listes susmentionnées. En l’absence de définition claire, l’ambiguïté persiste. En pratique, la spécialité d’automédication est essentiellement définie comme une spécialité sans prescription médicale obligatoire et non remboursable. De même dans la réglementation européenne en vigueur (directive 2004/27/CE, modifiant la directive 2001/83/CE, article 71, §1), les médicaments sont soumis à prescription médicale lorsqu’ils : – « sont susceptibles de présenter un danger, directement ou indirectement, même dans des conditions normales d’emploi, s’ils sont utilisés sans surveillance médicale ; 22 – ou sont utilisés souvent, et dans une très large mesure, dans des conditions anormales d’emploi et que cela risque de mettre en danger directement ou indirectement la santé ; – ou contiennent des substances ou des préparations à base de ces substances, dont il est indispensable d’approfondir l’activité et/ou les effets indésirables ; – ou sont, sauf exception, prescrits par un médecin pour être administrés par voie parentérale ». Cette directive définit dans son article suivant (article 72) les médicaments non soumis à prescription médicale comme « ceux qui ne répondent pas aux critères énumérés » précédemment. La définition des produits à prescription médicale facultative (PMF) est donc une définition par défaut. C’est l’autorité d’enregistrement qui, en délivrant l’autorisation de mise sur le marché, décide du statut du médicament. Il ressort de la directive précitée que les produits PMF sont des produits dont la toxicité est modérée, y compris en cas de surdosage et d’emploi prolongé, et dont l’emploi ne nécessite pas a priori un avis médical. Certaines spécialités sont « hors liste » mais souvent prescrites car remboursables. Par exemple, certaines spécialités contenant du paracétamol sont remboursables, d’autres non. Cette complexité est mal comprise par les patients et par les médecins. Certains médicaments sont restés prescrits durant des décennies (bien que de manière non obligatoire) et remboursés. Il a pu arriver que, à la suite d’une nouvelle évaluation du Service Médical Rendu par la Commission de Transparence, un déremboursement ait été décidé. Ces médicaments initialement conçus pour la prescription médicale ne sont pas obligatoirement adaptés à l’automédication. Or, certains professionnels déclarent que ce déremboursement les ferait automatiquement entrer dans le cadre de l’automédication. Il y a là une ambiguïté majeure non résolue. Thérapeutique en médecine générale Chapitre 1. Prescription médicamenteuse/ 1 3. Épidémiologie Qui s’automédique ? Tout le monde ou presque, s’automédique et ce à tout âge : – dès la première enfance, où la mère est le prescripteur ; – à l’âge adulte, où elle augmente avec les décennies pour concerner plus de 50 % des personnes de plus de 65 ans et représenter jusqu’à 50 % des prises médicamenteuses chez les personnes âgées. Les femmes s’automédiqueraient peutêtre davantage que les hommes. Interviendraient en outre : – le niveau d’éducation : l’automédication serait plus fréquente en cas d’études supérieures ; – le revenu et la catégorie socioprofessionnelle : elle serait plus fréquente chez les cadres, les professions libérales et les personnes ayant des revenus élevés que chez les exploitants agricoles, les ouvriers et les personnes ayant de faibles revenus. Cependant, l’automédication est globalement assez imprévisible et il est difficile d’anticiper les comportements des patients à l’égard de cette pratique. Une enquête de l’institut CSA-TMO pour le compte de la DGS en 2002, montre que 70 % des personnes ont pris un médicament conservé dans la pharmacie familiale au cours des 12 derniers mois et 66 % ont acheté plus d’une fois un médicament sans ordonnance. Quel marché pour l’automédication ? Pour les antalgiques (aspirine et paracétamol surtout), ce pourcentage serait le plus élevé surtout chez les malades souffrant de douleurs rhumatologiques et post-traumatiques. Une situation à part est représentée par la migraine, qui justifie, sur les conseils du médecin, la prise, dès l’aura de la crise, du traitement adéquat. Le marché mondial de l’automédication était de l’ordre de 48,6 milliards de dollars en 1997, soit 16 % du marché mondial total des médicaments. Il concerne pour 90 % l’Europe et l’Amérique du Nord Thérapeutique en médecine générale (Etats-Unis et Canada). En France, le marché du médicament d’automédication (médicament en vente libre et non remboursable) représentait en 2004, 359 millions d’unités vendues (environ 13 % du marché total des médicaments en volume — contre 40 % aux USA — et 5 % de leur chiffre d’affaires). En 2010, il avait progressé à 420 millions d’unités vendues et 14,1 % du marché en volume. La particularité de la situation française est que 80 % des produits à Prescription Médicale Facultative (PMF) reste remboursable. Les données précitées n’incluent pas les achats par Internet, difficilement évaluables mais en importante croissance (exemple du Viagra®). 4. Les « spécialités d’automédication » Une spécialité d’automédication possède une AMM. Elle a été définie comme « hors liste », ne requérant pas de prescription médicale obligatoire. Le pharmacien peut la délivrer sans ordonnance. Bien entendu, il se doit de conseiller explicitement le patient, plus encore peut-être que lors de la délivrance des médicaments de prescription. Une spécialité d’automédication peut usuellement (en l’absence d’interdiction définie par l’AMM) faire l’objet de publicité grand public (radio, télévision, publications). Elle ne fait pas l’objet d’un remboursement par les organismes sociaux. Modalités destinées à assurer le respect de la Santé Publique Idéalement, une spécialité d’automédication devrait supposer : – un choix de substance active dont le rapport bénéfice/sécurité est particulièrement favorable ; – un choix d’indications claires que chaque citoyen devrait pouvoir aisément comprendre et repérer ; – un conditionnement (boîtage contenant le nombre d’unités) adapté à une durée déterminée et limitée de traitement ; 23 Automédication – une information claire et compréhensible apportée par la notice de conditionnement. Cette information doit préciser : • les symptômes de la maladie à traiter, • les doses de médicament à utiliser, ainsi que la durée du traitement, • le moment où les symptômes doivent avoir rétrocédé, • les symptômes qui font que, le cas échéant, l’automédication doit être interrompue et qu’il est indispensable d’avoir recours à un médecin. Par exemple, une diarrhée peut être traitée pendant 48 heures par une spécialité d’automédication, mais si elle ne cède pas dans ce délai, si elle s’accompagne de vomissements ou de selles sanglantes ou purulentes, si elle s’accompagne de fièvre, il est impératif de demander au plus vite un avis médical (risque de déshydratation ou d’autres complications). Ainsi, les indications des spécialités d’automédication doivent être bien précisées, afin que l’absence de recours initial à un avis médical induise un minimum de risques pour le malade, ces risques procédant pour l’essentiel : – d’un éventuel retard de diagnostic et de traitement adapté ; – d’effets indésirables liés au médicament lui-même (exemple : l’aspirine peut faire saigner, comme tous les anti-inflammatoires non stéroïdiens, y compris ceux faiblement dosés et présentés comme des antalgiques de palier I). Cependant, si le concept et le statut des spécialités d’automédication est bien précisé dans de nombreux pays, avec accès direct pour le consommateur : OTC (over the counter : au dessus du comptoir), il reste aujourd’hui encore imprécis en France. 5. Dangers potentiels de l’automédication : rôle du médecin et du pharmacien Les dangers sont liés : – au possible « masquage » de symptômes par des médicaments et donc au retard de diagnostic ; 24 – aux possibles interactions médicamenteuses ; – aux effets indésirables de ces traitements. Rôle du médecin : Il doit reconnaître le fait social de l’automédication, mettre le patient en confiance et lors de toute consultation l’interroger sur les médicaments pris en automédication, sans le culpabiliser : « Avez-vous pu éviter de prendre d’autres médicaments que ceux prescrits ? » ou encore « Avez-vous l’habitude de prendre des médicaments autres que ceux prescrits ? ». Le cas échéant, il peut et doit conseiller l’automédication bien conduite d’un patient qui le désire. Il est indispensable : – d’interroger sur les interactions médicamenteuses possibles entre les médicaments prescrits et l’automédication ; – d’interroger sur la recherche d’automédications lors de la survenue de tout nouveau signe clinique : s’agit-il de l’effet indésirable d’un traitement ou d’une automédication ? – de signaler tout effet indésirable observé lors d’automédications dans le cadre de la pharmacovigilance. Rôle du pharmacien : Il est central en raison de son interaction directe avec le patient lors de la délivrance des médicaments. Le pharmacien doit interroger le patient sur les autres traitements qu’il pourrait prendre par ailleurs et identifier d’éventuelles interactions médicamenteuses. Le renouvellement éventuel de l’achat par le patient est un moment privilégié pour l’interroger sur la bonne tolérance du traitement et l’intérêt de le poursuivre. 6. Principales indications de l’automédication Il s’agit, pour l’essentiel (par ordre décroissant d’utilisation obtenu à partir d’un sondage grand public) : – céphalées : paracétamol, aspirine, AINS faiblement dosés en ibuprofène ou kétoprofène ; Thérapeutique en médecine générale Chapitre 1. Prescription médicamenteuse/ 1 – rhume : antalgiques, désinfectants locaux et vasoconstricteurs faiblement dosés ; – nettoyage d’une plaie : anti-infectieux locaux et pansements ; – mal de gorge : anti-infectieux locaux et anesthésiques locaux ; – toux : dérivés de la codéine pour les toux sèches ou sirops expectorants pour les toux grasses ; – fièvre : paracétamol, aspirine ; – brûlure : anti-infectieux et pansement stérile ; – coup, entorse, traumatologie : AINS pommade en application locale, antalgiques de palier I ; – fatigue : vitamines, fortifiants, d’efficacité non validée ; – épigastralgies, reflux gastro-œsophagien : anti-H2 faiblement dosés, anti-acides ; – diarrhée : lopéramide et solutés de réhydratation (les antiseptiques digestifs et les probiotiques ont une efficacité non démontrée) ; – constipation : laxatifs non irritants (fibres, PEG, sucres osmotiques) ; – nervosité : médicaments non validés ; phytothérapie ; – insomnie : anti-histaminiques H1, sédatifs ; – démangeaison : anti- histaminiques H1, médicaments topiques ; – œil irrité : anti-infectieux locaux, voire traitement anti-inflammatoire en l’absence de contre-indication. Il faut ajouter à cette liste : – la contraception d’urgence par le lévonorgestrel, avec dispensation au plus vite par l’infirmière scolaire ou le pharmacien, dès lors qu’il n’y a pas de contre-indication : une prescription médicale n’est pas indispensable. Cette contraception doit cependant permettre une information explicite, et conduire à une contraception appropriée ; – les produits de désaccoutumance du tabac, qui peuvent être délivrés directement par les pharmaciens ; cependant leur indication formelle, le choix de la dose, nécessitent une prise en charge attentive. Enfin, un certain nombre d’affections chroniques à évolution cyclique (crise de migraine ou d’asthme, poussée douloureuse Thérapeutique en médecine générale d’arthrose, poussée d’herpès labial, cystite à répétition) justifiant parfaitement le recours à des prises médicamenteuses appropriées, ne font pas l’objet stricto sensu de conduites d’automédication plus ou moins aveugles, mais bénéficient en réalité d’une bonne éducation thérapeutique préalable du malade par le médecin. 7. Le rôle du médecin dans l’accompagnement de l’automédication Responsable de son malade et en même temps acteur de santé publique, le médecin doit conseiller et éduquer le malade qui souhaite avoir recours à l’automédication, le mettre en garde contre ses dangers, notamment chez les patients à risques et âgés. Planifier et organiser l’automédication – Le médecin, conseiller en santé, doit expliquer au patient et contrôler sa compréhension à propos : • des situations où l’automédication est possible, • des conditions d’une automédication sans danger : définition des posologies, des durées de traitement, des symptômes et des personnes (enfants, personnes âgées) pouvant être concernées, • des conditions de l’arrêt de l’automédication et du nécessaire recours au conseil médical (persistance des symptômes et/ ou survenue de symptômes nouveaux), • des dangers potentiels de la prise médicamenteuse : effets indésirables, interactions, « mauvais usage de l’automédication » ; – il doit enseigner à son patient la possibilité de bénéficier du « bon usage » de l’automédication : • dans les situations où le patient peut parfaitement définir les circonstances d’utilisation de l’automédication : prévention ou traitement du mal des transports, traitement d’une piqûre d’insecte, par exemple, • dans les maladies chroniques où le médecin et le patient décident en25 Automédication semble et planifient une stratégie thérapeutique à long terme. Par une prescription prévisionnelle, une sorte de « télé-prescription », le médecin prévoit les circonstances où il sera nécessaire de traiter rapidement, par exemple de prendre en charge immédiatement une nouvelle crise de migraine, de traiter rapidement une poussée d’arthrose, de traiter un reflux gastro-œsophagien gênant. Le médecin définit les conditions, mais le patient décidera, en fonction de la situation, du moment du traitement, • de même, dans certaines situations : par exemple, pour la contraception d’urgence, la patiente devra recevoir le plus rapidement possible le contraceptif adéquat. Bien entendu, le médecin aura à l’avance exposé qu’il ne s’agit pas d’une contraception classique et que toute prise de contraception d’urgence doit être suivie d’une nouvelle consultation pour la contraception de l’avenir. Expliquer les risques d’une automédication inappropriée voire anarchique À chaque occasion, le médecin doit rappeler quelques notions de base : – tout médicament peut être source d’effets indésirables (sédation et constipation avec les antitussifs), parfois graves (hémorragies digestives avec l’aspirine et les AINS, y compris faiblement dosés et présentés comme des antalgiques de palier I) ; – de nombreux médicaments sont responsables d’interactions médicamenteuses (retard d’absorption lors de prise d’anti-acides) ; – la posologie des spécialités d’automédication et la durée du traitement doivent être respectées avec les mêmes scrupules que celle des médicaments de prescription ; – avant de traiter un nouveau symptôme par l’automédication, il convient de s’assurer que ce symptôme est bénin (loin d’être toujours évident !), et d’autre part non lié à la prise d’un autre médicament ou à un trouble du mode de vie (alimentation inadaptée, rythme de sommeil inadapté). Il convient également de rappeler au 26 malade quelques conseils : – éviter de conseiller une automédication à autrui : un médicament qui lui convient ne conviendra pas nécessairement à quelqu’un d’autre ; – déclarer toute prise de médicament à chacun de ses soignants : médecin généraliste, divers spécialistes, dentiste ; – pratiquer l’automédication avec des médicaments spécialement prévus à cet effet et non en reprenant les « restes » des boîtes stockées dans l’armoire à pharmacie : antibiotiques, anti-inflammatoires, psychotropes. Une attention particulière doit être portée aux génériques afin d’éviter que ceux-ci, prescrits en DCI, ne soient confondus avec d’autres médicaments de prescription ou même d’automédication (association de paracétamol et de codéine, commercialisé sous de nombreuses marques ; prise de myorelaxants associés à d’autres benzodiazépines hypnotiques ou anxiolytiques) ; – considérer que la qualité des médicaments achetés sur Internet n’est pas garantie, de même que les informations diffusées sur ce vecteur. Une « intervention brève » sur l’automédication à l’occasion de toute consultation en médecine générale est pertinente. Dans ce cadre, l’interface avec le pharmacien dispensateur du produit est à développer pour optimiser la prise de l’automédication. L’accès en particulier des praticiens au « dossier pharmaceutique » serait utile. 8. L’information sur l’automédication (tableau) – L’information institutionnelle sur l’automédication permet de définir le cadre de ce type de thérapeutique en évitant ses excès et ses dangers. – L’information du pharmacien, qui est bien souvent le seul interlocuteur de santé, doit lui donner, tant au niveau de l’information initiale que de l’information continue, les règles de Bon Usage du Médicament d’automédication et les principes de la dispensation et du suivi pour chaque médicament. – L’information du médecin doit lui permettre de connaître les médicaments Thérapeutique en médecine générale Chapitre 1. Prescription médicamenteuse/ 1 d’automédication, de les intégrer dans son exercice et de savoir, chez certains malades, les avantages et les inconvénients d’une utilisation à la fois de médicaments d’automédication et de médicaments de prescription. – L’information par la notice figurant dans la boîte de médicaments doit être particulièrement claire, simple et utile, et préciser les situations où le médicament doit être pris, les modalités de la prise, les risques, les modalités de la surveillance en cours de traitement, les situations où le médicament ne doit pas être pris, les situations où le malade doit consulter son médecin. Enfin l’information doit toujours s’associer à des règles de Bon Usage et des règles hygiéno-diététiques. La communication entre les médecins traitants et leurs patients sur l’automédi- cation existe, mais ne semble pas suffisamment axée sur l’éducation des patients, alors que c’est leur attente (10). La mise à disposition dans la salle d’attente de brochures d’information sur l’automédication, comme celles proposées par l’ANSM, peut susciter un dialogue sur le sujet. Des actions d’éducation de type « interventions brèves », avec rappel des règles de bon usage des médicaments et des mesures hygiéno-diététiques pour les symptômes bénins, sont envisageables en consultation. Ces actions sont complémentaires aux conseils donnés par les pharmaciens. Un partage de compétences entre médecins et pharmaciens pour mener des actions communes d’éducation au bon usage des médicaments d’automédication est souhaitable. p Tableau – Charte de l’automédication (6) I. Recommandations destinées aux malades – Récuser la prise inappropriée de médicaments conservés dans la pharmacie familiale et préalablement prescrits, pour soi-même, pour une autre affection ou hors autorisation du médecin, à fortiori pour d’autres personnes (psychotropes, hypnotiques). À bien distinguer de l’espace de liberté laissé au malade par le médecin lors de la gestion d’une affection chronique (diabète, arthrose). – Se méfier des médicaments achetés sur Internet (qualité des médicaments et des informations non garanties). – Employer essentiellement des spécialités conçues pour l’automédication et/ou conseillés par le pharmacien. – Lire attentivement la notice. – Ne pas dépasser la posologie recommandée. – Ne s’automédiquer que pendant des durées courtes (1 à 2 semaines au maximum), à quelques exceptions près (patch de nicotine par ex.). – Récuser toute « poly-automédication ». – Récuser toute automédication inappropriée chez les malades à risques : • pendant un traitement en cours (danger de la potentialisation d’un traitement par anticoagulants de type antivitamine K par la simple prise d’aspirine) ; • pendant la grossesse (risque pour la mère et surtout pour l’enfant) ; • chez les nourrissons et les petits-enfants ; • chez les personnes âgées ; • chez les insuffisants rénaux, hépatiques, cardiaques, respiratoires ; • les malades allergiques ; – Informer son médecin de toute automédication. Thérapeutique en médecine générale 27 Automédication II. Recommandations destinées aux médecins – Établir avec le patient une relation de confiance permettant au médecin, dans le contexte d’une authentique éducation thérapeutique appropriée : • de l’interroger sur une éventuelle automédication, sans aucunement le culpabiliser ; • de lui expliquer clairement les objectifs de son traitement, mais aussi ses risques, l’importance de sa surveillance et de son observance ; • d’établir avec lui un « plan thérapeutique » bien compris, auquel il adhère en malade responsable, coopérant actif à ses objectifs ; • de lui expliquer le bien-fondé des recommandations précitées (I) qui n’ont pour seul but que d’éviter des accidents, parfois graves. – Récuser en principe les prescriptions a posteriori des médicaments déjà achetés. – Contrôler (lorsque c’est possible) la pharmacie familiale, potentiellement source d’automédication par des produits inappropriés voire périmés et donc dangereux. III. Recommandations destinées aux autres soignants – Participer à l’information et à l’éducation thérapeutique des patients, mais aussi de tous les citoyens. – Rôle conseil spécifique des pharmaciens. – Rôle conseil des autres soignants, notamment des infirmiers. IV. Recommandations destinées aux industriels du médicament – Favoriser le bon usage et la sécurité des médicaments d’automédication par : • la qualité et la lisibilité des notices ; • des conditionnements, des formes galéniques, des posologies appropriées. V. Recommandations destinées aux pouvoirs publics et aux médias – Nécessité de développer en France un statut de l’automédication permettant à tous les malades de repérer, au sein des très nombreux médicaments disponibles sans ordonnance (prescription médicale facultative : PMF), ceux réellement adaptés à une automédication efficace, utile et aussi peu dangereuse que possible. – Éducation de tous les citoyens sur le médicament, un produit « pas comme les autres » (dès la scolarité). – Campagnes d’information et d’éducation pour la santé indépendantes de la pression des lobbies. – Nécessité d’une éthique de l’information en matière de santé : rôle majeur des médias dans l’éducation au bon usage du médicament ; a contrario, effets délétères de scoops prématurés et d’informations inexactes voire tendancieuses ; caractère aléatoire des informations. – Vigilance extrême vis-à-vis des informations obtenues par Internet. Mots clés : automédication, prescription médicale facultative, éducation du patient. Références 1. Coulomb A, Baumelou A. Situation de l’automédication en France et perspectives d’évolution. Marché, comportements, positions des acteurs. Rapport au Ministre de la Santé Xavier Bertrand. Février 2007. Disponible en 28 ligne : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/ automedication/rapport.pdf 2. Caulin C, H. Cranz H. Automédication : faut-il une politique ? Laquelle ? Thérapie 2000,55(4):547-53. Suite Thérapeutique en médecine générale Chapitre 1. Prescription médicamenteuse/ 1 Références (suite) 3. Caulin C, Bergmann JF. Automédication. In : Bouvenot G, Caulin C, Montagne O, eds. L’essentiel en thérapeutique générale. Module 11-1ère partie. Paris : Med-line Ed, 2003:229-38. 4. Queneau P, Froudarakis M, Salvador M, Villani P, Vital-Durand D. Automédication concernant les antalgiques. In : Queneau P, Ostermann G, eds. Le médecin, le malade et la douleur. Chapitre 34. 4ème édition. Paris : Masson, 2004:389-98. 5. Association Pédagogique Nationale pour l’Enseignement de la Thérapeutique (APNET). Automédication – Autoprescription – Autoconsommation. Paris : John Libbey Eurotext, 1998. 6. Queneau P. L’automédication, source d’accidents ? Réflexions et recommandations pour des mesures préventives. Médecine 2008;4(5):203-6. 7. Groupe PHR. Les français et le système de santé. Sondage PHR/IFOP, 2011. Disponible en ligne : http://www.ifop.com/media/poll/16461-study_file.pdf 8. Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé : Liste des médicaments de médication officinale. Disponible en ligne : http://www.ansm.sante.fr/Dossiers-thematiques/Medicaments-en-acces-direct/Medicaments-en-acces-direct/(offset)/0 9. Ordre National des Pharmaciens. Accueil pharmaceutique des patients sans ordonnance. Recommandations, 2011. 10. Chazaud C. Le comportement d’automédication et son abord en consultation. Thèse doctorat Médecine. Faculté de Médecine Paris Descartes, 2012. Situation clinique Mme Sophie L., âgée de 72 ans, souffre d’une gonarthrose droite qui la gêne car, encore très alerte, elle fait fréquemment des petits voyages ou des promenades. Son médecin lui a prescrit du paracétamol qui calme incomplètement ses douleurs. À sa demande d’un médicament plus efficace comme par exemple un antiinflammatoire non stéroïdien (AINS), il a répondu que « ce n’était pas la peine ». Une voisine de Mme L. lui conseille alors d’acheter directement chez le pharmacien un médicament anti-dou• Cet accident était évitable, au moins partiellement si certains comportements avaient été évités. Pour la malade • Automédication sans en informer le médecin. • Pas de mention au pharmacien d’éventuels antécédents digestifs. Pour l’entourage • Conseils d’automédication inappropriés. Pour le médecin • Pas de réponse à la plainte initiale de la patiente. Thérapeutique en médecine générale leur qui « lui fait du bien ». Celui-ci lui remet de l’ibuprofène en ne précisant pas qu’il s’agit d’un AINS faiblement dosé avec les précautions inhérentes. Après 6 jours de traitement par ibuprofène, elle ressent des épigastralgies intenses et des vomissements. La fibroscopie objective un ulcère gastrique. Cet accident était-il évitable ? Quels comportements peuvent l’avoir favorisé ? • Pas d’explication claire à son refus. • Pas de mise en garde sur les risques et les conditions d’utilisation de certains médicaments. • Pas de proposition d’alternative thérapeutique. Pour le pharmacien • Pas de questions sur d’éventuels antécédents digestifs. • Délivrance d’un AINS présenté comme antalgique conseil, ou mise en garde sans protection gastrique. 29