La prise en compte dans un hôpital de jour pour adolescents et jeunes adultes souffrant d’autisme et de troubles apparentés, des questions relatives à la sexualité. Dr Sylvie Lapuyade, psychiatre, psychanalyste a présenté cette intervention le 5 avril 2011, dans le cadre du séminaire de l’Elan retrouvé ayant pour thème « Autisme et sexualité » organisé par le docteur Moïse Assouline. Nous la remercions de nous autoriser à diffuser son texte. Je ne parlerai ici que de patients dont le rapport au monde est autant marqué par l’autisme que par des difficultés cognitives sévères. Je m’appuierai sur notre expérience des groupes menés à l’hôpital de jour depuis une quinzaine d’années. Depuis quelques années, la société bouge très rapidement autour de la question de la sexualité des personnes handicapées, plus vite que la mise en place de ce séminaire prévu depuis longtemps par M. Assouline. Notre séminaire est donc traversé par ces questions actuelles, qu’on le veuille ou non. Ce mouvement de société est fortement porté par les associations de personnes handicapées physiques qui cherchent à entraîner avec elles les associations d’« handicapés psychiques », car, comme le rappelait Julia Kristeva lors de notre séance d’ouverture, les enjeux actuels sont ceux du vote d’une loi qui permettrait de dissocier l’ « assistance sexuelle » de la prostitution (le projet de loi Chossy) permettant ainsi le remboursement de cette assistance sexuelle comme prestation sociale. Dans ce contexte, il m’est apparu comme une évidence que les implicites de notre manière de travailler ces questions à l’hôpital de jour méritaient d’être explicités. Quels sont donc ces implicites ? Le premier est que nous ne nous serions pas mêlés de cette question sexuelle pour nos patients s’ils ne nous interpellaient pas sur ce point de différentes manières. Nous y reviendrons. Le deuxième est le questionnement de notre « légitimité » : en effet, parler, en s’autorisant d’une posture de savoir, de la sexualité d’un autre, fût-il malade, handicapé, autiste ne constitue-il pas toujours une forme d’abus dont le piège serait la réification de l’autre ? Il s’agit d’un écueil d’autant plus important que ces personnes souffrant d’autisme et de troubles apparentés, associés à des difficultés cognitives sévères, nous convoquent parfois à la représentation d’une sexualité déliée d’un contexte relationnel repérable par nous, d’une sexualité dégagée des codes sociaux de base, d’une sexualité transgressant les interdits fondamentaux. Dans ce contexte, la meilleure défense contre les sentiments complexes que cela produit inévitablement en chacun de nous, est sans doute de penser que leur sexualité est toute autre que la nôtre : bestiale, diront certains, auto-érotique soutiendront d’autres ou encore faisant partie de la maladie autistique elle-même. Un autre courant de réaction, représenté par quelques associations de parents, revendique pour leurs enfants un « droit au sexe », ce qui ne manque pas de poser quelques questions : 1 - La sexualité deviendrait-elle un droit, dès lors qu’on est handicapé? Ce qui ne manque pas de nous renvoyer à la discrimination négative que cela impliquerait pour ces personnes. - Cette idée d’un « droit au sexe » ne renverrait-il pas à une représentation des personnes autistes comme des êtres de pur besoin? Le troisième implicite de notre travail est celui du fil rouge que nous tenons, celui de l’éducation, au sens noble, aux interdits fondamentaux plutôt qu’un quelconque «programme » qui serait censé conduire ces personnes à une sexualité dite normale. Le quatrième implicite est celui de la question des programmes. Nous n’avons jamais utilisé dans ces groupes de programme comme il en existe de plus en plus, à l’exception de quelques scènes relationnelles ou dessins empruntés au matériel de la Pommeraie1. Je pensais que cela tenait entièrement à la qualité inénarrable des programmes que nous avons visionnés, tous plus consternants les uns que les autres, mais je me demande si ce n’est pas là aussi le signe de notre résistance à des tentatives réglées de normalisation de la sexualité de ces patients. LES GROUPES EN INSTITUTION: Introduire la question de la sexualité des patients dans les équipes de soins me semble toujours nécessiter de maintenir en tension deux propositions, même si celles-ci peuvent apparaître contradictoires : - d’un premier point de vue, s’intéresser à la sexualité d’un autre, en dehors évidemment d’une relation partagée, est une effraction de son intimité dans laquelle le voyeurisme et/ou l’objectivation de l’autre constituent des dangers toujours possibles. - d’un deuxième point de vue, nous devons prendre en compte le désarroi, les souffrances aigues, les troubles du comportement, de nos patients atteints de TED et de troubles cognitifs sévères, dans ce moment du passage pubertaire avec toutes les transformations affectives et sexuelles qui s’en suivent. De plus, ces personnes sont particulièrement vulnérables aux abus sexuels. De ce deuxième point de vue, il devient donc nécessaire de prendre en compte ces difficultés et de tenter de les traiter. Pour maintenir cet écart entre les deux termes du paradoxe, il nous a paru nécessaire de mettre en place quelques « garde-fous » dont l’un est le dispositif de groupe. Cette situation du groupe présente plusieurs avantages : Pour les patients, l’étayage sur leurs pairs leur permet d’aborder ces questions qui, habituellement, ne viennent pas dans les entretiens individuels. De plus, les peu parlants et les non parlants bénéficient de ce qui se passe dans le groupe ; ils sont capables de réagir à ce qui est en jeu et utilisent éventuellement des dessins, eux aussi empruntés au matériel de la Pommeraie, parfois mis à leur disposition. Dans cette situation collective, les patients sont protégés d’un trop d’intimité, liée à la relation duelle qui pourrait générer de la confusion. Deux groupes de parole non mixtes fonctionnent, le groupe des filles, animé par une 1 Institution Belge recevant des personnes en situation de handicap psychique y compris autistique avec des troubles cognitifs associés. 2 psychologue et l’infirmière, le groupe des garçons animé par un psychomotricien, au moins deux éducateurs ou plus et moi-même, intégrée comme médecin. Depuis peu, ce groupe accueille un second médecin. C’est le groupe des filles qui a fonctionné en premier. Il s’agit d’un groupe qui mêle des échanges verbaux et parfois des soins du corps. Le groupe des garçons a eu plus de mal à prendre forme, il a nécessité davantage d’élaboration institutionnelle. Il a fallu clarifier que les deux groupes n’étaient pas symétriques, en particulier en ce qui concerne le rapport au « corps de l’autre » : en effet, les filles entre elles, même autistes, à l’adolescence, témoignent d’une homosexualité latente bien assumée dans ces échanges autour des soins corporels, ce qui fonctionne autrement chez les garçons. Dans le groupe des garçons, pas de soins du corps, mais un groupe fondé sur la parole, quelques dessins, parfois ou des représentations schématiques à l’occasion, et, parfois quelques théâtralisations de situations relationnelles. Le choix d’un thème d’échange est le plus souvent laissé aux jeunes. Il peut être de notre fait, si un événement important concernant la sexualité s’est produit dans l’institution. Depuis peu, nous utilisons les séances filmées du Lucernaire2, mais il est trop tôt pour en parler. Les groupes sont dits obligatoires pour les patients, ce qui n’est pas sans poser problème : forçage relatif des défenses de ceux qui aimeraient ne pas venir, thèmes abordés très disparates et parfois encombrants pour tout le groupe, enfin, un patient qui va mal peut sérieusement malmener le groupe entier. En fait, nous respectons toujours le droit d’un patient de ne pas venir. Certains sortent en cours de groupe. Pour les « soignants », animer ce groupe à plusieurs nous permet de ne pas imposer nos propres représentations de la sexualité : si les aspects très corporels de ces questions sont plutôt laissés aux hommes du groupe plutôt qu’aux médecins, femmes, chacun d’entre nous s’exprime avec ses mots, ses représentations, ses embarras qui sont forcément marqués de nos personnalités différentes. Nous devons donc aussi beaucoup nous écouter entre nous et parfois nuancer, compléter, approfondir le propos d’un intervenant. Cet exercice nécessite confiance et respect entre les intervenants. Des notes sont prises à chaque séance. Un temps de discussion entre les intervenants d’une dizaine de minutes, à la fin du groupe, est nécessaire pour repérer ensemble les temps forts de la séance ou les difficultés particulières qu’on y a rencontrées. Ce dispositif nous permet de conserver le recul nécessaire pour ne pas nous engouffrer dans des projections de nos propres représentations et pratiques de la sexualité, pour décrypter ce qu’un patient a voulu dire et garder un ton commun qui s’est forgé au fil du temps : ne pas nous défiler devant des propos ou des situations embarrassantes, tout en conservant une distance respectueuse. Ce ton se repère dans le choix des mots : si nous ne condamnons jamais une formulation familière ou argotique voire grossière d’un patient, nous la reprenons avec des mots usuels en expliquant les différents niveaux de langue. Ce ton se retrouve aussi dans nos réponses qui ne sont jamais normatives au regard d’une sexualité que nous pourrions imaginer idéale. En revanche, le fil rouge toujours tenu est celui de l’éducation aux interdits fondamentaux, ce qui ne va pas sans répétitions. 2 Séances du théâtre forum effectuées avec la compagnie de théâtre P. Person et les patients de l’hôpital de jour Santos-Dumont, depuis deux ans et demi, et filmées au théâtre du Lucernaire 3 Un troisième groupe animé par les collègues de CAP Alésia3 est né quelques années après les deux premiers, il y a maintenant une dizaine d’années. Ce groupe est plus particulièrement dédié à la prévention des abus sexuels. Je n’en parlerai pas ici. Je voudrais souligner aussi la grande fragilité de ces groupes facilement déstabilisés par les changements de patients (le turn-over habituel des institutions), les changements de personnes chez les soignants, une majorité de jeunes peu parlants certaines fois, le « malêtre » bruyant de certains, d’autres fois, un changement de fréquence des groupes dans la vie institutionnelle. Le passage d’une fréquence hebdomadaire à bimensuelle a été pour nous une perte d’investissement collectif des groupes, ce à quoi nous allons remédier bientôt. Disons encore que ces groupes sont particulièrement affectés par le sentiment d’usure des soignants si nous ne trouvons pas des moyens pour en réalimenter l’intérêt. LES CONTENUS CLINIQUES: Venons-en aux contenus cliniques de ces groupes, extraits des trois groupes mais particulièrement du groupe des garçons. Tenter des les résumer est bien difficile car ils mêlent sans cesse des questions très crues, des difficultés relationnelles et des questions existentielles. Dans une même séance, on passe en permanence de l’un à l’autre sans hiérarchisation des thèmes et des registres, et c’est bien là une des spécificités de nos patients. Je vais néanmoins essayer de les sérier. Les représentations de soi comme adulte sexué : Pour les filles comme pour les garçons de l’institution, les changements du corps à la puberté sont très angoissants. Les filles sont parfois très paniquées par l’irruption des règles dont elles localisent très mal l’origine dans leur corps. Elles peuvent interroger cet écoulement de manière très inadaptée (exhibition, fabrication de traces..). Parfois, elles peuvent en parler et font souvent part de représentations indifférenciées des différents orifices de la région périnéale (anus, vagin, urètre). Elles perçoivent aussi que ces règles provoquent des changements dans le regard de leurs parents : parfois de l’inquiétude avec la mise en place d’une contraception, parfois, une forme de refus des difficultés de leur fille à gérer si mal ces écoulements sanglants, avec la mise en place de traitements hormonaux supprimant les règles. Le groupe des filles travaille donc beaucoup autour de ces questions. L’infirmière essaye de préparer la survenue des règles par la tenue d’un calendrier pour chaque fille. Au début de la mise en place du groupe garçon, nous avons été très surpris de constater que la différence des sexes n’était pas acquise pour tous : plusieurs patients du groupe pensaient qu’un éducateur à cheveux longs était une fille. Il suffit parfois d’un détail clef chez ces jeunes pour que leur représentation de la différence des sexes, construite par une somme de détails sans architecture d’ensemble, vacille. Ces garçons vivent très différemment les uns des autres les changements pubertaires, en particulier la question des érections et de l’éjaculation. 3 Cap Alésia est une association de prévention des abus sexuels et de la maltraitance qui réunit des professionnels et des bénévoles. 4 Sans que l’on puisse repérer pourquoi, certains les vivent assez bien, d’autres ne semblent pas concernés par la question, comme si elle n’existait pas, d’autres, en revanche, sont aux prises avec des angoisses très profondes, en particulier des angoisses de séparation de leur sexe en érection du reste de leur corps : par exemple, Jérôme, autiste parlant assez bien, âgé de 18 ans, avait réussi à nous expliquer l’équivalence qu’il faisait entre son sexe en érection, son avant- bras tendu et relevé à angle droit (prise à la lettre du mot « membre » ?), le bâton fécal qui se sépare de lui et disparaît dans les toilettes, les tuyaux verticaux des vieilles chasses d’eau qu’il n’avait de cesse d’arracher, projetant ainsi sur le monde extérieur la question de la cohérence des différentes parties de son corps. L’émission du sperme est parfois source d’angoisse et de confusion : certains peuvent y craindre de se « vider », d’autres l’assimilent au lait du sein maternel. Ce qui différencie alors ces pensées exprimées par nos patients, de l’imaginaire des « normopathes », c’est qu’elles ne sont pas référées à un corpus culturel commun ( comme, par exemple, dans l’érotique chinoise du moyen âge où l’émission de sperme est une perte de substance vitale); elles expriment les angoisses archaïques d’un seul, angoisses de morcellement, de perte de parties de soi et de liquéfaction. Pour les filles comme pour les garçons, ce passage pubertaire remet en jeu des comportements archaïques qui avaient disparu : comportements de flairage des odeurs génitales, les leurs ou celles des autres, avec en plus des tentatives provocatrices transgressives de les faire partager à autrui en les mettant sous le nez de l’autre ou encore en essayant de nous serrer la main. On voit comment tout s’intrique. Le choix d’objet : Quelquefois, la recherche de contact physique de ces jeunes semble indifféremment s’adresser à des filles ou des garçons, sans qu’un réel choix ne paraisse stabilisé. Est-ce alors seulement un contact de réassurance, « pour se sentir exister » comme disent certains, qui devient sexué comme par hasard, simplement parce que ces personnes sont devenues des adultes ? Le plus souvent, leur choix est hétérosexuel, mais on perçoit aussi que dans leurs affirmations d’hétérosexualité il y a quelquefois le poids du désir de leurs parents qu’ils aient une copine, comme une injonction à laquelle ils ne peuvent satisfaire. D’autres ont montré des choix nettement homosexuels. Parfois, ces garçons posent des questions sur le choix d’objet tout à fait similaires à des problématiques de « normopathes » : « j’aime les filles, mais elles sont moches, alors, j’aime aussi les garçons » , ce que l’on pourrait traduire, en termes « normopathes » par comment aimer le corps de quelqu’un différent de soi, et, pour un garçon comment aimer quelqu’un sans pénis. Il y a aussi parfois des affirmations trompeuses : Antony, atteint d’une maladie génétique, n’avait de cesse de dire : « tous les gogols sont des pédés ». Au fil du temps, nous avons compris avec lui, qu’il aimerait bien avoir une copine mais qu’il ne se sentait pas aimable et surtout qu’il faisait référence à des moments très culpabilisés chez lui, de films pornographiques vus avec des cousins malades comme lui et avec lesquels il avait partagé des moments de masturbation. La masturbation : Cette question est souvent abordée dans le groupe. Les intervenants hommes du groupe sont parfois amenés à donner des explications corporelles quand nous percevons qu’il y a 5 une véritable angoisse du patient et que nous nous sentons suffisamment assurés d’être loin du plaisir que les patients auraient à nous faire parler d’intime. Nous nous efforçons de différencier avec ces jeunes gens le plaisir autorisé, du moment que la masturbation est pratiquée dans l’intimité que nous définissons, faute de mieux, comme un endroit où personne ne peut nous voir, de l’interdit de la masturbation exhibée. Nous veillons à ce que les interdictions de toucher son sexe devant tout le monde, trouvent un contre-point dans la possibilité de le faire dans des endroits soustraits au regard des autres. La masturbation est parfois prise dans des scenari complexes où cohabitent l’animé et l’inanimé. Benoît était très attiré par le regard vide des mannequins de cire dans les vitrines des magasins, ce qu’il associait au fait d’avoir moins peur du regard des femmes. Nous étions très contents de la substitution qu’il avait fini par opérer du mannequin à une photo de jolie fille qu’il avait accrochée dans sa chambre et devant laquelle il racontait se masturber. Mais, quelques séances plus tard, il nous demanda si la photo était tombée parce que la fille était fâchée qu’il se masturbe devant elle. Cette issue était trop simple ! Les difficultés de relation et de séduction : C’est là un thème répétitif de ces groupes : qu’est-ce que chacun aime chez une fille ? Comment c’est différent pour chacun d’entre eux ? (même si plusieurs d’entre eux, nous ont montré un attachement singulier au pied comme objet érotique, bien plus que dans la population générale) Comment on séduit une fille, comment on a une copine ? Ce sont des temps plus légers où il nous arrive parfois de jouer de courtes scènes relationnelles sur ces thèmes et de rire ensemble, de bon coeur. Ce qui est avéré c’est que pour la plupart des patients, c’est bien une personne en particulier qui est l’élue de leur cœur et l’objet de leur désir de la toucher. Il y a bien une fixation affective et/ou désirante, mais ce qui fait leur défaut, c’est tout l’imaginaire qui permet de déployer les jeux de la séduction. Leur manière de dire leur amour ou leur désir est souvent assez crue et brutale. Plus difficiles à aider sont les patients qui semblent avoir abandonné l’idée de séduire positivement et qui, coûte que coûte, essayent de rentrer en relation, de maintenir un lien même par la négative (donner des coups, cracher, injurier par exemple). Plus grave encore sont les personnes pour lesquelles il semble que se soit opéré un lien entre un intérêt érotique et une violence physique : Yvon n’avait de cesse de demander à chaque adulte de l’institution s’il pouvait donner des coups de couteau dans la tête de la fille au walk- man ; il la trouvait très jolie et la croisait régulièrement dans l’autobus. Yvon n’est heureusement jamais passé à l’acte et paraît avoir constitué un « interdit de substitution » par un maillage, tissé de la même réponse d’interdit du meurtre par toutes les personnes qui comptaient pour lui. Ce maillage, c’est, pendant une période de plusieurs mois, une bonne dizaine de personnes qui a répondu plusieurs fois par jour, avec des mots différents certes, cette même réponse de l’interdit du meurtre, avec toute la force de conviction dont nous pouvions faire preuve . Un autre patient, Valentin, lui-même victime d’un climat très incestuel et intrusif dans son enfance, négocie cette difficulté à séduire, sur un mode psychopathique : agression des femmes dans les parking, agression de sa grand-mère, de sa petite sœur et tentatives de toucher le sexe des hommes et des femmes de l’institution. L’éducation aux interdits : interdit de l’inceste, interdits sociaux : Même chez les patients qui sont le mieux éduqués, au sens noble, par leurs parents, qui 6 malgré le handicap de leur enfant réussissent à leur inculquer les valeurs fondamentales de la communauté humaine, les difficultés cognitives et autistiques de ces patients impliquent que chaque nouvelle étape de développement remet sur le métier ce qui semblait acquis. Samuel, jeune homme très bien élevé, sans trouble du comportement, autiste avec un petit niveau cognitif, avait exhibé son sexe en érection devant la directrice de l’institution, ce qui était pour le moins inattendu. Il a suffi que ce point soit repris avec lui pour que ce comportement disparaisse. C’est là qu’on voit sans doute le rôle positif essentiel des familles à tenir bon sur l’éducation. « Dire non » à un enfant ordinaire nécessite de la constance et la conviction chevillée au corps que c’est « bien pour lui ». « Dire non » à un enfant autiste nécessite une énergie centuplée, non seulement parce que cet enfant malade mobilise bien d’autres sentiments chez les parents, mais aussi parce qu’il a beaucoup de mal à généraliser un interdit central d’où il en ferait découler d’autres. C’est un travail de haute énergie. D’autres patients, au contraire, expriment clairement, leur intérêt sexuel pour des femmes de leur famille, comme Jonathan qui tentait de violents corps à corps avec sa mère ou ses tantes qui ne savaient plus comment s’en protéger ; elles n’avaient pas vu grandir ce jeune homme qui n’avait pas connu beaucoup de frustrations dans son enfance. Valentin, que nous avons évoqué plus haut, raconte un jour dans le groupe qu’il a agressé sa grand-mère en la maintenant contre lui, alors en érection, en expliquant qu’ « il voulait mettre son sexe dans ses fesses ». Passé le choc de la crudité du propos, ce qui nous a frappé, c’est la confiance qu’il faisait au groupe et l’importance qu’il donnait à nos explications. Ces transgressions dans la famille sont souvent réitérées dans l’institution par ces patients qui s’intéressent alors non pas aux jeunes filles de leur âge mais aux soignantes, y compris âgées. Ce travail autour de l’interdit de l’inceste est très difficile parce que, si nous pouvons facilement dire que les parents, grands-parents, frères et sœurs sont des personnes «interdites », le personnel soignant est interdit aussi, mais autrement, alors qu’il s’agit du même mot. L’interdit pour eux ne se déploie pas en cercles concentriques à partir d’un point central, mais prend la même valeur hiérarchique dans une nomination des personnes interdites une à une. Nous essayons donc de différencier les interdits fondamentaux des règles de l’institution, comme par exemple, celle de l’absence de relation sexuelle entre patients et soignants. Un autre écueil est lorsqu’une relation affective solide entre un patient et un soignant vient se parer du vocabulaire sexuel comme « je veux me marier avec H. », directrice de l’établissement en l’occurrence, mais que la représentation réellement sexuelle semble très éloignée pour le patient. Qu’interdit-on à ce moment-là ? Le groupe est donc le lieu où les jeunes peuvent exprimer ces problèmes, aussi lourds soit-ils. Nous devons y répondre dans la constance et la répétition patiente qui, petit à petit donne corps aux interdits. Les évolutions positives de la société ces dernières années où quelques trop rares institutions permettent à des couples de se former et de vivre ensemble, nous mettent moins mal à l’aise pour leur parler, en contre point des interdits, de ce qu’il sera peut- être possible de vivre pour eux, s’ils le souhaitent. Internet et la télévision : Les évolutions des media n’ont pas épargné nos jeunes. Il y a quinze ans, le visionnage de cassettes pornographiques était rarissime, maintenant tous ceux qui ont accès à un ordinateur ou à la télévision ont eu affaire à des images ou des films pornographiques, ce dont ils parlent si nous sommes prêts à accueillir ces paroles. C’est très difficile pour les 7 intervenants du groupe de parler de la différence entre la pornographie et la « vraie vie » avec des personnes qui n’ont pas ou très peu de vie sexuelle partagée. L’irruption de la pornographie pour ces jeunes est un vaste problème sur lequel nous commençons à peine à réfléchir. La plainte concernant les mères : Le groupe garçon est souvent l’occasion pour ces garçons de dire comment leur mère les maintient dans un statut d’enfant. Ils se plaignent des soins du corps persistants, des toilettes, des entrées intempestives dans la salle de bains ou leur chambre. Benoît disait comment, pour supporter que sa mère le lave encore, il se mettait en boule sous la douche, en suçant son pouce et en s’imaginant qu’il avait deux ans. Ces garçons se saisissent alors du groupe comme moteur de leur séparation d’avec leur mère. Les questions existentielles : Ces groupes de communication sont aussi le lieu d’expression d’angoisses de leur avenir : « est-ce que je vais me marier ? » « est-ce que j’aurai des enfants » ? C’est aussi l’endroit où ils questionnent la « normalité » de leurs frères et sœurs, ce qu’ils appréhendent avec ambivalence : soulagement qu’ils ne soient pas malades mais aussi jalousie terrible qu’ils soient bien portants. Victor disait : « pourquoi, moi, je suis malade et pas lui ? » en parlant de son petit frère. Enfin, après une séance particulièrement riche en émotions avec Cap Alésia, Catherine avait demandé : « C’est quoi un être humain ? » Les problèmes médicaux : Ces groupes nous servent aussi à mieux repérer des problèmes médicaux. Si les filles vont en général consulter un gynécologue, en particulier en raison de la contraception que certains parents souhaitent, les garçons ont rarement eu accès à un examen andrologique. Pourtant, les malformations génitales, même minimes, ne sont pas rares chez ces garçons qui souffrent parfois de formes syndromiques d’autisme. Nous avons mis un certain temps à comprendre ce que voulait dire Antony quand il prenait un air coupable et énigmatique pour dire « la masturbation, ça fait mal ». Une consultation andrologique révéla qu’il avait un phimosis grave associé à un hydrocèle. Signalons aussi des conduites d’introduction vaginale d’objets qui, outre les problèmes d’exhibition, posent de réels problèmes de santé auxquels il faut penser. La prévention des MST : Ce point n’est pas traité spécifiquement dans les groupes mais peut être abordé parfois, non pas autour de relations sexuelles abouties, très exceptionnelles, mais d’objets trouvés dans la rue : des préservatifs ou des seringues. Parfois, ils nous interrogent sur des publicités parlant de préservatifs, vues à la télévision. La prévention des abus sexuels : Est souvent abordée dans les groupes mais sera traitée ultérieurement. La résistance des soignants : J’ai trouvé particulièrement questionnante la surdité dont nous sommes capables. Un 8 patient que nous connaissons bien, Antony, qui sait s’inventer une voiture de sport, un travail, une fiancée pour se donner une contenance dans un jeu relationnel bien rodé avec nous, revient de vacances et nous dit : « j’ai fait l’amour ». Plusieurs séances se passent, nous en sourions avec lui quand il nous en parle, jusqu’à ce que ses parents expliquent qu’ils ont demandé à un cousin d’Antony de l’accompagner dans une maison close, dans leur pays d’origine où ils vont en vacances. Comme des parents, sans doute, nous ne pouvions pas l’imaginer avoir franchi ce pas. LES PARENTS : Ils sont bien entendu informés des groupes de communication dédiés à la sexualité dans l’institution. Ils savent aussi que les contenus de ces groupes ne leur sont pas communiqués sauf évidemment si ceux-ci révélaient un quelconque danger pour leur enfant ou un problème médical. L’existence de ces groupes aide les parents à se représenter le besoin d’intimité de leur enfant. Certains disent aussi leur soulagement que ces questions soient traitées dans l’institution, ce qui les en dégage en partie comme parents. Le partage de ces soucis lors des réunions collectives parents-institution, les soutient dans la recherche de la distance la plus adaptée à leur enfant de manière à ce que ceux-ci puissent trouver la sexualité qui est la leur, plutôt que celle projetée par la famille ou l’institution. Le partage d’expérience avec d’autres parents les aide à ne pas s’engouffrer dans des passages à l’acte, comme les « eros centers » pour handicapés qui existent en Allemagne, les mariages arrangés etc… Un père africain nous disait : « chez nous, on marie les handicapés comme mon fils pour que quelqu’un puisse s’occuper d’eux, après notre mort, mais, mon fils, élevé en France, je vois bien qu’il n’a pas envie de se marier ». Conclusion : L’attention portée ces dernières années à la sexualité des personnes autistes atteintes de déficience cognitive est un progrès considérable. Les réflexions menées par des institutions comme la Pommeraie ou le foyer Jeanne d’Arc et d’autres encore, sont assurément des avancées précieuses qui permettent de respecter et d’accompagner la liberté des personnes adultes autistes à vivre une vie amoureuse et sexuelle, si elles le souhaitent. Pour les psychiatres de ma génération qui, dans les années 70, ont connu l’abjection de certaines salles d’asile psychiatrique où des patients à demi nus, parmi lesquels il y avait assurément bon nombre d’autistes, se masturbaient toute la journée sous l’œil goguenard d’infirmiers psychiatriques et avec la bénédiction des médecins-chefs de service, ce serait un grand retour en arrière que ces personnes autistes deviennent, à nouveau, dans le regard des autres, des êtres de pur besoin, cette fois, assistés sexuellement par des professionnelles ad hoc payées par la MDPH. Je vous remercie de votre attention. Docteur Sylvie Lapuyade,psychiatre, psychanalyste. 9 10