Textes de l`atelier n°5 - Espace Numérique de Travail de l`ESPE de

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De l’ « éducativité » en éducation, et de son évaluation
Charles Hadji
Agrégé de philosophie
Professeur émérite de l’Université Pierre Mendès-France Grenoble 2
A Michel Lecointe
Deux observations liminaires nous paraissent s’imposer. La première est qu’aujourd’hui le
vent de l’évaluation souffle fort, et partout. La seconde, que la pratique évaluative est d’autant
plus sujette à de préoccupantes dérives. Le vent de l’évaluation souffle fort : l’évaluation est
devenue une activité omniprésente, à laquelle rien ne semble pouvoir échapper. Aucune
pratique sociale, aucun acteur, ne sont à l’abri. Le rapport de la « commission Attali » prévoit
(« décisions» 227 et 228) d’évaluer tous les services de l’Etat (école, université, hôpital,
administration), et de faire évaluer tout agent d’un service public (professeur, fonctionnaire,
médecin) à la fois par ses supérieurs et par les usagers. Pour ce qui concerne l’école et
l’université, on instaure, ou on renforce, une évaluation devant désormais toucher tous les
niveaux (écoles, collèges et lycées, universités), tous les acteurs (les enseignants comme les
élèves), et dont on attend beaucoup. Le ministre de l’éducation compte d’une façon forte sur
elle pour « diviser par trois l’échec scolaire lourd » ! (Le Monde des 11-12 novembre 2007).
Mais cette extension du domaine de la lutte évaluative ne s’arrête pas à l’action de l’Etat. On
évalue aussi (depuis la loi « TEPA »), la performance des dirigeants d’entreprise. On évalue la
fraude fiscale (avec des écarts considérables selon les évaluateurs !) ; mais aussi, depuis peu,
les ministres ; le marché du travail ; la pauvreté ; les inégalités ; les HLM ; la législation des
comptes de campagne (commission installée le 9 juin 08 !) ; la fonction RH ; la dangerosité
des détenus ; les entreprises et les banques (avec le succès que l’on sait, comme l’a mis en
évidence la débâcle des agences de notation financière lors de la crise des « subprimes » ; si
bien que l’on songe à créer un « organe de surveillance international » chargé d’évaluer et de
réguler les agences de notation !( Le Monde du 30 mai 2008).
Déjà donc, dans ce dernier champ, des dérives sont évidentes. Mais il ne suffit pas d’accuser
les agences de notation « d’avoir mal évalué le risque « subprime » » (Le Monde du samedi
18 août 07 !). Encore faudrait-il s’interroger sur ce qui caractérise le « bien évaluer », et
pouvoir décrire les conditions permettant d’éviter les dérapages et les errements. Faute de
quoi on continuera à déplorer pendant longtemps les ambiguïtés d’une pratique invasive, qui
ne doute de rien, et prétend même pouvoir s’attaquer avec bonheur à l’évaluation du bien-être,
voire du « bonheur national brut » (royaume du Bhoutan), en produisant des chiffres toujours
discutables et incertains, alors qu’elle provoque, par la pression qu’elle exerce, et les excès
auxquels elle se livre, tant de souffrances (angoisses, humiliations, suicides), et déclenche tant
de comportements « pervers » (favoritisme, violences, triches et fraudes en tous genres). Il
devient urgent de « re-penser » le travail évaluatif, pour dire ce qu’on est vraiment en droit
d’en attendre, et faire apparaître ce que pourrait être une évaluation s’exerçant « dans les
limites d’une saine raison ».
Il nous semble que ce devrait être, à coup sûr, une évaluation s’interrogeant d’avantage sur
son projet de questionnement. C’est ce que nous allons montrer, en restant dans le champ du
1
travail éducatif. Il nous faut pour cela, tout d’abord, nous recentrer sur ce qui fait l’essentiel
de l’acte d’évaluation.
1. Retour aux fondamentaux : l’évaluation comme production d’un jugement
d’acceptabilité, dans le cadre d’un « projet de questionnement évaluatif ».
Nous proposons de tenir pour acquis qu’évaluer signifie prononcer un jugement
d’acceptabilité portant sur une réalité donnée (Hadji, 2004).
Dans le cadre d’une activité de régulation, telle que modélisée par Linda Allal (1988) :
L’activité de régulation:
le modèle feedback-guidance
BUT
Se situer par rapport
Au but
FEEDBACK
Ajuster
L’action
GUIDANCE
(D’après Linda Allall, 1988)
…évaluer revient à dire dans quelle mesure une réalité donnée (un objet, une situation,
une pratique, une personne) peut être jugée acceptable par référence à des attentes (un
ensemble de qualités pour l’objet ; une situation idéalisée ; une pratique qui serait, entre
autres, efficace et équitable ; une personnalité idéale…). L’évaluateur apprécie la réalité à
la lumière d’attentes qui la concernent.
De façon très schématique, on peut alors dire que, dans le champ éducatif, l’évaluation est
une appréciation du « SFR » (Service « Formatif » Rendu) :
2
L’évaluation dans le champ
éducatif:
une appréciation du « SFR »
• Evaluer, c’est apprécier la qualité d’une
action « éducative », dans l’axe d’une
question générale:
quel est le « service (éducatif,
formatif, développemental) rendu »?
…qui exige la spécification préalable (ou, à tout le moins, concomitante), du SFA, ou
Service « Formatif » Attendu :
L’acceptabilité de l’action est
alors appréciée par référence
au « SFA », i.e.
au « service formatif attendu »
Il devrait dès lors être clair que la spécification des attentes est un temps fort essentiel de
l’activité évaluative, qui va s’organiser autour de 3 grandes questions :
3
En condensé: 3 temps forts,
autour de 3 questions
• Question 1: qu’est-on essentiellement en droit d’attendre
de l’ « objet » évalué? Quel est le service attendu (SA)?
assigner des attentes prioritaires
• Question 2: que faudra-t-il alors aller voir (observer)?
identifier des espaces d’observations, i.e. des
« lignes de lecture »
• Question 3: et à quoi verra-t-on que l’attente est satisfaite
ou non?
définir des indicateurs de réussite, i.e. des
signes d’appréciation du service rendu (SR)
La recherche de signes de réussite, i.e. de satisfaction des attentes, n’a de légitimité qu’a
l’intérieur des espaces d’observation qui s’inscrivent dans l’axe des champs de
questionnement correspondant aux attentes prioritaires. Par exemple, je veux savoir si
un enseignant est « méritant » (évaluation du mérite, si souvent prônée aujourd’hui). Mais
qu’est- ce que cela peut signifier ? Qu’il est « performant »? Qu’est-on donc légitimement
en droit d’attendre de lui, et qui permettra de le juger « performant »? Il faut le dire. Par
exemple, qu’il mette en œuvre les compétences requises par les grandes tâches
professionnelles, qu’il faudra donc lister pour pouvoir l’évaluer correctement. Une
modélisation de « l’enseigner » (l’activité de l’enseignant qui serait alors « performant »)
est un préalable à l’évaluation du « bien enseigner ». Enfin, on pourra, et il faudra,
rechercher des signes « d’acceptabilité » dans chacun des espaces d’exercice
professionnel : par exemple : a-t-il construit et proposé un « texte de savoir » (Chevallard)
pertinent ? A-t-il su faire face au groupe d’élèves pour placer ceux-ci dans des conditions
de travail propices ? Etc., etc.
Dans ces conditions, une notion devient essentielle en évaluation, celle de « projet de
questionnement ». Car, on l’a compris, sans questions qui guident sa démarche,
l’évaluateur est aveugle. Sa première tâche est de savoir ce qu’il y a à savoir sur la
réalité évaluée. Ce questionnement, d’une certaine façon, explicite les attentes que le
projet d’évaluer doit nécessairement prendre en considération, faute de perdre son sens.
Dans le projet de questionnement s’inscrit le grand type de question que l’on va poser à la
réalité (ici éducative) évaluée, pour savoir si elle est acceptable.
Il nous paraît alors possible de distinguer 3 grands « projets de questionnement
évaluatif » :
• Le premier est aujourd’hui dominant : il s’agit du questionnement portant sur
l’efficacité des pratiques « éducatives »
• Le deuxième est en expansion : il s’agit du questionnement sur l’équité de ces
pratiques
• Le troisième est pratiquement inexistant (c’est pourquoi nous parlerons d’une
« grande absente ») : il s’agit du questionnement portant sur ce que nous
4
proposons d’appeler, faute de terme plus adéquat et bien stabilisé, l’éducativité de
ces pratiques.
Pourquoi donc faudrait-il s’arrêter sur le chemin qui devrait logiquement nous conduire à
privilégier l’évaluation de l’éducativité des pratiques dites éducatives ?
2. D’un premier grand projet de questionnement, portant sur l’efficacité…
S’agissant du travail éducatif scolaire, comme le montre le schéma ci-dessous, les
questionnements, comme les cibles, sont pluriels :
Questionnements et cibles dans l’évaluation
scolaire
Le système
Scolaire 1
Question: les objectifs sont-ils atteints (évaluation externe)
Les résultats sont-ils à la hauteur des moyens mis en œuvre
(efficience du système)?
Évaluation certificative
Société
Questions: travaillent-ils bien?
Sont-ils efficaces?
Questions: suis-je
(sommes nous) efficaces
Et utiles?
L’enseignant 2
ou
Les enseignants 3
(dans l’établissement)
Question 1: quel est leur niveau de compétence individuelle
(évaluation diagnostique de synthèse)
Question 2: où en sont-ils? Quel est le niveau collectif?
(évaluation normative de groupe)
Questions: où
en suis-je?Que
Questions: Ont-ils appris?
L’élève 4 sais-je? Quels
Ai-je bien travaillé?
sont mes acquis
ou
(évaluation formative)
et mes lacunes?
(évaluation diagnostique d’étape)
Les élèves 5
Auto-évaluation formative
Et diagnostique
Il m’a paru possible de repérer ainsi 3 grandes sources de questionnement (la société, les
enseignants, les élèves) ; 5 grands objets cibles (le système scolaire, un enseignant, un
établissement, un élève, un ou des groupes d’élèves) ; et, à partir de là, 4 grandes
problématiques évaluatives :
5
4 GRANDES PROBLEMATIQUES
*Problématique de développement personnel
(Autoévaluation de l’élève)
*Problématique d’ajustement pédagogique
(Évaluation formative opérée par l’enseignant)
(Autoévaluation de l’enseignant)
(Autoévaluation de l’établissement)
*Problématique de mesure de l’efficacité
(Évaluation du système scolaire)
(Évaluation des établissements)
*Problématique de repérage et d’attestation d’effets et de
niveaux
(Évaluation certificative des « formés »)
(Évaluation normative (indicative) des groupes d’élèves)
Mais si l’on veut être encore plus « radical », et identifier des « types » (génériques) de
questionnement, on peut se situer, puisqu’il s’agit d’évaluer l’action éducative, dans ce que
j’ai appelé (Hadji, 2006) le triangle de l’évaluation des actions, qui fait apparaître l’évaluateur
comme un « agent triple » (alors que l’agent de la chanson de Guy Béart n’était que double..).
Tout enseignant a aujourd’hui entendu parler du « triangle didactique », qui réunit savoir(s),
enseignant(s) et apprenant(s). Pour Jean Houssaye (1988, 1993), toute pédagogie se construit
sur la mise en relation privilégiée de deux des trois éléments, ce qui exclut, de fait, le
troisième. Par exemple, la pédagogie traditionnelle « magistrale », en privilégiant le rapport
professeur/savoir, met l’élève à l’écart. Le troisième élément, ainsi mis à l’écart, doit accepter
la place du mort, au sens du jeu de bridge (quelqu’un dont on ne peut se passer, mais qui ne
joue qu’en mineur, et pas comme un vrai sujet), faute d’être contraint, à défaut, de faire le
« fou » (en venant perturber, voire pervertir, le jeu). Il nous semble que la situation évaluative
peut être définie en des termes semblables comme un triangle composé de trois éléments, dont
deux sont mis au premier plan tandis que le troisième est rejeté de facto à l’arrière-plan, dans
la posture au mieux du mort, au pire du fou.
Ainsi peut-on identifier, au sein de ce que Jacques Bonnet (1994) a désigné comme le
« triangle de la qualité », trois grands « processus », fondé chacun sur une relation privilégiée
entre deux des trois éléments du triangle, et plaçant le troisième à la place du mort, ou du fou :
• Le processus de l’évaluation de l’effort.
Toute action lucide se donne des objectifs. A partir de là, une première interrogation
évaluative peut mettre en relation privilégiée ces objectifs et les moyens mis en œuvre pour
les atteindre (autrement dit : les actions conduites). On pourra parler d’une évaluation de
l’effort, celui-ci étant défini par l’investissement (en hommes, en matériels et en argent)
consenti pour atteindre les objectifs. Il s’agira de savoir si les actions étaient les plus
appropriées, ce qui fait bien passer au second plan les résultats, mais sans toutefois que l’on
puisse en faire totalement abstraction.
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LE TRIANGLE GENERAL DE L’EVALUATION DES ACTIONS
OBJECTIFS
Question : Les
actions étaientelles les plus
appropriées ?
(EFFORT)
EVALUATION
Question : Les
objectifs ont-ils été
atteints ?
(EFFICACITE)
EFFETS
ACTIONS
Question : Les effets
sont-ils à la hauteur des
actions ?
(EFFICIENCE)
• Le processus de l’évaluation de l’efficience
Un second grand questionnement va privilégier les rapports entre les moyens et les résultats
ou effets : les résultats sont-ils à la hauteur des moyens mis en œuvre ? Une évaluation de
l’efficience aura pour objet d’apprécier l’adéquation des résultats aux moyens, avec le souci
de savoir s’il n’était pas possible de faire mieux avec les mêmes moyens. Les objectifs
passent alors au second plan, mais sans pouvoir être totalement évacués de l’analyse.
• Le processus de l’évaluation de l’efficacité
On peut enfin s’interroger essentiellement sur l’adéquation des résultats aux objectifs. Les
objectifs ont-ils été atteints ? C’est la question de l’efficacité, qui place les moyens à l’arrière
plan. Mais l’efficacité ne pourra pas négliger complètement les moyens, pas plus que
l’efficience les objectifs, ou l’effort les résultats.
En tant que l’évaluation est incorporée à l’action (ici: l’action « éducative »), l’évaluateur,
pour formuler son jugement d’acceptabilité (Hadji, 2004 ) doit ainsi se situer par rapport à
trois « pôles », sachant que, de fait, il va s’inscrire dans un questionnement qui le
positionnera sur l’une des trois bases du triangle. En d’autres termes, si l’on nous permet
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cette comparaison, l’évaluateur entre dans un ménage à trois au sein duquel il devra
privilégier un couple sans toutefois faire disparaître le tiers alors exclu. Or,
l’instrumentation à mettre en œuvre va dépendre d’abord du processus d’évaluation ainsi
privilégié. Par exemple, une évaluation « expérimentale » de l’efficience conduira à
« mesurer les moyens », à « mesurer les effets », et à rechercher des « corrélations
positives » entre ces deux séries de mesure (Le Poultier, 199O). Les objets à « mesurer »
sont fonction du processus, et donc du questionnement, privilégié.
Que l’on ne se méprenne donc pas sur notre propos. L’évaluation de l’efficacité,
s’agissant d’une pratique, est pleinement légitime. Il faut bien savoir dans quelle mesure
les objectifs sont atteints, pour pouvoir ajuster l’action (modèle de la régulation). Il n’y a
rien à redire à cela, si ce n’est que ce questionnement ne peut être le seul.
3. A un deuxième, portant sur l’équité….
Le déploiement des pratiques d’évaluation de l’efficacité, qui correspondent à un niveau
« basique » de l’évaluation des actions (évaluer une action c’est, a minima, en apprécier
l’efficacité, et il n’y a rien là, répétons le, que de très légitime), s’inscrit dans un horizon
idéologique ou domine une « culture des résultats ». Chacun est invité à « rendre des
comptes », afin de savoir si les engagements ont été tenus, et de pouvoir, éventuellement,
redresser la situation. D’où la tentation, pour l’acteur social concerné (qu’il soit postier,
directeur d’hôpital, ou ministre) de « faire du chiffre ». Car, par principe, l’évaluation de
l’efficacité ne s’interroge pas sur la « valeur » des objectifs dont on vérifie l’atteinte. Et c’est
là sa faiblesse. En effet, d’une part elle prend cet objectif pour « argent comptant », et s’inscrit
alors dans une démarche d’acceptation et de soumission au pouvoir qui en a fait un objectif.
Or, évaluer c’est se prononcer sur la valeur, débattre de la valeur, et le simple fait d’accepter
de juger une action par référence à un objectif donné confère à celui une valeur dont
l’évidence peut être discutable (Hitler était un politique efficace : il a failli atteindre son
objectif d’élimination des juifs !). D’autre part, la culture des résultats privilégie
naturellement les résultats chiffrés, pour leur visibilité immédiate et leur apparente objectivité.
Ce qui conduit à penser que l’essentiel du travail d’évaluation est la production d’indicateurs
chiffrés. Ainsi resurgit la vieille conviction qu’évaluer, c’est mesurer, alors qu’il faudrait
toujours avoir à l’esprit le mot de Disraeli (cité par Stéphanie Dupays, 2008) : « il y a trois
sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques ».
C’est pourquoi, dans le champ éducatif (mais aussi dans beaucoup d’autres), les évaluateurs
sont devenus sensibles à des préoccupations de justice. On peut le comprendre facilement.
D’un coté, cela traduit un souci de cohérence « épistémique » ou spécifique (Hadji, 1997,
2007). Si évaluer signifie dire la valeur, produire de la plus- valeur, selon la très belle formule
de notre regretté collègue et ami Michel Lecointe (1997), alors l’interrogation sur la valeur
d’une action conduit nécessairement à poser la question de la valeur de l’objectif. C’est
pourquoi Lecointe parlait de « triple articulation », entre le référé, le référent, et ce qu’il
désignait comme « la référence », à savoir un « système de valeurs ». Ce que j’ai exprimé par
le schéma suivant :
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Le double jugement dans
l’activité d’évaluation
Niveaux de réalité
Travail de
l’évaluateur
IDEAL
(champ de la référence)
JUGEMENT DE LEGITIMITE DES ATTENTES
ATTENTES
(champ du référent)
(Qui fonde les critères sur des valeurs)
JUGEMENT D’ACCEPTABILITE DU REEL
REALITES
(champ du référé)
(Qui rapporte des indicateurs à des critères)
D’un autre côté, il aurait dû être clair dès le départ qu’une interrogation sur les effets de
l’effort éducatif ne peut faire abstraction de considérations de justice. Car de quoi s’agit-il,
sinon de savoir si l’on a permis à tous de bénéficier équitablement de l’effort que la
collectivité fait pour l’éducation de ses enfants ? Cet effort n’est-il pas fait, d’ailleurs, par
souci de justice sociale ? Mais justice et équité sont des termes polysémiques, et, à s’y référer,
on s’aventure en terrain mouvant.
Cela est clair pour ce qui concerne le concept de justice. L’entreprise d’élaborer une « théorie
de la justice » a, par exemple, placé Rawls devant l’aporie (difficulté d’ordre rationnel
paraissant sans issue) de la définition universelle de la justice : comment dépasser la
singularité des conceptions particulières pour trouver un concept susceptible de s’imposer à
tous, d’une façon universelle ? La prétention d’accéder à l’universel, pour établir une doctrine
générale et exhaustive, débouche en effet sur une métaphysique par essence contestable, parce
que sans fondement objectif. La réalité concrète est celle du pluralisme : pluralité des sociétés,
des modes de fonctionnement, des doctrines, des convictions. Il faut « prendre au sérieux »
(Rawls, 1971, trad. française 1997, p.53) la pluralité des personnes et des sociétés. Mais si
l’on ne peut pas dépasser les conceptions particulières, l’idée même de justice ne perd-elle pas
toute consistance ? « Plaisante justice, qu’une rivière borne ! », écrivait déjà Pascal. Pour
dépasser cette difficulté, Rawls a proposé une méthode, qui consiste à rechercher un
consensus par recoupement, « consensus relativement solide » (id., p. 70) se traduisant dans
la « formulation de propositions raisonnables et généralement acceptables », qui expriment
alors une « conception commune » de la justice.
Quelle que soit la solution proposée, l’entreprise est difficile. Que dire alors de l’entreprise de
définir « objectivement » l’équité, terme aujourd’hui couramment admis pour une lecture
évaluative des pratiques d’éducation superposant à un questionnement sur les résultats
(évaluation de l’efficacité, dans l’arrière plan idéologique d’une culture des résultats,
privilégiant le souci de la réalisation), un questionnement sur la valeur de ces résultats
(évaluation de l’équité, dans l’arrière plan idéologique d’une culture de la valeur, privilégiant
un souci de justice).
Aletta Grisay (1984, 2003) et, à sa suite, Marcel Crahay,(2000) ont, entre autres, eu le courage
de s’attaquer au problème d’une définition de l’équité, préalable obligé à toute entreprise
9
sérieuse d’évaluation de l’équité de l’action éducative. La difficulté est de passer du fait (il y a
des différences, qui vont pouvoir être pensées comme des inégalités, mais déjà ce dernier
terme peut impliquer un jugement de valeur !), au droit (certaines différences ne sont pas
acceptables, car injustes, et il faudra les combatte en introduisant, paradoxalement, d’autres
différences, sous la forme, par exemple, de « discriminations positives »). Puisqu’il s’agit de
passer de l’empirique à l’éthique, en tranchant de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est
pas, et dans le même mouvement, de ce qui est désirable et de ce qui ne l’est pas, il ne faut
pas s’étonner si l’effort d’explicitation débouche, en cette matière, sur une pluralité de
conceptions de l’équité. Le projet de questionnement dynamisé et finalisé par le souci de
l’équité se fragmente alors en questionnements spécifiques et distincts, portés chacun par une
conception particulière de l’équité.
Dans l’axe des travaux de Grisay et de Crahay, il me paraît possible de retenir quatre grandes
conceptions. Les trois premières s’inscrivent dans un mouvement de critique « technique » de
l’Ecole ; la dernière dans un mouvement plus radical de critique politique. Les deux premières
mettent l’accent sur les ressources éducatives offertes aux élèves. Les deux dernières sur les
« sorties » du système, sur « l’output », scolaire dans le cas 3, social dans le cas 4.
• Conception 1 : l’équité comme égalité d’accès aux ressources (ou égalité des
chances) : l’Ecole a pour mission essentielle de lutter contre le gaspillage des
potentialités, en donnant, si nécessaire, plus aux « meilleurs ».
• Conception 2 : l’équité comme égalité de traitement : l’Ecole a pour mission
essentielle de traiter chacun de la meilleure façon possible.
• Conception 3 : l’équité comme égalité de rendement : l’Ecole a comme
mission essentielle de permettre à tous de réussir, quelles que soient les
différences de départ.
• Conception 4 : l’équité comme égalité dans la qualité du développement
individuel : l’Ecole a comme mission essentielle de permettre à chacun de
s’épanouir dans sa différence.
Ainsi le projet de questionnement évaluatif centré sur l’équité pourrait prendre quatre formes
principales :
• Forme 1 : « A-t-on permis à chaque élève d’avoir toutes ses chances ? »
• Forme 2 : « A-t-on donné le meilleur à tous les élèves ? »
• Forme 3 : « A-t-on permis à tous, même et surtout les plus démunis, de réussir ? »
• Forme 4 : « A-t-on permis à chaque élève de faire fleurir sa différence ? »
4. Et enfin à un troisième (mais qui, s’agissant d’éducation, devrait être le premier),
portant sur l’éducativité.
Un projet de questionnement centré sur l’équité constitue donc un « progrès » du double point
de vue de la spécificité du jugement évaluatif (comme jugement de valeur), et de la
spécificité de la pratique sociale évaluée (comme pratique fortement fondée sur un souci de
justice sociale). Mais il nous semble que, d’une certaine façon, s’agissant d’éducation, un
questionnement sur l’équité reste encore à la surface de son objet. C’est ce à quoi devrait nous
inviter à réfléchir la quatrième conception de l’équité. Car c’est bien de permettre à tous
d’accéder aux ressources éducatives (équité conception 1), et d’en bénéficier pleinement
(conception 2). C’est bien de permettre à tous de réussir (conception 3). Mais que signifie
réussir ? Voilà la question qui n’est que trop rarement posée, et à laquelle la conception 4
propose une ébauche de réponse. En fait, la plupart du temps on se contente, implicitement, de
la réponse la plus simple, pour ne pas dire la plus simpliste : réussir, c’est réussir aux
10
examens. Il est vrai que ça n’est pas rien ! Mais un telle conception de la réussite fait prévaloir
de fait le questionnement sur l’efficacité , puisque l’action éducative n’est appréciée qu’à
travers sa capacité à produire, au sens large, des « diplômés » . On s’intéresse au mieux alors,
en quelque sorte, à l’équité de l’efficacité ! Et cette quête de « l’efficacité équitable » ne
retient qu’un seul indicateur, dont la dimension chiffrée masque la faiblesse informative, du
moins pour ce qui concerne ce que nous appellerons la « valeur proprement éducative »
(VPE) de l’action éducative évaluée.
Or l’intention éducative ne peut pas être réduite au projet de faire réussir à l’examen (bien que
celui-ci soit, cela n’est pas contestable, très estimable !). Réussir, c’est, pour l’individu, se
développer comme personne « éduquée » ; et pour l’action éducative, produire cet « effet
éducatif ». Mais qu’est-ce alors, qu’une personne « bien » ou « pleinement » éduquée ?
Voilà, en tout cas, la question qu’il faudrait poser pour pouvoir évaluer le travail
éducatif au plus près de son, ou de ses, intentions.
Nous affirmerons, par exemple, que ce travail a (ou devrait avoir !) pour ambition de produire
des individus :
• Cultivés, i.e. inscrits dans une culture comme ensemble organisé de significations, de
modèles de comportements, et d’objets à valeur tant utilitaire que symbolique
• Capables de vivre en société, i.e. de reconnaître et de respecter les autres au sein de
leurs groupes d’appartenance
• Bien dans leur corps, dont ils auront harmonieusement développé les potentialités
• Ayant développé leurs capacités de connaître et d’analyser le monde dans lequel ils
vivent, en s’étant dotés des outils appropriés pour cela.
Bien sûr, on pourra discuter chacune de ces affirmations, voire contester l’ensemble de ce
« discours ». Mais cela ne dispense personne du nécessaire effort d’explicitation de ce que
l’entreprise éducative a pour mission essentielle de produire, et qui lui donne son sens
On pourrait dire, pour conclure, que la culture des résultats, qui justifie le déploiement
d’une évaluation de l’efficacité, tout comme la culture de la valeur, qui légitime
l’émergence d’une évaluation de l’équité, laissent toute sa place à une culture du sens, qui
appelle une évaluation de l’éducativité. Cette dernière serait animée par un projet de
questionnement finalement simple, que l’on pourrait exprimer par une question centrale :
« L’entreprise éducative a-t-elle vraiment été éducative ? »
Une telle évaluation de l’éducativité exige donc que l’on fasse d’abord l’effort de dire ce
qu’éduquer veut dire. La philosophie de l’éducation pourra ici se révéler utile. Il n’y a là,
toutefois, que la manifestation d’un impératif consubstantiel à l’intention d’évaluer ellemême. Même le Premier Ministre du gouvernement français s’en est rendu compte, quand il
affirme qu’il nous faut « dépasser la logique des moyens pour nous interroger sur les fins de
toute action publique » (Le Monde du 11/07/08). C’est dans l’axe des fins que l’on pourra
identifier les attentes légitimes et s’interroger, alors légitimement, sur leur degré de
satisfaction. L’évaluation ne prend tout son sens que si elle s’interroge sur la réalisation
de ce qui donne sens à la pratique qu’elle évalue. C’est cette interrogation sur la
pertinence de l’action qui spécifie l’évaluation de l’éducativité et lui donne tout son intérêt.
Peut être cela est-il trop simple ? Mais n’est-il pas salutaire, de temps en tant, de revenir à la
simplicité de l’essentiel ?
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Houssaye, J. (1993). La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui. Paris : ESF Editeur
Lecointe, M. (1997). Les enjeux de l’évaluation. Paris : L’Harmattan.
Le Poultier, Fr. (1990). Recherches évaluatives en travail social. Grenoble : PUG
Rawls, J. (1997). Théorie de la justice. Paris : Editions du Seuil
12
Evaluer l'efficacité de l'Education.
Y. Abernot
Présentation.
Cet exposé sera de forme classique, commençant par les apports d'une réflexion sur la
définition des termes "efficacité" et "efficience", "équité" et "éthique" mais aussi "évaluation",
et "éducation". Cette courte réflexion préliminaire mène à des options sémantiques et à une
compréhension des compositions possibles comme "efficacité et équité en éducation". Par
ailleurs, elle donne du sens à mon propre titre : "évaluer l'efficacité de l'éducation"
(institutionnelle).
Une fois ces définitions posées, il conviendra de se doter d'outils d'évaluation pertinents
compte tenu des moyens engagés et du prix de l'efficacité.
Il convient également de préciser que notre champ s'étend du local à l'international mais ne
concerne que l'éducation institutionnelle.
I. Définitions, positions, problématique.
Education :
Commençons par le concept le plus important : "éducation". Il n'est pas question de tenter une
impossible synthèse des acceptions du terme mais simplement de dire la manière dont nous
l'utiliserons
Distinguons d'abord l'action (éduquer) de son résultat, (être éduqué).
En ce qui concerne l'action, nous retenons :
"Développement dirigé des facultés physiques, psychiques et intellectuelles" (Wikipédia).
Mais ce qui compte autant que le sens hors contexte, c'est le contenu, la manière, l'intention,
et la (ou les ) personne(s) concernée(s). La question devient donc : "une action pour
développer quoi, comment, pourquoi et chez qui ?". C'est à ce niveau que les options
idéologiques et techniques se posent de manière cruciale.
L'éducation réfère aussi au résultat, "être éduqué" à distinguer de "avoir ou ne pas avoir
d'éducation". On voit tout de suite poindre les difficultés à définir l'homme éduqué ! Pourtant,
sans savoir le but, il est impossible d'en apprécier l'atteinte ! C'est également ce flou qui
favorise la discussion des moyens.
Efficacité
Je dirai simplement qu'une action est efficace lorsqu'elle réussit ! Donc, tout dépend de ce qui
est visé et des critères d'évaluation. Mais surtout, pour un système, tout dépend de l'ambition
sociologique : promouvoir l'élite, cultiver les masses, chacun "à sa place" … L'équité est
indissociable de l'efficacité sociologique.
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Efficience
Le terme efficience n'est pas synonyme d'efficacité car il parle du prix de la réussite, en
temps, en argent, mais aussi en investissement psychologique. Nous le rapprochons de l'idée
de rendement (personnel et sociologique) … sacrifier toute sa jeunesse pour une médaille aux
jeux olympiques, c'est un prix : celui du renoncement à d'autres objectifs.
Ethique
Dans notre propos, il s'agit simplement de dire "le référentiel de valeurs personnelles" …
Avec Deleuze (2003) ou Ricoeur (1990), j'adopte la distinction entre éthique et morale
considérant la première comme personnelle et la seconde comme adoptée par un groupe.
Quant à la déontologie, il s'agit d'une morale professionnelle (tacite ou explicitée). Ainsi,
l'euthanasie pose-t-elle un triple problème au médecin.
Equité
Plutôt que "chacun selon son droit", renvoyant à la justice, l'équité concerne davantage le
monde concret, celui de la balance : autant de lentilles pour chaque enfant ! Mais Esaü en veut
plus parce qu'il est l'aîné … ça se discute ! Est-il équitable d'en troquer contre son droit
d'aînesse ? Ça se discute davantage encore ! Ainsi s'opposent : "les mêmes chances pour tous
au départ", la pédagogie différenciée (chacun selon ses besoins, Abernot, 1993), chacun selon
son mérite, la discrimination positive, etc. On sent bien que l'équité est très … idéologique !
Evaluation.
Admettons avec les dictionnaires généralistes qu'il s'agit de "donner la valeur de …". J'opterai
pour une définition en deux natures, mesure (supposant unité) et appréciation (impliquant
subjectivité de l'évaluateur) et deux fonctions, contrôle et progrès (Abernot, 1996).
Au-delà de la nature et de la fonction, il est indispensable de préciser le contexte :
évaluateur(s), moyen(s) objet(s), produit(s), destinataire(s) de l'évaluation.
La problématique consiste donc à préciser quelques grandes finalités de l'éducation et à
évaluer le degré, les moyens et le prix de leur avènement.
II. Evaluer quoi ? pourquoi ? comment ?
1. La plus élémentaire approche de l'efficacité de l'éducation passe par la mesure de l'atteinte
des objectifs opérationnels ! L'élève X sait que 2x2 font 4 ou il ne le sait pas. Si l'unité est la
réponse correcte, nous sommes bien dans de la mesure, c'est-à-dire du dénombrement
d'unités. Les outils qui la servent sont réputés très fidèles* car très fermés (exercices, QCM,
production de mots ou ne nombres attendus. etc.).
Dans cette optique, deux aspects sont à faire entrer en ligne de compte : la validité systémique
et la validité sociologique.
- Est-ce qu'un point obtenu par la production du résultat attendu parle "pertinemment" de ce
dont il est censé parler, disons par exemple "savoir faire une multiplication" ? (on voit ici que
3,5 x 0,01 n'est peut-être pas contenu dans la bonne réponse à 2x2 !
Par ailleurs, a-t-on suffisamment répété l'opération pour être sûr de sa résistance dans le
temps, de sa mobilisation pertinente, etc.
- Au-delà de la validité systémique (des objectifs opérationnels comme représentants
d'objectifs plus complexes) se surajoutent ceux qui concernent la généralisation sociologique
des preuves. Est-ce qu'un élève fait preuve pour la classe ? Préfère-t-on atteindre une
distribution Gaussienne (Antibi, 2003) dans laquelle beaucoup d'élèves se retrouvent
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"moyens" ? A moins que l'on tienne à considérer efficace, le système qui donne cent pour cent
de réussite (courbe en "J" voire en "i") ?
Il y a donc deux préliminaires à l'évaluation de l'efficacité par le biais de la mesure de
l'atteinte de contenus élémentaires :
- parlent-ils vraiment de ce que nous cherchons à évaluer ?
- sont-ils atteints par une minorité, une majorité ou la totalité des élèves ?
On voit bien que l'avantage en objectivité se paye par un risque fort en validité. C'est pourtant
le choix de nombre d'études internationales étalonnées selon une distribution gaussienne et
dont l'importance vient conforter une tendance au bachotage et à la sélection a priori.
2. En ce qui concerne les objectifs généraux, censés être servis par les objectifs opérationnels
avec validité, ils renvoient classiquement aux trois domaines de B. Bloom (1969) : cognitif,
affectif et psychomoteur. Le domaine cognitif se laisse, pour ses premiers objectifs, assez
facilement mesurer car ceux-ci sont réductibles à des unités élémentaires opérationnalisables.
Une connaissance est acquise lorsqu'elle est reproduite selon le modèle, la compréhension est
acquise lorsqu'un rapport entre éléments de connaissance est repéré, établi ou utilisé avec
succès (3/2=6/4 … la route que j'ai prise, etc.). De même pour l'application ! En revanche,
l'analyse est un esprit ! ON appréciera sa pertinence … mais qui appréciera ? l'auteur de
l'analyse lui-même, le formateur, un jury, … ? La synthèse est déjà très "signée", malgré
certains critères techniques. De même, l'objectif terminal "évaluation", ne peut faire l'objet
que d'une appréciation (échappant complètement à la mesure).
L'élève qui rend un devoir de mathématiques est ainsi noté sur la base de certaines mesures (le
nombre de réponses justes à des opérations) et apprécié dans sa démonstration, sa clarté, son
originalité, etc. ce qui explique la fidélité moyenne des outils semi-ouverts comme la
résolution de problème (sans parler de celle des outils très ouverts comme la dissertation !).
On se rend bien compte que dans le domaine affectif (correspondant en fait au monde des
goûts et des valeurs) les comportements mesurables (ou niches docimologiques) sont rares (ou
ridicules). Un élève qui se met au travail de lui-même est soit obéissant, soit intéressé par
l'activité, soit imitateur de son voisin … mais comment le mesurer ? Pas d'unité, pas de
mesure !
Dans le domaine psychomoteur, un élève qui réussit son mouvement gymnique ne peut faire
l'objet que d'une évaluation de nature appréciative. La note ne doit pas tromper, elle n'est ici
nullement résultat d'une mesure mais simple traduction d'une impression sous forme chiffrée
(12/20 n'a rien d'un décompte de 12 unités). L'éducation sportive est donc divisée en deux
mondes, celui du mesuré (nombre de buts, unités de longueur, de temps, etc.) et celui de
l'apprécié (la note artistique du patinage, par exemple).
Admirons le fait que les trois domaines taxonomiques confinent en une finalité remarquable
qui pourrait se nommer "être au monde" puisqu'il s'agit d'évaluer (soi, les autres, le monde),
de se forger une personnalité (caractérisation) et d'interagir avec l'environnement
(expression). Trois aboutissements taxonomiques d'une certaine cohérence quand on
considère l'efficacité éducative du point de vue du développement personnel. L'éducation
atteint-t-elle cette confluence ? A ce niveau, nous entrons dans la sphère des finalités
3. Finalités éducatives. Les philosophes, les sociologues mais aussi les historiens de
l'éducation nous renseignent sur les grandes tendances éducatives, les grandes visées d'une
société à une époque donnée, dans une région du monde donnée. Mais plus les forces sont
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puissantes (d'ordre lointain comme disent les sociologues) ou constituantes d'un habitus
profond, plus elles sont difficiles à objectiver. Il n'est donc plus question de mesurer. Il faut
sentir ! Sentir que "le respect se perd !", que "la violence augmente", que "la vocation se
meurt", etc.
Dans le domaine des finalités éducatives, il faudra se satisfaire de déclarations, d'avis, de
ressentis, d'opinions, même si le chercheur fait des calculs sur le décompte de mots
catégoriels dans un discours ou compte certains comportements comme autant de
représentants de finalités.
Conclusion. Il est envisageable de se mettre d'accord sur l'efficacité éducative lorsqu'il s'agit
de compter le nombre d'objectifs opérationnels atteints. C'est ce que font les prestigieuses
études internationales en établissant des pourcentages d'acquis par individu et par classe d'âge
pour les comparer dans le temps ou l'espace.
Mais il faudrait d'abord savoir si ces acquis parlent bien de ce que nous cherchons à faire
acquérir, car en fait, les adultes (mêmes ceux des CSP aisées) ne savent qu'une infime partie
des savoirs concrets assimilés dans leurs années d'études ! Que leur reste-t-il donc de si
différenciant ?
En revanche, tout le monde a un avis ! Il dépend des positions idéologiques et souvent,
d'expériences proches (souvenirs personnels et vécus de ses propres enfants).
Donc pour évaluer l'efficacité éducative des institutions il faut d'abord :
1) définir la finalité éducative visée (une idée de l'homme éduqué)
2) se doter de critères d'atteinte : comptage d'unités valides et opinions des divers intéressés.
III. Equité ou efficacité pour qui ?
Nous avons vu que l'efficacité renvoyait aux finalités, aux moyens de les atteindre et à la
pertinence de l'évaluation. Ces finalités éducatives intègrent une composante indispensable : l'
effectif visé.
- Si l'efficacité éducative concerne un individu, on s'attachera (docimologiquement) à ses
résultats et à son envie de poursuivre ses études (Abernot, 1996).
- Si le but à atteindre est une haute CSP pour une minorité et que dans les faits, 5% des
individus d'une classe d'âge y parviennent … deux questions se posent :
- Est-ce bien ainsi ?
- L'école y peut-elle quelque chose ? Comment et à quel prix ?
Si l'on considère que toute la population doit savoir lire et que 90 % y parviennent :
- Est-ce bien ainsi ?
- L'école y peut-elle quelque chose ? Comment et à quel prix ?
Donc efficacité sociologique et équité s'articulent dans un modèle d'aboutissement et de
moyens. Par exemple, pour les résultats :
- Modèle du champ de blé : Tous les individus puisent dans le terreau disponible et atteignent
sensiblement la même hauteur
- Modèle de la locomotive : pour que tout le train arrive, il faut qu'il y ait une locomotive
- Modèle de la sélection naturelle : on scolarise tout le monde et advienne que pourra !
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- Modèle pyramidal : Education minimale pour une large base et une minorité au sommet
Le premier modèle passe pour utopique ! tous les autres prônent, assument ou admettent une
différenciation de résultats mais aussi de moyens en faisant ici aussi appel à des modèles :
- Modèle de l'égalité des chances : Autant pour chacun au départ.
- Proportionnalité directe : Promotion des plus performants
- Proportionnalité inverse : davantage de moyens pour les plus en difficulté (pédagogie
différenciée, discrimination positive)
- Proportionnalité évolutive : aide aux faibles jusqu'à l'atteinte d'un minimum, aide aux forts
pour la suite …
Ce qui est indéniable, c'est que les classes sociales se reproduisent toujours autant aujourd'hui
qu'hier. On comprend que les bénéficiaires s'en trouvent bien mais il est remarquable de
constater que les classes moyennes et défavorisées s'en contentent, aussi !
En fait, rien n'est plus habile que de faire admettre les faits de l'intérieur. Tout tient en un
slogan : "ceux qui travaillent réussissent donc ceux qui ne réussissent pas n'avaient qu'à
travailler" ! Personne ne peut s'opposer à cette apparente logique. Et c'est ainsi que les enfants
des CSP moyennes et basses veulent eux-mêmes quitter l'école !
Au-delà de ce tour de force rhétorique, il reste à savoir si l'on peut et si l'on veut atteindre un
autre résultat du point de vue des effectifs et si oui comment ?
Difficile de naviguer entre utopie et cynisme car les pays à forte immigration (indicateur
d'enviabilité) ont adopté le modèle gaussien de la locomotive : petite élite reproductible, gros
effectifs dans les classes moyennes, minorité d'analphabètes. Le cynique dirait même qu'il
faut des analphabètes pour supporter d'être dans la classe défavorisée ! Comme il faut des
chômeurs pour minimiser les revendications ! Le cynique dirait que le travail généralisé est
indispensable au maintien de la classe dominante, or pour travailler il faut que la masse sache
lire. Par ailleurs, pour que les parents travaillent, il faut que les enfants soient gardés !
Et rien ne change cela, ni les bonnes intentions ni les réformes perverses !
Mais il faut avouer qu'historiquement, les expériences de communauté ou d'auto gestion sur
base d'égalité ont toutes échoué !
Prenons le cas de l'enseignement supérieur : il est notoire que l'effectif est passé de quelques
privilégiés pendant un millénaire à la moitié d'une classe d'âge. Rien de plus démocratique !
Est-ce qu'une moitié de la population va rejoindre les CSP hautes ? Pas du tout ! Erreur
d'orientation, inadaptation au travail personnel, liberté mal préparée … les jeunes échouent
massivement en premier cycle et pour ceux qui sortent qualifiés de l'université, seuls les
diplômes des filières royales sont monnayables : école d'ingénieurs, droit, médecine …
comme par hasard, ce sont les filières très sélectives !
Conclusion.
On se scandalise des 10 % d'analphabètes, de l'échec massif dans les premiers cycles
universitaires, de notre classement international à la baisse, etc. Alors on pose quelques
rustines, on cite un nouveau riche issu des classes populaires, on baisse la barre … Ainsi va-ton récompenser les universités qui ont de meilleurs résultats en licence. Mais par quel miracle
les étudiants vont-ils devenir plus motivés, et les profs plus intéressants ? Le seul claquage de
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doigts efficace va consister en un abaissement des exigences, c'est évident ! Et quand bien
même tous les étudiants obtiendraient un master … qu'en feraient-ils ?
Tant qu'il faudra qu'un fils d'ouvrier travaille plus qu'un autre à l'école et qu'il résiste à la
pression familiale le poussant à aller "gagner sa vie", rien ne changera ! On voit par là que les
"mesurettes" ne changeront rien. L'école ne peut certes pas tout mais elle cautionne la
reproduction (par l'effet de halo, la constante macabre, etc. ).
IV : Appuis externes.
1. Pisa et autres évaluations officielles !
Prenons des exemples récents. La revue en ligne L'étudiant du 10 septembre 2008 propose un
classement des lycées français, "que vaut votre lycée", qui s'appuie sur trois critères :
- le taux de réussite au BAC
- La capacité à faire progresser l'élève (prise en compte de données sociologiques)
- Le fait de se séparer ou non des élèves en difficulté.
Prendre en considération des données plus intelligentes que le taux de réussite brut, ce n'est
déjà pas si mal ! On sent bien que les auteurs de cette enquête quantitative ont le souci de
déjouer l'illusion d'une réussite brillante par des moyens de simple sélection à l'entrée en
seconde ou en terminale.
Mais discutons ces résultats !
Nous avons ici affaire à un critère de résultat et à deux critères de moyens.
Le lycée n'est pas qu'une "boîte à bac" ? Il est aussi un lieu où les élèves passent leur vie,
rencontrent d'autres jeunes, se confrontent à des adultes, s'expriment, apprécient certaines
matières, etc. En un mot, ils se forment ! Que les deux sens de réussite (bonheur et succès)
soient liées, c'est certain, mais les deux critères ne sont pas réductibles l'un à l'autre !
Par ailleurs, le baccalauréat est le premier diplôme universitaire. Il est censé avoir une
certaine validité pronostique quant à la réussite dans le supérieur auquel il donne accès ! Or sa
validité prédictive est lamentable !
Il conviendrait aussi d'introduire d'autres critères dans un système factoriel à visée
comparatiste, comme le taux de suicide, l'obésité, la fréquentation des instances culturelles,
l'usage des substances délétères, l'abus de médicaments, les accidents, la délinquance, etc.
toutes données facilement mesurables.
Mais c'est surtout une approche qualitative qui permettrait la compréhension, donc l'action car
il ne s'agit pas tant de faire évoluer la machine éducative que les représentations y affairant
(Lewin, 1947).
2. Le poids des variables.
Finalités. Les sociologues de l'éducation le savent mieux que moi, les finalités éducatives
alternent historiquement, au gré des événements, des progrès scientifiques, etc. entre un pôle
"pro individu" et un pôle "pro société". Dans les discours politiques par exemple, la
promotion de l'éveil, de la réussite individuelle, de l'autonomie occupent une période pour
laisser place ensuite au patriotisme, au règlement, à la citoyenneté, etc. Il est facile de
constater que les années 70 sont très favorables à l'individu et que ce début de siècle s'inscrit
dans un retour notoire aux normes, à la hiérarchie, au mérite, etc. Il faut donc considérer
l'efficacité à cette aulne-là. Malheureusement, lesdites finalités ne sont jamais que réactives et
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si l'école réintroduit la distribution des prix, c'est qu'elle ressent ce type de mesure comme
souhaitable, voire, souhaitée. J'ai bien peur que la difficulté à rendre heureux ou sociable ne
soient que très peu diminuées par ce type de mesure.
Si je peux ajouter mon grain de sel (je n'ai pas dit de sable), toute éducation a pour idéal la
liberté mais pas la liberté au sens d'errance comme celle de l'étudiant de premier cycle ou du
vagabond (l'être le moins libre de tous, puisqu'il n'a aucun choix) mais au sens de possibilités.
Eduquer c'est donc donner les moyens de choisir.
Les chercheurs nous renseignent très nécessairement sur le poids des variables
psychologiques, sociologiques, géographiques, institutionnelles, etc. Malheureusement (pour
le chercheur), elles constituent un système complexe que l'analyse factorielle approche mal !
La valeur d'une variable isolée s'en trouve très … relativisée. Son poids est très dépendant du
contexte (Bru, 2004).
Prenons une variable classique, l'effet maître. Dans un article récent, Vincent Carette (2008)
remet en question les caractéristiques classiquement attribuées à l'enseignant efficace :
Il est structuré, progresse par étape, distingue le fondamental de l'accessoire, il évalue les
contenus enseignés, il félicite avec parcimonie, il est expert et non animateur, il pratique une
pédagogie collective non différenciée. Il apprécie les exercices individuels. Il est rigoureux !
Les enseignants de ce type sont statistiquement dans les classes les plus performantes aux
tests nationaux (enseignement "centré sur le produit").
Ce profil s'oppose à celui de l'enseignant impliquant davantage l'élève, qui organise des
situations d'apprentissage, met les élève en recherche, leur propose des situations problèmes,
cherche à modifier leur représentations grâce à des obstacles cognitifs. Il pratique une
évaluation formative, des travaux de groupe, de la pédagogie différenciée, travaille avec les
élèves en difficulté, suscite le désir d'apprendre, explicite le rapport au savoir et le sens du
travail scolaire. (type "centré sur l'élève" peu performant aux tests internationaux).
La thèse de Carette, est que l'efficacité dépend de la manière dont on la révèle. Si l'on s'en
tient aux premiers objectifs de la taxonomie de Bloom donnant lieu à mesure, en effet les
connaissances sont plus nombreuses suite à un enseignement centré sur le produit, ce qui est
justement le type d'évaluation servant aux comparaisons nationales et internationales. Mais
dès que l'on s'intéresse à l'utilisation des acquis dans des situations problèmes mettant en jeu
des compétences de l'élève comme ingéniosité, collaboration, motivation, etc. les enseignants
du 2ème type réussissent mieux.
3. Travail puis plaisir ou travail dans le plaisir ?
Tout le monde souhaite que les élèves possèdent des savoirs et des compétences, qu'ils
sachent le produit de 2x2 et qu'ils aiment les mathématiques. La différence n'est pas là. La
différence concerne le rôle de ces savoirs : servir l'individu ou servir la société, ce qui devrait
revenir au même, mais n'y revient pas.
La différence porte aussi sur les moyens : d'abord le solfège ensuite la musique ou d'abord le
plaisir de jouer et au fur et à mesure du besoin, le solfège. Cette option d'ordre détermine les
gagnants du système. Il n'y a qu'à voir le taux de musiciens adultes en France !
Mais derrière cette position quant à l'ordonnancement, les spécialistes mais aussi le grand
public (ce qui indique bien l'aspect politique des choses) s'opposent sur la motivation
préliminaire à l'effort versus l'effort d'abord avec renforcement a posteriori et externe
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(satisfaction des adultes, notes, promesses, etc. ) censé payer plus tard. Les uns disent que
sans plaisir l'enfant n'apprend rien, les autres, que sans le laborieux accès aux savoirs le
bénéfice ne viendra jamais !
Premièrement, comme souvent, plusieurs chemins mènent à Rome à condition d'être suivis
jusqu'au bout ! C'est le problème !
Deuxièmement, et insidieusement, se joue ici une tectonique des classes car les mieux placés
sociologiquement savent très bien qu'au petit jeu du plaisir différé, ils seront favorisés par
une sélection qui permet l'héritage (Bourdieu & Passeron, 1964). Et ce par cumul d'effets : les
fonciers socio-culturels (ou seulement culturels, comme les enseignants) ont les mêmes codes
que l'école. Ils cautionnent, discutent, exploitent les apprentissages de la journée, au besoin, il
font donner des cours particuliers (Glasman, 2001).
De leur côté, les professionnels apprécient les élèves qui leur renvoient une image favorable et
donnant du sens à leurs efforts. Ils succombent volontiers à l'effet de Halo (Pieron, 1967).
Ainsi, dans le 16ème arrondissement, le cours sur Champollion a du sens … à cause des
vacances en Egypte, des discussions avec les parents, voire les amis des parents. Dans le
20ème, Champollion est peu connu !
Bien sûr, l'exception confirme la règle. On connaît tous des enfants qui ont traversé les strates
sociales. Pour autant, l'école fonctionne à base de représentations, voire de croyances (Sirota,
2006). J'ai moi-même publié (Abernot, 88) les résultats d'une enquête montrant que les élèves
les plus performants étaient ceux dont les parents avaient des représentations très favorables
ou très revendicatives vis-à-vis de l'école. Les parents des élèves faibles n'ont pas (ou ne
donnent pas) d'avis sur l'école.
J'espère avoir montré que le choix de l'ordre "acquisitions et jouissance différée" plutôt que
"acquisition par le plaisir", conforte les classes aisées par renoncement volontaire des classes
sociales défavorisées.
4. La constante macabre, l'effet de halo sociologique, etc.
Antibi (2003) nous rappelle la prégnance de la normalité statistique (connue depuis longtemps
des docimologues). J'ai moi-même retiré d'une pile de copies corrigées toutes celles qui
avaient obtenu 10, 11 ou 12 et donné à de nouveaux correcteurs la pile allégée. Evidemment,
la distribution nouvelle se recale sur la courbe de Gauss et il y a de nouveau une majorité de
copies moyennes !
On voit ici l'image sous-jacente de l'attendu (y compris chez les phobiques des statistiques).
Ne parlons pas des évaluations internes où l'enseignant s'auto-évalue en tant que pédagogue
sachant que les élèves en sont où il les a (lui-même) amenés.
Ainsi le corps enseignant promeut-il de plusieurs manières et pour plusieurs raisons, l'ordre
des classes sociales. L’évaluation est aussi une pratique favorisant la gestion sociale
(Gimonnet, 2007).
Il faut dire que le système d'évaluation permet la dissimulation de ces effets en relativisant les
notes à des référents limités : le chapitre, les élèves de la classe, l'année, la nation. Avoir
12/20 tout au long de sa scolarité, ce n'est pas stagner en acquisitions. Il suffirait d'un
référentiel international sur la scolarité entière pour que l'iniquité du système saute aux yeux.
En attendant, au vu des faits, il semble que l'option actuelle soit un composé de finalités
sociologiques d'élévation des masses jusqu'à la fin du collège (savoir lire, écrire, compter) et
de sélection ensuite par le lycée général ou professionnel et les sorties prématurées. Le choix
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des filières du supérieur prend la relève. S'il est admis qu'il doit en être ainsi, la réussite est
acceptable car "seulement 10% des jeunes adultes ne savent pas lire couramment et 5% d'une
classe d'âge parvient aux CSP supérieures et ce dans un système d'héritage très solide.
Si l'on se fait une idée de l'équité comme brassage des classes sociales, (même en gardant les
mêmes quotas de CSP) il va de soit qu'on est loin du compte. Il faudrait ne pas savoir
d'avance qui va faire partie des 5% ce qui est loin d'être le cas !
Mais n'accablons pas les acteurs du système éducatif. Beaucoup de variables leur échappent.
D'ailleurs personne ne les maîtrise !
Je ne vais faire que rappeler la force de la connaissance du métier des parents sur les notes
(Pieron, 1967) ou celle de l'effet Pygmalion (Rosenthal, 1971) et d'une manière générale, de
l'influence du contexte sur les notes. Mais la compréhension de ces phénomènes est moins
connue, à savoir un principe d'économie : il y a en effet, dix fois moins de chances de se
tromper en créditant d'une bonne note une fille de médecin, sans lire sa copie qu'en faisant de
même avec un fils d'employé. Les enseignants sont comme tout le monde : "normaux".
Malheureusement, il cautionnent ainsi la normalité socio-statistique.
5. Données sociologiques internationales.
Du point de vue international, le modèle locomotive semble l'avoir universellement emporté
malgré les "seulement" 10 à 20 % des jeunes adultes analphabètes d'occident, 50% dans le
tiers monde et 90% dans le quart monde.
Pour autant, dans la même phrase, on entend tiers monde et quart monde, preuve que le
système n'est pas si universellement bénéfique que cela, surtout si l'on considère que le PIB
par personne est passé entre les 45 pays les plus pauvres et les 29 pays les plus riches de 1/40
en 1950 à 1/80 en ce début de siècle. Comme en plus il y a beaucoup plus d'enfants par couple
et que les pays en voie de développement (les mal nommés) consacrent deux fois moins à
l'éducation que ceux de l'OCDE, ça fait près de 500 fois moins par enfant ! (Orivel, 2002).
Donc :
Si l'on compare le PIB par tête, nous sommes dans les pays performants !
Si l'on regarde la progression du niveau de vie général par tranche de dix ans sur un siècle, par
exemple, c'est convenable dans les pays du nord.
Si l'on s'intéresse au rapport du premier quartile français contre le dernier, c'est l'image de
l'élargissement de la faille qui vient.
Si l'on examine les PIB du point de vue d'une morale internationale, c'est la honte qui vient !
Mais au-delà de la honte que chacun ressent et pallie comme il peut, il serait tout simplement
judicieux de se demander si le fossé va pouvoir se creuser indéfiniment entre le nord et le sud
sans retour de bâton. On s'effraie de la pénurie de pétrole ou du réchauffement climatique (qui
pourraient avec un peu de chance se compenser), on devrait peut-être considérer le
déséquilibre de la qualité de vie inter continents comme encore plus menaçant ! L'histoire est
pourtant riche d'enseignement sur ce qui arrive aux affameurs !
6. Qu'en pensent les usagers ?
Avec quelques étudiants, nous travaillons sur l'analyse de discours, notamment politique. Je
leur ai demandé d'établir quelques données quant à l'efficacité et l'équité en éducation. Je ne
suis pas moi-même spécialiste mais je vais dire quelques premiers résultats à paraître
ultérieurement.
21
Ils montrent par exemple, que l'efficacité et l'équité sont des termes utilisés dans les discours
de droite comme de gauche mais l'étude du contexte indique des référents différents. Dans les
discours des derniers gouvernements, par exemple, efficacité est associée à travailler,
éduquer au respect, faire acquérir des connaissances. Alors que dans les discours des ministres
de gauche, efficacité renvoie à développement de la personne, poursuite des études,
motivations du point de vue individuel et élévation générale du niveau de culture du point de
vue sociologique.
En ce qui concerne l'équité, la droite comme la gauche évoquent les progrès d'accès à
l'éducation (incontestables depuis la guerre) mais concernant les résultats attendus, la droite la
voit comme devant jouer (et jouant) son rôle d'orientation (concrétisé par la sélection), avec
toujours un clin d'œil à l'électorat comme dans "discrimination positive" dont les connotations
n'échappent à personne alors que "promotion différenciée" aurait indiqué le même principe.
Les mêmes étudiants ont élaboré une enquête sur les représentations du grand public. Je ne
vais faire qu'évoquer les premiers résultats. Les CSP les plus aisées (soit riches, soit cultivées
soit les deux) contestent le système, principalement sur le fait qu'on ne s'occupe pas assez de
leur progéniture, et sur le fait qu'il faille attendre les plus lents, qui en plus, "mettent la
pagaille". Les CSP intermédiaires sont plutôt satisfaites jusqu'au collèges et se partagent
ensuite pour rejoindre les CSP aisées critiques ou les CSP pauvres peu loquaces. Ces
dernières consomment du système scolaire comme gardiennage et sont vite convaincues que
les études doivent vite devenir professionnelles après l'adolescence.
Pour les études post-bac, nous avons interrogé les étudiants eux-mêmes. Pour ceux des
enfants de pauvres qui résistent et vont à l'université, il sont dans les filières peu sélectives et
ne contestent pas leur responsabilité quant à leur échec. "Trop de liberté", "Pas assez de
courage". Ils incriminent même le système qui laissent progresser "trop de gens qui n'ont rien
à y faire", "s'il y avait moins de monde dans les amphis, ils auraient peut-être réussi !"
Conclusion.
Les chercheurs entre eux, le grand public, les partenaires de l'éducation et même les politiques
se déclarent désireux d'une certaine efficacité, respectueuse d'une certaine équité ! Mais
derrière les mots se cachent des oppositions radicales.
Pour le dire sans les sous options, les tenants du modèle gaussien sont aussi croyants dans
celui de la translation globale (dit locomotive). C'est bien sûr la position de l'élite mais aussi
celle de beaucoup de citoyens qui se pensent responsables de leur positionnement social.
Les tenants d'une répartition plus égalitaire des biens matériels et culturels n'ont pas de
modèles historiques heureux à faire valoir !
Pourtant, le système ne saurait être considéré idéal tant que l'on a pas introduit trois variables
très lourdes dans l'évaluation : la population (individu, classe, nation, humanité), les critères
de l'évaluation (quantitatifs et qualitatifs) et la perspective temporelle.
A ce propos, quelques remarques et quelques positionnements.
22
Individu : S'il s'agit de l'initiation au bonheur, il ne faut pas oublier que le taux de suicide a
très nettement augmenté à partir des années 70. Des milliers de jeunes tentent de se suicider
(40 000 par an soit 6,5 % des 14 - 24 ans) et plus de mille y parviennent. Je passe les
accidents de la route, la drogue, etc. Le bonheur ne semble pas généralisé ! Les pays
nordiques ou le Japon, souvent cités en exemple, ne sont pas enviables de ce point de vue.
Classe : il est étonnant que les tenants de la locomotive nationale s'opposent aussi fort au
collège unique ! Ainsi, premier d'une classe en difficulté n'est pas toujours prometteur ! Je
n'insiste pas sur la nécessité d'un référentiel international sur toute la formation initiale.
Nation : Les économistes ne semblent pas convaincus que les 10% d'analphabètes français
qui, indéniablement, coûteraient cher à hisser au niveau minimal, devraient l'être. Pourtant,
sur une génération, le coût de l'éducation sur celui des morts précoces, des handicapés, des
hospitalisés, des emprisonnés, des chômeurs, etc … serait certainement convaincant. A moins
qu'un cynisme débridé fasse considérer ces très malheureux comme incitatifs à la résignation
des moins mal lotis !
Population mondiale : du point de vue international, le fossé se creuse et la variable temps
n'est pas du tout favorable ! La faille nord - sud se creuse.
Arrive l'heure de clôre et concomitamment celle des propositions. J'ai bien quelques idées qui
perdurent de 68 mais je ne crois pas qu'il faille jeter le bébé avec l'eau du bain.
Fidèle à mon raisonnement, je propose de réfléchir aux finalités des systèmes éducatifs (donc
corrélativement, à une évaluation) ne favorisant pas l'élite de façon indécente.
Je pense qu'il faut pondérer différemment la valeur du cognitif, de l'affectif et du
psychomoteur. Si l'homme s'est émancipé de son animalité c'est en sublimant ses émotions et
en produisant des idées. Je verrai d'un bon œil que l'éducation sportive et artistique soient
promues à un rang prioritaire. Il me semble qu'il faut chercher du côté de la débrouillardise,
l'originalité, la gestion du temps, la connaissance de soi, les relations de groupe, la pédagogie
institutionnelle, l'eurythmie des anthroposophes, l'intelligence situationnelle, l'écologie, la
citoyenneté proche et mondiale, l'utilisation des connaissances, les compétences existentielles,
etc., favorisant ainsi l'assise des savoirs (Abernot, 1993).
En ce qui concerne les données internationales, je n'ose comprendre ce qui retient d'appliquer
la taxe Tobin ou même Chirac (sur les billets d'avion) ! J'ai travaillé 5 ans en Afrique, j'en ai
ramené, entre autres, quelques idées qui ne demandent qu'à être discutées … car les
financements ne peuvent être facteurs de progrès que grâce à des bras, du cœur et des idées !
(le psychomoteur, l'affectif, le cognitif).
Bibliographie.
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23
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Sites internet
http://lambesc.educaix.com/cvabernot/abernot.htm
L'Etudiant <[email protected]> N° 10 sept 2008.
Abernot Yvan,
UMR ADEF
Aix en Provence.
24
Efficacité, éthique et méthodologie dans la recherche-action existentielle
René Barbier (EXPERICE, CIRPP), François Fourcade (CIRPP)
Que peut-on dire des tenants et des aboutissants du rôle et de la fonction du chercheur
collectif dans la méthodologie spécifique de « recherche-action existentielle » ; ces
caractéristiques, son animation à caractère psychosociologique, sa dialogique de coformation
chercheurs-praticiens. Quels sont l'intérêt, la portée et les limites sur le plan éducatif
aujourd'hui ?
Nous partons de deux recherches-actions qui ont été, spécifiquement, organisées et animées
dans l’optique existentielle.
1. La recherche-action existentielle (R-A.E)
La méthodologie de recherche a été menée selon la problématique et la méthodologie de
la recherche-action existentielle telle que la propose le professeur René Barbier. De quoi
s’agit-il ?
La recherche-action est une voie de recherche en sciences sociales qui conjugue
étroitement la théorie et la pratique. Elle date des années qui ont précédé et suivi la
seconde guerre mondiale, aux Etats-Unis, notamment sous l’influence de Kurt Lewin, un
universitaire d’origine allemande, son fondateur. La recherche-action, plus exactement,
est une action visant à résoudre un problème pour un groupe spécifique et une réflexion
théorique sur l’action menée dans ce sens.
Depuis les années soixante-dix, René Barbier a contribué à développer, en France, ce
champ théorico-pratique en sciences sociales. En particulier, il s’est attaché à approfondir
la question de l’impact des institutions dans la recherche-action, puis dans les années 8090, l’influence plus complexe encore de l’affectivité des personnes et des groupes et de
leurs imaginaires. C’est ainsi qu’il a parlé de plus en plus de « recherche-action
existentielle »1.
Le chercheur en recherche-action ne peut plus se définir simplement comme un
« sociologue » ou un « psychosociologue ». Sa compétence plurielle dépasse largement ce
type de classification monodisciplinaire liée à une pensée que Kurt Lewin appelait
aristotélicienne. Dans le cours de sa pratique, il est parfois sociologue, ou psychosociologue,
ou philosophe, ou psychologue, ou historien, ou économiste, ou inventeur, ou militant, etc. Il
découvre les régions de la connaissance d’une pensée galiléenne acceptée dans sa plénitude
signifiante.
Le chercheur joue alors son jeu professionnel dans une dialectique qui articule sans cesse
l'implication et la distanciation, l'affectivité et la rationalité, le symbolique et l'imaginaire, la
médiation et le défi, l’autoformation et l’hétéroformation, la science et l’art.
Le chercheur en recherche-action n'est ni un agent d'une institution, ni un acteur d'une
organisation, ni un individu sans appartenance sociale, par contre il accepte éventuellement
ces différents rôles à certains moments de son action et de sa réflexion. Il est avant tout un
1
Barbier R. (1977), La recherche-action dans l’institution éducative, Paris, Gauthier-Villars et (1996) La
recherche-action, Paris, Anthropos, ainsi que la problématique générale de l’approche transversale, (1997)
L’approche transversale, l’écoute sensible en sciences humaines, Paris, Anthropos
25
sujet autonome et plus encore un auteur de sa pratique et de son discours. Le processus
d'autorisation - devenir son propre auteur - selon Jacques Ardoino, le conduit avec d'autres, à
produire dans l'inachèvement, un groupe-sujet dans lequel viennent jouer les conflits et les
imprévus de la vie démocratique.
En cela, la recherche-action est éminemment pédagogique et politique. Elle sert l'éducation de
l'homme citoyen soucieux d'organiser l'existence collective de la cité. Elle est par excellence
de l'ordre de la formation, c'est à dire d'un processus de création de formes symboliques
intériorisées, animé par le sens du développement du potentiel humain.
La recherche-action existentielle, selon René Barbier, se définit comme une voie de recherche
en sciences humaines qui est un art de rigueur clinique, développé collectivement, en vue de
l’adaptation relative de soi au monde.
1.1. Un art
Plus que preuve, il s'agit ici d'épreuve comme aime à le dire Jacques Ardoino à propos de la
démarche clinique (Ardoino 1977). La recherche-action existentielle (R-A.E), comme la
médecine, relève de l'art tout autant, si ce n'est plus, que de la science. Nous voulons dire par
là qu'il s'agit de mettre en oeuvre des facultés d'approche de la réalité qui se réfèrent aux
domaines de l'intuition, de la création et de l'improvisation, au sens de l'ambivalence et de
l'ambiguïté, au rapport à l'inconnu, à la sensibilité et à l'empathie, comme à la congruence
dans le rapport à la Connaissance introuvable ou « voilée » en dernière instance comme l’est
le réel (Bernard d’Espagnat). L'esprit de création est au coeur de la R-A.E sans jamais savoir
ce qui va advenir en fin de compte. Ainsi, proposer une R-A.E sur une meilleure écoute des
personnes en fin de vie et des souffrants dans un grand hôpital de la région parisienne était de
l'ordre d'un pari (recherche-action dans les années 80) :
Sortir du cadre habituel du stage de formation où l'on fournit des « outils » pour visser la
réalité selon la normativité dominante. Dans ce domaine, l'outil n'est pas encore inventé et son
ersatz n'arrête pas de glisser entre les mains.
Proposer une réflexion-action qui vise une transformation du rapport de soi au monde des
mourants dans le contexte de la culture hospitalière.
Toucher ce contexte par une compétence au « non-agir », qualité de ce qui s'actualise sans
chercher midi à quatorze heures, simplement par l'expression individuelle et collective de ce
qui a été fait et pourrait être refait, différemment.
1.2. De rigueur clinique
« Clinique », au sens médical ou psychologique, veut dire « au chevet » du patient. On dira
simplement que le chercheur en sciences sociales travaille « avec » et non pas « sur » les
sujets qu’il observe ou qu’il interroge. Mais son implication ne l’empêche pas d’être
rigoureux, au sens scientifique du terme. Certains expérimentalistes ont trop souvent tendance
à ne voir la rigueur scientifique que là où des mesures chiffrées apparaissent. Tout clinicien
sait bien que la rigueur est nécessaire à son activité :
Rigueur du cadre symbolique dans lequel l'expression de l'imaginaire et le dépliage de
l'implication vont pouvoir s'opérer.
26
Rigueur de l'évaluation permanente de l'action aux objectifs intermédiaires que se donne le
groupe impliqué pour avancer vers son but.
Rigueur des champs conceptuels et théoriques dont on articule les frontières sans méconnaître
leurs zones floues, leurs incertitudes.
Rigueur de l'implication dialectique du chercheur, de ce lien entre la complexité et
l'implication que Jean-Louis Le Grand nomme l' « implexité ». Le chercheur est à la fois
présent de tout son être émotionnel, sensitif, axiologique, dans la recherche-action et présent
de tout son être dubitatif, méthodique, critique, médiateur en tant que chercheur professionnel.
Rigueur pour maintenir coûte que coûte la triple écoute-action (scientifique, philosophique et
mythopoétique) qui dépasse la simple multiréférentialité habituelle en sciences humaines,
nommée « multiréférentialité restreinte » (R.Barbier), fondée sur l'apport des disciplines
reconnues comme légitimes par la cité savante. Ouvrir cette multiréférentialité restreinte sur
une « multiréférentialité générale » englobante, où le questionnement philosophique (quid du
monde, du je, de la communication, du socius dans la situation en fonction des cultures en
présence ?) s'actualise dans les zones d'incertitude et d'indécidabilité, à la lumière de notre
propre expérience humaine et des sagesses lumineuses et ancestrales de l'humanité. Le
questionnement poétique y demeure toujours en alerte car « c’est en poète que l'homme habite
sur cette terre » (Hölderlin). La poésie, comme le souligne Edgar Morin, est parole de
l'Arkhe-Esprit « libérée à la fois du mythe et de la raison, tout en portant en elle leur union ».
1.3. Développé collectivement
Pas de recherche-action sans participation collective. Il faut entendre ici le mot
« participation » dans son sens le plus fort épistémologiquement : on ne peut rien connaître de
ce qui nous intéresse (le monde affectif) sans que nous soyons partie prenante, « actants »
dans la recherche, sans que nous soyons vraiment concernés personnellement par l’expérience
dans l’intégralité de notre vie émotionnelle, sensorielle, imaginative, rationnelle. C'est la
reconnaissance d'autrui comme sujet de désir, de stratégie, d'intentionnalité, de possibilité
solidaire.
Dans la R-A.E, il s'agit de donner un statut épistémologique et heuristique dans le groupe
pour et par le groupe impliqué, à l'émotion comme conduite intermédiaire entre, ce que Max
Pagès, nomme la « trace » (physiologique) et le « sens » (fantasmatique) (Pagès, 1993). La
catégorie du « sensible » correspond à son axe central de compréhension. Le développement
collectif suppose nécessairement que rien n'est prévu, assuré, d'avance, excepté l'acception
rogérienne d'une croyance (toujours soumise au doute méthodique) en une croissance de l'être
humain, tant sur le plan individuel que groupal.
Ce point introduit la R-A.E. à l'assomption de la négociation et du conflit considéré comme
plus créateur que destructeur, à la nécessité d'une reconnaissance à la fois de la médiation et
du défi dans l'animation de la recherche. La dimension collective renvoie à la présence active
d'un groupe impliqué considéré comme « chercheur collectif » de la recherche, même si cela
ne va pas sans épineuses questions méthodologiques.
1.4. En vue de l’adaptation relative de soi au monde
27
Par cette formule on indique que l'objet final de la R-A.E. demeure un changement de
l’attitude du sujet (individu ou groupe) en rapport à la réalité qui s’impose en dernière
instance (principe de réalité). Il ne s’agit pas pour autant d’attendre un changement
miraculeux ou de rester dans une attitude de passivité. En vérité, dans l’action même en
faveur du changement social et personnel, une lucide appréciation du principe de réalité
demeure constante sans s’engouffrer dans la position frileuse de tous ceux qui nous rabâchent
un « il ne faut pas rêver ! ». Dans les années quatre-vingt, l'objet de l’une de nos R-A.E à
l'hôpital sur la formation à l'écoute des personnes en fin de vie, consistait en un changement
possible du système vécu de représentations, de sensations, de sentiments, de pensées, de
valeurs de chaque participante à l'égard de l'approche thérapeutique des mourants (son
« existentialité interne »), et si possible d'une transformation relative et corrélative de la
culture et de l'institution hospitalière à cet égard. Mais il ne s'agissait pas d'un changement
décrété d'en haut, de la part d' « autorités » officielles. Le changement était rendu nécessaire,
quoique difficile, aux yeux mêmes des participantes du groupe de recherche-action. Pour elles
il y avait bien un problème à résoudre. Le résultat s’est traduit, comme toujours, par autre
chose que de l'attendu. Une adéquation relative entre les désirs, les intérêts, les valeurs de
chacune et la réalité du monde qui oppose son inertie gigantesque. Ce rapport à l'institution
pesante et imposante, à première vue inébranlable, est source de frustration, mais également
de maturation vers un optimisme tragique toujours en filigrane dans ce type de recherche2. Ce
qui apparut assez clairement aux participantes du groupe de R-A.E à l'hôpital c'est que
l'institution ne changera pas beaucoup et qu’il faudra du temps, mais chacune d'elles peut déjà
réellement et quotidiennement, dans de simples détails de vie, changer son comportement en
fonction de sa nouvelle vision du monde. Pour l'ensemble de l'hôpital, apparemment rien ne
semblait bouger, mais pour le nouveau malade en proie à l'angoisse de la mort, l'attitude
« neuve » (au sens oriental du terme de « esprit zen, esprit neuf » de Shunryu Suzuki) de
l'infirmière à son égard fut une révolution complète, modifiant son ultime rapport aux autres
et au symbolique puisque, alors, il put prendre la parole sur sa propre mort dans l'espace d'une
présence humaine attentive qui ne comble pas le vide d’une absence et du non-dit par la fuite,
la pirouette, ou la « langue de bois » du système hospitalier.
2. La recherche-action dans les écoles Steiner-Waldorf entre 2004 et 2007
2.1. Historique
Le 23 octobre 2003, deux responsables de la fédération des écoles Steiner-Waldorf en France
ont rencontré, dans les locaux de l'Université Paris VIII, René Barbier et Christian Verrier,
enseignants au département de Sciences de l'éducation et membres d’un laboratoire qui
deviendra EXPERICE.
Cette rencontre faisait suite aux travaux d'un Comité pédagogique qui s'était tenu le 2 juin à
l'école Perceval de Chatou. Parmi les conclusions et préconisations finales, R. Barbier y avait
proposé la mise en place d'un programme de recherche-action piloté par l'université et centré
sur quelques éléments fondamentaux de la pédagogie Steiner-Waldorf3.
•
2.2. Objectifs et fonctions du projet de recherche
2
Cf. « l’évangile de la perdition » d’E. Morin, dans son livre La terre-patrie avec A.-B. Kern, Seuil, 1996, 220
p.
3
Barbier R. (s/dir) (2008), Art et spiritualité dans la pédagogie Steiner-Waldorf. Une recherche-action, Paris,
Fédération des écoles Steiner-Waldorf en France, 329 p.
28
Ils étaient doubles : les uns en direction du mouvement des écoles Steiner-Waldorf, les autres
en direction de l'université. Les écoles Steiner-Waldorf espéraient en retirer :
une amélioration de la connaissance d'eux-mêmes ;
une meilleure communication en direction d'un public large intéressé à la recherche
pédagogique ;
une légitimation après des années de mise en cause à partir de questions ouvertes résultant
d'une recherche objective et non d'une volonté de cautionnement ;
une re-précision de leur image au sein de la société française ;
un aboutissement sous forme d'une publication qui résulterait des travaux de recherche et qui
constituerait une vulgarisation intelligente de leurs principes et de leurs pratiques.
L'université pouvait y trouver l'intérêt de justifier l'existence d'une pluralité de choix
pédagogiques en France à travers l'étude et l'observation du caractère propre de certains
courants pédagogiques originaux.
•
2.3. Objet de l'étude
Elle devait porter sur deux axes :
l'intégration pratiquée dans les écoles Steiner-Waldorf de savoir-faire artistiques (mythopoétiques) dans l'acquisition et la transmission des disciplines ;
l'approche originale qu'ont les écoles Steiner-Waldorf de la dimension spirituelle, religieuse et
philosophique. L'enseignement du fait religieux est actuellement une question centrale que
l'enseignement laïque ne sait pas aborder. L'imaginaire social est en forte demande de sens
sans vouloir s'inscrire dans les confessions traditionnelles. Les écoles Steiner ont une
approche transdisciplinaire du phénomène et une pratique originale et moderne qu'il s'agit de
mettre en lumière.
•
2.4. Organisation de la recherche
Elle comportait deux niveaux :
Un appel à un chercheur professionnel engagé, compétent, qui puisse faire une observation
en profondeur et rapporter de l’information au fur et à mesure de ses recherches sur le terrain
(observation participante, documents). Ce qui fut le rôle et la fonction particulière de madame
Sunmi Kim, docteur en Sciences de l’éducation.
Parallèlement, la constitution d’un « chercheur collectif », groupe de résonance qui traite,
régule et reformule les résultats d’observation apportés par le chercheur de terrain. Il est
constitué pour partie de praticiens de l’institution Steiner-Waldorf intéressés
intellectuellement à ce questionnement et pour partie de chercheurs universitaires extérieurs
qui procèdent en co-réflexion.
Ce groupe a été formé, du côté du laboratoire EXPERICE de René Barbier (directeur
scientifique), Christian Verrier (Maître de conférences), Sunmi Kim (chercheuse de terrain),
Marlis Krichewski, enseignante vacataire à l’université d’Aix en Provence. Du côté de la
Fédération des écoles Steiner-Waldorf : Jacques Dallé (Secrétaire général de la Fédération),
Céline Gaillard (enseignante en arts plastiques), Frank Guardian (enseignant de lettres) et
Philippe Jarre (parent d’élève)
Pour un effet de décantation et pour construire une représentation dans la durée, un travail
d’au moins une année de recherche de terrain semblait nécessaire (de janvier à janvier). De
fait, la recherche complète a duré trois ans (2004-2007). D’autre part, le comité de pilotage
s’est réuni une demi-journée par mois pour interpréter et valoriser les informations apportées.
29
Il a été également nécessaire d’organiser en milieu d’année une semaine d’approfondissement
pour opérer une première synthèse et redonner des directions de travail.
3. La vaste recherche-action en cours sur l’innovation pédagogique dans
les écoles de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCIP)
(2008-2010)
Le projet de recherche est proposé et porté par le CIRPP (Centre d’Innovation et de
Recherche en Pédagogie de Paris), organisme nouvellement créé dans le cadre de la
Chambre de Commerce et d’Industries de Paris (voir annexe) dont François Fourcade est
le directeur et René Barbier le conseiller scientifique.
Nous partons d’une enquête de terrain réalisée ces deux dernières années pour déterminer
les grands traits caractéristiques de l’engagement éducatif de la CCIP. Six grands
principes à valeur humaniste ont été repérés et systématisés :
Donner envie d’oser, d’inventer, d’expérimenter
Révéler l’individu et ses talents
Connecter au réel
Construire une vision et ouvrir à tous les mondes
Développer le sens de la responsabilité, de l’engagement et de la décision
Cultiver enthousiasme et optimisme
C’est dans ce cadre symbolique que nous engageons une recherche-action existentielle sur
les innovations en cours et à venir dans les 12 écoles de la Chambre4. 27 projets ont été
retenus après évaluation des propositions par les enseignants innovateurs.
La recherche se déroule en trois temps :
Premièrement une action pédagogique sur le terrain de la part des innovateurs (de 2 à 8
jours), avec l’aide d’un « chercheur-accompagnateur », déjà spécialisé dans la rechercheaction pédagogique. En plus du chercheur accompagnateur proposé (et pas imposé) aux
pédagogues, de manière originale, un cameraman attentif aux instructions du chercheur
accompagnateur et plus généralement à l’équipe du CIRPP effectue une prise d’image et
un montage dans une perspective de recherche.
Deuxièmememnt une présentation-discussion de la recherche de terrain devant le
« chercheur collectif », avec le support du film video, avec élaboration pllus poussée de la
réflexion critique.
Troisièmement une conceptualisation et une théorisation par l’équipe du CIRPP de
l’innovation pédagogique à la CCIP, à partir des différentes réalisations pédagogiques
retenues et déjà relativement élaborées dans les phases antérieures de la recherche
collective, notamment devant le chercheur collectif. Durant ce troisième moment, les
« work papers » rédigés sont mis en discussion critique avec des membres du Comité
scientifique du CIRPP, qui est contitué de membre indépendants à la CCIP.
Le déroulement n’est pas linéaire. Un va et vient entre les moments plus théoriques et les
praticiens de terrain est prévu. C’est bien le cas lors de la présentation des innovations
devant le chercheur collectif. Mais ce sera également le cas lorsque des élaborations plus
académiques seront réalisées lors du troisième moment.
4
Voir le site internet dédié à l’innovation pédagogique : http://www.engagement-educatif.ccip.fr
30
L’objectif final étant de dégager les caractéristiques, les tenants et les aboutissants, les
dimensions d’originalité et de transposablité possible, de l’innovation pédagogique dans
le cadre des écoles de la CCIP.
Plus généralement, au delà des objectifs, la finalité de la recherche consiste à déterminer
un profil de manager le plus compétent possible en fonction des enjeux complexes qui se
profilent au XXIe siècle et d’en tirer les propositions d’actions pédagogiques réformant,
éventruellement, les cursus de formation en cours.
C’est la raison pour laquelle un deuxième objet de connaissance est également travaillé,
plus abstrait apparemment, autour du « manager du XXIe siècle ». Nous prenons un
temps, à chaque fois, lors de la réunion du chercheur collectif, pour y réfléchir
collectivement.
3.1. Une première analyse critique d’une recherche de terrain5
Il est tout d’abord rappelé le calendrier des réunions qui sont planifiées sur une année, ceci
pour garantir le meilleur taux de présence des équipes. Dans ce calendrier deux moments forts
sont signalés : la réunion du chercheur collectif qui donne lieu à une présentation d’innovation
pédagogique, dans une perspective de critique, et une autre réunion, sur un format de
conférence débat, qui donnerait lieu à un apport de la part d’un conférencier, sur un thème
saillant. Ce sont ainsi deux réunions par mois auxquelles sont conviés l’ensemble des
professeurs référents des 12 écoles.
Sur ce calendrier apparaissent également des thèmes pré-identifiés, transversaux aux 2 écoles,
et qui ont émergé au travers de l’appel à projet d’innovation qui avait été lancé au mois de
Mai 2008. Enfin, ce calendrier fait apparaître en point d’orgue de l’année de travail une
université d’été qui rassemblera l’ensemble de la communauté enseignante de la CCIP (plus
d’un centaine de personnes) et qui mettra en perspective les travaux réalisés.
Dans chaque réunion, de manière très structurée, seront abordés une innovation pédagogique,
le matin, et un thème « chapeau » comme par exemple l’avancée de la réflexion sur la
question « quels types d’Humains voulons-nous former à la CCIP ?»
3.1.1. Le déroulé de la réunion
Nous présentons ici le déroulé de la réunion car nous souhaitons à l’avenir garder cette
structure « type ».
Matin
9H présentation des objectifs du CIRPP
9H50 présentation de la rentrée en chanson
par F Fourcade
10H Video de la rentrée en chanson
10H20 commentaire de F. Fourcade
10H50 retentissement du chercheur collectif
(sur l’invitation de RenéBarbier)
12H30déjeuner
Après Midi
13H30 retentissement du chercheur collectif
à propos de l’apport de RB
13h45 Raphael Gnanou : fonctionnement du
site de l’engagement éducatif de la CCIP
15h00 Réflexions autour du manager
décideur du XXI°siècle
15h50 conclusion de la réunion
5
Ce paragraphe reprend les éléments « type » d’un compte de réunion du chercheur collectif (par exemple,
compte-rendu de la réunion CIRPP, le 22/05/08)
31
S’en suit le compte rendu de la présentation de l’innovation analysée le jour de la réunion, à
savoir un dispositif de rentrée de programme long effectué au moyen d’un chant choral. Le
dispositif est intitulé par les acteurs « La rentrée en chanson ».
Le contexte de l’expérience est reprécisé. Il s’agit d’un programme de mastère spécialisé en
management des projets internationaux. Ce programme concerne 54 étudiants agés de 23 à 39
ans, venant de filières académiques diverses (Ingénieurs / Sce PO / Ecoles de gestion), et
représentant un ensemble de 17 nationalités différentes. Ce programme est scindé en deux
grandes parties : 6 mois de cours, et 6 mois de stage suivi de la soutenance d’une thèse
professionelle. Il est mentionné par les acteurs que le même dispositif a également été
présenté dans un autre cadre, celui d’un programme de formation continue.
La question pédagogique à résoudre est formulée de la manière suivante : il s’agit de
concevoir un dispositif pédagogique qui permette de briser la glace entre des personnes qui ne
se connaissent pas, il agit par ce détour de créer ou de commencer à crér un esprit d’équipe,
en lien direct avec la suite du programme, tout en faisant déjà appel à des compétences que
doit avoir « un manager du 21ième siècle ». Le lien entre professeurs et élèves doit aussi se
trouver renforcé par le dispositif qui sera retenu.
La réponse apportée par les acteurs est formulée alors sous forme d’une « rentrée en
chanson ». Ce dispositif consiste à demander aux étudiants, dans une surprise relative (ils
étaient conviés à une surprise) d’apprendre et de restituer, en 1h20, un chant africain à deux
rythmes et deux voies. Il est précisé que ce programme n’a pas été sous-traité par les
professeurs à un organisme spécialisé dans ce genre d’événement, mais que le dispositif a
bien été co-conçu. Ce dispositif a été organisé à la manière d’un projet, avec un début, des
points de passage obligés et une fin. Ce dispositif est contraint par des règles très strictes qui
ne sont pas les règles habituelles. Ce ne sont pas les professeurs ou les dits experts qui les
fixent. Ce sont les règles de l’harmonie musicale qui font que les étudiants vont devoir
s’accorder. La musique est ici utilisée pour le cadre implicite qu’elle impose.
A l’intérieur de ce projet sont insérés de manière répétitive, des moments de chaos : un
premier rythme est enseigné aux étudiants, puis un autre rythme à contre-temps, puis des
paroles incompréhensibles ( c’est un chant africain), puis une voix mélodique, puis une vois
haute …Ces insersions provoquent des moments de chaos, de stabilisation, puis à nouveau du
chaos … à l’image de la vie. Dans un contexte de jeu, les étudiants sont invités à gérer ces
moments de chaos, sans le fuir, en canalisant les émotions mises en évidence. Ils sont invités à
profiter du chaos. Au final, de manière perceptible par le chercheur collectif sur les images
video, on assiste à une forme de communion, non plus sur des concepts mais sur des
sensations, des émotions, ce qui contribue à souder le groupe. Un sentiment de co-création
d’une œuvre belle rejaillit ce qui contribue à créer un sentiment positif, de satisfaction,
d’estime de soi.
Au-delà de l’aspect « team building », quelles compétences ont-elles été mises en valeur ?
Nous définissons ici trois catégories pour reclasser les éléments présentés :
L’Apprentissage sur soi
L’Apprentissage sur l’autre/le travail en groupe
L’Apprentissage envers la société
Soi
L’autre / le groupe
La société
Accepter les défis, l’inconnu, Suivre l’intention donnée par le Curiosité
Individuellement
guide et regarder où en sont les
autres
et
s’ajuster
en
permanence
Improvisation
Sens de l’engagement
32
Dépasser des peurs : suis-je Dépasser des peurs par rapport Accepter
les
défis,
capable ?
au regard des autres
l’inconnu, en groupe
« Oser » le silence
Dépasser certains a-priori sur
les autres
Se concentrer
Apprendre à faire confiance
Apprendre
vite
et
en Retransmettre très vite un
profondeur
apprentissage récent, même si
l’on n’est pas prêt
Devenir expert, sans pour S’appuyer sur les talents qui
autant se scléroser dans un vous entourent
rôle donné
Ecoute à soi
Ecoute aux autres
Fait preuve de force et de Bienveillance envers les autres
souplesse
Bienveillance envers soi
Jouer et rester« profonds »
Créativité dans les modes
d’interprétation
En fin de présentation est abordée la question de l’évaluation de ce dispositif. Les dispositfs
d’évaluation évoqués par l’équipe qui présente l’innovation pédagogique fait état de
questionnaires remplis par les élèves, six mois après que l’expérience ait eu lieu. Au-delà de
ce questionnaire, l’ensemble des professeurs et vacataires qui ont enseigné cette année, et qui
étaient également présents les années précédentes ont fait état unanimement d’un changement
d’atmosphère dans cette promotion. Etait-ce dû au recrutement ou au dispositif ? Parmi les
autres éléments évoqués par les équipes est fait mention d’une meilleure cohésion de la
promotion durant et suite à un séjour en Inde de quatre semaines qui les années précédentes
avait fait « exploser » la cohésion d’équipe.
3.1.2. Retour de la part du chercheur collectif
Les principales remarques qui ressortent sont les suivantes : l’expérience est convaincante
pour beaucoup mais pose certaines questions. Pour rassembler les réponses, il est proposé à
l’ensemble du chercheur collectif une classification reprenant les 5 perspectives de Jacques
Ardoino (Ardoino, 1977) dans son approche multiréférentielle, à savoir l’approche centrée sur
la personne (P), l’inter-relation entre deux personnes (2P), le groupe (G), l’organisation (Org)
et l’institution (Inst). Cette classification est proposée au chercheur collectif qui est invité à
réagir ensuite.
3.1.2.1 En lien avec la personne
(P) Le rapport au corps dans la question de la transposabilité de l’expérience :
Le corps est le plus petit dénominateur commun, et même la voix …mais tous n’ont pas le
même rapport au corps, à la voix … on a le filtre du recrutement.
Ils ont eu des succès scolaires, et a priori pas d’échec du point de vue de la famille. Se pose la
question pour d’autres publics où on n’est ni en succès familial, ni scolaire, ni dans son corps.
(P) (2P) (G) La succession confort déstabilisation :
L’idée est forte, intéressante de travailler avec le chaos
33
Note FF : Suis-je à l’aise individuellement dans cette alternance chaos-stabilisation ? En
quoi cette séquence chaos/stabilisation me force-t-elle à me relier aux autres, à travers le
regard, les sons (et pas les idées ou les concepts) ? En quoi cette séquence m’apprend-t-elle à
me laisser porter par le groupe, tout en restant moi-même ?
(P) (2P) (G) (Inst) La mimesis :
L’expérience est fondée sur le principe d’imitation. On a des gens qui sont conduits à. Quelle
place est laissée à l’implication personnelle ?
L’impensé est celui du mouton de Panurge. I’animateur s’impose un peu comme un gourou.
Que fait-on de la dialogique médiation/défi ?
Note : P : suis-je OK avec le fait de suivre le guide ? 2P : Suis-je OK avec le fait d’être vu
par un autre en train de suivre le guide ? G : Suis-je OK dans un groupe qui suit le guide ?
Inst : suis-je OK dans cette institution qui me demande (invitation forcée) de suivre ce guide,
dans ce groupe ? En quoi tout ceci est pédagogique ? Que faire pour que cela le soit ?
(P) Leur montrer que de petits éléments, simples, sont difficiles et mérite l’attention. Deux
paroles de plus, un rythme en plus et tout se déséquilibre pour se ré-équilibrer ensuite. Il n’y a
pas de petits changements
(P) Les appeler les « pe pegi », ou les « toc to lala toc » est utile, leur fait du bien, les
rassemble sous un autre nom, semble ridicule qui plus est, donc détente, humour, modestie…
Note FF : On est ici dans le rapport à soi. Se voir appeler différemment permet une prise de
distance, dans une certaine forme d’humour.
(P) Implication :
Les professeurs auraient-ils dû chanter aussi ? Si les profs, chantent, ils deviennent des
modèles ! Ou alors il faut s’impliquer à fond. On place les étudiants dans une position
d’acteurs, tout de suite.
3.1.2.2. Relation de personne à personne
(2P) La question du rapport étudiant /professeurs
Il semble avoir été renforcé mais il est regrettable que l’équipe des profs n’ait pas chanté avec
les étudiants. Il aurait été préférable que des professeurs de l’ESCP assurassent la conduite
plutôt que deux professionnels experts
(2P) Prof – Elève : Cette expérience implique un changement de posture, de la part des élèves,
et aussi de la part des professeurs qui encadrent… or les managers doivent peut-être aussi
jouer avec des postures différentes …
Posture par rapport à quoi : savoir, relation …
(2P) (G) Le conflit en pédagogie est permanent, différentes pulsions, défi.
Si ce que le dit le professeur, dans sa formation, veut entraîner un changement, cela veut dire
qu’il y a quelque chose qui bouge dans la personne, elle entre en conflit avec elle-même. S’il
n’y a pas conflit dans ce que l'on propose, cela veut dire que soit la personne est plus avancée
que le professeur, dans son évolution vers le devenir être humain, et à ce moment là,
l’étudiant peut renvoyer quelque chose qui va mettre le professeur en conflit, ou alors, ce que
l’on propose ne marche pas
3.1.2.3. Relation au groupe
34
(G) et (Inst) Le choix du chant choral
N’aurait-on pu prendre un autre support ? (théâtre/danse...) En quoi le chant est-il spécifique
ici ? (piste de recherche à explorer)
(G) et (Inst) Liberté et contrainte
Le regard du formateur qui voit pour la première fois ses élèves peut être inhibant et
déterminant. Difficile de dire non de s’évader.
(G) Dynamique de groupe
Le groupe peut être perçu comme rassurant, c’est intéressant. En même temps on ne voit que
peu d’échanges entre eux …On sent qu’ils osent grâce au groupe.
(G) Reponsabilité hiérarchique
L’expérience a pu marcher car dans le groupe, il n’y a pas de responsabilités hiérarchiques.
(Gpe) (Inst) Résistance
Les formes de dissidences, muettes, les formes de résistances (passive), on fait comme ci, et
cela se voit. Il y a de la résistance active, corporelle. Que fait-on de ceux qui feignent de
chanter, leur accorde-t-on une écoute ? Qu’ont-ils à nous dire ?
3.1.2.4. En lien avec l’institution
La question de la transposabilité de l’expérience
Qu’en est-il de la transposabilité pour un autre type de public (BEP bac pro...) ? Quid des
élèves pudiques ou éprouvant des difficultés avec leur corps ?
Tout est question de légitimité des intervenants, et du directeur scientifique.
Le suivi, l’après chorale (comment l’institution récupère-t-elle l’expérience ? )
Il faudrait savoir comment le professeur suivant a récupéré les élèves dans le cours suivant.
Ne risque-t-on pas de transformer les profs en animateurs ? Le plaisir est important mais ne
doit pas priver les étudiants du goût de l’effort. Comment infiltrer le principe de plaisir dans le
principe de réalité ?
Quid de l’après, comment récupérer … car on ne peut pas facilement les remettre dans des
amphis après une expérience pareille. Quid du retour des étudiants en salle de cours ?
Comment prolonger cette expérience ? Quel rebond après cette expérience ? Quelle
progression ? Quel accompagnement après ?
Le rôle de la camera
Celle-ci est très présente. Comment serait l’expérience sans camera ? Des étudiants ont confié
que sans la caméra, ils se seraient moins impliqués, ils auraient moins pris la chose au sérieux.
Le débriefing
Aurait-il été préférable d’aller au bout de la surprise et de s’en passer ? Apparaît-il comme un
besoin de justification ? Il aurait été préférable de soumettre l‘évaluation de l’expérience
avant le débriefing ? Le debriefing aurait-il dû être fait par le groupe, par les étudiants euxmêmes ?
Le rapport au temps
Ce souci d’efficacité, cette rapidité de mise dans une école de commerce pose question. Il faut
plu de 2H30 pour changer un habitus.
35
Le temps alloué à l’expérience : Pourquoi 1h20, et pas plus … pourquoi ne pas laisser aux
étudiants le choix de dire quand ils sont prêts ?
Note FF : J’indique ici le lien avec l’institution car un rapport au temps court véhicule une
notion d’efficacité, impensée dans l’expérience
Le cadrage de l’expérience est très présent. On revient à un « bizuthage » positif (institution).
L’apprentissage nécéssite un pré-conditionnement, il faut rendre les cours suivants audibles
… il faut donc se préparer …ce genre de dispositif y contribue …
Convaincre sa direction du bien fondé, quand on retrouve un intervenant debout sur un bureau
avec une guitarre !?
(Inst) L’institution est dans la tête : dans l’habitus, c’est un réseau symbolique, socialement
sanctionné, qui passe à travers un schème qui se constitue lui-même au fil des années
(enfance, école, …) d’appréciations, de perceptions, d’actions, qui vont nous conduire à
accepter certaines choses et à en refuser certaines autres. Cela dépend des structures
d’inculcation.
(Inst) Psychologisation du politique : un tel dispositif et sa logique interne, insiste-t-il plus sur
le plaisir individuel, ou aussi sur la relation aux autres, le vivre ensemble, relié à d’autres en
vue d’un objectif qui est plus large que la personne, plus large que le groupe aussi ?
3.1.3. La question de l’essaimage d’une innovation pédagogique
Au final de la discussion, plusieurs volontés de transposition se sont exprimées. Plusieurs
professeurs ont exprimé l’envie de transposer cette expérience dans leur contexte :
Dans le cadre de formation de formateurs
Dans un BEP, avec un cadrage différent
Dans une école centrée sur des questions d’environnent.
En formation continue
Ensuite, après cette présentation de l’innovation pédagogique et suite au retour donné par le
chercheur collectif, est présentée un critique théorique qui est proposée par R. Barbier, sous
forme d’une grille qui est présentée et commentée. La grille construite par R. Barbier est
reprise ici. Elle permet de synthétiser les axes de réflexion qui vont nous aider à révéler
certains aspects impensés de cette expérience.
Le commentaire de R. Barbier : « L’essentiel semble ici avoir été dit par le chercheur
collectif, dans cette réflexion du groupe 2 (Gpe 1 = terrain, praticien), dans le CIRPP on ( le
chercheur collectif) est à un autre niveau, qui est un niveau entre la pratique, avec un regard
critique, dans une visée théorique. Le chercheur collectif joue ici un rôle primordial. Il nous
faut apprendre à penser collectivement, du comment au pourquoi.
36
GRILLE D’ANALYSE PÉDAGOGIQUE (René Barbier, mai 2008)
« L’entrée en chanson »
Catégories
Observation
Questionnement
Retentissement théorique
pédagogique
Contenu
institué, Valeur
de Exotisme africain : quel
Savoir
mimesis, curiosité
l’imitation, de la imaginaire
social
de
(contenu,
« langue inconnue », l’interculturel ?
pratique,
rythme« africain » et Rites de passage, Rites
être)
empreinte corporelle d’interaction,
d’initiation,
occidentale
bizutage
Maîtrise du savoir, Pas d’improvisation Pédagogie du « gourou »,
Relation
compétence
réelle, posture de influence de l’Orient ?
formateurpsychosociologique, « maître »
Est-ce du « coaching » ?
formés
risque de dérapage si
Quid de la notion d’
le corporel est en jeu L’obéissance
en « accompagnement » ?(Maela
But :
déranger pédagogie
Paul)
l’habitus des formés,
mais
comment Le sens du défi
Médiation et défi
évaluer ?
Acceptation forcée
Quid
du
non Influence
de
la
Relation
Participation feinte volontariat dans les psychologisation du politique
forméschez certains
modules
en formation, tout ramener à
formateur
la dimension psychique, rôle
Sourire
ou
rire d’implication
de l’institué
(humour ?)
personnelle
Quid du « projet L’implicite de l’autorité
d’autonomie
du instituée et le politique
sujet »
(cf.Castoriadis) ?
L’humour
en
pédagogie
pudeur,
la Se
mettre
en
avant,
Relation des Regard des autres, La
sont-elles représentation
de
soi
formés aux mimesis, mouton de timidité
groupe des Panurge, reproduire des qualités ou des (selbstdarstellung), la mise en
un rythme de danse défauts ?
scène de la vie quotidienne
formés
somme toute habituel Jeu avec le besoin de (E.Goffman)
dans
les
danses reconnaissance ?
La question du leadership
modernes ?
Dynamique
de
groupe
Relation des Prudence, amour du Place du jeu en Aller vite, trop vite ? « éloge
formés
au jeu, savoir pratique, formation, sens de la de la lenteur » P. Sansot)
savoir-être soi face durée et de l’instant Tenir
compte
de
la
savoir
aux autres, Assumer dans la formation en complexité de la personne, le
le
conflit ? cas de centration sur savoir interculturel n’est pas
confrontation à ses le
changement vraiment pris en compte
difficultés internes
d’attitude
A l’issue de ces trois temps (présentation de l’innovation, retour du chercheur collectif,
analyse théorique du dispositif) sont proposées de pistes de travail.
37
Une première est effectuée concernant la grille des remarques du chercheur collectif, qui fait
apparaître beaucoup de points qui sont du ressort de la psychologie, de la psychosociologie, et
moins de points ressortant de la sociologie des organisations ou de la sociologie politique.
A chaque colonne (P, 2P, G, Org, Inst, Eco) nous allons inscrire la dialogique suivante :
Quelles sont, les pratiques instituées (1), c'est-à-dire les pratiques existantes aujourd’hui dans
vos écoles, en ce qui concernent les 6 catégories (et quid du rapport au savoir ?)
Quelles sont les pratiques instituantes (2), c'est-à-dire les pratiques en marge, innovantes,
existantes dans les établissements. Ce qui a été fait réellement : instituant « déjà » institué. Ce
qui est annoncé comme à faire, mais qui n’est pas fait relève de l’instituant idéologique. Ce
qui est dit ou critiqué, sous forme de d’humour, de sarcasme, de critique vive, l’instituant
libidinal car répondant à une pulsion.
Quelles sont les pratiques institutionnalisées, c'est-à-dire les pratiques qui résultent, non pas
d’un retournement, d’un renversement des pratiques, mais tout au contraire, d’un dialogue
entre (1) et (2) pour que s’en suive une médiation vers de nouvelles pratiques.
4. Regards sur les recherches-actions par rapport à l’institution du
« chercheur collectif »
Il ne s’agit pas ici de redonner et d’expliciter les résultats de ces recherches mais de
mettre l’accent sur la méthodologie du « chercheur collectif »
4.1. Caractéristiques du processus d’animation du chercheur collectif
On distinguera :
le cadre, l'ambiance
le rôle de l'animateur : l'écoute sensible
les relances et les retentissements
les apports conceptuels
la gestion des conflits éventuels
le sens de l'humour
le sens de l'organisation réaliste de la recherche (horaires, calendrier)
4.1.1. Le cadre et l'ambiance
L'animateur du chercheur collectif (ACC) est un membre du groupe, en général le directeur
scientifique de la recherche. On lui demande de présenter certaines qualités d'animateur de
dynamique de groupe centré sur la tâche. Son premier souci doit être de créer une ambiance
agréable et conviviale, notamment dans le processus de recherche-action existentielle. Le
cadre est celui d'une salle de cours à l'université (ce qui n'est pas toujours l'idéal dans ce cas).
Mais nous avons apporté une cafetière électrique pour le café, des jus de fruits, des petits
gâteaux, pour ouvrir la séance par une dominante chaleureuse. Le même état d’esprit a présidé
à la création d’une ambiance agréable de travail lors de nos séances à l’école Steiner de
Chatou, organisées par les membres « praticiens » du chercheur collectif.
4.1.2. Le rôle de l'animateur ACC : l'écoute sensible
Cette écoute fait partie intégrante de la théorie de l'Approche Transversale (R.Barbier). Elle se
manifeste par une ouverture la plus large possible de ce qui se dit, se pense, s'imagine dans le
38
chercheur collectif. Elle relève à la fois de l'écoute compréhensive (JC.Kaufmann)6, de
l'écoute d'explicitation (P.Vermersch)7 et de l'écoute centrée sur la personne (C-R.Rogers)8.
Plus que toute autre écoute, l'écoute sensible s'intéresse aux marges, aux dérangements, aux
bégaiements du logos. Pour ce faire, elle développe des capacités spécifiques. Tout
particulièrement l'écoute sensible aborde les points suivants dans sa méthode d'investigation.
Elle réalise ainsi une métadisciplinarité liée à la multiréférentialité indispensable à la
compréhension de la vie complexe.
l'éphémère : le non-durable, l'instantané, ce qui vient nier la durée, la continuité.
l'instable : tout ce qui bouge, se déplace, change de forme, parcourt, se déstructure.
le convergent : tout ce qui tend vers une focalisation objectivable, sans nécessairement
supposer la fusion harmonieuse et l'indifférenciation, à partir d'une multiplicité d'éléments
hétérogènes.
la complémentarité dialectique : tout ce qui semble entrer dans une double polarité
contradictoire et complémentaire en permettant, par ce fait même, le dynamisme des
éléments.
l'émergent : tout ce qui surgit et bouscule, soudainement, la structure apparemment la plus
stable en faisant apparaître une nouvelle structure d'un autre autre.
la singularité : tout élément qui, dans la multiplicité, la collectivité, est irréductible au
processus de massification et qui connaît son propre dynamisme et sa propre histoire en
provoquant, par ce fait même, un dérangement événementiel tout à fait spécifique pour le
meilleur et pour le pire.
le spiralé : tout ce qui devient en intégrant les éléments de l'histoire passée, sans jamais être
totalement identique à ce qui a été.
l'analogique : tout ce qui renvoie à des symboles, eux-mêmes échos d'une autre chose,
présent/absent dans le symbole lui-même.
l'incertain : tout ce qui n'est pas du domaine de l'établi, de l'assuré, du repérable immédiat, du
notable.
l'imprévisible : tout ce qui vient nier le programmatique, l'ordre fléché, et qui surprend par son
pouvoir de rupture, de transgression, de mise en question.
le relatif : qui replace les éléments dans leur mouvement incessant, leur changement, leur
absence d'absolu, leur impossible enfermement dans un ordre immuable et intemporel.
le complexe : qui signale l'enchevêtrement incontournable des éléments, leur interdépendance,
leurs interconnexions et interactions, leur bio-éco-auto-organisation et leurs rétroactions, leur
caractère d'appartenance à une totalité dynamique.
l'inépuisable : qui affirme l'impossibilité de draguer, en dernier lieu, le fond du réel, de ce qui
est, pour lui donner du sens.
l'errance : qui condamne toute approche à ne jamais savoir vraiment ce que l'on doit faire et
où aller pour agir, devenir, finir, en se fondant sur l'expérience du passé
4.1.3. Relances et retentissements
L'animateur du chercheur collectif (ACC) est attentif à tout ce qui ce dit et à tout ce qui ne se
dit pas. Il utilise la technique des « relances » lorsqu'il lui semble que la discussion s'étiole, se
ralentit, dans une foulée rogérienne de reformulation, du type : « si j'ai bien compris vous
disiez que... ». Il s'autorise également aux « retentissements » bachelardiens. Il amplifie la
méthode analogique, le sens de la métaphore. Il n'hésite pas à effectuer des sauts de
significations paradoxaux, voire incongrus. Il produit des aphorismes en situation.
6
J.C.Kaufmann (2001), L’entretien comprehensif, Paris, Nathan université
P.Vermersch, Maryse Maurel (s/dir) (1997), Pratiques de l’entretien d’explicitation, Paris, ESF
8
C.R.Rogers (1978), Le développement de la personne, Paris, Dunod
7
39
4.1.4. Les apports conceptuels
Contrairement à l'animateur non-directif, l’ACC accepte de puiser dans son stock proprement
culturel pour éclairer un pan de la réalité discutée par le chercheur collectif. Il précise ainsi
certains concepts ou développe certaines théories. Voire, il invente, dans l'improvisation et
dans l'interaction, un nouveau concept qu'il lui faudra, ensuite, approfondir, dans le silence de
son bureau. D’autre part, le chercheur collectif invite des personnalités compétentes, sur
diverses thématiques interessant la recherche-action, et discute des réflexions pertinentes
proposées par ces chercheurs.
4.1.5. La gestion des conflits éventuels
L’ACC se doit de réguler les conflits qui peuvent toujours se poser dans une recherche-action
existentielle, notamment au sein du chercheur collectif. Sur les thématiques d'une rechercheaction existentielle, nous sommes au coeur des enjeux d'une vie qui engagent également ceux
de proches (parents, conjoint, enfants, amis). Parfois la polémique, dans la discussion, dépasse
les limites de la courtoisie. L'animateur intervient pour ramener le calme mais sans évacuer
les raisons ou les faits qui ont ouvert les débats. Nous n'avons pas eu ce type de rapports
conflictuels dans notre chercheur collectif durant cette recherche. La régulation de conflits
difficiles n'est pas toujours de bon aloi pour la réussite de la recherche finale.
4.1.6. Le sens de l'humour
Le sens de l'humour est un point-clé de l'animation d'un chercheur collectif. Il permet de
dédramatiser les conflits. Il aère la discussion qui parfois devient trop ésotérique, érudite ou
rhétorique. Il inaugure la catégorie du « jeu » dans la discussion qui ravive la convivialité
indispensable du chercheur collectif. Par son esprit de pirouette, l'humour déclenche
également de nouvelles idées qui peuvent être d'une grande fécondité.
4.1.7. Le sens de l'organisation réaliste de la recherche (horaires, calendrier)
L'ACC est, évidemment, garant des horaires de travail et du respect du calendrier de l'avancée
de la recherche. Ce n'est pas toujours facile lorsque la discussion est vive ou lorsque des
invités sont parmi nous. D'autre part il doit veiller à resituer la recherche à chaque nouvelle
séance, faire des synthèses de la séance précédente. Nous avons rédigé à tour de rôle cette
synthèse, lorsqu'elle n'était pas faite par la chercheuse de terrain, (ce qui a été le cas, en
général). Dans notre recherche nous avons eu la chance d'avoir une chercheuse de terrain qui,
en grande partie, a effectué ce travail minutieux.
4.2. Le chercheur collectif et la co-formation
Ce qui caractérise la recherche-action existentielle est certainement la formation d’un
« chercheur collectif » et la coformation qui résulte d’une dialogique entre les chercheurs
professionnels (universitaires) et le chercheurs-praticiens (de terrain).
4.2.1. Le chercheur collectif
40
Le chercheur collectif est un groupe-sujet de recherche constitué par des chercheurs
professionnels (venant d’organismes de recherche ou d’universités) et des membres à part
entière, mais particulièrement impliqués, de la population concernée par l’enquête
participative. Dans l’optique de la recherche-action existentielle, ce chercheur collectif peut
n’être constitué que de praticiens. Peut-être risque-t-il alors de manquer quelques
questionnements-clés qui ne peuvent venir que d’un tiers ?
Le chercheur collectif représente une entité qui ne saurait être réduite à la somme de ses
membres. Michel Bataille examinant ses dimensions soutient qu’il faut « disjoindre le sujet
individuel d’un sujet transindividuel qui n’est ni praticien, ni chercheur mais qui introduit des
changements au plan de la production des connaissances et au plan des pratiques » (Bataille,
1981, p.33). Il est doté d’une stratégie, d’une histoire et d’une affectivité singulière. Florence
Giust-Desprairies a finement analysé ce qu’elle nomme l’ « imaginaire collectif » d’un tel
groupe de praticiens dans sa recherche-intervention dans une école nouvelle (GiustDesprairies, 1989). Par cet imaginaire collectif se constitue une cohésion illusoire du groupe
qui médiatise et mobilise les divers phantasmes individuels (appelés par une structure de
sollicitation de l’organisation considérée) et l’imaginaire social du moment concernant l’objet
de connaissance. Nous avons vu, avec elle, lors de la co-direction d’une recherche-action dans
un cadre franco-allemand, que ce type d’analyse pouvait très bien s’articuler à une attitude de
recherche existentielle.
Le chercheur collectif est un groupe-relais indispensable pour une recherche-action. Il doit
faire l’objet d’une grande prudence au niveau de sa constitution. Il s’agit de repérer dans la
population soumise à l’enquête les personnes mobilisées, les leaders d’opinion, suffisamment
intéressés par une action liée à la réflexion. L’essentiel de l’élaboration de la recherche-action
se passera en son sein, non sans conflit. Il faut veiller à ne pas se retrouver avec des
personnalités trop idéologiques et fermées à l’analyse critique de leur propre existentialité.
Source d’informations de première main et multiplicateur, accélérateur ou diffuseur du
changement, le chercheur collectif est l’organe par excellence de la coformation des
chercheurs professionnels et des chercheurs praticiens. Il naît peu à peu de la confiance et de
la convivialité de ses participants. Il implique un sens aigu de la médiation et de la patience,
un art de l’écoute, de la part des chercheurs professionnels. C’est au coeur du chercheur
collectif que se pensent toutes les stratégies d’intervention. Sa fonction d’animation
pédagogique en liaison intrinsèque avec la recherche-action, au sens de Charles Delorme, est
primordiale (Delorme, 1982).
4.2.2. L’effet de co-formation
Dans la recherche-action existentielle, chercheurs-praticiens et chercheurs universitaires
n’arrêtent pas de se former mutuellement, en fonction de leurs expériences respectives. Les
chercheurs praticiens de terrain questionnent souvent les chercheurs universitaires sur la
pertinence de leurs théories appliquées à la complexité de l’objet hic et nunc. Ils apportent des
cas minoritaires, des pratiques parfois marginales, qui surprennent l’ordre du raisonnement
théorique toujours plus ou moins globalisant.
D’un autre côté, les chercheurs universitaires font découvrir aux praticiens, la relativité
culturelle des conduites, des idées ou des valeurs qu’ils croyaient absolues parce que
« vécues ». Ils en montrent les dimensions politiques implicites et les effets manipulatoires.
Ils en relèvent les aveuglements sur les ressorts profonds de l’action et sur le bien-fondé de la
finalité.
Une attitude respectueuse consiste à rester dans la logique de l’échange symbolique du
donner/recevoir/rendre au sens de Marcel Mauss, reprise par Jean Baudrillard dans L'échange
symbolique et la mort. Pas de don sans un accueil et un contre-don. Le chercheur
41
professionnel arrive dans un milieu étranger à son habitus (Bourdieu). Il ne va pas
immédiatement « donner » son savoir mais accueillir celui des autres avec qui il prétend
vouloir travailler. Il devrait pouvoir être patient et respectueux de l'espace mental et
socioaffectif d’autrui comme le célèbre disciple Hui-neng du maître Chan Hung-jen, en
Chine, à la fin du VII ème siècle a su attendre, quoique déjà « éveillé », en réalisant des
besognes serviles dans la cuisine du temple avant de composer le poème qui allait le faire
reconnaître comme le plus sage d’entre tous les moines par son maître vieillissant.
5. De l’éthique et de l’efficacité du dispositif du chercheur-collectif
En quoi peut-on dire que nos dispositifs de recherche sont éthiques ? En quoi peut-on dire que
notre dispositif de recherche est efficace ?
5.1. L’éthique
Nous souhaitons ici souligner, ce que nous ressentons comme profondément éthique dans
notre démarche de recherche action à la chambre de commerce.
Notre dispositif permet la co-formation entre le chercheur et son objet de
recherche. L’existentialité de chacun est prise en compte. L’implication est analysée et
constitue une catégorie fondamentale de ce type de recherche. Nous souhaitons insister ici sur
les forces de rappel qui s’éxercent sur les différents acteurs de la recherche et qui garantissent
selon moi une qualité d’éthique de cette recherche.
Pour partir de l’institutionnel à l’individuel, le laboratoire appartient à la direction de
l’enseignement de la CCIP, et son programme de recherche, proposé par le directeur
scienfique et son conseiller scientifique, sont déjà discutés une première fois par le directeur
de l’enseignement et son équipe, constitués des directeurs des écoles et des différent(e)s
chargé(e)s de mission. Sans qu’il n’y ait censure, il faut déjà débattre et argumenter les faits
pédagogiques que nous souhaitons analyser (utilisation de la nuit, explorer ou pas la frontière
de la connaissance de soi mise en jeu dans tel ou tel dispositif).
Après ce premier niveau de questionnement, les innovations sont suivies par les chercheurs
accompagnateurs, qui ne sont pas des « agents » de la CCIP, et qui indiqueront dans leur
rapport une analyse précise des actions, des perceptions, des forces et des limites des
dispositifs observés. Ensuite, ces retours (écrits et filmés quand il était possible de le faire)
sont analysés par le chercheur collectif (au nombre de 25 personnes) ce qui offre 25 regards
critiques croisés.
Enfin, les fiches innovations, les papiers de recherche qui découlent de l’expérience et de son
analyse seront soumis au parcours critique des relecteurs ce qui offre une dernière « force de
rappel ». Pour ces raisons, le dispositif que nous présentons offre une perspective de
recherche ethique.
5. 2. L’efficacité
Nous allons distinguer deux perspectives de l’efficacité. Dans une perspective occidentale
d’efficacité, notre disposif de recherche-action, avec son chercheur collectif va permettre de
couvrir un champ de recherche vaste (les écoles Steiner, les 12 écoles de la CCIP, les 26
projets d’innovation pédagogique et leur possibilité d’essaimage). Il permet de dégager
rapidement (au bout de trois mois) des lignes de forces empiriques et théoriques, et de les
discuter à plusieurs, ce qui décuple la co-formation évoquée plus haut dans ce texte. A l’issue
de trois réunions seulement, nous sentons déjà dans le chercheur collectif de la recherche à la
CCIP que des préoccupations nouvelles occupent nombre d’esprits (« quel matériau
42
objectivable va-t-on produire » ou bien encore « que va-t-on bien pouvoir raconter ensuite
devant le chercheur collectif »). Le mode de gestion par projet d’innovation couverte va
permettre de dérouler systématique la même méthodologie, partout offrant un cadre rassurant,
efficace, même s’il doit être à chaque fois ajusté. Les questions de construction budgétaire, de
gestion des contrats des chercheurs accompagnateurs sont autant d’occasions récurrentes de
revenir sur nos capacités de production théorique, offrant à l’équipe des relances régulières.
Dans une perspective orientale, en mobilisant ici certains des concepts clés soulevés par
François Jullien dans son Traité de l’efficacité (2002), nous allons voir que notre
méthodologie peut aussi revêtir une certaine forme d’efficacité.
En premier lieu, dans cette pensée chinoise qui nous est décrite par Jullien, pour qu’il y ait
efficacité, il faut qu’il y ait une situation porteuse, au sens ou l’eau est porteuse de force. La
situation créée par la seule création du CIRPP nous semble porteuse : de nombreux
professeurs oeuvrant jusque là dans l’anonymat de leur salle de classe sont apparus au grand
jour pour faire part de leurs projets d’innovation. Des rencontres fertiles ont eu lieu entre eux.
Le fait que des professeurs d’universités s’intéressent au travail mené dans les 12 écoles, et
pas seulement dans les plus prestigieuses d’entre elles a également mis en mouvement
quelque chose que nous ne voyons pas encore mais qui semble puissant. Laisser monter ce
mouvement de mise au jour des pratiques pédagogiques innovantes sans forcément le
contrôler est efficace au sens de Jullien. La création de laboratoire d’Innovation et de
Recherche en Pédagogie de Paris (CIRPP) est alors déjà une décision efficace en soi.
En deuxième point d’efficacité, toujours suivant Jullien, pour être efficace, il faut savoir tirer
partie de la situation. Dans la pensée chinoise, la circonstance fortuite n’est pas ce qui vient
troubler le prévu, c’est au contraire ce qui révèle et crée du potentiel. Depuis sa création, ce
laboratoire apprend à exister dans un mode que les gestionnaires qualifient de mode « startup », c'est-à-dire un mode de démarrage d’entreprise. Nous avons déjà face à nombre de
situations imprévues, révélant toutes la volonté des écoles et du chercheur collectif de faire de
ce laboratoire une entité d’importance. Par exemple, il nous a fallu au début du mois de
Septembre 2008 faire face avec peu de ressources à la demande de suivi (méthodologique et
théorique) de nombreuses innovations pédagogiques tournant toutes autour de séminaires de
rentrée qui par définition se déroulent tous en même temps. Comment accompagner les
dispositifs ? Comment produire des données objectivables pour qu’elles puissent ensuite être
partagées par le chercheur collectif ? Comment rémunérer les chercheurs, sur quel livrable ?
Faut-il saisir des images en video ? Avec quel regard, à la prise d’image puis au montage ?
Notre posture de recherche est souvent inversée. Nous suivons des innovations que nous
n’avons pas construite, qui ne répondent pas forcément à nos questions, et pourtant nous
devrons générer de la connaissance à partir de ces observations. Il nous faut créer un site web
en deux mois. Avec quel contenu ? Qui est notre cible pour reprendre un vocabulaire
emprunté au marketing ? Quel est le cahier des charges à proposer aux différents prestataires
de service ? Tous ces événements, non planifiés, toutes ces questions sans réponse préexistante nous ont en quelque sorte contraints à être efficaces au sesn de Jullien dans la
mesure où plutôt que de les subir comme des événements négatifs, à chaque fois ces questions
nont été saisies dans un esprit de bonne nouvelle qui allait de toute façon faire progresser
notre réflexion.
Une troisième idée d’efficacité tourne autour de ce que l’on reformulerait comme de la
patience. Ne pas imposer l’effet mais le laisser s’imposer. Combien de fois, face aux
professeurs qui nous décrivent leurs idées d’innovation nous avons été tentés de reformuler
43
leurs idées, de leur imposer les nôtres de manière consciente ou non. Il s’est en fait avéré bien
plus efficace, tout « laisser faire » ce que les pédagogues avaient mis en place, tout en étant
très présent, et en suggérant d’autres orientations possibles. On doit au final assister à la
dissolution de l’événement au profit des transformations silencieuses. Il faut savoir attendre
pour juger de l’efficacité… il est encore trop tôt pour observer ces transformations
silencieuses.
Cette position du non agir où il faut renoncer au dirigisme de l’action, et faire le non faire
reste un concept compliqué opérationellement (pour des esprits occidentaux comme le mien)
mais fertile car cette posture nous force à attendre que la situation observée prenne son plein
potentiel, sa capacité, pour ensuite réagir (au lieu d’agir) avec elle.
Pour conclure sur cette discussion autour de l’efficacité au sens de la pensée chinoise telle
qu’elle nous est présentée par F. Jullien, le laboratoire qui accompagne cette recherche tente
de ne pas se mettre en avant, pour laisser advenir l’effet. L’efficacité est d’autant plus grande
qu’elle ne se voit pas (en tant qu’efficience) sachant que cet invisible est de l’ordre de ce qui
n’est pas encore perceptible (on ne voit pas la rivière former peu à peu son lit, et pourtant
c’est ce qui restera d’elle).
44
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46
ANNEXES 1
47
Annexes 2
Présentation du CIRPP – Centre d’Innovation et de Recherche en Pédagogie de Paris
Le CIRPP est un centre de réflexion et d’échanges ouvert à l’ensemble de la communauté
enseignante, professeurs des écoles de la CCIP et d’autres institutions. Il s’agit d’un
laboratoire de recherche et d’expérimentation qui vise à soutenir des programmes d’études et
de recherche en pédagogie.
Les objectifs poursuivis :
Valoriser la recherche en pédagogie en encourageant les idées, les initiatives, les prises de
risque venant du terrain, ancrées sur la pratique quotidienne
Devenir un pôle d’excellence et de référence en matière de pédagogie, ce qui signifie en
particulier de mener des travaux de recherche innovants et en publier les résultats à la fois
dans des revues académiques nationales et internationales et dans des supports grand public.
Contribuer à l’innovation pédagogique en favorisant la constitution d’équipes de recherche
transversales et la mutualisation d’expérimentations inter-établissements.
Modalités de fonctionnement :
Le CIRPP est animé par un directeur scientifique, François Fourcade, professeur à ESCPEAP. L’équipe est constituée d’une quinzaine de professeurs des écoles de la CCIP, tous
passionnés par la question de la pédagogie.
L’activité du centre s’exerce à trois niveaux :
Animer une sélection continue de projets pédagogiques innovants et aider à leur financement.
Organiser des ateliers et des séminaires de recherche, croisant des problématiques terrain avec
des cadres conceptuels permettant d’éclairer ces pratiques. En particulier, le CIRPP invitera
régulièrement des personnalités du monde de la recherche en science de l’éducation. Un état
des lieux de la pratique pédagogique existante au sein des écoles de la CCIP permettra de
dresser un « Etat de l’art » interne. Cette même problématique sera analysée à l’international
et en particulier outre Atlantique et dans le grand Orient : quelles sont les pratiques
pédagogiques dominantes ? quelles sont les pratiques marginales ? Quelles sont les pratiques
jugées innovantes par les acteurs ?
Favoriser la recherche académique et les publications dans des revues de science de
l’éducation, dans des revues managériales, et dans des média de grande diffusion.
Réfléchir aux pratiques instituées (ce qui est établi), instituantes (ce qui vient déranger l’ordre
établi), pour aboutir à une pédagogie institutionnalisée… telle est l’ambition du CIRPP. Quels
hommes voulons nous former, et selon la réponse, avec quelle pédagogie ?
48
UNE ECOLE OBLIGATOIRE VAUDOISE PLUS EFFICACE ET PLUS EQUITABLE : C’EST-ADIRE ?
Ricciardi Joos, Paola, Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques (URSP), Département de
la Formation, de la Jeunesse et de la Culture du canton de Vaud, Suisse.
Mots-clés : efficacité, équité, égalité, école obligatoire, pilotage.
1. Introduction
En Suisse, le Département de la Formation, de la Jeunesse et de la Culture (DFJC) du canton
de Vaud a mandaté l’Unité de Recherche pour le pilotage des Systèmes Pédagogiques (URSP)
d’analyser les avantages et les difficultés d’un éventuel pilotage de l’école vaudoise par
objectifs opérationnels.
Les objectifs de ce mandat sont les suivants:
1. formuler des objectifs stratégiques – fictifs mais possibles – pour l’école obligatoire
vaudoise,
2. proposer une traduction de ces objectifs stratégiques en objectifs opérationnels (c’est-à-dire
en objectifs beaucoup plus précis et concrets), et identifier les indicateurs permettant de
mesurer l’atteinte de ces objectifs opérationnels,
3. et, enfin, illustrer les conséquences de l’utilisation/diffusion de ces objectifs et indicateurs.
Dans un premier temps, nous avons survolé plusieurs textes qui participent à la définition de
l’école obligatoire (Loi scolaire, Plan d’études,…etc.). Sur la base de ces textes, nous avons
formulé deux objectifs stratégiques. Ces objectifs sont suffisamment ouverts pour ne trahir
l’esprit d’aucun de ces textes: améliorer l’efficacité et améliorer l’équité de l’école
obligatoire.
Le texte qui suit se concentre sur l’éclaircissement théorique des concepts d’efficacité et
d’équité que nous avons effectué pour passer de la première étape (soit la formulation de ces
deux objectifs stratégiques) à la deuxième étape de cette recherche (soit leur traduction en
objectifs opérationnels)9. Cette clarification devait nous permettre d’identifier les diverses
interprétations - et donc traductions concrètes - possibles des objectifs stratégiques proposés.
Dans cet exercice, nous nous référons très largement aux travaux de Demeuse et Baye (2005)
et les discutons.
2. Développement
2.1. Le concept d’efficacité
2.1.1. Qu’est-ce qu’une école efficace ?
Le concept d’efficacité peut se définir par comparaison avec celui d’efficience. Pour certains
chercheurs, ces deux concepts sont des concepts voisins (voir par exemple Paul, 2005). Pour
d’autres, ils renvoient à deux idées très différentes. C’est la position de Demeuse, Matoul et
al. (2005) qui rejoignent la position de de Landsheere (1982) :
Pour de Landsheere (1982, p. 106), ‘est efficace la personne ou le traitement qui
atteint l’objectif visé’ (p. 106). Ce terme correspond à l’ ‘effectiveness’ des auteurs
anglo-saxons. L’efficience, anglicisme dérivé d’ ‘efficiency’, constitue, pour le même
9
Pour les lecteurs intéressés par l’ensemble de la démarche, voir : Ricciardi Joos & Stocker (2008).
49
auteur ‘la relation entre les facteurs d’input et les mesures d’output’, c’est-à-dire la
relation entre les résultats obtenus et les moyens mobilisés. Si l’efficacité se mesure à
l’atteinte d’objectifs ou par l’adéquation entre les résultats escomptés et les résultats
réellement obtenus, l’efficience suppose donc que cette adéquation soit obtenue aux
moindres coûts ou à des coûts moins élevés que par d’autres méthodes (p. 18).
Selon cette distinction, recourir au terme d’efficacité reflète essentiellement une volonté
d’identifier des facteurs qui permettent d’atteindre des objectifs éducatifs particuliers, alors
que recourir au terme d’efficience reflète essentiellement une préoccupation de rationalisation
des moyens à disposition. Bien sûr, l’école ne peut pas faire l’impasse – tant d’un point de vue
économique que d’un point de vue éthique – d’une réflexion sur l’usage le plus adéquat des
moyens limités dont elle dispose. Mais un usage rationnel des moyens ne constitue pas une fin
en soi. C’est pourquoi la définition du concept d’efficacité citée ci-dessus (qui distingue
l’efficacité de l’efficience) nous paraît appropriée pour décrire les effets recherchés par
l’école obligatoire vaudoise.
Le concept d’efficacité entretient aussi des liens étroits avec le concept de qualité. Ce dernier
est toutefois parfois utilisé d’une manière plus étendue (Duru-Bellat, 2007) :
(…) un enseignement de qualité est fait par des maîtres ‘bien’ formés, des classes ‘pas
trop’ grandes, un matériel pédagogique ‘adapté’, la définition de tout cela étant très
incertaine. Dans ce texte, (…) on définira la qualité par le degré auquel on (un maître,
l’école) atteint les objectifs jugés désirables : on parvient – plus ou moins – à ce que
les élèves se sentent bien à l’école, on parvient – plus ou moins – à ce qu’ils
apprennent ce qu’on estime bon qu’ils apprennent, etc. (p. 129)
Pour Duru-Bellat, la qualité de l’enseignement se définit donc par l’atteinte d’objectifs jugés
désirables, à noter que ces objectifs peuvent concerner tant l’apprentissage des élèves
(parvenir à ce que les élèves apprennent ce qu’on estime bon qu’ils apprennent) que leur bienêtre (parvenir à ce que les élèves se sentent bien l’école, ce qui peut être un objectif en soi).
Mais Duru-Bellat rappelle que la qualité est aussi, parfois, liée à la mise en oeuvre de moyens
supposés favorables à l’apprentissage des élèves (la formation des maîtres, la taille des
classes, le matériel pédagogique et, peut-être, le bien-être des élèves qui pourrait être aussi
perçu comme un moyen de favoriser l’apprentissage). Bien sûr, idéalement, il serait utile de
savoir si ces moyens facilitent réellement l’atteinte des objectifs d’apprentissage; mais, en
réalité, leur mise en oeuvre est facilement associée à un gage de qualité en soi.
Nous tiendrons compte de ce double sens possible du concept de qualité - lié soit à des
objectifs d’apprentissage, soit aux moyens supposés utiles à leur atteinte - dans notre
compréhension du concept d’efficacité. Par analogie, nous considérerons qu’une école peut
révéler son efficacité soit par le degré auquel elle atteint ses objectifs d’apprentissage, soit par
le degré auquel elle atteint ses objectifs quant aux moyens qu’elle juge souhaitables (ou
autrement dit, le degré auquel elle recourt et met en œuvre les moyens qu’elle juge utiles).
Toutefois, il est important de préciser que ce dernier type d’efficacité ne se réfère aucunement
au niveau des élèves : ici, l’école est efficace parce qu’elle fait ce qu’elle pense être utile à
l’apprentissage des élèves.
2.1.2. Qu’est-ce qu’une école plus efficace ?
Dans le cadre de notre démarche, le concept d’efficacité renvoie plus à une évolution qu’à un
état. En effet, ce terme nous intéresse en ce que l’école obligatoire vaudoise devrait devenir
50
plus efficace. De ce fait, il est intéressant de définir le concept d’efficacité aussi par rapport au
concept d’amélioration dans le domaine de l’éducation.
Demeuse, Matoul et al. (2005) définissent l’amélioration (improvement dans le texte) entre
autres par les éléments suivants :
Le sens du terme ‘improvement’ est essentiellement orienté vers l’accroissement de la
valeur, l’amélioration d’un résultat. (…) Dans le contexte scolaire, lorsque l’on
souhaite mettre en œuvre un processus d’amélioration, la situation actuelle est perçue
comme comportant des aspects négatifs. Le changement nécessaire est donné comme
porteur d’une valeur positive. Cette valeur représente une anticipation des gains
futurs, liés à un modèle positif de démarches supposées permettre de les atteindre.
(p. 23)
Pour mieux comprendre l’amélioration, il est utile de la distinguer de l’innovation.
L’amélioration met l’accent sur l’atteinte d’objectifs. L’innovation met l’accent sur la
nouveauté des moyens mis en œuvre pour les atteindre (de Landsheere,1982, cité par
Demeuse, Matoul et al., 2005) : « Toute transformation apportée intentionnellement et
systématiquement à un système éducatif, en vue de réviser les objectifs de ce système ou de
mieux atteindre et de façon plus durable les objectifs assignés. » (p. 166)
Ces deux termes peuvent être associés, très grossièrement, à deux courants distincts
(Demeuse, Matoul et al., 2005) :
le courant dit, en français, de l’école efficace (…) (school effectiveness), qui tente
d’identifier les facteurs favorables à l’obtention de résultats élevés auprès des élèves,
et le courant qui s’intéresse à l’amélioration des pratiques éducatives et aux
innovations (school improvement), c’est-à-dire principalement aux processus mis en
œuvre plutôt qu’aux résultats obtenus. (p. 25)
Pourtant, ces deux axes sont utiles pour décrire une réelle amélioration de l’école. C’est
pourquoi, basée sur ces deux courants, l’approche de l’effective school improvement (traduit
par amélioration des pratiques éducatives conduisant à une plus grande efficacité des
établissements scolaires) réunit précisément ces deux axes d’ « évaluation ». Si l’on se rallie à
cette approche, on peut alors adopter les propos de Demeuse, Matoul et al. (2005) :
Deux types de critères sont (…) nécessaires pour s’assurer qu’on est bien dans un
véritable processus d’amélioration des pratiques scolaires. (…) le critère essentiel,
c’est l’amélioration des résultats des élèves en fonction des objectifs que le système
s’assigne. (…) Le second critère concerne les processus eux-mêmes. Si un changement
doit intervenir au niveau des pratiques, il est nécessaire d’observer les pratiques de
manière à s’assurer de leur véritable implantation dans l’établissement scolaire. »
(p. 26)
Par analogie, nous considérerons que l’école est plus efficace non seulement lorsque les
élèves s’approchent des objectifs d’apprentissage, mais aussi lorsqu’elle met en œuvre de
nouveaux moyens (choix pédagogiques, organisationnels, financiers, etc.) qu’elle juge
favorables à l’atteinte de ces objectifs d’apprentissage. Cette distinction rejoint la distinction
effectuée précédemment entre « efficacité liée aux moyens » et « efficacité liée aux objectifs
d’apprentissage ».
51
2.1.3. Liens possibles avec les notions d’input, de process et d’output
L’ « efficacité » pouvant renvoyer tant à la mise en œuvre de moyens jugés souhaitables qu’à
l’atteinte des objectifs d’apprentissage, il est intéressant de relier ce concept aux notions
d’input, de process et d’output. Pour cela, il s’agit maintenant de préciser le sens que nous
attribuerons à ces trois termes dans le contexte spécifique du pilotage de l’école obligatoire
vaudoise.
Dans ce contexte, l’input fait référence aux aspects extérieurs à l’école obligatoire et
contraignants pour elle. Il renvoie par exemple au profil des élèves domiciliés dans le canton
de Vaud, ou au profil et à la disponibilité des enseignants sur le marché de l’emploi. Il renvoie
aussi aux moyens financiers attribués à l’école obligatoire vaudoise. Si le caractère
contraignant de ces facteurs est en partie discutable, nous estimerons néanmoins qu’ils sont
bel et bien contraignants pour l’école vaudoise. En effet, les dirigeants de la Direction
Générale de l’Enseignement Obligatoire (ou DGEO, précisément chargée du pilotage de
l’école au niveau cantonal) pourraient, par exemple, défendre l’idée d’une nouvelle répartition
des moyens financiers attribués à l’ensemble de la formation qui serait plus avantageuse pour
l’école obligatoire. Ils pourraient aussi « améliorer (partiellement) le profil » des élèves en
s’engageant à rendre le préscolaire obligatoire. Ils pourraient encore « améliorer le profil »
des enseignants en soutenant l’idée d’une formation continue. Néanmoins, la malléabilité de
ces facteurs d’input dépend fortement d’autres acteurs que les dirigeants de l’école obligatoire
vaudoise. C’est pourquoi nous n’associerons pas les concepts-clés (efficacité, équité) de la
stratégie de l’école obligatoire (du ressort de ses dirigeants) à des facteurs d’input (du ressort
de multiples acteurs) 10.
Le process fait référence aux aspects malléables du système. Il se réfère à l’organisation et au
fonctionnement de l’école obligatoire qui sont entre les mains des responsables politiques,
administratifs et pédagogiques de la DGEO. Dans ce contexte, il s’agit donc de toutes les
actions que ces derniers peuvent entreprendre pour assurer et améliorer le bon fonctionnement
de l’école. Nous proposons de décomposer le process en deux parties. Une première partie
concerne les actions entreprises pour améliorer les conditions d’apprentissage des élèves.
Elles se rapportent par exemple à la taille des classes ou aux soutiens pédagogiques offerts.
Une deuxième partie concerne les décisions liées au parcours des élèves. Elles se rapportent
par exemple aux décisions de maintien, de redoublement et d’exclusion. Ces décisions sont
considérées comme des éléments malléables du système du fait que leurs modalités sont
définies au sein de la DGEO. Elles nous intéressent en ce qu’elles indiquent si les élèves
atteignent les exigences qu’ils sont censés atteindre en cours ou en fin de scolarité, et cela au
rythme souhaité.
Enfin, l’output fait référence aux résultats du système. Il se compose de deux types de
résultats : l’un concerne les évaluations des connaissances et des compétences des élèves en
cours et en fin de scolarité obligatoire (résultats directs), l’autre l’intégration sociale et
professionnelle de ces élèves après leur formation (résultats indirects).
2.1.4. Application des définitions retenues à l’école obligatoire vaudoise
10
C’est pour la même raison que nous n’avons même pas évoqué la notion de contexte. Le contexte renvoie, selon nous, à toutes les
dimensions à même de décrire le canton (et non pas seulement les dimensions directement liées à l’école), comme par exemple la structure
de la population, la migration, les comportements familiaux ou encore l’économie. Ces conditions précèdent l’élaboration d’une stratégie
scolaire qui viserait à plus d’efficacité et à plus d’équité. Il ne fait donc pas sens d’associer ces deux termes au contexte.
52
Sur la base des différentes définitions possibles de l’efficacité évoquées plus haut, et de cette
adaptation des termes input-process-output à l’école obligatoire, nous estimerons donc que
l’école peut être considérée comme efficace lorsqu’elle :
• offre des conditions adéquates (ou jugées souhaitables) d’apprentissage (PROCESS I),
• permet d’atteindre les exigences posées en cours et en fin de scolarité (PROCESS II),
• permet de maîtriser les connaissances et compétences visées en cours et en fin de scolarité
(OUTPUT I),
• permet l’intégration sociale et professionnelle de ses élèves (OUTPUT II).
Parallèlement, il en découle que l’école obligatoire peut être considérée comme plus efficace
lorsqu’elle :
• améliore les conditions d’apprentissage,
• voit croître son taux d’élèves qui atteignent les exigences posées en cours et en fin de
scolarité,
• voit croître son taux d’élèves qui atteignent les connaissances et les compétences visées en
cours et en fin de scolarité,
• voit croître son taux d’élèves qui s’intègrent tant d’un point de vue social que
professionnel.
2.2. Le concept d’équité
2.2.1. Qu’est-ce qu’une école équitable et une école plus équitable ?
Distinguer l’équité de l’égalité
Pour construire les indicateurs du système éducatif tessinois, l’Ufficio Studi e Ricerche (USR)
du Département de l’éducation, de la culture et du sport du canton du Tessin (DECS) a
élaboré un cadre conceptuel dans lequel il aborde les définitions de l’égalité et de l’équité
(2003). Egalité et équité y sont clairement distinguées :
Sur le plan conceptuel, l’égalité est une équivalence entre deux ou plusieurs termes
basée sur une échelle de valeurs ou de critères de préférence communément partagées
par les sociétés industrielles, alors que l’équité se réfère plutôt au concept de justice
sociale. Par conséquent, on peut affirmer que l’égalité est un concept de type
exclusivement comparatif, alors que l’équité a un caractère plus global, dans le sens
où elle tient compte de la complexité relative au fait de permettre, tant à l’individu
qu’au système dans son ensemble, un développement optimal (p. 41, notre traduction).
L’USR précise encore la notion d’équité en citant Hutmacher (2000, cité par Ufficio Studi e
Ricerche, 2003) : « L’équité se réfère à une idée de ce qui est juste ou injuste et exprime un
jugement en référence à un ou plusieurs principes ou normes de justice (connotation de
justice sociale) » (p. 41, notre traduction).
Cette distinction entre équité et égalité est importante car elle pose une question de taille :
« Toutes les inégalités sont-elles injustes ? » (p. 41, notre traduction). Cette question a tout
53
son sens dans le milieu de l’enseignement. En effet, si un système scolaire peut présenter
certaines inégalités (par exemple, s’il porte une plus grande attention aux élèves en difficulté),
ces inégalités – et donc ce système – ne sont pas injustes dans l’« absolu », puisque ces
inégalités visent précisément à rendre le système plus juste (ou, autrement dit, plus équitable).
Ainsi, des inégalités peuvent être justes; et réciproquement, des égalités peuvent être injustes.
Les 4 types d’équité selon Demeuse et Baye
Demeuse et Baye (2005) expriment cette même idée, en d’autres termes. Selon eux, l’égalité
fait référence à un « examen formel de l’égalité entre les individus ou les groupes
d’individus », alors que l’équité fait référence à un « examen des différences qui peuvent être
considérées comme justes par opposition à celles qui ne peuvent pas être qualifiées de la
sorte » (p. 150).
Ces chercheurs rappellent quatre acceptions possibles – et non exclusives – du concept
d’équité lorsqu’il est appliqué à un système éducatif. Chacune d’entre elles correspond à une
forme particulière d’égalité. Leur sens respectif peut être éclairé par une question :
L’équité d’accès ou égalité des chances :
Tous les individus (ou groupes d’individus) ont-ils les mêmes chances d’accéder à un
niveau déterminé du système éducatif ?
L’équité en termes de confort pédagogique ou égalité de moyens :
Tous les individus jouissent-ils de conditions d’apprentissage équivalentes ?
L’équité de production ou égalité d’acquis (ou encore de résultats) :
Les élèves ou étudiants maîtrisent-ils tous, à un même degré d’expertise, les
compétences ou les connaissances assignées comme objectifs au dispositif éducatif ?
(…)
L’équité de réalisation ou d’exploitation des produits :
Une fois sortis du système, les personnes et les groupes d’individus ont-ils les mêmes
possibilités d’exploiter les compétences acquises, c’est-à-dire de se réaliser en tant
que personne ou groupe dans la société, et de valoriser leurs compétences ? (p. 162)
En se référant à Grisay (1984), Demeuse et Baye synthétisent les idées pédagogiques qui
sous-tendent ces différentes conceptions de l’égalité sous la forme d’un tableau récapitulatif.
Cette clarification théorique souligne l’importance qu’il y a à répondre à la question posée par
Sen (1991, cité par Demeuse & Baye, 2005) : « Equality of what ? ». Selon Demeuse et
Baye : « (…) les quatre réponses possibles à cette question (égalité des chances d’accès, de
traitement, d’acquis ou de résultats sociaux) ne sont pas contradictoires, dans la mesure où
elles s’adressent à différents niveaux des systèmes d’enseignement et de formation (…) »
(p. 166).
Selon eux, chaque niveau du système appelle un type d’égalité différent (et donc aussi un type
d’équité différent) :
• le contexte dans lequel prend place l’institution éducative se réfère à l’égalité des chances
d’accès,
54
• les processus qui sont mis en œuvre pour atteindre les objectifs se réfèrent à l’égalité de
traitement,
• les résultats internes produits par l’institution se réfèrent à l’égalité des acquis,
• les résultats externes produits par l’institution se réfèrent à l’égalité des résultats sociaux.
Cette modélisation permet de souligner combien la signification du concept d’équité peut
varier en fonction du point de vue et de l’intérêt de l’acteur :
(…) si l’on s’intéresse aux processus éducatifs, il convient de mesurer l’égalité de
traitement des personnes et non l’égalité de leurs chances d’accès, qui en constitue
l’amont ou l’égalité des acquis, que l’on mesurera en aval, et qui peut quant à elle
être mesurée indépendamment de l’égalité des processus éducatifs. C’est ainsi que le
principe même des discriminations positives repose sur une tentative d’égalisation des
résultats, au prix d’une différenciation des moyens. L’examen différencié des types
d’égalités à prendre en compte en fonction du niveau du système où l’on se situe
n’exclut pas une vision d’ensemble de l’équité éducative : il explicite le fait même
qu’un système équitable est un système qui vise un certain type d’égalité, au risque
d’admettre, pour y parvenir (…) certaines inégalités considérées comme justes
(p. 167).
2.2.2. Suggestions de développement
Cette mise en relation entre « niveaux du système d’enseignement » et « types d’égalité »
constitue donc une grille de lecture intéressante des intérêts multiples des acteurs de
l’éducation. Nous souhaiterions toutefois la discuter sur deux points, et cela sous la forme de
deux propositions.
Premièrement, nous proposons de ne pas relier l’égalité des chances d’accès au niveau du
contexte, mais plutôt au niveau du processus. La notion de contexte donne à penser que
l’égalité des chances d’accès se limite à l’accès initial au système éducatif. Cela pourrait être
le cas dans un contexte où la scolarisation est limitée à certains enfants. Or, dans les pays où
la scolarisation est assurée pour tous les enfants, les chances d’aller à l’école sont acquises.
Dans ces pays, l’enjeu porte plutôt sur les chances de fréquenter les filières nobles et d’avoir
une scolarité longue; et l’égalité des chances d’accès à un certain niveau du système éducatif
fait partie d’un processus décisionnel orchestré par les acteurs de l’école obligatoire
(responsables politiques, directeurs généraux, directeurs d’établissement, etc.). C’est pourquoi
nous proposons de relier l’égalité des chances d’accès au processus. Pour préciser nos propos,
nous commenterons une définition de Grisay. Grisay (1983) définit l’égalité des chances
d’accès de la manière suivante : « (…) le fait qu’à aptitudes égales, les élèves de milieu
défavorisé ont autant de chances que d’autres d’aller à l’école, d’y fréquenter les filières
‘nobles’ et d’avoir une scolarité longue » (p. 59). Demeuse et Baye ont mis l’accent sur la
première partie de cette définition (« autant de chances que d’autres d’aller à l’école »); nous
proposons de mettre l’accent sur la deuxième partie (« autant de chances que d’autres d’y
fréquenter les filières ‘nobles’ et d’avoir une scolarité longue »).
Deuxièmement, - et c’est là le point central de ce texte - nous proposons de relier chaque type
d’équité non pas uniquement à un type d’égalité, mais aussi à un type d’INégalité. Demeuse et
Baye associent chaque type d’équité à un type d’égalité. Dans leur perspective, un système est
équitable, en termes de confort pédagogique par exemple, lorsqu’il offre une égalité de
55
traitement. Nous pensons toutefois qu’il est nécessaire de considérer qu’un système est
parfois jugé équitable (en termes de confort pédagogique toujours) lorsqu’il offre une
inégalité de traitement. En effet, certains peuvent considérer qu’un système est juste (en
termes de confort pédagogique toujours) précisément parce qu’il traite inégalement les élèves.
La volonté d’offrir un soutien particulier aux élèves les plus en difficulté en est une
illustration possible. Selon nous, ces deux positions opposées sont imaginables tant au niveau
du process qu’au niveau de l’output. C’est pourquoi nous proposons de considérer que tout
type d’équité peut être basé soit sur un type d’égalité, soit sur un type d’inégalité.
2.2.3. Application des définitions retenues à l’école obligatoire
Au vu de ce qui précède, l’école obligatoire peut être considérée comme équitable lorsqu’elle
offre :
• des conditions d’apprentissage égales OU inégales à ses élèves11 (PROCESS I, équité de
confort pédagogique),
• des chances égales OU inégales d’atteindre les exigences posées en cours et en fin de
scolarité12 (PROCESS II, équité d’accès),
• des chances égales OU inégales de maîtriser les connaissances et compétences visées en
cours et en fin de scolarité (OUTPUT I, équité de production),
• des chances égales OU inégales d’intégration sociale et professionnelle (OUTPUT II,
équité de réalisation).
Chacun de ces niveaux peut être illustré par un double exemple qui souligne l’intérêt qu’il y a
à considérer cette alternative.
L’équité de confort pédagogique peut être recherchée soit par l’offre d’un encadrement
pédagogique identique pour tous (et donc des conditions d’apprentissage égales), soit par
l’offre d’un appui pédagogique réservé aux élèves les plus en difficulté (et donc des
conditions d’apprentissage inégales). En effet, certains trouvent plus juste d’offrir à tous les
élèves le même encadrement, alors que d’autres trouvent plus juste de le différencier en
fonction des difficultés rencontrées par les élèves.
L’équité d’accès à un certain niveau du système éducatif peut être recherchée soit par la mise
en place d’exigences identiques pour les garçons et les filles pour être orienté en voie
prégymnasiale (et donc des chances égales d’atteindre les exigences posées en cours de
scolarité), soit par la mise en place d’exigences plus élevées pour les filles que pour les
garçons (et donc des chances inégales d’atteindre les exigences posées en cours de scolarité).
Si ce dernier exemple paraît aujourd’hui peu probable, rappelons que le Canton de Vaud a eu
recours par le passé à une telle discrimination positive en faveur des garçons, et qu’elle était
alors considérée comme légitime.
L’équité de production peut s’exprimer soit par un équilibre du taux de garçons et de filles
diplômés dans chacune des trois voies du secondaire I13 (et donc des chances égales entre
11
Par exemple : entre individus de sexe, de nationalité ou de langue maternelle différente, ou encore entre établissements ou entre régions
scolaires.
12
Ce qui inclut les chances de fréquenter les filières nobles et d’avoir une scolarité longue.
56
garçons et filles de maîtriser les connaissances et compétences visées en fin de scolarité), soit
par l’« acceptation passive» d’un taux de filles diplômées en voie secondaire baccalauréat14
supérieur à celui des garçons (et donc des chances inégales entre garçons et filles de maîtriser
les connaissances et compétences visées en fin de scolarité). En effet, certains peuvent trouver
plus juste que garçons et filles obtiennent les mêmes diplômes, alors que d’autres peuvent
trouver plus juste que les compétences des filles soient précisément valorisées dans ces
diplômes.
L’équité de réalisation peut s’exprimer soit par un taux de chômage équivalent chez les
élèves étrangers et chez les élèves suisses (et donc des chances égales d’intégration
professionnelle entre élèves suisses et étrangers), soit par un taux de chômage plus élevé chez
les élèves étrangers que chez les élèves suisses (et donc des chances inégales d’intégration
professionnelle entre élèves suisses et étrangers). En effet, certains peuvent trouver plus juste
que citoyens suisses et étrangers aient les mêmes chances d’accéder à un emploi, alors que
d’autres peuvent trouver plus juste que les citoyens suisses soient favorisés dans cette
démarche.
Aujourd’hui, seule la première forme d’inégalité (inégalité des conditions d’apprentissage)
fait parfois l’objet d’une politique déclarée. La récente annonce d’une enveloppe pédagogique
(et indirectement financière) différenciée selon les caractéristiques des établissements
scolaires en est un exemple concret. Les trois autres formes d’inégalité sont beaucoup plus
souvent le résultat d’un constat que d’une réelle volonté délibérée des dirigeants du système
scolaire.
Nous avons défini jusqu’ici ce qu’est une école équitable : il nous faut encore définir ce qu’est
une école plus équitable. Par analogie, une école sera plus équitable à chaque niveau
d’enseignement soit parce qu’elle tendra vers l’égalité, soit parce qu’elle tendra vers
l’inégalité. Il en découle que l’école obligatoire peut être considérée comme plus équitable
lorsqu’elle offre, au fil du temps :
• des conditions d’apprentissage plus égales OU plus inégales,
• des chances d’atteindre les exigences posées en cours et en fin de scolarité plus égales OU
plus inégales,
• des chances de maîtriser les connaissances et compétences visées en cours et en fin de
scolarité plus égales OU plus inégales,
• des chances d’intégration sociale et professionnelle plus égales OU plus inégales.
A nouveau, la recherche d’une plus grande justice peut se référer soit à la notion d’égalité,
soit à celle d’inégalité. Elle est guidée par la conception de la justice adoptée à chacun de ces
niveaux.
2.3 Synthèse
13
Pour les trois dernières années de la scolarité obligatoire, les élèves sont différenciés – et finalement diplômés
- selon trois niveaux d’exigence. Leur orientation dans l’une ou l’autre de ces trois voies influence fortement leur
accès aux formations ultérieures (apprentissage, formation professionnelle, études longues,…).
14
La seule filière à ouvrir automatiquement la porte aux études universitaires.
57
L’ensemble de ces relations est synthétisé dans le tableau qui suit. L’intérêt de ce tableau
réside dans la volonté de mettre en relation les notions d’efficacité et d’équité, et de préciser
leur sens respectif à chacun des niveaux du système scolaire. En le lisant colonne par colonne,
il laisse déjà entrevoir que, pour chaque niveau du système scolaire, toute dimension et tout
indicateur utile à la mesure de l’efficacité de l’école peut être parallèlement utile à la mesure
de son équité.
58
Tableau:
Les objectifs stratégiques, leurs concepts-clés et les niveaux de l’école
obligatoire
PROCESS I
conditions
d’apprentissage
PROCESS II
parcours des
élèves
OUTPUT I
résultats
directs
OUTPUT II
résultats
indirects
L’école
peut être
jugée
efficace
lorsqu’elle offre
des conditions
adéquates
d’apprentissage
aux élèves
lorsqu’elle
permet à ses
élèves d’atteindre
les exigences
posées en cours et
en fin de la
scolarité
lorsqu’elle
permet à ses
élèves de
maîtriser les
connaissances et
compétences
visées en cours
et en fin de
scolarité
lorsqu’elle
permet
l’intégration
sociale et
professionnelle
de ses élèves
L’école
peut être
jugée plus
efficace
lorsqu’elle
améliore les
conditions
d’apprentissage
de ses élèves
lorsqu’elle voit
croître son taux
d’élèves qui
atteignent les
exigences posées
en cours et en fin
de scolarité
lorsqu’elle voit
croître son taux
d’élèves qui
maîtrisent les
connaissances et
compétences
visées en cours
et en fin de
scolarité
lorsqu’elle voit
croître son taux
d’élèves qui
s’intègrent d’un
point de vue
social et
professionnel
L’école
peut être
jugée
équitable
lorsqu’elle offre
des conditions
d’apprentissage
in/égales à ses
élèves
-> équité de
confort
pédagogique
basée sur
l’in/égalité de
moyens
lorsqu’elle offre
des chances
in/égales
d’atteindre les
exigences posées
en cours et en fin
de scolarité
-> équité d’accès
basée sur
l’in/égalité des
chances
lorsqu’elle offre
des chances
in/égales de
maîtriser les
connaissances
et compétences
visées en cours
et en fin de
scolarité
-> équité de
production
basée sur
l’in/égalité des
acquis
lorsqu’elle offre
des chances
in/égales
d’intégration
sociale et
professionnelle
-> équité de
réalisation basée
sur l’in/égalité
des résultats
sociaux
L’école
peut être
jugée plus
équitable
lorsqu’elle offre
des conditions
d’apprentissage
plus in/égales à
ses élèves
lorsqu’elle offre
des chances plus
in/égales
d’atteindre les
exigences posées
en cours et en fin
de scolarité
lorsqu’elle offre
des chances plus
in/égales de
maîtriser les
connaissances et
compétences
visées en cours
et en fin de
scolarité
lorsqu’elle offre
des chances plus
in/égales
d’intégration
sociale et
professionnelle
59
Ce tableau tente d’offrir une vision synthétique des interprétations possibles des concepts
d’efficacité et d’équité. On relèvera toutefois combien l’efficacité de l’école mesurée au
niveau du process est d’une autre nature que celle qui est mesurée au niveau de l’output. Pour
le dire simplement, la première forme d’efficacité se réfère à une efficacité de
fonctionnement : l’école est efficace dans le sens où elle fonctionne tel que souhaité. La
deuxième forme d’efficacité se réfère à une efficacité de résultats : l’école est efficace dans le
sens où elle forme les élèves tel que souhaité.
3. Conclusion
Sur la base des définitions abordées précédemment de l’efficacité, nous avons déduit et retenu
quatre interprétations possibles de l’objectif stratégique « une école obligatoire vaudoise
efficace » que nous avons associées à quatre niveaux différents du systèmes scolaire.
Quant au nombre d’interprétations possibles de l’objectif stratégique « une école plus
efficace », nous en avons retenu huit. Ce choix résulte d’une lecture particulière et d’un
possible développement du modèle développé par Demeuse et Baye qui identifient quatre
types d’équité différents, chacun étant associé à une forme d’égalité et à un niveau particulier
du système scolaire. Selon eux, le choix de mettre le curseur de l’évaluation à tel ou tel niveau
du système reflèterait le rôle du système scolaire – et une certaine conception de la justice que l’on voudrait mettre en lumière. Plutôt que d’associer chaque type d’équité à une forme
d’égalité, nous proposons de dissocier ces deux concepts. Partant du principe que chacun des
quatre types d’équité proposés par Demeuse et Baye pourrait être aussi bien fondé sur un
constat d’égalité que sur un constat d’inégalité, nous proposons de dédoubler les types
d’équité à considérer. Cela nous porte à penser que l’objectif stratégique « une école
obligatoire vaudoise plus équitable » pourrait donner lieu à huit interprétation possibles. En
effet, il peut varier en fonction des conceptions de la justice que l’on peut exprimer à chaque
niveau du système scolaire (process I, process II, output I et output II), selon que l’équité
visée à chacun de ces niveaux se fonde sur une volonté d’égalité ou d’inégalité. Autrement
dit, selon nous, les différentes conceptions de la justice s’exprimeraient moins en fonction du
niveau du système considéré, qu’en fonction de l’égalité ou de l’inégalité souhaitée au sein
même de chacun de ces niveaux.
Nous proposons ici une grille des interprétations possibles des objectifs stratégiques étudiés :
mais elle mérite bien sûr encore d’être discutée. Pour alimenter cet échange, l’étape ultérieure
consistera à préciser les dimensions nécessaires à la mesure de l’efficacité et de l’équité telle
que nouvellement définies à chacun des niveaux du système d’enseignement.
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61
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