Compte-rendu de l`audition d`Alain Chamoux

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Audition d’Alain Chamoux
Alain CHAMOUX est cardiologue, médecin du travail et physiologiste. Ses travaux sont
partis de la constatation qu’il y a des pics de fréquence cardiaque en rapport avec le stress. Il a
cherché à objectiver le stress d’abord avec des données physiologiques, puis avec des outils
psychométriques. Ensuite, à la tête d’un service du CHU de Clermont-Ferrand, il a mis en
place une consultation sur le stress au travail avec un psychologue, un psychiatre et un
médecin du travail. Dans le cadre de la recherche universitaire, son service réalise
régulièrement des audits dans les entreprises où on lui signale des problèmes d’organisation
ou de stress. Dans ce cadre, le service a mis en place l’utilisation d’un outil simple : l’échelle
visuelle analogique (EVA) du stress (de Chamoux-Simard), où on demande simplement le
niveau de stress perçu au travail.
Cette échelle fonctionne comme celle de la douleur (de 0 à 100). On considère que quelqu’un
est « trop stressé » s’il déclare un chiffre supérieur à 60. Si c’est le cas, le médecin peut
explorer les causes de ce stress afin de déterminer si elles sont personnelles, strictement
professionnelles, ou s’il s’agit d’un cumul de problèmes personnels et professionnels.
Ensuite, on peut réaliser une exploitation collective, pour calculer le niveau moyen de stress
d’un établissement et son évolution, discutée en CHSCT. On peut également réaliser une
cartographie par service au sein de l’établissement.
Les membres de la consultation ne se rendent pas sur les lieux de travail. Souvent, dans les
cas de harcèlement ou d’erreur de management, l’action sur le milieu de travail est illusoire.
Il est difficile d’établir une hiérarchisation des sources de stress. Le harcèlement est
marginal ; les sources essentielles de stress déclarées par les salariés sont à rechercher du côté
de l’intensification du travail, de la surcharge de travail, des réorganisations, du manque
d’effectif... Cela dit, Alain CHAMOUX a constaté que depuis qu’il établit des statistiques, le
travail s’est intensifié sans que le niveau moyen ressenti de stress ne bouge1.
Il lui paraît plus intéressant de travailler en faisant des cartographies par service, qui
permettent de repérer les endroits où il peut y avoir un problème de management. Son rôle est
alors un rôle d’information et d’alerte ; mais ce sont les entreprises qui gèrent les problèmes
repérés, éventuellement en demandant un audit extérieur, qui peut alors être commandé au
service d’Alain CHAMOUX, qui intervient en tant qu’expert universitaire. Il utilise alors des
questionnaires, comme ceux de Siegrist ou de Karasek, auxquels il ajoute des données
importantes qui n’y figurent pas : le dialogue social, la communication, le lieu du centre
décisionnel (parisien, central, lointain, inaccessible…). On prend en compte le fait que le
management doit reconnaître les compétences, créer la confiance (on doit pouvoir dire aux
salariés qu’on est dans une mauvaise passe, qu’on va essayer de s’en sortir ensemble) et la
vraie considération du personnel (le personnel doit être vraiment écouté, et ses dires doivent
être pris en compte).
Enfin, Alain CHAMOUX signale que les TMS, dont le lien avec le stress a été mis en
évidence par de nombreuses études, vont être majorés par l’allongement de la durée du
travail : il y a en effet une relation linéaire entre les plaintes et l’âge.
Alain CHAMOUX parle ensuite du Réseau National de Vigilance et de Prévention des
Pathologies Professionnelles (dit « RNV3P »). Coordonné par l’Afsset, la CNAMTS, la
Société française de médecine du travail et le CHU de Grenoble, le RNV3P a vocation à
rassembler les données issues des problèmes de santé au travail dans le but de créer une base
de données nationale sur les pathologies professionnelles.
1
Ajout du 30 janvier 2012 : ceci était vrai pour les années connues au moment de l’audition d’Alain Chamoux (effectuée en avril 2010),
mais ça n’a plus été le cas en 2010.
Pour ce faire, le RNV3P réunit les 32 « Centres de Consultation de Pathologies
Professionnelles » (CCPP), situés dans les CHU. Il s’agit de centres de consultation utilisés
pour reconnaître le caractère professionnel de certaines pathologies. Chaque centre a une
spécificité liée à la spécialité médicale du Professeur qui l’anime ; 29 reçoivent des patients
qui consultent pour des motifs en rapport avec la souffrance psychique au travail.
Le recrutement est effectué également par le médecin du travail, mais aussi par les médecins
traitants et les médecins spécialistes. Les cas adressés sont essentiellement des pathologies
graves.
Chaque centre fonctionne avec des modalités différentes (entretiens de psychologue ou pas,
diagnostic reliant le travail et la pathologie ou pas…). Mais le réseau fonctionne avec des
bordereaux de saisie standardisés.
Dans la base d’environ 100000 dossiers, 14751 concernent des pathologies mentales. La
proportion des problèmes de troubles mentaux et du comportement par rapport à l’ensemble
des problèmes de santé au travail était de 27 % en 2007 : c’est donc devenu le premier poste
de consultation au CHU. Compte tenu des capacités d’accueil du réseau national, on peut
estimer qu’il reçoit chaque année environ 3000 cas de pathologies mentales liées au travail.
Dans un premier temps, le réseau considérait qu’il s’agissait de « troubles de l’adaptation ».
Cela correspond à l’idée que les personnes qui viennent consulter ont un problème qu’elles
n’auraient pas eu si elles avaient travaillé dans un autre milieu professionnel. Mais cela ne
correspond pas à un diagnostic médical suffisamment précis : donc, la classification a été
changée en 2009. On distingue maintenant les troubles anxieux purs, les syndromes
dépressifs ou les états dépressifs avec trois niveaux (mineur, modéré, grave), selon les critères
de la CIM-10.
Il est également prévu de tenir compte des comorbidités.
Enfin, un travail de rationalisation des « nuisances ou expositions» a été réalisé en 2009. Il y
a la possibilité de lister cinq nuisances sur le bordereau, en allant des nuisances presque
causales à celles qui sont plutôt des facteurs accessoires d’environnement.
Si Alain CHAMOUX emploie le terme de « nuisances », c’est parce que celui de « risques
psychosociaux » a été récusé. En effet, le réseau considère qu’il faut distinguer entre
« risques » et « facteurs de risques » : le facteur de risque désigne une simple liaison
statistique, sans causalité. Or, la logique du réseau de vigilance, pour toutes les pathologies
(pas uniquement mentales), est d’identifier une cause et une maladie. Cela explique d’ailleurs
aussi que les troubles de l’adaptation aient été récusés, car par définition, le trouble de
l’adaptation est une interaction entre l’environnement et la personne. Lorsqu’on utilise le
terme de « nuisances », on tient compte du fait que ce qui est une nuisance pour l’un ne le
sera peut-être pas pour l’autre.
Alain CHAMOUX aborde ensuite le contenu du rapport sur les expositions : Facteurs
Organisationnels, Relationnels, Ethiques et de Majoration (FOREM). Il est structuré en
cinq grands chapitres : les exigences inhérentes à l’activité (il donne l’exemple du travail en
hôpital : on y travaille forcément la nuit, et même si on sait que le travail de nuit est un
facteur de stress, on n’y peut rien) ; l’organisation fonctionnelle de l’activité (le
management) ; les relations au travail (ce qui dépend en partie de l’employeur) ; l’éthique
personnelle, l’éthique de l’entreprise ; les autres facteurs de majoration (« statut médical,
familial et social particulier pouvant modifier la relation, retour après une interruption »).
Les « autres facteurs de majoration » concernent notamment les conditions dans lesquelles se
fait un retour après une période d’interruption d’activité (que ce soit pour un congé maternité
ou pour un accident du travail). C’est un thème important pour la prévention (car on peut
imaginer un accompagnement au retour de ces personnes).
Ensuite, Alain CHAMOUX commente plus particulièrement certains thèmes du thésaurus
(qui sera évolutif) : au sujet des horaires de travail, il mentionne le fait que des seuils ont été
retenus, par exemple « amplitude horaire de travail continu supérieure à 10 heures ». Le choix
d’un seuil peut paraître absurde, mais il a l’avantage d’être fixé de la même manière pour tout
le monde.
Certains items correspondent au questionnaire de Karasek : pauvreté de contenu, polyvalence
des tâches entraînant un déficit d’identité. Ce n’est pas la simple polyvalence qui est
considérée comme problématique.
Ensuite, dans le management figure notamment le management matriciel, gros problème
actuel. Les surcharges de travail sont très dépendantes de la personne, ce qui explique
qu’après débat, il ait été choisi de parler de surcharges « ressenties », qui représentent un
véritable problème de management car les individus n’ont pas tous les mêmes capacités et ne
ressentent pas tous la même charge de travail de la même façon : le management doit en tenir
compte.
Dans les procédures et contrôles excessifs, il signale qu’a été intégré le contrôle continu par
des moyens matériels (vidéosurveillance, informatique, enregistrement), qui est de plus en
plus présent.
Les dysfonctions des prescriptions de la hiérarchie sont difficiles à prendre en compte car
elles supposent un jugement sur le manager ; c’est pourquoi des éléments objectifs ont été
pris en compte, tels l’absence de fiche de poste ou de procédures, ce qui est tangible.
Un item sur l’éthique personnelle a été retenu, qui consiste à faire des actes allant à l’encontre
de ses principes (ventes abusives, réaliser des licenciements). Pourtant, le fait de réaliser des
licenciements peut être un métier ; mais il s’agit ici de tenir compte du fait que certaines
personnes ne veulent pas l’exercer et qu’il est possible qu’un médecin constate que l’exercer
quand même soit une cause de décompensation.
L’item sur l’éthique de l’entreprise (culture de sécurité, culture d’hygiène, manque de moyens
de protection collective, manque de moyens de protection individuelle) a été prévu malgré les
difficultés qu’il y a pour juger que le niveau de sécurité n’est pas correct. En théorie, seul
l’ingénieur de sécurité le peut ; mais ici, il s’agit d’écouter le point de vue du salarié, sans le
vérifier. Cela correspond bien à l’idée qu’un médecin croit toujours son patient, même si la
possibilité d’être manipulé existe toujours.
A la question de l’existence de données sur le stress en entreprise (donc de données sur les
conséquences pour la santé des facteurs organisationnels), Alain CHAMOUX explique que la
base du RNV3P ne contient pas de telles données. Il faudrait pouvoir exploiter les données
issues de l’utilisation de l’EVA-stress par les médecins du travail ; mais ceux-ci n’ont pas
nécessairement les outils informatiques adaptés pour fournir des données.
Ensuite, Alain CHAMOUX pense que les traits de personnalité jouent un rôle important ;
mais il lui paraît néanmoins impossible de les prendre en compte, pour des raisons éthiques.
Enfin, il fait remarquer qu’il faut faire attention à ce que les enquêtes sur les facteurs de
risques et la construction d’indicateurs collectifs n’aboutissent pas à supprimer les entretiens
individuels avec les médecins. Il s’interroge aussi sur la possibilité de s’orienter vers des
bilans de compétences ou du moins d’orientation réguliers au cours des carrières
professionnelles, ce qui pourrait être de nature à diminuer le stress. La trajectoire
professionnelle est une dimension dont il est essentiel de tenir compte.
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