Mort subite d`origine cardiaque et repolarisation

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Mort subite d’origine cardiaque et repolarisation précoce
Titre original et référence : Haïssaguerre M, Derval N, Sacher F, et al. Sudden cardiac arrest associated with early repolarization. N Engl J Med 2008 ; 358 :
2016-23.
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Question évaluée par l’étude
La mort subite d’origine cardiaque
représente environ 350 000 morts
par an aux Etats-Unis et constitue
toujours un problème majeur de santé
publique. Malgré des progrès dans la
gestion des patients dans les structures
d’urgence, seulement 3 à 10 % des
patients présentant un arrêt cardiaque
extrahospitalier sont ressuscités avec
succès. On sait que la majorité des
arrêts cardiaques est due à des troubles du rythme ventriculaire, qui se
produisent dans 6 à 12 % des cas
en l’absence d’anomalies structurelles cardiaques. Dans certains cas
aujourd’hui bien caractérisés, il existe
des anomalies électrocardiographiques qui affectent la repolarisation
ventriculaire (syndrome du QT long,
syndrome de Brugada), tandis que
dans d’autres cas dans lesquels il n’y a
pas de signes électrocardiographiques
22 centres chez des patients de moins
de 60 ans. Les patients étaient sélectionnés car ils avaient bénéficié de
l’implantation d’un DAI. Un ECG de
base était réalisé, et la repolarisation
précoce était définie comme une
élévation du QRS à la jonction du
segment ST (point J) au moment où
le DAI était implanté. L’élévation du
point J devait être d’au moins 1 mm
(0,1 mV) au-dessus de la ligne de
base, ou un empâtement du QRS,
ou une déflection positive du point
J dans l’onde S dans les dérivations
inférieures (DII, DIII, aVF), latérales
(I, aVL, et V4 à V6) ou les 2 (figure 1).
Les dérivations antérieures (V1 à V3)
étaient exclues afin d’éviter l’inclusion de patients porteurs d’une
dysplasie arythmogène du ventricule
droit ou d’un syndrome de Brugada.
Les patients étaient ensuite considérés
comme ayant présenté une FV idio-
en rythme sinusal, on parle de fibrillation ventriculaire (FV) idiopathique [1].
La repolarisation précoce est observée
dans 1 à 5 % des patients tout venant
sur l’électrocardiogramme. Bien que
ce signe soit considéré comme bénin,
son potentiel arythmogène a été
suggéré par certaines études expérimentales mais les preuves cliniques
manquent [2].
Dans cette étude, les auteurs ont
observé 206 patients ayant présenté une
FV idiopathique. Ils ont déterminé la
prévalence de la repolarisation précoce
sur l’ECG et ont évalué sa relation
potentielle avec la survenue d’arythmie
ventriculaire et de ses conséquences,
enregistrée par un défibrillateur automatique implantable (DAI).
Méthodes
Etude de la population. Il s’agit
d’une étude cas-témoins menée dans
A
B
C
D
I
I
I
I
II
II
II
III
III
III
aVF
V1
aVF
V1
II
III
aVF
aVF
V1
V1
V4
V4
V4
V4
V5
V6
V5
V5
V5
V6
V6
V6
Figure 1. ECG de base de quatre patients.
202
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taient une repolarisation précoce, alors
que seulement 21 (5 %) présentaient
une repolarisation précoce parmi les
témoins (p < 0,001) avec une élévation
du point J plus importante chez les cas
(2,0 ± 0,9 mm vs 1,2 ± 0,4 mm respectivement ; p < 0,001). Après ajustement
sur l’âge, le sexe, l’ethnie, le niveau
d’activité physique, et l’odd ratio, la
présence d’une repolarisation précoce
chez les cas par rapport aux témoins
était de 10,9 (IC 95 % : 6,3 à 18,9).
Parmi les cas de FV avec une repolarisation précoce, les patients étaient plus
fréquemment des hommes, avec des
antécédents de syncope inexpliquée ou
d’arrêt cardiaque pendant le sommeil,
avec un intervalle QT plus court que
chez les patients qui ne présentaient pas
de repolarisation précoce.
Concernant l’aspect électrocardiographique, une repolarisation précoce
était notée chez 28 patients dans les
dérivations inférieures, 6 patients dans
les dérivations latérales, et 30 patients
dans les dérivations inférieures et latérales. L’absence de potentiels tardifs
chez ces patients confortait l’aspect
en faveur d’une repolarisation précoce
plutôt qu’en faveur d’une dépolarisation tardive.
Chez 18 patients présentant une repolarisation précoce, un ECG était enregistré durant un événement ventri-
culaire, montrant une élévation
importante de l’amplitude de la
repolarisation précoce (élévation du
point J de 2,6 ± 1 mm à 4,1 ± 2 mm
[p < 0,001]). Chez les patients ayant
une repolarisation précoce, la FV naissait du ventricule gauche et présentait
un intervalle de couplage court avec
l’initiation de la FV.
Dans les observations de repolarisation précoce, l’exercice physique ou
la perfusion d’isoprotérénol réduisait
ou éliminait l’aspect de repolarisation
précoce chez la plupart des patients.
En revanche, les bêtabloquants
accentuaient l’aspect de repolarisation précoce.
L’étude électrophysiologique avec
cartographie des ventricules était
réalisée chez 8 patients présentant
une repolarisation précoce. Chez
6 patients ayant un aspect de repolarisation précoce inférieure, toutes les
extrasystoles naissaient de la paroi
inférieure du ventricule gauche. Chez
2 patients ayant un aspect de repolarisation précoce diffus, les extrasystoles naissaient dans différentes
régions du ventricule gauche. L’ablation par radiofréquence était efficace
pour éliminer toutes les extrasystoles
chez 5 patients sur 8.
Suivi des patients ayant présenté
une FV (figure 2). La moyenne
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Résultats
Cent vingt-trois hommes et 83 femmes
ayant présenté une FV idiopathique
ont été inclus comme « cas » dans
l’étude (âge moyen 36 ± 11 ans) ;
412 témoins étaient également inclus
avec la même répartition par âge et par
sexe. Parmi les cas, 64 (31 %) présen-
Probabilité d’absence de récurrence
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patique si leur échocardiographie,
leur coronarographie ou leur épreuve
d’effort étaient normales. Les auteurs
ont exclu les ECG évocateurs de
syndrome du QT long ou du syndrome
de Brugada et les troubles du rythme
évocateurs de tachycardie ventriculaire catécholergique.
Ainsi, 412 patients ont été sélectionnés
et les auteurs ont recueilli les données
cliniques (syncope, circonstance de
mort subite, antécédents familiaux,
activité physique quotidienne), et
paracliniques (ECG, ECG moyenné,
test pharmacologique et étude électrophysiologique avec stimulation
ventriculaire programmée).
Traitement et suivi. Les patients ont
tous bénéficié de l’implantation d’un
DAI. Le suivi était programmé à 6 et
12 mois avec examen clinique et
interrogation de la mémoire du DAI.
Les patients présentant des événements rythmiques récurrents étaient
traités par antiarythmiques.
1,0
0,9
0,8
Pas de repolarisation précoce
0,7
0,6
0,5
0,4
Repolarisation précoce
0,3
0,2
0,1
0,0
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
Nombre d’années
Figure 2. Courbe actuarielle pour les patients ayant présenté une FV en fonction de la
présence ou de l’absence de repolarisation précoce (hazard ratio : 2,1 ; IC 95 % : 1,2-3,5 ;
p = 0,008).
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de suivi a été réalisée sur 61 ± 50
mois après l’événement initial sans
aucun perdu de vue. La récurrence
d’événement rythmique était plus
fréquente chez les sujets présentant
un aspect de repolarisation précoce
(41 versus 23 %). Le hazard ratio de
récurrence était de 2,1 (IC 95 % :
1,2-3,5 ; p = 0,008), même après
ajustement sur le sexe. En outre, les
patients ayant la plus haute élévation du point J (> 5 mm) présentaient
plus de 50 épisodes de fibrillation
ventriculaire (mortelle pour un
sujet). Quatre patients ont été traités
par quinidiniques, ce qui diminuait
les anormalités dans la repolarisation et éliminait la récurrence des
arythmies.
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Résultat essentiel
L’aspect de repolarisation précoce sur
les dérivations latérales et inférieures
est plus fréquent chez les patients
ayant présenté une FV idiopathique.
Le suivi de ces patients montre que
les récidives d’événements rythmiques majeurs sont 2 fois plus
fréquentes chez les patients présentant un aspect de repolarisation
précoce sur l’ECG, et certains antiarythmiques (quinidiniques) seraient
efficaces pour prévenir la récidive
des arythmies chez ces patients (sous
réserve d’un petit nombre de patients
traités).
Commentaires
La mort subite d’origine rythmique
peut se produire en l’absence d’anomalie structurelle d’origine cardiaque
et en l’absence d’anomalie électrocardiographique. Dans cette étude,
l’aspect de repolarisation précoce
avait une prévalence plus élevée
chez les patients ayant présenté une
mort subite d’origine rythmique que
chez les témoins (pour lesquels la
prévalence était la même que dans
la population générale). Dans 1/3
des cas, l’ECG avant la mort subite
était interprétable et montrait déjà
un aspect de repolarisation précoce.
204
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Cela permet de conclure que cet aspect
n’était pas en rapport avec le traitement ou le traumatisme dû à l’arrêt
cardiaque.
Comme l’ont montré Eisenberg
et al. [3], le seul facteur déterminant
le succès d’une ressuscitation est
l’accès rapide à un défibrillateur ce
qui rend peu probable l’hypothèse
selon laquelle l’aspect de repolarisation précoce serait plus fréquent chez
les patients survivant après un arrêt
cardiaque. En outre, l’étude a montré
que les patients présentant un aspect
de repolarisation précoce étaient plus
fréquemment exposés à la récurrence
d’événements rythmiques durant le
suivi.
Les explications possibles concernant
la relation entre repolarisation précoce
et arrêt cardiaque sont les suivantes :
- la définition de la repolarisation
précoce dans cette étude est singulière
(touchant les dérivations inférieures
et latérales en particulier). En général,
l’aspect de repolarisation précoce est
décrit sur l’ensemble des dérivations et
particulièrement les dérivations droites.
Les auteurs auraient donc sélectionné
un nouveau type de patients présentant une anomalie ECG où les patients
seraient plus fréquemment sujets aux
troubles du rythme ;
- dans cette étude, peu de patients
font partie des groupes où traditionnellement on décrit une fréquence
importante de repolarisation précoce
(les sujets noirs et les athlètes). Il y
aurait donc des cofacteurs (autres que
l’aspect de repolarisation précoce) qui
influenceraient la mort subite d’origine
cardiaque ;
- certaines études expérimentales sont
en faveur de la présence d’une forme
d’hétérogénéité électrique transmurale lors de la présence à l’ECG d’une
repolarisation précoce. Cette hétérogénéité peut être amplifiée dans certaines
conditions, se compliquant alors
d’arythmies malignes [4]. L’arythmogénicité potentielle serait donc en rapport
avec une modulation de la repolarisation et de changements temporels
dynamiques.
Pour les auteurs, le lien entre l’aspect
électrocardiographique et les arythmies malignes est d’autant plus probable que :
- une accentuation de la repolarisation précoce avant la survenue
d’un événement rythmique était
observée ;
- la cartographie par exploration
électrophysiologique montrait que les
zones gâchettes étaient situées là où
l’on observait l’aspect de repolarisation précoce ;
- la quinidine, qui est connue pour
restaurer l’homogénéité électrique
transmurale et éviter les événements
arythmiques dans ces conditions,
diminuait l’aspect de repolarisation
précoce et les événements rythmiques chez les 4 patients traités.
Cette piste doit être explorée plus en
avant, notamment sur le plan génétique, avec de nouvelles études,
d’autant plus que chez 10 des patients
de cette étude, il existait un antécédent de mort subite familiale. Ceci
pourrait constituer une nouvelle piste
génétique liée à des canaux ioniques,
pouvant expliquer des morts subites
d’origine rythmique à ce jour méconnues chez le sujet jeune [5].
Limites de l’étude
Cette étude de cohorte a cependant
des limites :
- malgré une définition stricte des
caractéristiques à collecter, les
données n’étaient pas uniformes selon
les centres ;
- il y avait peu de sportifs et de sujets
noirs, et aucun patient avec une
anomalie structurelle cardiaque. Les
résultats ne peuvent donc pas s’appliquer dans ces sous-groupes ;
- bien que les résultats suggèrent que
l’aspect de repolarisation précoce est
un marqueur de risque d’arythmies
malignes, les études sur l’histoire
naturelle prédisent une évolution
bénigne pour la plupart des patients
présentant un aspect de repolarisation précoce. Des études complémentaires sont donc nécessaires pour
identifier les facteurs qui modulent
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Conclusion
Cette étude de cohorte multicentrique montre une prévalence plus
élevée que prévue d’aspect de repolarisation précoce dans les dérivations
inféro-latérales parmi les patients de
moins de 60 ans présentant une FV idiopathique provoquant des syncopes et
des mort subites d’origine cardiaque.
Emmanuelle Berthelot-Garcias
Hôpital Saint-Antoine,
Service de cardiologie,
184 rue du Faubourg Saint-Antoine,
75012 Paris
<[email protected]>
Références
1. Huikuri HV, Castellanos A, Myerburg RJ.
Sudden death due to cardiac arrhythmias.
N Engl J Med 2001 ; 345 : 1473-82.
2. Klatsky AL, Oehm R, Cooper RA, et al.
The early repolarization normal variant
electrocardiogram : correlates and consequences. Am J Med 2003 ; 115 : 171-7.
3. Eisenberg MS, Mengert TJ. Cardiac
resuscitation. N Engl J Med 2001 ; 344 :
1304-13.
4. Gussak I, Antzelevitch C. Early repolarization syndrome : clinical characteristics and possible cellular and ionic
mechanisms. J Electrocardiol 2000 ; 33 :
299-309.
5. Behr ER, Casey A, Sheppard M, et al.
Sudden arrhythmic death syndrome : a
national survey of sudden unexplained
cardiac death. Heart 2007 ; 93 : 601-5.
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