DERMATOLOGIE URTICAIRES CHRONIQUES CHEZ L’ADOLESCENT Bien les diagnostiquer pour mieux les traiter L’urticaire chronique (UC) se présente sous la forme, soit d’une urticaire superficielle, soit d’une urticaire profonde, ou les deux associées. On dit que l’urticaire est chronique si sa durée excède six semaines. DÉFINITION Les symptômes de l’urticaire chronique (UC) peuvent être quotidiens ou presque quotidiens. On inclut dans cette définition les urticaires persistant quelques heures ou jours, mais qui récidivent durant des mois ou des années. Dr Françoise Raynaud Dermatologue pédiatre Maison de Solenn, Paris Tableau 1 – Score clinique par évaluation UAS7. Score Nb papules/24 h Prurit 0 Aucune Aucun 1 Faible (<20) Faible (peu gênant) 2 Moyen (20-50) Moyen (gênant sans altérer les activités journalières et/ou sommeil) 3 Important (>50) Sévère (gênant pour les activités journalières et/ou sommeil) On appelle une urticaire superficielle (Figure 1), une dermatose inflamma- On définit l’urticaire profonde par un SCORES toire qui se manifeste par des papules et/ou par des plaques érythémateuses à bords nets et prurigineuses, parfois pâles au centre dues au gonflement. Ces plaques varient de quelques millimètres à la taille d’une main, leurs nombres peuvent varier de quelquesunes à innombrables. Elles sont dites fugaces et migratrices, car elles peuvent changer de localisation en quelques heures. Quand les papules et/ou plaques régressent, la peau redevient normale en 2-24 heures angioœdème. L’angioœdème est une Le score clinique est évalué pour les UC superficielles par l’utilisation du score UAS7 (Urticaria Activity Score) (2) (Tableau 1) : – évaluation sur 7 jours du nombre de lésions d’UC superficielles ; – évaluation sur 7 jours de l’intensité du prurit. tuméfaction dont la tension est douloureuse, non prurigineuse, ferme et mal délimitée. Sa localisation la plus fréquente se situe au niveau du visage et plus particulièrement au niveau des paupières et des lèvres. L’angioœdème peut persister quelques jours. 50 à 80 % des enfants qui ont une UC associent à la fois l’UC superficielle et profonde. En général, l’UC ne met pas en jeu le pronostic vital chez l’enfant. CLASSIFICATION Figure 1 - Urticaire chronique superficielle. 14 La nouvelle classification repose sur les recommandations internationales de 2013. Dorénavant, parmi les UC superficielle et profonde, on distingue les UC inductibles provoquées par un stimulus reproductible défini (pression, friction, effort, froid, chaleur, rayonnement solaire…) et les UC spontanées non provoquées par un stimulus et non reproductibles par des tests de provocation (1). Ce score est utilisable en pratique quotidienne, mais ne tient pas compte des lésions d’UC profondes. Le score d’évaluation des UC profondes qui peut être appliqué est en cours de développement et tiendra compte des points suivants (3) : – nombre d’angioœdèmes sur une période de 8 heures ; – sévérité de la gêne physique induite ; – capacité à réaliser des activités quotidiennes ; – intensité de la défiguration ; – évaluation globale de l’inconfort subit. ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 10 On en parle : revue de la littérature récente P. 23 LA REVUE DE LA MÉDECINE POUR LES ADOLESCENTS DÉCEMBRE 2015 - VOL. 4 - N° 10 - 8 E P. 06 TATOUAGES, PIERCINGS, SCARIFICATIONS… PEAU DE LA SIGNATURE À LA BIFFURE DE SOI P. 19 Cardiologie : syndrome du QT long congénital P. 14 Urticaires chroniques : bien les diagnostiquer pour mieux les traiter P. 11 Hypercholestérolémie familiale : quel dépistage en 2015 ? adomed.fr diabeteetobesite.org geriatries.org onko.fr ophtalmologies.org rhumatos.fr neurologies.fr cardinale.fr DERMATOLOGIE PHYSIOPATHOGÉNIE Les papules urticariennes encore appelées UC superficielles sont dues à un œdème dermique alors que l’angioœdème est secondaire à un œdème dermohypodermique et correspond à une UC dite profonde. L’œdème est provoqué par une vasodilatation capillaire ainsi qu’une perméabilité accrue secondaire à l’activation « du mastocyte », cellule clé de l’UC qui libère ses médiateurs, au premier plan duquel se situe l’histamine. La plupart des UC relèvent en général de mécanismes non immunologiques comme : – UC cholinergique due à la libération d’acétylcholine (lors d’effort physique) ; – défaut d’inhibition de médiateurs : œdème angioneurotique par déficit en inhibiteur de la C1 estérase. bbPrévalence 0,3 % des enfants et adolescents La prévalence n’est pas précisément connue. L’UC est moins fréquente chez l’enfant et l’adolescent que chez l’adulte. bbAltération de la qualité de vie L’UC diminue la qualité de vie, particulièrement chez les patients qui associent des lésions d’UC superficielle et profonde, ce qui occasionne un absentéisme scolaire. bbDurée de l’urticaire chronique Une étude prospective récente chez l’enfant montre au bout d’un an, trois ans et cinq ans d’évolution que 18,5 %, 54 % et 67,7 % des enfants sont en rémission (4). DIAGNOSTIC Il est avant tout basé sur l’histoire clinique obtenue à l’interrogatoire et l’examen clinique. Les examens complémentaires en découlent, mais ils peuvent ne pas être nécessaires. En effet, la plupart des UC sont idiopathiques. Ainsi en l’absence d’orientation clinique étiologique, la conférence de 16 Tableau 2 – Classification et tests de provocation des UC physiques et de contacts inductibles. Type d’UC Tests de provocation Dermographisme Frottement cutané avec une pointe mousse urticarien Lecture 10 minutes Cholinergique Exercice physique en atmosphère +/- chaude pendant 15 minutes post-sudation 30 minutes Au froid Test au glaçon posé sur l’avant-bras (5 à 20 minutes) 10 minutes Retardée à la pression Poids de 7 kg en suspension avec une bande de 3 cm de largeur sur le bras, la cuisse ou l’épaule (20 à 30 minutes) 6 heures Solaire Phototests variables À la chaleur (exceptionnelle) Tube en verre rempli d’eau à 45 °C sur l’avant-bras (5 minutes) 10 minutes Aquagénique (exceptionnelle) Compresse d’eau douce (37 °C) apposée sur la peau (30 minutes) 30 minutes Angioœdème vibratoire (exceptionnelle) Positionner l’avant-bras sur un plateau vortex (1 000 t/min) (maximum 15 minutes) 10 minutes et 6 heures De contact (non physique) Prick-tests 15 minutes consensus (2003) (5) recommande pour la prise en charge de ces UC : 1. de prescrire 4 à 8 semaines de traitement anti-H1 en première intention 2. et en cas d’échec, de réaliser les examens complémentaires suivants : NFS, vitesse de sédimentation, CRP, recherche d’anticorps anti-thyroperoxydase à compléter lors de taux anormal par un dosage de TSH et électrophorèse des protéines. La biopsie n’est pas justifiée et ne se discute qu’en cas de vascularite urticarienne, ce qui fit partie du diagnostic différentiel. Dans ce cas les lésions sont fixes. ÉTIOLOGIE De nombreuses causes sont retrouvées associées à l’origine de l’UC, mais dans la plupart des cas, l’UC est idiopathique. Les chances d’identifier une cause sont de l’ordre de 20 à 40 %. La plupart des causes retrouvées sont celles de l’urticaire inductible, le dermographisme, l’urticaire cholinergique, au froid ou à la pression. • Les urticaires physiques : c’est l’étiologie la plus fréquente. Ces UC sont déclenchées par des stimuli physiques de la peau et confirmées par les tests cliniques d’explorations en l’absence de tout traitement antihistaminique depuis au moins cinq jours (Tableau 2). Les UC physiques incluent : – le dermographisme urticarien qui est de cause inconnue et son évolution peut être très prolongée. – l’urticaire cholinergique, sous forme de petites papules prurigineuses diffuses de quelques millimètres sur le tronc, sur un fond érythémateux entouré d’un halo pâle de vasoconstriction qui survient pendant ou après l’effort. – l’urticaire au froid se manifeste à la fois par une UC superficielle et profonde après l’exposition au froid touchant préférentiellement les enfants et les adolescents pouvant perdurer entre 4 et 10 ans souvent idiopathique, mais parfois liée à une virose, ce qui doit faire rechercher une cryoglobulinémie. Il est recommandé de se protéger du froid, d’éviter la consommation d’aliment gelé (glace, etc.) et de prendre les précautions nécessaires lors des baignades (risque accru de malaise). ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 10 Urticaires chroniques chez l’adolescent – l’urticaire retardée à la pression est souvent très œdémateuse, mais peu courante chez l’enfant, survient 3 à 12 heures après la pression, persiste plus de 24 heures et est résistante au traitement antihistaminique. – l’urticaire solaire est rare avec une prédominance féminine, parfois associée à des photodermatoses qui devront être recherchées (lupus érythémateux, etc.). – les UC à la chaleur, aquagénique et angioœdème vibratoire, sont exceptionnelles. • Les urticaires alimentaires : les aliments et les additifs peuvent être impliqués plus rarement dans l’UC que dans l’urticaire aiguë. Dans l’UC, il s’agit de pseudoallergie alimentaire, du fait de la consommation d’aliments histaminolibérateurs, riches en histamine. Le rôle des aliments dans l’UC est cependant controversé. Dans une étude, un lien de cause à effet entre les aliments et l’UC est retrouvé. Les crevettes, les palourdes, et les huîtres étaient responsables chez l’enfant et l’adolescent dans 7 % des cas d’une allergie alimentaire confirmée. Le régime d’exclusion a permis la guérison dans plus de la moitié des cas (6). • Les urticaires médicamenteuses : les anti-inflammatoires non stéroïdiens, au premier plan duquel se situe l’aspirine (hypersensibilité dans 10 à 24 %), ainsi que les antibiotiques comme les bétalactamines peuvent être responsables d’UC. • Les urticaires auto-immunes : elles sont souvent diagnostiquées dans la littérature grâce au test du sérum autologue retrouvé positif chez plus de 30 % des enfants et des adolescents, mais du fait sa non-corrélation avec la sévérité de l’UC ni avec une plus grande résistance au traitement, sa réalisation n’est pas conseillée (7). • L’œdème angioneurotique : il est dû à un déficit quantitatif, voire plus rarement qualitatif, de l’inhibiteur de la C1 estérase. On l’évoque devant des angioœdèmes des paupières, des extrémités et des organes génitaux externes. L’atteinte du tube digestif est fréquente, responsable de douleurs abdominales et de syndrome pseudoocclusif souvent révélateur. Le pronostic est lié à l’atteinte laryngée. Les traumatismes tels que la chirurgie, l’endoscopie ou la prise d’œstrogènes sont des facteurs déclenchants évocateurs. La plupart des cas sont héréditaires avec une transmission autosomique dominante. Le diagnostic repose sur le dosage de l’inhibiteur du C1 et les fractions du complément C2 et C4, qui sont abaissées (8). sédatifs de seconde génération (lévocétirizine, cétirizine, desloratadine, loratadine…). COMORBIDITÉS • En troisième intention, on augmente la posologie des antihistaminiques de première génération sédatifs (hydroxyzine, mequitazine). L’auto-immunité thyroïdienne avec des anticorps anti-thyroperoxydase positifs est une association retrouvée sans que l’on sache son lien de causalité. La plupart des enfants ont une hyper ou hypothyroïdie qui existe avant ou après la survenue d’une UC. Un traitement substitutif par la thyroxine fait parfois régresser l’UC. La dépression/l’anxiété, les maladies auto-immunes, la maladie caeliaque (un régime sans gluten peut guérir l’UC), l’atopie ou la gastrite à Helicobacter pilori peuvent être associées. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL On exclut du diagnostic les vascularites urticariennes (dont les lésions ont pour particularité d’être fixes et non prurigineuses), la pemphigoïde bulleuse (à laquelle s’associent des bulles) ainsi que les maladies autoinflammatoires. TRAITEMENTS DES URTICAIRES CHRONIQUES Il faut tout d’abord éliminer les stimuli déclenchant l’UC. • En première intention, on administre des antihistaminiques (anti-H1) non • En deuxième intention, la posologie des antihistaminiques (anti-H1) non sédatifs de seconde génération est augmentée, ou bien ils sont donnés en association avec un autre antihistaminique (anti-H1 en veillant bien à l’absence d’effets sur le myocarde ou anti-H2). On peut également les associer avec soit un antagoniste du récepteur des leukotriènes (montélukast, néanmoins l’AMM pour l’UC n’est pas délivrée) soit avec un antihistaminique de première génération sédatif au coucher (hydroxyzine, mequitazine). • En quatrième intention, les antihistaminiques anti-H1 sont associés avec l’omalizumab (anti-IgE, dans les cas d’UC de plus de 7 ans d’évolution), des anti-inflammatoires ou bien avec les corticoïdes (3-5 jours). Les corticoïdes sont néanmoins peu efficaces sur l’UC à la pression et ne peuvent pas être utilisés sur le long terme. En ce qui concerne l’œdème angioneurotique, le traitement prophylactique (plus d’une poussée/mois) consiste en l’administration soit de danazol (androgène qui augmente la synthèse hépatique d’inhibiteur de la C1 estérase) soit de l’acide tranexamique (en cas de contre-indication). Dans les cas de crise grave, une perfusion d’inhibiteur de la C1 estérase purifiée à partir du plasma humain ou injection d’icatiban plus ou moins aux corticoïdes sera réalisée. ✖✖L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. MOTS-CLÉS Urticaire chronique, Urticaire superficielle, Urticaire profonde, Angioœdème ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 1017 DERMATOLOGIE BIBLIOGRAPHIE 1. Zuberbier T, Aberer W, Asero R et al. The EAACI: GA(2) LEN/EDF/WAO Dermatol Venereol 2003 ; 130 : 1S3-192. Guideline for the definition, classification, diagnosis, and managment of 6. Jirapongsananuruk O, Pongpreuksa S, Sangacharoenkit P et urticaria: the 2013 revision and update. Allergy 2014 ; 69 : 868-87. al. Identification of the etiologies of chronic urticaria in children: a 2. Młynek A, Zalewska-Janowska A, Martus P et al. How to assess disease prospective study of 94 patients. Pediatr Allergy Immunol 2010 ; 21 : activity in patients with chronic urticaria? Allergy 2008 ; 63 : 777-80. 508-14. 3. Weller K, Groffik A, Magerl M et al. Development, validation, and initial 7. Bélot V, Desbois I, Martin L et al. [Assessment of the usefulness of results of the Angioedema Activity Score. Allergy 2013 ; 68 : 1185-92. autologous serum skin testing in chronic urticaria: a retrospective single- 4. Chansalkulsporn S, Pongpreuksa S, Sangacharoenkit P et al. The centre study of 74 patients]. Ann Dermatol Venereol 2010 ; 137 : 444-50. natural history of chronic urticaria in childhood: a prospective study. J Am 8. CEDEF. Item 183– UE 7 Hypersensibilités et allergies cutanéo- Acad Dermatol 2014 ; 71 : 663-8. muqueuses chez l’enfant et l’adulte. Ann Dermatol Venereol 2015 ; 142 : 5. Conférence de consensus. Prise en charge de l’urticaire chronique. Ann S145-66. EN BREF DERMATOLOGIE De nouvelles recommandations de la HAS et de la SFD contre l’acné L a Haute autorité de santé (HAS) et la Société française de dermatologie (SFD) ont dévoilé le 20 octobre leurs nouvelles recommandations pour le traitement de l’acné. Cette maladie de peau qui concerne 80 % des adolescents peut avoir des conséquences au quotidien, mais aussi à plus long terme avec des cicatrices si elle n’est pas correctement prise en charge. Deux indications à traiter Les nouvelles recommandations indiquent que l’acné doit être traitée dans 2 situations : si l’acné est sévère et/ou qu’il existe un risque de cicatrices ; et si l’acné, quel que soit son degré de sévérité clinique, a un retentissement psychosocial sur la personne, si elle porte atteinte à sa qualité de vie ou si elle interfère dans sa relation avec les autres. Des traitements adaptés à l’acné Les traitements sont à adapter selon la sévérité de l’acné et les préférences du patient. Pour une acné légère à moyenne, les traitements locaux à base de peroxyde de benzoyle et les rétinoïdes sont à privilégier. Un antibiotique par voie orale (doxycycline ou lymécycline) peut être prescrit en complément ou pour une acné moyenne selon les cas. L’isotrétinoïne, quant à elle, sera réservée aux acnés sévères et très sévères et avec un risque cicatriciel. en raison du délai nécessaire au traitement pour être efficace. Il faut au minimum quelques semaines pour obtenir une amélioration, l’observance et le suivi étant des éléments primordiaux à prendre en compte également lors du choix du traitement. Des précautions à ne pas ignorer Des précautions sont à prendre avant le démarrage d’un traitement comme : prévenir des risques des antibiotiques (émergence de souches bactériennes résistantes), des effets tératogènes potentiels avec l’isotrétinoïne et l’augmentation du risque de troubles dépressifs, etc. Le cas des pilules contraceptives L’acné n’est pas une indication pour la prescription d’une pilule contraceptive rappellent la HAS et la SFD. Si un contraceptif doit être prescrit à une femme qui présente de l’acné, il est recommandé en première intention le lévonorgestrel (2e génération) et en seconde intention du norgestimate (assimilé 2e génération) qui comporte une AMM dans cette indication. Les antiacnéiques Diane 35® et ses génériques ne peuvent être envisagés qu’en dernière intention si l’acné persiste malgré un traitement dermatologique bien conduit et en concertation avec la patiente et un gynécologue. 4 Plus d’informations : http://reco.dermato-sfd.org/acne Des traitements adaptés à chaque patient La prise en compte des préférences du patient est indispensable 18 6 G. Monfort, d’après un communiqué de presse de la SFD et de la HAS du 20/10/15. ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 10