L’Encéphale (2011) 37, 162—171 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MÉMOIRE ORIGINAL Influence des troubles de la conscience sur l’auto-évaluation de la qualité de vie des patients souffrant de schizophrénie Relationship between insight and self-reported quality of life among shizophrenic patients V. Aghababian a, P. Auquier b,∗, K. Baumstarck-Barrau b,c, C. Lançon b,d a Centre de recherche en psychologie de la connaissance, du langage et des émotions ‘‘PsyCLE’’, EA 3273, Aix-Marseille université, Aix-en-Provence, France b EA 3279, service hospitalo-universitaire de santé publique et information médicale, hôpital Nord, Aix-Marseille université, chemin des Bourrely 13915 Marseille cedex 20, France c Unité d’aide méthodologique à la recherche clinique et épidémiologique, laboratoire santé publique, faculté de médecine, Marseille, France d Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, hôpital Sainte-Marguerite, Marseille, France Reçu le 16 novembre 2009 ; accepté le 26 avril 2010 Disponible sur Internet le 20 octobre 2010 MOTS CLÉS Schizophrénie ; Insight ; SUMD ; Qualité de vie ; S-QoL ∗ Résumé Objectif. — Aucune donnée n’est rapportée dans la littérature explorant les liens entre des mesures de qualité de vie reposant sur un questionnaire spécifique développé à partir du point de vue de souffrant de schizophrénie et une évaluation multidimentionnelle de la conscience de leur maladie. L’objectif de ce travail est d’étudier l’influence de la conscience du trouble mental sur la qualité de vie subjective des patients souffrant de troubles schizophréniques. Méthode. — Il s’agit d’une étude transversale réalisée au sein d’un service de psychiatrie d’un centre hospitalo-universitaire (Marseille, France). Les patients présentant un diagnostic de schizophrénie ou de trouble schizoaffectif (DSM IV-R) étaient éligibles. Pour chaque sujet, ont été recueillies des données sociodémographiques, des caractéristiques de la maladie (prise en charge, forme et sévérité clinique), le niveau d’insight (SUMD), la qualité de vie (S-QoL). Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Auquier). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.08.011 Troubles de la conscience et qualité de vie 163 Résultats et conclusion. — La population d’étude comportait 153 sujets : moyenne d’âge 37,6 ans (ET 11,2), 63 % d’hommes. Les sujets ayant un niveau de conscience préservé rapportent en général des niveaux de qualité de vie inférieurs. Après ajustement sur les variables sociodémographiques et cliniques, seule la dimension « conscience de la maladie » est significativement prédictive du score global de qualité de vie. Cette étude a permis de préciser la nature des liens entre les niveaux de conscience de la maladie et la qualité de vie du patient. © L’Encéphale, Paris, 2010. KEYWORDS Shizophrenia; Insight; SUMD; Quality of life; S-QoL Summary Background. — Shizophrenia is a long-lasting condition with either episodic or continuous evolution that can result in physical, psychological, and social problems related to both the disease itself and the potential side-effects of treatments. These various aspects should be taken into account when assessing the outcome of medical management of patients suffering from schizophrenia. Subjective criteria, such as quality of life (QoL) measurements, should be considered an important focus for evaluation in this population. A major subgroup of patients with schizophrenia lacks insight of having a mental disorder or symptoms of a mental disorder. Studies on the relationship between insight and QoL have produced inconsistent results. While some studies found positive associations between insight and QoL, others found negative ones. Some possible explanations for the discrepancies between these findings can be expressed: differing patients’ characteristics, heterogeneous insight or QoL measures, sample size and methodological differences. None of the previous research studies have looked at relationships between insight and QoL, as assessed respectively using the scale to assess unawareness of mental disorder (SUMD, a widely multidimensional insight questionnaire), and the S-QoL (a disease-specific patient-based instrument). Aim of the study. — The aim of this study was to assess the impact of insight into illness on the self-reported QoL as determined by schizophrenic patients, while taking into account the key confounding factors. Methodology. — This study incorporated a cross-sectional design and took place in the psychiatric department of a French public university teaching hospital (Marseille, France). The inclusion criteria were: diagnosis of schizophrenia or schizoaffective disorder (DSM-IV-R), age over 18, native French speaker, agreement to participate. The following data were recorded: sociodemographic parameters (age, gender, marital status, education level, occupational activity), clinical data (in- or out-patient, clinical form), and psychopathology (Positive And Negative Syndrome Scale, PANSS). Insight was assessed using the Scale to assess Unawareness of Mental Disorder (SUMD), a standardised expert-rating scale based on a patient interview describing nine domains. The S-QoL is a self-administered disease-specific instrument validated from patients’ views that includes 41 items and describes eight dimensions (psychological well-being, self-esteem, family relationships, relationships with friends, resilience, physical well-being, autonomy, and sentimental life), and yielding a global index score. Results. — One hundred and fifty-three patients were enrolled (mean age 37.6, standard deviation 11.2). Patients with good insight generally reported a lower global QoL score, whatever the insight domains. Insight of mental disorder is the most important domain affecting QoL levels. Psychological well-being, self-esteem, physical well-being, and autonomy scores were significantly lower for subjects with good insight. Multivariate analysis showed that insight of mental disorder is the only parameter linked to the S-QoL index. No links were found between other insight domains and S-QoL index. Conclusion. — Patients with good insight might realise consequences of their mental illness with restrictions in daily living and alteration of their QoL, while patients with poor insight might partially overrate their QoL and present themselves as more competent. © L’Encéphale, Paris, 2010. Introduction L’évaluation de l’efficacité des traitements dans les troubles schizophréniques repose actuellement sur des critères objectifs, mais également subjectifs. Ces derniers semblent plus à même de rendre compte du point de vue des patients. La prise en compte de la qualité de vie subjective liée à la santé est apparue comme un critère de jugement pertinent dans cette pathologie [24], et particulièrement lorsqu’elle est évaluée à l’aide d’autoquestionnaires générés par les patients eux-mêmes [6,41]. Peu d’outils construits à partir du point de vue des patients sont disponibles dans la schizophrènie [5]. Ces autoquestionnaires explorent les perceptions qu’ont les patients de l’influence de la maladie 164 dans les différents domaines de leur vie, cette évaluation faisant appel aux capacités réflexives des patients sur leur pathologie. L’insight a donné lieu a un grand nombre de définitions. La plus couramment utilisée fait référence au concept anglosaxon d’awareness of illness [2]. Longtemps considérée de manière dichotomique en « tout ou rien » [13], la conception de l’insight a progressivement évolué vers une approche plus dimensionnelle du trouble [28]. Actuellement, les dimensions les plus souvent évoquées dans la littérature font référence à la conscience de présenter un trouble mental, la conscience de présenter des signes et symptômes spécifiques et de les attribuer à la maladie, la conscience de nécessiter un traitement et l’acceptation de celui-ci et la compréhension des conséquences sociales du trouble [3,16]. L’échelle d’Amador et al. permet de disposer de neuf aspects différents de la conscience [2]. Un grand nombre de sujets souffrant de schizophrénie présente des troubles de l’insight, qu’il s’agisse de la conscience de présenter une maladie mentale ou de la conscience de présenter des symptômes d’une maladie mentale [3,29]. L’influence du niveau d’insight sur la mesure de la qualité de vie subjective des patients souffrant de schizophrénie reste diversement appréciée. Certains auteurs postulent qu’un niveau de conscience altéré nuirait au fonctionnement psychosocial du sujet, appauvrissant sa qualité de vie [3,25,33]. À l’opposé, d’autres études montrent que la non-conscience de la pathologie serait à l’origine d’une surestimation du niveau de qualité de vie autorapporté malgré l’appauvrissement manifeste des conditions de vie [20,32,36]. Enfin, quelques travaux concluent à une absence de relation entre conscience de la maladie et niveau qualité de vie [4,9,15,18,33,37,42]. Ces discordances peuvent être expliquées par des populations d’étude ayant des caractéristiques différentes, par des tailles d’échantillon parfois faibles, par l’utilisation d’échelles d’évaluation différentes, ou par des niveaux de corrélations faibles [1]. Si les liens entre la qualité de vie et la conscience de la maladie ont partiellement été documentés, aucune donnée n’est rapportée dans la littérature explorant les liens entre des mesures de qualité de vie reposant sur un questionnaire spécifique développé à partir du point de vue de patients avec un diagnostic de schizophrénie et une évaluation multidimentionnelle de l’insight. Notre hypothèse est qu’un sujet présentant un niveau de conscience élevé rapporte une qualité de vie globale altérée, mais qu’il est intéressant de comprendre si ce lien concerne de façon identique tous les aspects de cette qualité de vie. L’objectif de ce travail est d’étudier l’influence de la conscience du trouble mental sur la qualité de vie subjective des patients souffrant de troubles schizophréniques. V. Aghababian et al. diagnostic de schizophrénie ou de trouble schizoaffectif répondant aux critères du American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual IV-Revised (DSM IV-R) (4th ed. Washington, 2000) établi sur la base du MINI, entretien clinique structuré conduit par un clinicien entraîné [35], et ayant accepté de participer à l’étude. Les sujets présentant des difficultés de maîtrise de la langue française ou présentant une affection neurologique connue n’étaient pas inclus. L’étude a reçu l’approbation d’un comité de protection des personnes (ancienne nomination CCPPRB Marseille 1). Données sociodémographiques et cliniques Pour chaque patient ont été recueillies des données sociodémographiques (sexe, âge, situation familiale, mode de vie, niveau d’étude, situation professionnelle) et des données cliniques (mode de prise en charge, forme clinique de la schizophrénie). L’évaluation de la sévérité de la pathologie a été établie à l’aide de la Positive and Negative Symptom Scale (PANSS) dans sa version à trois dimensions : « Positive » (P), « Négative » (N) et « Psychopathologie générale » (PG) [21,22]. Pour l’ensemble des sujets, la cotation a été réalisée par le même cotateur à partir d’un entretien semi-structuré (30 minutes), complétée par les informations issues du dossier médical. Évaluation de l’insight L’évaluation de l’insight a été réalisée à partir de la version abrégée de la Scale to assess Unawareness of Mental Disorder (SUMD) [2] au cours d’un entretien semi-directif réalisé par un psychologue entraîné. Cette échelle est composée de neuf questions décrivant neuf aspects : • • • • • • • • • conscience conscience conscience conscience conscience conscience conscience conscience conscience du trouble mental ; des conséquences du trouble mental ; des effets des médicaments ; des expériences hallucinatoires ; des idées délirantes ; de la désorganisation des pensées ; de l’émoussement des affects ; de l’anhédonie ; du manque de sociabilité. Chacune des dimensions est examinée séparément et cotée de 1 à 3 : 1 : conscient ; 2 : partiellement conscient ; 3 : gravement non-conscient. Elle peut aussi être cotée : 0 : non-applicable ou inconnu informations non-exploitables. Évaluation de la qualité de vie subjective : S-QoL Patients et méthode Sujets Cette étude a été réalisée au sein du service de psychiatrie d’un centre hospitalo-universitaire (hôpital Sainte-Marguerite, Assistance publique—Hôpitaux de Marseille, France). Les patients répondaient aux critères d’inclusion suivants : âgés de 18 ans et plus, présentant un L’évaluation de la qualité de vie a été réalisée à l’aide de l’autoquestionnaire Schizophrenia-Quality of Life (SQoL) [5]. Il s’agit d’un questionnaire développé à partir d’entretiens réalisés auprès de patients avec un diagnostic de schizophrénie et qui présente de bonnes qualités métrologiques. Le S-QoL comporte 41 questions réparties en huit domaines : bien-être psychologique (dix items), estime de soi (six), relations avec la famille (cinq), relations avec les amis (cinq), résilience (cinq), bien-être physique (quatre), Troubles de la conscience et qualité de vie autonomie (quatre), vie sentimentale (deux). Pour chaque domaine, un score est calculé variant de 0 (niveau le plus bas de qualité de vie) à 100 (niveau le plus élevé) ; un index global est disponible permettant une appréciation globale de la qualité de vie du patient. 165 Relation entre insight et qualité de vie subjective Résultats Les comparaisons des scores moyens de qualité de vie par domaine en fonction du niveau de conscience sont rapportées au Tableau 2. Les sujets ayant un niveau de conscience préservé ou relativement préservé (scores 1 ou 2) rapportent, en général, des niveaux de qualité de vie, mesurés par l’index de la S-QoL, inférieurs pour l’ensemble des aspects rapportés par la SUMD, même si ces différences ne sont pas toutes statistiquement significatives. La dimension « conscience de la maladie » apparaît comme celle impactant le plus les niveaux de qualité de vie. Les scores des domaines « bien-être psychologique », « estime de soi », « bien-être physique » et « autonomie » sont significativement moins élevés de sept à 12 points chez les sujets conscients de leurs troubles ; cette différence n’apparaît pas comme significative sur l’index global. À l’exception du domaine des relations familiales, les sujets ayant « conscience des conséquences de leur trouble mental » présentent des niveaux de qualité de vie globalement plus bas sans que cela soit significatif, sauf pour le domaine de l’autonomie. Cette appréciation significativement plus haute du niveau d’autonomie est retrouvée dans la population des patients non-conscients des effets des médicaments. Inversement, les scores des dimensions « relations familiales » et « relations avec les amis » sont significativement inférieurs chez les sujets n’ayant pas conscience du manque de sociabilité. Le niveau de conscience des épisodes d’hallucinations, d’idées délirantes, de l’émoussement des affects, ou de l’anhédonie ne modifient pas les niveaux de qualité de vie de la S-QoL, quels que soient les domaines considérés. Les résultats des analyses uni- et multivariée sont rapportés au Tableau 3. Après ajustement sur les variables sociodémographiques et cliniques, seule la dimension « conscience de la maladie » est significativement prédictive du score global de qualité de vie des patients : les sujets ayant un trouble de la conscience rapportent un niveau de qualité de vie plus élevé. Il n’a pas été mis en évidence de lien entre les autres aspects de la SUMD et l’index S-QoL (données non-présentées). Caractéristiques de la population Discussion Cent cinquante-trois sujets ont été inclus. La moyenne d’âge de l’échantillon était de 37,6 ans (ET 11,2), 96 (63 %) sujets étaient de sexe masculin. La répartition des formes cliniques de la maladie était la suivante : 46 (31 %) sujets présentaient une forme paranoïde, 46 (31 %) une forme résiduelle, 35 (23 %) une forme désorganisée, 20 (13 %) une forme indifférenciée et quatre (3 %) une forme psychoaffective. La moyenne du score total à la PANSS était de 77,2 (ET 19,1). Environ 40 % des sujets ne sont pas conscients de leur trouble mental (dimension 1 de la SUMD) ; pour les autres dimensions, les proportions de patients présentant une absence de conscience varient de 15 à 30 %. La qualité de vie globale rapportée par les patients est modérée, les patients étant majoritairement touchés dans leur vie sentimentale (46,1, ET 32,8) alors que l’appréciation de leur autonomie (64,3, ET 24,5) est le domaine le moins altéré. Le Tableau 1 détaille les caractéristiques de l’échantillon. Cette étude indique que la conscience du trouble mental est un élément prédicteur d’un mauvais niveau de qualité de vie du patient souffrant de schizophrénie. Ces résultats peuvent renforcer l’hypothèse selon laquelle un niveau de conscience bas constituerait une stratégie de défense face aux difficultés qui se présentent à un individu réalisant qu’il est atteint d’une maladie mentale [12,19,38]. Ainsi, un haut niveau d’insight diminuerait le niveau de qualité de vie des patients [17,20,32,36]. Ce résultat reste discuté. Certains travaux concluent à l’absence d’influence du niveau d’insight sur l’appréciation de la qualité de vie des patients [4,9,15,37]. D’autres auteurs montrent que le manque d’insight contribuerait à réduire le fonctionnement psychosocial des patients et ainsi détériorerait leur qualité de vie [3,25,33,34], même si cette relation n’est parfois retrouvée que chez les patients avec un haut niveau d’insight [40]. Analyse La description de l’échantillon a été réalisée à l’aide des moyennes et écart-types pour les variables continues, et des proportions pour les variables qualitatives ou catégorielles. Pour chaque dimension de la SUMD, deux sous-groupes ont été constitués en fonction du score obtenu opposant le sous-groupe des patients « non-conscients » (score 3) au sous-groupe des patients « conscients/partiellement conscients » (scores 1 ou 2). Les comparaisons de moyennes des scores de la S-QoL entre les deux sous-groupes ont été réalisées au moyen des tests de Mann-Whitney. Le lien entre la première dimension de l’échelle de conscience (conscience du trouble mental) et la qualité de vie (index de la S-QoL) a été précisé à l’aide d’une regression linéaire permettant de déterminer le rôle potentiellement confondant de certaines variables. Les variables intégrées dans le modèle sont les variables sociodémographiques et cliniques désignées comme des variables d’ajustement car déjà identifiées comme liées à la qualité de vie (âge, sexe, niveau d’éducation, mode de vie, situation familiale, scores de la PANSS) ou des variables ayant un lien avec l’index du S-QoL défini par une valeur de p inférieure à 0,25 à l’analyse univariée (type de la maladie, type de prise en charge). Les résultats sont présentés sous la forme de coefficients bêta standardisés. Le signe du coefficient indique si la variable a un effet positif ou négatif et le test indique si la variable est liée à la qualité de vie de façon significative ou pas. Le seuil de significativité pour l’ensemble des analyses a été fixé à 0,05. L’analyse statistique a été réalisée à l’aide du logiciel SPSS (version 15,0). 166 V. Aghababian et al. Tableau 1 Caractéristiques de l’échantillon, n = 153. Données sociodémographiques M ± ETa ou N (%)b Âge Hommes/Femmes Situation maritale Célibataire/Divorcé(e) Autre 37,6 ± 11,2 96 (62,7)/57 (37,3) 128 (83,7) 25 (16,3) Mode de vie Famille/Couple Seul(e) Autre 72 (48,0) 45 (30,0) 33 (22,0) Niveau scolarité Primaire/Collège Lycée Baccalauréat Études supérieures 46 35 31 30 (32,4) (24,6) (21,8) (21,1) Activité professionnelle actuelle 42 (27,5) Données cliniques N (%) Mode de prise en charge Ambulatoire Hospitalisation conventionnelle Hospitalisation de jour Paranoïde Résiduelle Désorganisée Indifférenciée Trouble schizo-affectif Positif Négatif Psychopathologique Total Forme clinique Positive And Negative Syndrome Scale Insight et qualité de vie SUMD c Trouble mental Conséquences de trouble mental Effets de médicaments Expériences hallucinatoires Idées délirantes Désorganisation de pensées Emoussement d’affects Anhédonie Manque de sociabilité 1 : conscient N (%) 37 40 64 34 26 16 41 26 54 95 (62,1) 28 (18,3) 27 (17,6) 46 (30,5) 46 (30,5) 35 (23,1) 20 (13,2) 4 (2,6) 17,1 ± 6,0 19,4 ± 6,0 40,8 ± 10,6 77,3 ± 19,2 2 : partiel 3 : non-conscient b (24,2) (27,6) (43,0) (34,0) (22,6) (13,2) (32,3) (24,3) (42,9) 56 60 62 47 59 74 57 63 52 (36,6) (41,4) (41,6) (47,0) (51,3) (61,2) (44,9) (58,9) (41,3) 60 45 23 19 30 31 29 18 20 (39,2) (29,4) (15,4) (19,0) (26,1) (25,6) (22,8) (16,8) (15,9) S-QoLd M ± ETa Bien-être psychologique Estime de soi Relations familiales Relations avec les amis Résilience Bien-être physique Autonomie Vie sentimentale S-QoL index 63,1 60,3 63,7 54,6 61,5 56,0 64,3 46,1 58,8 a b c d M ± ET : moyenne ± écart-type. N(%) : effectif (pourcentage). SUMD : Scale to assess Unawareness of Mental Disorder. S-QoL : autoquestionnaire de qualité de vie dans la schizophrénie. ± ± ± ± ± ± ± ± ± 26,0 26,7 28,7 30,3 23,7 25,5 24,5 32,8 20,4 Comparaison des niveaux de qualité de vie en fonction du niveau de conscience. Dimensions de la SUMD S-QoL Trouble mental Conséquences de trouble mental Effets de medicaments Hallucinations Idées délirantes Dimensionsc 1—2a 3b 1—2 3 1—2 3 1—2 3 1—2 3 Bien-être psychologique 60 ± 23 0,05 67 ± 28 61 ± 30 0,16 65 ± 24 63 ± 25 0,70 58 ± 31 60 ± 24 0,42 62 ± 35 59 ± 25 0,13 66 ± 28 Estime de soi 57 ± 24 0,03 65 ± 28 59 ± 28 0,18 63 ± 25 58 ± 26 0,10 67 ± 27 58 ± 25 0,13 67 ± 31 59 ± 26 0,40 64 ± 27 Relations familiales 66 ± 26 0,27 59 ± 31 63 ± 32 0,66 63 ± 27 63 ± 27 0,57 62 ± 35 61 ± 29 0,28 51 ± 34 62 ± 28 0,52 56 ± 34 Relations avec les amis 52 ± 30 0,20 58 ± 29 52 ± 28 0,20 59 ± 21 52 ± 30 0,26 59 ± 31 52 ± 31 0,85 50 ± 32 51 ± 31 0,56 55 ± 30 Résilience 59 ± 23 0,27 64 ± 24 60 ± 23 0,30 65 ± 23 60 ± 22 0,26 66 ± 27 56 ± 23 0,40 61 ± 29 59 ± 22 0,75 57 ± 29 Bien-être physique 51 ± 22 0,003 63 ± 28 53 ± 25 0,06 61 ± 26 55 ± 24 0,42 59 ± 32 53 ± 25 0,19 62 ± 33 53 ± 26 0,24 59 ± 29 Autonomie 61 ± 22 0,02 69 ± 26 60 ± 24 0,002 73 ± 22 62 ± 23 0,03 72 ± 30 64 ± 22 0,35 67 ± 28 62 ± 23 0,07 69 ± 26 Vie sentimentale 44 ± 32 0,33 49 ± 33 43 ± 32 0,27 50 ± 33 45 ± 33 0,60 49 ± 33 42 ± 33 0,27 51 ± 34 44 ± 33 0,83 43 ± 34 S-QoL index 56 ± 19 0,06 62 ± 22 56 ± 20 0,09 62 ± 20 57 ± 19 0,26 61 ± 24 55 ± 19 0,31 59 ± 26 56 ± 20 0,46 59 ± 22 Troubles de la conscience et qualité de vie Tableau 2 Dimensions de la SUMD S-QoL Désorganisation de pensées Émoussement d’affects Anhédonie Manque de sociabilité Dimensions c 1—2 3 1—2 3 1—2 3 1—2 3 Bien-être psychologique 57 ± 27 0,02 70 ± 22 62 ± 25 0,99 62 ± 26 57 ± 26 0,19 66 ± 24 62 ± 25 0,26 52 ± 33 Estime de soi 55 ± 27 0,08 65 ± 28 58 ± 27 0,49 63 ± 26 56 ± 27 0,44 63 ± 23 58 ± 26 0,87 56 ± 31 Relations familiales 62 ± 29 0,54 57 ± 32 65 ± 26 0,32 57 ± 33 61 ± 30 0,58 57 ± 30 65 ± 27 0,05 46 ± 37 Relations avec les amis 48 ± 32 0,15 58 ± 28 52 ± 32 0,34 59 ± 28 53 ± 31 0,57 50 ± 23 54 ± 28 0,05 38 ± 34 167 1—2 : conscient ou partiellement conscient. 3 : non-conscient. c Les scores S-QoL dimensions sont présentés sous la forme moyenne ± écart-type, les comparaisons des moyennes sont réalisées à l’aide des tests de Mann-Whitney / les termes en gras correspondent à des valeurs de p < 0,05. a b 50 ± 25 57 ± 19 0,18 56 ± 19 58 ± 20 0,75 59 ± 21 60 ± 23 54 ± 20 0,33 S-QoL index 55 ± 20 0,62 40 ± 36 44 ± 32 0,49 47 ± 27 47 ± 34 0,78 45 ± 31 49 ± 33 41 ± 34 0,25 Vie sentimentale 43 ± 32 0,60 60 ± 31 63 ± 23 0,98 60 ± 26 62 ± 25 0,64 66 ± 23 62 ± 26 62 ± 25 0,89 Autonomie 64 ± 25 0,57 55 ± 33 54 ± 24 0,58 59 ± 25 52 ± 25 0,18 53 ± 25 0,17 60 ± 27 59 ± 28 51 ± 25 0,19 Bien-être physique 58 ± 23 0,83 60 ± 25 0,49 60 ± 24 58 ± 23 0,93 Résilience 63 ± 24 Émoussement d’affects Désorganisation de pensées S-QoL Dimensions de la SUMD Tableau 2 (Suite) Anhédonie 57 ± 25 59 ± 22 0,63 56 ± 27 V. Aghababian et al. Manque de sociabilité 168 Par ailleurs, la conscience ou non des conséquences du trouble mental ou des effets des médicaments ne semble pas avoir d’effet sur la qualité de vie. Or certains auteurs ont rapporté qu’une meilleure conscience des effets des traitements et médicaments améliorait la qualité de vie des sujets [17,20]. Cette discordance peut s’expliquer par la taille de notre échantillon plus conséquente et par le recueil des données satisfaisant, comprenant peu de données manquantes. Ces résultats contradictoires pourraient être liés aux différentes définitions utilisées de l’insight ou de la conscience. Certaines études utilisent un modèle dichotomique de l’insight considéré comme simplement « présent » ou « absent » [27]. D’autres, plus récentes, privilégient les échelles multidimensionelles. En France, les trois principales échelles utilisées sont l’échelle de David [13], l’Insight Scale [26] et la SUMD [2]. La SUMD, utilisée ici, est particulièrement privilégiée dans les recherches sur la schizophrénie. Elle permet d’explorer différentes dimensions de la conscience, relativement indépendantes les unes des autres. Ici, la conscience renvoie à « la reconnaissance d’une relation causale, c’est-à-dire à la reconnaissance du fait qu’avoir un trouble mental a contribué à être resté longtemps sans emploi ou que prendre des médicaments a été associé à une diminution des périodes d’hospitalisation » [2]. La prise en compte des neuf dimensions de la SUMD permet de préciser que c’est essentiellement la première dimension, à savoir la « conscience du trouble mental », qui affecte la qualité de vie des patients. Par ailleurs, ces discordances pourraient s’expliquer par la nature même des outils de recueil, tant au niveau de l’évaluation de l’insight que de celle de la qualité de vie. La version SUMD utilisée dans cette étude est la version à trois modalités de réponse ; il existe une autre version, certes moins largement utilisée, qui propose cinq modalités de réponse possibles [3]. De plus, cette version ne disposait pas au moment de la réalisation du recueil de données, d’une validation en langue française, ce qui n’est plus la cas actuellement [30]. Le S-QoL doit être discuté au regard d’autres instruments d’évaluation de la qualité de vie [31]. Il est le seul questionnaire construit à partir du point de vue exclusif des patients et non d’experts comme ceux utilisés dans les autres études [5,23]. Il doit donc mieux traduire de l’impact réel sur la qualité de vie des patients telle que ces patients se la représentent. Le modèle sous-jacent à sa construction est explicite, la qualité de vie étant définie comme « la différence qui existe entre l’expérience actuelle d’un individu et ses aspirations » [10]. Les réponses faites à chaque dimension de qualité de vie en fonction du niveau de conscience semblent cohérentes. Le domaine « autonomie » de la qualité de vie est le seul à être affecté par la conscience à la fois du trouble mental, de ses conséquences et des effets des médicaments. Les patients dont le niveau de conscience est le plus élevé se sentent moins autonomes, moins indépendants, moins libres d’agir et de prendre des décisions, que ceux ayant un niveau de conscience plus faible, et ainsi minimisent leur qualité de vie. Les patients les plus conscients estiment avoir un « bien-être psychologique » moindre. Il semble exister une relation entre des niveaux de conscience préservés et la présence d’une symptomatologie dépressive [29,36], même si certains auteurs ne retrouvent pas ce lien [11,17]. Troubles de la conscience et qualité de vie Tableau 3 169 Lien entre « Conscience du trouble mental » (SUMD 1) et qualité de vie (index S-QoL) : régression linéaire. Analayse univariée Sexe Femmes Hommes Âge Analyse multivariée  S-QoL index M (ET) ou R p* p** 59,50 (21,71) 58,38 (19,60) 0,37 0,132 0,21 R = −0,100 0,26 −0,127 0,20 Situation familiale Célibataires Non célibataires 58,00 (20,76) 62,86 (18,20) 0,29 −0,063 0,55 Mode de vie Seul(e)s Non seul(e)s 55,01 (22,30) 59,33 (19,26) 0,25 0,039 0,69 Niveau d’éducation Inférieur au Bac Bac et + 57,05 (18,17) 59,43 (22,85) 0,51 0,033 0,74 Forme clinique Paranoïde Résiduelle Désorganisée Indifférenciée Trouble schizo-affectif Ambulatoire Non-ambulatoire 56,09 59,63 56,85 68,01 47,96 60,49 55,93 0,20 0,108 0,29 0,21 0,112 0,26 R = −0,112 0,20 0,055 0,70 R = −0,078 0,37 −0,090 0,49 R = −0,146 0,09 −0,142 0,41 56,63 (18,75) 62,20 (22,40) 0,06 −0,268 0,007 Prise en charge Positive And Negative Syndrome Scale score positif Positive And Negative Syndrome Scale score négatif Positive And Negative Syndrome Scale psychopathologique SUMD 1 Conscients (1-2) Non-conscients (3) (17,63) (20,73) (23,61) (15,82) (12,34) (19,97) (21,32) M (ET) : moyenne (écart-type) ; R : coefficient de corrélation de Pearson ;  : coefficient bêta standardisé (le signe du coefficient indique si la variable est liée positivement ou négativement à S-QoL index et le p indique si cette relation est significative ou pas). valeur de p univarié ; ** valeur de p multivarié ; le terme en gras correspond à des valeurs de p < 0,05. SUMD 1 : dimension 1 de la SUMD : conscience du trouble mental. Les patients les plus conscients ont des niveaux d’« estime de soi » plus détériorés renvoyant à ce qui a déjà été décrit par d’autres auteurs [7,11,12,38] et reprenant l’hypothèse qu’au fur et à mesure de l’augmentation de l’insight, le mode d’attribution des pensées puisse redevenir de plus en plus interne. Ce qui était au départ vécu comme une expérience d’étrangeté, attribuée à des événements ou des circonstances externes, pourrait progressivement être compris et intégré à un processus pathologique de longue durée qui conduirait à une baisse de l’estime de soi. Ce point peut renvoyer aux interprétations psychodynamiques et cognitivistes, qui présentent le manque d’insight respectivement, comme un mécanisme de défense ou une distorsion de l’appareil cognitif visant à protéger l’estime de soi de l’individu et qui soulignent le rôle « adaptatif » du déficit lors de l’entrée dans la maladie [12,29,38]. Alors que certains auteurs ont montré qu’il existait un lien entre la présence d’une symptomatologie négative et des niveaux de qualité de vie altérés [34], dans notre étude, si l’on s’attache aux niveaux de conscience de la sympto- matologie, positive ou négative, ils ne semblent pas liés à la qualité de vie tant au niveau de l’index global que des différents domaines isolés, en dehors de la conscience de « désorganisation de la pensée » qui entraîne une altération du « bien-être psychologique ». Ce lien paraît davantage lié à un recouvrement entre les items de la dimension « désorganisation de la pensée » (qui renvoie à la conscience de présenter un discours désorganisé et d’avoir des problèmes de communication avec les autres) et du domaine « bien-être psychologique » (qui renvoie à la sensation d’être coupé[e] du monde extérieur, d’avoir du mal à exprimer ce qui est ressenti) qu’à une véritable influence de la conscience de la symptomatologie sur la qualité de vie des patients. Enfin, une meilleure conscience sur la dimension « manque de sociabilité » de l’insight entraîne des niveaux de qualité de vie meilleurs dans les domaines des relations sociales, qu’il s’agisse des relations familiales ou amicales, ce qui est également retrouvé dans d’autres travaux [14,20,39]. Cela rejoint la théorie évoquée par Bora 170 et al. selon laquelle une bonne compréhension de soi est conceptuellement très proche d’une bonne compréhension de l’autre : les sujets avec insight élevé seraient plus conscients du soutien, de l’aide potentielle que pourraient leur apporter leur famille ou leur entourage au sens large [8]. La prise en compte d’un modèle multidimensionnel à la fois de l’insight et de la qualité de vie permet de préciser que c’est le trouble mental lui même qui affecte le plus les patients tant sur la qualité de vie globale que dans des domaines comme « l’estime de soi », « l’autonomie », ou « le bien-être psychologique » et « physique ». Ce travail montre que si la « conscience du trouble mental » affecte la qualité de vie, ce n’est pas le cas de la « conscience des conséquences du trouble mental ». Cette étude nous indique qu’une attention particulière des soignants pour des sujets présentant une conscience aiguë de ce qu’ils présentent, est nécessaire, afin de prendre en compte les retombées psychologiques potentielles mais également les difficultés que les sujets peuvent présenter en termes d’autonomie, par exemple, ou sur les aspects physicofonctionnels. Conflit d’intérêt Aucun conflit d’intérêt. Références [1] Aghababian V, Coudray P, Reine G, et al. Relation entre niveau de conscience de la maladie et qualité de vie subjective des patients schizophrènes (Insight and quality of life in schizophrenia). Ann Med Psychol 2003;161:660—5. [2] Amador XF, Flaum M, Andreasen NC, et al. Awareness of illness in schizophrenia and schizoaffective and mood disorders. Arch Gen Psychiatry 1994;51:826—36. 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