Le tutorat : un outil d`accueil et d`intégration des nouveaux salariés

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Le tutorat : un outil d’accueil et d’intégration des
nouveaux salariés en entreprise.
Annabelle HULIN
CERMAT – IAE de Tours
Université de Tours
Le tutorat : un outil d’accueil et d’intégration des nouveaux salariés en entreprise.
Résumé :
Les organisations mettent actuellement en place des outils, tels que le tutorat d’entreprise, afin
d’exploiter le capital de compétences de l’ensemble de leurs salariés, et, plus spécifiquement
les débuts et fins de carrières. Les questions du transfert de compétences et de l’adaptation
aux évolutions du marché du travail deviennent centrales.
Cet article propose une clarification des principes et enjeux du tutorat dans sa logique de
fonctionnement la plus connue en gestion des ressources humaines : l’accueil et l’intégration
des nouvelles recrues.
Mots clés : tutorat, intégration, nouveaux salariés, socialisation,
Guidance : a tool of reception and integration of the newcomers in company.
Abstract :
Organizations set up at present tools, such as the guidance in company, to exploit the capital
of skills of all their employees, and, more specifically the debuts and the ends of careers.
The questions of the skills transmission and the adaptation to the evolutions of the labour
market become central.
This article proposes a clarification of the principles and the stakes in the guidance in its logic
of functioning the most known in management of human resources : the reception and the
integration of the new recruits.
Key words : guidance, integration, new employees, socialization.
1
INTRODUCTION
L’évolution démographique est une réalité pour de nombreuses entreprises. Les
générations du baby-boom, nées après la Seconde Guerre mondiale, atteignent
progressivement l’âge de la retraite et cèdent la place aux jeunes générations. Les départs en
retraite, conjugués aux difficultés de recrutement que doivent affronter les entreprises de
certains secteurs d’activités, tels que les travaux publics, l’artisanat ou encore la métallurgie,
vont placer les organisations face à des difficultés importantes si ces phénomènes ne sont pas
anticipées. En effet, par exemple, recruter 100 000 jeunes dans les 10 années à venir1, tel est
l’enjeu auquel vont devoir répondre les entreprises du secteur des travaux publics afin de faire
face à une demande en croissance régulière. Chaque année plus de 2500 jeunes font défaut
aux entreprises de ce secteur d’activité2. Les causes de ces difficultés, pour recruter et
fidéliser les salariés, émanent de plusieurs constats : une image peu attrayante des métiers, des
filières de formation professionnelle dévalorisées et des conditions d’accueil et d’intégration
insatisfaisantes.
Du point de vue stratégique, il est désormais admis que les savoirs doivent être gérés comme
des ressources matérielles (Prax, 2005). Dans une économie fondée sur la connaissance, le
capital humain occupe une place essentielle qu’il est nécessaire de valoriser. Il est impératif
de disposer d’outils, de techniques et de méthodes pour gérer ces savoirs en tant qu’actifs
stratégiques, afin de les faire fructifier.
Les dispositifs de formation professionnelle ont de plus en plus souvent recours aux situations
de travail comme moyen de formation, en complément des situations scolaires (Veillard,
2004). Il apparaît que le travail est un élément clé de la transmission et de l’acquisition des
compétences (Conjard, Devin, Olry, 2006). Au moment où les marchés du travail s’inversent
et où une « pénurie de compétences » émerge dans certains secteurs d’activités, la conception
de la pédagogie intégrée à la situation de travail qu’est le tutorat peut s’appliquer à toutes les
populations et à tous les âges.
Cet article propose une clarification des principes majeurs structurants l’utilisation du tutorat,
dans une perspective d’accueil et d’intégration des nouvelles recrues dans les organisations.
En effet, une fois énoncée l’évidence de l’intention pédagogique de tutorat, subsistent
toujours de nombreux problèmes de mise en œuvre. Ces difficultés tiennent en partie au fait
que les représentations dominantes des acteurs concernés par le tutorat sont en décalage avec
les pratiques réelles et les conditions contextualisées de leur développement (Wittorski, 1996).
Le tutorat recouvre des situations et des pratiques variées. « Il n’existe pas de tutorat type et
pas davantage de tuteur type » (Gérard, 1997 : 94). Il est vrai que les frontières entre les
termes de tuteur, mentor, maître d’apprentissage, compagnon, parrain, référent, maître de
stage sont extrêmement floues.
Notre première partie est consacrée à la définition de la notion de tutorat dans une perspective
d’accueil et d’intégration des nouvelles recrues. La seconde partie de cet article nous
permettra de positionner le tutorat d’intégration par rapport aux caractéristiques et aux enjeux
de la socialisation organisationnelle. Par ailleurs, nous illustrerons ces différents éléments
grâce à des extraits d’entretiens exploratoires menés auprès de différents responsables
d’organisations publiques et privées3.
1
Ces chiffres sont donnés par la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), dans le cadre de ses
différentes campagnes communications. Cf. site internet de la FNTP : www. fntp.fr
2
40% des chefs d’entreprise interrogés en janvier 2006 lors de la dernière enquête trimestrielle d’opinion
FNTP/INSEE, sur le marché intérieur, déclarent le manque de main-d’œuvre comme facteur limitant la
production.
3
Cf. annexe : liste des entretiens exploratoires effectués et méthodologie.
2
1. TUTORAT D’ENTREPRISE ET INTEGRATION
Le dictionnaire Le Robert donne deux définitions du tuteur qui sont éclairantes sur les
différentes acceptations, aussi chargées de sens, quant au choix de ce terme :
« 1 - Personne chargée de veiller sur un mineur ou un incapable majeur, de gérer ses
biens et de le représenter dans les actes juridiques.
2 – Tige, armature de bois ou de métal fixée dans le sol pour soutenir ou redresser des
plantes. »
Nous retenons, pour notre part, la définition de Boru et Leborgne (1992 : 21) qui considèrent
le tutorat comme « un ensemble de moyens, en particulier humains, mobilisés par une
entreprise pour intégrer et former à partir de la situation de travail ».
Dans cette première partie, après avoir présenté les intérêts et particularités de la notion
globale de tutorat, nous nous intéresserons à l’exercice du tutorat dans une logique spécifique
d’intégration.
1.1. Le tutorat : un outil aux multiples perspectives
Le contexte socio-économique actuel est paradoxal : des jeunes sont sans emploi et des
entreprises sont en pénurie de personnel, et cela alors que le « choc démographique » n’a pas
encore véritablement produit ses effets. Ainsi, face aux difficultés de recrutement,
l’amélioration de l’accueil et de la prise en charge des nouveaux salariés est devenue une
véritable nécessité professionnelle.
Au moment où les marchés du travail s’inversent et où certaines organisations doivent faire
face à une « pénurie de compétences », la conception de la pédagogie intégrée qu’est le tutorat
s’applique à toutes les populations et à tous les âges. Mais peut-on penser le tutorat en dehors
des contextes qui le promeuvent, des ressorts qui l’animent, des fonctions qu’il joue dans une
évolution plus globale et probablement conjointe des systèmes de formation et des systèmes
de travail ? Le tutorat, considéré par certains comme une valorisation sociale forte,
s’accompagne toutefois d’une lisibilité encore faible, sur le plan de l’analyse, des pratiques,
des processus et des situations désignées sous ce vocable.
La notion de tutorat est très présente dans la littérature relative aux sciences de l’éducation
(enseignement supérieur (Annoote, 1998), accompagnement, suivi des étudiants (Danner,
Kempf, Rousvoal, 1999)4, soutien des élèves…). Néanmoins, les sciences de gestion
s’intéressent de plus en plus à cet outil à travers des travaux relatifs, entre autres, à
l’ingénierie de formation, l’accompagnement à la création ou à la reprise d’entreprises, le
management par les compétences. Un des intérêts de notre recherche est ainsi d’étudier le
tutorat dans la perspective des sciences de gestion.
1.1.1. Le tutorat : éléments de définition
De façon globale, nous tendons à parler de tutorat « chaque fois que l’on constate auprès
d’agents dont ce n’est précisément pas la fonction principale, et pour une durée qui reste
4
Annoote E. (1998), « Tutorat et ressources éducatives : la question étudiante », Perspectives documentaires en
éducation, Institut National de Recherche Pédagogique, n°43, pp. 59-72.
Danner M., Kempf M., Rousvoal J. (1999), « Le tutorat dans les universités françaises », Revue des sciences de
l’éducation, vol. 25, n°2, pp. 243-270.
3
généralement limitée, la présence d’activités qui contribuent directement à la survenance
chez d’autres agents de transformations identitaires correspondant au champ même de cette
fonction principale » (Barbier, 1996 : 8).
L’analyse des modes de fonctionnement du tutorat en entreprise montre que cette fonction
reste souvent peu formalisée dans le sens où les activités du tuteur ne font pas l’objet d’une
définition précise (Wittorski, 1996). Il s’agit généralement d’actes informels qui suivent une
logique de formation par la situation de travail : se développent alors des situations d’échange
ou des rencontres en situation de travail où sont activés, mobilisés, transmis et produits des
savoirs et savoir faire. Ces situations sont généralement prévues dans leur principe mais non
planifiées, et elles sont déterminées par des objectifs de formation pratique (notamment dans
des dispositifs d’insertion) (Agulhon, Lechaux, 1996).
De façon générale, le tutorat se décline en trois dimensions principales :
9 La dimension professionnelle : les tuteurs sont porteurs de compétences, de savoirs et
de savoir-faire qu’ils vont partager progressivement (Boru, Leborgne, 1992).
9 La dimension pédagogique : les tuteurs font bénéficier leurs apprenants de leurs
compétences en les confrontant au travail. Cette dimension porte sur la communication
interpersonnelle mais aussi sur la relation d’apprentissage et la présentation des
savoirs (Barbier,1996 ; Bartoli, 1997).
9 La dimension organisationnelle : le tutorat est souvent considéré comme un projet
d’entreprise. Il s’agit d’un ensemble de moyens humains et organisationnels qu’une
organisation met en œuvre pour intégrer et former, en situation de travail, un ou
plusieurs apprenants. Cela correspond à un espace d’interactions où interviennent une
multiplicité d’acteurs : le tuteur, le tutoré, le responsable des ressources humaines, le
responsable formation, la direction, le supérieur hiérarchique, les organismes de
formation, les autres étudiants, les autres stagiaires, les autres tutorés, les enseignants,
les formateurs, les pouvoirs publics, les équipes de travail (Geslin, Lietard, 1993 ;
Agulhon, Lechaux, 1996 ; Gérard, 1997).
Dimension
professionnelle
Produire une
référence métier
Dimension
individuelle
Produire une
référence sociale
Dimension
organisationnelle
Assurer une ingénierie
pédagogique
Schéma 1 : les trois dimensions de la fonction tutorale
Racine (2000 :8)
Le tutorat correspond à une période de transition dans la vie du salarié : arrivée dans
l’entreprise, adaptation à un nouveau poste de travail, parcours de formation. Il présente
différentes logiques de fonctionnement, non exclusives les unes des autres. Six types d’enjeux
sont identifiés dans la littérature :
4
-
La qualification : nous assistons aujourd’hui à un large développement des formations
en alternance. La littérature sur le sujet, ainsi que les nombreuses expériences de
terrain, reconnaissent l’importance de la période en entreprise. L’alternance constitue
le mode le plus développé de tutorat de qualification. Ce dernier se caractérise par
l’objectif explicitement qualifiant de la personne dont le tuteur a la charge, celle-ci est
entrée dans un processus de qualification reconnue, prépare un diplôme ou se prépare
à un poste précis dans l’organisation (Gérard, 1997).
-
L’insertion : le tutorat d’insertion recouvre les situations de formation non qualifiantes
dans lesquelles se trouve le tutoré (Gérard, 1997). Pour l’essentiel, « ces dispositifs
sont mis en place à l’intention de publics menacés et désignés comme « prioritaires »
dans l’action des pouvoirs publics, jeunes « sortis sans qualification du système
éducatif », chômeurs, etc. […] on constate que plus encore que le tutorat, c’est
l’immersion en situation de travail qui constitue la pièce essentiel de ces dispositifs »
(Barbier, 1996 : 15). L’objectif principal est le développement de l’employabilité des
individus concernés. Le tuteur est un acteur privilégié susceptible de soutenir ces
individus dans leur construction identitaire professionnelle.
-
L’adaptation : les organisations qui doivent faire face à des évolutions technologiques
et organisationnelles, cherchent à adapter les compétences de leurs salariés par la mise
en place du tutorat. Le tuteur « tend alors à intervenir à la fois comme modèle
professionnel facilitant le développement et le transfert de compétences en situation de
travail réelle, et comme agent d’intégration dans l’entreprise » (Geslin, Liétard,
1993 : 122).
-
Le transfert : le tuteur est l’artisan d’une démarche visant à transférer des compétences
en situation de travail (Bartoli, 1997). Les publics concernés sont des populations dont
l’activité joue un rôle stratégique dans l’organisation. Par la mise en place du tutorat,
l’entreprise veut conserver les compétences clés qui composent sa mémoire collective.
-
La mobilité : l’organisation souhaite alors accompagner les parcours professionnels,
en préparant les salariés concernés aux exigences des fonctions qu’ils vont ou qu’ils
viennent d’intégrer (Wittorski, 1996).
-
L’intégration, que nous allons analyser dans les paragraphes suivants.
Le tutorat n’est pas une réalité nouvelle, il existe dans la continuité d’outils anciens, tels que
le compagnonnage et l’apprentissage, et ne rompt pas avec eux. L’accompagnement et la
relation d’aide renvoient à une multiplicité d’appellations (tuteur, parrain, référent, maître
d’apprentissage, moniteur…) qui implique des conceptions et des approches différentes,
comme l’ont évoqué les professionnels rencontrés lors des différents entretiens :
« on dit tuteur, parrain, maître d’apprentissage, peu importe pour moi le processus
est le même » (Organisation A).
« le tuteur, c’est plus dans le sens de parrainage, parrain, je te suis dans l’entreprise,
je vais te transmettre les connaissances que j’ai, mais, pour moi, le tuteur, c’est pas le
supérieur hiérarchique » (Organisation F).
Le tutorat peut être compris comme l’une des modalités formatives qui existe dès lors que la
situation de travail est organisée afin de faciliter l’apprentissage progressif du métier dans le
cadre d’une relation individualisée et formalisée. Il constitue un élément majeur de
socialisation, de transmission des valeurs, d’appropriation des savoir-faire opérationnels et de
développement des compétences (« la richesse de l’entreprise, ce sont ses hommes, ce sont
5
les compétences acquises dans l’entreprise, c’est sûr qu’on a pas envie de les perdre et
comment on peut les transmettre : par le tutorat, donc c’est vraiment une culture et une
dynamique d’entreprise » (Organisation A)).
1.1.2. Les missions du tuteur
Les missions des tuteurs varient en fonction des apprenants concernés, de l’organisation du
tutorat dans l’entreprise (selon sa taille, son activité, sa culture, son système hiérarchique…)
et du type de tutorat.
Boru et Leborgne (1992), distinguent cinq catégories d’activités au sein de la fonction
tutorale :
- intégrer le nouvel arrivant,
- organiser le parcours,
- rendre le travail formateur,
- participer à la gestion de l’alternance,
- évaluer les acquis et la progression du tutoré.
Le professionnel, chargé de mission au sein de l’organisation F, a d’ailleurs souligné que
« pour les salariés vieillissants, il faut que cela soit dans les missions du salarié de
transmettre ses compétences avant son départ. Cela doit être clair, net et précis et il faut que
cela soit valorisé ».
Dans tous les cas, les tuteurs exercent une responsabilité vis-à-vis de l’apprenant et de
l’organisation (Racine, 2000). Apprendre un métier est un processus long qui engage non
seulement le formé mais aussi le collectif de travail, ce qui nous amène à parler de fonction
tutorale, voir d’entreprise tutrice (Bartoli, 1997 ; Veillard, 2004) :
« on parle maintenant d’équipe tutorale et alors le tuteur défini reste le référent mais
il peut très bien envoyer le tutoré voir un autre collègue parce qu’il a plus de
compétences sur tel domaine » (Organisation G).
« il faut que le tutorat soit pris en compte par l’ensemble des équipes et que d’autres
membres puissent participer, au-delà du tuteur et de son apprenant » (Organisation
C).
1.1.3. Le tutorat comme outil de transfert de compétences
Prax (2005 : 23) définit le management des connaissances comme le fait de « manager le
cycle de vie de la connaissance depuis l’émergence d’une idée, formalisation, validation,
diffusion, réutilisation, valorisation… ». La transmission des compétences est donc l’une des
constituantes du management des connaissances.
La forte évolution des métiers, des organisations du travail impose, de plus en plus, la mise en
place de processus de transfert de compétences internes à l’entreprise (Bartoli, 1997).
6
1.1.3.1. La chaîne de transformation de la connaissance
Dans toute organisation, les connaissances évoluent de manière cyclique, selon la chaîne de
transformation suivante :
Données
Information
Connaissances
Compétences
(Veille)
Schéma 2 : la chaîne de transformation de la connaissance
Mack (1995 : 43)
9 Une donnée est factuelle, neutre, souvent unitaire, autonome et réputée objective. Elle
peut être de nature quantitative ou qualitative (Prax, 2005). Elle est acquise de façon
instrumentale et n’est pas forcément intentionnelle (Pesqueux, 2004).
9 Mack (1995 : 43) considère l’information comme « le « relief » qui se dégage de la
juxtaposition de données de natures différentes et qui fait apparaître un « signal » ». Elle
prend sens à partir du moment où elle permet à celui qui la reçoit de disposer des éléments qui
lui manquent pour agir.
9 La connaissance rassemble les qualités et les caractéristiques d’un ensemble de
données et d’informations, avec une propriété supplémentaire : l’action potentielle. D’ailleurs,
« il n’existe pas de relation linéaire, ni de corrélation entre la quantité d’informations qu’une
organisation génère, et la quantité de connaissances qu’elle est par ailleurs capable de se
créer » (Baumard, Starbuck, 2003 : 262).
Il existe plusieurs taxinomies des connaissances. La distinction entre connaissances tacites et
connaissances explicites semble être la plus couramment admise. La connaissance implicite,
tacite est très difficile, voir impossible, à traduire dans un discours. Sa principale
caractéristique est sa difficulté de transmission. Par opposition, la connaissance explicite est
transmissible dans un langage formel, systématique qui peut être oral ou écrit (Nonaka,
Takeuchi, 1997).
La connaissance est indissociable des individus et de leur environnement. Elle est le plus
souvent considérée comme une des composantes de la compétence (Pesqueux, 2004).
9 La notion de compétence fait l’objet d’une variété de définitions et d’usages. Nous
retenons la définition proposée par le MEDEF5 (1998) : la compétence est « une combinaison
de connaissances, savoir-faire, expériences et comportements s'exerçant dans un contexte
précis. Elle se constate lors de sa mise en oeuvre en situation professionnelle à partir de
laquelle elle est validable. C'est donc à l'entreprise qu'il appartient de la repérer et, en lien
avec les institutions, branches, système éducatif d'une part et les salariés d'autre part, de
l'évaluer, de la valider et de la faire évoluer ».
La compétence professionnelle n’existe que lorsqu’elle est mise en œuvre dans son contexte
de travail (Le Boterf, 2000). Le Boterf (2000) ajoute que l’une des caractéristiques
essentielles de la compétence consiste à choisir et à combiner des ressources (les savoirs, les
savoir-faire, les aptitudes ou qualités, les ressources physiologiques et les ressources
émotionnelles) par rapport à des objectifs à atteindre.
Nous nous intéressons ici à l’acquisition des compétences par l’individu, résultant de ses
expériences et du transfert de compétences (Conjard, Devin, Olry, 2006).
5
Mouvement des Entreprises DE France.
7
1.1.3.2. Le transfert intra-organisationnel de connaissances
Le transfert intra-organisationnel de connaissances correspond au « processus par lequel une
unité (individu, groupe, département, division) est affectée par l’expérience d’une autre »6
(Argote, Ingram, 2000). Il a pour ambition de faire l’économie des étapes initiales
d’apprentissage (Duizabo, Guillaume, 1997). Il s’agit de reproduire, d’échanger, de comparer
et de faire évoluer les connaissances dont dispose l’organisation, afin d’en faire un levier de
l’activité.
Le transfert de connaissances se décompose en plusieurs étapes (Szulanski, 1996) :
9 L’initiation : cela correspond à l’ensemble des événements qui ont conduit au
transfert, l’identification des compétences à transmettre apparaissant comme un
préalable indispensable à tout processus de transmission.
9 L’implantation : il s’agit de la circulation des connaissances en faveur du récepteur.
9 L’accès : le récepteur commence à utiliser la connaissance transférée.
9 L’intégration : l’utilisation de la connaissance par le récepteur est effectuée en
autonomie et donne des résultats satisfaisants.
La structure hiérarchique, le système de récompense, la distribution du pouvoir, les styles de
communication, les relations entretenues entre unités ou encore les systèmes de récompense
sont autant de variables qui peuvent influencer le transfert de connaissances (Buisson, 2004).
Comment obtenir des tenants du savoir qu’ils le partagent ? Quelles compensations faut-il
donner en échange ? La fonction « ressources humaines » peut inciter à la coopération et au
partage des connaissances, notamment par la formation et la rémunération. L’aspect social du
processus de transfert de connaissances apparaît comme un des principaux facteurs de réussite
(Szulanski, 1996).
En outre, pour différents auteurs du management des connaissances (Leonard, Straus, 1997 ;
Hansen, Nohria, Tierney, 1999 ; Prax 2005), il est nécessaire de développer une culture
interne qui privilégie et encourage le partage de l’information. Il s’agit de rendre les salariés
désireux de transmettre leurs compétences et de créer les conditions de cette transmission. Il
faut décloisonner, favoriser l’échange d’idées et
ainsi développer une culture
organisationnelle qui va favoriser le transfert et contribuer à une absorption plus rapide des
nouvelles connaissances. Cette culture se fonde sur la confiance et un langage commun. La
culture d’entreprise peut également permettre de renforcer les liens existants entre les
individus, notamment à travers certains rites et valeurs.
Après avoir défini les caractéristiques et les spécificités du tutorat, nous allons nous attacher à
positionner cet outil par rapport à la phase spécifique de l’intégration des salariés dans
l’organisation.
1.2. Les enjeux de la phase d’intégration
Pour devenir membre d’une organisation, l’individu passe par une phase d’intégration qui lui
permet d’assimiler les caractéristiques de cette organisation.
La période d’entrée dans l’organisation est une phase de transition pour les nouvelles recrues
(Lacaze, 2004). La pertinence de cette phase détermine, en partie, la fidélité des nouveaux
embauchés (Saks, Ashfort, 1997). L’intégration est une période inconfortable pour la nouvelle
6
Traduction personnelle.
8
recrue qui devra faire face à des moments d’incertitudes voir à des périodes de stress. Il s’agit
d’un véritable travail, source d’efforts importants pour les individus (Lacaze, Fabre, 2005).
Les organisations mettent en œuvre, de manière plus ou moins structurée, des processus
d’accueil et d’intégration de leurs recrues (livret d’accueil, visites d’entreprise, séminaires
d’intégration, formations, parrainage, tutorat…). L’intégration est une étape clé étant donné
qu’elle a pour finalité la réalisation du travail par le nouveau salarié, l’intégration de la culture
de l’organisation et l’évolution de l’identité professionnelle des individus concernés.
Le cas du secteur d’activité des travaux publics permet d’illustrer ces premiers éléments. La
question du recrutement et de l'intégration des jeunes est prioritaire. En effet, les travaux
publics sont confrontés, comme d'autres secteurs, à un manque de qualification dans un
certain nombre de leurs métiers, manque accru du fait du nécessaire renouvellement des
générations.
Par ailleurs, même si chaque année le nombre de jeunes qui commencent une formation dans
le secteur est suffisant pour faire face aux offres d'emplois, trop nombreux sont ceux qui ne
vont pas au bout de la formation. Les difficultés de recrutement et d’insertion des nouveaux
salariés ont des causes connues telles que des pratiques d’accueil et de management à
concevoir dans les entreprises.
L’amélioration de l’adaptation et de l’intégration des salariés est essentielle pour les
organisations vis-à-vis des différents coûts engendrés (Lacaze, Chandon, 2001). Par ailleurs,
face aux difficultés de recrutement, l’amélioration de l’accueil et de la prise en charge des
jeunes est devenue une véritable nécessité professionnelle. Le tutorat est au centre de ce type
de politique de gestion des ressources humaines.
1.2.1. Les apprentissages à effectuer lors de la phase d’intégration
Marbot (2005) souligne quatre principales tâches d’apprentissage à effectuer lors de cette
période d’intégration :
- la connaissance de son entreprise,
- le travail dans son équipe,
- la réalisation de son travail,
- l’évolution de son identité.
Le salarié doit s’intégrer et s’adapter à son nouvel environnement de travail, à ses règles de
fonctionnement et à ses spécificités qui lui étaient plus ou moins inconnues jusqu’alors. Le
tutorat peut être considéré comme un moyen de véhiculer les valeurs et les normes de
l’organisation vers les nouveaux entrants.
1.2.2. Le tutorat d’intégration : définition
Le dispositif d’intégration insère le salarié dans un collectif de travail. Il s’agit alors pour le
tuteur de présenter, de placer et de positionner le nouveau salarié dans l’activité de
l’organisation. En effet, « afin d’éviter une mauvaise compréhension qui retarde l’intégration
des nouveaux, Louis (1980) suggère de faciliter l’accès à l’information par l’intermédiaire
d’un ou plusieurs membres bien intégrés dans l’organisation » (Lacaze, Chandon, 2001 : 6).
Il peut s’agir de supérieurs, de collègues, de parrains ou de tuteurs.
Les situations permettant les interactions avec les collègues ou les supérieurs hiérarchiques
facilitent l’intégration des nouveaux salariés (Louis, Posner et Powell, 1983 ; Ashford et
9
Cummings, 1985). Cependant, les nouveaux peuvent avoir le sentiment d’être privés des
informations pertinentes (Saks, Ashfort, 1997). Même si les membres expérimentés informent
les nouveaux, ils peuvent faire des omissions, les anciens ayant oublié ce qu’engendre, pour
un individu, l’intégration dans une organisation.
Il est important de souligner que le tutorat d’intégration peut coexister avec d’autres formes
de tutorat telles que l’insertion, la mobilité ou encore la qualification. Par exemple, l’individu
en situation d’insertion pourra connaîtra une phase d’intégration dans l’organisation.
Le tutorat d’intégration doit également prendre en compte les problématiques des différences
intrinsèques existantes entre les générations. En effet, l’âge peut constituer un élément clé des
rapports sociaux internes. Les styles d’apprentissage, la façon dont les individus se
perçoivent, perçoivent leur place dans l’organisation et leur rapport au travail peuvent être
différents suivant les générations. (Guerfel-Henda, 2005).
Les enjeux de la prise en compte des relations intergénérationnelles ont également été
confirmés par les personnes rencontrées lors des entretiens exploratoires réalisés :
« on ne se projette pas dans le métier comme on se projetait il y a vingt ans. Je pense
qu’on n’investit pas de la même manière aujourd’hui son métier » (Organisation C).
« le tutorat permet de faire tomber les barrières d’âge […] il y a une certaine relation
paternelle qui s’instaure entre le tuteur et son tutoré […] cela permet de rapprocher
les gens, de créer une certaine cohésion sociale» (Organisation E).
« je pense que le mélange des âges est très important pour permettre une meilleure
motivation. De toute façon, ça va être un des enjeux des entreprises aujourd’hui […]
sur les 19 entreprises que j’ai rencontré depuis plusieurs mois, y’en a aucune qui m’a
parlé des conflits intergénérationnels et pourtant je m’y attendais » (Organisation F).
La réalisation du tutorat d’intégration est confrontée à la contradiction essentielle de la
concurrence entre formation et production. Pour le tuteur, former se fait pendant le travail. Le
tuteur étant lui-même membre d’un collectif de travail, des contraintes liées à son rôle et aux
règles de ce collectif limitent plus ou moins ses possibilités d’intervention (Veillard, 2004).
Cette concurrence entre formation et production peut se présenter comme le constat d’une
mission impossible lorsque le minimum de conditions n’est pas réuni. Néanmoins, cela peut
apparaître comme une source de dynamique favorable quand le tutorat aboutit à la fois à
l’optimisation de la production et des compétences (Boru, Leborgne, 1992 ; Barbier, 1996).
La gestion du temps entre tutorat et production est une problématique qui a été soulignée par
les professionnels interrogés :
« ça sert à rien de faire les choses à moitié. Si on dit qu’on fait du tutorat, il faut le
faire complètement, avec un suivi régulier. Et si on le fait pas, on doit rentre des
comptes derrière à nos salariés. Nous le tutorat informel on connaît pas »
(Organisation E).
« sur la gestion du temps, si on veut on peut, je crois que tout est possible quand on en
a envie. C’est une fausse excuse de dire on a pas le temps, le temps ça s’organise,
surtout si c’est pour transmettre exactement le même métier » (Organisation F).
La motivation pour assurer des fonctions de tuteur apparaît primordiale. Il est vrai que
certaines personnes n’ont pas nécessairement la volonté de transmettre. Une sélection
rationnelle des tuteurs repose alors sur une définition claire de leurs missions et de leurs
responsabilités. Devenir tuteur nécessite de satisfaire à plusieurs conditions, comme, par
10
exemple, détenir un savoir-faire spécifique ou posséder des qualités de pédagogue. Exercer un
métier est une chose, savoir le décrire de façon structurée et compréhensive en est une autre.
Les candidats aux fonctions de tuteur ne sont pas obligatoirement pédagogues. C’est, au
moins, pour cette raison qu’une formation est utile, voir indispensable.
L’utilisation du tutorat a une origine ancienne et elle est souvent apparue évidente à ceux qui
l’ont mise en œuvre. Néanmoins, leur tâche aurait pu être plus aisée s’ils avaient pu s’appuyer
sur une formalisation de ce qui leur était demandé dans un rôle relativement inconnu pour
eux.
La question de la formation et de la désignation des tuteurs suscite de nombreux débats entre
les acteurs de terrain :
« dans l’idéal, il faut que le tuteur soit volontaire, mais dans la réalité ça se passe pas
tout le temps comme ça, les entreprises sont obligées d’aller solliciter les experts pour
voir s’ils veulent bien devenir tuteur mais l’idéal, je le redis, c’est qu’ils soient
volontaires […] c’est pas donné forcément à tout le monde de transmettre, il faut
savoir être pédagogue, il faut être bon dans son métier » (Organisation G).
« je pense que tout le monde n’est pas capable d’être tuteur […] il faut arriver à
repérer ceux qui en ont la capacité » (Organisation F).
« pour certains noms je dirai non. Il y a des personnes qui sont plutôt dans le
jugement et puis à un niveau de transmission des savoirs qui n’est pas opérant, c’està-dire qu’ils sont plutôt dans une orientation très psychanalytique, j’ai rien contre
mais c’est pas ce que les jeunes ont besoin là. Ils ont besoin de comprendre déjà ce
qu’on leur renvoie, quelque chose de très pratico-pratique » (Organisation C).
« je pense qu’on a rien sans rien et je le dis toujours […] on a que ce qu’on mérite et
si on veut véritablement intégrer des jeunes les attirer et savoir dialoguer avec eux il
faut s’en donner les moyens et quatre jours de formation, moi ça me semble être un
minimum » (Organisation A).
« la formation est indispensable mais en même temps j’ai interrogé des tuteurs qui
n’avaient jamais suivi de formation et qui sont de très bons tuteurs mais qui expriment
à un moment donné le regret de ne pas avoir été formés » (Organisation G).
Le tuteur est présent pour réduire la déstabilisation du jeune lors de son entrée dans
l’organisation et l’aider à donner du sens aux situations qu’il peut rencontrer (Louis, 1980).
En effet, il faut donner des repères aux individus de façon à ce qu’ils trouvent du sens à leur
travail. « Si ce que le collaborateur accomplit a du sens pour lui et pour l’organisation, alors
il y a de grandes chances qu’il soit plus motivé que s’il effectue une activité dont il estime
qu’elle n’a pour lui aucune portée symbolique et dont il ne voit pas le lien avec les objectifs
globaux de l’organisation » (Alexandre-Bailly et al., 2003 : 159). Cependant, l’inconvénient
est que les mauvaises pratiques peuvent continuer à se transmettre.
Le processus du tutorat d’intégration peut être formalisé suivant le diagramme de causalité
(Hubermann, Miles, 2003) suivant :
11
Arrivée d’un
nouveau salarié
dans
l’organisation
Sentiment de
déstabilisation
du nouveau
salarié
Besoin
d’informations
Obligation légale
dans le cadre de
certains contrats de
travail
Visite de
l’entreprise,
présentation à
l’équipe de
travail
Réalisation du
travail par le
nouveau
salarié
Besoin de
sécurité
Besoin
d’appartenance
Désignation
d’un tuteur
pour
accompagner
cette
intégration
Apprentissage
des procédures
de travail
Apprentissage
des règles de la
vie collective
Intégration des
valeurs et des
normes de
l’organisation
Evolution de
l’identité
professionnelle
Influence causale
(directe)
Schéma 3 : le tutorat d’intégration
12
Après avoir défini les caractéristiques et les spécificités du tutorat, notamment dans sa logique
d’intégration, nous allons nous attacher à positionner cet outil par rapport à la littérature
relative à la socialisation organisationnelle.
2. TUTORAT D’INTEGRATION ET SOCIALISATION ORGANISATIONNELLE
Le rôle du tuteur dépasse généralement la simple transmission de pratiques
professionnelles (Gérard, 1997). En effet, le tutorat a des répercussions dans le processus de
socialisation organisationnelle (Lacaze, 2004). « Les tuteurs jouent un rôle extrêmement
important dans la socialisation des jeunes et des adultes qu’ils accueillent, à la fois pour les
initier aux règles de la vie collective et aux procédures de travail » (Gérard, 1997 : 26).
Le concept de socialisation organisationnelle est repris pour caractériser l’une des finalités du
tutorat (Boru, Leborgne, 1992), la phase d’intégration étant considérée comme une étape
déterminante de la socialisation (Feldman, 1994 ; Lacaze, 2004). Feldman (1981) considère
l’intégration comme le stade le plus intense de la socialisation organisationnelle.
2.1. La socialisation organisationnelle : éléments de définition
La socialisation organisationnelle serait une forme particulière de socialisation. Le contenu de
la socialisation est avant tout un processus d’apprentissage qui passe par l’acquisition
d’informations (Perrot et al., 2005). Il s’agit d’un double processus d’apprentissage et
d’appropriation du rôle organisationnel (Perrot, 2006).
L’individu doit franchir différents stades de socialisation (Feldman, 1976) : la socialisation
anticipée, l’intégration et le management de son rôle. Cette phase d’intégration est ainsi
caractérisée par quatre éléments clés : la personne s’initie et s’approprie les tâches qu’elle doit
réaliser, elle s’initie à la vie de son groupe, elle définit son rôle, elle évalue son adaptation au
poste avec ses supérieurs.
La socialisation organisationnelle présente un intérêt majeur pour l’étude du début de carrière.
Elle « correspond à un double processus d’interactions entre une organisation et un individu
en phase de transition organisationnelle » (Lacaze, Fabre, 2005 : 274). Ainsi, il peut s’agir de
l’intégration d’un nouveau salarié dans son entreprise, mais également de l’adaptation d’un
individu à son poste de travail suite à une promotion, à un changement de service ou encore à
la suite d’une absence prolongée (Lacaze, Roger, 2000).
Il semble important d’apporter des éléments de précision quant à la distinction entre
socialisation professionnelle et socialisation organisationnelle. La socialisation
organisationnelle correspond à l’intégration d’une nouvelle recrue dans une organisation
donnée. Au contraire, la socialisation professionnelle se réfère à l’acquisition des normes
d’une profession. Dès lors, comme le soulignent Lacaze et Fabre (2005 : 291), « il peut donc
arriver que selon les emplois, les nouvelles recrues d’une organisation (cf. socialisation
organisationnelle) soient déjà en partie socialisées aux normes du métier (cf. socialisation
professionnelle) ».
2.2. Les stratégies de socialisation
13
La littérature relative à la socialisation organisationnelle distingue, d’une part, les stratégies
mises en place par les organisations pour socialiser leurs membres et, d’autre part, les efforts
fournis par les nouvelles recrues pour s’intégrer.
Van Maanen et Schein (1979) se sont intéressés aux stratégies mises en place par les
organisations pour socialiser leurs nouveaux membres. Ils distinguent six types de stratégies :
-
les stratégies formelles ou informelles : les stratégies formelles correspondent à des
procédures d’accueil et d’intégration où les nouvelles recrues sont séparées des autres
salariés. Les stratégies sont dites informelles lorsque les nouvelles recrues sont
directement mélangées aux « anciens ».
-
les stratégies individuelles ou collectives : lorsque les stratégies sont collectives, il y a
constitution de groupes de salariés nouvellement embauchés. Dans le cas des stratégies
individuelles, l’individu « seul cherchera un modèle à suivre ou devra inventer luimême le rôle qu’il occupera dans l’organisation » (Lacaze, Fabre, 2005 : 281).
-
les stratégies séquentielles ou non séquentielles : la socialisation est séquentielle
lorsque le nouveau salarié doit passer par une série d’étapes spécifiques définies au
préalable. La socialisation est dite non séquentielle lorsqu’il n’y a pas de formalisation
préalable de la succession des étapes à franchir pour la nouvelle recrue.
-
les stratégies fixes ou variables : les stratégies sont fixes lorsque la succession des
différentes étapes est normalisée en termes de temps.
-
les stratégies « en série » ou disjointes : il y a stratégie « en série » lorsque le nouveau
salarié est accompagné et aidé par son prédécesseur. Cela correspond, par exemple, à
la situation où le départ en retraite d’un salarié est anticipé et où « nouveau » et
« ancien » pourront travailler en binôme sur une période donnée. La stratégie de
socialisation est disjointe quand il n’y a pas cette relation d’accompagnement entre la
nouvelle recrue et son prédécesseur.
-
les stratégies d’investissement ou de désinvestissement : les premières encouragent et
valorisent le développement de la personnalité alors que les secondes favorisent la
conformité des membres à l’organisation.
La littérature distingue également les efforts effectués par les nouvelles recrues pour
s’intégrer. Ashford et Black (1996) identifient quatre tactiques d’intégration définies comme
les efforts des nouveaux pour accroître leur sentiment de contrôle sur la situation :
- la recherche d’information,
- la recherche de feed-back (d’une façon générale, auprès du supérieur hiérarchique et
auprès des collègues),
- les représentations positives,
- la négociation de changements dans le travail.
La recherche d’information tient une place essentielle dans la littérature consacrée aux efforts
effectués par les nouvelles recrues pour s’intégrer.
2.3. Le tuteur comme agent socialisateur
La littérature relative à la socialisation organisationnelle souligne que solliciter les sources
interpersonnelles, telles que les tuteurs, peut permettre de faciliter les différents
apprentissages à effectuer lors de la phase de socialisation.
14
Le tuteur peut être considéré comme un véritable agent de socialisation. « Les systèmes de
parrainage permettent aux nouveaux de se sentir épaulés durant toute leur phase
d’intégration » (Lacaze, Chandon, 2001 : 27). « Plus une recrue bénéficie de contacts
fréquents avec un tuteur, plus elle perçoit la culture de l’entreprise comme étant marquée par
des normes d’entraide et d’implication, et orientée vers l’innovation et la productivité ainsi
que vers les règles » (Delobbe, Vandenberghe, 2001 : 75).
Ostroff et Kozlowsky (1992)7 montrent que solliciter les sources interpersonnelles (collègues,
supérieurs, parrain) favorise l’acquisition des informations, mais que c’est par l’observation et
l’expérimentation que les nouveaux améliorent leur niveau de connaissance et de
compréhension des différents domaines de socialisation.
La connaissance peut faire l’objet d’une transmission grâce à l’opération de conversion, qui
s’effectue à travers quatre modes : l’intériorisation, la combinaison, l’extériorisation et la
socialisation qui est privilégié dans le cadre du tutorat (Nonaka, Takeuchi, 1997). Cette
dernière se réfère à la conversion de savoir tacite en savoir tacite, elle est réalisée par
acquisition directe d’une connaissance par l’imitation (apprentissage du geste, entraînement),
la pratique, l’observation (consciente ou inconsciente), l’interaction physique.
« L’expérimentation est indispensable pour l’acquisition de savoir-faire » (Lacaze, Fabre,
2005 : 285). Il s’agit notamment de transmettre des modèles mentaux ou des compétences
techniques.
Cette transmission peut se faire sans échanges verbaux. Ce processus s’établit entre des
individus, par contact direct entre eux.
En outre, « le seul transfert d’informations aura en général peu de sens, s’il est abstrait des
émotions associées et des contextes spécifiques dans lesquels les expériences partagées sont
scellées » (Nonaka, Takeuchi, 1997 : 84). L’écoute et l’observation des autres salariés sont
des moyens pour se familiariser avec les savoir-faire du métier.
« c’est un plus et quand je les revoie un peu plus tard, à chaque fois, elles me disent
que ça a été important pour elles, c’était intéressant, ça fait le lien avec ce qu’elles
avaient vu en formation et ça permet de donner du sens à des situations cliniques
qu’elles ont vécues […] il faut donner du sens aux informations que les patients leur
renvoient » (Organisation C).
« le tutorat permet de donner du sens à ce que les jeunes ont vu en formation
théorique et aussi à leurs tâches quotidiennes […] chacun a besoin de savoir où il est,
à quoi il sert et ce qu’il apporte » (Organisation A).
Le tutorat n’est pas seulement un moyen pour transmettre des compétences à d’autres. En
effet, l’exercice même du tutorat conduit les salariés-tuteurs à évoluer du fait qu’ils initient et
expérimentent de nouveaux schémas d’action en rupture avec leurs pratiques professionnelles
habituelles. La mise à jour des connaissances tacites contenues dans l’action est l’occasion
pour les différents acteurs d’une prise de conscience. Ces transformations concernent
notamment la production de nouvelles façons de voir et de penser le travail et les pratiques de
nouveaux schémas d’action liés à des capacités transversales (analyse des situations,
résolution de problèmes, anticipation) et à des formes nouvelles de gestion de leurs propres
capacités (analyse des pratiques, connaissance de ses capacités d’action).
Les effets du tutorat sur le salarié-tuteur ont été confirmés par différents acteurs rencontrés
dans les organisations :
7
Cité par Lacaze, Roger (2000).
15
« ça oblige à prendre du recul par rapport à une situation, à la théorie, avoir recours
à nouveau à la théorie d’une manière intégrée […] et à se requestionner, à faire
référence à des schémas théoriques qui des fois sont un peu enfouis et c’est s’obliger à
les ressortir, à les réexpliciter à quelqu’un […] quand on apprend quelque chose à un
pair ça oblige à prendre de la distance et faire fonctionner son intellect et pas donner
une réponse comme ça et ça je pense que c’est valable dans pleins de domaines, j’y
crois complètement » (Organisation C).
« c’est d’être obligé d’avoir du recul sur ses connaissances, qu’est-ce que je sais,
qu’est-ce que je vais transmettre et puis ça l’oblige aussi à réfléchir sur une approche
pédagogique, donc en fait, à un moment donné, il va être valorisé, il va être reconnu
par ses pairs » (Organisation G).
CONCLUSION
Nous assistons à la coexistence de deux phénomènes : d’un côté, profusion
d’intentions et de discours prescriptifs, de plus en plus consolidés par la réglementation et la
législation, et de l’autre, modestie des expériences constatées, doublées de difficultés non
résolues et auxquelles les sciences de gestion se consacrent peu. Il existe donc un décalage
entre ce qui se dit ou s’écrit sur ce sujet et ce qui se pratique réellement en la matière dans les
organisations (Boru, Leborgne, 1992).
Il est vrai que certaines organisations rencontrent des difficultés face au redimensionnement
du tutorat à leurs particularités (internes et externes) : quel doit être le degré
d’institutionnalisation et de formalisation du tutorat d’intégration ? Comment s’organisent
l’apprentissage et le droit à l’erreur durant cette phase ? Les engagements initiaux liés au
tutorat sont-ils suivis et éventuellement réadaptés ? Le tuteur chargé de l’intégration d’une
nouvelle recrue est-il accompagné dans ses missions ?
Le tutorat est souvent réduit aux bénéficiaires d’une formation en alternance. A contrario, il
doit pouvoir s’étendre à la globalité de l’entreprise. C’est dans ce sens qu’il est possible de
parler « d’entreprise tutrice » (Boru, Leborgne, 1992). Il faut aussi souligner qu’une grande
partie des départs en retraite des enfants du baby-boom ne donnera lieu à aucun remplacement
poste pour poste. En effet, « si l’on reprend le nombre de six millions de papy-boomers
destinés à partir en retraite dans les dix ans à venir, on peut estimer qu’un quart d’entre eux
sont des fonctionnaires dont on sait déjà qu’il ne seront pas tous remplacés » (Marbot, 2005 :
33).
En dernier lieu, il convient d’exposer les limites de ce travail. Au niveau méthodologique,
aucune triangulation des données n’a pu être opérée, ce qui ne permet pas d’assurer la validité
des données recueillies. Néanmoins, nous pensons avoir établi, lors de tous les entretiens, un
climat propice aux confessions.
Notre revue de littérature devra être complétée par les travaux relatifs à la mise en œuvre des
outils de gestion par les acteurs dans les organisations et les problématiques d’assimilation,
d’appropriation, de contextualisation et d’enracinement de ces outils.
16
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19
ANNEXE : liste des entretiens exploratoires effectués et méthodologie.
Organisation
Secteur d'activité
Personne interrogée
A
Travaux Publics
Génie Civil
Président
B
Restauration Collective
Directeur des ressources humaines
C
Centre Hospitalier Universitaire
Directeur des soins
D
Association pour l'insertion des
jeunes
Conseiller
E
Télécommunications
Directeur des ressources humaines
F
Association pour l'amélioration des
conditions de travail
Chargé de mission - Tuteur
G
Association pour l'information sur la
formation continue
Chargé d'études
La méthodologie mise en place, pour cette étude à caractère exploratoire, est celle de
l’entretien semi-directif centré. L’objectif de ces entretiens était la découverte de prescripteurs
pertinents et l’enrichissement de la revue de littérature.
Lors de la détermination de notre échantillon, nous avons cherché à diversifier les points de
vue. Nous avons rencontré des représentants de quatre organisations publiques et trois
organisations privées.
La finalité étant de s’assurer que l’interview se focalise sur les thématiques de recherche, un
guide d’entretien a été élaboré (Romelaer, 2005). Pour des raisons pratiques de temps, les
thèmes n’ont pas tous été abordés avec chacun des répondants. Néanmoins, tous les entretiens
ont été structurés suivant les trois thématiques principales suivantes :
- « pourquoi mettre en place le tutorat ? »,
- « comment mettre en place le tutorat ? »,
- « quels sont les effets de la mise en place du tutorat ? ».
20
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