Le tutorat : un outil d’accueil et d’intégration des nouveaux salariés en entreprise. Annabelle HULIN CERMAT – IAE de Tours Université de Tours Le tutorat : un outil d’accueil et d’intégration des nouveaux salariés en entreprise. Résumé : Les organisations mettent actuellement en place des outils, tels que le tutorat d’entreprise, afin d’exploiter le capital de compétences de l’ensemble de leurs salariés, et, plus spécifiquement les débuts et fins de carrières. Les questions du transfert de compétences et de l’adaptation aux évolutions du marché du travail deviennent centrales. Cet article propose une clarification des principes et enjeux du tutorat dans sa logique de fonctionnement la plus connue en gestion des ressources humaines : l’accueil et l’intégration des nouvelles recrues. Mots clés : tutorat, intégration, nouveaux salariés, socialisation, Guidance : a tool of reception and integration of the newcomers in company. Abstract : Organizations set up at present tools, such as the guidance in company, to exploit the capital of skills of all their employees, and, more specifically the debuts and the ends of careers. The questions of the skills transmission and the adaptation to the evolutions of the labour market become central. This article proposes a clarification of the principles and the stakes in the guidance in its logic of functioning the most known in management of human resources : the reception and the integration of the new recruits. Key words : guidance, integration, new employees, socialization. 1 INTRODUCTION L’évolution démographique est une réalité pour de nombreuses entreprises. Les générations du baby-boom, nées après la Seconde Guerre mondiale, atteignent progressivement l’âge de la retraite et cèdent la place aux jeunes générations. Les départs en retraite, conjugués aux difficultés de recrutement que doivent affronter les entreprises de certains secteurs d’activités, tels que les travaux publics, l’artisanat ou encore la métallurgie, vont placer les organisations face à des difficultés importantes si ces phénomènes ne sont pas anticipées. En effet, par exemple, recruter 100 000 jeunes dans les 10 années à venir1, tel est l’enjeu auquel vont devoir répondre les entreprises du secteur des travaux publics afin de faire face à une demande en croissance régulière. Chaque année plus de 2500 jeunes font défaut aux entreprises de ce secteur d’activité2. Les causes de ces difficultés, pour recruter et fidéliser les salariés, émanent de plusieurs constats : une image peu attrayante des métiers, des filières de formation professionnelle dévalorisées et des conditions d’accueil et d’intégration insatisfaisantes. Du point de vue stratégique, il est désormais admis que les savoirs doivent être gérés comme des ressources matérielles (Prax, 2005). Dans une économie fondée sur la connaissance, le capital humain occupe une place essentielle qu’il est nécessaire de valoriser. Il est impératif de disposer d’outils, de techniques et de méthodes pour gérer ces savoirs en tant qu’actifs stratégiques, afin de les faire fructifier. Les dispositifs de formation professionnelle ont de plus en plus souvent recours aux situations de travail comme moyen de formation, en complément des situations scolaires (Veillard, 2004). Il apparaît que le travail est un élément clé de la transmission et de l’acquisition des compétences (Conjard, Devin, Olry, 2006). Au moment où les marchés du travail s’inversent et où une « pénurie de compétences » émerge dans certains secteurs d’activités, la conception de la pédagogie intégrée à la situation de travail qu’est le tutorat peut s’appliquer à toutes les populations et à tous les âges. Cet article propose une clarification des principes majeurs structurants l’utilisation du tutorat, dans une perspective d’accueil et d’intégration des nouvelles recrues dans les organisations. En effet, une fois énoncée l’évidence de l’intention pédagogique de tutorat, subsistent toujours de nombreux problèmes de mise en œuvre. Ces difficultés tiennent en partie au fait que les représentations dominantes des acteurs concernés par le tutorat sont en décalage avec les pratiques réelles et les conditions contextualisées de leur développement (Wittorski, 1996). Le tutorat recouvre des situations et des pratiques variées. « Il n’existe pas de tutorat type et pas davantage de tuteur type » (Gérard, 1997 : 94). Il est vrai que les frontières entre les termes de tuteur, mentor, maître d’apprentissage, compagnon, parrain, référent, maître de stage sont extrêmement floues. Notre première partie est consacrée à la définition de la notion de tutorat dans une perspective d’accueil et d’intégration des nouvelles recrues. La seconde partie de cet article nous permettra de positionner le tutorat d’intégration par rapport aux caractéristiques et aux enjeux de la socialisation organisationnelle. Par ailleurs, nous illustrerons ces différents éléments grâce à des extraits d’entretiens exploratoires menés auprès de différents responsables d’organisations publiques et privées3. 1 Ces chiffres sont donnés par la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), dans le cadre de ses différentes campagnes communications. Cf. site internet de la FNTP : www. fntp.fr 2 40% des chefs d’entreprise interrogés en janvier 2006 lors de la dernière enquête trimestrielle d’opinion FNTP/INSEE, sur le marché intérieur, déclarent le manque de main-d’œuvre comme facteur limitant la production. 3 Cf. annexe : liste des entretiens exploratoires effectués et méthodologie. 2 1. TUTORAT D’ENTREPRISE ET INTEGRATION Le dictionnaire Le Robert donne deux définitions du tuteur qui sont éclairantes sur les différentes acceptations, aussi chargées de sens, quant au choix de ce terme : « 1 - Personne chargée de veiller sur un mineur ou un incapable majeur, de gérer ses biens et de le représenter dans les actes juridiques. 2 – Tige, armature de bois ou de métal fixée dans le sol pour soutenir ou redresser des plantes. » Nous retenons, pour notre part, la définition de Boru et Leborgne (1992 : 21) qui considèrent le tutorat comme « un ensemble de moyens, en particulier humains, mobilisés par une entreprise pour intégrer et former à partir de la situation de travail ». Dans cette première partie, après avoir présenté les intérêts et particularités de la notion globale de tutorat, nous nous intéresserons à l’exercice du tutorat dans une logique spécifique d’intégration. 1.1. Le tutorat : un outil aux multiples perspectives Le contexte socio-économique actuel est paradoxal : des jeunes sont sans emploi et des entreprises sont en pénurie de personnel, et cela alors que le « choc démographique » n’a pas encore véritablement produit ses effets. Ainsi, face aux difficultés de recrutement, l’amélioration de l’accueil et de la prise en charge des nouveaux salariés est devenue une véritable nécessité professionnelle. Au moment où les marchés du travail s’inversent et où certaines organisations doivent faire face à une « pénurie de compétences », la conception de la pédagogie intégrée qu’est le tutorat s’applique à toutes les populations et à tous les âges. Mais peut-on penser le tutorat en dehors des contextes qui le promeuvent, des ressorts qui l’animent, des fonctions qu’il joue dans une évolution plus globale et probablement conjointe des systèmes de formation et des systèmes de travail ? Le tutorat, considéré par certains comme une valorisation sociale forte, s’accompagne toutefois d’une lisibilité encore faible, sur le plan de l’analyse, des pratiques, des processus et des situations désignées sous ce vocable. La notion de tutorat est très présente dans la littérature relative aux sciences de l’éducation (enseignement supérieur (Annoote, 1998), accompagnement, suivi des étudiants (Danner, Kempf, Rousvoal, 1999)4, soutien des élèves…). Néanmoins, les sciences de gestion s’intéressent de plus en plus à cet outil à travers des travaux relatifs, entre autres, à l’ingénierie de formation, l’accompagnement à la création ou à la reprise d’entreprises, le management par les compétences. Un des intérêts de notre recherche est ainsi d’étudier le tutorat dans la perspective des sciences de gestion. 1.1.1. Le tutorat : éléments de définition De façon globale, nous tendons à parler de tutorat « chaque fois que l’on constate auprès d’agents dont ce n’est précisément pas la fonction principale, et pour une durée qui reste 4 Annoote E. (1998), « Tutorat et ressources éducatives : la question étudiante », Perspectives documentaires en éducation, Institut National de Recherche Pédagogique, n°43, pp. 59-72. Danner M., Kempf M., Rousvoal J. (1999), « Le tutorat dans les universités françaises », Revue des sciences de l’éducation, vol. 25, n°2, pp. 243-270. 3 généralement limitée, la présence d’activités qui contribuent directement à la survenance chez d’autres agents de transformations identitaires correspondant au champ même de cette fonction principale » (Barbier, 1996 : 8). L’analyse des modes de fonctionnement du tutorat en entreprise montre que cette fonction reste souvent peu formalisée dans le sens où les activités du tuteur ne font pas l’objet d’une définition précise (Wittorski, 1996). Il s’agit généralement d’actes informels qui suivent une logique de formation par la situation de travail : se développent alors des situations d’échange ou des rencontres en situation de travail où sont activés, mobilisés, transmis et produits des savoirs et savoir faire. Ces situations sont généralement prévues dans leur principe mais non planifiées, et elles sont déterminées par des objectifs de formation pratique (notamment dans des dispositifs d’insertion) (Agulhon, Lechaux, 1996). De façon générale, le tutorat se décline en trois dimensions principales : 9 La dimension professionnelle : les tuteurs sont porteurs de compétences, de savoirs et de savoir-faire qu’ils vont partager progressivement (Boru, Leborgne, 1992). 9 La dimension pédagogique : les tuteurs font bénéficier leurs apprenants de leurs compétences en les confrontant au travail. Cette dimension porte sur la communication interpersonnelle mais aussi sur la relation d’apprentissage et la présentation des savoirs (Barbier,1996 ; Bartoli, 1997). 9 La dimension organisationnelle : le tutorat est souvent considéré comme un projet d’entreprise. Il s’agit d’un ensemble de moyens humains et organisationnels qu’une organisation met en œuvre pour intégrer et former, en situation de travail, un ou plusieurs apprenants. Cela correspond à un espace d’interactions où interviennent une multiplicité d’acteurs : le tuteur, le tutoré, le responsable des ressources humaines, le responsable formation, la direction, le supérieur hiérarchique, les organismes de formation, les autres étudiants, les autres stagiaires, les autres tutorés, les enseignants, les formateurs, les pouvoirs publics, les équipes de travail (Geslin, Lietard, 1993 ; Agulhon, Lechaux, 1996 ; Gérard, 1997). Dimension professionnelle Produire une référence métier Dimension individuelle Produire une référence sociale Dimension organisationnelle Assurer une ingénierie pédagogique Schéma 1 : les trois dimensions de la fonction tutorale Racine (2000 :8) Le tutorat correspond à une période de transition dans la vie du salarié : arrivée dans l’entreprise, adaptation à un nouveau poste de travail, parcours de formation. Il présente différentes logiques de fonctionnement, non exclusives les unes des autres. Six types d’enjeux sont identifiés dans la littérature : 4 - La qualification : nous assistons aujourd’hui à un large développement des formations en alternance. La littérature sur le sujet, ainsi que les nombreuses expériences de terrain, reconnaissent l’importance de la période en entreprise. L’alternance constitue le mode le plus développé de tutorat de qualification. Ce dernier se caractérise par l’objectif explicitement qualifiant de la personne dont le tuteur a la charge, celle-ci est entrée dans un processus de qualification reconnue, prépare un diplôme ou se prépare à un poste précis dans l’organisation (Gérard, 1997). - L’insertion : le tutorat d’insertion recouvre les situations de formation non qualifiantes dans lesquelles se trouve le tutoré (Gérard, 1997). Pour l’essentiel, « ces dispositifs sont mis en place à l’intention de publics menacés et désignés comme « prioritaires » dans l’action des pouvoirs publics, jeunes « sortis sans qualification du système éducatif », chômeurs, etc. […] on constate que plus encore que le tutorat, c’est l’immersion en situation de travail qui constitue la pièce essentiel de ces dispositifs » (Barbier, 1996 : 15). L’objectif principal est le développement de l’employabilité des individus concernés. Le tuteur est un acteur privilégié susceptible de soutenir ces individus dans leur construction identitaire professionnelle. - L’adaptation : les organisations qui doivent faire face à des évolutions technologiques et organisationnelles, cherchent à adapter les compétences de leurs salariés par la mise en place du tutorat. Le tuteur « tend alors à intervenir à la fois comme modèle professionnel facilitant le développement et le transfert de compétences en situation de travail réelle, et comme agent d’intégration dans l’entreprise » (Geslin, Liétard, 1993 : 122). - Le transfert : le tuteur est l’artisan d’une démarche visant à transférer des compétences en situation de travail (Bartoli, 1997). Les publics concernés sont des populations dont l’activité joue un rôle stratégique dans l’organisation. Par la mise en place du tutorat, l’entreprise veut conserver les compétences clés qui composent sa mémoire collective. - La mobilité : l’organisation souhaite alors accompagner les parcours professionnels, en préparant les salariés concernés aux exigences des fonctions qu’ils vont ou qu’ils viennent d’intégrer (Wittorski, 1996). - L’intégration, que nous allons analyser dans les paragraphes suivants. Le tutorat n’est pas une réalité nouvelle, il existe dans la continuité d’outils anciens, tels que le compagnonnage et l’apprentissage, et ne rompt pas avec eux. L’accompagnement et la relation d’aide renvoient à une multiplicité d’appellations (tuteur, parrain, référent, maître d’apprentissage, moniteur…) qui implique des conceptions et des approches différentes, comme l’ont évoqué les professionnels rencontrés lors des différents entretiens : « on dit tuteur, parrain, maître d’apprentissage, peu importe pour moi le processus est le même » (Organisation A). « le tuteur, c’est plus dans le sens de parrainage, parrain, je te suis dans l’entreprise, je vais te transmettre les connaissances que j’ai, mais, pour moi, le tuteur, c’est pas le supérieur hiérarchique » (Organisation F). Le tutorat peut être compris comme l’une des modalités formatives qui existe dès lors que la situation de travail est organisée afin de faciliter l’apprentissage progressif du métier dans le cadre d’une relation individualisée et formalisée. Il constitue un élément majeur de socialisation, de transmission des valeurs, d’appropriation des savoir-faire opérationnels et de développement des compétences (« la richesse de l’entreprise, ce sont ses hommes, ce sont 5 les compétences acquises dans l’entreprise, c’est sûr qu’on a pas envie de les perdre et comment on peut les transmettre : par le tutorat, donc c’est vraiment une culture et une dynamique d’entreprise » (Organisation A)). 1.1.2. Les missions du tuteur Les missions des tuteurs varient en fonction des apprenants concernés, de l’organisation du tutorat dans l’entreprise (selon sa taille, son activité, sa culture, son système hiérarchique…) et du type de tutorat. Boru et Leborgne (1992), distinguent cinq catégories d’activités au sein de la fonction tutorale : - intégrer le nouvel arrivant, - organiser le parcours, - rendre le travail formateur, - participer à la gestion de l’alternance, - évaluer les acquis et la progression du tutoré. Le professionnel, chargé de mission au sein de l’organisation F, a d’ailleurs souligné que « pour les salariés vieillissants, il faut que cela soit dans les missions du salarié de transmettre ses compétences avant son départ. Cela doit être clair, net et précis et il faut que cela soit valorisé ». Dans tous les cas, les tuteurs exercent une responsabilité vis-à-vis de l’apprenant et de l’organisation (Racine, 2000). Apprendre un métier est un processus long qui engage non seulement le formé mais aussi le collectif de travail, ce qui nous amène à parler de fonction tutorale, voir d’entreprise tutrice (Bartoli, 1997 ; Veillard, 2004) : « on parle maintenant d’équipe tutorale et alors le tuteur défini reste le référent mais il peut très bien envoyer le tutoré voir un autre collègue parce qu’il a plus de compétences sur tel domaine » (Organisation G). « il faut que le tutorat soit pris en compte par l’ensemble des équipes et que d’autres membres puissent participer, au-delà du tuteur et de son apprenant » (Organisation C). 1.1.3. Le tutorat comme outil de transfert de compétences Prax (2005 : 23) définit le management des connaissances comme le fait de « manager le cycle de vie de la connaissance depuis l’émergence d’une idée, formalisation, validation, diffusion, réutilisation, valorisation… ». La transmission des compétences est donc l’une des constituantes du management des connaissances. La forte évolution des métiers, des organisations du travail impose, de plus en plus, la mise en place de processus de transfert de compétences internes à l’entreprise (Bartoli, 1997). 6 1.1.3.1. La chaîne de transformation de la connaissance Dans toute organisation, les connaissances évoluent de manière cyclique, selon la chaîne de transformation suivante : Données Information Connaissances Compétences (Veille) Schéma 2 : la chaîne de transformation de la connaissance Mack (1995 : 43) 9 Une donnée est factuelle, neutre, souvent unitaire, autonome et réputée objective. Elle peut être de nature quantitative ou qualitative (Prax, 2005). Elle est acquise de façon instrumentale et n’est pas forcément intentionnelle (Pesqueux, 2004). 9 Mack (1995 : 43) considère l’information comme « le « relief » qui se dégage de la juxtaposition de données de natures différentes et qui fait apparaître un « signal » ». Elle prend sens à partir du moment où elle permet à celui qui la reçoit de disposer des éléments qui lui manquent pour agir. 9 La connaissance rassemble les qualités et les caractéristiques d’un ensemble de données et d’informations, avec une propriété supplémentaire : l’action potentielle. D’ailleurs, « il n’existe pas de relation linéaire, ni de corrélation entre la quantité d’informations qu’une organisation génère, et la quantité de connaissances qu’elle est par ailleurs capable de se créer » (Baumard, Starbuck, 2003 : 262). Il existe plusieurs taxinomies des connaissances. La distinction entre connaissances tacites et connaissances explicites semble être la plus couramment admise. La connaissance implicite, tacite est très difficile, voir impossible, à traduire dans un discours. Sa principale caractéristique est sa difficulté de transmission. Par opposition, la connaissance explicite est transmissible dans un langage formel, systématique qui peut être oral ou écrit (Nonaka, Takeuchi, 1997). La connaissance est indissociable des individus et de leur environnement. Elle est le plus souvent considérée comme une des composantes de la compétence (Pesqueux, 2004). 9 La notion de compétence fait l’objet d’une variété de définitions et d’usages. Nous retenons la définition proposée par le MEDEF5 (1998) : la compétence est « une combinaison de connaissances, savoir-faire, expériences et comportements s'exerçant dans un contexte précis. Elle se constate lors de sa mise en oeuvre en situation professionnelle à partir de laquelle elle est validable. C'est donc à l'entreprise qu'il appartient de la repérer et, en lien avec les institutions, branches, système éducatif d'une part et les salariés d'autre part, de l'évaluer, de la valider et de la faire évoluer ». La compétence professionnelle n’existe que lorsqu’elle est mise en œuvre dans son contexte de travail (Le Boterf, 2000). Le Boterf (2000) ajoute que l’une des caractéristiques essentielles de la compétence consiste à choisir et à combiner des ressources (les savoirs, les savoir-faire, les aptitudes ou qualités, les ressources physiologiques et les ressources émotionnelles) par rapport à des objectifs à atteindre. Nous nous intéressons ici à l’acquisition des compétences par l’individu, résultant de ses expériences et du transfert de compétences (Conjard, Devin, Olry, 2006). 5 Mouvement des Entreprises DE France. 7 1.1.3.2. Le transfert intra-organisationnel de connaissances Le transfert intra-organisationnel de connaissances correspond au « processus par lequel une unité (individu, groupe, département, division) est affectée par l’expérience d’une autre »6 (Argote, Ingram, 2000). Il a pour ambition de faire l’économie des étapes initiales d’apprentissage (Duizabo, Guillaume, 1997). Il s’agit de reproduire, d’échanger, de comparer et de faire évoluer les connaissances dont dispose l’organisation, afin d’en faire un levier de l’activité. Le transfert de connaissances se décompose en plusieurs étapes (Szulanski, 1996) : 9 L’initiation : cela correspond à l’ensemble des événements qui ont conduit au transfert, l’identification des compétences à transmettre apparaissant comme un préalable indispensable à tout processus de transmission. 9 L’implantation : il s’agit de la circulation des connaissances en faveur du récepteur. 9 L’accès : le récepteur commence à utiliser la connaissance transférée. 9 L’intégration : l’utilisation de la connaissance par le récepteur est effectuée en autonomie et donne des résultats satisfaisants. La structure hiérarchique, le système de récompense, la distribution du pouvoir, les styles de communication, les relations entretenues entre unités ou encore les systèmes de récompense sont autant de variables qui peuvent influencer le transfert de connaissances (Buisson, 2004). Comment obtenir des tenants du savoir qu’ils le partagent ? Quelles compensations faut-il donner en échange ? La fonction « ressources humaines » peut inciter à la coopération et au partage des connaissances, notamment par la formation et la rémunération. L’aspect social du processus de transfert de connaissances apparaît comme un des principaux facteurs de réussite (Szulanski, 1996). En outre, pour différents auteurs du management des connaissances (Leonard, Straus, 1997 ; Hansen, Nohria, Tierney, 1999 ; Prax 2005), il est nécessaire de développer une culture interne qui privilégie et encourage le partage de l’information. Il s’agit de rendre les salariés désireux de transmettre leurs compétences et de créer les conditions de cette transmission. Il faut décloisonner, favoriser l’échange d’idées et ainsi développer une culture organisationnelle qui va favoriser le transfert et contribuer à une absorption plus rapide des nouvelles connaissances. Cette culture se fonde sur la confiance et un langage commun. La culture d’entreprise peut également permettre de renforcer les liens existants entre les individus, notamment à travers certains rites et valeurs. Après avoir défini les caractéristiques et les spécificités du tutorat, nous allons nous attacher à positionner cet outil par rapport à la phase spécifique de l’intégration des salariés dans l’organisation. 1.2. Les enjeux de la phase d’intégration Pour devenir membre d’une organisation, l’individu passe par une phase d’intégration qui lui permet d’assimiler les caractéristiques de cette organisation. La période d’entrée dans l’organisation est une phase de transition pour les nouvelles recrues (Lacaze, 2004). La pertinence de cette phase détermine, en partie, la fidélité des nouveaux embauchés (Saks, Ashfort, 1997). L’intégration est une période inconfortable pour la nouvelle 6 Traduction personnelle. 8 recrue qui devra faire face à des moments d’incertitudes voir à des périodes de stress. Il s’agit d’un véritable travail, source d’efforts importants pour les individus (Lacaze, Fabre, 2005). Les organisations mettent en œuvre, de manière plus ou moins structurée, des processus d’accueil et d’intégration de leurs recrues (livret d’accueil, visites d’entreprise, séminaires d’intégration, formations, parrainage, tutorat…). L’intégration est une étape clé étant donné qu’elle a pour finalité la réalisation du travail par le nouveau salarié, l’intégration de la culture de l’organisation et l’évolution de l’identité professionnelle des individus concernés. Le cas du secteur d’activité des travaux publics permet d’illustrer ces premiers éléments. La question du recrutement et de l'intégration des jeunes est prioritaire. En effet, les travaux publics sont confrontés, comme d'autres secteurs, à un manque de qualification dans un certain nombre de leurs métiers, manque accru du fait du nécessaire renouvellement des générations. Par ailleurs, même si chaque année le nombre de jeunes qui commencent une formation dans le secteur est suffisant pour faire face aux offres d'emplois, trop nombreux sont ceux qui ne vont pas au bout de la formation. Les difficultés de recrutement et d’insertion des nouveaux salariés ont des causes connues telles que des pratiques d’accueil et de management à concevoir dans les entreprises. L’amélioration de l’adaptation et de l’intégration des salariés est essentielle pour les organisations vis-à-vis des différents coûts engendrés (Lacaze, Chandon, 2001). Par ailleurs, face aux difficultés de recrutement, l’amélioration de l’accueil et de la prise en charge des jeunes est devenue une véritable nécessité professionnelle. Le tutorat est au centre de ce type de politique de gestion des ressources humaines. 1.2.1. Les apprentissages à effectuer lors de la phase d’intégration Marbot (2005) souligne quatre principales tâches d’apprentissage à effectuer lors de cette période d’intégration : - la connaissance de son entreprise, - le travail dans son équipe, - la réalisation de son travail, - l’évolution de son identité. Le salarié doit s’intégrer et s’adapter à son nouvel environnement de travail, à ses règles de fonctionnement et à ses spécificités qui lui étaient plus ou moins inconnues jusqu’alors. Le tutorat peut être considéré comme un moyen de véhiculer les valeurs et les normes de l’organisation vers les nouveaux entrants. 1.2.2. Le tutorat d’intégration : définition Le dispositif d’intégration insère le salarié dans un collectif de travail. Il s’agit alors pour le tuteur de présenter, de placer et de positionner le nouveau salarié dans l’activité de l’organisation. En effet, « afin d’éviter une mauvaise compréhension qui retarde l’intégration des nouveaux, Louis (1980) suggère de faciliter l’accès à l’information par l’intermédiaire d’un ou plusieurs membres bien intégrés dans l’organisation » (Lacaze, Chandon, 2001 : 6). Il peut s’agir de supérieurs, de collègues, de parrains ou de tuteurs. Les situations permettant les interactions avec les collègues ou les supérieurs hiérarchiques facilitent l’intégration des nouveaux salariés (Louis, Posner et Powell, 1983 ; Ashford et 9 Cummings, 1985). Cependant, les nouveaux peuvent avoir le sentiment d’être privés des informations pertinentes (Saks, Ashfort, 1997). Même si les membres expérimentés informent les nouveaux, ils peuvent faire des omissions, les anciens ayant oublié ce qu’engendre, pour un individu, l’intégration dans une organisation. Il est important de souligner que le tutorat d’intégration peut coexister avec d’autres formes de tutorat telles que l’insertion, la mobilité ou encore la qualification. Par exemple, l’individu en situation d’insertion pourra connaîtra une phase d’intégration dans l’organisation. Le tutorat d’intégration doit également prendre en compte les problématiques des différences intrinsèques existantes entre les générations. En effet, l’âge peut constituer un élément clé des rapports sociaux internes. Les styles d’apprentissage, la façon dont les individus se perçoivent, perçoivent leur place dans l’organisation et leur rapport au travail peuvent être différents suivant les générations. (Guerfel-Henda, 2005). Les enjeux de la prise en compte des relations intergénérationnelles ont également été confirmés par les personnes rencontrées lors des entretiens exploratoires réalisés : « on ne se projette pas dans le métier comme on se projetait il y a vingt ans. Je pense qu’on n’investit pas de la même manière aujourd’hui son métier » (Organisation C). « le tutorat permet de faire tomber les barrières d’âge […] il y a une certaine relation paternelle qui s’instaure entre le tuteur et son tutoré […] cela permet de rapprocher les gens, de créer une certaine cohésion sociale» (Organisation E). « je pense que le mélange des âges est très important pour permettre une meilleure motivation. De toute façon, ça va être un des enjeux des entreprises aujourd’hui […] sur les 19 entreprises que j’ai rencontré depuis plusieurs mois, y’en a aucune qui m’a parlé des conflits intergénérationnels et pourtant je m’y attendais » (Organisation F). La réalisation du tutorat d’intégration est confrontée à la contradiction essentielle de la concurrence entre formation et production. Pour le tuteur, former se fait pendant le travail. Le tuteur étant lui-même membre d’un collectif de travail, des contraintes liées à son rôle et aux règles de ce collectif limitent plus ou moins ses possibilités d’intervention (Veillard, 2004). Cette concurrence entre formation et production peut se présenter comme le constat d’une mission impossible lorsque le minimum de conditions n’est pas réuni. Néanmoins, cela peut apparaître comme une source de dynamique favorable quand le tutorat aboutit à la fois à l’optimisation de la production et des compétences (Boru, Leborgne, 1992 ; Barbier, 1996). La gestion du temps entre tutorat et production est une problématique qui a été soulignée par les professionnels interrogés : « ça sert à rien de faire les choses à moitié. Si on dit qu’on fait du tutorat, il faut le faire complètement, avec un suivi régulier. Et si on le fait pas, on doit rentre des comptes derrière à nos salariés. Nous le tutorat informel on connaît pas » (Organisation E). « sur la gestion du temps, si on veut on peut, je crois que tout est possible quand on en a envie. C’est une fausse excuse de dire on a pas le temps, le temps ça s’organise, surtout si c’est pour transmettre exactement le même métier » (Organisation F). La motivation pour assurer des fonctions de tuteur apparaît primordiale. Il est vrai que certaines personnes n’ont pas nécessairement la volonté de transmettre. Une sélection rationnelle des tuteurs repose alors sur une définition claire de leurs missions et de leurs responsabilités. Devenir tuteur nécessite de satisfaire à plusieurs conditions, comme, par 10 exemple, détenir un savoir-faire spécifique ou posséder des qualités de pédagogue. Exercer un métier est une chose, savoir le décrire de façon structurée et compréhensive en est une autre. Les candidats aux fonctions de tuteur ne sont pas obligatoirement pédagogues. C’est, au moins, pour cette raison qu’une formation est utile, voir indispensable. L’utilisation du tutorat a une origine ancienne et elle est souvent apparue évidente à ceux qui l’ont mise en œuvre. Néanmoins, leur tâche aurait pu être plus aisée s’ils avaient pu s’appuyer sur une formalisation de ce qui leur était demandé dans un rôle relativement inconnu pour eux. La question de la formation et de la désignation des tuteurs suscite de nombreux débats entre les acteurs de terrain : « dans l’idéal, il faut que le tuteur soit volontaire, mais dans la réalité ça se passe pas tout le temps comme ça, les entreprises sont obligées d’aller solliciter les experts pour voir s’ils veulent bien devenir tuteur mais l’idéal, je le redis, c’est qu’ils soient volontaires […] c’est pas donné forcément à tout le monde de transmettre, il faut savoir être pédagogue, il faut être bon dans son métier » (Organisation G). « je pense que tout le monde n’est pas capable d’être tuteur […] il faut arriver à repérer ceux qui en ont la capacité » (Organisation F). « pour certains noms je dirai non. Il y a des personnes qui sont plutôt dans le jugement et puis à un niveau de transmission des savoirs qui n’est pas opérant, c’està-dire qu’ils sont plutôt dans une orientation très psychanalytique, j’ai rien contre mais c’est pas ce que les jeunes ont besoin là. Ils ont besoin de comprendre déjà ce qu’on leur renvoie, quelque chose de très pratico-pratique » (Organisation C). « je pense qu’on a rien sans rien et je le dis toujours […] on a que ce qu’on mérite et si on veut véritablement intégrer des jeunes les attirer et savoir dialoguer avec eux il faut s’en donner les moyens et quatre jours de formation, moi ça me semble être un minimum » (Organisation A). « la formation est indispensable mais en même temps j’ai interrogé des tuteurs qui n’avaient jamais suivi de formation et qui sont de très bons tuteurs mais qui expriment à un moment donné le regret de ne pas avoir été formés » (Organisation G). Le tuteur est présent pour réduire la déstabilisation du jeune lors de son entrée dans l’organisation et l’aider à donner du sens aux situations qu’il peut rencontrer (Louis, 1980). En effet, il faut donner des repères aux individus de façon à ce qu’ils trouvent du sens à leur travail. « Si ce que le collaborateur accomplit a du sens pour lui et pour l’organisation, alors il y a de grandes chances qu’il soit plus motivé que s’il effectue une activité dont il estime qu’elle n’a pour lui aucune portée symbolique et dont il ne voit pas le lien avec les objectifs globaux de l’organisation » (Alexandre-Bailly et al., 2003 : 159). Cependant, l’inconvénient est que les mauvaises pratiques peuvent continuer à se transmettre. Le processus du tutorat d’intégration peut être formalisé suivant le diagramme de causalité (Hubermann, Miles, 2003) suivant : 11 Arrivée d’un nouveau salarié dans l’organisation Sentiment de déstabilisation du nouveau salarié Besoin d’informations Obligation légale dans le cadre de certains contrats de travail Visite de l’entreprise, présentation à l’équipe de travail Réalisation du travail par le nouveau salarié Besoin de sécurité Besoin d’appartenance Désignation d’un tuteur pour accompagner cette intégration Apprentissage des procédures de travail Apprentissage des règles de la vie collective Intégration des valeurs et des normes de l’organisation Evolution de l’identité professionnelle Influence causale (directe) Schéma 3 : le tutorat d’intégration 12 Après avoir défini les caractéristiques et les spécificités du tutorat, notamment dans sa logique d’intégration, nous allons nous attacher à positionner cet outil par rapport à la littérature relative à la socialisation organisationnelle. 2. TUTORAT D’INTEGRATION ET SOCIALISATION ORGANISATIONNELLE Le rôle du tuteur dépasse généralement la simple transmission de pratiques professionnelles (Gérard, 1997). En effet, le tutorat a des répercussions dans le processus de socialisation organisationnelle (Lacaze, 2004). « Les tuteurs jouent un rôle extrêmement important dans la socialisation des jeunes et des adultes qu’ils accueillent, à la fois pour les initier aux règles de la vie collective et aux procédures de travail » (Gérard, 1997 : 26). Le concept de socialisation organisationnelle est repris pour caractériser l’une des finalités du tutorat (Boru, Leborgne, 1992), la phase d’intégration étant considérée comme une étape déterminante de la socialisation (Feldman, 1994 ; Lacaze, 2004). Feldman (1981) considère l’intégration comme le stade le plus intense de la socialisation organisationnelle. 2.1. La socialisation organisationnelle : éléments de définition La socialisation organisationnelle serait une forme particulière de socialisation. Le contenu de la socialisation est avant tout un processus d’apprentissage qui passe par l’acquisition d’informations (Perrot et al., 2005). Il s’agit d’un double processus d’apprentissage et d’appropriation du rôle organisationnel (Perrot, 2006). L’individu doit franchir différents stades de socialisation (Feldman, 1976) : la socialisation anticipée, l’intégration et le management de son rôle. Cette phase d’intégration est ainsi caractérisée par quatre éléments clés : la personne s’initie et s’approprie les tâches qu’elle doit réaliser, elle s’initie à la vie de son groupe, elle définit son rôle, elle évalue son adaptation au poste avec ses supérieurs. La socialisation organisationnelle présente un intérêt majeur pour l’étude du début de carrière. Elle « correspond à un double processus d’interactions entre une organisation et un individu en phase de transition organisationnelle » (Lacaze, Fabre, 2005 : 274). Ainsi, il peut s’agir de l’intégration d’un nouveau salarié dans son entreprise, mais également de l’adaptation d’un individu à son poste de travail suite à une promotion, à un changement de service ou encore à la suite d’une absence prolongée (Lacaze, Roger, 2000). Il semble important d’apporter des éléments de précision quant à la distinction entre socialisation professionnelle et socialisation organisationnelle. La socialisation organisationnelle correspond à l’intégration d’une nouvelle recrue dans une organisation donnée. Au contraire, la socialisation professionnelle se réfère à l’acquisition des normes d’une profession. Dès lors, comme le soulignent Lacaze et Fabre (2005 : 291), « il peut donc arriver que selon les emplois, les nouvelles recrues d’une organisation (cf. socialisation organisationnelle) soient déjà en partie socialisées aux normes du métier (cf. socialisation professionnelle) ». 2.2. Les stratégies de socialisation 13 La littérature relative à la socialisation organisationnelle distingue, d’une part, les stratégies mises en place par les organisations pour socialiser leurs membres et, d’autre part, les efforts fournis par les nouvelles recrues pour s’intégrer. Van Maanen et Schein (1979) se sont intéressés aux stratégies mises en place par les organisations pour socialiser leurs nouveaux membres. Ils distinguent six types de stratégies : - les stratégies formelles ou informelles : les stratégies formelles correspondent à des procédures d’accueil et d’intégration où les nouvelles recrues sont séparées des autres salariés. Les stratégies sont dites informelles lorsque les nouvelles recrues sont directement mélangées aux « anciens ». - les stratégies individuelles ou collectives : lorsque les stratégies sont collectives, il y a constitution de groupes de salariés nouvellement embauchés. Dans le cas des stratégies individuelles, l’individu « seul cherchera un modèle à suivre ou devra inventer luimême le rôle qu’il occupera dans l’organisation » (Lacaze, Fabre, 2005 : 281). - les stratégies séquentielles ou non séquentielles : la socialisation est séquentielle lorsque le nouveau salarié doit passer par une série d’étapes spécifiques définies au préalable. La socialisation est dite non séquentielle lorsqu’il n’y a pas de formalisation préalable de la succession des étapes à franchir pour la nouvelle recrue. - les stratégies fixes ou variables : les stratégies sont fixes lorsque la succession des différentes étapes est normalisée en termes de temps. - les stratégies « en série » ou disjointes : il y a stratégie « en série » lorsque le nouveau salarié est accompagné et aidé par son prédécesseur. Cela correspond, par exemple, à la situation où le départ en retraite d’un salarié est anticipé et où « nouveau » et « ancien » pourront travailler en binôme sur une période donnée. La stratégie de socialisation est disjointe quand il n’y a pas cette relation d’accompagnement entre la nouvelle recrue et son prédécesseur. - les stratégies d’investissement ou de désinvestissement : les premières encouragent et valorisent le développement de la personnalité alors que les secondes favorisent la conformité des membres à l’organisation. La littérature distingue également les efforts effectués par les nouvelles recrues pour s’intégrer. Ashford et Black (1996) identifient quatre tactiques d’intégration définies comme les efforts des nouveaux pour accroître leur sentiment de contrôle sur la situation : - la recherche d’information, - la recherche de feed-back (d’une façon générale, auprès du supérieur hiérarchique et auprès des collègues), - les représentations positives, - la négociation de changements dans le travail. La recherche d’information tient une place essentielle dans la littérature consacrée aux efforts effectués par les nouvelles recrues pour s’intégrer. 2.3. Le tuteur comme agent socialisateur La littérature relative à la socialisation organisationnelle souligne que solliciter les sources interpersonnelles, telles que les tuteurs, peut permettre de faciliter les différents apprentissages à effectuer lors de la phase de socialisation. 14 Le tuteur peut être considéré comme un véritable agent de socialisation. « Les systèmes de parrainage permettent aux nouveaux de se sentir épaulés durant toute leur phase d’intégration » (Lacaze, Chandon, 2001 : 27). « Plus une recrue bénéficie de contacts fréquents avec un tuteur, plus elle perçoit la culture de l’entreprise comme étant marquée par des normes d’entraide et d’implication, et orientée vers l’innovation et la productivité ainsi que vers les règles » (Delobbe, Vandenberghe, 2001 : 75). Ostroff et Kozlowsky (1992)7 montrent que solliciter les sources interpersonnelles (collègues, supérieurs, parrain) favorise l’acquisition des informations, mais que c’est par l’observation et l’expérimentation que les nouveaux améliorent leur niveau de connaissance et de compréhension des différents domaines de socialisation. La connaissance peut faire l’objet d’une transmission grâce à l’opération de conversion, qui s’effectue à travers quatre modes : l’intériorisation, la combinaison, l’extériorisation et la socialisation qui est privilégié dans le cadre du tutorat (Nonaka, Takeuchi, 1997). Cette dernière se réfère à la conversion de savoir tacite en savoir tacite, elle est réalisée par acquisition directe d’une connaissance par l’imitation (apprentissage du geste, entraînement), la pratique, l’observation (consciente ou inconsciente), l’interaction physique. « L’expérimentation est indispensable pour l’acquisition de savoir-faire » (Lacaze, Fabre, 2005 : 285). Il s’agit notamment de transmettre des modèles mentaux ou des compétences techniques. Cette transmission peut se faire sans échanges verbaux. Ce processus s’établit entre des individus, par contact direct entre eux. En outre, « le seul transfert d’informations aura en général peu de sens, s’il est abstrait des émotions associées et des contextes spécifiques dans lesquels les expériences partagées sont scellées » (Nonaka, Takeuchi, 1997 : 84). L’écoute et l’observation des autres salariés sont des moyens pour se familiariser avec les savoir-faire du métier. « c’est un plus et quand je les revoie un peu plus tard, à chaque fois, elles me disent que ça a été important pour elles, c’était intéressant, ça fait le lien avec ce qu’elles avaient vu en formation et ça permet de donner du sens à des situations cliniques qu’elles ont vécues […] il faut donner du sens aux informations que les patients leur renvoient » (Organisation C). « le tutorat permet de donner du sens à ce que les jeunes ont vu en formation théorique et aussi à leurs tâches quotidiennes […] chacun a besoin de savoir où il est, à quoi il sert et ce qu’il apporte » (Organisation A). Le tutorat n’est pas seulement un moyen pour transmettre des compétences à d’autres. En effet, l’exercice même du tutorat conduit les salariés-tuteurs à évoluer du fait qu’ils initient et expérimentent de nouveaux schémas d’action en rupture avec leurs pratiques professionnelles habituelles. La mise à jour des connaissances tacites contenues dans l’action est l’occasion pour les différents acteurs d’une prise de conscience. Ces transformations concernent notamment la production de nouvelles façons de voir et de penser le travail et les pratiques de nouveaux schémas d’action liés à des capacités transversales (analyse des situations, résolution de problèmes, anticipation) et à des formes nouvelles de gestion de leurs propres capacités (analyse des pratiques, connaissance de ses capacités d’action). Les effets du tutorat sur le salarié-tuteur ont été confirmés par différents acteurs rencontrés dans les organisations : 7 Cité par Lacaze, Roger (2000). 15 « ça oblige à prendre du recul par rapport à une situation, à la théorie, avoir recours à nouveau à la théorie d’une manière intégrée […] et à se requestionner, à faire référence à des schémas théoriques qui des fois sont un peu enfouis et c’est s’obliger à les ressortir, à les réexpliciter à quelqu’un […] quand on apprend quelque chose à un pair ça oblige à prendre de la distance et faire fonctionner son intellect et pas donner une réponse comme ça et ça je pense que c’est valable dans pleins de domaines, j’y crois complètement » (Organisation C). « c’est d’être obligé d’avoir du recul sur ses connaissances, qu’est-ce que je sais, qu’est-ce que je vais transmettre et puis ça l’oblige aussi à réfléchir sur une approche pédagogique, donc en fait, à un moment donné, il va être valorisé, il va être reconnu par ses pairs » (Organisation G). CONCLUSION Nous assistons à la coexistence de deux phénomènes : d’un côté, profusion d’intentions et de discours prescriptifs, de plus en plus consolidés par la réglementation et la législation, et de l’autre, modestie des expériences constatées, doublées de difficultés non résolues et auxquelles les sciences de gestion se consacrent peu. Il existe donc un décalage entre ce qui se dit ou s’écrit sur ce sujet et ce qui se pratique réellement en la matière dans les organisations (Boru, Leborgne, 1992). Il est vrai que certaines organisations rencontrent des difficultés face au redimensionnement du tutorat à leurs particularités (internes et externes) : quel doit être le degré d’institutionnalisation et de formalisation du tutorat d’intégration ? Comment s’organisent l’apprentissage et le droit à l’erreur durant cette phase ? Les engagements initiaux liés au tutorat sont-ils suivis et éventuellement réadaptés ? Le tuteur chargé de l’intégration d’une nouvelle recrue est-il accompagné dans ses missions ? Le tutorat est souvent réduit aux bénéficiaires d’une formation en alternance. A contrario, il doit pouvoir s’étendre à la globalité de l’entreprise. C’est dans ce sens qu’il est possible de parler « d’entreprise tutrice » (Boru, Leborgne, 1992). Il faut aussi souligner qu’une grande partie des départs en retraite des enfants du baby-boom ne donnera lieu à aucun remplacement poste pour poste. En effet, « si l’on reprend le nombre de six millions de papy-boomers destinés à partir en retraite dans les dix ans à venir, on peut estimer qu’un quart d’entre eux sont des fonctionnaires dont on sait déjà qu’il ne seront pas tous remplacés » (Marbot, 2005 : 33). En dernier lieu, il convient d’exposer les limites de ce travail. Au niveau méthodologique, aucune triangulation des données n’a pu être opérée, ce qui ne permet pas d’assurer la validité des données recueillies. Néanmoins, nous pensons avoir établi, lors de tous les entretiens, un climat propice aux confessions. Notre revue de littérature devra être complétée par les travaux relatifs à la mise en œuvre des outils de gestion par les acteurs dans les organisations et les problématiques d’assimilation, d’appropriation, de contextualisation et d’enracinement de ces outils. 16 BIBLIOGRAPHIE Agulhon C., Lechaux P. (1996), « Un tutorat ou des tutorats en entreprise », Recherche et Formation, Institut National de Recherche Pédagogique, n°22, p. 21-34. Alexandre-Bailly F., Bourgeois D., Gruere J .P., Raulet-Croset N., Roland-Levy C. (2003), Comportements humains et managériaux, Paris, Pearson Education. Argote L., Ingram P. (2000), « Knowledge Transfer : A Basis for Competitive Advantage in Firms », Organizational Behavior and Human Decision Processes, vol. 82, n°1, p.150169. Ashford S.J., Black J.S. 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Organisation Secteur d'activité Personne interrogée A Travaux Publics Génie Civil Président B Restauration Collective Directeur des ressources humaines C Centre Hospitalier Universitaire Directeur des soins D Association pour l'insertion des jeunes Conseiller E Télécommunications Directeur des ressources humaines F Association pour l'amélioration des conditions de travail Chargé de mission - Tuteur G Association pour l'information sur la formation continue Chargé d'études La méthodologie mise en place, pour cette étude à caractère exploratoire, est celle de l’entretien semi-directif centré. L’objectif de ces entretiens était la découverte de prescripteurs pertinents et l’enrichissement de la revue de littérature. Lors de la détermination de notre échantillon, nous avons cherché à diversifier les points de vue. Nous avons rencontré des représentants de quatre organisations publiques et trois organisations privées. La finalité étant de s’assurer que l’interview se focalise sur les thématiques de recherche, un guide d’entretien a été élaboré (Romelaer, 2005). Pour des raisons pratiques de temps, les thèmes n’ont pas tous été abordés avec chacun des répondants. Néanmoins, tous les entretiens ont été structurés suivant les trois thématiques principales suivantes : - « pourquoi mettre en place le tutorat ? », - « comment mettre en place le tutorat ? », - « quels sont les effets de la mise en place du tutorat ? ». 20