Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire

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Mettre les maux en mots,
médiations dans la consultation
épistolaire au XVIIIe siècle :les
malades du Dr Tissot (172û-1797)
Résumé. Cet article se fonde sur une recherche menée à partir de la correspondance médicale du Dr Tissot (1728-1797),un médecin suisse qui jouissait
d'une renommée européenne au siècle des Lumières. Conservées à la bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, ces archives recèlent plus d'un
millier de consultations épistolaires, soit des lettres ou mémoires décrivant le
cas de malades dans le but d'obtenir des conseils ou des soins. Ces documents
constituent une source exceptionnelle en ce qui concerne le vécu de la maladie
et ses modalités d'écriture. Ils soulignent en particulier le contexte social dans
lequel surgit un problème de santé, en mettant en lumière la participation d'intermédiaires dans les différentesphases de la démarche thérapeutique. On distinguera les divers rôles que peuvent assumer ces médiateurs, tout en s'attelant
à comprendre les raisons de leur intervention. Une telle étude sur les médiations dans la consultation épistolaire propose une perspective originale pour
explorer les représentations ou attitudes face à la santé, et esquisse une image
complexe de la relation soignant-soigné, se déroulant ainsi sous la forme de
l'écrit.
I
Abstract. Samuel Auguste Tissot (1728-1797) was a Swiss physician from
Lausanne, who enjoyed a great reputation in his lifetime, thanks to his publications and professional expertise. His persona1 records contain many pieces of
correspondence and more than a thousand written consultations, which are
documents describing the disease of a person, that were sent to a physician in
order to solicit advice on diagnosis and treatments. This collection is very interesting in many aspects, notably for giving an insight into the patients' points of
view. This perspective, which is often difficult to adopt because of the lack of archival materials, has been presented recently as an essential alternative to the
traditional history of medicine. Written consultations allow an original reflection on the perception or expression of sickness and shed new light on the paSéverine Pilloud, historienne, Institut Universitaire d'Histoire de la Médecine et de la
Santé Publique, Lausanne (IUHMSP),1, ch. Des Falaises, 1005 Lausanne, Suisse.
CBMH/BCHM / Volume 16: 1999 / p. 215-45
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SÉVERINE PILLOUD
tient-practitioner relationship. They reveal a complex network of mediations,
that is, actions undertaken by individuals at any step of the epistolary consultations. This article aims at defining the different kinds or levels of mediations
that one can find in the documents in order to understand when and why there
are sometimes mediators, and which role they play. Such a study should demonstrate that the experience of sickness is not only the business of a single person, but involves several people. The patient-doctor relationship is not exclusively a binary one, but often includes the active participation of third parties.
Vous dites qu'il faut beaucoup d'attention et d'habitude pour bien juger de
l'etat d'un malade que l'on ne voit pas; votre experience et vos lumieres ont si
bien etabli votre reputation à cet egard que j'executerai avec beaucoup plus de
confiance ce que vous me prescrirés que tout ce qu'un autre m'ordonneroit en
me voyant. Je vais vous decrire mon etat le mieux qu'il me sera possible1.
l
C'est ainsi que le chevalier de Rotalier s'exprime, en introduction à la
lettre qu'il adresse au Dr Tissot, le premier octobre 1771.La consultation
épistolaire constituait un genre relativement répandu au XVIIIesiècle2,
le diagnostic étant alors en grande partie fondé sur l'exposé des
symptômes ressentis par le malade. On ignore toutefois encore quelle
place exacte était dévolue au rapport au corps dans la relation thérapeutique3. Cet article ne nourrit pas l'ambition d'analyser dans le détail les
caractéristiques de cette pratique médicale et encore moins celles de la
médecine des Lumières. 11vise plutôt à mettre en exergue la spécificité
de l'interaction soignant-soigné ainsi conjuguée sous la forme écrite, en
particulier ce qui a trait à la médiation. Par ce terme, je me réfère à des
actions accomplies par des tierces personnes ayant une incidence sur le
rapport qu'entretiennent le malade et son médecin. Un tel objet d'étude
devrait permettre de projeter un éclairage original sur la relation thérapeutique, encore souvent perçue, à tort me semble-t-il, sur le mode
binaire, comme un dialogue singulier entre deux acteurs quelque peu
isolés sur le devant de la scène. Il me paraît au contraire important de
tenter de saisir l'importance du décor contextuel et des rôles secondaires. Car en effet, si c'est bien Monsieur de Rotalier qui prend
lui-même la plume pour formuler sa demande de soins, tous les patients ne procèdent pas de la sorte, et l'on voit souvent des médiateurs
s'immiscer à un niveau ou un autre de la consultation. On tentera de les
repérer et de comprendre les raisons de leur intervention à partir de la
correspondance du Dr Tissot4, un médecin lausannois qui jouissait
d'une renommée européenne au siècle des Lumières, réputation due en
grande partie au succès remporté par ses écrits médicaux5. C'est
toutefois moins cet illustre praticien que sa clientèle qui retiendra mon
attention, l'objectif étant de contribuer à écrire une histoire de la santé
du point de vue des patients et de leur entourage immédiat, une tendance qui s'affirme depuis quelques années déjà dans l'historiogra-
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phie6.Je m'intéresserai plus précisément à la façon dont les personnes
touchées par la maladie, que ce soit les individus souffrantseux-mêmes
ou leurs proches, font le pas de s'adresser à un thérapeute en mettant B
sa disposition un exposé écrit de leurs problèmes. Autrement dit, comment met-on les maux du corps en mots sur le papier? On peut difficilement répondre à cette question en faisant l'impasse sur le thème de la
médiation, un phénomène inhérent à la forme écrite, dans laquelle la
rencontre entre le demandeur et le prestataire de soins se fait sur la base
d'un médium textuel; ce n'est pas un discours prononcé sur le vif mais
un document rédigé, une reconstruction, dont la trame, la forme et le
contenu sont sans doute eux-mêmes en partie influencés par l'oeuvre et
la personnalité du médecin auquel on s'adresse. Ce n'est toutefois pas
de cette forme de médiation que je vais traiter; une telle perspective impliquerait des développementsnécessitant des outils d'analyse de type
linguistique ou narratologique.Jene m'étendrai pas non plus sur les autres genres de médiations propres à la société ou à la médecine du XVIIIe
siècle, comme celle représentée par l'argent par exemple. Je focaliserai
plutôt mon propos sur l'intervention de médiateurs dans la consultation écrite.
Il s'agit, en premier lieu, de répertorier les différents types de médiations qui peuvent se présenter. Rappelons une évidence : pour qu'une
relation thérapeutique épistolaire s'établisse, il faut que quelqu'un reconnaisse une situation pathologique, prête attention aux signes et aux
symptômes qui la caractérisent, et en fournisse un compte-rendu, qui
sera envoyé au médecin avec prière de fournir une réponse. Or les
sources montrent que ces différentes étapes ne sont pas toujours assumées par les malades eux-mêmes, mais par des intermédiaires. Examinons à quel moment peut se situer leur action.
MÉDIATION EN AVAL DU PROJET DE CONSULTATION
i
La décision de solliciter les conseils de Tissot est parfois prise par une
tierce personne. Ainsi, Monsieur Pétion, prêtre vicaire de la paroisse de
St-George, prend la liberté de lui écrire à propos d'un homme non identifié, âgé d'une trentaine d'années, souffrant d'un problème d'équilibre
et de vue depuis trois ans7.Le malade a déjà consulté un médecin et essayé divers traitements, sans résultats. Finalement, il a tout abandonné,
«se persuadant que c'étoit des vapeurs». Le prêtre, qui a acheté L'Avis au
peuple sur sa santé, se demande quant à lui s'il ne s'agit pas d'une maladie de nerfs et si les bains froids pourraient être utiles.
Il est intéressant de noter cette référence à cet ouvrage de Tissot, qui
allait connaître un succès retentissant?. Malgré ce que son intitulé suggère, il était en réalité adressé aux intermédiaires sociaux, en premier
lieu les ecclésiastiques9, qui côtoyaient une population plus modeste,
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SÉVERINE PILLOUD
souvent rurale, ayant difficilement accès aux prestations médicales. Il
s'agissait de former des médiateurs de soins, capables de prodiguer des
secours rudimentaires, avant de faire éventuellement appel à un soignant plus expérimenté, ainsi que l'explique l'auteur lui-même en introduction :
Le titre d'Avis au peuple n'est point l'effet d'une illusion qui me persuade que ce
livre va devenir une pièce de ménage dans la maison de chaque paysan :les dixneuf vingtièmes ne sauront sans doute jamais qu'il existe; plusieurs ne sauraient pas le lire; un plus grand nombre, quelque simple qu'il soit, ne le comprendrait pas. Mais je le destine aux personnes intelligentes et charitables qui
vivent dans les campagnes, et qui, par une espèce de vocation de la Providence,
sont appelées à aider de leurs conseils tout le peuple qui les environne. L'on
sent aisément que j'ai en vue, premièrement, messieurs les pasteurs [ .. .1. J'ose,
en second lieu, compter sur les seigneurs de place [ . ..]. En troisième lieu, les
personnes riches, ou au moins aisées, que leur goût, leurs emplois, ou la nature
de leurs fonds, fixent à la campagne, où elles se réjouissent en faisant du bien,
seront charmées d'avoir quelques directions dans l'emploi de leurs soins charitables.1°
I
Le prêtre Petion représente le type même de relais social visé par Tissot; il consulte pour un homme peu fortuné et fait appel à la «charité»
du médecin, «qui s'étend aux pauvres comme aux riches». Sans son intervention, le malade n'aurait probablement jamais eu le projet de
s'adresser à Tissot. Il n'en aurait sans doute pas eu les moyens financiers, et peut-être ne connaissait-il même pas le nom du médecin
lausannois. On peut du moins affirmer que l'ecclésiastique a dû combattre la résignation du patient, qui n'attendait plus de soulagement.
La Comtesse de Vougy, qui écrit pour son mari, doit elle aussi lutter
contre une certaine inertie de la part du malade, du moins le perçoit-elle
ainsi". Il aurait longtemps «négligé» ses problèmes de santé, refusant
de suivre les conseils diététiques qu'elle lui donnait. Elle demande en
quelque sorte à Tissot de lui donner raison face à son époux récalcitrant.
«Mon intention est de le décider à vous aller trouver», écrit-elle, précisant que le principal intéressé ignore tout de sa démarche.
Il arrive que ce soit un médecin qui sollicite l'aide de Tissot pour l'un
de ses patients. C'est le cas de Monsieur Milleret, qui, depuis 15mois, ne
parvient pas à soigner les diarrhées de Madame de L'Ecluze12. Se situant lui-même dans la position du consultant, il explique qu'il a «besoin d'un avis superieum. Le Dr Metzger espère lui aussi faire profiter
une de ses clientes épileptiques des lumières du praticien lausannois,
mais il entend bien en tirer également quelques avantages personnels13.
Il l'admet ouvertement :
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219
Outre l'interet de l'humanité, le premier mobile de tout medecin honnete
homme, je souhaiterais de pouvoir soulager la malade, pour me recommender
à une famille puissante et en credit. C'est ce qui m'a determiné, Monsieur, à
vous ecrire. Ma petite reputation cherche à s'etayer de la grandeur de la votre.
Il est clair que les préoccupations de l'auteur ne sont pas centrées uniquement sur le bien-être de la malade, à tel point que celle-ci est quasiment absente de la lettre. On ignore tout de ses syrnpti3mes, de son vécu
ou de sa douleur. Monsieur Metzger n'en sait d'ailleurs pas beaucoup
plus puisqu'il ne l'a jamais vue. Il se base sur le récit de la soeur de la patiente, témoin des crises épileptiques. Il y a également, ici, une médiation de l'observation. Examinons ce deuxième type de plus près.
~~ÉDIATION
DE L'OBSERVATION
Les informations relatives aux symptômes, aux signes cliniques ou à
l'évolution de la maladie ne sont pas toujours fournies exclusivement
par le patient. Le récit des maux peut inclure des éléments provenant de
point(s) de vue étranger(s) ou constituer le fruit de regards croisés14.À
ce titre, les dossiers médicaux, qui réunissent plusieurs consultations
épistolaires concernant les mêmes malades, offrent souvent un grand
intérêt15.
Celui de la princesse de Vaudemont est particulièrement éloquent16.
Ce sont des auteurs non identifiés, très probablement des soignants, qui
racontent l'histoire de sa maladie. Leur relation est accompagnée d'une
vingtaine de feuillets, sur lesquels sont décrites les 19 crises de convulsions qui se produisirent entre mi-juin et finjuillet 1780. Chaque document physique expose un accès, qui peut durer parfois plus de 17
heures. On sait à la minute près quand s'est déclenché le malaise, quelle
a été sa durée, à quel moment ont eu lieu les divers spasmes, combien
de fois ils se sont répétés, etc. Voici, à titre d'illustration, ce qui s'est
passé dans la nuit du mercredi 26 au jeudi 27 juillet :
l
La princesse s'est eyanouie à 8 heures 15 minutes. La roideur s'est établie à 8
heures 25 minutes. A 9 heures et 12 minutes, la princesse a eu un mouvement
convulsif qui aduré 4 minutes; il a eté suivi d'un cri; elle s'est levée toute droite
sur les pieds. A 3 heures, quelques legers mouvements convulsifs ont été les
avant-coureurs d'un assés fort [accb] pour que son altesse soit sauté [sic] par
dessus le dossier du lit si elle n'eut pas éttr bien surveillée...
Plusieurs malades rédigeant eux-mêmes leur consultation tentent de
dresser le tableau le plus complet possible de leur maladie en ajoutant à
leurs propres observations les commentaires ou hypothèses étiologiques faits par des médecins ou des tiers. C'est notamment le cas de
Monsieur Vauvilliers, qui propose différentes explications à ses symptômes avant de citer les diagnostics émis par les soignants auxquels il
s'est adressé17. Se définissant comme un hypocondre vaporeux et un
mélancolique, il pense être atteint de rhumatisme chronique et de maux
de nerfs. Après inspection des urines, un charlatan a quant à lui constaté une petite exulcération dans le canal de l'oesophage, tandis que des
médecins ont évoqué alternativement un engorgement des glandes de
l'aine, une obstruction à la rate, au foie et au mésentère, une grosseur
dans l'estomac et enfin un engorgement au petit lobe du foie, basant
leur jugement sur les données obtenues après palpation. L'auteur
précise encore qu'on lui a pris le pouls et qu'on y a senti une certaine
faiblesse et irrégularité. Il ajoute, à propos de ses selles :«Elles sont tantot comme en pleine santé, tantot derangées».Dans ce dernier exemple,
c'est le patient lui-même qui raconte l'histoire de ses maux. Le récit peut
toutefois avoir été rédigé par un autre auteur. On parlera alors de médiation de rédaction.
l
Le médiateur auteur est celui qui met en discours les données jugées
pertinentes pour comprendre et traiter une maladie qui n'est pas la
sienne. C'est lui qui prend la parole à la place du patient, désignant ce dernier par la troisième personne du singulier. Il élabore la consultation, et
l'imprègne parfois de sa propre subjectivité, de ses interprétations personneiles. Mon propos n'est pas de mesurer la part de reconstruction induite par le médiateur auteur. Il s'agira plut& de comprendre pourquoi
il parle et pour quelle raison la personne souffrante reste quant à elle
silencieuse. Je reviendrai longuement sur cette question complexe dans
la seconde partie de cet article, désirant pour le moment m'en tenir à des
aspects moins interprétatifs que descriptifs. Il faut toutefois souligner
que les médiations que j'ai jusqu'ici tenté, un peu artificiellement sans
doute, de distinguer, se combinent très souvent. Ainsi, il arrive fréquemment que ce soit la même personne qui prenne l'initiative
d'adresser un patient à Tissot et qui conçoive une description de la
maladie dont il souffre. Il se peut en outre qu'elle s'occupe également de
coucher les mots sur la papier. On aborde ici la médiation dite scripturale, dont je vais proposer une définition plus précise.
Le médiateur scripteur est celui qui tient la plume, transcrivant sur le
document un récit des maux dont il n'est pas forcément l'auteur mais
auquel il donne alors une existence tangible et définitive. Même dans le
cas où il sert uniquement de secrétaire, son intervention sur le fond ou
la forme peut être plus ou moins grande, selon qu'il s'exécute strictement sous la dictée d'autrui ou qu'il propose au contraire des tournures
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de phrases, un agencement particulier des éléments du document, etc.
La mêdiation de Madame Gounon Laborde peut par exemple être qualifiée de complètement transparentelS. Elle reste totalement à l'arrièreplan, se contentant de traduire en signes calligraphiques les mots de son
mari qui, parlant de son mode de vie passé, dit :
J'ai été tour à tour victime de toutes les passions; j'ai aimé les femmes avec
fureur [ . . .1. La trempe de mon âme a toujours été de saisir tout avec emportement. Depuis I'age de connoissance,j'ai presque toujours fait des remedes pour
tranquiliser mes nerfs, que j'ai toujours senti irites et que mes cruelles passions
m'irritèrent davantage.
I
Ces conjoints n'ont apparemment pas de secret l'un pour l'autre, du
moins n'en ont-ils plus désormais! Quoiqu'il en soit, il est assez frappant de voir cette femme se mettre pour ainsi dire dans la peau de son
époux, désigné par la première personne du singulier dans le texte.
Cette médiation aurait ét6 invisible sans la missive d'introduction,
écrite et signée par Madame Gounon Laborde, grâce à laquelle on a pu
vérifier, en comparant la graphie, que le mémoire était également dû à
sa plume.
La médiation scripturale est souvent plus complexe ou, comme dans
l'exemple suivant, intriquée dans d'autres types de médiations : Monsieur Dedelay dlAgier écrit un mémoire concernant une amie intime de
son épouse, dont le contenu a été dessiné par cette dernière, sur la base
des indications de la patiente19. On ignore si le scripteur s'est contenté
de restituer le compte-rendu de sa femme ou s'il a participé dans une
certaine mesure à son élaboration. Monsieur Chassot de Florencourt
tente quant à lui de clarifier la portée de sa contribution20.Il consulte
pour Madame Branconi, que ses affaires ont empêchée de se rendre
jusqu'à Lausanne. Il précise : «C'est moi qui ai dressé, sous sa dictée, le
mémoire ci-joint [ . ..1. Je me suis appliqué à vous faire l'histoire de son
état sans y joindre de mon sentiment». Cette intention explicite de rester
neutre témoigne du fait qu'il n'est pas un simple scripteur, sans quoi la
question de sa subjectivité n'entrerait pas en ligne de compte. On peut
imaginer qu'il a inséré certaines formules de son cru, ce que confirment
ces quelques lignes dans lesquelles il s'explique sur le style et la concision du document : «comme je sais aussi peu de médecine qu'elle, j'ai
été obligé d'entrer dans un détail qui vous ennuiera, et je suis au desespoir de vous voler ainsi de votre temps». À noter aussi que Monsieur
Chassot de Florencourt utilise la troisième personne du singulier pour
désigner la malade, preuve qu'il ne se limite pas à citer littéralement le
discours de celle-ci. Il en va de même avec Madame Courtavel de Pezé
d'Argouges qui, prétendant n'être que la «secrétaire»de sa fille, s'autorise néanmoins à se positionner comme une mère très préoccupée par
l'état mental de la malade, suppliant le médecin de la débarrasser de ses
«fauxpréjugés* et de ses idées de mort21.Elle semble même avoir formé
le projet de consulter Tissot sans en avertir la patiente, ou du moins en
lui cachant les termes de sa lettre, comme le suggère cette phrase : «Je
vous prie instemment de ne faire aucune mention dans votre consultation, ny de quelque faqon que ce soit, de ma lettre, ny des observations
que j'y joint comme les regardant très nécessaires».Cette dernière citation fait allusion à la réponse que le médecin lausannois fera à la
demande de soins qu'il lui est adressée. Mais pour qu'il y ait échange de
lettres, il faut encore que le courrier, maintenant qu'il a été préparé, soit
acheminé jusqu'à son destinataire. C'est là que des médiateurs relais entrent en scène.
Plusieurs personnes font office d'intermédiaire dans la transmission de
la consultation au Dr Tissot ou le payement de ses honoraires. Parmi
elles, on trouve nombre de ses patients ou ex-patients. Mentionnons notamment l'abbé Digne, qui se rend dans le chef-lieu vaudois pour le
consulter et à qui l'on confie le mémoire concernant Madame de
RignyZ2.L'ecclésiastique est en outre chargé de verser quatre louis d'or
au soignant et de demander un accusé de réception correspondant à
cette somme. On choisit parfois de remettre les documents en mains
propres pour s'assurer que rien ne sera égaré en route. Ainsi Monsieur
Friolet, dont la première lettre est restée sans réponse, décide d'avoir
recours à un messager express, ceci afin que son second envoi parvienne à bon port dans les plus brefs déla@.
Il arrive que les médiations de «transit» soient multipliées jusqu'à
que Tissot reçoive ce qui lui est destiné. C'est ce que révèle par exemple
cette lettre de Monsieur Marchand, expédiée de Paris, le 24 mars 179OZ4.
Il écrit à propos des honoraires :
I
Je suis chargé de la part de Monsieur Torchon Defouchet, maitre de la poste de
Marchélepot, près Peronne, en Picardie, de vous faire parvenir quarante-huit
livres pour la consultation que vous trouverez cy-inclus. Je me suis adressé à
Monsieur dlHuitte, négociant A Paris, qui m'a promis que vous receveriez cette
somme de quarante-huit livres par Messieurs Thiery i'ainé &Cie, négociants à
Mulhouse. Si vous connaissez une occasion plus commode pour vous faire parvenir de l'argent, je vous prie de l'indiquer à Monsieur Torchon en luy envoyant votre consultation.
Tissot lui-même reqoit parfois des consignes assez claires quant à
l'adresse à laquelle il doit expédier sa réponse. Ainsi un malade ayant
«confessé» sa pratique de l'onanisme et souhaitant, pour cette raison,
conserver l'anonymat, lui demande de faire parvenir sa lettre à une certaine Madame Le Grand, à Paris, ceci afin que son identité reste cachée
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
223
et que ses proches ignorent tout de sa démarche25.Nous sommes peutêtre ici en face d'un élément permettant d'expliquer, en partie du
moins, l'intervention d'intermédiaires. Dans les lignes qui suivent, je
vais discuter de certaines hypothèses, en centrant ma réflexion sur la
médiation de rédaction, soit la voix qui parle à la place du malade. Très
complexe, car faisant souvent apparaître d'autres formes de médiations, elle permet d'aborder l'ensemble des questions essentielles relatives aux médiateurs dans la consultation épistolaire.
,
Le mémoire relatif à la maladie de Monsieur Chatelain, fabriquant de
dorures en Hollande, servira de première i l l ~ t r a t i o nCe
~ ~document
.
a
été rédigé par son épouse et un ami, qui tous deux expriment leur inquiétude à l'égard de l'état du patient, désigné par la troisième personne du singulier. Pourquoi ce dernier ne raconte-t-il pas lui-même
son histoire, en employant le «Je»?On apprend qu'il a perdu l'usage de
sa main droite depuis une attaque de paralysie, survenue en août 1770,
mais si cette infirmité lui interdisait réellement d'écrire, rien ne l'empêcherait pourtant de dicter son propre récit à une tierce personne. Dans
ce cas comme dans beaucoup d'autres, on ne connaît pas clairement les
raisons qui poussent les médiateurs auteurs à intervenir.
Les consultations épistolaires ont été étudiées par différents chercheurs, notamment Laurence Brockliss, qui s'est penché sur la correspondance du Dr Etienne-François Geoffroyz7.On s'accorde généralement à dire que cette pratique concernait principalement des médecins
de réputation, qui recrutaient une clientèle parmi les membres de l'élite
sociale. La plupart de leurs patients pouvaient se prévaloir d'une certaine éducation leur permettant de maîtriser, en partie du moins, le langage médicaPs. Il faut rappeler qu'au XVIIIe siècle, la médecine tenait
un discours sur le corps et ses maux encore dépourvu de références excessivement techniques et partagé par les couches sociales au bénéfice
d'une certaine instruction. Il n'y avait donc pas de problèmes de communication majeurs entre le praticien et ses malades, qui auraient pu
expliquer l'intervention de médiateurs dans la rédaction de la consultation écrite. D'autres hypothèses ont été émises.
On a notamment conjecturé que seuls les aristocrates titrés effectuaient eux-mêmes la première prise de contact avec le médecin, les autres malades se faisant habituellement introduire par un médiateur,
suivant ainsi les normes de fonctionnement de la société au XVIIe et au
XVIIIesiècles, basées sur la notion de patronage. Il aurait été d'usage de
se faire recommander par une personne connue ou influente pour obtenir de l'assistance, et les patients auraient le plus souvent sollicité les
services d'un soignant -médecin ou chirurgien principalement -con-
sidéré comme le mieux habilité à rédiger le récit des maux. Le recours à
des auteurs «laïques» aurait tenu lieu d'exception, reflétant avant tout
un isolement social et/ou géographique du malade, dans l'impossibilité de confier l'élaboration de sa consultation à un «profe~sionnel»~~.
Patronage et professionnalisation de la consultation écrite permettraient donc de comprendre le phénomène des médiations, en particulier des médiations médicales, dans la relation thérapeutique épistolaire. Voyons comment cette double hypothèse résiste à l'examen
des sources contenues dans le Fonds Tissol?. Celles-ci montrent tout
d'abord que 40% des patients ne sont pas représentés par un intermédiaire lors de leur première consultation, proportion importante, qui
dément l'idée selon laquelle le recours à un médiateur serait la norme.
On ne dispose pas toujours d'informations concernant la situation de
ces malades, mais nos données, même lacunaires3', témoignent du fait
que les aristocrates ne sont pas les seuls à s'adresser au médecin lausannois en leur propre nom.
Examinons maintenant la qualité de ces intermédiaires qui interviennent dans les 60% des cas restants. Il s'avère que 35% d'entre eux sont
des s ~ i g n a n t s médecins
~~,
ou chirurgiens, tandis que 20% appartiennent à la famille du malade. On trouve aussi des amis ou connaissances
et des ecclésiastiques. Il faut toutefois noter que dans près d'un tiers des
cas, on ne connaît pas le lien qui existe entre le malade et son médiateur.
Quoi qu'il en soit, ces résultats prouvent que les médiateurs laïques ne
constituent pas une part négligeable et que leur intervention ne se
résume pas à une solution faute de mieux. Les médiations ne peuvent
pas être réduites à une forme de patronage médical. Un examen plus
précis du contenu des sources permet de proposer d'autres pistes de
réflexion. Il est important tout d'abord de différentier la consultation
proprement dite (lettre ou mémoire exposant l'histoire de la maladie) de
la missive d'introduction, qui ne contient aucun récit des maux.
l
PRÉSENTERUN MALADE :LES MISSNES D'INTRODUCTION
Un certain nombre de demandes de consultations, environ 20% d'entre
elles, sont précédées d'une missive d'introduction. Pour tenter de comprendre la finalité de ces missives d'introduction, il importe tout
d'abord de voir par qui elles sont rédigées. Dans 64% des cas, c'est un
médiateur qui prend la parole, le plus souvent un membre de la famille
du malade (22%). On trouve aussi des soignants (14%),des amis ou des
connaissances (12%)-parmi lesquels des patients de Tissot qui font
parfois «d'une pierre deux coups», en formulant une demande de soins
pour leurs propres maux et en lui proposant un nouveau «client»-et
enfin des ecclésiastiques (6%). À noter que dans 10%des cas, on ignore
le lien qui existe entre le malade et le médiateur. On constate qu'il est
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
l
225
fécond de distinguer les missives d'introduction des consultations ellesmêmes car cela fait apparaître cette prédominance de la médiationfamiliale.
Or les membres d'une famille sont généralement tous situés sur un
même échelon social et peuvent difficilement être considérés comme
des protecteurs qui useraient de leur influence en faveur d'un malade
issu d'un rang inférieur. Ces résultats tendent donc à nuancer l'hypothèse de patronage, du moins si on l'entend comme une sorte de
passerelle sociale.
On peut néanmoins affirmer qu'il y a une sorte de système de références. En effet, nombre de consultations s'efforcent de situer le malade
dans un cercle de relations en évoquant des noms de personnes connues
de Tissot. Et il s'agit le plus souvent d'individus faisant ou ayant fait
partie de sa clientèle. Ainsi Monsieur de Servan introduit un mémoire
de consultation concernant son épouse en précisant que son nom ne
peut pas être inconnu du médecin lausannois, car il est le cousin germain du célèbre avocat général du parlement de Grenoble, qui, écrit-il,
~ ~ténor
.
du barreau est
«a eu plusieurs fois recours à vos l u m i e r e s ~Ce
cité par plusieurs consultants; il était à la fois homme de réputation et
patient régulier du Dr Tissot, avec lequel il entretint des liens d'amiti@.
L'évêque de Noyon, qui correspond à un profil semblable, se voit lui
aussi mentionné à diverses reprises, notamment dans le mémoire relatif
à la maladie du curé de Curchy35. 0,peut lire, sur l'entête du document :«Memoire que Monsieur de Senez a demandé en cours de visite,
qu'il a chargé l'abbé Cordier d'envoier à Monseigneur l'evêque de
Noyon, en priant le prelat, de sa part, de le faire voir à Monsieur Tissot,
et de le prier d'y donner son avy, en faveur de Monsieur le curé de Curchy, qui est un trés honeste homme». Cette introduction révèle nombre
de médiateurs relais, une énumération qui sert à faire état des relations
dont le curé peut se prévaloir, des appuis implicitespeut-être, mais surtout des figures qui permettent de mieux cerner le patient en le situant
dans un univers plus familier au médecin. C'est le même objectif que
semble poursuivre Monsieur
La patiente qu'il introduit à Tissot n'est pas identifiée par son nom mais par son appartenance à une
généalogie et à un cercle de personnes. Elle est la soeur d'un officier au
service de la Marquise de Poyanne, et l'épouse d'un «officier qui occupe
une charge honnorable à l'Hotel des Invalides». Ayant eu les livres du
médecin vaudois entre les mains, elle est convaincue que lui seul,
«après Dieu-, peut la sauver. Comme elle n'est pas en état de faire le
voyage jusqu'à Lausanne,
elle a pris le party de faire dresser par son médecin une description détaillée de
son état, depuis le commencement de sa maladie, et a instamment prié Monsieur son époux et son frère de faire parvenir cette consultation à Monsieur Tis-
sot, n'osant la lui adresser directement, et manquant d'autres connoissances
dans Lausanne.
)
C'est là que Monsieur Rosset entre en scène. Il se charge d'envoyer le
mémoire à un de ses amis, avec consigne de le transmettre au médecin
vaudois. À nouveau, au cas où il y aurait «quelques difficultés à pouvoir
obtenir une consultation et les avis de Monsieur Tissot sur l'exposé cyjoint», on évoque la possibilité de prier «Monsieur l'Evêque de Noyon
de l'y engager».
En définitive, il existe bien une logique de réseau, que j'associerai davantage à une procédure d'identification que de recommandation. On
ne mobilise pas des soutiens sociaux du haut de la pyramide sociale,
puisque que le patient et les personnes indiquées comme références
gravitent habituellement dans les mêmes sphères. Par contre, on fait en
quelque sorte des présentations. Inconnu du soignant, le malade l'est
moins dès lors que des relations communes peuvent être établies. La
missive d'introduction ne peut donc pas être ramenée à une stratégie de
patronage. À l'appui de cette affirmation, il faut ajouter que 36% des
malades la rédigent e ~ x - m ê m e s expliquant
~~,
et légitimant leur démarche en invoquant la renommée de Tissot et l'espoir qu'ils nourrissent d'être débarrassés de leurs maux, qui durent souvent depuis
longtemps et face auxquels les traitements se sont avérés inefficaces.
Il a été supposé qu'une fois mis en contact avec le médecin grâce à
l'intervention d'un médiateur, les malades pouvaient alors poursuivre
seuls l'échange de courrier, si tant qu'il est qu'il se prolonge. Or, l'examen des sources montre que la proportion de patients signant leur lettre
ne change pour ainsi dire pas si l'on prend compte les envois ultérieurs.
Il vrai que certains d'entre eux prennent la parole après avoir été représentés par une tierce personne. Ainsi l'abbé Spicher saisit-il lui-même la
plume pour donner de ses nouvelles et rendre compte de l'effet des
traitements prescrits suite à une consultation effectuée par l'entremise
de Monsieur Fegely, qui bénéficie déjà des soins du médecin38.La situation est cependant tout autre pour la comtesse Louise de Werthern, qui a
déjà écrit plusieurs fois au Dr Tissot et qui n'ose pas le faire une nouvelle
fois, de peur de l'imp~rtuner~~.
Elle envoie donc une lettre à sa tante, qui
réside à Lausanne, avec mission d'intervenir en sa faveur auprès du
soignant. Voici comment elle s'exprime : «Pardon, je vais vous faire une
jérémiade, je n'ai pas le courage de l'addresser à Monsieur Tissot; daignés
lui parler un jour de tout ce qui occasionne mes plaintes, et engagés-le à y
porter remèdem. La demande de soins est ici adressée de facon indirecte.
Quant à Monsieur de Turrettin, s'il se décide à prendre la plume, c'est
pour appuyer la requête de son épouse, qui attend toujours une réponse
de Tissot aux épîtres qu'elle lui a écrites quelques semaines auparavant40.Il commence par ces mots :
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
227
Permettez-moi de faire une quatriéme et derniere tentative auprès de vous pour
vous demander une réponse aux trois lettres que ma femme et moi avons eu
l'honneur de vous écrire en septembre et en octobre dernier [ . ..1. Jene puis pas
croire [ . . .] que ce soit volontairement et sciemment que vous nous aiez laissé
sans réponse pendant deux mois. ..
1
Les récriminations de cet auteur montrent à quel point l'entourage peut
se sentir concerné par la maladie d'un proche, n'hésitant pas à intervenir auprès du médecin et à formuler ses propres exigences.
Pour en revenir aux missives d'introduction, nous avons vu que dans
près d'un quart des cas (22%) elles sont signées par des membres de la
famille du malade, qui justifient leur démarche en soulignant tout à la
fois les souffrances ou les malaises de celui-ci et leurs propres inquiétudes, une légitimation que les patients s'autorisent aussi à produire
eux-mêmes, dans plus d'un tiers des cas, sans se faire représenter par
autrui. On l'a dit, plusieurs consultations évoquent, explicitement ou de
façon plus subtile, certaines des relations sociales du malade, mais il
s'agit surtout de mieux le faire connaître. Les auteurs, qui font souvent
référence à la confiance que leur inspire le médecin lausannois, se sentent peut-être aussi tenus de gagner la sienne. C'est du moins l'hypothèse que je fais, considérant la relation médecin-malade comme une
sorte de contrat ou de «pacte de guérison», pour s'inspirer d'une expression de Gianna Pomata41, défini par un ensemble de normes bien
établies, et conclu entre des individus-le soignant, le patient et/ou
le(s) médiateur(s) -qui doivent décliner leur identité42et offrir certains
gages d'honnêteté, de point de vue financier notamment. Il s'agit aussi
de donner une garantie de solvabilité à Tissot, même si la question de
l'argent est rarement abordée de faqon explicite. On peut imaginer que
les consultants appartenant à un réseau de patients connaissaient le
montant des honoraires et n'auraient pas couru le risque d'une déconsidération sociale en tardant ou en omettant de s'en acquittee. Ils auraient ainsi constitué une clientèle plus sCire pour le médecin. Quoiqu'il
en soit, la somme à payer se définit par rapport à une prestation médicale, et pour qu'il y ait soins ou conseils, il faut d'abord qu'un exposé de
la maladie soit soumis au jugement du médecin. Voyons à présent
quelles médiations interviennent au moment de l'élaboration du récit
des maux, soit de la consultation proprement dite, que l'on a distinguée
plus haut de la missive d'introduction.
DÉCRIRE UNE MALADIE :LES RÉDACTIONS OU LE RÉCIT DES MAUX
Dans 58% des cas, les rédactions adressées au Dr Tissot lors de la première consultation sont produites par un médiateu+, le plus souvent
un soignant (22%). On rencontre aussi des membres de la famille (Il%),
des amis ou connaissances (4%), des ecclésiastiques (1%) ou encore
228
SÉVERINE PILLOUD
quelques officiers de l'armée et instituteurs. À noter que dans 20% des
cas, on ignore l'identité du médiateur et/ou le lien qu'il entretient avec
le malade. On constate donc une prédominance de la médiation médicale,
résultat qui diffère de celui obtenu avec les missives d'introduction, et
qui corroborerait l'hypothèse de la professionnalisation de la consultation écrite, selon laquelle les consultants préféraient confier la rédaction
de leur anamnèse à un expert. Mais à y regarder de plus près, on
s'aperqoit que l'on ne peut pas opérer de généralisationshâtives.
Rappelons que le soignant qui consulte Tissot pour un patient peut
très bien le faire de sa propre initiative, sans être mandaté par quiconque, et pour des motifs parfois assez étrangers à une simple demande
de soins. On se souvient du Dr Metzger, qui semblait surtout vouloir asseoir sa réputation et entrer dans le réseau des correspondants de son illustre confrère l a ~ s a n n o i sDans
~ ~ . ce cas, il ne serait pas exagéré de dire
que c'est avant tout la personne malade qui sert de médiatrice entre Tissot et un de ses confrères.
Toujours pour pondérer l'importance de la médiation médicale et
l'hypothèse d'une professionnalisation de la consultation écrite, il importe de souligner qu'un nombre non négligeable de consultations sont
rédigées par des médiateurs laïques46.Et loin de révéler une impossibilité de s'adresser à un soignant, cette tendance traduit parfois une véritable décision, fondée sur divers arguments. Lisons pour s'en convaincre un extrait de la lettre de Monsieur Ducassé, avocat Toulouse, qui
consulte pour l'un de ses amis :
Je vous fais excuse de m'etre tant etendu, mais ne scachant pas les termes de
l'art, j'ai et6 obligé d'etre si long et encore de resumer pour vous metre à portée
de decider, etant plus aize de vous exposer la maladie de mon avis que de vous
la faire exposer par des medecins qui mettent plus souvent leurs idées que l'etat
du malade."
l
Le comte Birague de Brusque, lieutenant colonel d'artillerie et membre
des premiers écuyers de la reine, évoque quant à lui les malaises de sa
femme48.Il précise d'emblée qu'il n'est
ny medecin, ny chirurgien, mais militaire, et par consequent Monsieur Tissot
est prié de ne pas prendre garde au stile, et de vouloir bien interpreter les
termes qui ne sont pas propres de l'art, l'ecrivain ayant cru, pour le bien de la
chose, qu'il valoit mieux faire luy-meme la relation de cette maladie, que de
tomber dans l'inconvenient de ceux qui, en pareille ocassion [sic],s'adressent à
un medecin qui, prevenu en faveur du plan qu'il s'est fait de la maladie, sait si
bien aranger les sintomes qu'il oblige le medecin consulté à tomber avec luy
dans la meme erreur.
Quant à Monsieur Bon49,il explique qu'il a été explicitement mandaté
pour composer le récit des maux :
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
229
Lié d'amitié et de parenté avec sa famille, vivant sous le même toit, j'ai été
témoin des crises qu'éprouve la consultante, et des diverses circonstances où
elle s'est trouvée. Ses parents m'ont chargé en conséquence de vous adresser
dans le plus grand détail le rapport de sa maladie. Ils ont préféré ma plume à
celle des gens de l'art; ceux-ci ne peuvent s'empêcher de laisser percer leur
opinion, et de présenter les choses comme ils les voient.
Le mémoire de consultation est structuré en différentes parties, chacune
portant un titre; la première s'intitule «symptômes et description de la
maladiev; la deuxième concerne d'origine de la maladie»; la suivante
relate «le premier accident», qui eut lieu le 3 mars 1789 à une heure de
l'après-midi; le quatrième paragraphe est consacré au «traitement»,
décrit dans le détail, sur plusieurs pages; la cinquième partie, intitulée
((fluxionde poitrine survenue pendant le traitement», évoque le déroulement de cette affection, et les thérapeutiques qui ont permis d'en
venir à bout. L'auteur poursuit son récit par des «observations».Il évoque
notamment la constitution de la patiente et les différentes maladies dont
elle a souffert dans le passé, avant de parler de l'état de santé de toute sa
famille, indiquant qu'un des frères mourut à trois ans, d'un transport de
cerveau. Il propose ensuite des hypothèses étiologiques, soulignant que
les accès convulsifs, qui constituent le principal objet de la consultation,
ne peuvent venir du mauvais lait d'une nourrice car la malade a été allaitée par sa propre mère. Monsieur Bon termine son mémoire par une
sorte de résumé, sous forme de journal, qu'il présente ainsi :
On a cru devoir joindre h la suite de cette relation un tableau jour par jour des
divers actes de la malade. Et comme quelques médecins prenent pour l'administration des remedes indication des diverses phases de la lune, on a marqué
chaque fois son âge.
l
À la lecture de ce document de 10 pages, très clair, tant du point de vue
de la forme que du contenu, et fourmillant de détails, on peut difficilement prétendre que seuls les soignants étaient capables de rendre
compte des maux de la facon la plus complète possible. Se tourner vers
un médiateur laïque peut dès lors relever d'un réel choix.
Reste que certains malades préfèrent clairement confier la rédaction
de leur consultation à un soignant, généralement à leur médecin traitant, qui connaît bien la situation et jouit de leur confiances0.La comtesse d'Egmont, qui sollicite les services du Dr Petit pour relater l'histoire de sa pathologie, écrit, au sujet de ce dernier :
Il n'est point d'année où il n'ait eCi de soins à me rendre; il m'a même traité dans
ma rougeole et dans un mal de gorge [ . ..] que j'ai eü il y a huit ans [ . ..1. Il connois [sic] bien ma santé et en tout je le crois abile. ..51
L'abbé Kueffer ajoute quant à lui quelques lignes de commentaires au
bas du mémoire rédigé par son médecin, le Dr Coligny, précisant qu'il
adhère complètement à son réciP2. Ces deux malades se positionnent
assez; nettement par rapport à leur thérapeute et sa version des faits, ce
qui tend à montrer qu'ils ont un certain avis sur leur maladie et la façon
de la meitre par écrit. On peut même supposer qu'ils se seraient sentis
aptes à le faire eux-mêmes s'ils n'avaient pas trouvé un médiateur susceptible de transmettre fidèlement leur point de vue.
Il est néanmoins probable que certains éléments de la consultation
soient plus spécifiquement du domaine du professionnel. C'est du
moins ce que prétend le Dr Arnulf, qui écrit une lettre à Tissot pour
compléter l'exposé du malade53.Il s'en explique ainsi : «Quoique Monsieur le marquis Ferré de La Marmora, qui vient vous consulter, puisse
de son aveu vous faire un recit exact de ce qui appartient à sa precieuse
santé, il y a toutefois dans son fait des singularités, qui, etant du ressort
du medecin, pourroient bien lui echappem. L'auteur précise que bien
que le patient ait des parents sains, «il pourroit porter avec lui un germe
d'une acreté [ . ..] erisipelateux, qui a paru de tems à autre dans ses
freres sous l'aspect d'une effervescence, tantot scarlatine, tantot pustulaire phymateuse, tantot impetigineuse.. .». De telles références théoriques sont effectivement beaucoup plus rares dans les rédactions
laïques, même si elles n'en sont pas complètement absentes. Il resterait
à déterminer si les malades les considéraient comme essentielles à la
compréhension de leurs maux, ce qui est loin d'être prouvé, puisqu'un
bon tiers de patients confient la rédaction de leur consultation à un
médiateur ne faisant pas partie du corps médical.
RACONTER SES PROPRES MAUX : LES MALADES NARRATEURS
l
Il importe aussi de souligner que 42% des individus font eux-mêmes le
récit de leurs maux, se passant des services d'un médiateur, soignant ou
laïc54.Et là aussi, il s'agit parfois d'un choix délibéré. Madame Bordenave de Disse l'exprime clairement à la fin de sa lettre55.Elle a décidé
de raconter sa maladie avec ses propres mots parce que, explique-t-elle,
«jfaicru qu'un homme de l'art vous diroit ses idées; moi je vous ai conté
mes douleurs». Elle précise, détail qui a toute sa pertinence pour comprendre les critères qui peuvent influencer l'élaboration d'une consultation, qu'elle s'est aidée du questionnaire contenu dans l'ouvrage de Tissot, L'Avis au peuple sur sa santé. Il s'agit des «Questionsauxquelles il est
absolument nécessaire de savoir répondre quand on va consulter un
médecin»; elles font référence à des données telles que l'âge du malade,
son mode de vie, l'état de son pouls, de ses urines ou de ses selles, etc.56.
C'est la même crainte d'être dépossédé de ses sensations personnelles
par le discours formalisé d'un médecin qui pousse Monsieur Thomassin, officier de métier, à prendre la plume lui-même57:
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
231
Ma maladie est interieure, [écrit-il], il n'y a que moi qui la sente; j'ai cru aussi
qu'il n'y avoit que moi qui put la décrire; c'est pourquoi je ne prends point pour
interprete quelque docteur de la faculté, qui en se servant de termes de l'art,
m'expliqueroit peut-être moins bien que ne fera mon foiblejargon.
On le voit, certains malades se sentent tout à fait capables de parler de
leurs maux sans l'aide d'un médiateur professionnel, du moins sans son
secours direct, puisque plusieurs admettent quand même s'être servis
du questionnaire inclus dans L'Avis au peuple sur sa santé. Quoi qu'il en
soit, plus d'un patient insinue clairement que le fait de narrer soi-même
ses propres maux représenterait un atout, une garantie d'authenticité
en quelque sorte. On décrirait strictement ce qui a été éprouvé et observé sans qu'aucun préavis, de soignant ou de laïc, ne vienne déformer
ou occulter une partie des faits. On touche là encore à l'incidence de la
médiation sur le discours de la maladie ou la façon dont les médiateurs
auteurs induisent une part de reconstruction et de subjectivitédans leur
exposé, un thème important qui dépasse toutefois le cadre de cet article
et sur lequelje ne m'étendrai donc pas.
LES DOSSIERSDE PATIENTS :DES COMPOÇITIONSÀ UNE OU PLUSIEURSVOIX
I
Il est par contre intéressant de noter que la prédominance de la médiation médicale disparaît si l'on prend en compte, non pas la première
description des maux adressée à Tissot, mais celle(s) qui suive(nt), si
tant est que l'on dispose d'un dossier de patient. Le nombre de malades
représentés par un médiateur ne change pour ainsi dire pas (57% contre
58% en ce qui concerne les rédactions envoyées lors de l'échange de
courrier initial), mais ce sont alors des membres de leur famille qui assument le plus souvent le rôle d'intermédiaire, leur proportion passant
de 11% à 24% tandis que celle des auteurs saignants décline de 22% à
18%. On serait tenté d'interpréter ces résultats comme la confirmation
d'une proposition simple: le premier exposé des symptômes, sur la
base duquel Tissot va poser un diagnostic et proposer une thérapeutique, est essentiel, raison pour laquelle on aurait davantage tendance à
en déléguer la rédaction à un individu appartenant au corps médical,
tandis que les consultations suivantes, dans lesquelles on rend généralement compte de l'effet des traitements, paraissent moins cruciales et
peuvent donc être formulées par des laïcs. Cette affirmation, pertinente
au demeurant, doit toutefois être nuancée, afin d'éviter de commettre
encore une fois des simplificationsinexactes. En examinant les dossiers
de patients pour lesquels on dispose de plus d'une consultation épistolaire, on s'aperçoit que c'est souvent le même auteur qui signe les
différents documents. Ainsi Madame Arthaud consulte-t-elle à cinq
reprises pour sa mères8, tout comme le pasteur Cart, qui le fait pour son
fils59.DU côté des patients, on voit Monsieur ~ u n g k e n net~Monsieur
~
232
l
SÉVERINE PILLOUD
Lavergne6' solliciter les conseils de Tissot respectivement à neuf et à six
occasions. Et aucun des consultants susmentionnés n'a passé par un
soignant pour présenter sa première consultation.
Les dossiers s'orchestrent parfois comme une polyphonie. On peut
citer celui de Monsieur Decheppe de Morville, qui compte 12 parties en
tout, dont cinq composées par lui-même, six par son épouse, la dernière
se concluant brutalement par un rapport d'ouverture cadavérique signé
par des médecins et chirurgiens de Bar-le-Duc6=.Le dossier de la duchesse de Civrac'j3donne aussi à entendre plusieurs voix, et dans ce cas,
c'est bien par la relation d'un médecin qu'il débute : le Dr Desvergnes,
médecin traitant de la malade, copie, à l'attention de Tissot, une consultation médicale faite en commun avec les Drs Parade et Excellin, dans
laquelle les trois soignants se prononcent sur la maladie et les traitements à envisager. Suit une lettre d'un quatrième médecin, le Dr Bourdois, qui précède deux lettres de la fille de la malade. On peut ensuite
lire un mémoire rédigé par les Drs Desvergnes et Lamayrant, une lettre
signée par la malade, cinq autres par le médecin traitant et une consultation dont les auteurs sont Messieurs Bourdois, Carrere, Malloet et Lassone, tous soignants. Ce dossier, assez exceptionnel par sa complexité,
dome souvent la parole à des praticiens, mais ce n'est pas la règle. La
plupart des dossiers sont constitués de discours laïques, énoncés par les
malades eux-mêmes ou par leurs proches; l'angoisse est perceptible
dans certaines lettres, expédiées à quelques jours d'intervalle, avant
même d'avoir reçu une réponse au courrier précédent. On peut imaginer qu'un médecin s'adressant à Tissot pour l'un de ses patients
éprouve moins le besoin de lui écrire plusieurs fois, sachant rapidement
comment profiter des recommandations de son confrère ou s'en écarter.
Ajoutons encore que les dossiers permettent souvent de mieux
pénétrer dans l'intimité du patient, de connaître quelque peu son mode
de vie ou les individus qui gravitent autour de lui, car la maladie bouleverse le quotidien et son évocation s'en tient rarement aux symptômes,
débordant sur d'autres aspects de l'existence : couple, famille, occupations journalières, etc.64.Par contre, la personne même du malade a davantage tendance à devenir «subsidiaire»'quand c'est un soignant qui
écrit, surtout quand ce dernier se trouve véritablement dans la position
de consultant, face à un client qu'il ne parvient pas à soigner. Certains
médecins consultent d'ailleurs pour plusieurs patients en même temps,
comme le Dr Bertuccioni, qui, après avoir fait «l'étalage de sa science»,
évoque quelques cas problématiques, s'attardant assez longuement sur
celui d'un homme récemment
Les quelques illustrations qui précèdent ont servi à nuancer deux
propositions explicatives concernant la présence de médiations dans la
consultation épistolaire : l'hypothèse du patronage et celle de la profes-
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
233
sionnalisation de l'écriture de la maladie, soit le fait de confier la rédaction du récit des maux à un soignant, mais elles ne permettent pas pour
autant de fournir une autre interprétation capable de rendre compte,
dans tous les cas, des motifs amenant des médiateurs à intervenir.
LA PAROLE E M P Ê c H ~ E
Dans certaines situations toutefois, l'explication semble assez évidente,
notamment en ce qui concerne les enfants ou les adolescents (près de
8% des patients de Tissot), rarement aptes à décrire clairement leurs
maux, comme le note cet auteur non identifié, consultant pour un
garcon de 12 ans : «On croit qu'il est important de faire attention aux
remarques de l'enfant mais sans perdre de vüe qu'il n'a que douze ans
et qu'à cet age, ses observations ne sont celles ni d'un Monsieur Tissot,
ni d'un Charles bonnet^^^.
Il faut aussi tenir compte de la maladie dont les personnes sont atteintes. Celles qui souffrent d'aliénation mentale sérieuse ou de faiblesse de l'intelligence restent quasiment toujours silencieuses, d'autant
que bien souvent elles ne se rendent pas compte de leur état. C'est ce
qu'explique le Dr Negroni, qui consulte au sujet d'un homme manifestant des signes de délire6'. Le médecin dit ne pas savoir quelle attitude
adopter face à son patient, se trouvant face à une «triste alternative» :
Ou de lui câcher sa condition, et par là, l'exposer à des dangers évidents, car
comme il se croit tout à fait guéri et maître de soi-même, il voudroit s'en aller
seul entreprendre des voyages, etc.; ou bien de lui revéler le secret, ce qui
peut-étre pourroit reproduire en lui cet esprit de tristesse et ces égarements.
I
On le voit, l'état de santé interdit parfois au malade d'entreprendre
lui-même la démarche de consultation. Ainsi, Monsieur de Bottens
commence-t-il son épître par ces mots : «Madame Pourtalais, auprès de
laquelle je suis dans ce moment, ne recevant aucune réponse de votre
part, me charge de vous addresser cette lettre, un violent mal de tete
l'empechant de le faire elle-meme»68.
En ce qui concerne le jeune homme épileptique dont parle la baronne
de Reingein, on imagine aisément que le silence du malade est lié à une
insuffisante maîtrise de l'é~riture~~.
Celui-ci vient en effet d'un milieu
social très pauvre et sans doute analphabète : orphelin de père, sa mère
«sert, pour vivre, le grand major de Diesbachw, précise l'auteur, soulignant la pitié qu'il lui inspire. Ce genre de situation est néanmoins assez
rare, car il s'avère que la plupart des patients de Tissot bénéficient d'un
certain niveau d'éducation.
Alors quand rien n'empêche objectivement le malade de consulter en
son nom, pourquoi ne prend-il pas lui-même la parole? À défaut de pro-
234
SÉVERINE PILLOUD
duire une explication globale, essayons de proposer une série de pistes
de réflexion.
PARLER POUR L'AUTRE OU POUR SOI?
On l'a dit, l'initiative de consulter ne vient pas toujours des patients; elle
peut très bien avoir été prise par une tierce personne, agissant parfois à
l'insu d'autrui, comme Madame Nettancourt, qui consulte Tissot pour
sa filler0.Après avoir décrit l'évolution récente des symptômes, l'auteur
fait quelques allusions sur ce qu'elle semble attendre du médecin : des
consignes plus claires concernant les traitements. Elle émet même quelques propositions thérapeutiques.
Elle n'est pas très exacte sur le régime [ ...1; il me semble que si on pouvoit luy
faire revenir les règles, elle seroit ensuite bientot guerie; il ne me parait pas
douteux qu'elle n'ait une abondance d'humeurs excessives [. ..]; je voulois
qu'elle prit des eaux fondantes, qui lui ont toujours reussis pour s'evacuer [ .. .1,
mais actuellementelle n'en veut pas entendre parler. ..
Cet extrait montre à quel point l'entourage pouvait investir la maladie,
ressentant souvent le besoin d'agir, pour soulager les souffrancesdu patient ou pour apaiser sa propre angoisse.
Certains médiateurs semblent se découvrir une vocation de soignant,
comme Madame Desmarches, qui sollicite les conseils de Tissot au sujet
de différentsmalades71.Elle commence sa lettre par ces mots :
Mon oracle Esculappe, si vous n'avés la bonté de me repondre incessamment et
très exactement sur mes deux demandes, je feray comme les devots tartares,
vous accablant chaque courier d'une lettre de blasphème et d'injures. Comment
voulés-vous que je retourne dans mon pays sans soulager ceux à qui je l'ay
promis en comptant sur vous?
l
((11me faut donc mes deux réponses séparées»,poursuit-elle, l'une pour
Madame De la Rive, dont il est principalement question dans le document, l'autre pour un homme non identifié, un «pauvre hypocondriaque~,qu'elle évoque dans les dernières lignes. Madame Fontanes,
épouse de pasteur, semble également animée par un profond désir de
secourir autruin. Elle écrit à Tissot à propos de la fille d'une de ses amies :
Le cas dont il s'agit auroit quelque raport avec votre Traité de l'epilepsie, mais n'y
trouvant pas d'exemple parfaitement conforme [ . ..1, j'ai conseillé fortement de
vous écrire, Monsieur [ . . .], et j'ai offert de servir de secrétaire. Intelligent
comme vous l'êtes, Monsieur, vous suppleerez aisement à la forme, et nous
sommes prets à ajouter les éclaircissemens que vous pourrez nous demander.
Y a-t-il un peu de fausse modestie dans ces derniers propos? On serait
tenté de le croire quand on lit le contenu de cette relation. L'auteur y
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
235
décrit la maladie et son anamnèse sur 12 pages, en affichant un aplomb
certain. Elle donne son propre avis sur les symptômes et ne se prive pas
de critiquer sévèrement plusieurs médecins, dont le jugement ou la
thérapeutique lui semblent erronés.
LA PUDEUR ET LES MOTS
Si certains médiateurs paraissent portés par une sorte de «fibrehumanitaire», le rôle de médiateur assumé par le marquis d'Albarey en faveur
de la comtesse de Mouroux paraît à première vue assez mystérieux* :
après avoir consulté Tissot à trois reprises pour les maux de cette aristocrate, celui-ci reprend à nouveau la plume, écrivant, en introduction à
sa lettre :
C'est encore de ma main qu'elle veut se servir, Monsieur, pour vous instruire
[de] ses incomodités [ .. .1. Çongez, Monsieur, que vous &es son dieu, et que sa
reconnoissance sera sans égale, ainsi que celle de celui qui a l'honneur d'étre
l'interpréte de ses sentirnens...
Pourquoi donc la comtesse de Mouroux choisit-elle, pour la quatrième
fois, de s'adresser à Tissot par le biais du marquis? Peut-être par pudeur.
Il est frappant de relever que la seule lettre dans laquelle elle prend la
parole concerne, non pas ses propres maux, mais ceux d'un autre patient74.Voici ce qu'elle note, au début du document :
Reconnoitrés-vousencor les caractérre de la personne qui depuisbien longtems
n'a plus eut le bonheur de vous écrire pour elle-même?Oui, c'est bien vrai que
tr&ssouvent, l'on a pas le courage de faire pour soi ce que l'on fait avec facillitée
pour les autres, surtout lorsqu'il s'agit de rendre service aux personne qui
souffres [sic]...
I
C'est parfois la gène de parler de soi, voire même une réticence à admettre certains aspects de son passé, qui pousse des malades à se faire
représenter par un médiateur. Ainsi Monsieur Ducassé, avocat à Toulouse, consulte-t-il Tissot pour un de ses amis, qui, écrit-il, «a preferé de
se servir de moi pour vous exposer son triste etat sur lequel il vous prie
de lui donner votre secours»75.Une telle décision renvoie sans doute au
contenu de la lettre, qui dévoile des éléments particulièrement intimes
de la vie du patient. Il eut en effet «le malheur de se livrer à la masturbation», une pratique qu'il sait fortement décriée par Tissot, ayant lu son
ouvrage sur l'onanisme. L'auteur fait un récit long et détaillé des maux,
décrivant avec précision l'hygiène alimentaire du malade et son mode
de vie en général. On apprend notamment que ce dernier ne prend pas
de dessert, «s'etant apercu que cella lui causoit un peu d'acretém, mais il
a «été obligé d'ajouter le dejeuner, la nature lui demandant ce secours*.
Bien qu'il boive peu, il est gêné par de fréquentes mictions, qui le réveil-
lent la nuit, et au cours desquelles il n'évacue qu'une petite quantité
d'urine. Au début de la maladie, celles-ci «etoient acres et plus jaunes»;
depuis trois ou quatre ans, elles sont plus «citronées».L'auteur dresse
un portrait très complet de son ami : il a maigri, sa peau a l'apparence
ridée et sèche, conservant toutefois ~assésla couleur de chair». Suit
l'énumération des çympti~meset des traitements mis en oeuvre. La
quantité impressionnante d'informations, parfois très intimes, contenues
dans cette lettre autorise à faire une supposition :et si Monsieur Ducassé,
qui prétend être une connaissance du malade, était en réalité le patient
dont il est question dans ce mémoire?Cette médiation pourrait-elle n'être
qu'un artifice pour dissimuler un aveu trop difficile à articuler? On pourrait se poser la même question au sujet d'une autre consultation, rédigée
par un auteur qui se présente lui aussi comme un proche du malade76.Elle
concerne un homme de 52 ans,marié depuis peu à une femme beaucoup
plus jeune, mais n'ayant jamais pu consommer son union en raison de
son impuissance; bizarrement, le médiateur auteur protège non seulement l'identité du patient mais également la sienne, préférant ne pas
signer sa lettre afin de conserver l'anonymat, et priant Tissot d'adresser
sa réponse à un médiateur relais, le pasteur Peschier de Genève.
La confidentialité des données est une préoccupation importante
pour certains consultants, et le chercheur a parfois l'impression de
violer la vie privée des gens, notamment à la lecture de la lettre de Monsieur G e r b a ~ tC'est
~ ~ . sous ce nom d'emprunt que ce malade, souffrant
lui aussi d'impuissance, a consulté le médecin lausannois à différentes
reprises, avant de révéler sa véritable identité. Il s'explique sur les
raisons de cette mise au point tardive :
I
j'ay pensé qu'il etoit utile que vous gardassiés les consultations et les noms pour
vous rappeller les differents etats de la maladie, les effets des remedes que vous
appliqués, et pour en tirer des lumiéres utiles à vos malades, et pour en composer ces instructions savantes dont vous avés generalisé les fruits par l'impression; or, ces lettres restant à coté des noms pourroient, au cas de votre mort,
livrer, au hasard de ce que deviendroient vos papiers, des secrets qu'on n'auroit
voulu confier qu'à vous. Moi-même, je ne desirerés pas que, dans la suitte, on
trouvat dans mes consultations la declaration d'avoir eté libertin. On doit aux
moeurs ce respect de ne jamais se livrer à l'opinion publique avec des deffauts
qui les blessent. Je vous propose donc d'effacer mon nom de la premiere consultation que je vous laissay vers la fin de juin 1770 et d'y ecrire le nom de Gerbaut.
Je ne connois personne qui le porte, et dans la suitte, si j'ay l'honneur de vous
ecrire,je vous le rappelleray pour eviter votre embarras.
Dans ce cas, les difficultés de l'historien sont aussi d'ordre méthodologique car il s'avère que l'identité alibi de Monsieur Gerbaut dissimule
également un titre de noblesse, puisque le patient en question est en
réalité un marquis. Voila qui montre à quel point l'identification des
malades ou de leurs médiateurs est complexe.
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
237
Il existe un autre type de médiation, que l'on pourrait qualifier de virtuel. En effet,plusieurs malades rédigeant eux-mêmes le récit de leurs
maux se désignent par la troisième personne du singulier, comme s'ils
racontaient l'histoire de quelqu'un d'autre. Parmi eux le curé Forget,
qui semble vouloir prendre une posture extérieure, ou plus objectivante
si l'on peut dire, pour exposer son anamnèse et ses symptômes, principalement une faiblesse des bras ainsi que des difficultés de mouvement78:«On demande à Monsieur Tissot le remede à l'incommodité cidessus et le regime que le sujet doit observer»,écrit-il en guise de requête
à l'intention du médecin lausannois. Ce n'est que dans les dernières
lignes de son mémoire, manifestement ajoutées dans un deuxième
temps, qu'il réintègre sa subjectivitépour présenter ce qui lui paraît être
une cause possible de ses maux :
J'oubliois d'obsemer que j'ai presque toujours porté sur la peau, été et hiver,
une chemise de laine. Il y a cinq ans que je la quittai pendant deux 6tés de suitte;
et c'est à la suitte de ce second été que l'incommodité s'est déclarée. Ja' i repris
depuis, ces sortes de chemises. Reste P scavoir si c'est à i'interruption des deux
étés que je dois attribuer mon incommodité.
Quant à la comtesse de Champagne, qui elle aussi retrace son long parcours thérapeutique en parlant d'elle-même comme d'une tierce personne, elle formule néanmoins ses attentes à l'égard de Tissot avec un
ton plus personnel, en employant le «Je»:
Je vous demande en grace, si vous jugés pouvoir me traiter, de me faire venir à
Lauzanne; si vous jugés que je puisse essayer quelque regime icy sans me voir,
j'y resteray; je vous demande seulement de me traiter, parce que, si mes maux
alloient en augmentant,je ne pourrois pas y resister bien 10ngtems.~~
I
Ce genre de documents mériterait une analyse plus approfondie, portant notamment sur les modalités de l'écriture de sois0,mais l'objectif de
cet article est avant tout de souligner la diversité des médiations dans la
consultationépistolaire et de tenter d'en comprendre la raison. Et au risque de survoler de bien trop loin de nombreux aspects essentiels de la
question, je me contenterai, en guise de conclusion, de revenir sur quelques points importants.
CONCLUSION
Reprenons la question, exposée en introduction, qui sous-tend cette investigation :de l'émergence d'un problème de santé au recours à la consultation écrite, quelles sont les différentes phases déterminantes et de
quelle facon sont-elles menées à bien? S'il apparaît que la participation
de médiateurs est relativement fréquente, il ressort également qu'un
l
nombre substantiel de patients, trop important pour être ramené à une
portion congrue et exceptionnelle, se passent des services de quiconque
pour présenter leur demande de soins et faire le récit de leurs maux.
Cette absence d'interventions extérieures doit certes être nuancée car
toutes ne sont pas visibles d m les documents, et il se peut qu'un intermédiaire agisse sans laisser de traces patentes pour l'historien, notamment en exhortant un malade à consulter mais en lui laissant faire
lui-même le pas auprès du médecin. Quoiqu'il en soit, les faits démontrent qu'il n'y a pas de règle unique et incontournable qui ordonnerait
de se faire recommander ou patronner par une tierce personne pour
s'adresser au soignant. Mais quelles sont dès lors les normes qui codifient la relation thérapeutique épistolaire?
Il faut d'abord se faire connaître, étape assumée par le patient
lui-même ou par des médiateurs, dont le rôle est moins d'appuyer une
requête que de situer la personne souffrante à l'intérieur d'un réseau social qui en dise plus long sur son identité. Si patronage il y a, il fonctionne avant tout comme un processus d'identification, préparant la
rencontre entre le thérapeute et son client dans le cadre d'une sorte de
pacte de guérison.
La présentation du malade faite, il s'agit de décrire les maux dont il se
plaint. On aborde ici la question du discours sur la maladie, dont l'objectif est de fournir un tableau pathologique le plus exact possible. Il
s'avère que cette tâche de mise en mots ne revient pas nécessairement à
un soignant. On est frappé, à la lecture du Fonds Tissot, par la relative
aisance avec laquelle les malades ou les médiateurs laïques s'expriment. Je ne prétends pas que faire le récit des maux soit un exercice
simple; beaucoup d'auteurs font de l'autocritique ou manifestent une
certaine inquiétude à l'idée de ne pas avoir été assez complet, assez
précis. Reste que le vocabulaire de la santé ne leur apparaît pas comme
une langue étrangère, qu'ils n'oseraient prononcer de peur de commettre de grossières erreurs. Ils ne s'autorisent pas uniquement à parler de
symptômes-ces sensations intimes que l'oeil, la main ou tout autre
des cinq sens du médecin ne peut pas véritablement saisir et que ses
mots risqueraient de mal traduire -ils font aussi parfois des propositions de diagnostic et de traitement, ou se permettent de juger la pratique de soignants. On l'a dit, la médecine du XVIIIe siècle, encore
dépourvue d'un jargon excessivement spécialisé, ne constituait pas un
territoire totalement inconnu ou infranchissable pour les personnes appartenant à l'élite socioculturelle. Car c'est bien des couches supérieures
de la société, assez à l'aise financièrement et au bénéfice d'une certaine
instruction, dont proviennent les auteurs qui s'adressent à Tissot. Il en
va d'ailleurs de même pour la plupart des malades. Rares sont effet les
cas où l'on peut dire que la médiation sert réellement de passerelle so-
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
I
239
ciale pour un patient analphabète ou désargenté. Parmi les quelques
pauvres que l'on rencontre au détour d'une lettre, plusieurs jouissaient
d'une bonne situation avant de faire faillite ou de tout perdre lors de la
Révolution. En définitive, peu de médiateurs assument réellement un
rôle de patron ou de protecteur, à l'exception peut-être du Dr Bergue?'.
Installé à Morges, non loin du chef-lieu vaudois, ce médecin sollicite
deux fois les conseils de son illustre confrère au nom de patients de condition modeste, comme si ici la proximité géographique entre le soignant et le soigné permettait une plus grande distance sociale. On ignore toutefois s'il a été mandaté pour le faire ou s'il en prend lui-même
l'initiative.
En effet, et c'est un point sur lequel il convient d'insister, il est essentiel de ne pas partir du principe que toute démarche de consultation
émane forcément et uniquement du patient, et que toute forme de
médiation est une prestation qu'il mobilise de lui-même, dans le but
d'obtenir les secours d'un médecin. Il importe au contraire de considérer l'impact de la maladie sur la communauté, et les enjeux ou négociations qui y sont liés. Si certains médiateurs servent effectivement les
intérêts du malade, d'autres se servent de ce dernier pour des motifs
personnels. Songeons notamment aux soignants consultants qui désirent aussi ou surtout se placer dans le cercle des correspondants de
Tissot. Quant aux proches, ils ont souvent leur propre demande à exprimer à côté de celle du patient: ils attendent d'être rassurés, déchargés,
voire même déculpabilisés peut-être. Ou alors ils ont besoin qu'on leur
donne raison face au malade, qui refuse de se soigner correctement ou
qui ne se considère pas comme souffrant. Prendre en compte les attentes
de l'entourage face au soignant permet de mieux comprendre l'importance de la médiation laïque, en particulier familiale, tandis que la
présence de médiateurs ecclésiastiques s'explique davantage par le rôle
de relais de soins traditionnellement dévolu aux représentants de
l'Eglise.
En définitive, une étude des médiations dans la consultation épistolaire souligne à quel point la maladie, désordre corporel affectant un
individu, implique également des perturbations dans la collectivité sociale, du moins dans l'environnement immédiat. L'importance de la
médiation laïque en témoigne. On aurait pu pousser l'analyse plus loin,
en tentant d'isoler d'autres variables susceptibles d'interpréter l'existence ou la nature d'une médiation. Le genre a-t-il une influence? Une
femme serait-elle moins ou davantage portée qu'un homme à exposer
elle-même l'objet de sa consultation? Une patiente aurait-elle plus tendance à choisir un auteur du même sexe pour relater ses suites de
couches ou les troubles liés à ses menstrues? Dans une famille, qui
prend le plus souvent la parole pour consulter en faveur d'un malade
silencieux, les hommes ou les mères, soeurs et épouses? Ces quelques
questions, de loin pas exhaustives, suffisent à montrer la multitude des
pistes de réflexion qui s'ouvrent dès que l'on aborde la question de la
médiation. Elles seront sans doute matière à d'autres publications, l'objectif de cet article étant surtout de proposer une autre lecture des consultations épistolaires, en s'attachant moins à leur contenu médical,
certes très intéressant, qu'aux indices qu'elles fournissent pour une
compréhension des subtilités de la communication médecin-malade,
une relation qui, répétons-le, se conjugue rarement sur un mode strictement dual. Outre les deux protagonistes principaux, d'autres personnes
sont concernées, qui agissent parfois en arrière-plan ou de manière plus
directe. C'est là sans doute une réalité universelle, qui transcende les
aires historiques ou culturelles, et dont la pertinence ne se limite pas au
XVIIIe siècle.
1 Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne (BCUL), Département des manu-
scrits, Fonds Tissot (ET),IS3784/11/144.04.08.08. Le fonds Tissot contient, outre des
écrits du médecin lausannois, plus d'un millier de documents qui sont autant de
demandes de soins pour des malades. Micheiine Louis-Courvoisier et moi-même
avons constitué, grâce à un subside de recherche du FNRS (requête no 11-56771.99),
une base de données qualitative susceptible de classer et de traiter ces archives en
fonction d'une soixantaine de crithes. Ce travail, effectué sous la direction du Prof.
Vincent Barras dans le cadre de l'institut universitaire lausannois d'histoire de la
médecine et de la santé publique, permettra de valoriser le contenu de ces archives
uniques en leur genre et de les rendre plus facilement accessiblesaux chercheurs.
2 Sur la consultation épistolaire, voir notamment Dorothy Porter et Roy Porter, Patient's
Progress : Doctors and Doctoring in Eighteenth-Centuy England (Cambridge: Polity
Press, 1989), p. 76-81; Imine Loudon, Medical Cure and the General Practitioner, 17501850 (Oxford : Clarendon Press, 1986);Guenter B. Risse, ~CullenasClinician: Organisation and Strategis of an Eighteenth-CenturyMedical Practicep, dans A. Doig, J. P. S.
Ferguson, 1. A. Milne et R. Passmore, dir., William Cullen and the Eighteenth-Centuy
Medical World (Ediiburgh : Ediiburgh University Press, 1993); Laurence Brockliss,
«TheMedical Practice of Etienne-FrançoisGeoffroy»,dans Ann La Berge et Mordechai
Feingold, dir., French Medical Culture in the Nineteenth Centuy (Amsterdamet Atlanta:
Rodopi, 1994),p. 79-117; Laurence Brockliss, «Les membres du corps médical comme
correspondants: les medecins francophones et la République des Lettres du XVIIP
siècle», dans Vincent Barras et Micheiine Louis-Courvoisier, du., La médecine des
Lumières. Tout autour de Tissot (Genève :Georg Bibliothèque d'Histoire des Sciences, à
paraître); Wayne Wild, «Doctor-PatientCorrespondance in 18thÇentury Britain: A
Change in R6etoric and Relationship,,, paper presented at the ASECS meetings at
Notre Dame, avril 1998; Michael Stolberg, «"Mein aeskulapischesOrakel!", Patientenkiefe als Quelle einer Kulturgeschichte aer ~ r a n k h e i t s e r f ~ hirn
m 18.
~ Jahrhundert,,,
Osterreichische Zeitschrift frir Geschichtswissenschaften, 7 (1996): 385-404; Joan Lane,
«"The Doctor Scolds Me" :The Diaries and Correspondanceof Patients in EighteenthCentury England», dans Roy Porter, du., Patients and Practitioners : Lay Perceptions of
Medicine in Pre-industrial Society (Cambridge: Cambridge University Press, 1985),
p. 205-248; et Elborg Foster, «From the Patient's Point of View : Illness and Health in
the Letters of Liselotte von der Pfalz (1652-1722)»,Bulletinof the Histoy ofMedicine, 60
(1986):297-320.
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultationépistolaire
I
241
3 La question de l'importance de l'examen physique dans l'établissementdu diagnostic
au XVIIP siècle reste à élucider. Il serait peut-être réducteur d ' a f f i e r que cette
procédure était toujours marginale et subsidiaire, un argument néanmoinsdéfendu
par certains auteurs. Voir notamment Roy Porter et William F. Bynum, du., Medicine
~e
Press, 1993).Nombre de conand the Five Senses (Cambridge: ~ a m b r i d University
sultations épistolaires contenues dans le Fonds Tîsot font état de diverses observations relevant d'une pratique médicale clinique, notamment des palpations et différentes sortes de toucher effectués par des médecins ou des chirurgiens.Concernant
la genèse de l'anatomo-clinique, voir notamment Othmar Keel, «La problématique
institutionnelle de la clinique en France et à l'étranger de la fin du XVIIP siècle à la
période de la Restauration»,Bulletin canadien d'histoire de la médecine, 2-3 (1985-1986):
183-204 et 1-30; et Othrnar Keel, «Was Anatomical and Tissue Pathology a Product of
the Paris ClinicalSchool or Not?»,dans CarolineHannaway et Ann La Berge, du., Constructing Paris Medicine (Amsterdamet Atlanta :Rodopi, 1995),p. 117-184.
4 La correspondance médicale du Dr Tissot a déjà fait l'objet de plusieurs études, voir
notamment Stolberg, «"Mein aeskulapisches Orakel",; Frédéric Sardet, «Consulter
Tissot :hypothèses de lecture., dans Barras et Louisçourvoisier, du., La médecine des
Lumières; Vincent Barras et Philip Rieder, «L'écriture de la maladie au XVIIP siècle,,
dans Barras et Louis-Courvoisier, dir., La médecine des Lumières; Daniel Teysseire,
«Mort du roi et troubles féminins:le premier valet de chambre de Louis XV consulte
Tissot pour sa jeune femme (mai 1776)»,dans Helrnut Holzhey et Urs Boschung, du.,
Santé et maladie au XVIlF siècle (Amsterdam et Atlanta: Rodopi, 1995).p. 49-56; Daniel
Teysseire, «Le réseau européen des consultants d'un méd& des ~ k è r e sTîsot
:
(1728-1797)»,dans Dzfiion du savoir et affrontement des idées 160û-1770 (Montbrison:
Association du Centre culturel de la v u e de Montbrisson, 1993),p. 253-267; et Daniel
Teysseire, Obèse et impuissant: le dossier médical d'Elie de Beaumont (1765-1776)(Grenoble :Millon, 1995).
5 Les ouvrages les plus connus du Dr Tissot sont, dans l'ordre de parution :L'inoculation
justifiée, avec un essai sur la mue de la voix (Lausanne: Bousquet, 1754);L'onanisme
(Lausanne:Grasset, 1760);L'Avisau peuple sur sa santé (Lausanne:Grasset, 1761);Dela
santé des gens de lettres (Lausanne: Grasset, 1768);Essai sur les maladies des gens du
monde (Lausanne: Grasset, 1770);et Traité des ne$ et de leur. maladies (Lausanne:
Chapuis, 1778-1780).
6 Voir notamment Roy Porter, «The Patient's View : Doing Medical History from Bel o ~ »Theoy
,
and Society, 14 (1985): 175-198; Porter, du., Patients and Practitioners; et
Gunnar Stoilberg, «Health and Illness in Gerrnan Workers' Autobiographiesfrom the
Nineteenth and Early Ttventieth Centuries»,The Societyjbr the Social Histoy of Medicine, 6 / 2 (1993):261-276. En ce qui concerne en particulier les études portant sur les
correspondances médicales, voir notamment Foster, «From the Patient's Point of
Viewm; Stolberg, «"Mein aeskulapisches Orakel",; et Lane, «"The Doctor Scolds
Me"».
7 BCUL, FT,IS3784/11/144.02.06.23.,s.d.,entre 1750 et 1797.
8 Publié pour la première fois en 1761, L'Avis au peuple sur sa santé devait être réédité à
de nombreuses reprises et traduit en plusieurs langues. Voir notamment S. A. A. D.
Tissot, L'Avis au peuple sur sa santé, dirigé par Daniel Teysseire et CorinneVerry-Jolivet
(Paris:QuaiVoltaire, 1993);et Daniel Teysseire, Claire Berche et Alain Nafylian, du., La
médecine du peuple de Tissot à Raspail (1750-1850) (Créteil: Conseil général du Val de
Marne, Archives départementales,1995).
9 Sur le rôle des pasteurs comme relais de soins, voir notamment Micheline LouisCourvoisier, Soigner et consoler la vie quotidienne dans un hôpital It la fin de l'Ancien
Régime, Genève 1750-1820 (Genève :Georg, 2000);Micheline Louis-Courvoisier, «Rhabilïeurs, experts, chirurgiens, sages-femmes et pasteurs :h s malades et leurs saignants
en Suisseromande au XVIIP siècle»,dans Barras et Louis-Courvoisier,dir., La médecine
des Lumières.
10 Tissot,L'Avis au peuple sur sa santé, p. 50-52.
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SÉVERINEPILLOUD
BCUL, Fï, IS3784/11/144.03.06.35;3avril 1785.
BCUL, FT, IS3784/II/144.04.05.18;s.d., entre 1750et 1797.
BCUL, FT, IS3784/11/144.02.05.16;23novembre 1774.
On l'a dit, la consultation epistolaire induit nécessairement une forme de médiation
par le simple fait qu'il n'y a pas de face-à-face direct entre le médecin et son patient,
mais un rapport qui se noue sur la base d'un support écrit. La médiation de l'observation, telie qu'on i'entend ici, est toutefois différentede celle-ci; eiie se situe au moment
de l'élaboration du ~ & i tdes maux, auquel on incorpore parfois des témoignages
extérieurs.
On parlera de dossier médical quand on possède, ouire l'éventuelle missive d'introduction dont il sera question dans les pages suivantes,plus d'une consultation épistolaire pour un même patient. 138des malades de Tisot disposentd'un tel dossier.
BCUL, FT, IS37&4/II/144.03.02.26-14403.02.29;
entre le 10 avril 1780 et le 27 juillet
1780.
BCUL,FT, IS3784/II/144.02.04.26;14mai 1774.
BCUL, FT, IS3784/II/144.02.02.08;s.d.,1773.
BCUL, FT, 1!33784/11/144.04.04.19;s.d., entre 1750et 1797.
BCUL, FT, IS3784/II/l44.02.W.l9;28juin 1776.
BCUL, F
i', IS3784/11/144.05.04.18;16février 1792.
BCUL, Fï,IS3784/II/144.01.07.15;16avril 1772.
BCUL, FT, IS3784/II/144.02.07.06;21mars 1776.
BCUL,FT, IS3784/11/144.05.01.37;24mars 1790.
BCUL, FI;IS3784/II/144.01.03.07;27mai 1768.
BCUL,Fï,IS3784/II/144.01.05.0l;s.d.,
1770.
Brockliss, «TheMedicalPracticeof Etieme-FrançoisGeoffroy».
Au sujet du savoir laïque en matisre de santé et de médecine, voir Roy Porter, «Laymen, Doctors and MedicalKnowledge in the Eighteenth C e n t q :The Evidence of the
Gentleman's Magazinen, dans Porter, du., Patients and Practitioners, p. 283-412;Andrew Wear, «Interfaces:Perceptionsof Health and Illness in Early Modem England»,
dans Roy Porter and Andrew Wear, du., Problems and Methods in the Histonj of Medicine (London : Croom Helrn, 1987),p. 230-255;et Matthew Ramsey, «The Popularization of Medicine in France, 1650-1900»,dans Roy Porter, du., The Popularization of
Medicine 1650-1850(London: Routledge, 1992),p.97-131.
Le terme de professionnel est à employer avec précaution en ce qui concerne la pratique médicale au XVIIP siècle. La catégoriedes soignants était relativementcomplexe
et hétérogène, et l'on pouvait trouver une grande variété de statuts dans les seules
fonctions de médecin et de chirurgien, une diversité qui s'accroît encore si l'on prend
en considération d'autres praticiens, plus ou moins légitimés dans leur activité,
comme les empiriques ou les rhabilleurs par exemple. Voir notamment LouisCowoisier, «Rhabilieurs, experts, chirurgiens».De plus, l'acception de la notion de
professionnalisation diffère selon les auteurs. Matthew Ramsey l'associe ?t l'organisation de l'activité, tandis qu'bine Loudon retient comme principal critère une formation achevée et reconnue par un examen (Matthew Ramsey, Profeççional and Popular
Medicine in France, 1770-1830:The Social World of Medical Practlce [Cambridge: Cambridge University Press, 19881,p. 5;et Irvine Loudon, «MedicalEducation and Medical Reform*, dans Vivian Nutton et Roy Porter, dir.,The History of Medical Education in
Britain [Amsterdam et Atlanta: Rodopi, 19951,p. 233).Dans cet article, le terme de
«professionnel»sera employé pour désigner les soignants reconnus socialement, en
particulier les médecins et les chirurgiens, que l'on distingue des «laïcs», compris
comme les personnes n'exerçant pas de pratique médicale régulière, et ne pouvant se
prévaloir d'un savoir théorique en matière de diagnostic ou de traitement. Cela dit,
comme j'essaierai de le montrer au cours de mon étude, les laïcs, du moins les membres de l'élite sociale, possédaient souvent certaines connaissances médicales, ce qui
les autorisait parfois à parler de la maladie et de la santé, voire même à proposer leurs
propres interprétations au sujet d'une pathologie.
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
l
243
30 Au stade actuel de notre recherche, Micheline Louis-Courvoisier et moi-même avons
dépouillé 1085 documents. Une trentaine d'entre eux ne sont pas des consultations
épistolaires (comptes-rendusd'ouverture cadavérique, lettres relatives à d'autres objëts :expérimentâtionsscientifiques, payement d'honoraires, mondanités, etc.). il faut
aussi exclure les «consultations médicales» établies par des soignants comme des
sortes de rapports d'expertise sur un cas; ces pièces (une cinquantaine au total) ne contiennent ni question ni requête. Selon toute évidence, elles n'étaient pas originairement destinées à Tissot mais ont été versées au dossier d'un patient par la suite, pour
aider le médecin lausannois à fonder un diagnosticou à proposer un traitement. Elles
ne peuvent donc pas être considéréescomme des demandes de soins, sans quoi on introduirait un biais qui nous empêcherait de comprendre comment les malades ou
leurs médiateurs sollicitaientles conseils de Tiisot. Nous disposons donc au total de
1007 consultations épistolaires (mémoires ou lettres), pour 672 malades différents;
nous avons en effet plusieurs documents relatifs à certains patients. Si l'on considare
uniquement les premiers documents présentant chacun de nos malades (sans distinguer les missives d'introduction des consultations proprement dites, une distinc~
tion que j'ai faite dans un second temps; cf. pages suivantes), on constate que 40%des
patients écrivent en leur nom (employant la premiere personne du singulier pour se
désigner et signant généralement leur lettre). ils sont les narrateurs de leurs maux,
tandis que dans 60% des cas, c'est un médiateur auteur qui rédige la premiere consultation. il faut toutefois noter que 5,4% des malades mentionnent une correspondance
antérieure, dont nous avons pas retrouvé la trace; il est donc possible que leur premier
courrier ait été &di& par une tierce personne.
31 Nous avons tenté de mieux cerner la position socioculturelle des patients de Tissot au
moyen de certains indicateurs : titre de noblesse, formation, activités professionnelles
ou fonction, niveau de fortune, lieu de résidence, etc. Nous avons également pris en
considération toutes les mentions relatives à i'état civil ou à la confession. I1 s'avere
toutefois que nous disposons de très peu de données concernant cette série de variables, comme si les auteurs des consultationsne trouvaient pas nécessaire de signaler ce
genre d'éléments, à moins que Tissot en ait déjà été informé par d'autres biais. Il faudrait sans doute consulter d'autres souices vour effectuer une véritable étude sociologique des malades du praticien suisse, un travail qui a été partiellement entrepris par
Daniel Teysseire. Voir Teysseire, «Le réseau européen des consultants d'un médecin
des Lumières».
32 Les auteurs soignants sont repérablespar leur nom et/ou par leur titre, qu'ils mentionnent fréquemment.Il arrive aussi que leur identitéreste vame, mais on reconnaît relativemeni aisément une consultati6n rédigée par un p r o f e s ~ o ~en
e lprêtant attention
à la forme et au contenu du discours.
33 BCUL, FT,IS3784/11/144.02.05.20;8aoat 1774.
34 Charles Eynard, Essai sur la vie de Tissot (Lausanne:M . Ducloux, 1839),p. 324 et sq.; et
Henri Perrochon, «Servan et ses amis de Lausanne*, dans Esquisses et découvertes
(Geneve:Perret-Gentil, 1971),p. 39-59.
35 BCUL, FT,1S3784/11/144.02.04.14;10 mai 1774.
36 BCUL, FT, 1S37&/11/144.01.09.14;20 octobre 1773.
37 Répétons que nous prenons ici en considération uniquement les missives d'introduction, qui servent B présenter un certain nombre de consultations (20%des demandes
de soi& sont ainsi précédées d'un tel document). Nous avons vu que dans 64% des
cas, ces missives d'introduction sont rédigées par un médiateur, ce qui siguhe que
dans les 36%des cas restants, ce sont les malades eux-mêmes qui composent leur missive d'introduction.
38 NUL, FT,IS3784/II/144.05.01.05et 144.05.01.07;décembre 1789et 19janvier 1790.
39 BCUL, FT, IS37&/11/144.05.04.28;17 février 1792.
40 BCUL,FT,IS3784/11/144.04.02.26;5novembre 1791.
41 Gianna Pomata, Contracting a Cure, Patients, Healers and the Law in Early Modern Bologna (Baltimore :Harvard UniversityPress, 1998).
244
SÉVERINE PILLOUD
42 ii est à noter que plusieurs consultations restent extrêmement silencieuses en ce qui
concerne l'identité du malade ou des médiateurs qui le représentent. On peut supposer que ce genre de documents étaient accompagnés d'une missive d'introduction
dont on aurait perdu la trace, ou bien qu'ils étaient remis en mains propres à Tissot,
avec de plus amples informations fournies oralement. On sait que certains patients
ayant obtenu une consultation physique chez un médecin, s'y rendaient munis de leur
mémoire, dont ils se servaicnt en quelque sorte comme aide-mémoire pour rendre
compte de l'histoire de leur idadie. C'est notamment le cas de la comtesse Rove de
Pica, qui a sollicitéles conseils de Tissot lorsque celui-ci se trouvait à Pavie, lui faisant
le récit de ses maux en lisant le mémoire qu'elle avait rédigé (BCUL, Fï, IS3784/
II/144.03.03.19; 17aoat 1783).
43 Au sujet des frais de consultation,Monsieur Babinet semble vouloir rassurer Tissot sur
sa probité; il écrit: uJe n'ay point chargé la poste de l'honoraire, je seray exact à l'anVoyer aussitost que vous aurés eu la bonté de le fixer. J'exerce une profession dans
cette v u e trop honorable pour y manquer* (BCUL, FT,IS3784/11/149.01.03.06; s.d.,
entre 1750et 1797).
44 Précisons que ces pourcentages concernent cette fois exclusivement les récits des
maux, soit l'exposé des symptômes et/ou l'histoire de la maladie, A ne pas confondre
avec les missives d'introduction, étudiées plus haut.
45 BCUL, FT,IS3784/II/144.02.05.16;23novembre 1774.
46 Les rnédiatem iaiques qui rédigent le récit des maux servant de base à la consultation
représentent au moins 16% des médiateurs auteurs; ce chiffre devrait probablement
être revu à la hausse, étant donné que 20% des auteurs médiateurs n'ont pas pu être
identifiéset qu'il se trouve sansdoute des iaics parmi eux.
47 BCUL, Fï, iS3784/II/144.02.04.29;27juillet 1774.
48 BCUL, Fï, IS3784/I1/144.02.05.10;8septembre 1774.
49 BCUL, FI;IS3784/11/144.05.02.35-144.05.02.36;26avril 1790.
50 Précisons que nous traitons toujours ici des documents indiquant clairement que le
médiateur a étémdaté pour rédiger la premiere consultationàTissot.
51 BCUL, FT,IS3784/II/144.01.07.14;8octobre 1772.
52 BCUL, FI;IS3784/II/l44.02.05.07;27juillet 1774.
!3 BCUL.Fï, iS3784/II/144.03.04.13;14
février 1784.
54 ~ a ~ ~ que
k olesAchiffres indiqués ici concernent -.quement
le récit des maux, soit
la consultation vrovrement dite, que nous avons distinguée de la missive d'introducpar un médiation. Nous avons v; plus haut que58% de ces rédactionssont
teur auteur, ce qui signifie que dans 42% des cas, c'est le malade lui-même qui se
trouve dans la position de narrateur.
55 BCUL, Fï, IS3784/II/l44.O2.O5.26;13juin 1774.
56 Les autres informations requises par Tissot pour pouvoir juger de l'état d'un malade
qu'il ne peut pas examiner directement concernent les éventuelles maladies antérieures, la durée des maux qui font l'objet de la consultation et la nature des premiers
symptdmes. Le médecin cherche également à savoir si le malade conserve ses forces,
s'il reste alité, si son état varie au cours de la iournée, s'il est inquiet ou tranquille,s'il a
chaud ou froid. Il interroee
" sur la localisation des douleurs, les sensations buccales,
l'appétit, la fréquence des selles et des mictions, la qualité du sommeil et de la respiration. Il demande encore si le malade sue ou crache, et se renseigne enfin sur les traitements et le régime suivis jusqu'ici, ainsi que leurs effets. ~issotajoutede plus à cette
liste une série de questions spécifiquesaux maladies des femmes (données relatives à
la menstruation, aux grossesses, aux accouchements, etc.) et à celles des enfants (il
désire notamment connaître leur âge exact, l'état de leur dentition, et demande s'ils
rendent des vers ou s'ils ont déjà eu la petite vérole). Certaines affections nécessitent
quelques éclaircissements supplémentaires,comme I'esquinancieou les maux de poitrine (Tissot,L'Avis au peuple sur sa santé, p. 392-394).
57 BCUL, Fï, I~784/11/144.02.08.13;mars1775.
Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
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58 BCUL, FT,IS3784/II/144.01.03.15-144.01.03.19;entrele 10 décembre 1767etle lerseptembre 1768.
le 5 mai 1785et le 23 juin 1785.
59 BCUL, ET, I537~/II/144.03.06.13-144.03.06.17;entre
144.05.02.17;entre le 24
60 BCUL, ET, IS3784/II/144.01.09.04-144.O1109.O7,144.02.06.17et
janvier 1772et le 10mai 1790.
61 BCUL, Fï, IS3784/II/144.01.07.20-144.01.07.25;entrele 19mai 1772et octobre 1772.
62 BCUL, Fï,I53784/11/144.03.02.05-03.02.15;entreaofit 1781et le 21 mars 1784.
63 BCUL, ET, IS3784/II/144.03.05.09-144.03.05.20;entrele 12 novembre 1784 et le 9 juin
1785.
64 D'une façon générale, c'est quand le malade ou un membre de sa famille est auteur de
la lettre ou du mémoire que l'on dispose de plus d'informations sur lui, sur son état
civil, sa profession, etc.; les dossiers à consultationsmultiples, qui donnent enparticut
lier à voir l'impact de la maladie sur la communauté,nous en a p p r e ~ e naussidavantage sur l'entouragedu patient.
65 BCUL, FT, IS3784/11/143.33;26 septembre 1782.
66 BCUL, Fï,153784/II/144.03.04.25;le'octobre 1784.
67 BCUL, Fï, 153784/II/l44.03.06.08;30mars 1785.
68 BCUL, Fï, 1537&4/1I/144.05.01.18;14décembre 1789.
69 BCUL, FT,IS3784/11/144.01.08.06; 25 février 1772.
70 BCUL, FT, 153784/11/144.05.01.30;5aofit 1790.
71 BCUL, FT,153784/1I/l44.01.09.11;3aoGt 1773.
72 BCUL, Fï, I53784/II/149.01.03.09-149.01.03.10;29 décembre 1774et 31janvier 1775.
73 BCUL, FT, IS3784/11/144.03.03.13 et 144.05.02.06-144.05.02.07; entre le 6 septembre
1783et le 21 mars 1790.
74 BCUL, Fï, IS3784/11/144.05.07.27;19 septembre 1793.
75 BCUL, FT,I%784/II/l44.02.04.29;27juillet 1774.
aoGt 1772.
76 BCUL, FT,153784/11/144.01.07.40;16
77 BCUL,FT,IS3784/11/144.04.06.26;s.d.,entre 1750et 1797.
78 BCUL, Fï,153784/II/144.02.04.07;août1774.
79 BCUL, Fï, 153784/11/144.02.01.21;11avrii 1773.
80 L'historien Philip Rieder, chercheur à l'Institut Louis Jeantet d'histoire de la médecine
à Genève, prépare actuellementune thèse qui porte essentiellementsur les représentations et pratiques de santé à partir des écrits privés des malades. Voir aussi Angelica
Baum und Brigitte Schnegg, «"Cette faiblesse originelle de nos nerfs", Inteiiektualitaet und weibliche Konstitution, Julie Bondelis Krankheitsberichte*, dans Helmut
Holzhey et Urs Boschung, dir., Santé et maladie au XVIIP si2cle (Amsterdamet Atlanta :
Rodopi, 1995),31, p. 5-17.
81 BCUL, Fï, IS3784/11/144.02.06.06 et 144.04.05.05; 4 février 1775 et s.d., entre 1750 et
1797.
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