Le Gulf Stream - UNESDOC

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NP
Collection COI Forum Océans
Éditions UNESCO
Le Gulf Stream
Dans la même collection :
El Niño. Réalité et fiction
Les Humeurs de l’océan. Effets sur le climat et les ressources vivantes
Le Changement climatique
En anglais :
Coastal zone space: prelude to conflict?
El Niño. Fact and fiction
The changing ocean. Its effects on climate and living ressources
Understanding the Indian Ocean
Climate change
En espagnol :
El Niño. Realidad y ficción
Los caprichos del océano. Efectos sobre el clima y los recursos vivos
El cambio climático
LeGulf
Stream
Bruno Voituriez
COI Forum Océans
Éditions UNESCO
Les idées et les opinions exprimées dans cette publication
sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement
les vues de l’UNESCO.
Les appellations employées dans cette publication
et la présentation des données qui y figurent
n’impliquent de la part de l’UNESCO aucune prise
de position quant au statut juridique des pays, territoires,
villes ou zones ou de leurs autorités, ni quant au tracé
de leurs frontières ou limites.
Publié en 2006 par l’Organisation des Nations Unies
pour l’éducation, la science et la culture
7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP
Composé par Gérard Prosper
Imprimé par Policrom, Barcelone
ISBN-10 : 92-3-203995-8
ISBN-13 : 978-92-3-203995-8
© UNESCO 2006
Tous droits réservés
Imprimé en Espagne
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
Remerciements
Ce livre est l’aboutissement d’un dialogue fructueux entre Erik
Orsenna de l’Académie française et le Club des Argonautes1.
Le Club des Argonautes, dont j’ai l’honneur de faire partie,
s’est donné comme objectif d’intéresser le public à l’évolution du
climat et à la manière dont il fonctionne.
Erik Orsenna, amoureux de la mer, auteur d’un Portrait
du Gulf Stream, magnifique promenade littéraire à travers les
courants, est venu un jour nous poser des questions sur le Gulf
Stream pour s’assurer de la qualité scientifique de ses écrits.
De ces questions et des réponses qu’il fallut bien lui apporter
est né ce livre.
Merci à Erik Orsenna de nous avoir interrogés.
Merci à mes amis du Club des Argonautes sans lesquels cette
rencontre n’aurait pas eu lieu.
Merci aussi et toute ma gratitude à Annick Radenac, responsable
de la bibliothèque du Centre Ifremer de Nantes, qui m’a fourni
avec une extrême diligence toute la documentation dont j’avais
besoin.
Note
1. Site Internet : www.clubdesargonautes.org
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
Sommaire
Préface
9
Introduction
13
Chapitre 1 Histoire scientifique du Gulf Stream
19
Chapitre 2 Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
39
Chapitre 3 Le Gulf Stream et les climats de la Terre
73
Chapitre 4 Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
Conclusion
Vers une océanographie opérationnelle
149
177
Glossaire
189
Pour en savoir plus
207
Figures
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
81
Préface
Si depuis longtemps les scientifiques se préoccupent du rôle joué
par le Gulf Stream dans l’économie générale du climat planétaire,
le grand public n’a souvent découvert – ou redécouvert – ce puissant courant océanique occidental qu’à la faveur d’un film récent
mettant en scène l’hypothétique – et brutale – survenue d’un âge
glaciaire. À l’instar de son homologue oriental, le Kuroshio, le
Gulf Stream est un flux étroit et puissant d’eaux de surface que
les marins ont fini par considérer comme une « voie rapide » lors
de leurs voyages transocéaniques.
Le présent ouvrage vise à démontrer l’importance de l’océan
(au singulier, et non au pluriel) dans notre vie quotidienne. Car,
si son énorme inertie thermique rend la planète habitable, on n’a
guère conscience d’un fait majeur : s’il n’y avait pas d’océan sur
la Terre, il n’y aurait pas de vie.
La chaleur emmagasinée dans les couches superficielles
de la mer et l’humidité que ces dernières créent par évaporation
entretiennent les mouvements des masses d’air de l’atmosphère.
Si, au-dessus des continents, l’échange de chaleur entre océan et
atmosphère suit un cycle journalier selon les saisons, dans l’océan
même, les mouvements de courants comme le Gulf Stream déplacent des eaux chaudes, depuis leurs sources, vers des destinations
lointaines ; et ce phénomène agit sur le climat de continents situés
à des milliers de kilomètres. Doux et frais, pluvieux ou sec, les
divers climats du monde traduisent l’influence de la dynamique
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Préface
de l’océan. Les prévisions à moyen et long termes concernant
ces propriétés dépendront d’une connaissance approfondie des
caprices des couches supérieures de l’océan.
Mais ce n’est là qu’une description. Les sources sont bien
plus intéressantes et bien plus mystérieuses. Une bonne part des
mouvements de l’océan et de l’atmosphère – les « enveloppes
fluides » de la Terre – sont régis par la géométrie de la planète et
par sa rotation. Supposons une planète simplifiée tournant sur
elle-même, dont les continents se situeraient seulement aux pôles
Nord et Sud ; les eaux de l’océan tropical des latitudes moyennes
tourneraient, sans être entravées par les obstacles des continents,
selon une série de courants parallèles symétriques d’ouest en est et
de contre-courants au nord et au sud de l’équateur. Outre la rotation de la planète, le moteur de ces mouvements serait l’énergie
solaire, qui chauffe l’eau et l’air à l’équateur et les rafraîchit à
proximité des pôles. Tous ces mouvements provoqueraient une
plongée des eaux froides, très salines, à proximité des continents
polaires et donneraient naissance à des vents planétaires, ascendants à l’équateur et descendants vers la surface aux latitudes
plus élevées.
Aujourd’hui, ces forces sont essentiellement les mêmes.
De plus, nous connaissons désormais en détail l’évolution de la
planète, ainsi que l’origine des continents et leur dérive au long
des millénaires. Mais nous ignorons souvent le fonctionnement
d’ensemble, le jeu des gyres dans les bassins océaniques, l’influence
de cet extraordinaire mécanisme d’horlogerie fluide sur l’équilibre
du climat. D’une meilleure connaissance de ces phénomènes,
d’une perception plus fine et plus précise de leur rôle dépendent
aussi notre capacité à anticiper les variations climatiques et, à
plus long terme, notre action en matière de préservation de l’environnement. Car il ne faut pas oublier non plus que les grands
courants océaniques, biologiquement très riches, sont le creuset
et le « grenier » de la plupart des animaux marins.
Bruno Voiturier nous offre, ici encore, une remarquable
étude, retraçant avec autant de clarté que de souffle la passionnante saga du Gulf Stream et de ses homologues. Mieux, il
démêle avec rigueur le vrai du faux – quitte à balayer quelques mythes commodes. La Commission océanographique
internationale (COI) lui est reconnaissante des efforts que ce
professeur, collègue et ami consent pour nous aider, nous tous,
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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citoyens de la Terre, à mieux comprendre l’océan – un océan si
proche de notre vie quotidienne.
Patricio Bernal
Secrétaire exécutif à la Commission
océanographique internationale
Assistant Directeur général de l’UNESCO
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Introduction
L’océanographie physique ou dynamique, c’est-à-dire l’étude de
la dynamique du fluide océanique et pas simplement la description géographique des océans, est une science récente : elle date
du début du xixe siècle, et c’est la découverte du Gulf Stream,
à la fin du xviiie, qui en est à l’origine. Pour son étude et sa
compréhension, l’océan souffre d’un double handicap.
D’abord, même si, comme on le rappelle souvent, il
recouvre 71 % de la surface de la Terre, l’océan reste un milieu
invisible : ni l’œil humain ni les satellites ne peuvent explorer les
4 ou 5 km de profondeur qu’il représente en moyenne. Il n’y a pas
d’autres solutions pour le découvrir que d’y envoyer des engins
de prélèvement et de mesure, ce qui exigeait et exige encore des
développements technologiques importants que seuls des enjeux
économiques et stratégiques ont permis.
Deuxième handicap, l’homme ne vit pas – et ne peut pas
vivre – dans l’océan ; il faut qu’il sorte de son habitat naturel
pour y aller faire des mesures. Or l’océan n’est que mouvement,
des vagues aux marées et aux grands courants océaniques. Pour
prendre la mesure d’un phénomène et de sa dynamique, il faut
des repères. On les trouve facilement sur terre : la diversité des
paysages s’impose à tous, et le géographe n’a que l’embarras du
choix pour planter ses jalons – sauf dans les déserts aux dunes
mouvantes, qui ressemblent tant à l’océan. Le géologue sait précisément où il pratique un forage et peut être certain, même s’il
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Introduction
revient plusieurs mois ou plusieurs années plus tard, de retrouver
celui-ci au même endroit, avec la même stratification. L’atmosphère est aussi mouvement, mais, pour la sonder, la terre ferme
des continents et des îles sont des bases solides d’observation.
Rien de tout cela n’existe en plein océan, où les premiers observatoires, les vaisseaux des navigateurs, étaient soumis à tous les
mouvements, avec comme seuls repères le Soleil et les étoiles.
C’est sans doute cette absence de balisage qui fait de l’océan cet
espace de liberté exalté par les poètes.
Bien loin de la poésie pourtant, ce sont des considérations
pratiques et matérielles qui ont présidé au développement de cette
science et ont piloté la recherche océanographique. Il fallait en
effet qu’il y eût des enjeux importants pour que l’on développât
et mît en œuvre les moyens d’observation adaptés.
Le premier enjeu de la connaissance des océans fut évidemment la navigation : les explorations, le commerce, voire la guerre.
C’est un problème de navigation très concret qui est à l’origine
de l’étude scientifique du Gulf Stream et des premières mesures
systématiques organisées de paramètres océaniques : la température de surface de l’océan à partir des navires qui circulaient sur
l’Atlantique Nord. C’est pour la navigation également que l’on
établit les premières cartes des courants à l’échelle des bassins
océaniques, à partir des observations consignées dans les livres
de bord : les pilot charts.
Pour s’intéresser ensuite sérieusement aux couches
profondes de l’océan, il fallut, à partir de 1850, que l’on se heurtât
aux difficultés soulevées par l’installation des câbles télégraphiques sous-marins. Ils sont pour beaucoup dans le coup d’envoi
donné aux explorations de l’océan profond, dont l’expédition
britannique du Challenger fut sans doute le plus beau fleuron,
marquant symboliquement la naissance de l’océanographie. Le
Challenger, de décembre 1872 à mai 1876, sillonna les océans
Atlantique, Pacifique et Indien à la découverte des profondeurs.
Ce fut la première grande campagne océanographique à l’échelle
de l’océan mondial.
Il y eut ensuite, à la fin du xixe siècle, les difficultés économiques et sociales du secteur de la pêche, mis à mal dans certains
pays par les fluctuations importantes des captures – dont on se
demandait, déjà, s’il fallait les attribuer à la surpêche ou à la
variabilité du milieu. De cette interrogation naquit la première
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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organisation internationale d’océanographie, créée à Copenhague
en 1902 : le CIEM (Conseil international pour l’exploration de la
mer). Celui-ci organisa des campagnes systématiques de mesure
des paramètres physico-chimiques et biologiques de l’Atlantique
Nord et des mers adjacentes, avec cette finalité affirmée : prévoir
autant que possible l’évolution des stocks de poissons exploités.
La guerre sous-marine et la nécessité de bien connaître les
conditions de propagation des signaux acoustiques furent aussi
de très puissants moteurs de la recherche océanographique, et
notamment du développement des instruments de mesure appropriés. Ce sont les Forces navales qui, les premières, développèrent
des systèmes d’observation systématique de l’océan ; elles sont
encore à la pointe de la mise en œuvre de systèmes opérationnels
de prévision de l’océan.
Pour finir, ce sont maintenant les interrogations sur la
variabilité et l’évolution du climat et leurs conséquences possibles
pour les sociétés humaines qui mettent l’océan et sa dynamique
au cœur du problème : c’est lui qui, pour une bonne part, contrôle
le rythme de l’évolution du climat.
La découverte « scientifique » du Gulf Stream à la fin du
xviiie siècle a été le déclencheur de l’intérêt porté à l’étude des
courants marins. Et, depuis cette date, le Gulf Stream occupe la
première place au hit-parade des courants. Tour à tour « roi de
la tempête » et bienfaiteur des Européens de l’Ouest – auxquels
il ferait don d’un climat bien tempéré –, célébré par les peintres
– Winslow Homer en a fait un portrait cataclysmique (figure 1) –,
le voici promu star hollywoodienne des films catastrophes. Un
type d’avion et un fonds commun de placement portent même
son nom. Telles les divas, on le soupçonne maintenant de caprices
dévastateurs pour le climat de la planète. Aucun autre courant
marin n’inspire une telle fascination, que les médias relaient et
entretiennent – avec, non pas la complicité, mais au moins la
résignation des scientifiques, qui peuvent difficilement lutter à
armes égales contre la force d’un tel mythe.
Pourtant, il n’est pas seul de son « espèce » ; il a un alter
ego dans l’ouest du Pacifique Nord : le Kuroshio, certes honorablement connu et depuis beaucoup plus longtemps que le Gulf
Stream, mais qui ne peut rivaliser avec la notoriété actuelle de
ce dernier. Ces deux courants présentent pourtant des caractéristiques très semblables, ont la même dynamique et les mêmes
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Introduction
causes. On peut les décrire à peu près dans les mêmes termes.
Ont-ils les mêmes effets ? Non, mais ce n’est pas leur dynamique
qui est en cause, c’est la morphologie des océans dans lesquels ils
évoluent qui les différencie. Le Gulf Stream n’est pas dynamiquement plus original que le Kuroshio, c’est l’Atlantique qui est
particulier : il est le seul océan ouvert sur les deux océans polaires,
l’Antarctique et surtout l’Arctique. Cela change tout et fait de
cet océan une sorte de quintessence des problèmes que pose la
dynamique océanique des tourbillons méso-échelle aux grandes
circulations cycloniques et anticycloniques – problèmes communs
aux deux océans, mais aussi à la formation des eaux profondes en
mer du Groenland, qui n’a pas son équivalent dans le Pacifique.
C’est cette dernière qui est le moteur principal de la circulation profonde des océans et du fameux « tapis roulant », dont on
redoute qu’il ne s’arrête, victime du réchauffement global, comme
il le fit sans doute au plus fort des périodes glaciaires.
Le Gulf Stream, comme le Kuroshio – comme tout phénomène naturel –, est un objet de science – la science qui avance
en mettant à mal les mythologies. Certains disent qu’elle désenchante le monde, mais, en cherchant à rationaliser notre vision
du monde, la science prive certains enchanteurs maléfiques, sinon
d’armes, du moins – parfois – d’arguments. Le monde a besoin
de poésie, pas de mythologie, et, on l’a souvent dit et écrit, par
l’imagination qu’elle requiert, la démarche scientifique s’apparente à la rêverie des poètes.
Le Gulf Stream n’échappe pas à cette démythification par
la science : non, il n’est pas ce fleuve, calorifère de l’Europe,
qui s’écoule du golfe du Mexique à la Norvège comme certains
l’avaient rêvé ; non, le Gulf Stream stricto sensu ne s’arrêtera pas
si le « tapis roulant », lui, s’arrête, pas plus qu’il ne s’est arrêté en
période glaciaire – ce qui ne change d’ailleurs rien au risque climatique encouru dans cette hypothèse. Pas plus que le Kuroshio, le
Gulf Stream n’a besoin de la formation d’eaux profondes pour
exister. En revanche, et c’est sa singularité, ce phénomène n’existerait pas sans la forte salinité des eaux qu’il transporte. Mais, là
encore, il s’agit davantage d’une particularité de l’océan Atlantique, beaucoup plus salé que le Pacifique, que d’une originalité
dynamique du Gulf Stream.
La connaissance scientifique d’un système démarre presque
toujours par une démarche analytique et « réductionniste », et la
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connotation péjorative, voire insultante, attachée à ce terme n’y
change rien. Comment comprendre l’océan dans sa globalité et le
modéliser dans sa totalité, comme on le fait maintenant, si l’on n’a
pas au préalable analysé, évalué, pesé les processus qui gouvernent
ses mouvements à travers la diversité des courants constituant la
circulation océanique ? Et le Gulf Stream, par sa dynamique et
sa situation dans un océan à la configuration originale, est un cas
d’école. Pour résoudre l’océan, il faut avoir résolu le Gulf Stream,
et il n’est de bons modèles océaniques que ceux qui rendent bien
compte de la complexité de ce courant. Des autres aussi, bien
entendu : les courants équatoriaux, par exemple, qui se situent
dans un contexte dynamique très distinct, du fait de la différence
relative du poids des forces en action.
Le Gulf Stream présente aussi l’avantage d’être proche des
côtes et facilement accessible pour les navires océanographiques
– longtemps les seuls moyens d’investigation –, qui sont si lents
et dont l’autonomie est si faible en regard de la taille de l’océan
et de la rapidité des fluctuations des courants marins.
Aussi le Gulf Stream fut-il, à partir de 1850, un véritable
laboratoire d’océanographie dynamique, où furent testés les
instruments de mesure in situ et éprouvés les modèles théoriques par lesquels progresserait la connaissance de la dynamique
des océans. Cette connaissance rend maintenant possible – pour
peu qu’on le veuille – l’émergence d’une océanographie opérationnelle, à l’égal de ce qui est réalisé dans l’atmosphère pour les
besoins de la prévision météorologique.
C’est l’histoire de la découverte du Gulf Stream et de sa
réalité scientifique qui est présentée ici. L’histoire du passage de
son originalité, qui paraissait irréductible au début du xixe siècle,
à sa dissolution ou à son intégration dans la dynamique de l’océan
global.
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1 Histoire scientifique
du Gulf Stream
De Christophe Colomb à Benjamin Franklin
Christophe Colomb arrive aux Bahamas, aux portes du Gulf Stream,
en 1492. Le 22 avril 1513, après avoir découvert la Floride, Juan
Ponce de León note l’existence d’un fort courant contraire qui, utilisé
ensuite par les navigateurs et les pêcheurs, deviendra le « Gulf
Stream ». Benjamin Franklin sera le premier à le cartographier, en
1769-1770.
De Benjamin Franklin à 1850 :
les premiers pas de l’océanographie physique
Suivant les conseils de Franklin, les navires feront des mesures systématiques de température de la mer, pour caractériser les courants
marins – et le Gulf Stream en particulier. Les journaux de bord sont
alors la seule source d’information.
L’US Coast and Geodetic Survey :
les premières mesures du Gulf Stream (1844-1900)
Le Gulf Stream devient un objet de science, et des moyens spécifiques
(navires) sont consacrés à son exploration systématique en surface et
en profondeur. Les premières mesures directes de courant sont faites
entre 1885 et 1890 par J. E. Pillsbury, à partir d’un navire au
mouillage.
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Histoire scientifique du Gulf Stream
La première moitié du xxe siècle :
les débuts de l’observation systématique
Au-delà des observations qui se poursuivent et s’intensifient, les
approches théoriques et mathématiques de la dynamique océanique se
développent, et la première synthèse sur le Gulf Stream est publiée en
1955 par Henry Stommel.
La seconde moitié du xxe siècle :
la révolution technologique et spatiale
En 1960, on est arrivé, pour décrire le Gulf Stream, au bout des capacités offertes par les moyens traditionnels d’observation à partir des
navires de recherche. Une révolution technologique va alors s’opérer
grâce aux moyens satellitaires, qui permettent d’effectuer des mesures
directes sur la totalité de l’océan et de déployer dans tout l’océan des
stations automatiques de mesures in situ.
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De Christophe Colomb à Benjamin Franklin
La chute de l’Empire mongol au xive siècle va couper, pour longtemps, la route terrestre qu’avaient empruntée les Polo pour se
rendre en Extrême-Orient. Comme le dit Daniel Boorstin dans
son ouvrage Les Découvreurs, le rideau de fer était retombé entre
l’Occident et l’Orient lointain, aux épices si convoitées. Restaient
pour les Occidentaux les voies maritimes inédites, avec deux
options. D’abord, le contournement de l’Afrique et l’exploration hasardeuse de terres totalement vierges et réputées hostiles
jusqu’à la pointe sud de ce continent, où l’on supposait – simple
rumeur – que l’Atlantique rejoignait l’océan Indien. Ce fut la
voie portugaise, méticuleusement organisée et planifiée sur une
cinquantaine d’années du xve siècle, sous la houlette d’Henri le
Navigateur. Autre solution : le passage par l’ouest, vers des terres
déjà explorées, sur une route maritime directe, sans estimation de
distance. Véritable coup de poker que tenta Christophe Colomb.
En fait, s’il vendit ainsi son projet aux souverains espagnols, c’est
qu’il était aussi persuadé qu’entre l’Europe et Cipango (Japon) il
existait nécessairement des îles – dont il rêvait de prendre possession. Ce n’est pas par hasard que les Capitulations de Santa Fé,
contrat passé avec lui par les souverains espagnols, stipulent qu’il
sera « vice-roi et gouverneur de toutes les terres fermes et îles qu’il
découvrira et acquerra dans lesdites mers ». Cela à titre héréditaire.
C’était bien joué, mais il paierait cher par la suite la conséquence
d’une découverte beaucoup plus importante que ce qu’il avait
imaginé. Son espoir de découvrir de nouvelles îles était pour une
part étayé par les débris de bois qu’il avait observés sur les rivages
de l’île de Porto Santo (Madère), où il avait résidé au début des
années 1480 : ceux-ci ne pouvaient venir, pensait-il, que de terres
plus à l’ouest. On trouvait aussi de tels débris plus au nord, sur
les rivages d’Europe, amenés par les courants – comme si le Gulf
Stream lui-même envoyait des signaux invitant les navigateurs
à découvrir le Nouveau Monde. Heureusement pour Colomb et
sa flotte, non seulement des îles – comme il l’escomptait –, mais
le continent américain faisaient obstacle à sa route vers Cipango
et lui firent bon accueil. Parti des Canaries le 6 septembre 1492,
il atteignit la petite île de Guanahani (San Salvador), dans l’archipel des Lucayes (Bahamas), aux portes du Gulf Stream, le
12 octobre. Exploit maritime modeste, si on le compare aux
expéditions portugaises et au périple à venir de Magellan, et pari
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Histoire scientifique du Gulf Stream
perdu : les Bahamas ne sont pas le Japon – qui allait néanmoins
assurer sa gloire.
Juan Ponce de León fit partie du deuxième voyage de
Christophe Colomb en 1493. En 1513, il équipa à ses frais trois
navires pour, selon une légende tenace évoquée par l’historien
Antonio de Herrera (Historia general de los hechos de los Castellanos en las Islas i tierra firme del Mar ocelot, 1601), partir à la
recherche de Bimini, l’île de la fontaine de jouvence, dont l’eau
était censée assurer l’éternelle jeunesse à celui qui en buvait. Les
instructions écrites (Capitulations) données par le roi le 23 février
1512, si elles mentionnent bien l’île de Bimini, n’assignent pas
d’autres objectifs à Ponce de León que la recherche et la prise
de possession de nouvelles terres. Il appareilla de Porto Rico le
3 mars 1513, navigua à travers les Bahamas – où il ne trouva pas
Bimini, qu’il ne cherchait peut-être pas – et débarqua le 2 avril
sur les côtes d’une nouvelle terre, qu’il baptisa La Florida, puisque
c’était le jour de La Pascua florida (le dimanche des rameaux).
C’est en redescendant le long des côtes de Floride que lui et son
pilote, Anton de Alaminos, notèrent sur le livre de bord, en date
du 22 avril, un fort courant contraire. L’historien Herrera, qui
a eu accès au journal de bord, le raconte ainsi : « Un courant tel
que, bien qu’il y eût grand vent, ils n’avançaient pas, mais reculaient
sérieusement ; à la fin, on reconnut que le courant était plus puissant que le vent. » C’est là, sans doute, la première observation
rapportée du Gulf Stream. Elle fut complétée le 8 mai suivant
lorsqu’ils doublèrent l’extrémité sud de la Floride, qu’ils appelèrent le Cabo de Corrientes, « car l’eau s’écoulait si rapidement qu’elle
avait plus de force que le vent et ne permettait aux navires d’aller de
l’avant bien qu’ils aient hissé toutes leurs voiles ».
Quelques années plus tard (1519), Anton de Alaminos
tirerait la leçon de cette expérience. Regagnant l’Espagne depuis
Veracruz, au Mexique, il profita du courant en longeant la côte
de Floride vers le nord avant de prendre à l’est vers l’Europe. Le
Gulf Stream, non encore ainsi baptisé, était bel et bien découvert, puisque les marins avaient intégré son existence dans leurs
plans de navigation. Les géographes/cartographes allaient eux
aussi rapidement l’inclure dans leurs représentations du Nouveau
Monde. Il apparaît, semble-t-il pour la première fois, sur une carte
en 1678, dans Mundus subterraneus, l’œuvre magistrale et baroque
d’Athanasius Kircher, jésuite qui n’a jamais quitté ­l’Europe et
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faisait partie de ces esprits encyclopédiques de l’époque auxquels
aucun domaine du savoir n’était étranger.
Il s’agissait là d’une œuvre scientifique ne concernant
guère les marins. Accumulant les observations en mer, ceux-ci
étaient les seuls océanographes de l’époque. Qu’ils soient armés
au commerce ou à la pêche, peu bavards et sans doute jaloux des
prérogatives que leur conférait une connaissance quasi charnelle
du milieu marin et des courants, ils n’étaient guère empressés de
transmettre leur savoir au monde académique. L’« océanographie
physique scientifique » naîtra, néanmoins, de la mine que représentaient les observations consignées dans les livres de bord. Dans
leurs voyages de la Louisiane vers la France, les Français suivirent
les Espagnols dans le courant de Floride, mais, également familiers de l’Atlantique Nord grâce à leurs colonies américaines – la
« Nouvelle France » –, ils ne bifurquaient pas rapidement vers
l’Europe via les Bermudes, suivant au contraire le courant en
montant beaucoup plus au nord, jusqu’aux bancs de Terre-Neuve.
C’est d’ailleurs l’un d’eux, Marc Lescarbot, qui, relatant le voyage
qu’il fit au Nouveau Monde en 1606-1607, témoigna le premier
du contraste thermique entre les eaux du Gulf Stream et celles du
courant du Labrador. « J’ai trouvé quelque chose de remarquable sur
laquelle un philosophe de la nature doit s’interroger. Le 18 juin 1606,
à la latitude de 45° et à une distance de six fois vingt lieues à l’est des
bancs de Terre-Neuve, nous nous trouvâmes au milieu d’une eau très
chaude bien que l’air fût froid. Mais le 21 juin soudainement, nous
fûmes pris dans un brouillard si froid que l’on se serait cru en janvier,
et la mer était extrêmement froide également. »
Les premiers vrais experts ès Gulf Stream furent incontes­
tablement les pêcheurs américains – notamment les baleiniers,
dont le terrain de chasse s’étendait de Terre-Neuve aux Bahamas
et aux Açores. Ils eurent tôt fait de constater que les baleines qu’ils
chassaient appréciaient peu les eaux relativement chaudes du Gulf
Stream et qu’elles se tenaient à la lisière. Traversant et retraversant le Gulf Stream, ils en acquirent une connaissance qu’ils
transmirent oralement aux capitaines de navire américains, qui
bien souvent avaient d’ailleurs été formés à l’école des baleiniers.
Forts de ces informations, ces derniers modifièrent leur route et
gagnèrent près de deux semaines sur le trajet Grande-Bretagne
– Amérique. Cela ne pouvait passer inaperçu, et, en 1769, le
Bureau des douanes de Boston se plaignit auprès des autorités
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Histoire scientifique du Gulf Stream
britanniques (The Lords of the Treasury) que les navires (packets)
britanniques missent en moyenne deux semaines de plus que
les navires de commerce américains sur le trajet de l’Angleterre
vers la Nouvelle-Angleterre. Interrogé, le responsable général des
Postes de la Nouvelle-Angleterre, Benjamin Franklin, se tourna
pour en savoir plus vers son cousin Thomas Folger, capitaine de
navire et ancien baleinier qui était également à Londres. On sent
poindre une ironie certaine dans la manière dont Franklin relate
la réponse de Folger : « Passant d’un bord à l’autre du courant, il
n’est pas rare que nous rencontrions les navires anglais au milieu du
courant et luttant contre lui et que nous leur parlions. Nous les avons
informés qu’ils luttaient contre un courant de trois nœuds et qu’ils
feraient mieux de le traverser, mais ils étaient trop compétents pour
accepter les conseils de simples pêcheurs américains. » Sur les indications de Folger, Franklin fit graver à Londres, en 1769-1770, une
carte du Gulf Stream dont copies furent envoyées à Falmouth à
destination des capitaines anglais (figure 2).
Ces copies étaient accompagnées d’une notice explicative
pour éviter le Gulf Stream et traverser l’Atlantique en seulement vingt à trente jours. Par exemple : « On peut savoir que l’on
est dans le Gulf Stream par la chaleur de l’eau qui y est plus grande
que celle des eaux de chaque côté. Si l’on va alors vers l’ouest, il faut
traverser le courant pour en sortir le plus vite possible. » L’Amirauté et les capitaines anglais, fidèles au principe quasi euclidien
voulant que le chemin le plus court soit aussi le plus rapide,
rejetèrent la carte de Franklin. Ainsi la plus ancienne version de
cette carte est-elle celle retrouvée en 1978 par P. Richardson à la
Bibliothèque nationale de Paris. Celle de la figure 2 en est une
transcription française de la même époque, conservée également
à la Bibliothèque nationale. Esprit curieux et scientifique pragmatique, Franklin, lors de ses voyages suivants entre l’Amérique
et l’Europe, prit des mesures systématiques de température de
surface de la mer, pour mieux connaître ce courant. Il en tira la
conclusion que le thermomètre pouvait être un précieux instrument de navigation, puisque les courants coulant du nord au sud
étaient vraisemblablement plus froids que ceux coulant en sens
inverse et… réciproquement.
Il n’est pas certain que la carte Folger/Franklin fût réellement la première du Gulf Stream. William de Brahm, general
surveyor de la côte sud de l’Amérique du Nord pour le compte
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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de la Couronne britannique, avait, avant que la question ne fût
posée à Franklin, rassemblé les éléments d’une carte qui serait
publiée en 1772, et où il est fait mention d’un Florida Gulf Stream.
Quoi qu’il en soit, si le nom de Gulf Stream apparaît pour la
première fois sur ces cartes, il est vraisemblable que la paternité
n’en revient ni à l’un ni à l’autre, mais plus vraisemblablement
à ces marins qui ont su rapidement s’en servir ou s’en préserver
dans leur navigation.
De Benjamin Franklin à 1850 :
les premiers pas de l’océanographie physique
Il est néanmoins avéré que c’est avec Franklin que le Gulf Stream
devient en soi objet de science, passant ainsi du statut de nom
commun à celui de nom propre, et ouvrant la voie au développement de l’étude de la dynamique des océans – l’océanographie
physique –, jusque-là totalement ignorée. Franklin fit rapidement
des émules, y compris auprès des autorités britanniques initialement réticentes, qui donnèrent instruction à leurs navires de faire
des observations du Gulf Stream chaque fois que c’était possible.
Ainsi commença véritablement, au début du xixe siècle, l’étude
des courants marins à partir de trois instruments : le chronomètre
– suffisamment précis depuis Harrison, au milieu du xviiie –, pour
bien connaître la longitude, le thermomètre et… les bouteilles à la
mer et autres flotteurs de surface, expérimentés pour la première
fois en 1802 par le navire britannique Rainbow, qui en largua un
certain nombre dans l’Atlantique Nord. Le prince Albert Ier de
Monaco fut un grand utilisateur de la technique des flotteurs :
en 1885, il en largua cent quatre-vingts le long d’une ligne de
170 milles en travers du Gulf Stream, au nord-ouest des Açores.
Cette méthode de suivi des courants par des flotteurs sera développée et amplifiée à partir des années 1970, lorsqu’on disposera
des techniques de positionnement par satellite qui permettront
de localiser les flotteurs quasiment en temps réel.
Les journaux de bord des navires devinrent la source
­essentielle de connaissance des courants marins, et le géographe
britannique sir James Rennell – le père de l’océanographie
selon les Anglais – passa la fin de sa vie, de 1810 (il avait alors
68 ans) à sa mort, en 1830, à les compiler, pour cartographier
les courants de l’Atlantique, avec un intérêt particulier pour le
Gulf Stream.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
26
Histoire scientifique du Gulf Stream
Rennell mourut avant d’avoir achevé son travail, et son
dernier ouvrage paraîtra en 1832 : Currents of the Atlantic Ocean.
C’est, concernant le Gulf Stream, la première synthèse scientifique exhaustive décrivant le courant, proposant des explications
et attirant l’attention sur des observations qui préfigurent les
questions scientifiques à venir. Le premier, il distingue clairement
deux types de courants : les courants de dérive, drift currents,
entraînés par le vent, et les courants de pente, stream currents,
produits par les différences de pression (en gros, les différences
de niveau de la mer) dans la direction du courant. En accord
avec l’idée de Franklin, il considère que le Gulf Stream appartient à la seconde catégorie. Le Gulf Stream apparaît comme la
conséquence directe et naturelle de l’accumulation sur les côtes
américaines de l’eau entraînée vers l’ouest par les alizés. En conséquence, Rennell considère que le Gulf Stream achève sa course
vers le sud en direction des Açores, où il se dilue et disparaît,
alors que, selon lui, le mouvement des eaux constatées vers le
nord-est de l’Atlantique et l’Europe correspond à un courant de
dérive dû aux vents d’ouest très largement dominants. Analyse
pertinente, qui n’empêchera pas de voir se développer l’idée que
le Gulf Stream est directement responsable de la clémence du
climat de l’Europe du Nord-Ouest, l’élevant au rang de véritable
mythe.
La question de l’impact du Gulf Stream sur le climat de
l’Europe de l’Ouest a été posée dès les premières observations,
au début du xixe siècle. En 1822, le colonel E. Sabine, engagé
dans un périple autour de l’Atlantique Nord pour déterminer la
forme de la Terre, nota la présence dans l’Atlantique Est d’une
masse d’eau qu’il jugea anormalement chaude et qu’il attribua à
une extension exceptionnelle du Gulf Stream vers l’Europe, via
une accumulation particulièrement importante d’eau dans le golfe
du Mexique et les Caraïbes provoquée par un renforcement des
alizés. Simultanément, le temps parut tout à fait inhabituel en
France et dans le sud de la Grande-Bretagne : chaud, humide et
tempétueux. Sabine y vit une relation de cause à effet. En 18451846, l’Angleterre et l’Europe de l’Ouest connurent une anomalie
climatique analogue. Sabine voulut savoir si elle s’était aussi
accompagnée d’une anomalie thermique dans l’océan, comme
celle de 1822. Il fut fort déçu, car aucun des nombreux navires
naviguant dans la zone n’avait fait d’observations. Il crut néanLe Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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moins plausible qu’à des vitesses particulièrement élevées du Gulf
Stream à son origine pouvait correspondre une extension inhabituelle vers les rivages de l’Europe, qui bénéficiait ainsi d’hivers
particulièrement doux et pluvieux. Il proposa même un système
de prévision basé sur la surveillance du niveau de la mer dans
le golfe du Mexique et le détroit de Floride, pour anticiper les
fluctuations de vitesse du Gulf Stream et l’arrivée d’eaux chaudes,
avec les conséquences climatiques que l’on sait dans l’Atlantique
Est quelques mois plus tard.
Cette idée fut mise à mal en 1836 par François Arago,
qui attira l’attention sur le fait qu’une campagne de nivellement,
leveling, avait mis en évidence une différence de niveau de la mer
de seulement 7,5 pouces à 30°N entre l’ouest de la Floride, dans
le golfe du Mexique, et l’est côté Atlantique. Différence qui lui
semblait fort insuffisante pour produire le Gulf Stream. Aussi,
cartésien, émit-il l’idée qu’il n’était pas nécessaire de trouver pour
les courants marins d’autres explications que celles qui rendaient
bien compte des courants atmosphériques comme les alizés : les
différences de densité entre l’équateur et les pôles induites par
une répartition inégale de l’énergie solaire.
Il avait tort : ce courant n’a pas besoin de ces différences
de densité pour exister, même si elles ont une influence sur lui.
Cette thèse discrédita aussi pour un temps l’idée que les vents
pouvaient générer les grands courants océaniques de l’ampleur
du Gulf Stream. Ainsi va souvent la science qui, pour progresser,
cherche d’abord « la » cause principale, voire unique, d’un phénomène avant de se heurter à sa complexité, que révéleront par
la suite mesures et observations, qui l’obligera à reconsidérer
des mécanismes initialement négligés. En l’occurrence, le Gulf
Stream est, comme la plupart des courants, le résultat de l’action
sur la mer du vent et du Soleil, inextricablement liés, et… de la
rotation de la Terre – ainsi que l’avait déjà pressenti Alexander
von Humboldt, en 1814, qui écrivait qu’en raison de la rotation
de la Terre les courants portant au nord devaient s’infléchir vers
l’est et réciproquement.
Rennell pointa des observations qui mettaient déjà en cause,
implicitement, l’image simpliste du Gulf Stream « fleuve dans
la mer » (figure 2), que suggère la carte de Folger et Franklin.
Il remarqua en effet qu’il y avait des variations dans la position
et la largeur du flux, que ces variations étaient indépendantes
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Histoire scientifique du Gulf Stream
des saisons, que la présence d’eau chaude ne signifiait pas forcément un courant vers l’est, mais parfois un courant contraire, et
qu’enfin on pouvait observer des veines d’eau froide au milieu
de l’eau chaude. Ce sont les méandres et tourbillons du Gulf
Stream qui sont sous-jacents à ces observations, structures que
les données disponibles ne permettaient pas d’identifier, faute
de disposer – au grand regret de Rennell – d’observations et de
mesures suffisamment denses et synoptiques, comme l’on dit en
météorologie. Cette lacune sera l’une des principales difficultés de
l’océanographie physique jusqu’à la fin du xxe siècle : la variabilité
de la dynamique océanique était hors de portée des moyens disponibles liés aux navires océanographiques, dont l’autonomie était
limitée et qui étaient beaucoup trop lents pour fournir un champ
synoptique. Il en sera ainsi jusqu’à l’avènement, dans les années
1960-1970, des systèmes spatiaux, qui permettront à la fois de
faire, à partir des satellites, des observations directes couvrant en
quelques heures ou quelques jours la totalité de l’océan mondial,
et aussi de déployer dans tout l’océan, en surface et en profondeur,
des instruments de mesure localisés par satellite et transmettant,
par satellite également, leurs résultats.
Un premier pas sera fait vers une « océanographie synoptique » par Matthew Fontaine Maury, de l’US Naval Observatory, le père de l’océanographie physique pour les Américains.
Reprenant le travail de Rennell, il compila les données des journaux de bord des navires entre 1840 et 1850. En établissant les
moyennes desdites données, il fournit des cartes de vents et de
courants destinées à la navigation : les premières pilot charts. Il
fut l’initiateur de la première conférence internationale de météorologie à Bruxelles en 1853, qui jeta les bases de la coopération
internationale pour l’organisation systématique de la collecte des
données à bord des navires à travers l’Atlantique.
L’US Coast and Geodetic Survey :
les premières mesures du Gulf Stream (1844-1900)
L’observation organisée et systématique du Gulf Stream
commence en 1844 dans le cadre de L’US Coast and Geodetic
Survey, sous la direction d’un arrière-petit-fils de Franklin :
Alexander Dallas Bache, superintendent of Survey de 1843 à 1865.
Il met au point une stratégie d’observations systématiques du
Gulf Stream sur la base de mesures de température faites en
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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surface et en profondeur dans des sections à travers le courant,
depuis la côte vers le large. La vitesse du courant est alors mesurée
uniquement en surface et déduite de la dérive du navire. Le travail
débute au printemps 1845 sur le brick Washington. Un navire
à vapeur sera utilisé pour la première fois en 1848 : le steamer
Legare. L’exploration se poursuivra d’année en année jusqu’en
1860. Dès 1846, elle aura ses victimes : le Washington commandé
par George Mifflin Bache essuiera un cyclone à la fin de l’été.
Dix membres de l’équipage périront, mais le navire, quasiment
une épave, réussira à regagner le port. Le Gulf Stream en héritera
une fâcheuse réputation de faiseur de tempête qu’illustre bien le
tableau de Winslow Homer. Ainsi Louis Figuier écrivait-il, en
1864, dans La Terre et les mers : « La différence de température entre
le Gulf Stream et les eaux qu’il traverse engendre inévitablement des
tempêtes et des cyclones. Les découvertes modernes qui ont fait si bien
connaître la marche de ce courant d’eaux chaudes au sein de la mer ont
permis d’abréger énormément les routes de la navigation et d’éviter
beaucoup de dangers qui autrefois menaçaient et anéantissaient les
navires. En 1780, un ouragan terrible ravagea les Antilles et coûta
la vie à 20 000 personnes ; l’océan quitta son lit et envahit les villes ;
l’écorce des arbres mêlée de débris sanglants tourbillonnait dans l’air.
Ce sont les trop nombreuses catastrophes de ce genre qui ont valu au
Gulf Stream le nom de “roi de la tempête”. » C’est Bache qui donna
le nom de Cold Wall au front thermique où la température varie
très rapidement, et que l’on peut considérer comme la limite du
Gulf Stream sur son flanc ouest.
Cette exploration fut interrompue ensuite jusqu’en 1867
par la guerre de Sécession (Civil War). Elle reprit avec un effort
particulier pour essayer de déterminer l’extension du Gulf Stream
en profondeur, ce qui impliquait qu’on fût capable de réaliser
des mesures de vitesse en profondeur. Les navires, eux-mêmes
soumis aux courants, ne constituent pas les meilleures des platesformes pour de telles estimations. Malheureusement, on n’en
disposait pas d’autres. Si l’observation des dérives des navires
permet d’en déduire les courants de surface, elle ne dit rien de ce
qui passe en profondeur. Tout juste pouvait-on faire des mesures
relatives à la surface. C’est ce que tenta le Pr Henry Mitchell, de
l’US Coast Survey, en 1867, dans le détroit de Floride entre Key
West et La Havane. Deux sphères d’égale surface étaient reliées
par un filin, l’une en surface, l’autre à la profondeur de mesure.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Histoire scientifique du Gulf Stream
Le mouvement de l’ensemble était la résultante des vitesses du
courant en surface et en profondeur. Une troisième sphère équivalente dérivait librement dans le courant de surface. À l’instant initial, les deux sphères de surface étaient ensemble, et, au
bout d’un certain temps, la distance qui les séparait mesurait la
différence de vitesse du courant entre la surface et la profondeur
étudiée. Mitchell conclut qu’à la profondeur de six cents brasses
la vitesse du courant n’était réduite que de 10 % par rapport à
la surface, en dépit d’une forte diminution de la température de
40 °F. On en conclut que, pour décrire le Gulf Stream en profondeur, on ne peut se fier aux seules mesures de température ; ce
qui incita John Elliott Pillsbury, toujours dans le cadre de l’US
Coast and Geodetic Survey, à entreprendre entre 1885 et 1890
une série de mesures directes et absolues de courant à partir d’un
navire au mouillage : le Blake’s.
C’était une première en océanographie. Pillsbury développa
pour ce faire le premier courantomètre, transposition au milieu
marin des anémomètres utilisés pour la mesure de la force du
vent : une dérive qui s’oriente dans la direction du courant, un
compas qui donne la direction du courant et un rotor dont le
nombre de tours effectués dans un temps donné est proportionnel
à la vitesse du courant.
Pillsbury réalisa ainsi en plusieurs années six sections à
travers le Gulf Stream, du cap Hatteras au chenal séparant le
Yucatán de Cuba. Travail considérable et méticuleux, qui prit
beaucoup de temps, compte tenu notamment de la difficulté de
bien tenir le mouillage à grande profondeur dans un courant aussi
fort. Il fallut, par exemple, consacrer deux campagnes de mesures
(1885 et 1886) aux six stations de la seule section A, large de
seulement 43 miles, entre le sud de la Floride (un peu au sud de
Miami) et les Bahamas. Pillsbury note dans son rapport de 1890
que, sur cette section, le temps réellement consacré aux mesures
fut de mille cent heures, et que le temps le plus long passé au
mouillage en continu fut de cent soixante-six heures, soit six jours
et demi. Toujours sur cette section, la vitesse maximale mesurée
en surface était de 3,5 nœuds, et le débit de 90 milliards de tonnes
par heure, soit 25 millions de mètres cubes par seconde – chiffres très proches des estimations actuelles. À chaque station, les
mesures étaient faites à cinq niveaux, de la surface à 130 brasses
de profondeur.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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La première moitié du xxe siècle :
les débuts de l’observation systématique
Parallèlement aux mesures de courant, Pillsbury faisait aussi,
évidemment, des mesures de température. Ainsi constitua-t-il le
premier jeu de données véritablement océanographiques permettant d’associer le courant mesuré à des paramètres hydrologiques (ici, la température) caractéristiques de la masse d’eau. Cela
permit à George Wüst, en 1924, de valider l’hypothèse géostrophique qui permet, sans les mesurer, de déduire les courants du
champ de densité de l’eau de mer (cf. infra). Ce fut une bonne
épine hors du pied des océanographes, qui purent ainsi, paradoxalement, progresser dans la description et la compréhension de
la circulation océanique en s’abstenant de mesurer directement
les courants.
De fait, la méthode de Pillsbury, extrêmement lourde à
mettre en œuvre et relativement imprécise, n’eut guère de suite.
Elle était inenvisageable en plein océan par très grand fond, et
l’on peut dire que la connaissance acquise sur les courants marins
jusqu’au milieu du xxe siècle tient beaucoup moins aux mesures
directes qu’à l’analyse des données hydrologiques – température
et salinité – déterminant la densité de l’eau de mer, à partir de
laquelle on remonte au champ de courant. Harald U. Sverdrup,
l’un des pères de l’océanographie dynamique, auteur avec Martin
W. Johnson et Richard H. Fleming, en 1942, du premier traité
complet d’océanographie, The Oceans, their Physics, Chemistry
and General Biology, disait à l’époque que le nombre de couranto­
mètres dépassait celui des mesures utiles. Cependant, la méthode
géostrophique qui décrit un océan en équilibre permanent (ou
stationnaire) indépendamment des causes qui le mettent en
mouvement ne donne pas accès aux variations temporelles des
courants.
Priorité, donc, à l’observation systématique par des sections
de stations « hydrologiques » à travers le Gulf Stream. Ce fut
l’un des premiers objectifs de la Woods Hole Oceanographic
Institution (WHOI), créée en 1930 sur la côte est des États-Unis
(Massachusetts), et qui se dota pour cela d’un navire de recherche,
l’Atlantis. De 1931 à 1939, à raison de quatre campagnes par an
(une par trimestre), celui-ci réalisa la première étude détaillée
du Gulf Stream, sous la direction de Columbus Iselin. Il fallait
à l’Atlantis de longues semaines pour réaliser ses campagnes de
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Histoire scientifique du Gulf Stream
mesure, et, à la fin de chacune d’elles, le Gulf Stream n’était déjà
plus ce qu’il était quelques semaines plus tôt, au départ de la
campagne : ainsi décrivait-il un Gulf Stream réel dans les structures observées à chaque section, mais globalement intemporel.
La première campagne « synoptique » du Gulf Stream – ou
plus exactement d’une petite portion du Gulf Stream, à l’est du
cap Hatteras, dans la région où, après le décollement de la côte,
se forment méandres et tourbillons – fut réalisée par la WHOI
en 1950, avec sept navires travaillant simultanément.
Il faut prendre ici synoptique au sens océanographique du
terme. Pour parler de champs synoptiques, il faut que les intervalles de temps entre les mesures soient petits par rapport aux
échelles de temps de variation caractéristiques du milieu étudié.
Ainsi, en météorologie, compte tenu de la vitesse d’évolution
de l’atmosphère, les champs synoptiques établis toutes les trois
heures impliquent l’exacte simultanéité des mesures des stations
météorologiques. L’océan présente une inertie beaucoup plus
grande que l’atmosphère, et les méandres et tourbillons que l’on
cherchait à identifier dans le Gulf Stream ont une durée de vie
suffisamment longue pour qu’une exploration sur des périodes de
l’ordre de la semaine puisse être considérée comme synoptique.
De fait, on put pour la première fois faire une description hydrologique complète d’un méandre du Gulf Stream centré au 61°W
et 39°N, et identifier un tourbillon formé à partir d’un méandre
qui se ferme. Dans la même zone, une nouvelle campagne synoptique, avec quatre navires, eut lieu d’avril à juin 1960, sous la
direction de F.C. Fuglister. Un méandre y fut également observé
dans la même région, et il eut le bon goût de rester quasi stationnaire jusqu’à la fin de la campagne, en juin.
La seconde moitié du xxe siècle :
la révolution technologique et spatiale
En 1960, on avait épuisé pour décrire le Gulf Stream les
ressources offertes par les moyens que l’on qualifie maintenant de traditionnels : les campagnes hydrologiques avec des
navires océanographiques. Si l’on avait bien identifié qualitativement la complexité du Gulf Stream, avec ses méandres et
ses tourbillons, on se heurtait à un double problème d’échelle :
dans l’espace et dans le temps. Le domaine des sciences de la
Terre est complètement dépendant des moyens d’observation
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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dont il dispose : ce sont eux qui imposent les échelles de temps
et d’espace des phénomènes qui nous sont accessibles et que
l’on peut analyser. Le maillage spatial et temporel des mesures
est dicté par la technologie, et nous adaptons nos concepts à
nos moyens d’investigation, qui deviennent ainsi nos œillères ;
ils nous orientent et nous canalisent. Ainsi est-il impossible,
même avec plusieurs navires, d’avoir une description synoptique globale du Gulf Stream du sud de la Floride aux bancs de
Terre-Neuve ; de plus, le maillage des stations ne permet pas
de décrire correctement les structures tourbillonnaires. Aussi les
campagnes à plusieurs navires de 1950 et 1960 ne concernaientelles qu’une petite partie du Gulf Stream. En outre – et c’est la
deuxième difficulté –, elles en donnaient une image figée, sorte
d’instantané ne préjugeant en rien de la variabilité du phénomène. Compte tenu de la lourdeur des moyens mis en œuvre, il
était complètement impossible de répéter fréquemment ce genre
d’opération : la variabilité du Gulf Stream et de ses structures
était hors d’atteinte. Troisième difficulté : la mesure directe
de vitesse du courant. Elle est nécessaire, pour deux raisons.
D’abord, les champs de courant déduits des données hydrologiques par la méthode géostrophique sont des courants relatifs ; ils sont calculés par rapport à une surface de référence de
mouvement nul. Faute de mesures, en toute ignorance de ce que
pouvait être la circulation profonde, et partant de l’hypothèse
que la vitesse diminuait avec la profondeur, on se contentait
souvent de prendre comme référence la profondeur maximale
de mesure atteinte par les stations hydrologiques. Ensuite, la
méthode géostrophique qui postule un courant en équilibre
donne une image « lissée » des champs de courant et ne permet
pas d’approcher la variabilité temporelle du courant.
Ces difficultés soulevées ici pour le Gulf Stream ne lui
étaient pas spécifiques : elles représentaient un défi pour tous
les océanographes physiciens. Pour progresser, il était indispensable de développer de nouvelles instrumentations et méthodes
qui permettraient de prendre en compte l’échelle tourbillonnaire
que l’on pressentait omniprésente dans l’océan, et de faire des
mesures en continu sur d’assez longues périodes, afin d’accéder à
la variabilité des structures et courants océaniques. Néanmoins,
la moisson était déjà suffisamment abondante pour que, parallèlement aux observations, on avance dans la compréhension des
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Histoire scientifique du Gulf Stream
mécanismes et leur intégration dans un cadre théorique : c’est-àdire mettre le Gulf Stream en équation à partir des équations de
l’hydrodynamique. En 1958, Henry Stommel, un des plus féconds
océanographes du xxe siècle, publia un ouvrage consacré au Gulf
Stream (The Gulf Stream : a Physical and Dynamical Description).
Cet ouvrage faisait le point des connaissances alors acquises sur
le Gulf Stream : observations et théories. Au-delà même du Gulf
Stream, qu’il intégrait dans la problématique générale de la dynamique océanique, c’est en fait toute l’océanographie physique
qui, grâce au Gulf Stream et à ses particularités, entrait dans un
cadre conceptuel global. Par là même, ce courant, élément de
la circulation générale océanique explicable – comme n’importe
quel autre courant – par les équations de l’hydrodynamique, se
trouvait banalisé. Pourtant, Stommel explique pourquoi il est
judicieux de traiter le Gulf Stream comme une entité particulière.
Historiquement, on l’a vu, le Gulf Stream était facilement identifiable. Considéré au départ comme une rivière d’eau chaude,
« il » pouvait être traversé en moins d’un jour ; le volume d’eau
qu’« il » transporte pouvait être calculé ; on pouvait déterminer
« ses » frontières, « son » centre où « sa » vitesse est maximale ;
il apparaissait aussi comme le courant où pouvaient le mieux
s’appliquer les déterminations indirectes de vitesse, comme la
méthode géostrophique.
Le Gulf Stream n’est qu’une composante de la grande
circulation anticyclonique de l’Atlantique Nord, mais, pour
se convaincre de sa personnalité, il suffit d’essayer de décrire
les autres courants constitutifs de cette grande boucle avec les
mêmes critères que ceux qui ont défini le Gulf Stream. Par
exemple, à l’est, le courant des Canaries, entraîné par les alizés
et connu des navigateurs bien avant le Gulf Stream, et qui est
beaucoup plus faible et indifférencié. Non, on ne peut pas le
traverser en quelques heures ; il n’a pas de signature thermique
marquée, et on ne peut pas non plus lui assigner des frontières
précises ni identifier un noyau de vitesse. Rien d’étonnant, donc,
à ce que les océanographes physiciens, depuis l’US Coast and
Geodetic Survey jusqu’au milieu du xxe siècle, se soient saisis
d’un tel « laboratoire » et qu’ils aient été moins motivés par la
dynamique apparemment plus floue des autres courants océaniques. Encore fallait-il légitimer cette originalité observée du
Gulf Stream par une théorie qui rende compte des observations.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Ce que fit Stommel, en expliquant pourquoi, dans les grandes
circulations anticycloniques, les courants étaient nécessairement
plus intenses sur le bord ouest des océans que sur le bord est.
C’est, comme nous le verrons, le résultat direct de la rotation
de la Terre, dont les effets varient en fonction de la latitude
donnant des poids variables aux forces (ici, la force de Coriolis)
prises en compte dans les équations hydrodynamiques. Ainsi
le Kuroshio, dans le Pacifique Nord, et le courant du Brésil
rejoignirent-ils le Gulf Stream dans l’aristocratie des courants
dits « de bord ouest ». Une autre classe de courants qui étaient
encore inconnus lorsque Stommel écrivit son ouvrage le disputera en originalité ou en personnalité aux précédents : les souscourants équatoriaux, découverts en 1958 par Cromwell. Ce
sont des courants d’intensité et de flux comparables à ceux du
Gulf Stream qui, le long de l’équateur, traversent l’Atlantique
et le Pacifique d’ouest en est, à quelques dizaines de mètres de
profondeur. Ce sont encore les variations de la force de Coriolis
qui expliquent leur originalité : nulle à l’équateur, son intensité
croît avec la latitude, contraignant de ce fait ces courants à rester
strictement le long de l’équateur.
La couverture spatiale : les flotteurs dérivants
En 1957, une expérience menée par John C. Swallow et L. Valentine Worthington montra que, sous le Gulf Stream, pouvait
exister un courant coulant en sens inverse – ce qui illustrait la
difficulté de définir un niveau de référence où le courant est nul et
à partir duquel on pourrait calculer un courant réel par la méthode
géostrophique. Ce fut une des premières, sinon la première, utilisations de flotteurs pour mesurer des courants en profondeur.
Ils avaient été développés par Swallow. Lestés de manière à se
maintenir à une profondeur constante, ils étaient munis d’un
émetteur à ultrasons. En surface, un navire équipé d’hydrophones
directionnels permettait de suivre en temps réel leur trajectoire
et donc d’en déduire vitesse et direction du courant. Neuf flotteurs furent ainsi déployés entre 1 500 et 3 000 m de profondeur
et suivis pendant des périodes allant de un à quatre jours. Tous
les flotteurs au-delà de 2 000 m prirent une direction sud/sudouest inverse de celle du Gulf Stream, avec des vitesses pouvant
atteindre 20 cm/s. C’est le Deep Western Boundary Current de la
circulation thermohaline.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Histoire scientifique du Gulf Stream
Expérience concluante, qui fut le prélude à une utilisation
devenue aujourd’hui massive des flotteurs dérivants ; suite aux
progrès de l’acoustique sous-marine et au développement des
systèmes de positionnement et de transmission de données par
satellite, ceux-ci s’affranchirent rapidement du tracking par un
navire en surface. Ce furent, par exemple, les flotteurs Rafos de
Tom Rossby, recevant un signal sonore de plusieurs émetteurs
acoustiques au mouillage. L’analyse des différences de temps de
réception du signal sonore permet de « trianguler » la position de
chaque flotteur. À un moment prédéterminé – au bout de quelques semaines ou de quelques mois –, le flotteur lâche un lest et
remonte en surface, d’où il envoie à l’utilisateur, par satellite, les
données recueillies, permettant de reconstituer sa trajectoire.
On s’affranchit ensuite des émetteurs acoustiques au
mouillage, qui représentent des opérations lourdes, avec des flotteurs devenus autonomes : ils sont programmés pour remonter à
une fréquence déterminée en surface, transmettre leurs données
et leur position par satellite, et replonger ensuite à leur niveau
d’immersion. Munis de capteurs de salinité et de température
à chaque aller et retour vers la surface, ils réalisent une station
hydrologique. Ces flotteurs peuvent fonctionner de la sorte des
années durant et permettent ainsi de mettre la quasi-totalité de
l’océan sous surveillance.
De la même manière, les bouteilles à la mer du prince Albert
de Monaco ont été remplacées par des flotteurs de surface localisés
en permanence par des systèmes de positionnement embarqués
sur satellite, type Argos. C’est généralement l’échouage sur les
côtes ou le ramassage intempestif par un navire passant à proximité qui met un terme à leur voyage – qui peut durer plusieurs
années. Ainsi une bouée mise à l’eau dans l’Antarctique près de
l’île Heard le 17 mars 1997 vint-elle s’échouer en septembre 2002
sur l’île Rodriguez, dans l’océan Indien, après cinq ans et un tour
complet de l’Antarctique sans cesser d’émettre.
La continuité temporelle :
les mouillages courantométriques
La technique des flotteurs mesurant la vitesse du courant en se
laissant porter par lui est qualifiée de « lagrangienne ». Si les
flotteurs utilisés sont suffisamment nombreux, on dispose ainsi
d’un champ de courant à la profondeur d’évolution des flotteurs
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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et, à chaque remontée, de profils de température et salinité
qui permettent de construire un champ géostrophique absolu,
puisqu’on a le champ de vitesse à la profondeur de référence :
celle où évoluent les flotteurs. Ce champ doit être complété par
le point de vue « eulerien » : la mesure effective et directe, en un
point, des courants réels sur des périodes suffisamment longues
pour en connaître la variabilité – comme l’avait fait Pillsbury à
partir d’un navire au mouillage.
Opérer ainsi à partir de la surface en perpétuel mouvement
rend les résultats obtenus aléatoires. Il est facile de sonder l’atmosphère : on dispose à terre, sur les continents et dans les îles,
de plates-formes stables à partir desquelles on peut faire tranquillement ses mesures. Dans l’océan, le « plancher des vaches » se
trouve en moyenne à 4 000 m de profondeur, difficulté longtemps
insurmontable qui explique que les stations fixes d’observation
et de mesure à partir de mouillages ancrés sur le fond soient
apparues tardivement, dans les années 1970. La logistique était
lourde : il fallait un navire pour déployer les mouillages, qu’il
fallait relever assez souvent pour récolter les données enregistrées
dans les appareils de mesure.
Les développements technologiques et la possibilité de
transmettre par satellite, à partir de la bouée de surface du
mouillage, les données au fur et à mesure de leur acquisition,
sans avoir à venir les chercher sur place, ont allégé la logistique
et donné la possibilité d’enregistrer des mesures sur de longues
périodes. Des relevés ont ainsi pu être faits dans les points clés
du Gulf Stream pendant le programme international WOCE
(1990-2000). Les courantomètres utilisés étaient toujours conçus
sur le principe des anémomètres : un rotor qui tourne dans le
courant donne la vitesse, et une dérive associée à un compas
donne la direction. Les mesures étaient discontinues : les courantomètres étaient répartis sur la ligne de mouillage aux niveaux
de mesure sélectionnés.
De véritables « profileurs » de courant ont été développés
récemment, qui permettent d’avoir, sur une verticale, une mesure
continue du courant en fonction de la profondeur. Un émetteur acoustique immergé émet vers le haut un signal sonore qui
sera réfléchi par les particules contenues dans l’eau, et qui se
déplacent à la vitesse du courant. Les variations de vitesse dans
les différentes couches d’eau se traduisent par un effet Doppler
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Histoire scientifique du Gulf Stream
variable, dont on déduit la vitesse du courant pour chacune des
couches.
L’intégration des échelles d’espace et de temps :
les mesures depuis l’espace
Grâce aux systèmes de localisation et de transmission des données,
on a pu multiplier les stations automatiques de mesure in situ
partout dans l’océan. La révolution spatiale de l’océanographie
ne s’arrête pas là : plus spectaculaires, les capteurs embarqués sur
satellite apportent en plus la continuité spatiale et la variabilité
temporelle. En combinant les mesures faites in situ et depuis
l’espace, on ouvre la porte à l’observation synoptique et continue
de la totalité de l’océan.
À partir de toutes ces technologies, l’exploration du Gulf
Stream et de la totalité de l’océan se poursuit, et l’on en verra de
nombreuses illustrations ici. Mais il est temps de dire ce qu’est
le Gulf Stream.
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2 Qu’est-ce que
le Gulf Stream ?
Les moteurs de la circulation océanique
Le Soleil et la Lune sont à l’origine des mouvements de l’océan. Par la
gravitation, qui génère les marées. Par l’énergie du Soleil, qui met en
mouvement l’atmosphère, qui à son tour, via le vent, entraîne l’océan.
La rotation de la Terre fait que les mouvements de l’atmosphère et
de l’océan s’organisent en tourbillons à diverses échelles de temps et
d’espace.
Les gyres océaniques
Le vent qui tourne dans le sens des aiguilles d’une montre autour des
anticyclones subtropicaux comme celui des Açores entraîne les courants
océaniques dans de vastes tourbillons anticycloniques à l’échelle du
bassin océanique ; on appelle ces tourbillons « gyres », pour les distinguer des tourbillons méso-échelle omniprésents dans l’océan, dont les
dimensions sont de l’ordre de la centaine de kilomètres. Il existe aussi
des gyres cycloniques autour de systèmes dépressionnaires comme ceux
d’Islande ou des Aléoutiennes.
Les courants de bord ouest
Le Gulf Stream est le courant qui circule sur le bord ouest du gyre anticyclonique associé à l’anticyclone subtropical des Açores. Son moteur
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
est donc le vent. Il n’est pas seul de son espèce : il existe des courants
analogues dans l’hémisphère Sud et dans les autres océans. Tous ces
courants dits « de bord ouest » ont la particularité d’être singulièrement
intenses si on les compare aux autres courants constitutifs des gyres.
Cela est dû à la rotation de la Terre et à la force de Coriolis qu’elle
induit.
Anatomie du Gulf Stream
D’un point de vue dynamique, on peut situer le démarrage du Gulf
Stream stricto sensu dans le détroit de Floride et sa fin dans l’Atlantique Nord, lorsqu’il s’oriente vers l’ouest après les Bancs de TerreNeuve. Les « extensions » vers l’est et le nord-est que sont les courants
Nord-Atlantique et de Norvège ne relèvent pas de la dynamique
induite par l’anticyclone des Açores, et c’est à tort que l’on considère souvent le Gulf Stream comme un courant qui irait du golfe du
Mexique à la Norvège.
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Les moteurs de la circulation océanique
À la question « qu’est-ce qui met l’océan en mouvement ? », on
peut répondre simplement : l’énergie reçue du Soleil, la marée
et la rotation de la Terre.
Le Soleil à l’origine des courants marins
Il n’y a pas de mouvements sans énergie. On peut en recenser sur
terre trois sources indépendantes les unes des autres, qui interviennent sur les mouvements de l’océan.
Il y a d’abord l’énergie interne de la Terre : celle qui, du fait
de la radioactivité, échauffe le noyau terrestre et fait des continents des radeaux flottants à la surface du manteau, animé de
mouvements convectifs ; c’est celle de la tectonique des plaques,
qui configure continents et bassins océaniques aux échelles
géologiques, celle des volcans, des tremblements de terre et des
tsunamis. En dépit de ses manifestations parfois violentes, elle
n’a guère d’impact sur les courants marins et leurs variations aux
échelles séculaires.
Il y a ensuite, plus paisible, bien maîtrisée et prévisible,
l’attraction gravitationnelle de nos deux luminaires, la Lune
et le Soleil, qui génère les marées. On a longtemps pensé que
l’influence de la marée sur la circulation générale océanique,
celle des courants de surface et profonds, était nulle. Il n’en
est rien, et, maintenant que l’on connaît mieux la circulation
globale de l’océan dans ses trois dimensions et que l’on peut en
faire un bilan énergétique, on s’est aperçu que la circulation dite
« thermohaline », le désormais célèbre « tapis roulant » auquel
participe le Gulf Stream, ne pouvait se maintenir s’il n’y avait
pas une source d’énergie supplémentaire apportée aux courants
marins par le transfert d’une partie de l’énergie des marées par
dissipation.
Il y a enfin l’énergie rayonnante dispensée par le Soleil à
la surface de la Terre. C’est elle le principal moteur des courants
atmosphériques et océaniques. Le transfert de l’énergie rayonnante du Soleil à l’atmosphère et à l’océan sous forme d’énergie
mécanique et cinétique ne se fait pas directement : il y faut un
intermédiaire ; c’est l’océan qui joue ce rôle pour l’atmosphère,
et l’atmosphère pour l’océan.
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
L’océan, réservoir d’énergie solaire et pourvoyeur
de l’atmosphère
L’énergie que dispense le Soleil est très inégalement répartie à
la surface de la terre : minimale dans les régions polaires, elle
est maximale à l’équateur. De plus, du fait de l’inclinaison de
l’axe de rotation de la Terre par rapport à son plan de rotation autour du Soleil, l’énergie reçue en un point quelconque
de la Terre varie selon les saisons. La Terre reçoit du Soleil en
moyenne une énergie d’environ 340 W/m2. Un tiers est directement réfléchi par l’atmosphère, renvoyé dans l’espace et donc
perdu pour le système climatique. L’atmosphère, assez largement
transparente au rayonnement solaire, n’en absorbe que 20 %.
Les 50 % restants atteignent la surface de la Terre, où ils sont
absorbés : 32 % par l’océan et 18 % par les continents. L’océan
est donc le principal réceptacle de l’énergie solaire. Il en restitue
une part à l’atmosphère, qui finalement se trouve alimentée à
30 % directement par le Soleil, à 25 % par les continents et à
45 % par l’océan. Contrairement à ce que l’on pourrait croire
intuitivement, l’atmosphère est donc chauffée essentiellement
par le bas et non directement par le Soleil, et c’est l’océan qui
lui fournit près de 50 % de son énergie. Ce transfert de l’océan
vers l’atmosphère se fait principalement dans les régions intertropicales, qui sont les principales bénéficiaires du rayonnement
solaire et où les températures de l’océan sont les plus élevées.
Notamment dans la zone intertropicale de convergence où se
rencontrent les alizés de l’hémisphère Nord et de l’hémisphère
Sud. On y observe une convection intense : c’est le fameux pot
au noir où, par évaporation, l’océan transmet à l’atmosphère de
l’énergie qu’elle mobilise lorsque la vapeur d’eau se condense en
altitude, donnant naissance aux cumulo-nimbus redoutés des
marins et des pionniers de la navigation aérienne. Les océans
équatoriaux sont la chaudière qui met en mouvement l’atmosphère et crée le vent, qui en est la conséquence.
L’océan transfère à l’atmosphère de l’énergie de trois
manières différentes. Par conduction d’abord : le fluide le plus
chaud transmet au plus froid une quantité de chaleur proportionnelle à leur différence de température. C’est la composante
la plus faible – en moyenne 10 W/m2. Elle devient importante
– de l’ordre de 50 W/m2 – quand les eaux chaudes du Gulf
Stream rencontrent les masses d’air polaire du Canada. C’est
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ensuite le rayonnement : l’océan qui absorbe le rayonnement
solaire (majoritairement dans le visible) émet à son tour, dans
l’infrarouge (correspondant à sa température), un rayonnement
moyen de 60 W/m2 absorbé par l’atmosphère. C’est enfin le plus
important (70 W/m2 en moyenne) : l’évaporation, qui atteint
ses plus fortes valeurs dans les régions tropicales (la chaudière
du système climatique) et dans le Gulf Stream, où ce transfert
atteint 200 W/m2.
Le vent, moteur des courants de surface de l’océan
Le vent ainsi créé par les apports énergétiques de l’océan à l’atmosphère va en retour, par frottement à la surface de l’océan,
lui transmettre de l’énergie mécanique et générer les courants
de surface. Le vent est le moteur principal des courants marins
de surface. Ainsi circulations atmosphérique et océanique sontelles indissolublement liées : on parle de couplage entre océan et
atmosphère. Le système climatique est une machine thermique
à convertir et à distribuer l’énergie que la Terre reçoit du Soleil.
L’atmosphère et l’océan en sont les deux fluides. Ils assurent le
transport et la distribution de l’énergie thermique de la source
chaude équatoriale à la source froide polaire. En permanence
au contact l’un de l’autre, ils ne cessent d’échanger de l’énergie
et sont indissociables. C’est le couple qu’ils forment qui gère le
climat de la planète. Toute la difficulté de traduire physiquement
ce couplage vient de ce qu’ils ont des propriétés et des vitesses
d’évolution très différentes.
Le bilan d’eau douce : les variations de salinité et de densité,
moteurs de la circulation profonde océanique
Les bulletins météorologiques de la télévision nous ont rendu
familières les relations existant entre pression atmosphérique et
force du vent : plus la pression atmosphérique est basse au cœur
d’une dépression ou d’un cyclone, plus les vents sont forts. On
sait aussi que les différences de pression atmosphérique au sol
correspondent à des variations du poids de la colonne d’air qui le
surmonte. Il en est de même pour l’océan, qui n’est pas homogène. À un niveau de référence donné, la pression « océanique »
varie : elle est égale au poids de la colonne d’eau qui le surmonte
et dépend donc de la densité des couches d’eau constituant cette
colonne. La densité de l’eau de mer est fonction de sa température
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
et de sa teneur en sel (salinité). C’est en surface que les masses
d’eau océanique acquièrent leurs propriétés, par les échanges
entre l’océan et l’atmosphère.
On a vu que le principal mode d’échange entre océan et
atmosphère était l’évaporation, en premier lieu dans les régions
tropicales et les courants chauds comme le Gulf Stream. L’évaporation est une perte d’eau pour l’océan, il y correspond à une
augmentation de la salinité – donc de la densité. Le transfert
d’énergie à l’atmosphère se fait au moment de la condensation
de la vapeur d’eau dans l’atmosphère et des précipitations, qui
constituent un apport d’eau douce à l’océan, une diminution de
la salinité et donc de la densité. Les zones d’évaporation ne coïncident pas forcément avec celles des précipitations, et l’on peut
dire que, via le cycle d’eau douce dans l’atmosphère, il y a des
« échanges » de densité entre les régions océaniques. Les eaux de
surface les plus denses auront tendance à plonger et à se maintenir
à une profondeur où elles seront en équilibre hydrostatique : les
plus légères au-dessus, les plus lourdes en dessous. C’est le moteur
de la circulation « thermohaline », combinaison des adjectifs grecs
thermos (chaud) et alinos (salé) désignant le mécanisme à l’origine de la circulation dans les couches profondes de l’océan : les
différences de densité que provoquent en surface les échanges
entre l’océan et l’atmosphère.
La machine thermique climatique : dissymétrie entre l’océan et l’atmosphère
Si le système climatique fonctionne comme une machine thermique, c’est à l’atmosphère qu’il le doit et non à l’océan, même
si tous deux contribuent au transport de chaleur des zones équatoriales vers les pôles. L’atmosphère est une machine thermique,
pas l’océan. L’atmosphère fonctionne effectivement entre une
source chaude – les océans équatoriaux qui l’alimentent à sa base
– et une source froide – les régions polaires ; c’est ce différentiel
thermique qui la met en mouvement. Il n’en est pas de même
pour l’océan, qui est dans une configuration stable : il reçoit son
énergie thermique à la surface et, comme dans une installation
de chauffage central où la chaudière serait au sommet de l’installation et non à sa base, il n’y a pas de convection spontanée.
Il faut l’entraînement de l’océan par le vent pour créer les conditions d’une instabilité génératrice de circulation profonde. Ce
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n’est donc pas, contrairement à ce que proposait Arago, l’énergie
thermique différentielle reçue par l’océan qui le met en mouvement, mais bien, initialement, l’action mécanique du vent qui, lui,
s’alimente à l’énergie thermique. Mouvement entretenu ensuite
en profondeur par la dissipation de l’énergie des marées, sans
laquelle la circulation profonde finirait par s’arrêter. En termes
de bilan énergétique, il est intéressant de noter que la circulation océanique est entretenue par une quantité d’énergie (vent
+ marée) très faible : le millième seulement de l’énergie thermique reçue par l’océan. La circulation thermohaline et le fameux
« tapis roulant océanique », dont nous parlerons abondamment
par la suite, ne sont donc pas le moteur de la circulation océanique : ils sont une conséquence de cette circulation « forcée par
l’atmosphère ».
Les forces de pression
Les échanges et forçages thermodynamiques et mécaniques
précédents induisent dans l’océan, comme dans l’atmosphère, des
différences de pression. La pression en un point donné représente
le poids de la colonne de fluide qui le surmonte. Dans l’océan
(pression hydrostatique), elle dépend de la hauteur de la colonne
d’eau et de la densité des couches d’eau qui la composent. Les
courants entraînés par le vent créent des « empilements » d’eau
dans certaines régions (haute pression) et nécessairement des
« départs » d’eaux dans d’autres (basses pressions). Ainsi le niveau
de l’océan est-il plus élevé de plusieurs dizaines de centimètres
dans les parties ouest des océans Pacifique et Atlantique équatoriaux, du fait de l’accumulation d’eaux amenées par les courants
équatoriaux sud entraînés par les alizés. Les bilans évaporation/
précipitation des différentes couches d’eau déterminent leur
densité et, in fine, le poids de la colonne d’eau. Comme dans
l’atmosphère, les différences de pression hydrostatique entre deux
points de l’océan créent des forces de pression proportionnelles
auxdites différences de pression. Tout courant océanique est
associé à une variation effective du niveau de la mer.
La rotation de la Terre et la force de Coriolis
En toute logique, suivant le principe des vases communicants qui
veut qu’un fluide s’équilibre de manière qu’à un même niveau les
pressions soient égales, vents et courants devraient, sous ­l’action
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
de la force de pression, s’écouler des hautes vers les basses pressions, avec des vitesses proportionnelles aux différences de pression. Or il n’en est rien : toutes les cartes présentées dans les
bulletins météorologiques montrent, par exemple, que le vent
tourne dans le sens des aiguilles d’une montre autour d’un centre
de haute pression (anticyclone) et en sens inverse autour des
basses pressions (dépressions). Pourtant, la géométrie nous dit
que, pour aller d’un point à un autre, le chemin le plus court est
la ligne droite. La sagesse populaire sait que ce n’est pas forcément le plus rapide, mais l’océan et l’atmosphère ont inventé le
mouvement circulaire, meilleur moyen de ne jamais arriver à
destination. Ils le doivent à une accélération complémentaire,
dite « force de Coriolis », due à la rotation de la Terre et qui
s’applique à tout corps en mouvement sur un système en rotation,
qu’il s’agisse des mouvements d’un enfant sur un manège ou d’un
courant marin sur la Terre.
La Terre tourne sur elle-même, et elle est sphérique. Par
rapport à un système de référence absolu dont l’origine est au
centre de la Terre et dont les axes sont orientés vers des étoiles
fixes, chaque point de la surface de la Terre est animé d’un mouvement de rotation dont la vitesse varie avec la latitude ; partout on
fait un tour en vingt-quatre heures, mais la distance parcourue et
donc la vitesse sont maximales à l’équateur et décroissent lorsque
la latitude augmente. Par rapport au système de référence absolu,
la vitesse d’un mobile est la composition vectorielle de sa vitesse
par rapport à la surface de la Terre (celle d’un train par rapport
aux rails, par exemple) et de la vitesse de rotation de la Terre là
où il se trouve. Même si sa vitesse par rapport à la surface de la
Terre est constante, comme il se déplace sur la Terre, sa vitesse
de rotation varie au cours du mouvement. Qui dit variation de
vitesse dit accélération – et donc force. Tout se passe, dans le
système de référence absolu, comme si tout corps en mouvement
sur la Terre était soumis à une force complémentaire : c’est la
force de Coriolis. Ce n’est pas une force ordinaire, en ce sens
qu’elle ne crée pas de mouvement, mais elle se manifeste dès
qu’il y a mouvement, et son intensité est proportionnelle à la
vitesse du mobile. Elle est dirigée vers la droite du mouvement
et perpendiculairement à lui dans l’hémisphère Nord et vers la
gauche dans l’hémisphère Sud. Nulle à l’équateur, elle augmente
avec la latitude.
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On peut l’illustrer de la manière suivante. Supposons un
missile tiré depuis l’équateur vers le pôle Nord. Il part avec une
vitesse de rotation vers l’est qui est celle de la Terre à l’équateur.
En montant vers le nord, la vitesse de rotation de la surface de
la Terre diminue, si bien que le mouvement vers l’est du missile
sera plus rapide que celui de la surface qu’il survole. Autrement
dit, par rapport à la surface de la Terre, la trajectoire du missile
est déviée vers l’est, comme si une force l’entraînait vers la droite
de son mouvement. C’est évidemment l’inverse dans l’hémisphère
Sud. C’est cette force qui, appliquée à l’atmosphère et à l’océan,
fait que leurs mouvements ne sont pas linéaires, mais s’organisent
toujours en tourbillons d’échelles variées : anticyclones, dépressions, cyclones.
L’équilibre géostrophique
On peut décrire avec une bonne approximation les mouvements
de l’atmosphère et de l’océan en faisant l’hypothèse qu’en tout
point les forces de pression et de Coriolis s’équilibrent. Dans
un champ de pression associé par exemple à une haute pression
(surélévation de la surface de l’océan – figure 3), la force de pression sera dirigée du centre de haute pression vers la périphérie,
et perpendiculaire aux isobares dans l’atmosphère ou aux lignes
d’égal niveau dans l’océan. La force de Coriolis, dans l’hypothèse de l’équilibre, lui sera égale et de sens opposé. Comme la
force de Coriolis est perpendiculaire au sens du mouvement et
vers la droite dans l’hémisphère Nord, le vent ou le courant sera
nécessairement tangent aux isobares et orienté dans le sens des
aiguilles d’une montre. Et dans le sens inverse des aiguilles d’une
montre autour d’une dépression. Partant de cette hypothèse, en
retournant le problème, on voit que, à partir d’une simple carte de
pression atmosphérique ou du niveau de la mer, on peut reconstituer le champ de vent ou de courant qui lui est associé. Cette
approximation ne prend évidemment pas en compte les forces
de frottement et la turbulence, et suppose aussi que les mouvements verticaux sont négligeables et que le système est à peu près
à l’équilibre. Il n’empêche qu’un tel procédé demeure pertinent
pour analyser l’état moyen de l’atmosphère et de l’océan à un
instant donné.
C’est cette méthode mise au point par Wilhelm Bjerknes
pour l’atmosphère en 1898 que Björn Helland-Hansen et
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
J. Sandström ont adaptée à l’océan en 1909. Grâce à l’approche
géostrophique, on peut déduire les courants moyens auxquels
correspondent les différences de pression hydrostatique. Mesurer
la pression à un niveau donné de l’océan n’est pas simple. En fait,
on ne la mesure pas : on la calcule à partir de la température et de
la salinité (dont on déduit la densité de l’eau) mesurées à l’aide de
sondes le long de la colonne d’eau. On peut ainsi évaluer en un
point le poids de la colonne d’eau qui surmonte le niveau choisi,
c’est-à-dire la pression hydrostatique. La méthode est simple,
mais lourde, puisqu’il faut aller faire des mesures en mer et donc
utiliser des navires qui sont lents et dont l’autonomie est limitée.
Impossible, ainsi, de disposer de champs de pression océaniques
synoptiques comme les météorologistes en établissent plusieurs
fois par jour pour la prévision du temps. Même si, compte tenu
des constantes de temps très différentes de l’océan et de l’atmosphère (l’atmosphère varie beaucoup plus vite que l’océan),
les échelles temporelles de « synopticité » sont très différentes :
quelques heures pour l’atmosphère, une dizaine de jours pour
l’océan. Les satellites munis de radars altimétriques permettent
maintenant d’accéder à ces champs synoptiques de « pression
océanique ». En effet, les variations de pression hydrostatique se
traduisent par des différences effectives du niveau de la mer que
ces satellites mesurent avec une précision supérieure au centimètre. Couvrant la quasi-totalité des océans, ces satellites nous
donnent accès, via la mesure des différences de niveau de la mer,
aux variations des champs de pression océanique et donc, dans le
cadre de l’hypothèse géostrophique, aux courants océaniques.
L’action du vent sur la mer : la spirale d’Ekman
On a dit que le vent était le principal moteur des courants marins
de surface ; pourtant, on rend bien compte de la circulation océanique générale telle qu’elle apparaît sur la figure 4 en faisant l’hypothèse de l’équilibre géostrophique entre force de pression et
force de Coriolis, c’est-à-dire en négligeant justement la force
d’entraînement du vent ! Le paradoxe n’est qu’apparent, et il n’y
a pas d’erreur pour peu que l’on se souvienne que l’hypothèse
géostrophique rend compte de courants moyens à l’équilibre et
que le vent à terme génère des différences de pression hydrostatique – donc des forces de pression et des courants assurés d’une
certaine permanence si la structure géographique du champ de
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vent a lui-même une certaine constance, comme dans les grands
anticyclones des régions subtropicales. L’équilibre géostrophique
rend alors compte d’un état de fait sans se soucier des causes qui
lui ont donné naissance.
C’est Fridtjof Nansen (le premier à traverser la calotte
glaciaire du Groenland d’est en ouest en 1888, qui se vit aussi
attribuer, en 1922, le prix Nobel de la paix pour son action en
faveur des réfugiés à la Société des nations) qui posa la question
de l’action du vent sur l’océan. Pour étudier la dérive des glaces
dans l’Arctique et – pourquoi pas ? – atteindre ainsi le pôle Nord,
il fit construire un navire, le Fram, spécialement conçu pour se
laisser prendre dans la banquise et dériver avec elle. Au cours
de cette mémorable expédition – qui fut un succès, même si
elle n’atteignit pas le pôle –, Nansen observa que la dérive des
glaces, et donc le courant, ne suivait pas la direction du vent
comme le simple bon sens le laissait supposer, mais qu’elle faisait
un angle d’environ 45° avec celle-ci. Nansen posa le problème
au physicien et météorologiste Bjerknes, qui en confia l’étude
à un jeune étudiant, Ekman, qui publia la solution en 1902, en
considérant cette fois l’équilibre entre la force d’entraînement
du vent à la surface et la force de Coriolis en l’absence de toute
force de pression. Il montra alors que, conformément aux observations de Nansen, du fait de la force de Coriolis, la surface de
l’eau est entraînée vers la droite en faisant un angle de 45 ° avec
le lit du vent. La couche superficielle entraîne ensuite la couche
juste sous-jacente, qui est à son tour déviée vers la droite, et
ainsi de suite (figure 5). Plus la profondeur augmente, plus le
courant est faible et dévié vers la droite. On a ainsi une spirale
et, globalement, on arrive au résultat que, sur la colonne d’eau
concernée, d’une centaine de mètres, appelée couche d’Ekman,
l’eau est entraînée perpendiculairement à la direction du vent
vers la droite dans l’hémisphère Nord et vers la gauche dans
l’hémisphère Sud.
Les gyres océaniques
La cellule de Hadley et la formation des anticyclones
subtropicaux
Sur une Terre qui ne tournerait pas sur elle-même, on peut
penser qu’entre l’équateur et les pôles s’établiraient des cellules
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
de circulation atmosphérique fonctionnant ainsi : l’air chauffé
par la chaudière océanique équatoriale monterait en altitude,
créant une ceinture équatoriale de basse pression atmosphérique ;
en altitude, la circulation se ferait vers le pôle, où l’air froid et
dense redescendrait (subsidence) vers le sol, y générant une zone
de haute pression atmosphérique ; au sol, le retour se ferait des
hautes pressions polaires vers les basses pressions équatoriales. La
rotation de la Terre et la force de Coriolis modifient ce schéma
simple, et l’on ne peut que constater le résultat tel qu’il est actuellement, sans se préoccuper du chemin par lequel le système y a
abouti au cours du temps.
Pour le décrire, commençons par ce qui en est un des
moteurs : la chaudière océanique équatoriale. Le long de la zone
intertropicale de convergence (ZITC), la rencontre des alizés du
nord et du sud chargés d’humidité océanique se traduit par des
mouvements ascendants très importants des masses d’air alimentées en énergie par l’océan. Les alizés transforment leur énergie
cinétique horizontale en énergie cinétique verticale, si bien que,
au niveau de la mer, les vents sont faibles sous ces régions d’ascendance – au grand dam des marins – et que la pression atmosphérique y est également faible. En altitude, ce flux diverge vers
le nord et vers le sud, et, asséché, l’air redescend (subsidence) dans
les régions subtropicales vers 30° de latitude, où se forment des
zones de haute pression : les anticyclones subtropicaux des Açores
et de Sainte-Hélène dans l’Atlantique, par exemple. On appelle
« cellule de Hadley » cette boucle de circulation méridienne qui
s’établit entre l’équateur météorologique – ou pot au noir –, zone
de basse pression, et le cœur des anticyclones, au nord comme
au sud (figure 6).
La circulation anticyclonique atmosphérique
Autour de ces pôles anticycloniques de haute pression qu’induisent les cellules de Hadley, la circulation atmosphérique de
surface, conformément au schéma géostrophique, s’organise
en une grande boucle dans le sens des aiguilles d’une montre
– vents d’ouest sur la bordure nord dans les régions tempérées
et alizés d’est au sud, dans les régions tropicales : on retrouve à
l’identique ce schéma symétrique par rapport à l’équateur dans
l’océan Pacifique. L’océan Indien est un demi-océan, fermé à
20°N. C’est donc la masse continentale asiatique qui contrôle la
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circulation atmosphérique dans l’hémisphère Nord et impose le
régime alternatif des moussons ; il n’y a pas sur l’océan de système
anticyclonique permanent. Dans l’hémisphère Sud, en revanche,
la situation y est « normale », avec un anticyclone analogue à ceux
de l’Atlantique et du Pacifique.
Les gyres océaniques subtropicaux
Ces grandes boucles anticycloniques de la circulation atmosphérique entraînent les océans dans leur ronde. L’action du vent se fait
sentir sur les cent premiers mètres d’épaisseur suivant le schéma
de la spirale d’Ekman. Tout au long de la boucle anticyclonique,
le vent entraîne l’eau à 90° sur la droite du vent dans l’hémisphère
Nord et sur la gauche dans l’hémisphère Sud (figure 7), c’està-dire dans tous les cas vers le centre de l’anticyclone. L’eau y
converge et s’y accumule, provoquant une surélévation d’environ
1 m de la surface – donc une augmentation significative de la
pression hydrostatique et une force de pression orientée du centre
vers la périphérie. À l’équilibre géostrophique lui est opposée
la force de Coriolis, et le courant géostrophique correspondant
s’écoule perpendiculairement à ces deux forces tangentiellement
aux « isohydrobares » (lignes d’égale pression hydrostatique, c’està-dire en première approximation les lignes de niveau autour du
centre anticyclonique), dans le sens des aiguilles d’une montre
sur la figure 7, correspondant à l’hémisphère Nord. Au centre du
gyre, l’eau ne peut s’accumuler sans cesse : elle plonge (convergence) en provoquant un approfondissement de la thermocline,
couche de très forte variation verticale de la température qui
sépare la couche homogène chaude de surface des couches froides
profondes.
La théorie d’Ekman d’entraînement de la couche de surface
de l’océan est bâtie sur l’équilibre entre la force de friction du
vent et la force de Coriolis, en négligeant les forces de pression. C’est dire que les mouvements de surface ainsi produits ne
sont pas en équilibre géostrophique – qui, lui, stipule l’équilibre
entre la force de Coriolis et la force de pression, en négligeant le
vent. Il peut paraître alors paradoxal que, partant du vent et de
la théorie d’Ekman, on aboutisse finalement à une circulation
anticyclonique géostrophique. Cela tient à ce que, pour expliquer
cette circulation, il a bien fallu établir une chronologie et prendre
un point de départ : l’action du vent, en l’occurrence, sur un
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
océan immobile à l’instant initial. L’action du vent ne concerne
qu’une couche de faible épaisseur, alors que la force de pression
induite intéresse la colonne d’eau jusqu’à plusieurs centaines de
mètres d’épaisseur, si bien qu’au final la force d’entraînement
du vent devient faible, et devant la force de pression et devant
celle de Coriolis : il peut alors y avoir équilibre géostrophique,
indépendamment du mécanisme originel de création du courant.
D’ailleurs, le fait que le calcul des courants à partir des mesures
en mer de température et de salinité (d’où l’on déduit la pression
hydrostatique), en faisant l’hypothèse géostrophique, rende bien
compte des courants moyens observés est une preuve que les gyres
anticycloniques sont proches de l’équilibre.
Partis du Soleil et de la rotation de la Terre en suivant
les transformations de l’énergie reçue du Soleil et les échanges
entre l’océan et l’atmosphère, nous sommes arrivés à ce système
couplé où la circulation anticyclonique subtropicale de l’atmosphère génère son double ou son miroir dans l’océan. C’est une
première étape vers le Gulf Stream, élément du gyre subtropical
de l’Atlantique Nord. L’étape suivante va nous conduire à cette
singularité que sont les courants qui bordent à l’ouest ces circulations anticycloniques.
Les gyres subpolaires cycloniques
Les transferts énergétiques des régions tropicales vers les régions
polaires ne se limitent pas aux cellules anticycloniques subtropicales. Symétriquement, il existe au nord des océans Pacifique
et Atlantique des cellules de circulation cycloniques subpolaires
atmosphériques et océaniques associées aux centres dépressionnaires des Aléoutiennes et d’Islande. Les courants froids coulant
vers le sud à l’ouest de ces océans – Oyashio dans le Pacifique et
Labrador dans l’Atlantique – sont les bords ouest de ces circulations cycloniques (figure 4). Les cellules subpolaires et anticycloniques atmosphériques et océaniques sont tangentes les unes aux
autres : dans l’atmosphère, elles ont en commun les vents d’ouest
des latitudes tempérées ; dans l’océan, ce sont le courant NordAtlantique et son équivalent dans le Pacifique qui prolongent le
Gulf Stream et le Kuroshio qui font la jonction entre les deux.
Ces deux types de circulation ne sont pas indépendants et interagissent l’un avec l’autre. Par exemple, un renforcement des vents
d’ouest correspond nécessairement à un renforcement à la fois de
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l’anticyclone subtropical et de la zone dépressionnaire subpolaire.
Au-delà de ces gyres subpolaires, au cœur de l’Arctique autour du
pôle, on retrouve une zone de haute pression atmosphérique.
Les courants de bord ouest
La carte de la figure 8 représente ce que l’on appelle la « topographie dynamique » des océans. Elle correspond au niveau de
la mer par rapport à ce que serait celui de la surface de l’océan
s’il était au repos, sans courant. Les surélévations apparaissent en
blanc, les dépressions en bleu foncé. La surélévation maximale
dépasse de 1,10 m le niveau moyen, et le niveau le plus bas lui est
inférieur de 1,10 m également. Cette carte a été obtenue grâce au
satellite altimétrique Topex/Poseidon lancé en 1992. Elle illustre
la puissance de l’outil satellitaire : c’est en effet une représentation
synoptique de l’ensemble du champ hydrostatique de l’océan qu’il
était totalement impossible d’obtenir avec les moyens traditionnels d’observation océanographiques ; l’équivalent pour l’océan
des cartes de pression atmosphérique utilisées pour la prévision
météorologique.
La carte met bien en évidence dans les trois océans les reliefs
associés aux circulations anticycloniques océaniques. On constate
que les sommets de la surface de l’océan ne sont pas au centre des
océans : ils sont décalés très nettement vers l’ouest et ne coïncident pas avec les centres des circulations atmosphériques, qui ne
connaissent pas cette dissymétrie. On doit cette particularité aux
continents qui dressent des barrières aux courants océaniques,
alors que les continents et chaînes de montagne ne sont pas des
obstacles infranchissables pour les mouvements de l’atmosphère.
On le doit aussi à la rotation de la Terre qui, via les variations
de la force de Coriolis, crée une dyssimétrie dans la dynamique
des courants océaniques entre les bords est et ouest. Ce resserrement des « iso-hydrobares » à l’ouest correspond à une augmentation de la pente de la surface, et donc à un accroissement de
la vitesse du courant associé : dans tous les océans, on constate
un renforcement des courants sur le bord ouest des anticyclones
subtropicaux. Cette singularité a valu à ces courants « de bord
ouest » d’être tôt reconnus et baptisés. Il s’agit, dans l’hémisphère
Nord, du Gulf Stream dans l’Atlantique et du Kuroshio dans le
Pacifique, et, dans l’hémisphère Sud, du courant du Brésil dans
l’Atlantique, de celui des Aiguilles dans l’océan Indien et enfin,
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
dans le Pacifique, du courant Est-Australien. Il y a un absent
dans cette liste : l’océan Indien Nord, soumis, comme on l’a vu,
au régime particulier des moussons et dont la dynamique n’est
pas associée à une circulation anticyclonique établie.
Conservation du tourbillon
Les océans obéissent évidemment aux lois de conservation de la
physique : conservation de la masse et de l’énergie, mais aussi de
la « quantité de mouvement », qui est moins intuitive puisqu’elle
fait intervenir la masse, la vitesse et la direction du mouvement.
Imaginons, par exemple, que deux voitures se télescopent à un
croisement. Avant le choc, on peut représenter chaque véhicule
par un vecteur dont la longueur est le produit de sa masse par sa
vitesse, les deux vecteurs faisant un angle de 90° l’un par rapport
à l’autre. Après le choc, chaque véhicule rebondira en gardant
évidemment sa masse, mais avec une vitesse et une direction
modifiées : il sera représenté par un nouveau vecteur dont la
longueur et la direction auront changé. Une chose, cependant,
n’aura pas varié : c’est la somme des deux vecteurs, qui doit
rester la même avant et après le choc. Imaginons maintenant
des joueurs de tennis maladroits jouant sur deux courts voisins.
Il peut se faire que leurs balles se rencontrent. Pour peu qu’elles
soient liftées, elles tournent sur elles-mêmes à des vitesses différentes et, dans ce cas, non seulement la quantité de mouvement
linéaire des balles est conservée comme dans le cas précédent des
voitures, mais aussi la quantité de mouvement correspondant à
leur rotation : on dit qu’il y a conservation du moment angulaire
avant et après le choc. Cette conservation du moment angulaire
a des conséquences capitales en océanographie, car tout élément
à la surface de la Terre est soumis à un mouvement de rotation
qui varie avec la latitude du fait que la Terre tourne. On appelle
ce mouvement de rotation « tourbillon planétaire » ou « vorticité
planétaire ».
Tourbillon ou vorticité planétaire
À la surface de la Terre, nous avons l’impression de vivre sur un
plan : le plan tangent à la surface de la Terre au point où nous
sommes. Dans ce plan, la rotation de la Terre se traduit par un
mouvement autour de la verticale du lieu, et la vitesse de rotation
dépend de la latitude. Imaginons-nous au pôle Nord : tant qu’il
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reste de la banquise dans l’Arctique, il n’y a pas besoin de trop
d’imagination pour cela. Là, la verticale du lieu et l’axe de rotation
de la Terre se confondent ; donc, sur notre plan, nous tournons
à la vitesse de rotation de la Terre, soit Ω = 360° en vingt-quatre
heures. Descendons maintenant à l’équateur ; notre plan est alors
tangent à l’équateur, et la verticale est perpendiculaire à l’axe de
rotation de la Terre. Ici comme partout, nous tournons autour
de l’axe de rotation de la Terre en vingt-quatre heures, mais nous
ne sommes animés d’aucun mouvement de rotation autour de la
verticale. On peut dire mathématiquement que notre vitesse de
rotation est nulle ou que l’on met un temps infini à faire un tour.
C’est cette rotation autour de la verticale induite par la rotation
de la Terre et qui varie en fonction de la latitude que l’on appelle
le tourbillon ou la vorticité planétaire : sa vitesse est maximale
au pôle et nulle à l’équateur. Elle varie comme sin φ, où φ est la
latitude. On appelle f la vorticité planétaire, et f = 2 Ω sin φ.
On peut prendre concrètement conscience de ce tourbillon
planétaire avec l’expérience de Foucault. En 1851, pour démontrer expérimentalement la rotation de la Terre, Léon Foucault
suspendit à un fil de 67 m de long, sous le dôme du Panthéon, à
Paris, un pendule de 28 kg qu’il fit osciller. Chacun constata alors
que le plan d’oscillation du pendule, muni d’un stylet inscrivant sa
trajectoire sur le sable, effectuait un tour complet dans le sens des
aiguilles d’une montre en trente-deux heures. Cette expérience
est visible de nos jours avec un pendule de moindre dimension
au Conservatoire national des arts et métiers de Paris, et elle est
reprise dans de nombreux musées de sciences et techniques à
travers le monde. La rotation de la Terre fut ainsi démontrée,
ainsi que la réalité du tourbillon planétaire. En effet, l’axe du
pendule au repos représente la verticale, et le mouvement de
rotation du plan d’oscillation autour de la verticale est la signature de la rotation de la Terre. Aux pôles, le plan de rotation du
pendule fait un tour complet en vingt-quatre heures ; à l’équateur,
il met un temps infini.
Tourbillon local ou vorticité relative
Imaginez que Foucault, heureux du résultat de son expérience, se
mette à danser en tournant autour du pendule – ce qu’il fit peutêtre. Il crée alors sous la coupole du Panthéon un tourbillon local,
que l’on appellera vorticité locale. La conservation du moment
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
angulaire signifie que, par rapport à un repère fixe (origine des
ordonnées au centre de la Terre et les trois axes dirigés vers des
étoiles lointaines immobiles), la somme du tourbillon local et du
tourbillon planétaire, toutes choses égales par ailleurs, doit rester
constante si d’aventure l’ensemble se déplaçait à la surface de la
Terre. On emploie plus couramment le terme de vorticité, qui
n’implique pas obligatoirement un mouvement circulaire. Lorsqu’on est en voiture et que l’on aborde un virage, on crée de la
vorticité locale ; on est évidemment attentif à ne pas rater le virage
et l’on se moque bien du tourbillon planétaire ; il n’empêche que
la conservation du tourbillon ou de la vorticité s’applique dans ce
cas. En voiture, un virage représente des changements de direction : dans l’hémisphère Nord, un virage à droite est anticyclonique et un virage à gauche cyclonique, et la vorticité, tendance à
la rotation, représente la vitesse à laquelle s’opère le changement
de direction. Dans un système de coordonnées horizontales où
l’on décompose la vitesse en deux composantes, sur l’axe des x
et l’axe des y, on représente la vorticité par une grandeur : le
rotationnel. Il traduit la vitesse de variation de la direction en
comparant les vitesses de variation des deux composantes de la
vitesse : rotationnel = vitesse de variation de la composante x
– vitesse de variation de la composante y. On voit bien que, plus
cette différence est grande (positivement ou négativement), plus
le virage est serré, plus la vorticité locale est grande. On appelle
ζ la vorticité relative telle ζ = δu/δx – δv/δy. Il en va de même
pour les courants océaniques.
Conservation de la vorticité : les courants de bord ouest
La conservation de la vorticité implique que l’on ait l’équation : f + ζ = Cte1. La vorticité planétaire f liée à la rotation de
la Terre est déterminée par la latitude : elle est complètement
indépendante des courants. Qui, en revanche, peut faire varier
la vorticité relative ? Le vent d’abord, qui est soumis à la même
loi de conservation de la vorticité et possède son propre tourbillon local. Dans le cas des circulations anticycloniques qui nous
occupent : à une augmentation de la circulation anticyclonique
du vent correspond une augmentation de l’intensité du tourbillon
des courants subtropicaux. C’est ensuite la friction des courants
sur les masses d’eau avoisinantes, sur le fond ou sur les bords
du bassin, qui ralentissent les courants et diminuent toujours la
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valeur absolue du tourbillon. La friction crée toujours une vorticité de sens contraire à celle du courant. Point capital : l’effet de
la friction est d’autant plus important que la vitesse des courants
est élevée.
Dans la circulation anticyclonique des Açores, le vent tend
à augmenter l’intensité du tourbillon anticyclonique de l’eau. Cela
ne peut évidemment pas se faire éternellement, et à l’équilibre en
régime stationnaire un mécanisme est nécessaire pour stabiliser
la vorticité océanique. En vertu de la conservation du tourbillon,
cette tendance à l’augmentation du tourbillon local sous l’action
du vent devra être compensée par une diminution équivalente
du tourbillon planétaire, et donc par un déplacement moyen de
l’eau vers l’équateur (diminution de la force de Coriolis et donc du
tourbillon planétaire). Nous sommes en régime stationnaire, et ce
mouvement d’eau vers l’équateur doit, à son tour, être compensé
par un mouvement équivalent vers le nord. Stommel, en 1948,
a montré que ce retour devait se faire nécessairement sur le bord
ouest, en considérant la dissipation de l’énergie transmise aux
courants par les vents et l’effet de friction. Dans le cas présent
d’une circulation anticyclonique, l’effet de friction est nécessairement cyclonique. Sur le bord ouest du bassin, le courant est dirigé
vers le nord : le tourbillon planétaire qui est toujours anticyclonique croît et s’ajoute au tourbillon local, lui-même anticyclonique. Pour les besoins de la conservation du tourbillon, c’est la
friction s’opposant au courant qui introduit pour compenser un
effet cyclonique. À l’est du bassin, le courant va vers le sud : l’effet
planétaire diminue et contrebalance naturellement la tendance
à l’accroissement du tourbillon local sous l’action du vent. La
friction joue alors un rôle marginal, et le courant à la vitesse
duquel elle est proportionnelle est faible. À l’ouest, la friction,
qui est la seule force en jeu pour compenser les effets conjoints
du tourbillon local et du tourbillon planétaire, doit au contraire
être très forte, et le courant nécessairement intense.
Le raisonnement que Stommel a développé pour expliquer
le Gulf Stream dans l’Atlantique Nord s’applique de la même
manière aux circulations anticycloniques des autres bassins
océaniques. Ainsi explique-t-on ce caractère commun à tous
les océans : l’intensification des courants sur le bord ouest des
circulations anticycloniques océaniques et le décalage observé
entre les centres des anticyclones océaniques collés à l’ouest des
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
bassins et ceux des anticyclones atmosphériques, beaucoup plus
symétriques. Le raisonnement développé ici pour les circulations
anticycloniques s’applique aussi, mais en sens inverse, aux circulations cycloniques subpolaires : les courants comme l’Oyashio
et celui du Labrador dans les océans Pacifique et Atlantique
bord ouest des circulations cycloniques subpolaires associées aux
zones atmosphériques dépressionnaires sont accélérés de la même
manière que le Kuroshio et le Gulf Stream. Le Gulf Stream
n’est donc pas, en dépit du mythe, un phénomène unique dans
l’océan : le Kuroshio, les courants des Aiguilles, du Brésil et de
l’Est australien sont de la même espèce.
De la même espèce, oui, mais pas pour autant identiques.
Aux jeux Olympiques des courants, le Gulf Stream se singularise et devance ses congénères par l’importance de son débit.
Cela lui vaut une médaille d’argent, la médaille d’or revenant
sans contestation possible au courant Circumpolaire Antarctique
qui, entraîné par les vents d’ouest – quarantièmes rugissants et
autres cinquantièmes hurlants –, se déploie sans contrainte et
sans obstacle tout autour de la planète.
On exprime le débit des courants en millions de mètres
cubes à la seconde ou sverdrup (Sv), du nom de l’illustre océanographe. Aucun fleuve n’atteint de tels débits : celui de l’Amazone,
le plus important, atteint 300 000 m3/s à son maximum. Le débit
total de tous les fleuves et rivières de la planète est de l’ordre de
1 Sv, alors que le seul Gulf Stream atteint déjà trente fois cette
valeur au débouché du détroit de Floride. Le débit moyen du
courant Circumpolaire Antarctique est d’environ 140 Sv. Le Gulf
Stream atteint à peu près la même valeur en fin de parcours, à
la hauteur des Bancs de Terre-Neuve : on peut dire que le Gulf
Stream n’arrive qu’au sprint à égaler le courant Antarctique.
Le courant des Aiguilles n’est pas loin derrière, avec un débit
maximal variant entre 90 et 135 Sv. Le Kuroshio et le courant du
Brésil ensuite, avec 60-70 Sv. Le courant Est-Australien, enfin,
est le parent pauvre : son débit moyen n’est que de 15 Sv.
Cette prééminence relative du Gulf Stream tient à trois
choses. D’abord, l’océan Atlantique sur son bord ouest est
complètement borné par le continent américain : la séparation
entre l’Atlantique et le Pacifique est totalement étanche : les eaux
amenées à l’ouest par les courants équatoriaux n’ont pas d’échappatoire, elles doivent forcément s’écouler vers le nord ou vers le
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sud. La frontière entre l’océan Pacifique et l’océan Indien est au
contraire poreuse, et une partie des eaux des courants équatoriaux
s’écoule dans l’océan Indien à travers les nombreux détroits qui,
de la Nouvelle-Guinée à Bornéo et aux Philippines, morcellent
l’archipel indonésien. C’est surtout vrai pour le courant Équatorial Sud, et c’est autant de perdu pour le courant Est-Australien,
réduit à la portion congrue. Ensuite, l’océan Atlantique n’est pas
symétrique par rapport à l’équateur – plus exactement, l’équateur
météorologique, que l’on appelle aussi thermique, ne coïncide pas
avec l’équateur géographique. L’équateur météorologique est la
zone de convergence des alizés, la zone intertropicale de convergence qui sépare les anticyclones subtropicaux des Açores, dans
l’Atlantique Nord, de celui de Sainte-Hélène, dans l’hémisphère
Sud. La position de cet équateur oscille selon les saisons, mais il
se situe toujours, dans l’hémisphère Nord, entre 10°N en été et
5°N en hiver. C’est la zone où s’écoule d’ouest en est le contrecourant Équatorial, qui sépare les courants équatoriaux Nord et
Sud. Cette dissymétrie nord-sud fait que le courant Équatorial
Sud est à cheval sur l’équateur et s’étend de 8°S jusqu’à près de
5°N (figure 4).
Naturellement, en arrivant sur l’extrémité est des côtes
d’Amérique du Sud, le flux va se scinder en deux parties. La partie
sud alimentera le courant du Brésil, courant de bord ouest de la
circulation anticyclonique de l’Atlantique Sud. La partie nord
viendra se joindre au courant Équatorial Nord pour renforcer le
Gulf Stream, qui bénéficie ainsi d’une double alimentation : l’une
que l’on pourrait qualifier de légitime et l’autre détournée de la
circulation anticyclonique de l’Atlantique Sud. Beaucoup plus
large que l’Atlantique, l’océan Pacifique est moins asymétrique,
surtout dans l’ouest : le flux vers le nord du courant Équatorial
Sud est d’autant plus négligeable que, comme on l’a vu, sa partie
nord ne rencontre guère d’obstacles pour poursuivre sa course
dans l’océan Indien à travers les détroits indonésiens.
Enfin, et ce n’est pas le moindre, le Gulf Stream reçoit
le renfort de la circulation thermohaline, dont il est en partie
responsable. Retour sur investissement, pourrait-on dire. Nous
nous y attarderons davantage plus loin. En bref, le Gulf Stream
transporte vers le nord des eaux chaudes et surtout salées qui,
via le courant Atlantique-Nord et le courant de Norvège qui le
prolongent, vont atteindre les mers de Norvège et du Groenland
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
où, refroidies en hiver et parce que très salées, elles vont devenir
plus denses que les eaux sous-jacentes. Elles plongent alors (on
parle de convection) et alimentent la circulation thermohaline
et le « tapis roulant » océanique. Il y a donc appel d’eau, ce qui
va augmenter d’autant le flux du Gulf Stream. C’est ce que l’on
appelle en anglais Atlantic Overturning Circulation. On verra que
ce phénomène n’a pas son équivalent dans l’océan Pacifique.
Note
1. En toute rigueur, c’est la quantité ( f + ζ)/h où h est la profondeur qui se conserve, mais
cela ne modifie pas le raisonnement qui suit.
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Anatomie du Gulf Stream
« Le Gulf Stream est une rivière au milieu de l’océan, dont le niveau
ne change ni dans les plus fortes sécheresses ni dans les plus fortes pluies.
Il est limité par des eaux froides, tandis que son courant est chaud.
Il prend sa source dans le golfe du Mexique et se jette dans l’océan
Arctique. Il n’existe pas sur la Terre un cours d’eau plus majestueux :
sa vitesse est plus rapide que celle du Mississippi ou des Amazones, et
son débit 1 000 fois plus consequent. » 2
Ainsi Maury célébrait-il plus qu’il ne le décrivait le Gulf Stream
en 1855, dans son célèbre ouvrage The Physical Geography of the
Sea, qui est aussi un éloge de la bienveillance divine et se veut
une illustration de la sagesse et de la grandeur des desseins du
Créateur. Le succès de l’ouvrage et sa tonalité religieuse sont à
l’origine de la « mythification » du Gulf Stream, deus ex machina
du climat de l’Europe à l’époque, puis maintenant de la planète
entière, dont la défaillance pourrait faire basculer l’hémisphère
Nord dans une nouvelle ère glaciaire, en dépit d’un réchauffement
global avéré de la planète.
La vision de Maury était étayée par l’explication qu’en
donnait Arago. La querelle était vive, au début du xixe siècle,
entre ceux qui expliquaient les courants marins par l’entraînement
du vent et ceux qui, comme Arago, pensaient que le vent léger
et aérien était incapable d’entraîner de telles masses d’eau. Tout
le monde était d’accord pour faire au départ du Gulf Stream un
exutoire des eaux accumulées dans le golfe du Mexique. Certains
pensèrent même qu’il fallait voir son origine dans les apports
d’eau du Mississippi dans le golfe du Mexique. J. Renell fut le
premier à faire une distinction entre le Gulf Stream proprement
dit et la dérive Nord-Atlantique, en expliquant cette dernière par
l’action des vents d’ouest. Idée juste qui disparut pour un temps
à la trappe, balayée par l’enthousiasme de Maury pour un Gulf
Stream fleuve continu des Caraïbes à l’Arctique, et qui préférait la
vision thermohaline partiellement juste d’Arago. Arago avait une
argumentation assez simple et cartésienne : pourquoi chercher
pour la circulation océanique une autre explication que celle qui
fonctionne pour l’atmosphère ? Il était admis que la circulation
atmosphérique était le résultat de la régulation thermique entre
une région chaude (l’équateur) et une région froide (les pôles). Il
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
devait en être de même pour l’océan : les eaux froides et denses
plongent dans les régions polaires, descendent vers l’équateur,
où elles remontent vers la surface ; là, le Gulf Stream ferme la
boucle, en ramenant l’eau vers l’Arctique. C’est bien le moteur
de la circulation thermohaline, si importante pour le climat, que
décrivait ainsi Arago. Mais son souci de clarté et de simplification revenait à nier l’importance du couplage « mécanique » entre
l’océan et l’atmosphère, et du vent comme moteur des courants,
pour ne prendre en compte que les échanges thermodynamiques.
Il privilégiait ainsi les dynamiques purement internes à chacun
des fluides, basées sur les mêmes processus de variation de densité
(variations thermiques pour l’atmosphère et thermohalines pour
l’océan). Rendons hommage à Rennell, qui avait compris que le
manichéisme n’était pas de mise pour expliquer les courants océaniques. On l’a dit, Arago avait tort : le moteur du Gulf Stream,
c’est l’entraînement par le vent dans la circulation anticyclonique
subtropicale. La circulation thermohaline n’est pas une cause du
Gulf Stream, même si elle le renforce, elle en serait même plutôt
une conséquence.
Nous voici donc avec le Gulf Stream courant de bord ouest
de la circulation anticyclonique de l’Atlantique Nord, avec quelques particularités le distinguant de ses congénères et expliquant
sa mythification et sa médiatisation, qui vont maintenant bien
au-delà de son histoire très liée à celle du monde occidental
américano-européen.
Où commence le Gulf Stream ?
Après la description faite des courants de bord ouest parties
prenantes des circulations océaniques anticycloniques subtropicales, il n’est pas simple de leur assigner un début et une fin
précis, puisqu’ils font tous partie d’une noria continue. Le Gulf
Stream constitue une exception, du fait de la morphologie des
continents, qui réduit la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique
à un cul-de-sac où s’engouffre une partie du courant Équatorial
Nord et du courant de Guyane, prolongement vers le nord du
courant Équatorial Sud. La sortie ne peut se faire que vers le
nord, dans le sens de la circulation anticyclonique, et la seule
issue possible est le détroit séparant la Floride de Cuba. C’est ce
trop-plein – oublions le Mississippi – qui marque la naissance
du Gulf Stream. De part et d’autre de la Floride, le niveau de
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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la mer est plus élevé dans le golfe du Mexique que côté Atlantique, de 70 cm environ : de quoi alimenter le débit important
mesuré dans le détroit – 30 Sv en moyenne. Le Gulf Stream,
alimenté par le courant Équatorial Nord et le courant Équatorial
Sud, bénéficie donc, outre le détournement des eaux du sud, de
conditions initiales particulières que l’on ne retrouve pas dans
les autres courants.
Où finit le Gulf Stream ?
La question est plus délicate et a fait l’objet de controverses.
Elle n’est d’ailleurs pas simplement scientifique, en ce sens que
la réponse qu’y donnent les scientifiques, pour être assimilée, se
heurte à la force du mythe bien enraciné dont nous sommes redevables à Maury, et qui relève d’une pensée animiste sacralisant,
en les nommant, les phénomènes naturels. Ainsi le Gulf Stream
calorifère du golfe du Mexique à l’Arctique. Les scientifiques,
pour se faire comprendre notamment dans les médias, sont alors
obligés de transiger et d’appeler Gulf Stream ce qui ne l’est pas
vraiment, mais qu’il serait sans doute un peu compliqué d’expliquer. Par exemple, pour répondre à la question d’un journaliste
sur un thème à la mode popularisé par le cinéma – « Que se
passerait-il si le Gulf Stream s’arrêtait ? » –, le scientifique pourra
difficilement faire un cours sur la nécessaire différence à faire
entre le Gulf Stream stricto sensu et ses extensions – le courant
Nord-Atlantique et le courant de Norvège – qui, dans l’esprit
du journaliste comme dans celui des auditeurs, ne font qu’un,
alors que dans la question ce sont ces extensions qui sont visées.
Le courant de Norvège a en effet sans doute disparu dans les
périodes glaciaires sans que pour autant le Gulf Stream, élément
de la circulation anticyclonique de l’Atlantique Nord, ait luimême disparu. Le scientifique sera quasiment obligé de répondre
en nommant Gulf Stream ce qui convient au journaliste. Ainsi
perdurent les mythes…
Dans les préoccupations climatiques actuelles, il en est un
autre qui fait concurrence au Gulf Stream : El Niño, qui, avec
un tel nom, était forcément destiné à un bel avenir. El Niño
– l’Enfant Jésus – est initialement le nom donné par les pêcheurs
péruviens à un courant chaud qui se manifeste sur leurs côtes
aux environs de Noël et leur apporte des espèces tropicales les
changeant de l’ordinaire.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
Pour répondre à la question « Où s’arrête le Gulf Stream ? »,
revenons à ses causes analysées précédemment et à la définition
qui en découle : le Gulf Stream est le courant de bord ouest de la
circulation anticyclonique de l’Atlantique Nord. Sa particularité
dynamique tient d’une part à sa proximité avec la côte (force de
friction), d’autre part à l’accroissement de la vorticité planétaire,
tous deux s’évanouissant lorsque le courant, suivant le mouvement
anticyclonique, s’écarte de la pente continentale et s’oriente vers
l’est, direction dans laquelle le tourbillon planétaire ne varie pas.
On peut alors dire que, dynamiquement, le Gulf Stream termine
sa course à environ 40°N et 50°W. Cela ne veut évidemment pas
dire que le courant s’arrête et que la vitesse tombe à zéro en ce
point. Il y a continuité de flux, et les eaux chaudes et salées transportées par le Gulf Stream dynamique poursuivent leur chemin,
d’une part vers le nord dans le courant Nord-Atlantique et celui
de Norvège, comme on le verra plus loin en examinant le rôle
que joue le Gulf Stream dans la dynamique du climat, et d’autre
part vers le sud dans la circulation anticyclonique via le courant
des Açores.
Le débit du Gulf Stream
Le Gulf Stream démarre dans le détroit de Floride, reste collé à la
pente continentale jusqu’au cap Hatteras où, suivant la circulation
anticyclonique, il s’éloigne de la côte et prend le large, ouvrant
sur son flanc gauche un espace entre sa limite sur bâbord et la
pente continentale américaine que l’on appelle Slope Sea. Certains
appellent « courant de Floride » la partie incluse entre le détroit
de Floride et le cap Hatteras, réservant le nom de Gulf Stream
au courant au-delà du cap Hatteras. Il y a, qualitativement, des
raisons de faire cette différence, et il suffit pour s’en convaincre
de regarder les images satellitaires de température de surface
(figure 9) : le courant de Floride ressemble à une sorte de jet,
alors qu’au-delà du cap Hatteras le courant apparaît comme un
univers beaucoup plus tourmenté et tourbillonnaire. Cette différence tient plus à la morphologie continentale qu’à la dynamique
du courant. Le courant de Floride est canalisé par la pente continentale à laquelle il est collé, alors que, s’écartant vers le large
après le cap Hatteras, le courant ne connaît plus cette contrainte,
les instabilités pouvant alors se développer sans retenue. Dans le
détroit de Floride, le débit du Gulf Stream est d’environ 30 Sv ; il
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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passe à 80-90 Sv au cap Hatteras et atteint enfin son maximum,
proche de 140 Sv, avant les Bancs de Terre-Neuve (figure 10).
Après quoi il décline jusqu’à se dissoudre dans le courant NordAtlantique, qui prend le relais. On sait que, sur les continents,
les petits ruisseaux font les grandes rivières : l’Amazone, depuis
sa source jusqu’à son débit maximal, ne cesse d’être alimentée
sur sa gauche et sur sa droite par de nombreuses rivières qui
drainent ainsi tout un bassin hydrologique débouchant sur l’Atlantique. Dans l’océan, on peut difficilement parler d’« affluents »
comme on le fait à terre. Le Gulf Stream reçoit certes l’apport
du courant des Antilles, branche du courant Équatorial Nord
resté à l’extérieur de l’arc des Antilles et qui joint son flux à celui
du Gulf Stream à sa sortie du détroit de Floride, mais c’est très
insuffisant pour rendre compte d’une multiplication par trois du
débit au cap Hatteras – et encore d’un doublement au-delà. On
peut cependant, d’une certaine manière, parler du bassin du Gulf
Stream comme on le fait du bassin amazonien : c’est ce que l’on
appelle la recirculation du Gulf Stream.
Une source d’énergie : l’énergie potentielle liée à la gravité
Cette recirculation est schématisée par les deux boucles de circulation de la figure 11, l’une au nord dans le sens cyclonique et l’autre
au sud dans le sens anticyclonique. Dans les deux cas, ces boucles
ramènent de l’eau qui va alimenter et renforcer le Gulf Stream
en amont. Cette recirculation mobilise une source d’énergie que
l’on n’a pas encore évoquée : l’énergie potentielle liée à la gravité,
ou attraction universelle. C’est un fait bien connu : sous l’effet de
la gravité, les corps tombent et, ce faisant, libèrent de l’énergie.
Une chute d’eau, par exemple, fournit d’autant plus d’électricité
que la hauteur de la chute est élevée. Autrement dit, l’énergie
utilisable ou potentielle varie avec la hauteur : l’énergie potentielle de l’eau d’un lac augmente avec son altitude. Les eaux de
l’océan, soumises aussi à la gravité, recèlent de la même manière
de l’énergie potentielle. Dans un océan stratifié (la densité croît
avec la profondeur) au repos, les lignes d’égale densité (isopycnes)
se confondent avec l’horizontale : toutes les particules d’eau de
même densité sont à la même profondeur et ont donc la même
énergie potentielle. L’océan réel, lui, n’est pas au repos : entraîné
par le vent, il génère des courants dont le résultat est que les
isopycnes ne sont pas horizontales, mais ­inclinées ; et leur pente
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
est d’autant plus forte que le courant associé est puissant. Il se
crée ainsi des différences d’énergie potentielle importantes entre
les points hauts et les points bas des couches d’égale densité.
L’énergie potentielle des océans est cent fois plus grande que son
énergie cinétique. Supposons que l’on puisse arrêter les courants :
par gravité, les isopycnes reviendraient à l’horizontale, ce qui
amènerait de grands déplacements d’eau libérant l’énergie potentielle créée par les courants comme dans un barrage hydroélectrique. L’énergie potentielle ainsi accumulée dans l’océan est
de 106 joules/m2, et il faudrait plus de dix ans pour arriver à un
océan au repos si les vents cessaient de souffler. C’est par la
récupération d’une partie de cette énergie et sa transformation
en énergie cinétique que les tourbillons vont créer les cellules de
recirculation du Gulf Stream.
La circulation générale océanique – par exemple le gyre
anticyclonique – est une circulation moyenne qui ne rend pas
compte de la réalité « quotidienne » des courants qui y concourent. Les courants sont instables, et forment méandres et tourbillons à l’échelle de la centaine de kilomètres. On peut dire que
la circulation moyenne représente le « climat de l’océan », alors
que méandres et tourbillons représentent le « temps » de l’océan,
comme les fronts et dépressions ou les cyclones dans l’atmosphère.
Les viscosités très différentes de l’océan et de l’atmosphère font
que les dimensions des phénomènes et leur durée de vie sont aussi
très dissemblables dans les deux fluides : la centaine de kilomètres
et plusieurs mois dans l’océan, le millier de kilomètres et quelques
jours dans l’atmosphère. Dans les deux cas, ces « perturbations »
sont les résultats d’instabilités naissant dans les régions de forte
variation de vitesse dans le sens horizontal ou vertical.
Les tourbillons, agents de transfert d’énergie
Un océan stratifié au repos est stable, c’est-à-dire qu’une perturbation se résorbe spontanément sans compromettre l’état du
système, qui revient à la situation initiale. On parle au contraire
d’instabilité lorsque, une fois déclenchée, la perturbation s’amplifie spontanément. C’est le mouvement qui crée de l’instabilité dans l’océan. À l’équilibre géostrophique, qui représente
l’état moyen de la circulation océanique, l’intensité du courant
entre deux points est proportionnelle à la différence de pression
hydrostatique entre ces deux points – ce qui revient à dire que la
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pente des isopycnes est d’autant plus grande que le courant est
rapide, et réciproquement. Ainsi dans le Gulf Stream, champion
du monde de vitesse (2 m/s dans le courant de Floride), la ligne
d’isodensité 27 (peu importe l’unité) passe-t-elle de 800 m de
profondeur (haute pression) au sud à 200 m seulement (basse
pression) 100 km plus au nord – ce qui, dans l’océan, est considérable (figure 12).
On conçoit intuitivement que, plus on s’éloigne de la
situation stable (isopycnes horizontales), plus est grand le risque
d’instabilité. Lorsque la pente est très forte, de petits déplacements amènent facilement des eaux plus légères dans les eaux
plus denses, et réciproquement. Au lieu de s’amortir, le mouvement va s’amplifier puisque, incluse dans un milieu plus dense,
l’eau légère s’élèvera nécessairement et qu’inversement de l’eau
lourde en milieu moins dense ne pourra que plonger. Il s’ensuivra
une tendance à la diminution de la pente des isopycnes et une
récupération d’énergie potentielle pour entretenir le mouvement.
De ces instabilités naissent les tourbillons, qui puisent donc leur
énergie dans le stock d’énergie potentielle de l’océan. On peut
dire qu’ils récupèrent l’énergie potentielle et qu’ils la transforment
en énergie cinétique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser
a priori, les tourbillons associés au Gulf Stream tels qu’on peut
les voir sur les figures 34 et 36 ne correspondent pas à une dissipation de l’énergie du courant par frottement. Au contraire, loin
d’y puiser leur énergie, les tourbillons vont lui en faire cadeau via
la recirculation du Gulf Stream, qu’ils alimentent. L’instabilité
à l’origine du tourbillon est amorcée par les méandres du Gulf
Stream, qui vont finir par se fermer sur eux-mêmes (figure 13).
Le tourbillon est chaud et anticyclonique lorsqu’il se forme au
nord du courant. Il est au contraire froid et cyclonique lorsqu’il
se forme au sud.
Les tourbillons existent dans tout l’océan, et leur énergie
cinétique est dix fois supérieure à celle des courants moyens de
la circulation générale océanique, comme la circulation anticyclonique de l’Atlantique Nord. Ils sont des agents très actifs des
transferts de quantité de mouvement et de chaleur dans les océans.
Associés à l’instabilité des courants, ils sont particulièrement
développés dans les zones à fort gradient de vitesse, comme on
en trouve dans les courants de bord ouest tels que le Gulf Stream,
le Kuroshio ou le courant des Aiguilles. Ils sont une découverte
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
relativement récente en océanographie. On soupçonnait depuis
pas mal de temps l’existence de tels phénomènes : la dérive des
navires et l’observation des trajectoires d’objets dérivants la suggéraient. Mais les campagnes océanographiques traditionnelles,
avec un seul navire, étaient bien incapables d’identifier ces structures de faible dimension, mobiles et éphémères. Il fallut attendre
les années 1970 et les expériences MODE et POLYMODE,
entre 1972 et 1977 – qui offrirent, sur une zone restreinte de la
mer des Sargasses (600 km de côté), une concentration simultanée exceptionnelle de moyens (six navires, mouillages, flotteurs) –, pour que l’on évaluât le poids des tourbillons dans les
transferts d’énergie et que l’on mesurât la difficulté de bien les
échantillonner par les moyens classiques. Le problème eût été
quasiment insoluble sans la révolution spatiale des années 1980,
qui donna un accès quasi synoptique à la totalité de l’océan. Ainsi
peut-on maintenant, grâce à l’altimétrie satellitaire, discriminer
et suivre l’évolution des tourbillons associés aux courants de bord
ouest (figure 14).
Les tourbillons doivent être pris en compte dans les modèles
de simulation de la dynamique des océans, si l’on veut que ceux-ci
soient réalistes, ce qui oblige à développer des modèles de très
haute résolution spatiale (inférieure à la dizaine de kilomètres)
pour bien les représenter et « résoudre » leur dynamique propre,
et impose une très grande puissance de calcul, l’insuffisance
en la matière ayant longtemps freiné le développement de tels
modèles.
La recirculation du Gulf Stream
Les tourbillons chauds anticycloniques au nord et les tourbillons
froids cycloniques au sud se déplacent vers le sud-ouest, les premiers
à travers la Slope Sea qui sépare le Gulf Stream de la pente continentale, les seconds via la mer des Sargasses. Tous rejoignent le
cours principal du Gulf Stream, auquel ils procurent un supplément d’énergie et de flux qui explique l’accroissement de son débit.
Découvrant avec surprise que ces tourbillons n’étaient pas une
déperdition d’énergie du courant, mais une récupération d’énergie
potentielle, on a parfois parlé de viscosité « négative ». Les tourbillons n’apparaissent pas structurellement aux échelles de la circulation générale, qui est une moyenne « climatique » des « temps »
que sont les tourbillons. Leur contribution y est intégrée.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Les deux boucles de recirculation de la figure 11 représentent la circulation moyenne induite par les tourbillons de part et
d’autre du Gulf Stream. La boucle nord est coincée dans la Slope
Sea, où les tourbillons ont peu d’espace pour évoluer ; leur durée
de vie est relativement courte – quelques mois en moyenne. Il y
a beaucoup plus de place, en revanche, au sud, où les tourbillons
peuvent vivre jusqu’à deux ans. La boucle sud de recirculation crée
un petit gyre anticyclonique, sorte de circuit court à l’intérieur de
la grande boucle anticyclonique de l’Atlantique Nord. C’est elle
qui, en l’enserrant, confine ou emprisonne la mer des Sargasses
et confère à cette mer fermée, mais sans rivage, ses propriétés
écologiques si particulières.
Extensions du Gulf Stream
Le Gulf Stream à 50°W perd ses particularités dynamiques, et son
débit a diminué. Les eaux qu’il transporte ne s’arrêtent pas là pour
autant : si elles changent de train, elles poursuivent leur route. Ce
nouveau train s’appelle le courant Nord-Atlantique. Il constitue
à la fois le bord nord de la circulation anticyclonique subtropicale
que l’on a décrit précédemment et le bord sud du gyre cyclonique subpolaire de l’Atlantique Nord, associé aux basses pressions atmosphériques à peu près centrées sur l’Islande, et dont le
courant du Labrador (figure 4) constitue le courant de bord ouest
symétrique du Gulf Stream, à la rencontre duquel il va et qu’il
rejoint effectivement au niveau du Grand-Banc de Terre-Neuve.
Ce courant se scinde rapidement en deux : la branche sud boucle
par l’est la circulation anticyclonique subtropicale pour former le
courant des Açores, puis celui des Canaries ; la branche nord, que
l’on continue souvent d’appeler courant Nord-Atlantique – comme
sur la figure – ou que l’on désigne comme dérive Nord-Atlantique,
file vers le nord et se prolonge par le courant de Norvège sous la
double action du vent et de la pompe thermohaline de l’Arctique,
qui joue ici un rôle essentiel.
La pompe thermohaline
Il n’a pas jusqu’ici été fait grand cas, pour décrire et expliquer le
Gulf Stream, du processus que privilégiaient Arago et Maury :
la cellule océanique nord-sud amorcée par la plongée dans les
régions polaires des eaux froides et denses « aspirant » vers le
nord les eaux chaudes équatoriales via le Gulf Stream, avec en
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
profondeur un courant de retour vers l’équateur où les eaux
fermeraient la boucle en remontant en surface. Il n’est en effet
nul besoin de ce mécanisme pour expliquer la circulation anticyclonique de surface conduite par le vent et l’existence du Gulf
Stream sur son bord ouest. Il existe cependant. Il est même plus
ample que ne le pensait sans doute Arago, puisque c’est à ce
mécanisme thermohalin de plongée d’eaux plus denses sous des
eaux de surface relativement légères que l’on doit la circulation
océanique au-delà des quelques centaines de mètres gouvernées
par l’action du vent.
Les eaux du Gulf Stream à son origine sont chaudes et
salées. Au cours de leur transport vers le nord, leurs propriétés
vont évoluer, par le fait d’un mélange avec les eaux avoisinantes
et d’échanges avec l’atmosphère (évaporation, précipitations).
Arrivant au contact d’air froid d’origine polaire dans le nord
de leur parcours, les eaux chaudes du Gulf Stream transfèrent par évaporation une énergie considérable à l’atmosphère,
jusqu’à 350 W/m2. C’est l’équivalent de ce que le Soleil envoie
en moyenne à la Terre. C’est le record absolu des transferts de
l’océan vers l’atmosphère, le Kuroshio et les régions tropicales
faisant moins bien. Cette évaporation intense refroidit la surface
de l’océan et accroît sa salinité, donc sa densité. Le bilan à l’arrivée
en mers de Norvège et du Groenland (que l’on appellera mers
GIN pour Groenland, Islande, Norvège), au-delà du seuil qui
va du Groenland à l’Écosse en passant par l’Islande et les Féroé,
est des eaux encore très salées – 35,2 ups (figure 23) – et relativement chaudes. Là, elles subissent un brusque refroidissement
qui augmente encore leur densité, déjà élevée du fait de leur
forte salinité. C’est suffisant pour les faire plonger. En hiver, la
formation de glace (faite d’eau douce) accroît encore la salinité et
accélère le phénomène. Les eaux qui plongent s’accumulent dans
le bassin de Norvège, qui se vidange périodiquement en franchissant les seuils à 800 et 600 m de profondeur de part et d’autre
de l’Islande : le détroit de Danemark à l’ouest et les chenaux
des Féroé à l’est. C’est l’« eau profonde de l’Atlantique Nord »
(EPNA) qui s’écoule dans l’Atlantique entre 2 000 et 3 500 m
de profondeur, et que l’on reconnaît aisément au maximum de
salinité qui la caractérise.
Les mers GIN ne sont pas les seuls lieux de formation
d’eaux profondes dans l’Atlantique Nord. Il s’en crée aussi
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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dans la mer du Labrador, entre le Groenland et le Labrador au
débouché de la mer de Baffin. Le processus est ici différent : ce
n’est pas la salinité qui assure une surdensité relative, c’est le vent
froid qui, soufflant sur l’eau, la refroidit et l’homogénéise par
convection jusqu’à des profondeurs pouvant atteindre 2 500 m.
Les couches les plus profondes de la masse d’eau ainsi formée se
joignent aux eaux profondes issues des mers GIN. L’apparition
de ces eaux profondes du Labrador est donc indépendante du
transport vers le nord d’eaux salées par le Gulf Stream et ses
extensions. Elle est liée aux variations du gyre cyclonique subpolaire. Comme pour le Gulf Stream, mais en sens inverse, l’écoulement de l’EPNA vers le sud sera accéléré sur le bord ouest de
l’océan. Ainsi existe-t-il, sous le Gulf Stream, un « sous-courant
profond de bord ouest » (Deep Western Boundary Current) d’environ 15 Sv, coulant vers le sud, qui poursuit sa route au sud sous
le courant du Brésil. C’est le courant, prévu par Stommel, qu’ont
mis pour la première fois en évidence Swallow et Worthington
en 1957. Ce sont 15 Sv qui, par compensation, s’ajoutent en
surface au Gulf Stream et lui donnent un avantage quantitatif
sur le Kuroshio. La circulation périantarctique répartit ensuite les
eaux profondes dans les océans Indien et Pacifique. De manière
diffuse, grâce à la dissipation de l’énergie des marées, celles-ci
remontent progressivement vers la surface et font retour soit
par une route chaude qui passe par les détroits indonésiens, le
courant des Aiguilles, contourne l’Afrique, emprunte le courant
de Benguela, le courant Équatorial Sud et… le Gulf Stream
et ses extensions pour revenir au point de départ en mer de
Norvège et repartir pour un nouveau tour, soit par une route
froide directement du Pacifique à l’Atlantique par le passage de
Drake. C’est le schéma dit du « tapis roulant » (conveyor belt)
proposé par Broecker en 1991 (figure 15).
La réalité est naturellement plus complexe, mais cela reste
un schéma illustrant bien le fonctionnement de cette pompe
thermohaline qui joue un rôle important dans le système climatique. Le mouvement de l’EPNA est très lent : s’il atteint 10 cm/s
dans le « sous-courant de bord ouest » de l’Atlantique, ailleurs,
sa vitesse est de l’ordre du mm/s. Ainsi faut-il, en moyenne, à
peu près mille cinq cents ans pour faire un tour. Ce schéma de
circulation thermohaline est une extension à l’océan global de
celui d’Arago pour l’Atlantique Nord.
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Qu’est-ce que le Gulf Stream ?
Note
2. Traduction de P.-A. Terquem, Géographie physique de la mer, Librairie militaire matitime
et polytechnique, J. Corréard, Paris, 1861.
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3 Le Gulf Stream et
les climats de la Terre
Le système climatique
Le système climatique est une machine à convertir et à distribuer
l’énergie que la Terre reçoit du Soleil. L’atmosphère et l’océan en sont
les agents dynamiques : ce sont eux qui assurent les transports de
chaleur des régions tropicales vers les hautes latitudes. L’océan, qui a
une capacité calorifique très supérieure à celle de l’atmosphère et une
« mémoire » beaucoup plus importante, est le contrôleur de l’évolution
climatique. Aux échelles pluridécennales et séculaires, c’est la totalité de
la circulation océanique qu’il faut prendre en compte dans les processus
climatiques.
Le Gulf Stream et le climat de l’Europe de l’Ouest
Le Gulf Stream et ses extensions, transporteurs de chaleur vers les
hautes latitudes de l’Atlantique, jouent un rôle prépondérant dans
le climat planétaire, et particulièrement dans celui des hautes latitudes de l’hémisphère Nord, qui serait beaucoup plus froid sans cet
apport. Néanmoins, les hivers doux de l’Europe de l’Ouest ne sont
pas le résultat direct du transport d’eaux chaudes par le Gulf Stream
qui viendrait, telle une canalisation de chauffage central, réchauffer
l’Europe. L’Europe de l’Ouest, comme les côtes nord-américaines du
Pacifique, bénéficient simplement d’un climat maritime.
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
Le Gulf Stream et la NAO (North Atlantic Oscillation)
Aux échelles décennales, l’Atlantique Nord connaît des variations
climatiques liées aux variations des différences de pression atmosphérique entre l’anticyclone des Açores et les basses pressions d’Islande :
c’est la NAO. Le flux et la position plus ou moins nord du Gulf Stream
évoluent en fonction de la NAO. C’est le signe d’un vraisemblable
couplage entre l’océan et l’atmosphère à ces échelles de temps, qui fait
intervenir également la formation des eaux profondes et la dynamique
des glaces de l’Arctique.
Le Gulf Stream et la circulation thermohaline
La circulation thermohaline est le résultat du transport d’eaux très
salées par le Gulf Stream et ses extensions en mer du Groenland où,
refroidies, elles plongent jusqu’à leur niveau d’équilibre, vers 3 500 m
de profondeur. Elles entament alors un long périple et finissent par
regagner la surface, pour revenir à leur point de départ. C’est le fameux
« tapis roulant », dont le bon fonctionnement assure le transport de
chaleur vers les hautes latitudes de l’Atlantique Nord. Aux périodes
glaciaires, ce tapis roulant s’est trouvé ralenti, voire stoppé. Le Gulf
Stream ne s’arrête pas pour autant : le gyre subtropical des Açores se
maintient, et le Gulf Stream avec lui. Son extension vers le nord est
simplement limitée. Le Gulf Stream est une condition nécessaire mais
non suffisante à la circulation thermohaline : si celle-ci s’interrompt,
le Gulf Stream voit son débit diminué, mais il poursuit sa route plus
au sud.
L’avenir de la circulation thermohaline
Selon certains scénarios climatiques, le réchauffement global dû à l’accroissement des gaz à effet de serre dans l’atmosphère pourrait avoir
pour conséquence le ralentissement ou l’arrêt rapide de la circulation
thermohaline et un refroidissement significatif des régions tempérées
de l’hémisphère Nord. Ce n’est pas le scénario le plus probable, mais,
compte tenu des incertitudes et de possibles effets de seuil, cela n’est
pas impossible. Faute de séries de mesures suffisamment anciennes, il
est impossible à l’heure actuelle de dire si les variations observées de
circulation profonde sont la conséquence du changement global. En
toute hypothèse, le Gulf Stream ne s’arrêtera pas, pas plus qu’il ne s’est
arrêté en période glaciaire.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le système climatique
Le système climatique est une machine à convertir et à distribuer
l’énergie que la Terre reçoit du Soleil. C’est un système complexe
aux acteurs multiples. Le Soleil ne fournit pas une énergie rigoureusement constante. Son cycle de vingt-deux ans ramène tous
les onze ans une période d’intensité maximale, comme lors de
l’Année géophysique internationale de 1957-1958. Il peut aussi
avoir des accès de relative faiblesse, comme au xviie siècle (cycle
de Maunder), où ce cycle semble s’être assoupi au niveau minimal
de rayonnement. Les paramètres de l’orbite de la Terre autour du
Soleil varient. Aussi l’énergie reçue du Soleil et sa répartition sur
la Terre fluctuent-elles à des échelles de temps de dix à cent mille
ans ; c’est ce qui explique la succession des périodes glaciaires et
interglaciaires. La part de l’énergie solaire absorbée et restituée
à l’atmosphère par les continents dépend des propriétés de leur
surface et de la végétation qui la couvre. La cryosphère (calottes
glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, banquises) renvoie
par réflexion vers l’espace une quantité d’énergie, perdue pour le
système climatique, qui dépend de l’état de la glace et de la surface
englacée. Enfin, les mouvements de l’océan et de l’atmosphère
sont fonction de l’ensemble de ces variations du bilan énergétique
planétaire.
Tous ces éléments du système climatique évoluent donc
en permanence avec des vitesses qui leur sont propres – et qui
sont très différentes. Toute variation, toute perturbation de l’un
d’entre eux retentit sur les autres, qui réagissent à leur propre
rythme. Le système climatique court après un équilibre qu’il ne
peut jamais atteindre. Il varie sans cesse à toutes les échelles de
temps. L’essentiel est, pour l’homme, qu’il soit suffisamment
stable pour rester dans des amplitudes et vitesses de variation
supportables – ce que l’accroissement des gaz à effet de serre dans
l’atmosphère du fait des activités humaines pourrait compromettre dans un avenir proche.
Les agents dynamiques du climat : l’atmosphère et l’océan
L’atmosphère et l’océan sont les deux fluides de la machine
thermique planétaire. Assurant le transport et la distribution de
l’énergie thermique, ils en sont les agents dynamiques interactifs. En permanence en contact l’un avec l’autre, ils ne cessent
d’échanger de l’énergie et sont indissociables.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
76
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
L’atmosphère n’a guère de mémoire, et sa capacité calorifique est très faible. Elle a un temps de réponse très court aux
perturbations dont elle est l’objet, dépense très vite l’énergie
qu’elle reçoit et évolue très rapidement. C’est toute la difficulté
de la prévision météorologique. Actuellement, les services spécialisés avancent une prévision à sept jours. En dépit des progrès
de la modélisation de l’atmosphère, il semble qu’il sera toujours
impossible de faire une prévision météorologique au-delà de
quinze jours.
La prévision météorologique part en effet d’une situation
donnée de l’état de l’atmosphère et calcule, grâce aux modèles
construits à partir des lois physiques qui gouvernent la dynamique
de l’atmosphère, ce qu’elle sera un, trois ou sept jours plus tard.
Il est à peu près certain qu’il y a un horizon à cette prévision,
c’est-à-dire un temps au-delà duquel l’état de l’atmosphère sera
complètement indépendant de ce qu’il était à l’instant initial.
Quelles que soient les qualités des modèles et des observations,
il est alors impossible de prévoir le temps qu’il fera. Cet horizon
est vraisemblablement d’une quinzaine de jours. Il peut alors
sembler paradoxal de parler de prévisions climatiques à l’échelle
des saisons et des années. Les prévisions climatiques sont statistiques : elles ne disent pas le temps qu’il fera à telle date dans
un lieu donné, mais la probabilité d’occurrence de tel ou tel type
de temps caractérisé par des valeurs moyennes des paramètres
climatiques : température, précipitation, insolation, vent, etc.
L’océan a une capacité calorifique bien supérieure à celle de
l’atmosphère : la capacité calorifique de la totalité de l’atmosphère
tient dans les trois premiers mètres de l’océan, formidable réservoir d’énergie solaire. L’océan a aussi une bien meilleure mémoire
que l’atmosphère, et ses temps caractéristiques de variation sont
sans commune mesure avec ceux de l’atmosphère. Il joue un
double rôle : fournir une fraction de son énergie à l’atmosphère
et distribuer directement, par les courants, l’autre partie à l’échelle
de la planète. On estime que les transferts de chaleur des régions
équatoriales vers les pôles se font à égalité par l’atmosphère et
l’océan. En un lieu donné, la quantité d’énergie échangée avec
l’atmosphère dépend de la température de surface de l’océan
– donc de la quantité de chaleur qu’il a véhiculée jusque-là.
La portion d’océan à considérer dans les processus climatiques dépend de l’échelle de temps choisie. Si l’on se soucie
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
77
de prévisions météorologiques à moins de deux semaines, les
modèles ont seulement besoin de la température de surface océanique pour déterminer les échanges d’énergie entre l’océan et
l’atmosphère. Pendant ce laps de temps, l’évolution des températures de surface de la mer est trop faible pour avoir un impact
significatif sur ces échanges ; il serait inutile de compliquer les
modèles en faisant intervenir la dynamique océanique. Les
modèles de prévision météorologique sont des modèles essentiellement atmosphériques. Aux échelles climatiques, en revanche, il
faut considérer cette dynamique : c’est le partenaire le plus lent,
l’océan, qui impose son rythme à la variabilité climatique. Pour
l’évolution d’une année sur l’autre (celle d’El Niño, par exemple),
ce sont les premières centaines de mètres de l’océan équatorial
qui sont prépondérantes. Au-delà, on doit considérer la totalité
de la circulation océanique de la surface au fond, dont le cycle
s’étale sur plusieurs siècles.
L’océan garde en mémoire pendant plusieurs centaines
d’années la « signature » d’événements climatiques antérieurs.
Le climat actuel dépend ainsi, jusqu’à un certain point, du refroidissement de la Terre pendant le petit âge glaciaire, entre le xvie
et le xixe siècle. Si l’océan amortit les variations climatiques, il en
restitue les effets des décennies, voire des siècles plus tard. Les
modèles de prévision climatique, quelles que soient les échelles
de temps considérées, doivent nécessairement coupler les dynamiques de l’océan et de l’atmosphère. Ils doivent aussi prendre
en compte les autres compartiments du système : les surfaces
continentales et, surtout, les glaces – notamment la banquise –,
qui sont des réflecteurs d’énergie solaire. La diminution de la
banquise, qui accroît l’absorption de l’énergie solaire par l’océan,
est un facteur d’accroissement et d’accélération du réchauffement
planétaire.
Le Gulf Stream est un acteur important du système climatique de la Terre. Il a été mis en avant de manière quasiment
mythique pour expliquer la douceur relative du climat de l’Europe
occidentale – ce que contestent aujourd’hui des scientifiques –,
et on en fait maintenant une sorte de chef d’orchestre tout aussi
mythique de l’évolution possible du climat confronté aux conséquences éventuelles de l’accroissement de l’effet de serre. Pour
bien comprendre le rôle qu’il joue, il faut se référer à diverses
échelles de temps : le temps court, d’abord, à travers la question
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
78
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
de la relation entre Gulf Stream et climat européen ; les variations
pluridécennales, ensuite, dans l’Atlantique Nord, en relation avec
la NAO (North Atlantic Oscillation) ; le temps long, enfin, celui
des variations de la circulation thermohaline et des fluctuations
climatiques passées et à venir, en relation avec le changement
global.
Dans la logique des chapitres précédents, pour éviter toute
ambiguïté, on s’efforcera de réserver le nom de Gulf Stream au
courant de bord ouest de la circulation anticyclonique subtropicale de l’Atlantique Nord, et on parlera d’« extensions » pour les
courants Nord-Atlantique et de Norvège.
Le Gulf Stream et le climat de l’Europe de l’Ouest
La carte des valeurs moyennes annuelles des anomalies de température par rapport à leur valeur moyenne à la même latitude
(figure 16) fait apparaître une forte anomalie positive (10 °C)
sur l’Europe de l’Ouest, du nord de la France à l’ensemble de la
Scandinavie. Cette anomalie est particulièrement nette en hiver,
et c’est bien la comparaison entre les températures hivernales
de l’Europe de l’Ouest et celles de la côte est de l’Amérique du
Nord aux mêmes latitudes qui a soufflé à Maury ce morceau de
bravoure, tiré de The Physical Geography of the Sea and its Meteorology :
« On a récemment inventé une manière ingénieuse de chauffer
les appartements pendant l’hiver au moyen de l’eau chaude. Les fourneaux et la chaudière sont quelquefois éloignés de l’appartement à
chauffer, comme dans notre Observatoire. Des conduits amènent l’eau
chaude des caves qui sont placées à cent pieds des appartements du
directeur […] Revenons du petit au grand, et nous trouverons que
l’eau chaude du calorifère de la Grande-Bretagne, de l’Atlantique du
Nord et de l’ouest de l’Europe se trouve dans le golfe du Mexique. Le
fourneau est la zone torride, le golfe du Mexique, et la mer des Antilles
est la chaudière. Le Gulf Stream sert de conduit. Du Grand-Banc
de Terre-Neuve jusqu’aux côtes d’Europe se trouve la chambre à air
chaud où les conduits s’élargissent pour présenter plus de surface au
refroidissement. La circulation de l’atmosphère est arrangée par la
nature, qui amène la chaleur dans ce réservoir au milieu de l’océan,
d’où le souffle bienfaisant des vents d’ouest la transporte sur la GrandeBretagne et sur l’ouest de l’Europe. Chaque vent d’ouest qui souffle sur
l’Europe, après avoir traversé ce courant, vient mitiger l’âpreté des
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
79
vents du nord pendant l’hiver : c’est grâce à l’influence de ce courant
que l’Irlande s’appelle « Émeraude des mers » et que les côtes d’Albion
revêtent leur verte tunique, tandis qu’en face par la même latitude
les côtes du Labrador restent emprisonnées dans leur ceinture de glace.
Dans un remarquable mémoire sur les courants, M. Redfield constate
qu’en 1831 la rade de Saint-Jean de Terre-Neuve était encore obstruée
par les glaces au mois de juin. Qui a jamais entendu dire que le port
de Liverpool, qui est 2° plus au nord, ait été jamais gelé même au plus
fort de l’hiver ? »
Maury n’est pas l’inventeur de cette idée du Gulf Streamchauffage central, que Saby et Humboldt avaient déjà suggérée,
mais il a su l’exprimer avec une force et un lyrisme qui ont marqué
les esprits et en ont fait quasiment un dogme. Les élèves des
écoles de Bretagne, à l’extrême ouest de la France, apprennent
qu’ils doivent au Gulf Stream de vivre sous le climat le plus
clément qui puisse exister. Dans les stations balnéaires de la côte
nord de Bretagne, sur la Manche, il existe plusieurs « Hôtel du
Gulf Stream », sans doute pour persuader les vacanciers que l’eau
de mer, qui atteint difficilement 17 °C à son maximum en été,
est tropicale. Les Islandais ne sont pas en reste, qui remercient
le Gulf Stream de sa générosité : sans lui, pensent-ils souvent,
la morue ne serait pas aussi abondante dans les eaux islandaises.
Cette idée reçue a été remise en cause dans une publication scientifique de 2002 sous le titre volontairement provoquant : Is the
Gulf Stream Responsible for Europe’s Mild Winters ? Question à
laquelle les auteurs répondent clairement par la négative. Que
cela signifie-t-il exactement ?
La douceur des hivers sur le bord est des océans
Les petits Français de Bretagne apprennent aussi la différence
existant entre les climats continentaux froids en hiver et les
climats maritimes, beaucoup plus doux. Ils savent que, soumise
à un régime de vent d’ouest chargé de l’humidité océanique, l’Europe de l’Ouest bénéficie d’un climat maritime, alors que, de
l’autre côté de l’Atlantique, à la même latitude, en hiver, climat
continental aidant, le Saint-Laurent gèle, et Terre-Neuve est sous
la neige et dans le froid plusieurs mois de l’année. Cela va de soi,
et il n’y a pas forcément besoin du Gulf Stream pour expliquer
cette différence. Dans le Pacifique, par exemple, et en restant à
la même latitude que Terre-Neuve et Brest, nul ne s’étonne qu’il
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
80
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
fasse nettement moins froid en hiver à Vancouver, au Canada,
qu’en Sibérie dans l’île de Sakhaline, et que la mer d’Okhotsk soit
prise par les glaces en hiver alors que, 10° plus au nord, le golfe
d’Alaska reste libre toute l’année. Les mêmes causes produisant
parfois les mêmes effets, la réponse est simple : la côte ouest de
l’Amérique du Nord bénéficie, grâce à l’océan Pacifique, d’un
climat maritime, alors que la Sibérie, sur l’autre bord, souffre des
affres d’un climat continental. A-t-on quelquefois entendu les
Canadiens de Nanaïmo remercier le Kuroshio de sa bienfaisance ?
Peut-être, mais c’est alors resté très confidentiel. Malheureusement, l’océan Indien est hors course pour étayer l’argumentaire,
puisque l’extension vers le nord lui a été fermée.
On peut donc dire que les côtes est des océans Atlantique
et Pacifique Nord bénéficient toutes deux d’une influence maritime qui leur assure un climat bien tempéré. On peut ajouter
que cette situation est due à la configuration des océans et
continents et à la rotation de la Terre. En raison de ladite
rotation et de la force de Coriolis, le transfert de chaleur par
l’atmosphère des régions tropicales vers les pôles ne peut se faire
en ligne droite. Il s’organise en vastes systèmes tourbillonnaires
dont on a détaillé l’un des éléments : les anticyclones subtropicaux océaniques, qui donnent naissance au Gulf Stream et
à ses congénères. Au nord de ces anticyclones existent, dans
le nord de l’Atlantique et du Pacifique, des centres dépressionnaires subpolaires autour desquels le vent et la circulation
océanique associée tournent dans le sens inverse des aiguilles
d’une montre : les basses pressions d’Islande dans l’Atlantique
et des Aléoutiennes dans le Pacifique. Les courants du Labrador
et l’Oyashio, qui coulent vers le sud, sont les courants de bord
ouest de ces circulations. Aux latitudes moyennes entre les
hautes pressions du sud et les basses pressions du nord s’établit
un régime de vents d’ouest qui, parcourant les océans Pacifique
et Atlantique, apportent douceur et humidité aux côtes d’Europe et d’Amérique du Nord. Sur le bord ouest de l’Atlantique,
au contraire, les vents de nord-ouest de la dépression d’Islande
amènent sur les côtes américaines un froid polaire. Idem pour
les côtes d’Asie sur le bord ouest du Pacifique.
Ce sont les propriétés atmosphériques : température,
précipitations, vents qui permettent de définir les climats. C’est
donc à travers le bilan énergétique de l’atmosphère que l’on peut
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
Figures
Figure 1
Le Gulf Stream vu en 1899 par Winslow Homer (1836-1910).
Figure 2
Copie française de la carte de Franklin/Folger, datant de 1769-1770.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Figures
Force de
Coriolis
Force de
pression
horizontale
Courant
géostrophique
Figure 3
Équilibre géostrophique autour d’une surélévation du niveau de la mer
(haute pression). La force de pression (rouge) est dirigée du centre vers
la périphérie. La force de Coriolis (tirets verts) lui est égale et opposée.
Le courant (bleu) est tangent aux lignes de niveau dans le sens des aiguilles
d’une montre, pour que la force de Coriolis lui soit perpendiculaire vers
la droite dans l’hémisphère Nord.
CLS – Satellite Oceanography Division
40°E
60°
80°
100°
120°
140°
60°
160°E
180°
160°W
140°
120°
100°
Alaska
Current
Oyashio
N. Pacific Current
80°
60°
40°W
Labrador
Current
shio
o
Kur
20°
N. Equatorial Current
N. Eq. C.
Canaries
Current
S. Equatorial Current
Brazil
Current
Eq. CC.
20° Agulhas
Current
20°E
Guinea
Current
Equatorial Counter Current
0°
0°
North
Atlantic
Drift
Carlifornia
am
tre
Florida
Current
lf S
Current Gu
40°
20°
S. Eq. C.
Benguela
Current
Peru or
Humboldt
Current
40°
Falklands
Current
60°S
Antarctic Circumpolar Current (West Wind Drift)
Figure 4
La circulation générale océanique de surface.
Ocean Circulation, The Open University, Pergamon Press (1989)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Direction des vents et des courants marins
Vent
Action du vent
Couche
d’Ekman
ou
couche
d’eau
influencée
par le
vent
Figure 5
La spirale d’Ekman. Le vent entraîne la couche de surface vers la droite.
Celle-ci entraîne à son tour la couche sous-jacente vers la droite, et ainsi
de suite, en décrivant une spirale, la vitesse diminuant avec la profondeur.
Au final, l’équilibre entre la force d’entraînement du vent et la force de
Coriolis se traduit par un transport global à 90° du vent vers la droite dans
l’hémisphère Nord.
km
cellule de Hadley
20
ause
olaire
front p
0
troposphère
10
tropop
air chaud et sec
subsident
activité de
cumulonimbus
re
pératu
inversion de tem
air moite
Vents d’est
Vents d’ouest
30°
Pôle
60°
Haute
pression
Haute pression
Basse pression
subtropicale
polaire
subpolaire
Alizés
Zone de convergence
intertropicale
Basse pression
équatoriale
Figure 6
La cellule de Hadley. Section à travers l’atmosphère de l’équateur vers
le pôle. Dans la zone intertropicale de convergence des alizés, l’air monte
en altitude (basse pression) et redescend (subsidence) vers 30°N (haute
pression : anticyclone). Au sol, sur le bord sud de l’anticyclone, c’est
le domaine des alizés (trade winds) d’est et, au nord, celui des vents d’ouest
(westerlies).
Ocean Circulation, The Open University, Pergamon Press (1989)
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Figures
Hémisphère nord
Vent cyclonique
Vent anticyclonique
(a)
(c)
convergence
divergence
surface de la mer
downwelling
upwelling
(b)
thermocline
Transport d’Ekman
vent
(d)
thermocline
courant de surface
Figure 7
L’entraînement des courants par le vent cyclonique à gauche et anti­­
cyclonique à droite. Dans l’anticyclone, le transport d’Ekman dû au vent
entraîne l’eau vers le centre, créant une surélévation du niveau de la mer
et une convergence (approfondissement de la thermocline). Le courant
géostrophique qui résulte du champ de pression ainsi créé tourne dans
le sens des aiguilles d’une montre. C’est l’inverse en condition cyclonique.
Ocean Circulation, The Open University, Pergamon Press (1989)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Figure 8
Topographie de la surface des océans déduite des mesures altimétriques
satellitaires (Topex/Poseidon). Cette carte représente les « anomalies »
de niveau de l’océan par rapport à ce qu’il serait en l’absence de courant.
Les anomalies positives croissent du bleu moyen au blanc. Les anomalies
négatives du bleu moyen au bleu sombre. Dans l’Atlantique Nord
apparaissent la circulation anticyclonique subtropicale et aussi, au nord,
la circulation cyclonique associée au centre dépressionnaire d’Islande.
CLS – Satellite Oceanography Division
Figure 9
La température de
surface de l’Atlantique
Ouest donnée par
satellite le 21 mai 1997.
Les tourbillons du Gulf
Stream se forment après
que le courant s’est
éloigné de la côte, audelà du cap Hatteras,
juste au-dessus de 35°N.
The Space Oceanography
Group, Johns Hopkins
University Applied Physics
Laboratory
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Figures
200
( e n m i l l i o n s d e m 3/ s )
Cap
Hatteras
Grands
bancs
100
0
0
1000
2000
3000 km
distance parcourue en aval de Miami
Figure 10
Évolution du débit du Gulf Stream de Miami aux Bancs de Terre-Neuve.
Regional Oceanography : an Introduction par M. Tomczak et S. J. Godfrey, Pergamon Press
(1994)
60°
30°
0°
40°
Boucle de recirculation
Courant
de Floride
Gulf
Stream
Courant
nordatlantique
Mer des Sargasses
40°
Antilles
20°
rial
ato
équ
ordn
t
n
a
Cour
Co
ur
an
td
es
60°
Gu
y
es
an
90°
20°
30°
0°
Figure 11
La recirculation du Gulf Stream. Au nord, une boucle cyclonique entre
le courant et le talus continental ; au sud, la boucle anticyclonique qui
« enferme » la mer des Sargasses.
Ocean Circulation, The Open University, Pergamon Press (1989)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
87
23
0
200
24
25
26
27
26,5
400
27,5
600
800
27
27,8
(m)
1000
27,5
1200
1400
1600
1800
27,8
2000
Introduction to Physical
Oceanography par J. Knauss,
Prentice Hall (1978)
2200
2400
100
200
300
400
500
600
Figure 12
Évolution de la densité
de l’eau dans une section
à travers le Gulf Stream.
L’isopycne 27 passe de
800 m de profondeur en
mer des Sargasses à 200 m
seulement en 100 km, en
traversant le Gulf Stream.
C’est le résultat dynamique
de l’intensité du Gulf
Stream.
700
(km)
Formation des tourbillons
Froids
Eau froide de
la Slope
GS
Eau chaude de la mer
des Sargasses
froid
chaud le + chaud
Chauds
Température
Temps
Figure 13
Formation des tourbillons. Les méandres amorcent une instabilité qui
va croître jusqu’à ce qu’ils se ferment sur eux-mêmes. Un méandre vers
la droite crée un tourbillon d’eau froide au sud, dans les eaux chaudes de
la mer des Sargasses. Un méandre vers la gauche aboutit à un tourbillon
d’eau chaude au nord, au milieu des eaux froides de la Slope Sea.
The Space Oceanography Group, Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Figures
Une autre vue du Gulf Stream : altimétrie
Gulf Stream déc. 1999
Altimètre T/P, ERS1
Kuroshio mars 2004
Altimètre Jason
Figure 14
Les tourbillons du Gulf Stream et du Kuroshio vus par altimétrie
satellitaire.
CLS – Satellite Oceanography Division et Aviso
Circulation thermohaline atlantique
Adapté par Maier-Reimer d’après Broeker
90°W
0
90°E
180°
90°N
60°N
90°N
Transfert de chaleur vers atmos
60°N
30°N
30°N
Courant chaud de surface
0°
0°
LA
AT
PACIFIC
NT
IC
Courant profond, froid et salé
30°S
30°S
INDIAN OCEAN
60°S
60°S
Recirculation eau profonde
90°S
90°S
90°W
0
90°E
180°
Figure 15
Le « tapis roulant », ou conveyor belt, de la circulation thermohaline. En
bleu, la circulation profonde. En rose et en mauve, le retour en surface par
la route froide à travers le passage de Drake, entre l’Amérique du Sud et
l’Antarctique, et la route chaude, depuis le nord du Pacifique à travers les
détroits ­indonésiens.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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10
-5
5
-10
5
-15
Figure 16
Les anomalies de température de l’air par bandes de latitude : les anomalies
sont exprimées par rapport à la température moyenne à une latitude
donnée.
Ocean Circulation and Climate, Gerold Siedler, John Church, John Gould Eds, d’après
Rahmstorf et Ganoposki (1999), International Geophysics Series, vol 7.7 (2001)
Figure 17
Le champ moyen de pression atmosphérique dans l’Atlantique Nord en
hiver. L’indice de NAO exprime la différence de pression entre les hautes
pressions anticycloniques des Açores (en rouge) et les basses pressions de la
dépression d’Islande (en violet).
NOAA-Cires/Climate Diagnostic Center
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Figures
Figure 18
Topographie de la surface
océanique de l’Atlantique
Nord. Il y a à peu près 1,80 m
de dénivellation entre le
sommet de la circulation
anticyclonique (en brun) du
côté des Bermudes et le creux
de la circulation cyclonique
au nord (en jaune). On peut
utiliser cette différence de
niveau comme une mesure
(par analogie avec la NAO)
du flux du Gulf Stream, qui
circule entre les deux.
Mercator Océans : http://www.
mercator-ocean.fr
Évolution de la NAO
(a)
Figure 19
a) depuis 1860, à
partir de mesures
instrumentales.
Hurrel et al., « The North
Atlantic Oscillation »,
Science, vol. 291, pp. 603605 (2001)
b) depuis 1650,
reconstituée à partir
de forage dans les
glaces du Groenland.
(b)
Appenzeller et al., « North
Atlantic Oscillation
Dynamics Recorded in
Greenland Ice Cores »,
Science, vol. 282, pp. 446448 (1998)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Transport (Mton/s)
70
3,5
(a)
65
3,0
60
55
50
45
avec indice NAO
1950
1960
2,5
1970
1980
Temp. potentielle (°C)
75
1990
Indice Gulf Stream NW (annuel) et NAO d’hiver
(b)
Indice GSNW
NAO d’hiver
GSNW index
Indice NAO d’hiver
années
Figure 20
a) Évolution de la NAO (en bleu, les indices faibles ; en rouge, les indices
élevés) ; de la température en mer du Labrador (ligne verte) ; du transport
du Gulf Stream (ligne noire), déduit de la différence d’énergie potentielle
entre les Bermudes (point haut) et la mer du Labrador (point bas). La
salinité en mer du Labrador et le transport du Gulf Stream varient en
opposition de phase et suivent parallèlement l’évolution de la NAO.
b) Variations comparées de la NAO et de l’indice Gulf Stream North Wall.
D’après Ruth Curry et Michael S. McCartney, « Ocean Gyre Circulation Changes
Associated with the North Atlantic Oscillation », Journal of Physical Oceanography, vol. 31,
n° 12, pp. 3374–3400 (2001)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Figures
Figure 21
Les trois grandes anomalies de salinité (GSA).
Igor Belkin, communication personnelle
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
93
0°
60°
30°
0°
30°
90°
26
180°
1
114
155
144
48
23
49
192
115
60°
106
6
119
Figure 22
Les flux de chaleur dans l’océan (en 1013W)
Ocean Circulation, The Open University, Pergamon Press (1989)
Figure 23
Salinité de surface de l’océan. Les valeurs de salinité sont beaucoup
plus élevées dans l’Atlantique que dans le Pacifique. Le développement
des fortes valeurs de salinité dans l’Atlantique Nord via le Gulf Stream
et ses extensions est remarquable.
Ocean Circulation, The Open University, Pergamon Press (1989)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
94
Figures
Figure 24
Évolution de la température et des teneurs en gaz à effet de serre (gaz
carbonique, méthane) de l’atmosphère sur les quatre derniers cycles
glaciaire/interglaciaire.
LGGE : http://www-lgge.ujf-grenoble.fr
DONNÉES
2D - MODÈLE OCÉAN
OCÉAN ACTUEL
Water depth (km)
OCÉAN GLACIAIRE
Water depth (km)
Transport de chaleur (1015 W)
Actuel
Glaciaire
Figure 25
À gauche, le carbone 13
dans une section nordsud de l’Atlantique.
En haut, l’océan actuel,
d’après des mesures dans
l’océan. En bas, l’océan
au dernier maximum
glaciaire, reconstitué à
partir de mesures sur les
foraminifères benthiques.
Les couches profondes de
l’océan actuel sont beaucoup
plus riches en carbone 13,
donc mieux ventilées (eaux
jeunes récemment formées
en surface), que l’océan du
dernier glaciaire.
Jean-Claude Duplessy, Quand
l’Océan se fâche, Odile Jacob, Paris
(1996)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
95
Figure 26
Évolution de la température depuis 1860. En rouge : les observations. En
gris : des simulations d’évolution faites à partir de modèles initialisés en 1860.
Sur le résultat des observations, la diminution de température observée autour
de 1960-1970 pourrait être le résultat de la « grande anomalie de salinité ».
La simulation qui rend le mieux compte de l’évolution observée est celle qui
prend en considération à la fois les forçages naturels et le forçage anthropique.
Climate Change : the Scientific Basis, Third Assessment, Report of IPCC, Cambridge University
Press (2001)
Figure 27
En bas, le trajet des eaux
profondes de l’Atlantique Nord
depuis les seuils du Groenland
à l’Écosse (détroit de Danemark
et chenaux des Féroé) jusqu’à
la mer du Labrador. En haut,
l’évolution de la salinité en mer
du Labrador ; on remarque, au
niveau des eaux profondes, un
maximum de salinité entre 1960
et 1980, et une décroissance
depuis 1980. Le maximum
correspond à un indice faible de
la NAO.
Bob Dickson et al., « Rapid Freshening
of the Deep North Atlantic Ocean
over the Past Four Decades », Nature,
vol. 416 (avril 2002)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
96
Figures
Figure 28
La chlorophylle dans l’océan vue par le satellite SeaWIFS. En haut, la
situation en 2003 ; au milieu, en 1998 ; en bas, la différence entre les deux.
Les valeurs vont croissant du bleu au rouge, en passant par le vert et le
jaune. Les teneurs en chlorophylle ont augmenté dans les régions côtières,
alors qu’elles ont plutôt eu tendance à diminuer dans les régions océaniques,
notamment dans les régions anticycloniques.
Watson Gregg et NASA
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
97
Figure 29
Les biomes océaniques
Le biome des alizés – CARB :
Caribbean Province ; NATR = North
Atlantic Tropical Gyral Province.
Le biome vents d’ouest – GFST :
Gulf Stream Province ; NAST : North
Atlantic Subtropical Gyral Province ;
NADR : North Atlantic Drift
Province.
Le biome côtier – NWCS : Northwest
Atlantic Shelves Province.
Le courant de Floride n’est inclus
dans aucune des provinces ; il doit être
considéré comme une extension des
provinces CARB et NATR du biome
alizés vers le biome vents d’ouest.
Alan R. Longhurst, Ecological Geography of the
Sea, Academic Press (1998)
Le courant de Floride
Extension du domaine tropical
T °C
Chl
De la pointe de Floride au Cap Hatteras
Figure 30
Le courant de Floride vu par MODIS en mai 2003. À gauche, la
température de surface ; à droite, la chlorophylle.
Karl-Heinz Szekielda, « Spectral Recognition of Marine Bio-Chemical Provinces with
MODIS », EARSel eProceedings 3 (février 2004)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
Figures
Dôme de
Guinée
Divergence
équatoriale
convergence
convergence
0
North
Equatorial
Current
profondeur (m)
100
South
Equatorial
Current
North Equatorial
Counter-Current
South
Equatorial
CounterCurrent
15
14
200
13
300
12
11
10
400
15°N
10°
5°
0°
latitude
5°
10°S
Figure 31
Section de température nord-sud à travers l’équateur dans l’Atlantique.
Ocean Circulation, The Open University, Pergamon Press (1989)
´
Profondeur (m)
98
Profondeur (m)
Figure 32
Nitrates : section faite dans le courant de Floride à 27°N pendant le
programme WOCE. Les couches riches en nitrate (en rouge) passent à
travers le Gulf Stream de la profondeur de 600 mètres à 200 mètres à la
rupture du plateau continental sur une distance de 60 km.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
99
Courant de Floride : upwelling dynamique
Pietrafesa et al., 1985
Site K
rid
Downwelling
er
St
re
a
ge
w
0
3,2'
eC
av
W
50
lo
m
et
Gu
lf
Warm Core
Spun of filament
s
m
100
2,1'
ar
m
eB
av
W
N
1'
ki
eA
av
W
Upwelling
Cold Core
Spun of filament
Cold Done
3'
Warm Done
Isopicnais
Cold Done
Les ondulations
Formation d’un petit tourbillon
à la rupture de pente
Figure 33
Upwelling dynamique dans le courant de Floride. Les ondulations et la
formation d’un petit tourbillon cyclonique.
Pietrafesa et al., « Physical Oceanographic Processes in the Carolina Capes », Oceanography of
the Southeastern US Continental Shelf, Atkinson et al. Ed. (1985)
Figure 34
Les tourbillons du Gulf Stream (température de surface) vus par MODIS
en juin 2000. On voit trois tourbillons froids au sud et trois tourbillons
chauds au nord, dont un incomplet sur la figure en haut, à droite.
NASA Visible Earth
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
100
Figures
Le Gulf Stream restitue à la mer des Sargasses les nutrients empruntés
Eau
A de la
Slope
42°N
IV
Gulf
Stream
Mer des B
Sargasses
Tourbillon
froid
0
March 9-10
20
A
0m
20
B
Sargasso Sea
78°W
74
200
38°
70
66
34°
profondeur (m)
10
10
400
15
600
5
15
Tourbillon froid
« Bob » mars 1977
800
0
100
200
5
300
400
500
distance (km)
Figure 35
Section de température à travers le tourbillon froid « Bob » en 1977.
Ocean Circulation, The Open University, Pergamon Press (1989)
D’après Peter H. Wiebe, « Rings of the Gulf Stream », Scientific American, vol. 246-3 (1982)
Figure 36
Température de surface : les tourbillons chauds dans la Slope Sea entre le Gulf
Stream et le plateau continental, dont la limite est matérialisée par la ligne noire
qui tangente les tourbillons (12 juin 1988).
The Space Oceanography Group, Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
101
Figure 37
La chlorophylle dans un tourbillon chaud. Couleur de l’océan donnée par le
satellite CZCS le 8 mai 1981. Les tourbillons chauds sont aussi pauvres que
le Gulf Stream ; pourtant, ils enrichissent la Slope Sea.
NASA
Tourbillon chaud entre pente continentale et Gulf Stream
« Mur » froid
0
200
23
13
15
27
600
23
25
21
13
19
11
WCR
300
400
21
17
9
Gulf Sream
7
m
17
11
600
9
15
Slope Sea
13
7
5
11
5
5
7
9
900
36° 05° N
68° 02° W
Pourvoyeurs de nutrients sur la pente continentale
Figure 38
Section de température à travers un tourbillon chaud.
K.H. Mann et J.R.N. Lazier, « Dynamics of Marine Ecosystems », Blackwell Science (1996)
D’après G.T. Csanady, « The Life and Death of a Warm-Core Ring », J. Geophys. Res., 84
(C2), pp. 777-780 (1979)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
Figures
Figure 39
La floraison
printanière (bloom)
dans l’Atlantique
Nord en 1999.
Mars : la floraison
commence ; juin :
elle bat son plein.
NASA, GSFC Earth
Science DAAC
SeaWIFS Project
6.1
5.9
5.7
5.5
5.3
Biomasse totale de la morue
mesures annuelles
(échelle logarithmique)
8
6
4
2
0
-2
-4
-6
-8
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
1982
1985
1988
1991
1994
1997
102
Évolution du plancton
(en noir)
Figure 40
Évolution de la biomasse de morues dans l’Atlantique Nord en fonction
d’un indice caractérisant la composition du zooplancton. Ils évoluent
parallèlement, avec un décalage d’un an. La période d’abondance (19651980), Gadoides Outburst, correspond à un indice faible de la NAO. Le
déclin qui suit correspond au renforcement de la NAO. La conjonction de
conditions climatiques défavorables et d’une pêche qui reste intensive peut
être fatale à un stock.
Beaugrand et al., « Plankton Changes and Cod Recruitment in the North Sea », International
Symposium on Quantitative Ecosystem Indicators for Fisheries Management, Paris (31 mars3 avril 2004)
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
103
Observations
spatiales
Modèle
Prévisions
Observations
in situ
Figure 41
Schéma de l’océanographie opérationnelle. Le modèle est au centre du
système, mais ne peut tourner que s’il est alimenté en observations venant
des mesures satellitales ou des mesures in situ, ces dernières étant localisées
et transmises par satellite.
Mercator Océans : http://www.mercator-ocean.fr
Figure 42
L’état du programme international ARGO fin février 2005. Le programme
ARGO vise à déployer 3 000 flotteurs dans tout l’océan. Ces flotteurs
dérivent à 2 000 m de profondeur et remontent régulièrement à la surface
en « sondant » la colonne d’eau (mesures de température et de salinité). En
surface, ils transmettent leur position et leurs données par satellite.
Programme ARGO : http://www.argo.ucsd.edu
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
104
Figures
Figure 43
Prévision opérationnelle du champ de vitesse dans le Gulf Stream faite
le 16 mars 2005 pour le 15 avril 2005. Maille : 1/32e.
US Naval Research Laboratory Real-Time Global Ocean Analysis and Modeling
http://www7320.nrlssc.navy.mil/global_nlom Figure 43
Figure 44
Prévision opérationnelle du champ de vitesse dans le Gulf Stream faite le
16 mars 2005 pour le 30 mars 2005. Maille : 1/15e.
Mercator Océans : http://www.mercator-ocean.fr
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
105
uantitativement procéder à l’analyse des différences climatiq
ques sur terre. C’est ce qu’ont fait R. Seager et ses collaborateurs
sur l’Atlantique Nord dans leur tentative de démythification du
rôle du Gulf Stream sur le climat de l’Europe de l’Ouest. Ils
ont considéré les trois processus intervenant dans la dissymétrie
hivernale est/ouest du climat de l’Atlantique Nord : le transport
de chaleur par l’océan, le transport de chaleur par l’atmosphère
et les processus de stockage/déstockage de la chaleur reçue localement du Soleil. Ces derniers méritent sans doute une explication. Aux latitudes considérées, les variations saisonnières
de l’énergie solaire reçue par l’océan sont importantes. En été,
lorsque le Soleil est haut dans le ciel, l’énergie reçue est à son
maximum : les couches de surface s’échauffent, et il s’établit une
thermocline saisonnière qui joue aussi un rôle important dans
les processus biologiques (voir infra). L’océan stocke alors de
l’énergie thermique. En hiver, l’énergie reçue est beaucoup plus
faible, les vents d’ouest se renforcent, la thermocline est détruite,
et l’océan transmet à l’atmosphère tout ou partie de l’énergie
stockée pendant l’été. Ce que Seager et al. ont montré, c’est qu’en
hiver cette énergie déstockée et récupérée par l’atmosphère dans
le parcours des vents d’ouest sur l’océan suffisait pour expliquer
les différences de température observées entre les deux rives de
l’Atlantique, et qu’il n’y avait guère besoin de faire appel à une
source supplémentaire d’énergie – par exemple le transport de
chaleur par les courants, et donc le Gulf Stream ou son extension. Autrement dit, la dissymétrie climatique est/ouest en hiver
peut s’expliquer presque exclusivement par l’apport estival local
d’énergie solaire à l’océan en été. Sauf au nord de la Norvège,
où les valeurs élevées de la température de surface du courant de
Norvège empêchent la glace de se former.
Est-ce suffisant pour disqualifier le transport de chaleur par
les océans sur le climat de l’Europe de l’Ouest ? Évidemment non,
mais il faut prendre du recul et admettre que l’Europe de l’Ouest
ne bénéficie plus ainsi d’une sorte d’exclusivité que lui assurerait
le transport direct, via le Gulf Stream et son extension, d’eaux
chaudes du golfe du Mexique à la Norvège. C’est l’ensemble des
hautes latitudes qui bénéficie du transport méridien de chaleur
vers le nord par le Gulf Stream et ses extensions. Sans lui, les
climats seraient considérablement plus froids sur les deux rives
de l’Atlantique.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
106
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
Dans un système complexe et interactif comme l’est le
système climatique, il est pratiquement impossible d’isoler une
des composantes pour analyser pas à pas, de manière déterministe
et linéaire, l’effet que peut avoir sa variation sur telle ou telle
région de la planète. L’expression « toutes choses étant égales par
ailleurs » n’est pas valable ici, sauf pour les éléments extérieurs
au système : on peut, par exemple, « toutes choses étant égales
par ailleurs », s’interroger sur les conséquences d’une modification de l’énergie solaire arrivant sur terre, mais il serait vain
de se poser ici dans les mêmes termes la question de l’impact
direct d’un ralentissement du Gulf Stream sur le climat de la
Grande-Bretagne – comme espérait le faire Saby au début du
xixe siècle, en mesurant les variations de flux du Gulf Stream à
son point de départ, à la pointe de la Floride. Non, on ne peut
tester ce genre d’hypothèse de manière simple, car, si les transports de chaleur par le Gulf Stream changent, les choses ne sont
pas « égales par ailleurs », ne serait-ce que parce qu’il y a couplage
étroit entre océan et atmosphère, et que l’on ne peut impunément
toucher à la circulation de l’un sans modifier celle de l’autre. La
seule manière d’expérimenter sur le climat passe par les modèles
de simulation numérique : on met toutes les composantes du
système climatique, leurs interactions, les lois physiques ou les
relations empiriques qui les régissent en « équation », que l’on ne
peut pas résoudre analytiquement mais que l’on résout « numériquement », c’est-à-dire pas à pas, par itérations successives. On
part d’un état initial connu, et l’on fait tourner le modèle, qui nous
dira comment évoluera le climat sous telle ou telle contrainte. Les
modèles de simulation sont les laboratoires d’expérimentation des
climatologues, qui peuvent ainsi tester des hypothèses et proposer
des scénarios d’évolution. Avec de tels modèles, on peut alors
tester l’hypothèse de la réduction du transport de chaleur vers le
nord par le Gulf Stream et découvrir que l’impact ne se limitera
pas à la température de la Grande-Bretagne ou de la Norvège,
mais concernera l’ensemble du climat de l’Atlantique Nord, aussi
bien à l’est qu’à l’ouest de l’Atlantique. Et cela sans que l’on soit
en mesure de suivre pas à pas, phénomène par phénomène, la
chaîne causale déterministe qui conduit à ce résultat. Paradoxalement, on peut dire que meilleure est la simulation, plus elle est
proche de la réalité et moins on en comprend la phénoménologie
détaillée. En restant dans le registre de Maury, et au risque de
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
107
faire rebondir le mythe, on pourrait dire que le Gulf Stream, via
les interactions complexes entre l’océan et l’atmosphère d’une
part, la boucle anticyclonique subtropicale des Açores et celle
cyclonique subpolaire d’Islande d’autre part, agit à la fois sur le
climat de la Grande-Bretagne et sur celui du Labrador.
Pour conclure : non, le transport de chaleur vers le nord
par le Gulf Stream n’est pas étranger au climat de la GrandeBretagne, mais, s’il y fait meilleur en hiver qu’au Canada à la
même latitude, c’est que, dans le contexte climatique actuel, en
raison de la rotation de la Terre, les rives ouest des océans sont
sous les vents d’ouest dominants qui pompent dans l’océan en
hiver l’énergie que le Soleil y a déposée en été. Et cela est valable
de la même manière pour les rives du Pacifique et le Kuroshio.
La Norvège et l’Alaska
Pour évaluer le poids du Gulf Stream et de la chaleur qu’il transporte dans le climat du bord est de l’Atlantique, il est plus judicieux de comparer, comme l’on dit avec bon sens, des situations
comparables – c’est-à-dire qualitativement semblables – et de
s’interroger sur les différences existant entre les climats maritimes de l’est du Pacifique et de l’Atlantique, pour voir s’il y a
lieu de reconnaître au Gulf Stream un rôle que l’on refuserait au
Kuroshio. Il ne fait pas de doute que, à latitude égale et à climat
de même type, le climat de la Norvège n’est pas le même que
celui de l’Alaska. La carte d’anomalies de la figure 16 indique
même une anomalie positive de 10 °C sur les côtes de Norvège
par rapport aux températures de la côte américaine aux mêmes
latitudes. Le Gulf Stream (ou son extension) y est-il pour quelque
chose ? Telle est la question. On pourrait penser que oui, puisque
le transport de chaleur vers le nord par les courants est beaucoup plus important dans l’Atlantique que dans le Pacifique,
en raison de la contribution dans l’Atlantique de la circulation
thermohaline qui n’existe pas dans le Pacifique. Pourtant, Seager
et al. concluent que, à l’exception du nord de la Norvège, les
différences de température observées entre l’ouest de l’Europe
et le Canada sont indépendantes du transport de chaleur par
l’océan. Pour arriver à ce résultat, ils ont fait une expérience
par modèle interposé : ils ont comparé les résultats de modèles
couplant un modèle de circulation générale atmosphérique avec
un modèle océanique simplifié (uniform depth mixed-layer ocean),
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
108
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
en les faisant fonctionner successivement avec ou sans transport
de chaleur océanique. Ils ont alors constaté que les différences de
température de janvier entre les côtes canadiennes du Pacifique et
les côtes européennes aux mêmes latitudes étaient sensiblement
les mêmes dans les deux cas, et proches des différences observées entre 5° et 10°. D’où la conclusion logique : le transport de
chaleur par l’océan n’est pour rien dans les différences observées
puisque, avec ou sans transport, les différences de température
sont inchangées.
On peut avoir quelques doutes sur la validité de ce résultat.
D’abord parce que, à la différence de l’étude précédente réalisée
sur les deux bords de l’Atlantique, qui reposait sur un bilan
effectif de chaleur à partir d’observations réelles dans la situation climatique actuelle, on ne compare ici que des données de
modèles correspondant à des situations climatiques radicalement
différentes. Les situations climatiques des océans Atlantique et
Pacifique Nord avec ou sans transport vers le nord de chaleur
par les courants océaniques n’ont absolument rien à voir l’une
avec l’autre. Avec transport de chaleur, on est dans la situation
actuelle, alors que, sans ce transport, on se trouve au plus froid
des plus froides périodes glaciaires, dans un schéma de circulation
totalement différent. Que peut bien signifier une différence de
température similaire entre la Grande-Bretagne et le Canada à
la même latitude, alors que rien n’est égal par ailleurs ? Ensuite,
parce que la représentation de l’océan dans les modèles n’est pas
très réaliste.
Seager et al., sur la base de leurs résultats, expliquent ces
différences de température par la différence de forme des bassins
océaniques. L’océan Atlantique s’étend vers le nord-est au-delà
de 60°N, dans les mers de Norvège et du Groenland jusqu’à l’Arctique, alors que le Pacifique est fermé par le détroit de Béring.
Aussi les basses pressions d’Islande dans l’Atlantique sont-elles
centrées plus au nord et relativement plus à l’est que celles des
Aléoutiennes dans le Pacifique. Cette configuration favorise la
montée concomitante vers le nord des vents chauds de sud-ouest
et du courant de Norvège. Cette situation n’a pas d’équivalent
dans le Pacifique, et les côtes du Canada et d’Alaska sont davantage soumises aux influences continentales. Autrement dit, c’est
quand même bien parce que les transports de chaleur par l’océan
vers le nord, via le Gulf Stream et ses extensions, sont beaucoup
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
109
plus importants dans l’Atlantique que dans le Pacifique qu’il fait
globalement plus froid autour du Pacifique Nord que de l’Atlantique Nord.
Le Gulf Stream et la NAO (North Atlantic Oscillation)
Les variations climatiques de l’Atlantique Nord sont dépendantes
du couplage entre l’anticyclone des Açores et le centre dépressionnaire d’Islande, qui règle l’intensité des flux atmosphériques
– notamment celui des vents d’ouest qui circulent entre les deux
et qui contrôlent le climat de l’Europe occidentale (figure 17).
En raisonnant un peu à l’envers, c’est-à-dire en partant des effets
pour remonter aux causes, on peut dire qu’à des vents d’ouest
forts qui appartiennent à la fois à l’anticyclone au sud et à la
dépression du nord correspond un renforcement de la circulation
atmosphérique dans ces deux structures, donc à des pressions
particulièrement basses au cœur de la dépression d’Islande et
élevées dans l’anticyclone des Açores. Conclusion logique : la
différence des pressions atmosphériques entre, d’une part, l’anticyclone et, d’autre part, la dépression d’Islande est caractéristique
du climat de l’Atlantique Nord. On l’appelle NAO Index, NAO
pour North Atlantic Oscillation. Plus les valeurs de cet indice sont
élevées, plus les deux circulations sont actives et plus les vents
d’ouest sont forts aux latitudes tempérées – mais pas seulement
eux (même si, ici, ils nous intéressent particulièrement) : les alizés
le sont également, comme les vents froids de nord-ouest, qui
amènent l’air polaire sur l’Amérique du Nord, sur le bord ouest
de la dépression d’Islande.
C’est surtout sur la saison hivernale que se mesure l’influence de la NAO. Les conséquences climatiques immédiates
sont nombreuses. D’abord, le renforcement des vents d’ouest sur
l’Atlantique Nord favorise le transfert de chaleur, en hiver, de
l’océan vers l’atmosphère, et il s’ensuit des hivers doux, pluvieux
et tempétueux sur l’Europe du Nord-Ouest jusqu’au nord de
la Sibérie. De l’autre côté de l’Atlantique, le renforcement des
vents de nord-ouest sur le bord ouest de la dépression d’Islande provoque des hivers particulièrement froids sur les côtes
du Canada et du nord des États-Unis. Un indice NAO élevé
accentue donc le contraste climatique entre les deux rives de
l’Atlantique. En période de NAO faible (anomalie négative de
NAO), la situation s’inverse : la dépression d’Islande faiblit et
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
110
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
se décale vers le sud, laissant la place aux hautes pressions qui
règnent aux pôles, facilitant ainsi les descentes d’air polaire sur
l’Europe de l’Ouest. La zone de vents d’ouest se manifeste plus
au sud avec moins d’intensité, amenant néanmoins des hivers
plutôt pluvieux sur le sud de l’Europe. Ces variations climatiques liées aux variations de NAO ne remettent pas en cause
le schéma précédent, qui « équilibrait » les quantités de chaleur
stockées/déstockées en été et en hiver par l’océan. En effet, pour
une anomalie positive de NAO, les vents forts d’hiver vont avoir
deux effets : refroidir davantage l’océan et accroître l’épaisseur
de la couche de mélange, ce qui accroîtra d’autant la capacité
de l’océan à stocker de la chaleur en été. On peut alors rester à
bilan nul sans pomper dans le stock de la chaleur transportée par
l’océan pour expliquer le doux climat de l’Europe de l’Ouest.
Les variations de la NAO ont d’autres effets. L’accélération
des vents de nord/nord-ouest sur le bord ouest de la dépression
d’Islande augmente l’évaporation, le refroidissement et la densité
des eaux de la mer du Labrador, avec pour conséquence une
augmentation du volume des eaux qui vont plonger en hiver et
alimenter la formation d’eau profonde. De manière plus lointaine,
et à l’inverse, sur le bord est de l’Atlantique, l’accroissement des
alizés facilitera des remontées d’eaux profondes le long des côtes
du Portugal et d’Afrique, du Maroc à la Mauritanie.
Si la NAO variait d’année en année de manière aléatoire,
tout cela n’aurait pas beaucoup d’importance : l’océan n’aurait
guère le temps d’enregistrer de manière durable les perturbations d’une année que l’année suivante viendrait tout effacer. Il
ne s’agirait que d’un bruit de fond sans conséquence à moyen et
long terme. Mais il n’en est pas ainsi, et c’est bien pourquoi on
parle d’oscillation : les anomalies ont une certaine durée, comme
on le voit sur la figure de l’évolution de l’indice de NAO depuis
le milieu du xixe siècle (figure 19). La période 1980-2000, par
exemple, est clairement une période de NAO élevée, même si l’on
observe quelques inversions ponctuelles de l’anomalie de NAO ;
c’était aussi clairement l’inverse entre 1955 et le début des années
1970. Il n’en a pas toujours été ainsi. On a pu reconstituer l’évolution de la NAO depuis 1650, grâce à l’analyse des accumulations
de couches de neige au cours du temps sur le Groenland, partant
du principe qu’il y avait une relation entre la NAO (et donc le
champ de pression sur l’Atlantique Nord) et l’abondance des
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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précipitations neigeuses sur le Groenland. Il apparaît clairement
que les oscillations organisées et cohérentes sont intermittentes.
On identifie facilement des alternances organisées de périodes
à faible indice NAO et à indice élevé : 1675-1725, 1875-1925
et 1960-2000. En revanche, il est difficile de déceler une quelconque cohérence entre 1725 et 1850. Ce comportement n’est
pas vraiment interprété, mais il semble indiquer que, si la NAO
est d’abord un mode de variabilité propre à l’atmosphère, les fluctuations décennales organisées font intervenir d’autres éléments
du système climatique à « mémoire lente » – par rapport à la
composante très rapide qu’est l’atmosphère. C’est vraisemblablement l’océan qui joue ce rôle, bien que l’on ne puisse s’empêcher
de faire le lien entre la faiblesse de la NAO de 1675 à 1690 et la
faiblesse persistante de l’activité solaire à la même époque, connue
sous le nom de cycle de Maunder.
On peut s’interroger (et d’ailleurs les chercheurs le font,
avec l’espoir d’y répondre un jour) sur la signification de l’anomalie positive du début des années 1990, dont l’amplitude est
sans précédent dans l’histoire connue de la NAO, et se demander
s’il y a un rapport avec le changement global et l’accroissement
des teneurs en gaz à effet de serre de l’atmosphère. On est donc
dans l’incertitude sur l’évolution de la NAO dans le contexte du
changement global. Il est néanmoins à peu près certain, compte
tenu de la durée des différentes phases, que l’océan les enregistre,
les intègre dans sa dynamique et les rend, à son rythme, à l’atmosphère, qui y répond aussi à son rythme, beaucoup plus rapide
que celui de l’océan : c’est le couplage océan-atmosphère. Voici
quelques exemples pour illustrer la complexité de ce couplage et
les processus d’action/rétroaction qui peuvent intervenir.
La circulation anticyclonique, le Gulf Stream et la NAO
La circulation anticyclonique océanique superficielle réagit avec
un certain retard aux variations de la NAO. L’accroissement de
la circulation atmosphérique pendant les phases à indice NAO
élevé stimule les courants océaniques constitutifs de la boucle
anticyclonique, dont le Gulf Stream, le courant Nord-Atlantique
et le courant de Norvège. On en a deux indices.
D’abord, l’intensité du Gulf Stream. Pour analyser sur de
longues périodes les fluctuations de la circulation océanique, on
aurait tort de ne pas recourir à des indices représentatifs comme
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
on le fait pour l’atmosphère avec la NAO. C’est ce qu’ont
appliqué, sans toutefois lui donner un nom, Ruth G. Curry et
Michael S. McCartney, en adaptant à l’océan le principe de l’indice NAO, qui mesure les anomalies de différence de pression
atmosphérique entre le point haut (anticyclone des Açores) et le
point bas (dépression d’Islande) de la grande circulation des vents
d’ouest. Pareillement, pour l’océan, le transport du Gulf Stream
est proportionnel à la différence de « pression » entre le point
haut de la circulation anticyclonique océanique aux Bermudes et
le point bas du gyre subpolaire en mer du Labrador (figure 18).
Des anomalies de la différence d’énergie potentielle entre ces
deux points on peut déduire les variations du flux du Gulf Stream.
La réponse est claire : le flux du Gulf Stream s’est affaibli dans la
période à faible NAO des années 1960 et s’est intensifié dans les
vingt-cinq années d’indice NAO élevé depuis 1975, avec un pic
marqué dans les années 1990 (figure 20a). Cela n’est évidemment
pas un résultat inattendu. En période de NAO élevée, les vents
froids hivernaux de la dépression d’Islande refroidissent la mer du
Labrador, ce qui se traduit par une baisse du niveau de la mer et
de l’énergie potentielle, alors qu’autour de la circulation anticyclonique les forts vents d’ouest intensifient les transports d’Ekman
vers le centre, ce qui fait plonger la pycnocline et monter le niveau
de la mer, et accroît l’énergie potentielle. La différence d’énergie
potentielle est alors à son maximum, et le flux du Gulf Stream
également. Et réciproquement lorsque la NAO est faible.
Deuxième indice : la position en latitude du Gulf Stream.
On imagine instinctivement que l’activation de la circulation
anticyclonique, qui se traduit par une augmentation du flux du
Gulf Stream, provoquera aussi une extension vers le nord du
courant. Par rapport aux autres courants de la circulation anticyclonique, dont les limites sont diffuses, le Gulf Stream, bien
individualisé, et dont la limite nord est bien matérialisée par le
front thermique qui le sépare des eaux froides de la Slope Sea et
de celles du courant du Labrador, est facile à situer. On a créé
un indice pour suivre l’évolution de sa position en latitude, le
GSNW Index (pour Gulf Stream North Wall). Il s’agit simplement de la latitude la plus au nord atteinte entre les longitudes 60
et 75°W par la limite nord du Gulf Stream. Il y a aussi une relation entre cet indice et la NAO. À indice NAO fort correspond
une extension vers le nord du Gulf Stream avec un retard de un
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à deux ans, et réciproquement. L’amplitude de la variation est de
l’ordre de 100 à 200 km (figure 20b). La position du North Wall
a été en moyenne 1° plus au nord dans les années 1990 (anomalies
positives) que dans les années 1960-1970 (anomalies négatives).
Pour résumer, on peut dire que la circulation océanique répond
assez vite et significativement aux sollicitations de l’atmosphère,
et qu’à un accroissement de la NAO correspond finalement une
augmentation du transport océanique et du flux de chaleur vers
le nord.
Les eaux profondes de la mer du Labrador
La mer du Labrador, entre le Groenland et le Labrador, est aussi
une zone de formation d’eaux profondes, mais le mécanisme
n’est pas le même que celui décrit pour les mers de Norvège et
du Groenland, où une condition nécessaire à leur formation est
la forte salinité des eaux amenées par le courant de Norvège,
souvenir de leur origine tropicale et de leur transport par divers
trains successifs : Gulf Stream, courant Nord-Atlantique et
courant de Norvège. La formation des eaux profondes en mer du
Labrador est indépendante du système Gulf Stream et ne doit rien
aux eaux salées qu’il transporte. Elle n’est pas liée à la circulation
anticyclonique subtropicale, mais au gyre cyclonique subpolaire.
C’est, comme on l’a vu, le refroidissement intense en hiver sous
l’action des vents froids de nord-ouest associés à la dépression
d’Islande qui fait croître la densité des eaux de surface et les fait
plonger. En période de forte anomalie positive de NAO, le vent
particulièrement fort accentue le refroidissement et augmente le
volume d’eau qui plonge. Y correspond aussi une extension d’eaux
froides et de glaces originaires de l’Arctique via l’archipel du nord
du Canada et de la mer de Baffin, entre Groenland et Canada.
Plus l’anomalie positive de NAO est élevée, plus la couche d’eau
profonde formée en mer du Labrador est épaisse et froide, et
moins elle est salée (à l’inverse de l’eau profonde formée en mer
de Norvège). La pérennité des anomalies sur plusieurs années fait
qu’il se forme ainsi des masses d’eau plus ou moins importantes
aux caractéristiques différentes suivant les variations de la NAO.
La température de la couche d’eau formée était de 3,5 °C en 1970
(anomalie négative de NAO), alors qu’elle n’était que de 2,7 °C
en 1993 (anomalie positive). Les courants marins vont évidemment véhiculer ces anomalies. Une partie de l’eau profonde du
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
Labrador se mélange aux eaux plus profondes (2 500-3 000 m)
et plus denses venant des mers GIN et poursuivent leur périple à
travers le « tapis roulant » et le Deep Western Boundary Current.
La partie supérieure autour de 1 500 m de profondeur investit le
gyre anticyclonique subtropical via le Gulf Stream et le courant
Nord-Atlantique. On retrouve la trace des anomalies (épaisseur,
salinité, température) des eaux du Labrador six ans après dans la
région des Bermudes. À terme, les variations des caractéristiques
des eaux profondes du Labrador se propagent nécessairement
en surface par mélange et diffusion. Il est vraisemblable, par
exemple, que la formation abondante d’eau froide et peu salée
en mer du Labrador, en période d’indice NAO élevé, se traduise
quelques années plus tard par un refroidissement et une diminution de la salinité du courant de Norvège, qui auraient pour effet
une atténuation de la circulation thermohaline et donc un affaiblissement de la NAO : rétroaction négative allant à l’encontre
du phénomène qui avait donné naissance à l’anomalie initiale
en mer du Labrador. Il a été montré qu’une anomalie négative
de température de surface détectée au sud-est des États-Unis
(entre 25 et 35°N), et vraisemblablement liée à une anomalie de
subsurface, mettait à peu près huit ans pour se propager jusqu’à
l’Islande via le Gulf Stream et ses extensions. Si ce schéma est
le bon – ce qui n’est pas démontré –, il se passe quatorze ans
avant qu’une anomalie enregistrée lors de la formation d’eaux
profondes en mer du Labrador se retrouve aux portes de la zone
de formation des eaux profondes de la mer de Norvège. C’est à
peu près la période des variations décennales de la NAO.
Les « grandes anomalies de salinité »
et la circulation thermohaline
Une « grande anomalie de salinité » a parcouru la surface de l’Atlantique Nord de 1968 au début des années 1980. C’est sans
doute l’un des événements à l’échelle décennale les plus remarquables et les mieux documentés – ce qui ne veut pas dire qu’il
soit l’un des mieux compris. Il s’agit d’une diminution sensible
de la salinité des couches de surface sur une profondeur de
plusieurs centaines de mètres qui s’est propagée une douzaine
d’années durant (figure 21). Détectée vers 1968 au nord-est de
l’Islande, elle apparaît en 1971-1972 en mer du Labrador. Elle
prend ensuite le train du courant Nord-Atlantique, qui l’amène
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en 1976 au nord de la Grande-Bretagne, du côté des Féroé et
des Shetland, en 1977-1978 en mer de Norvège, puis de 1979
à 1982 en mer du Groenland, zone de formation des eaux
profondes de l’Atlantique Nord. C’est la grande anomalie des
années 1970 (GSA 70). Il y en eut d’autres par la suite, peut-être
moins marquées, mais qui au premier abord suivaient le même
chemin. Entre 1982 et 1990, par exemple, une anomalie semblait
prendre le relais de la précédente. Et encore entre 1989 et 1997,
comme si s’était instituée une périodicité de dix ans. Périodicité
a priori confortable pour le scientifique enclin à en déduire que
ces anomalies, si semblables et répétitives, devaient avoir nécessairement les mêmes causes. C’eût été évidemment trop simple,
et il semble bien que le déclenchement de ces anomalies puisse
avoir deux origines différentes – l’une, GSA 70, correspondant
à une période d’anomalie négative de NAO, les autres (GSA 80
et 90), au contraire, à des anomalies positives. Un indice de cette
différence se trouve dans le point de départ de l’anomalie : le
nord de l’Islande pour la première, la mer du Labrador pour les
deux suivantes.
La formation de glace dans l’océan Arctique varie elle aussi
avec la NAO. Des analyses d’observations faites sur quarante ans,
entre 1958 et 1997, montrent qu’à une tendance générale, depuis
1970 environ, à la diminution de la concentration en glace de
l’Arctique se superposent des variations corrélées à celles de la
NAO. La concentration de glace est plus faible lorsque l’indice
NAO est élevé, et réciproquement. Les années qui ont précédé
l’apparition de l’anomalie de salinité en 1968 au nord de l’Islande
ont correspondu à de fortes anomalies négatives de NAO et à
une production importante de glace, qui s’est accumulée au fil des
années : il y a eu surproduction. L’océan Arctique autour du pôle
Nord est le siège d’un anticyclone atmosphérique qui varie aussi
au rythme de la NAO, en opposition de phase avec le système
dépressionnaire d’Islande. Lorsque celui-ci est faible, comme ce
fut le cas dans les années 1960, l’anticyclone polaire s’installe sur
le Groenland, provoquant un flux de vent du nord qui facilite
l’exportation des glaces arctiques – notamment les glaces les plus
épaisses et les plus âgées, donc les moins salées – vers le sud, le
long de la côte est du Groenland à travers le détroit de Fram,
entre le Groenland et le Spitzberg. Toutes les conditions étaient
réunies – surabondance de glace et vent favorable – pour qu’il
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
y ait une crue importante de glace. Ce fut le cas, et l’on estime
que cela a correspondu à un flux d’eau douce à travers le détroit
de Fram supérieur de 50 % à la moyenne. Il s’est agi dans ce cas
d’une simple advection d’eau douce vers le sud qui s’est propagée
sans qu’il y ait intervention de processus propres aux régions
traversées.
Tout autre est la situation qui a prévalu lors des GSA 80
et 90, qui ont leur origine non plus dans un transport depuis le
lointain Arctique, mais localement dans la mer du Labrador,
dans un contexte d’indice élevé de NAO. Le terrain a été préparé
dans chaque cas par des hivers extrêmement rigoureux, en 19821984 et 1992-1994, associés à des vents de nord-ouest sur la
mer de Baffin qui ont favorisé le flux d’eau douce de l’Arctique
vers la mer du Labrador, à travers l’archipel Arctique canadien. Alors que, habituellement, en période de NAO positive,
les vents froids induisent une forte convection, c’est dans ce
cas leur excès même qui, apportant un surplus d’eau douce, la
ralentit momentanément et provoqua une anomalie de salinité
de moindre ampleur que celle de 1970, mais qui prit le même
chemin en rejoignant le Gulf Stream et le courant Nord-Atlantique pour rallier en final les mers GIN de formation des eaux
profondes.
La courbe d’évolution de la température moyenne de l’air,
qui croît globalement depuis la fin du xixe siècle (figure 26),
indique qu’il y a eu interruption de cette hausse et même diminution de température de la fin des années 1960 à la fin des
années 1970. On peut penser qu’il y a relation de cause à effet
entre l’irruption de la GSA des années 1970 et ce refroidissement
passager. En effet, qui dit eau douce en surface dit augmentation de la stratification et diminution de la formation d’eaux
profondes. Ce fut sans doute le cas dans les mers GIN, où la
GSA a pris naissance en 1968-1969, et en mer du Labrador,
qu’elle a traversée en 1969-1970. Il peut en être résulté un affaiblissement suffisant de la circulation thermohaline et du « tapis
roulant » pour ralentir le transport de chaleur vers le nord via le
Gulf Stream et ses extensions. C’est peut-être un phénomène
analogue qui nous menace avec le réchauffement global : une
super GSA qui viendrait freiner beaucoup plus radicalement la
circulation thermohaline et refroidir plus vigoureusement au
moins l’hémisphère Nord.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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La NAO et le couplage
On a vu que l’océan répondait significativement aux variations de la
circulation atmosphérique repérées par l’indice NAO, pourvu que
les anomalies positives ou négatives aient une certaine persistance.
Cela pose le problème de savoir s’il y a couplage entre l’océan et l’atmosphère pour générer une variabilité climatique décennale récurrente. Autrement dit, sont-ce des actions/rétroactions entre océan
et atmosphère qui sont responsables des oscillations de la NAO
lorsqu’elles sont cohérentes, comme c’est le cas actuellement ?
La formation des eaux profondes du Labrador est une illustration du problème. Une anomalie négative de salinité créée en
période de NAO positive avec flux du Gulf Stream et circulation
thermohaline importants met quatorze ans à atteindre la mer de
Norvège, où elle est susceptible de mettre un frein à la circulation
thermohaline, au Gulf Stream, et de réduire par voie de conséquence la NAO et la formation d’eaux profondes du Labrador
– moins abondantes, mais plus salées –, qui ne s’opposeront pas
quatorze ans plus tard à la formation d’eaux profondes en mer
de Norvège, etc. C’est un problème crucial à résoudre en même
temps que celui des interactions entre les échelles de variation
de la NAO et celles des évolutions à plus long terme du climat,
si l’on veut simuler correctement les fluctuations climatiques qui
nous attendent dans les prochaines décennies.
La période qui s’est ouverte à la fin des années 1970 est la
plus longue période enregistrée de phase positive, et les périodes
1980-1990 sont celles ou l’indice NAO a atteint les valeurs les
plus élevées sur cent soixante-treize ans d’enregistrement. Ce qui
n’a pas empêché d’observer au cours de cette même période de
fortes variations interannuelles – et même des inversions brutales,
d’un hiver à l’autre, de l’indice. Ce fut notamment le cas entre
l’hiver 1994-1995, qui a connu la deuxième anomalie positive la
plus forte enregistrée, et le suivant, 1995-1996, caractérisé, lui,
par une des plus fortes anomalies négatives jamais vues. Ce qui
montre que, au-delà d’un probable couplage océan/glace/atmosphère responsable des oscillations décennales ou pluridécennales,
la dynamique propre interne de l’atmosphère est capable d’induire
des variations interannuelles d’amplitudes équivalentes à celle des
oscillations décennales.
À la lecture de ce qui précède – si toutefois il arrive
jusqu’au bout –, le lecteur pensera sans doute que les choses ne
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
sont ­vraiment pas claires. Peut-être ira-t-il même jusqu’à penser,
dans la lignée de Boileau – « Ce qui se conçoit bien s’énonce
clairement » –, que manifestement l’auteur lui-même n’a pas
tout compris. Et c’est peut-être vrai… Mais il a des excuses, car
les choses ne sont effectivement pas claires, et les scientifiques
ne sont pas tous d’accord sur les processus en jeu, ne cachant
d’ailleurs pas leurs incertitudes et parfois leur ignorance. On
mesure, à travers cet exemple d’interaction atmosphère/océan/
glace, toute la complexité du système climatique et, surtout, la
quasi-impossibilité d’une démarche analytique qui consisterait à
mettre le système climatique en pièces détachées pour en analyser
une à une les composantes ou un à un les processus d’échange
entre lesdites composantes. Toutes les échelles de temps et d’espace sont imbriquées. Ainsi, par exemple, il n’est pas impossible
qu’il y ait une relation entre les épisodes de très forte anomalie
positive de NAO et le déclenchement de GSA d’une part, et
les événements comme El Niño d’autre part, dont le moteur est
pourtant très loin de là, dans le Pacifique équatorial ! Le système
climatique n’est pas un puzzle – ou bien alors ce serait un puzzle
dynamique : chaque pièce ajoutée modifie l’ensemble de la configuration au fur et à mesure que l’on progresse.
Quoi qu’il en soit, il faudra de nombreuses années pour
bien comprendre le fonctionnement de cet enchevêtrement, pour
l’heure inextricable, des échelles de variabilité de l’Atlantique
Nord, éléments cruciaux interférant aussi dans la circulation thermohaline et donc dans l’évolution du climat à moyen et long
terme. Aussi l’étude de la NAO est-elle un projet important du
programme international de recherche « Clivar » (climatic variability) lancé pour quinze ans en 1995 et mis en œuvre dans le cadre
du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC),
organisé conjointement par l’Organisation météorologique
mondiale (OMM), la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO (COI) et le Conseil international
pour la science (CIUS).
Revenons, pour conclure, au Gulf Stream, un peu perdu de
vue dans ce dédale d’action et de réaction. Élément du système,
il semble osciller au rythme des variations de la NAO (à moins
que ce ne soit l’inverse). Il répond aux variations interannuelles
(d’une année à l’autre) de la NAO, comme le montre la relation
entre sa position en latitude (indice GSNW) et l’indice NAO.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Il réagit aussi aux variations pluriannuelles et décennales : il y a
une corrélation entre, d’une part, sa position moyenne en latitude et son débit, et, d’autre part, les variations pluriannuelles
de la NAO. Les flux de chaleur vers le nord et la température
de surface de l’Atlantique sont évidemment en phase avec les
variations du Gulf Stream et forcent en retour l’atmosphère, sans
que l’on sache encore quelles sont les rétroactions régulatrices
en jeu. Enfin, le Gulf Stream et ses extensions contribuent à la
propagation des anomalies de température et de salinité issues
de la mer du Labrador ou des mers GIN (Groenland-IslandeNorvège). Le Gulf Stream est bien impliqué, mais ne joue pas
seul et n’est pas le chef d’orchestre. Il est indissociable des autres
éléments – atmosphère, glace –, qui constituent avec lui l’essentiel
du système climatique de l’Atlantique Nord.
Le Gulf Stream et la circulation thermohaline
L’inégalité des océans : pourquoi l’Atlantique ?
L’océan et l’atmosphère sont les deux fluides qui redistribuent la
chaleur du Soleil reçue majoritairement dans les régions intertropicales. Leur rôle n’est pas pour autant symétrique. D’abord,
l’océan stocke l’énergie, ce que ne fait pas l’atmosphère ; ensuite,
l’atmosphère tire son énergie essentiellement de l’océan sous
forme de chaleur latente (évaporation), rayonnement (l’océan
émet dans l’infrarouge, à la longueur d’onde correspondant à sa
température, une énergie absorbée par l’atmosphère) et enfin,
dans une moindre mesure, de « chaleur sensible ». La chaleur
sensible est la quantité de chaleur contenu dans un fluide à une
température donnée, c’est-à-dire le produit M×C×T, où M est
la masse du fluide, C sa capacité calorifique et T sa température.
Lorsqu’on parle d’échange de chaleur sensible, il s’agit simplement
du transfert par conduction de chaleur entre les deux fluides du
plus chaud au plus froid. L’atmosphère restitue à l’océan une part
de l’énergie qu’il lui a fournie sous forme d’énergie mécanique,
par le vent moteur de la circulation de surface et par échange
d’eau douce dans les processus d’évaporation/condensation, qui
modifient la composition chimique (salinité et donc densité
de l’océan). Il n’y a pas de commune mesure entre les deux :
l’énergie fournie à l’atmosphère par l’océan est à peu près mille
fois supérieure à ce que l’atmosphère rend à l’océan. Et pourLe Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
tant, ce millième est essentiel, puisque c’est lui qui génère tant la
circulation de surface que la circulation thermohaline profonde,
avec le renfort de la dissipation de l’énergie des marées. L’océan
est donc bien le maître du jeu climatique : finalement, c’est lui le
ravitailleur de ce réservoir par lequel nous ressentons les variations
climatiques – l’atmosphère qui, elle, fonctionne en « flux tendu »,
c’est-à-dire sans stock. Tout le climat de la Terre dépend des
quantités de chaleur et d’eau douce échangées et du lieu où les
échanges se produisent.
À ne regarder (figure 22) que la carte du transport de
chaleur à l’intérieur de l’océan (chaleur sensible), qui prend en
compte l’ensemble de la circulation océanique de la surface au
fond – c’est-à-dire, par exemple pour l’Atlantique, aussi bien le
Gulf Stream vers le nord que le courant profond de retour vers
le sud –, on perçoit immédiatement que les trois océans méridiens ne sont pas équivalents. On ne s’en étonnera guère pour
le demi-océan Indien, pour lequel la route du nord est coupée.
C’est a priori plus surprenant pour l’Atlantique et le Pacifique.
On s’attendrait en effet, pour l’un et pour l’autre, à une certaine
symétrie par rapport à l’équateur météorologique qui sépare les
circulations anticycloniques subtropicales des hémisphères Nord
et Sud. C’est relativement vrai pour le Pacifique ; ça ne l’est pas
du tout pour l’Atlantique, où du sud au nord le flux de chaleur
se fait exclusivement vers le nord, comme si l’Atlantique était
une sorte d’aspirateur de chaleur. Et il l’est grâce à la circulation
thermohaline et à la formation des eaux profondes par convection
dans les mers GIN et du Labrador, qui rajoute en surface un
flux d’eau chaude de 15 Sv vers le nord à la circulation induite
par le vent. C’est la « route chaude » du « tapis roulant », qui
« pompe » vers l’Atlantique Nord des eaux de surface du Pacifique et de l’océan Indien via les détroits indonésiens, le courant
des Aiguilles, le courant de Benguela et le courant Équatorial Sud
de l’Atlantique. Cette « aspiration » d’eau chaude en surface vers
le nord, qui n’existe pas dans le Pacifique, accroît aussi le transfert
d’énergie de l’océan à l’atmosphère tout au long du trajet Gulf
Stream/courant Nord-Atlantique/courant de Norvège jusqu’aux
confins de l’Arctique. L’océan Atlantique est donc, du fait de
la circulation thermohaline et via les courants océaniques et les
échanges avec l’atmosphère, le principal pourvoyeur de chaleur
vers le nord, au détriment du sud.
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Pourquoi l’océan Pacifique ne joue-t-il pas un rôle équivalent ? Il y a d’abord des raisons morphologiques. Le Pacifique est
fermé sur l’Arctique par le détroit de Béring : large de quelques
dizaines de kilomètres et d’une profondeur d’une cinquantaine
de mètres seulement, il fait barrage à toute progression vers
l’Arctique d’une éventuelle extension du Kuroshio. L’Atlantique Nord, lui, bénéficie à la même latitude que le détroit de
Béring d’un passage beaucoup plus large et plus profond (entre
500 et 1 000 m) au-dessus des seuils qui vont du Groenland
aux îles Féroé en passant par l’Islande, passage qui permet au
courant de Norvège d’atteindre les mers GIN où se forment
les eaux profondes. La frontière ouest du Pacifique équatorial est poreuse : une bonne partie du courant Équatorial Sud
s’échappe vers l’océan Indien à travers les détroits de l’archipel
indonésien. Cela vient au débit du Kuroshio, mais est à porter
au crédit du… Gulf Stream, puisque cette fuite est un élément
de la « route chaude » de retour vers l’Atlantique du « tapis
roulant ».
Il y a ensuite une raison hydrologique : le Pacifique est
beaucoup moins salé que l’Atlantique (figure 23). Il y a deux
causes à cela. En premier lieu, le transfert d’eau douce de l’Atlantique vers le Pacifique. Pour les alizés de nord-est de l’Atlantique, l’isthme de Panama n’est pas réellement un obstacle. Ils le
franchissent donc, emmenant avec eux la vapeur d’eau dont ils
se sont chargés pendant leur parcours au-dessus de l’Atlantique
tropical, de la mer des Caraïbes et du golfe du Mexique, où
l’évaporation est intense. Côté Pacifique, ils convergent avec les
alizés de sud-est du Pacifique, provoquant une convection forte
et des précipitations abondantes dont l’eau vient de l’Atlantique.
Pour l’Atlantique, donc, globalement, l’évaporation l’emportant
sur les précipitations, la salinité augmente. C’est l’inverse dans
le Pacifique. Le Gulf Stream prend sa source dans des eaux très
salées du bassin de concentration qu’est la mer des Caraïbes.
De l’autre côté du Pacifique, aux sources du Kuroshio, il n’y a
pas de telles pertes d’eau douce. Le régime de mousson associé
au continent asiatique ramène au Pacifique l’eau douce temporairement exportée, via les grands fleuves qui drainent l’est de
l’Asie. À l’inverse du Gulf Stream, le Kuroshio a sa source dans
une « piscine » d’eau peu salée, ce que l’on appelle la warm pool
du Pacifique Ouest : vaste zone océanique à l’est de l’Indonésie
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
et des Philippines, où la température de surface dépasse 29 °C
et où d’importantes précipitations abaissent la salinité.
Second élément : le bassin de concentration qu’est la Méditerranée. Dans cette mer fermée, l’évaporation est très nettement
supérieure aux précipitations : le déficit annuel de précipitation
est équivalent à environ 1 m d’eau. Aussi les salinités y atteignent-elles un niveau record de 39,5 ups (ce qui représente à peu
près la teneur en grammes de 1 kg d’eau de mer) en mer Égée.
Par comparaison, au centre des circulations anticycloniques, les
valeurs maximales atteintes sont de 37,5 dans l’Atlantique et de
seulement 35,5 dans le Pacifique Nord. Ces eaux très salées de
Méditerranée s’écoulent au fond du détroit de Gibraltar dans
l’Atlantique, où elles atteignent leur niveau d’équilibre autour
de 1 000 m de profondeur et s’étendent à l’ensemble du bassin,
contribuant, par mélange, au bilan positif en salinité de l’Atlantique. L’océan Pacifique ne bénéficie pas de ces conditions
favorables, et, même lorsqu’il se forme de la glace dans le Pacifique Nord, la salinité est trop faible pour provoquer des plongées des eaux de surface, qui restent plus légères que les eaux
sous-jacentes.
Aux sources des variations à long terme du climat :
le cycle de Milankovitch
La formation des eaux profondes dans les mers GIN et la circulation thermohaline qu’elle provoque sont-elles le talon d’Achille
du climat ? Le point sensible du système climatique capable de
le faire basculer rapidement d’un état à un autre ? Ce que l’on
traduit médiatiquement et cinématographiquement – mais
abusivement – par la question suivante : le Gulf Stream peutil s’arrêter ? Abusivement, car la circulation thermohaline peut
s’interrompre, avec toutes les conséquences climatiques que l’on
sait, sans que pour autant le Gulf Stream s’arrête.
Depuis quelques millions d’années, le climat de la Terre
oscille entre des époques glaciaires et interglaciaires, avec une
périodicité assez proche de cent mille ans (figure 24). Nous
bénéficions, depuis à peu près dix mille ans, de la douceur d’un
épisode interglaciaire qui n’est sans doute pas étranger à l’essor de
l’humanité. La température moyenne de la Terre est supérieure
de 4-5 °C à ce qu’elle était au cœur de la période glaciaire qui
précédait, il y a environ vingt et un mille ans. Il faut remonter
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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à cent vingt mille ans en arrière pour retrouver un interglaciaire
équivalent. Un forage récent à travers 3 190 m de glace de la
calotte antarctique, réalisé dans le cadre du programme européen
EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica), a permis
de reconstituer l’évolution des températures de l’air jusqu’à il y
a huit cent mille ans et de repérer ainsi huit cycles climatiques
glaciaire/interglaciaire.
On sait maintenant que ces évolutions de grande ampleur
ne s’expliquent pas par des oscillations internes propres au système
climatique. Il y a un deus ex machina astronomique extérieur : les
variations des paramètres de l’orbite terrestre autour du Soleil,
qui modulent l’intensité et la répartition à la surface de la Terre
de l’énergie reçue du Soleil.
Pressentie au début du xixe siècle après que Louis Agassiz
eut fait part, en 1837, de sa découverte des traces d’une ancienne
glaciation attestée par des rayures – marques de passage du
glacier – observées sur certains rochers des monts du Jura et par
des vestiges d’anciennes moraines, la théorie astronomique des
climats fut élaborée vers 1920 par Milutin Milankovitch. Il partit
de l’idée que les hautes latitudes nord largement occupées par
les continents étaient plus sensibles aux changements d’énergie
que la Terre reçoit du Soleil, et que le démarrage des épisodes
glaciaires devait correspondre à des étés frais empêchant la neige
tombée en hiver de fondre complètement et lui permettant de
s’accumuler d’année en année. Il construisit sa théorie en analysant les variations de l’insolation en été à la latitude de 65°N,
en fonction des paramètres astronomiques de la Terre et de son
orbite autour du Soleil, et en les comparant qualitativement à ce
que l’on savait alors de l’alternance des périodes glaciaire/interglaciaire. Cela fonctionnait assez bien pour que l’idée fût reprise
et développée, en affinant le calcul des éléments astronomiques
au fur et à mesure que les modèles climatiques se développaient
et que l’histoire des fluctuations climatiques se précisait, grâce aux
observations sur les glaciers, ainsi que sur les sédiments marins
et continentaux.
Les paramètres pris en compte sont l’excentricité de l’orbite de la Terre autour du Soleil, la précession des équinoxes
et l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre sur son orbite.
L’orbite de la Terre est une ellipse dont la forme plus ou moins
allongée, caractérisée par son « excentricité », varie avec une
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
double période de cent et quatre cent mille ans. Il en résulte
une variation importante de la différence d’énergie reçue du
Soleil entre l’aphélie (point où la Terre est le plus éloignée du
Soleil) et le périhélie (point où elle est le plus proche). Cette
différence est actuellement de 7 %. Lorsque l’orbite a sa forme
la plus allongée, elle atteint 30 %. La précession des équinoxes
de périodes de vingt et un mille ans fait que cette ellipse tourne
dans l’espace, si bien que, alors qu’actuellement la Terre est à son
point le plus proche du Soleil en janvier – hiver de l’hémisphère
Nord –, dans onze mille ans, elle le sera en juin. Enfin, l’angle
que fait l’axe de rotation de la Terre avec le plan de son orbite
varie d’environ 3° avec une période de quarante et un mille ans,
modifiant à ce rythme la répartition de l’énergie reçue en fonction de la latitude. En combinant toutes ces périodes de variation, Milankovitch a montré qu’il y avait une bonne corrélation
entre les variations de l’énergie reçue à 65°N et l’évolution du
climat à long terme. Les maxima d’énergie correspondent aux
interglaciaires, les minima aux périodes glaciaires. En supposant que l’activité solaire soit constante, l’énergie solaire totale
reçue annuellement par la Terre ne varie au cours de ce cycle
que d’environ 0,5 %. C’est du même ordre que la différence
entre les maxima et les minima du cycle de vingt-deux ans de
l’activité solaire. Les variations sont beaucoup plus importantes
à une latitude déterminée : par exemple à 65°N en été, point
de référence de Milankovitch, l’insolation varie entre 450 et
550 W/m2, soit une différence de 20 %.
Ces variations d’énergie ne suffisent pas à expliquer l’amplitude des variations climatiques observées entre glaciaire et
interglaciaire : elles sont amplifiées par les mécanismes propres
au système climatique. Par exemple, au fur et à mesure que les
glaciers s’étendent, la part du rayonnement solaire réfléchie à
la surface de la Terre, et perdue pour le système, augmente. La
végétation répond également, et les variations de la teneur en gaz
carbonique (gaz à effet de serre) de l’atmosphère sont aussi des
amplificateurs : au plus froid du précédent glaciaire, il y a vingt
et un mille ans, la teneur en CO2 de l’atmosphère était à peine
de 200 ppm, alors que, dans les interglaciaires courants, elle se
situe entre 280 et 300 ppm. Nous avons maintenant crevé ce
plafond inégalé sur les cinq cent mille dernières années avec plus
de 370 ppm et une croissance d’environ 1 % par an, conséquence
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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de nos multiples activités industrielles et agricoles, grandes pourvoyeuses de gaz à effet de serre. D’où l’incertitude et l’inquiétude
pour l’avenir, car il n’y a pas dans le passé de situation équivalente
qui nous permettrait de bâtir sur l’expérience un scénario probable
d’évolution.
Les leçons du passé
Le système climatique n’est pas un système linéaire simple, et l’on
ne peut pas construire une courbe qui permettrait de déduire le
climat de la Terre à un moment donné en fonction du moment
du cycle de Milankovitch où l’on se trouve. À l’intérieur des
périodes glaciaires et interglaciaires, le climat connaît des variations de forte amplitude et de fréquence variable dues à la dynamique interne du système climatique, sans relation aucune avec
les variations de l’insolation sur la Terre. L’histoire de l’évolution du climat dans l’hémisphère Nord telle qu’elle ressort des
« archives glaciaires » du Groenland, où plusieurs forages ont
été effectués, permet d’analyser le fonctionnement du système
– et notamment le couplage océan-cryosphère, qui a une grande
responsabilité dans cette histoire et est peut-être la clé de notre
avenir climatique.
Les événements de Heinrich
En 1988, Hartmuth Heinrich, analysant une carotte prélevée
au nord des Açores, remarqua six couches sédimentaires très
particulières, constituées de débris de roches et non des argiles
riches en foraminifères habituelles. On les identifia comme des
débris transportés par les icebergs et relargués au moment où ils
fondaient (Ice Rafted Debris ou IRD). On retrouva les mêmes
couches dans toutes les carottes de l’Atlantique entre 40°N et
50°N, de Terre-Neuve au golfe de Gascogne. Leur datation par
le carbone 14 montra que ces six couches avaient le même âge
dans toutes les carottes. Il s’agissait donc d’une invasion massive
d’icebergs. De telles débâcles correspondaient, estime-t-on, à la
fonte d’environ 2 % des calottes glaciaires américaine et européenne. Elles s’étalaient sur des durées de mille à deux mille
ans. La périodicité de ces événements observés entre – 20 000
et – 80 000 est de sept à dix mille ans et n’a rien à voir avec une
quelconque périodicité du cycle de Milankovitch. Y correspondaient les températures les plus froides de la période glaciaire.
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
Les cycles de Dansgaard-Oeschger
Près de vingt ans avant que l’on ne découvrît les événements de
Heinrich dans les sédiments marins, Willy Dansgaard et Hans
Oeschger avaient détecté, en analysant une carotte prélevée au
Groenland dans les années 1960, des changements rapides de
température au cours du dernier glaciaire, avec notamment de
surprenantes élévations de la température d’une amplitude égale
à près de la moitié de l’écart maximal entre l’optimum climatique
actuel et le minimum glaciaire. Cette découverte avait laissé les
scientifiques dubitatifs, car on ne trouvait pas de situations analogues dans les glaces du continent Antarctique, jugé plus représentatif car isolé, donc moins soumis à des perturbations extérieures.
Les forages américains et européens du Groenland des années
1990-1992 ont confirmé l’existence de ces événements chauds au
sein de la période glaciaire : on en a dénombré vingt-trois entre
– 90 000 et – 20 000. Bien plus, ils ont fait apparaître la très
grande rapidité d’occurrence de ces oscillations : des variations de
température de 10 °C au-dessus du Groenland peuvent intervenir
en quelques dizaines d’années, très loin du schéma d’entrée et de
sortie de périodes glaciaires lentes et sans à-coups qui prévalait.
La période des événements D‑O varie de mille cinq cents à cinq
mille ans. On parle maintenant de « changements climatiques
abrupts » pour caractériser de tels événements. En schématisant,
on peut décrire le climat de la dernière période glaciaire comme
une suite d’oscillations rapides faisant remonter la température
(les événements D-O), encadrées par des événements plus amples
amenant les froids les plus intenses, c’est-à-dire les événements
de Heinrich.
Le dryas récent
De telles fluctuations ne se limitent pas aux périodes glaciaires.
Ainsi, au sortir du dernier glaciaire – il y a environ douze mille
cinq cents ans –, alors que près de la moitié des glaces de l’hémisphère Nord avaient déjà fondu, que le tapis roulant océanique
se remettait en marche, que l’on arrivait au moment du cycle de
Milankovitch le plus favorable (insolation maximale dans l’hémisphère Nord), brutalement, en quelques dizaines d’années, le
froid est revenu, ramenant pour un millier d’années sur l’Europe
des conditions quasi glaciaires. La sortie de cet épisode s’est faite
aussi rapidement il y a onze mille six cents ans : en à peu près
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soixante-dix ans, la température sur le Groenland est remontée
de plus de 10 °C, pour atteindre celle qu’on lui connaît encore
aujourd’hui.
Et maintenant, à l’holocène ?
L’interglaciaire, l’holocène, dans lequel nous vivons depuis dix
mille ans, fait montre d’une moindre variabilité : le dernier àcoup important date d’il y a huit mille deux cents ans, une chute
de 5 à 6 °C sur le Groenland et un refroidissement de l’hémisphère Nord lié à une débâcle modérée d’icebergs ou peut-être à
la rupture d’un lac périglaciaire qui se serait formé sur le continent nord-américain au moment de la déglaciation. Des oscillations de faible amplitude sont apparues par la suite, comme le
petit âge glaciaire entre le xvie et le xixe siècle, au cours duquel
les températures de l’Europe ont pu être inférieures de 1 °C à
ce qu’elles sont aujourd’hui. À des échelles de temps moindre
– celles, décennales, des variations de la NAO –, on a vu que
les anomalies de salinité (GSA) induisaient aussi un refroidissement sur l’Europe. Il reste encore suffisamment de glace sur
le Groenland et dans l’Antarctique pour que nous ne soyons pas
à l’abri de débâcles sans doute modérées, mais suffisantes pour
influer significativement sur le climat – surtout si l’on y ajoute
la perturbation majeure en cours, dont on apprécie encore assez
mal les conséquences : l’accroissement de la teneur en gaz à effet
de serre de l’atmosphère.
L’océan et la glace
Tous les événements précédents, qui ne sont pas équivalents
et font appel à des mécanismes différents, ont en commun de
mettre en jeu les transferts d’eau douce entre la cryosphère et
l’océan. Lors des périodes glaciaires, une vaste calotte de glace
recouvre une bonne partie de l’hémisphère Nord en trois blocs,
de part et d’autre de l’Atlantique : le plus massif et le plus épais,
la Laurentide, sur le Canada et le nord des États-Unis, le Groenland et la Fennoscandie sur le nord de l’Europe. La glace ne peut
pas s’accumuler à l’infini sur les continents ; les glaciers ont une
dynamique, et ils s’écoulent vers l’océan, où ils « accouchent »
d’icebergs en plus ou moins grande quantité. Ce processus peut
être en équilibre stable, et, bon an mal an, la calotte glaciaire
évacue alors régulièrement vers l’océan le trop-plein de glace
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
qui se forme. Il peut aussi être instable et évacuer brutalement,
comme un barrage qui s’écroule, de très grandes quantités de
glace vers l’océan. Qui dit glace dit eau douce, dessalure, baisse de
la densité, et donc diminution de la formation des eaux profondes
et de la circulation thermohaline.
On pense que les événements de Heinrich les plus amples
et les moins fréquents ont correspondu à un effondrement de
la calotte Laurentide. Effondrement dû à une extension en mer
de la calotte, configuration éminemment instable, et/ou à une
instabilité des sédiments sous-jacents en raison de l’impossibilité,
pour la chaleur tellurique, de se dissiper à l’abri de l’épaisse couche
de glace. Les icebergs dispersés fondent, injectant dans l’océan
un volume d’eau douce considérable. En cette période glaciaire,
la formation d’eaux profondes était limitée, mais pas inexistante.
Les vents catabatiques descendant de la calotte glaciaire – comme
c’est le cas actuellement en Antarctique – créaient aux limites
de la banquise un refroidissement intense – comme c’est le cas
actuellement en mer du Labrador –, provoquant la formation
d’eaux profondes et une circulation thermohaline faible, mais non
nulle. L’apport massif d’eau douce qui stratifie l’océan affaiblit,
voire met un terme à cette formation d’eaux profondes, et les
températures atteignent leur niveau le plus bas. La sortie d’un
événement de Heinrich conduit à une remontée importante de
la température et fait passer des températures les plus froides
aux plus chaudes observées dans la période glaciaire. Lorsque
la calotte glaciaire s’est purgée de son excès de poids, les eaux
froides et peu salées sont repoussées vers le nord, et la circulation océanique reprend : le « tapis roulant » se remet en marche,
provoquant un réchauffement exceptionnel en période glaciaire.
Réchauffement temporaire, cela dit, car nous sommes alors en
configuration glaciaire du cycle de Milankovitch : la calotte
glaciaire se reconstitue, et la circulation thermohaline reprend
le rythme lent qui était le sien avant l’effondrement de la calotte,
jusqu’à ce que, celle-ci atteignant à nouveau son niveau d’instabilité, un nouvel épisode de Heinrich démarre.
L’amplitude du phénomène et les excursions loin au sud
des « icebergs Heinrich » ont occulté un temps l’existence, entre
les couches de Heinrich, d’autres traces de débris continentaux
relâchés par des icebergs et mis en évidence dans des carottes
prélevées en mer de Norvège. Ils sont en quantité beaucoup
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plus faibles et répartis sur une aire beaucoup plus limitée. Ils
correspondent, semble-t-il, aux oscillations D‑O. Des analyses
minéralogiques ont montré qu’il y avait, en outre, une différence
d’origine entre les deux types d’événement : les « Heinrich » ont
manifestement leur origine dans le continent nord-américain,
alors que les débris « D‑O » semblent venir d’Europe et accompagner des débâcles du glacier fennoscandien beaucoup plus
modestes, mais aussi plus nombreuses, que celles de Heinrich
– suggérant que celui-ci, beaucoup moins massif que la Laurentide, atteignait en contrepartie beaucoup plus rapidement son
niveau d’instabilité. Avec aussi des conséquences climatiques de
moindre amplitude. Les études en cours permettront de tester
la validité de cette hypothèse.
On n’a pas trouvé trace, dans les sédiments de l’Atlantique
Nord, de débris continentaux correspondant au dryas récent. Il
ne s’agit donc pas, cette fois, d’un apport d’eau douce originaire
des glaciers continentaux. Les analyses isotopiques faites sur les
squelettes de foraminifères vivant en surface au moment du dryas,
et retrouvés dans les sédiments, témoignent de la présence d’une
grande masse d’eau froide et peu salée sans aucune trace d’apport de glace continentale. Il s’agirait donc d’un apport, par des
icebergs, d’eau de mer congelée dont on a trouvé la trace jusqu’au
large du Portugal. L’origine en serait l’océan Arctique. Cette crue
d’icebergs de l’Arctique peut trouver son explication dans la variation du niveau de la mer pendant la déglaciation, et la morphologie du bassin arctique. L’océan Arctique possède actuellement
un très vaste plateau continental qui va de la mer de Barentz au
détroit de Béring. Au cœur de la période glaciaire, le niveau des
océans était inférieur de 120 m à ce qu’il est aujourd’hui, et une
grande partie de ce plateau continental était exondé. La surface
de l’océan Arctique était réduite de 10 %. La déglaciation a fait
monter le niveau de la mer, et le début du dryas a correspondu
au moment où elle a envahi la totalité du plateau continental
arctique, offrant ainsi un espace supplémentaire pour la formation de glace. C’est aussi le moment où les océans Pacifique et
Arctique se rejoignirent au détroit de Béring, qui était jusqu’alors
exondé. Parallèlement, la fusion de la Laurentide a accru l’apport
d’eau à l’océan Arctique via le fleuve Mackenzie. L’Arctique s’est
alors trouvé en état de surproduction de glace, glace qui a été
exportée dans l’Atlantique, où elle a fondu, conduisant encore à
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
un apport d’eau douce, à une augmentation de la stratification
et à un ralentissement de la circulation thermohaline, enfin à
un refroidissement drastique de l’Atlantique Nord. C’est, à une
échelle beaucoup plus importante, un phénomène analogue aux
« GSA » associées aux fluctuations de la NAO et aux variations
de la dynamique des glaces dans l’Arctique. On peut dire que le
dryas récent a vraisemblablement été une super GSA.
Les circulations profondes du passé
L’histoire du passé qui vient d’être sommairement retracée
repose sur trois paramètres : la température et la salinité de
surface, qui déterminent les densités de surface et la stratification, d’une part, et la circulation profonde, qui est une conséquence des deux premiers, d’autre part. On a dit plusieurs fois
que la clé de la reconstitution de ces paramètres se trouvait dans
les sédiments. Plus précisément, elle se trouve dans les squelettes
calcaires de foraminifères (protozoaires) que l’on trouve dans
les couches sédimentaires : dans leur abondance et la composition isotopique du carbone et de l’oxygène constituants de leur
squelette calcaire. Les foraminifères planctoniques qui vivent
en pleine eau, près de la surface, enregistrent la température de
l’eau dans laquelle ils vivent. Pour fabriquer leur coquille, ils
prélèvent dans l’eau du calcium et du carbonate qui contient de
l’oxygène sous deux formes isotopiques de masses atomiques
différentes, la forme 16 et la forme 18. Les foraminifères prélèvent ces deux formes dans des rapports variables dépendant de la
température : plus la température est basse et plus leur coquille
est riche en oxygène 18. En mesurant le rapport O16/O18 des
coquilles sédimentaires de foraminifères, on a une évaluation
de la température de la mer à l’époque où ils vivaient. Mais ce
rapport dépend aussi de la composition isotopique de l’eau de
mer dans laquelle ils évoluaient. La teneur en O18 des glaciers
continentaux est beaucoup plus faible que celle de l’eau de mer ;
une arrivée massive d’eau douce due à la fonte des glaciers doit
donc se traduire par une baisse brutale de la teneur en O18 de
la mer et des foraminifères là où elle se produit. Si on ajoute
à cela que ces invasions d’eaux douces sont défavorables à la
survie des foraminifères, on comprend que l’on puisse ainsi
évaluer la température de surface de l’océan, l’importance des
invasions d’eau douce et leur origine (glace de terre ou glace de
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mer). C’est ainsi que l’on a pu déterminer l’origine océanique
des icebergs du dryas récent.
C’est un petit peu plus compliqué pour la circulation
profonde, car il faut trouver des paramètres qui rendent compte
des mouvements et pas seulement d’un état à un instant donné.
On mesure en fait l’« âge » de l’eau à travers sa teneur en gaz
carbonique, qui évolue au cours du temps. À leur point de départ
en surface, les futures eaux profondes en contact avec l’atmosphère sont saturées en oxygène et gaz carbonique. À leur mort, les
organismes marins qui vivent en surface tombent vers les profondeurs, où la matière organique qu’ils contiennent se reminéralise
– processus qui brûle de l’oxygène et produit du gaz carbonique.
Au cours de leur progression, les eaux profondes s’appauvrissent
donc en oxygène et s’enrichissent en gaz carbonique. En un point
donné de leur parcours, les eaux profondes de l’Atlantique Nord
qui s’écoulent vers le sud sont d’autant plus vieilles qu’elles sont
riches en gaz carbonique. L’âge ainsi déterminé mesure la vitesse
d’écoulement, puisqu’il mesure le temps qui s’est écoulé entre le
moment où l’eau a quitté la surface et celui où elle est arrivée au
point considéré. La production primaire à l’origine de la vie dans
les couches de surface de l’océan y prélève le gaz carbonique dont
elle a besoin pour la photosynthèse. Cette opération se fait avec
fractionnement isotopique, c’est-à-dire que la matière organique
synthétisée est plus pauvre en carbone 13 que le gaz carbonique
dissous dans l’océan. La reminéralisation de la matière organique conserve ce rapport isotopique affaibli en C13, si bien
que, plus l’eau profonde vieillit, plus elle s’appauvrit en C13. Il
existe une espèce benthique de foraminifères, c’est-à-dire vivant
sur le fond dans les eaux profondes, dont la coquille conserve en
se formant le rapport isotopique de l’eau de mer ; ils enregistrent
donc l’âge de l’eau profonde où ils vivent. Leur récupération
dans les couches sédimentaires permet d’évaluer et de comparer
les flux d’eau profonde aux diverses époques climatiques. C’est
ainsi que fut réalisée la reconstitution de la circulation profonde
au dernier glaciaire, objectif atteint du programme CLIMAP,
qui a conclu à une diminution d’un tiers de la circulation thermohaline (figure 25).
Les enregistrements de haute précision du C13 dans les
foraminifères benthiques de forages récents, au débouché des
eaux profondes de l’Atlantique Nord qui se forment dans les mers
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Le Gulf Stream et les climats de la Terre
GIN, ont bien mis en évidence des diminutions très importantes
de C13 associées aux événements de Heinrich. Cela correspond
à une remontée jusqu’à 62°N d’eaux originaires du sud, signe
du ralentissement, voire de l’arrêt, de la formation des eaux
profondes à ces époques dans les mers GIN. Tous les événements de Heinrich ont une signature à peu près équivalente.
La situation est moins claire pour les oscillations D‑O intermédiaires. Il est incontestable que la phase froide de ces oscillations
correspond aussi à une diminution du flux des eaux profondes de
l’Atlantique Nord. Cette diminution est moins marquée que pour
les événements de Heinrich, et c’est normal : la température du
Groenland est plus froide lors des phases froides Heinrich que
lors des phases froides D‑O. Mais elle présente une plus grande
variabilité d’une oscillation à l’autre, alors que les variations de
température constatées d’un événement D‑O à un autre sont du
même ordre de grandeur. Comme si une même signature climatique au Groenland correspondait à des variations différentes de
la circulation thermohaline.
Compte tenu de la complexité du système climatique, le
contraire eût été surprenant. Ainsi va l’exploration scientifique
des systèmes complexes comme la machine climatique, qui ne
se prête pas à la méthode expérimentale : on cherche d’abord
dans les séries d’observation des constances, des répétitivités dans
l’évolution du système, pour avoir des repères et baliser les principaux processus en jeu – et éventuellement construire des relations
qui en rendent compte. À partir de ce schéma préliminaire globalement satisfaisant, on découvre inéluctablement des « anomalies » qui le mettent en cause : traces de la variabilité à diverses
échelles de temps du phénomène, résultats de la dynamique
interne du système ou de l’effet de processus non pris en compte
initialement. Par exemple : découverte des grandes oscillations
climatiques glaciaire/interglaciaire avec une périodicité d’environ
cent mille ans ; recherche d’un phénomène périodique extérieur
pour en rendre compte : le cycle astronomique de Milankovitch.
On eût aimé en rester là et disposer ainsi d’une relation entre les
variations de la répartition de l’insolation sur terre déduites de ce
cycle et le climat qu’il y fait à un moment donné. La variabilité
du système à toutes les échelles de temps qui interfèrent entre
elles, d’El Niño aux oscillations glaciaire/interglaciaire, en passant
par la NAO, les oscillations D‑O et Heinrich, etc., rendent cet
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espoir définitivement illusoire. Il n’y a pas, et il n’y aura jamais, de
descripteur simple de l’état du système climatique qui permettrait
d’en prévoir l’évolution.
Nous sommes condamnés à simuler l’évolution du climat
à l’aide de modèles numériques dont la complexité croissante
est fonction de celle du système dont on veut rendre compte.
C’est pourquoi il n’y a rien de surprenant à ce que, après avoir
établi la relation qu’il y a entre les variations climatiques et celles
de la circulation thermohaline, on découvre maintenant qu’il
n’y a pas de relation simple entre, par exemple, les variations
de la température au Groenland et l’intensité de la formation
des eaux profondes du Nord-Atlantique. Cela n’enlève rien à
l’importance du phénomène, mais oblige à la prudence en ce
qui concerne l’utilisation simpliste que l’on peut faire d’observations d’un phénomène déterminé à un moment donné
pour prévoir le climat qu’il fera dans les décennies à venir. Il
n’y a pas d’alternative aux modèles pour simuler les climats de
l’avenir et, corollaire, il n’y a pas de modèles qui vaillent sans
les observations appropriées. Ce que l’on attend essentiellement de la restitution la plus fine des climats du passé, c’est
justement de vérifier la validité des modèles et l’adéquation des
observations qui les alimentent. Lorsqu’on dispose d’une série
détaillée comme celle que nous avons sur le dernier glaciaire,
il est possible de faire tourner un modèle à partir d’un instant
initial choisi et de voir si ses prévisions sont en conformité avec
ce qui s’est effectivement passé par la suite.
Le Gulf Stream ne s’est pas arrêté
L’histoire précédente a bien montré le lien qu’il y a entre circulation thermohaline et variation climatique, non seulement au
cours du dernier glaciaire, mais encore maintenant, en plein
interglaciaire, aux échelles de temps beaucoup plus courtes de la
NAO et des grandes anomalies de salinité. Est apparue aussi la
prépondérance des échanges d’eaux douces entre océan et cryo­
sphère (glaciers continentaux et glaces de mer), et des échanges
entre l’océan Arctique et l’Atlantique Nord. Il n’a pas été du tout
question de Gulf Stream dans cette saga, comme s’il n’y était
pour rien. Et pourtant, loin des publications scientifiques sur
le sujet, il n’est question que de lui dans les médias, avec cette
interrogation récurrente et alléchante reprise dans la presse : et
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
134
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
si le Gulf Stream s’arrêtait ? Comme s’il était le maître absolu du
jeu climatique.
L’analyse des situations passées étant notre seule source
« expérimentale » d’informations sur les modes de fonctionnement et de variation du système climatique, il faut d’abord s’interroger sur ce que fut le Gulf Stream lors du dernier glaciaire :
s’est-il effectivement arrêté ? Il n’est pas facile de reconstituer ce
qu’étaient les courants dans le passé : même si les foraminifères
enregistrent des informations sur les températures et salinités
du milieu dans lequel ils ont vécu, celles-ci sont insuffisantes
pour reconstituer des champs de vitesse. Cela devient pourtant
possible lorsque le courant est précisément délimité, comme
le Gulf Stream dans sa version courant de Floride, bien canalisé dans le chenal qui sépare les Bahamas de la Floride. Si l’on
peut reconstituer sur chacun des bords à diverses profondeurs
ce qu’étaient la température et la salinité – et donc les densités
–, on peut déterminer les différences de pression hydrostatique
et la pente des isopycnes entre les deux rives du courant, d’où
l’on déduit, à partir de l’hypothèse géostrophique, la vitesse du
courant. On a utilisé pour cela le rapport isotopique O16/O18
de coquilles de foraminifères pélagiques (pour les conditions de
surface) et benthiques (pour les conditions à différentes profondeurs), qui dépend à la fois de la température et de la salinité de
l’eau. Connaissant le champ de densité actuel et le flux du courant
correspondant, il est possible, par comparaison, de déduire le flux
du courant à l’époque glaciaire, puisqu’il existe une relation quasi
linéaire entre les deux. Conclusion : le Gulf Stream continue bel
et bien d’exister en période glaciaire, mais le transport moyen du
courant de Floride, qui est actuellement de 31 Sv avec des fluctuations de l’ordre de 4-5 Sv, se situe alors entre 14 et 21 Sv.
Ce résultat n’est pas très étonnant si l’on se souvient que,
contrairement à ce que pensait Arago, le moteur du Gulf Stream
est l’énergie mécanique transmise par le vent et aucunement la
circulation thermohaline, qui n’est qu’une conséquence de l’action
du vent sur l’océan. Pour savoir si le Gulf Stream a des raisons
de s’arrêter, il faut s’interroger sur la variation des mécanismes
qui en sont la cause plutôt que sur les phénomènes qui en sont la
conséquence. Et il n’y a aucune raison de penser que la circulation
atmosphérique anticyclonique générant le Gulf Stream ait disparu
en période glaciaire. On l’a dit, la variation globale de l’énergie
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
135
solaire reçue par la Terre au cours d’un cycle de Milankovitch est
très faible, et sa variation en fonction de la latitude au cours du
cycle est minimale à l’équateur, dont la position sur terre, elle,
ne varie pas. L’océan intertropical reste donc la chaudière de la
machine thermique qu’est l’atmosphère, et la cellule de Hadley
qui en découle n’a aucune raison de disparaître, pas plus que les
circulations anticycloniques atmosphériques et océaniques qui
en sont les conséquences. Pour faire disparaître le Gulf Stream,
il faudrait des modifications des paramètres de l’orbite terrestre
autrement importantes que celles du cycle de Milankovitch. On
peut même penser – mais on ne dispose pas d’observations pour
le confirmer – que la circulation anticyclonique subtropicale
atmosphérique était intensifiée en période glaciaire, puisque les
gradients thermiques horizontaux de l’équateur vers les régions
polaires étaient beaucoup plus forts qu’ils ne le sont maintenant
en période interglaciaire. Ce qui donnerait plus de sens à la diminution constatée de l’intensité du Gulf Stream.
La comparaison avec l’océan Pacifique est ici encore utile :
il n’y a pas dans cet océan de convection ni de formation d’eaux
profondes, pas d’overturning ni de circulation thermohaline ; et
pourtant, imperturbable, le Kuroshio existe. Simplement, son
débit est plus faible que celui du Gulf Stream qui, lui, bénéficie
de la pompe thermohaline. L’océan Pacifique est une image de
ce que deviendrait la circulation de l’Atlantique Nord si cette
pompe venait à s’arrêter.
Ce qui change, en revanche, en période glaciaire, ce sont
les transports de chaleur vers le nord par l’océan et l’atmosphère,
elle-même alimentée par l’océan. Les circulations anticycloniques couplées de l’atmosphère et de l’océan avaient alors une
moins grande extension vers le nord, et le Gulf Stream North
Wall (GSNW) évoqué précédemment se situait alors beaucoup
plus au sud qu’actuellement. Cela est une conséquence directe
de l’affaiblissement de la circulation thermohaline, qui « aspire »
actuellement en surface un flux d’à peu près 15 Sv à porter au
crédit du Gulf Stream. On peut difficilement s’empêcher de relier
ces 15 Sv à la différence constatée des flux du courant de Floride
entre aujourd’hui (31 Sv) et le dernier glaciaire (de l’ordre de
17 Sv). Le Gulf Stream est effectivement amputé, en période
glaciaire, des 15 Sv de la circulation thermohaline induite par
la formation des eaux profondes de l’Atlantique Nord en mers
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
136
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
GIN. Pas seulement le Gulf Stream, d’ailleurs : c’est tout le
« tapis roulant » qui est ralenti en conséquence. Cela n’est pas
contradictoire avec le maintien d’une circulation thermohaline en
période glaciaire, puisque, s’il n’y a plus alors de formation d’eaux
profondes en mers GIN, il existe d’autres sources de formation
d’eaux profondes indépendantes des apports d’eaux salées par
le Gulf Stream et son extension – comme c’est encore le cas en
mer du Labrador.
Le moteur des variations de la circulation thermohaline
et du climat qui leur sont associées n’est décidément pas le Gulf
Stream, mais bien la dynamique des transferts d’eau douce entre
cryosphère et océan dans l’Arctique, et les échanges qui en
découlent avec l’Atlantique Nord. Il faut définitivement oublier
l’idée, héritée de Maury et Arago, selon laquelle Gulf Stream
= circulation thermohaline. Le Gulf Stream ne s’arrête pas, et
ses variations sont la conséquence et non la cause des variations
de la circulation thermohaline.
L’avenir de la circulation thermohaline
La conclusion précédente pourrait en toute logique mettre un
terme à cet ouvrage sur le Gulf Stream stricto sensu, puisque, en
extrapolant, on peut sans doute avancer que, pas plus qu’il ne l’a
été jadis, il ne sera dans l’avenir le moteur de l’évolution climatique à long terme, dont il subira néanmoins les conséquences.
Comme dans le passé, le problème qui se pose actuellement à
nous consiste à estimer les évolutions probables de la circulation
thermohaline, qui contrôle les flux de chaleur vers les hautes latitudes dans l’Atlantique Nord et dont le Gulf Stream est un outil.
La question n’est pas, il faut le répéter : le Gulf Stream va-t-il
s’arrêter ? Mais les modifications climatiques à venir vont-elles
provoquer un ralentissement ou un arrêt de la circulation thermohaline qui se traduirait, en dépit d’un réchauffement global, par
un refroidissement drastique des hautes latitudes de l’hémisphère
Nord ? Le problème est pris très au sérieux, et Robert B. Gagosian, président de la Woods Hole Oceanographic Institution
(WHOI) – créée quasiment pour l’étude du Gulf Stream, qui est
toujours resté pour elle un terrain extrêmement fécond d’investigation –, a produit un rapport sur le sujet pour le Forum économique mondial de Davos en 2003, sous le titre : Abrupt Climate
Change : Should We Be Worried ? Il attire l’attention sur la possiLe Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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bilité, voire la probabilité, de changements climatiques brutaux
similaires à ceux qu’il y eut manifestement dans le passé : le dryas
récent, durant lequel la température de l’Atlantique Nord a chuté
de 4-5 °C en quelques dizaines d’années, en est un exemple pas
si lointain, et la rapidité des fluctuations du dernier glaciaire vont
également dans ce sens. Selon ce rapport, dans les conditions
actuelles, la fermeture du « tapis roulant » pourrait équivaloir à
une chute rapide des températures de 3 à 5 °C sur l’Atlantique
Nord. Le climat n’évolue pas de manière sereine et progressive,
mais par à-coups suggérant qu’il existe, dans certains processus
particulièrement sensibles de la dynamique du climat, des seuils
à partir desquels le système peut basculer d’un état à un autre.
La formation des eaux profondes de l’Atlantique Nord en est
un. Que va-t-il en advenir face à la perturbation apportée par
un nouvel acteur interne au système, tenu jusqu’à présent pour
quantité négligeable : l’homme ?
Sur cette éventualité d’un changement abrupt du climat, un
rapport du secrétariat à la Défense des États-Unis, en octobre 2003,
a construit le « scénario du pire », en partant volontairement des
hypothèses les plus défavorables, pour analyser ce que pourraient
être les impacts de tels changements sur l’économie, les ressources
naturelles, les conflits potentiels et leurs conséquences pour la sécurité des États-Unis. Le scénario ouvre sur une accélération du
réchauffement global en cours du fait de l’accroissement des gaz à
effet de serre, laquelle entraîne un effondrement de la circulation
thermohaline à partir de 2010, amenant en période de réchauffement, comme au dryas, une chute brutale de la température
moyenne annuelle de 3 °C environ sur l’Asie, l’Amérique du Nord
et l’Europe, et des augmentations supérieures à 2 °C sur l’Australie,
le reste de l’Amérique et l’Afrique du Sud – le tout agrémenté de
tempêtes, inondations, sécheresses provoquant des conflits armés
sur toute la Terre et des déplacements massifs de population.
Comme le disent les auteurs de ce rapport, il s’agit d’« imaginer
l’impensable » à partir d’un scénario extrême qui n’est pas le plus
probable, mais qu’ils estiment plausible.
Oublions les extrapolations géopolitiques et géostratégiques, parfaitement spéculatives, pour ne retenir que l’interrogation : un tel scénario climatique est-il vraiment possible ? Y a-t-il
un seuil à partir duquel le « tapis roulant » pourrait s’arrêter ?
R. B. Gagosian répond, à juste titre, que nous n’en savons rien.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
138
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
Et la difficulté est double. Les modèles numériques climatiques
fonctionnent le plus souvent sur un mode d’évolution continue,
ils peuvent effectivement annoncer un affaiblissement progressif
conduisant à un arrêt complet de la circulation thermohaline,
mais ils ne sont pas capables de définir un hypothétique seuil –
par exemple la valeur de la salinité dans l’Atlantique Nord à partir
de laquelle le système climatique va basculer. Et, là encore, nous
sommes dépourvus d’expérience, puisque c’est la première fois
dans l’histoire connue du climat que le problème de l’extinction
de la circulation thermohaline se pose au cours d’un optimum
climatique pour cause non pas de refroidissement comme dans
le passé, mais de réchauffement supplémentaire. Non content
d’attirer l’attention sur la brutalité et l’éventuelle imminence d’un
tel phénomène, le rapport du Pentagone insiste en conclusion sur
les recherches à mener concernant les variations climatiques et
leurs conséquences, sur les mesures adaptatives à adopter et sur
les moyens de contrôler techniquement le climat… en ajoutant,
par exemple, des gaz (hydrofluorocarbones) pour lutter contre le
refroidissement – autrement dit, ajouter des gaz à effet de serre…
pour lutter contre l’effet des gaz à effet de serre ! Ce que sousentend en fait ce rapport, c’est que les jeux sont déjà faits, et qu’il
est trop tard pour chercher à limiter les dégâts en réduisant les
émissions de gaz à effet de serre ; mieux vaudrait donc dès maintenant se soucier des mesures à prendre pour s’adapter. Espérons
qu’il n’en est pas ainsi, et que nous pouvons encore faire que ce
scénario « peu probable » devienne un scénario impossible.
La menace : l’accroissement des gaz à effet de serre
dans l’atmosphère
Que l’atmosphère contienne des gaz à effet de serre n’est pas une
nouveauté, et c’est une bénédiction : si elle en était dépourvue, la
température moyenne de la surface de la Terre ne serait que de
– 18 °C. Le principal d’entre eux, et de loin, c’est l’eau. D’autres
sont présents en quantité beaucoup plus faible, comme le gaz
carbonique, le méthane, l’ozone, l’oxyde d’azote, etc. Les forages
dans les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique,
qui ont permis de reconstituer l’évolution des températures de
la Terre sur les huit cent mille dernières années, ont également
révélé l’évolution parallèle des teneurs en gaz à effet de serre
comme le gaz carbonique et le méthane, en analysant les bulles
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
139
d’air enfermées dans la glace au moment où elle se formait
(figure 24). La concentration de ces gaz a suivi de près les alternances glaciaire/interglaciaire et, au sein des périodes glaciaires,
les grandes oscillations climatiques comme celles de Heinrich.
Aux périodes chaudes correspondent des teneurs élevées en gaz
carbonique et en méthane, et réciproquement. Le contraire eût
été très ennuyeux pour la logique scientifique. Il est à peu près
établi maintenant que les variations de température précèdent
celles des gaz à effet de serre, qui amplifient ensuite le signal thermique. Aux périodes les plus froides, la concentration de CO2
descend à 180 ppm, et, aux optima climatiques, elle augmente,
mais ne dépasse pas 300 ppm. Le problème est que, maintenant,
l’homme, par ses diverses activités industrielles et agricoles et sa
consommation croissante d’énergie fossile, ne cesse d’injecter des
gaz à effet de serre dans le système climatique, provoquant ainsi
une perturbation sans précédent dans l’histoire du climat, tant
par ses causes que par son amplitude. La concentration actuelle
de gaz carbonique dans l’atmosphère a dépassé 370 ppm, loin audessus des valeurs maximales atteintes au cours des huit cent mille
années écoulées. Nous sommes sortis de l’épure et entrons dans
l’inconnu : nous n’avons pas de référence historique par rapport à
laquelle nous pourrions nous situer. Si elle nous permet d’analyser
les processus climatiques et de valider les modèles de prévision,
l’histoire reconstituée ne nous est donc pas d’un grand secours
pour essayer de prévoir, de manière empirique basée sur l’« expérience » acquise au cours de cette histoire, comment évoluera
le climat, car la perturbation introduite ici est de nature radicalement nouvelle.
Les prévisions et les incertitudes du GIEC
L’impact que peut avoir l’accroissement des gaz à effet de serre
sur le climat lance un double défi. Défi politique et économique
qu’illustre la difficulté à s’entendre internationalement sur la mise
en œuvre du protocole de Kyoto (1997), visant à réduire, à l’horizon 2008-2012, la production de gaz à effet de serre de 5,2 %
par rapport au niveau de 1990. Protocole pourtant élaboré dans le
cadre d’une Convention cadre sur le changement climatique signée
par cent cinquante États dans la foulée du Sommet de la Terre de
Rio de Janeiro, en 1992. Défi scientifique aussi, pour proposer des
scénarios fiables d’évolution du climat pour le prochain siècle.
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140
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
En 1988, l’Organisation météorologique mondiale (OMM)
et le Programme des Nations Unies pour l’environnement créèrent le GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du
climat), chargé d’évaluer l’information scientifique disponible et
de donner des avis sur les impacts et les mesures de prévention
et d’adaptation envisageables. Le GIEC a publié son troisième
rapport en 2001. Il a formulé plusieurs scénarios d’évolution
d’émission de gaz à effet de serre, construits à partir d’hypothèses sur les développements économiques, démographiques et
technologiques dans le monde. Ces scénarios ont été utilisés pour
« forcer » les modèles de simulation de l’évolution du climat sur
les cent prochaines années.
Sur la base des scénarios et de la dizaine de modèles disponibles, l’augmentation de la température moyenne se situerait
entre 1,4 et 5,8 °C, la largeur de la fourchette tenant plus à
la variabilité des scénarios d’émission qu’à celle des modèles
eux-mêmes. L’augmentation du niveau de la mer se situerait
entre 11 et 77 cm, conséquence de la « dilatation » résultant de
­l’augmentation de la température de la mer (entre 11 et 43 cm)
et de la fonte des glaciers (entre 1 et 23 cm). L’augmentation des
températures ne serait pas homogène à la surface de la Terre :
elle serait, par exemple, beaucoup plus importante aux hautes
latitudes que dans les régions intertropicales.
La méthode expérimentale par modèle interposé souffre,
pour convaincre, d’un handicap par rapport aux expériences de
physique et chimie classiques faites en laboratoire : la vérification
expérimentale, seule capable de lever l’incertitude, est renvoyée
à l’horizon de l’échéance de la prévision. C’est particulièrement
critique pour les scénarios à long terme du GIEC : on ne peut
évidemment pas attendre la vérification expérimentale de la validité des prévisions faites à l’horizon de quelques dizaines d’années
pour agir dans le cas du réchauffement global. Cela alimente
évidemment les scepticismes, et il n’est pas rare de voir des scientifiques en mal de renommée médiatique oublier la complexité du
système climatique pour nier la relation entre les augmentations
actuelles de température et de CO2 dans l’atmosphère, en ne retenant, par exemple, qu’un seul paramètre mal connu (l’évolution
de la nébulosité, entre autres) et en lui attribuant le déterminisme
quasi exclusif de l’évolution du climat. Pour valider les modèles,
on dispose néanmoins des données paléoclimatiques qui remonLe Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
141
tent de manière de plus en plus précise et de plus en plus loin dans
le temps : on applique le modèle à un instant donné dans le passé,
et l’on analyse l’exactitude avec laquelle il rend compte de son
évolution ultérieure. De cette analyse, on tire des enseignements
permettant d’améliorer la formulation du modèle.
Le GIEC ne s’est pas simplement soucié de faire des
projections à cent ans ; il s’est aussi préoccupé des modifications
qui pourraient intervenir dans la variabilité climatique aux autres
échelles de temps : El Niño, NAO, circulation thermohaline. Les
oscillations de la NAO, on l’a vu, ont un impact sur l’océan : sur
la température de surface, la circulation anticyclonique subtropicale et le Gulf Stream, et vraisemblablement aussi sur la circulation thermohaline. En revanche, les mécanismes par lesquels
l’océan, en retour, exerce une influence sur la NAO ne sont pas
bien établis. Aussi ne sont-ils pris en compte que de manière
incertaine, et il n’émerge pas des modèles couplés océan/atmosphère de consensus sur la prédiction des changements pouvant
intervenir dans la variabilité du climat associée aux fluctuations
de la NAO. On pressent cependant que les variations récentes de
la NAO et sa tendance à des valeurs fortement positives depuis
le milieu des années 1970 ont un lien avec l’accroissement de la
température, continu depuis la fin des années 1970 après le léger
refroidissement des années 1950-1960 – qui n’est sans doute pas
étranger à la phase froide de la NAO à la même époque. On
peut s’attendre à ce que cette tendance se confirme, contribuant
à amplifier la circulation anticyclonique subtropicale, le flux de
chaleur vers le nord et l’augmentation des températures dans
l’Atlantique Nord… À moins que le ralentissement de la circulation thermohaline, sans nécessairement prendre des proportions
catastrophiques, ne vienne y mettre un frein. Prudemment, le
GIEC (IPCC) conclut en ces termes ses Projections de changement
du climat futur concernant la variabilité décennale et pluridécennale : « En résumé, les modèles couplés ne font pas encore
apparaître une représentation cohérente de leur capacité à reproduire les tendances des régimes climatiques telles que celles, à
la hausse, de l’indice de NAO récemment observée. De plus, si
plusieurs modèles montrent un accroissemnt de l’indice NAO
avec l’augmentation des gaz à effet de serres, ce n’est pas le cas de
tous les modèles, et l’amplitude et les caractères des changements
varient de l’un à l’autre. »
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142
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
Quelles perspectives, justement, le GIEC ouvre-t-il à la
circulation thermohaline, objet de toutes les attentions ? La partie
qui se joue dans la formation des eaux profondes de l’Atlantique
des mers GIN, plus gros contributeur de la circulation thermohaline, est un équilibre subtil entre les différents acteurs. Aux
latitudes élevées, l’océan perd de la chaleur et gagne de l’eau
douce par précipitation et apports des fleuves, deux phénomènes
qui font varier la densité de l’eau de mer en sens contraire. Cela
est compensé par l’apport symétrique d’eaux chaudes et salées
venant du sud via le Gulf Stream et ses extensions. La formation
de glace de mer joue également sa partition. Par exemple, une
diminution de la circulation thermohaline, et donc du transport
de chaleur vers le nord, conduit à la formation de davantage de
glace, ce qui va augmenter la densité de l’eau, faciliter la convection et, par voie de conséquence, favoriser l’accroissement de la
circulation thermohaline. Oui, mais il peut alors y avoir exportation de l’excès de glace loin des zones de formation, ce qui
correspond à un apport d’eau douce défavorable à la formation
d’eaux profondes, et donc à la circulation thermohaline. L’évolution de la circulation thermohaline dépend du poids relatif de
tous ces processus d’action/réaction, qui peuvent être modifiés
par le réchauffement global.
Les augmentations prévues des températures de surface de
la mer et de l’atmosphère en elles-mêmes ont un impact direct
sur la densité de l’eau de mer, la diminution de la formation des
glaces de mer et, éventuellement, la fonte des glaciers (Groenland et l’ouest de l’Antarctique, notamment). Les scénarios du
GIEC indiquent aussi une augmentation des précipitations
autour de l’Arctique et un plus grand apport d’eaux douces par
les fleuves d’Amérique du Nord et d’Asie. Tous ces éléments
font converger les modèles utilisés par le GIEC, sauf un, vers
une diminution de la circulation thermohaline de 10 à 50 % d’ici
2100. Si des simulations faites avec certains modèles prévoient
effectivement un arrêt complet de la circulation thermohaline pour une augmentation globale de la température de 3,7
à 7,4 °C, aucune des simulations issues des modèles couplés
océan/atmosphère du GIEC ne débouche sur une telle éventualité d’ici 2100. À cet horizon, toutes indiquent une augmentation continue de la température en Europe, même celles qui
annoncent la plus forte réduction de la circulation thermohaline.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Un tel événement peut surgir ultérieurement, mais il n’est pas
exclu qu’il intervienne avant ; le GIEC, conscient de l’incertitude
liée aux effets de seuil qui ne sont pas bien pris en compte dans
les modèles, ne l’exclut pas : « Bien qu’aucune des projections
faites avec les modèles couplés ne montre un arrêt total de la
circulation thermohaline dans les cent prochaines années, on ne
peut exclure la possibilité de phénomènes de seuil à l’intérieur
de la fourchette des changements climatiques projetés. De plus,
puisque la variablité naturelle du système climatique n’est pas
complètement prédictible, il y a nécessairement des limitations
inhérentes au système climatique lui-même à la prédiction des
seuils et phases de transition. » Autrement dit, événement peu
probable mais pas impossible, ce qui renvoie aux rapports de
R. B. Gagosian et du Pentagone.
Les observations récentes
C’est de la température de l’air que l’on tire la quasi-certitude de
l’impact sur le climat de l’augmentation des gaz à effet de serre.
On dispose, depuis 1860, de mesures fiables et continues de la
température, montrant un accroissement très rapide de celle-ci
(0,8 °C) depuis que la teneur en gaz carbonique dans l’atmosphère a commencé à augmenter significativement, pour atteindre
son taux actuel de 1 % par an (figure 26). C’est une période de
temps suffisamment longue pour que l’on puisse éliminer, parmi
les causes possibles d’un tel accroissement, les phénomènes se
situant à des échelles décennales ou pluridécennales comme la
NAO, et l’on ne trouve, dans le passé récent ou lointain (le précédent interglaciaire d’il y a cent vingt mille ans, par exemple), rien
d’équivalent qui pourrait l’expliquer par des phénomènes naturels.
De plus, les modèles climatiques qui rendent le mieux compte
de l’évolution des températures depuis 1860, y compris le léger
refroidissement observé dans les années 1950-1960, sont ceux
qui intègrent la production de gaz carbonique anthropogénique.
Les mêmes modèles, forcés par la seule dynamique naturelle du
climat, ne font apparaître aucune augmentation significative
de la température entre 1960 et 2000, alors que c’est pendant
cette période qu’elle a été la plus forte. Cela donne évidemment
confiance, car, si ces modèles fonctionnent bien sur le siècle
passé, pourquoi ne fonctionneraient-ils pas pour le siècle suivant,
alors que la perturbation, même si elle s’amplifie, reste de même
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
144
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
nature ? À moins qu’elle ne nous fasse franchir l’éventuel seuil
qui nous ferait basculer vers une fermeture complète du « tapis
roulant ».
Il est beaucoup moins aisé de détecter des signaux significatifs équivalents du changement global dans l’océan, faute de
disposer des observations et mesures adéquates. La connaissance
de la variabilité océanique n’est pas très ancienne : les moyens
traditionnels d’observation à partir de navires de recherche, qui
ne permettaient que des mesures très limitées géographiquement et dans le temps, la rendaient inaccessible. C’est en fait la
question même du climat qui a imposé la nécessité d’une observation systématique des océans, et c’est le Programme mondial
de recherche sur le climat lancé en 1980 – il y a seulement vingtcinq ans – qui a mis en place les premiers réseaux d’observations
systématiques de l’océan. C’est avec le programme WOCE
(World Ocean Circulation Experiment), entre 1990 et 2002, qu’a
été réalisée la première description de la circulation océanique
de la totalité de l’océan, de la surface au fond, du nord au sud et
de l’échelle des tourbillons à celle des grands gyres océaniques. Il
est difficile, dans ces conditions, d’effectuer, comme on le peut
pour l’atmosphère, des analyses de la variabilité de la circulation
océanique aux différentes échelles de temps – et notamment
celle de la circulation thermohaline, qui s’inscrit dans le temps
long. Il est d’ailleurs significatif que, dans le rapport du GIEC,
au chapitre « Observed Climate Variability and Change », qui
analyse tous les indices du changement global dans le système
climatique, on se contente, pour l’océan, d’évoquer les oscillations ENSO et NAO, sans un mot pour les observations de
variation de la circulation thermohaline. Rien d’étonnant à
cela : c’était le constat d’ignorance des experts. Compte tenu
de ce manque d’observations océaniques sur le long terme, nous
sommes, objectivement, incapables de dire si les mesures et
observations récentes sont le signe d’une évolution de la circulation thermohaline en relation avec le réchauffement global
et l’augmentation des gaz à effet de serre. On ne peut pas, en
particulier, faire la part des choses entre les évolutions décennales liées à la NAO, par exemple, et les évolutions à plus long
terme. Les séries de mesures sont très insuffisantes, et, on l’a vu,
le degré de couplage entre océan et atmosphère à ces échelles
de temps trop incertain pour que l’on puisse conclure.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Les rapports de R. B. Gagosian et du Pentagone s’appuient
sur deux publications, qui seraient la preuve du déclin en cours
de la circulation thermohaline, pour sonner l’alarme et mettre
en garde contre le scénario catastrophe d’une rupture brutale
imminente de la circulation thermohaline.
Il y a d’abord (Bob Dickson et al. 2003) l’observation de
la diminution, depuis 1975 environ, de la salinité en mer du
Labrador, au niveau des eaux profondes formées dans les mers
GIN entre 2 000 et 3 300 m (figure 27). La mer du Labrador se
situe sur le passage des eaux profondes venant des mers GIN à
travers les seuils du détroit de Danemark, entre le Groenland
et l’Islande, et du canal des Féroé, entre l’Islande et l’Écosse ;
on peut interpréter cette baisse de salinité comme la signature
d’une moindre convection en mers GIN, où c’est la forte salure
des eaux de surface qui l’initie. Il y a donc vraisemblablement
bien eu, sur les trente dernières années, une diminution de la
circulation thermohaline.
Mais on peut lire la même figure différemment, car ce qui
saute aux yeux, c’est moins la diminution de la salinité depuis
1975 que l’existence d’un maximum entre 1960 et 1975. La salinité à 2 800 m de profondeur en 1950 avait la même valeur qu’en
1995. Si l’on se fie à la relation salinité/intensité de la circulation
thermohaline à la base du raisonnement, on en conclut que celleci est passée par un maximum dans les années 1960 et donc que,
auparavant, elle était comparable à ce qu’elle est maintenant ;
ainsi, elle ne serait pas nécessairement le signe d’un changement
climatique majeur. On constate d’ailleurs que cette alternance est
en phase avec les variations de la NAO : le maximum de salinité
correspond à la période d’anomalies négatives de la NAO des
années 1960, et la diminution ultérieure de la salinité accompagne les fortes valeurs de NAO des années 1970-2000. Ce qui
ne veut pas dire qu’il y ait relation de cause à effet, mais pose
néanmoins un problème. On a en effet établi une corrélation
positive assez logique entre le flux du Gulf Stream et la NAO,
et l’on arrive à ce résultat paradoxal qu’à une intensification du
Gulf Stream en période de forte NAO – et donc un plus grand
transport de sel vers le nord – correspond une diminution de la
circulation thermohaline caractérisée par une diminution de la
salinité ! Cela suggère qu’il pourrait y avoir découplage, ou au
moins déphasage, dans l’Atlantic Overturning Circulation, entre
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
146
Le Gulf Stream et les climats de la Terre
la surface – le Gulf Stream et ses extensions – et la circulation
profonde, contrairement à ce que l’on a dit précédemment.
Rien ne s’oppose en fait à ce que, aux échelles de variation
de la NAO, les deux composantes soient en opposition de phase
sans que leur couplage sur le long terme (celui des événements
D/O et Heinrich) soit remis en cause. C’est peut-être même un
indice, voire la preuve, de l’existence d’un mécanisme de couplage
entre l’océan et l’atmosphère contrôlant les fluctuations de la
NAO. À un indice de NAO élevé correspond un accroissement
des transports de chaleur et de sel par les courants vers le nord.
Deux paramètres qui ont des effets opposés sur la densité de l’eau,
et dont le bilan peut conduire effectivement à une diminution de
la convection à partir d’un certain flux. À terme, le ralentissement
de la circulation profonde rejaillira sur le courant de surface,
la circulation anticyclonique, qui entraînera un affaiblissement
de la NAO et un retour à une convection plus importante, etc.
Autrement dit, il peut exister des fluctuations décennales de faible
amplitude du Gulf Stream en opposition de phase avec celles de
la circulation thermohaline, via la NAO, qui ne contredisent pas
les variations de beaucoup plus grande ampleur correspondant
aux événements Heinrich, D‑O et dryas récent. Cela est largement spéculatif, et il se peut très bien que les évolutions actuelles
de la NAO soient déjà la conséquence du réchauffement global
et que le réchauffement et les variations de salinité déjà enregistrées soient suffisants pour effectivement ralentir durablement
le « tapis roulant ». Mais nous n’en savons rien. L’avenir le dira.
On ne peut néanmoins tenir actuellement la diminution de la
salinité en mer du Labrador pour une preuve de la réponse de
la circulation thermohaline au réchauffement de la planète. Cet
exemple illustre bien le terrible handicap que constitue le manque
d’observations à long terme de l’océan pour pouvoir faire le tri
entre les diverses échelles de variabilité.
Il y a ensuite (Bogi Hansen et al. 2001) les résultats de
mesures directes et les calculs du flux des eaux profondes à travers
l’un des chenaux par où s’écoulent les eaux profondes formées
en mers GIN : celui qui sépare les Féroé des Shetland, par où
passe environ un tiers du flux total. Dans le cadre du programme
WOCE, des mesures de courant ont été faites en continu en un
point fixe, avec un courantomètre acoustique à effet Doppler
mouillé sur le fond, de 1995 à 2000. Elles indiquent une dimiLe Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
147
nution du flux de 2 à 4 % pendant la période. Elles ont aussi
permis d’étalonner le calcul des flux réalisé à partir d’observations
hydrologiques effectuées régulièrement depuis 1948. Le principe
du calcul est assez simple : le flux est une fonction de la différence de pression hydrostatique entre l’amont du seuil et le seuil
lui-même, et l’on déduit les pressions des mesures de température et de salinité le long de la colonne d’eau. Il en résulte une
diminution régulière du flux d’environ 20 % depuis 1950. Est-ce
suffisant pour en conclure à une diminution globale du flux des
eaux profondes de l’Atlantique Nord, alors que la moitié de ce
flux passe par le détroit de Danemark, non pris en compte dans
l’étude ? Sans doute pas, d’autant plus que le mode dominant des
variations dans le détroit de Danemark estimées par la méthode
géostrophique semble être les échelles décennales de la NAO,
encore une fois avec un maximum dans les années 1975-1990, en
phase avec les variations du Gulf Stream déduites des différences
d’énergie potentielle entre les Bermudes et la mer du Labrador,
et en contradiction avec l’analyse précédente faite à partir de la
salinité en mer du Labrador. Certains modèles prévoient même
que le maintien à un niveau élevé de la NAO devrait retarder
l’affaiblissement de la circulation thermohaline.
Ces résultats partiels et contradictoires renvoient encore au
défaut des systèmes d’observation, sources de tous nos savoirs sur
le système climatique, et encore une fois à notre impuissance à
discriminer les échelles de variabilité de la circulation océanique
en l’absence de séries suffisamment longues de mesures directes
dans l’océan.
Quoi qu’il advienne, la cellule de Hadley ne disparaîtra pas,
non plus que le gyre anticyclonique qui lui est associé, et le Gulf
Stream continuera à en être le courant de bord ouest.
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4 Le Gulf Stream
et les écosystèmes
de l’Atlantique Nord
Les « biomes » de l’Atlantique
On peut, sur terre, identifier facilement de grands ensembles écologiques, appelés « biomes », à partir de caractères climatiques et édaphiques, et un type dominant de végétation – par exemple : savane, forêt
équatoriale, toundra. On peut aussi identifier dans l’océan des biomes
à partir de la dynamique de la couche de surface, qui détermine les
conditions de la productivité des écosystèmes marins. Le Gulf Stream
apparaît comme un perturbateur de l’organisation des biomes océaniques de l’Atlantique Nord.
Le courant de Floride
Premier tronçon du Gulf Stream, le courant de Floride, entre la pointe
de Floride et le cap Hatteras, est une extension vers le nord du biome
tropical des alizés. Transportant des eaux chaudes et pauvres en nutriments, il révèle une production biologique propre faible. Néanmoins,
collé à la pente continentale, il induit par sa dynamique, le long de
cette pente, sur son bord gauche, une remontée des eaux profondes et
un enrichissement en nutriments des eaux du plateau continental,
qu’il borde et qu’il fertilise.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
150
Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
La « province Gulf Stream »
La « province Gulf Stream », au nord du cap Hatteras, est le domaine
des tourbillons induits par l’instabilité du courant lui-même. Loin
d’être une barrière, le Gulf Stream est un échangeur. Il fait passer les
eaux chaudes et peu productives de la mer des Sargasses, au sud du
courant, à la Slope Sea, au nord, entre le Gulf Stream et le plateau
continental américain : ce sont les tourbillons chauds. Ces tourbillons,
eux-mêmes peu productifs, sont, comme le courant de Floride, des
agents de fertilisation le long de la pente continentale. Inversement,
les tourbillons froids font passer les eaux froides et riches de la Slope Sea
à la mer des Sargasses, qui s’en trouve enrichie. Les larves d’anguilles
en sont bénéficiaires.
La « province dérive Nord-Atlantique »
La dynamique particulière du Gulf Stream ne joue plus dans son
extension vers l’est par le courant Nord-Atlantique. On se trouve alors
dans la situation normale du biome « vents d’ouest », où la dynamique
de la couche de surface est déterminée par les variations saisonnières
de l’insolation et des vents d’ouest dominants. La variabilité de l’écosystème marin est ici liée à celle de la NAO, qui contrôle le régime des
vents d’ouest. Au niveau des ressources exploitées, cette variabilité
naturelle est souvent masquée, désormais, par la surexploitation.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
151
Les « biomes » de l’Atlantique
Heureux les écologistes terrestres qui, bien campés sur un plancher des vaches qui ne risque pas de se dérober, peuvent observer
à loisir les écosystèmes, en faire une typologie, une géographie et
relier leur fonctionnement aux paramètres climatiques (température, précipitations, ensoleillement) et édaphiques (propriétés
du sol), à partir desquels ils peuvent même les modéliser. Il est
aisé de reconnaître une toundra, une forêt équatoriale humide,
une savane… autant de « biomes » tels que définis par Odum, en
1971, comme les plus grandes unités écologiques qu’il est pertinent de reconnaître. Facile aussi de leur assigner des frontières,
les « écotones », zones de transition correspondant généralement
à des variations rapides d’un paramètre physique – la diminution
des précipitations, par exemple, lorsqu’on passe des forêts équatoriales aux régions de savane. En comparaison, l’océan paraît
d’une bien triste monotonie. Le voyageur qui survole le Brésil se
sent facilement une âme d’écologue en passant de la luxuriance
de la forêt amazonienne à la sécheresse du Nordeste. S’il poursuit son voyage sur l’Atlantique jusqu’à l’Afrique, seuls le jeu
des ombres des nuages et le miroitement du Soleil pourront lui
donner l’illusion d’une diversité de paysages océaniques. Rien ne
lui permet d’imaginer que l’océan qu’il survole est lui aussi siège
d’une grande variété d’écosystèmes et que, peut-être, on peut
aussi y définir des biomes. La grande difficulté des écosystèmes
océaniques est que les végétaux qui y poussent, à l’exception des
régions côtières, n’ont pas de racines. Les prairies océaniques
sont faites de plancton végétal (phytoplancton) flottant au gré des
courants. Si les écosystèmes terrestres enracinés sont statiques,
les écosystèmes océaniques sont asservis à la dynamique du fluide
au sein duquel ils se développent.
Le monde vivant sur terre s’élabore par synthèse de matière
organique à partir d’éléments minéraux. Cette synthèse n’est
évidemment pas gratuite : il lui faut de l’énergie. Dans la majorité
des cas, elle est fournie par la lumière du Soleil. Parfois, en l’absence de lumière, la vie trouve les ressources énergétiques nécessaires dans des réactions chimiques. C’est le cas, par exemple,
dans les écosystèmes qui se sont formés au fond de l’océan autour
des sources hydrothermales chaudes, en l’absence de toute source
de lumière. Si l’on a de bonnes raisons de penser qu’à l’origine la
vie s’est créée à partir de ces processus chimiosynthétiques, c’est
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
152
Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
incontestablement la photosynthèse comme source de production
primaire qui domine depuis quelques milliards d’années et qui,
à partir du rayonnement solaire, assure le développement de la
vie à terre comme en mer.
Les ingrédients élémentaires de la fabrication de la matière
organique sont assez simples : le gaz carbonique (CO2) et l’eau
(H2O), qui par le canal de la chlorophylle, capable de fixer
l’énergie lumineuse, se combinent, suivant l’équation simplifiée
suivante, pour fournir la matière organique de base : CO2 + H2O
+ lumière = (CH2O) + O2.
La matière vivante requiert aussi d’autres éléments : les sels
nutritifs ou nutriments, sources d’azote, de phosphore, de silicium et de toute une palette d’éléments minéraux faisant qu’une
région sera plus ou moins fertile. À terre, les défaillances de l’un
ou l’autre de ces éléments peuvent être palliées par des apports
extérieurs : irrigation, engrais – en y mettant les moyens, on sait
même construire des terrains de golf dans des régions désertiques. Il est sans doute difficile, à propos de l’océan où l’eau ne
manque pas, de parler de désert, mais, comme à terre, il existe de
très grandes différences de fertilité d’une région à l’autre. C’est le
phytoplancton, équivalent de l’herbe des prairies, qui est responsable en mer de la production primaire constituant le point de
départ de la chaîne alimentaire marine, qui conduit aux poissons
que l’on retrouve dans nos assiettes. Il s’agit d’algues monocellulaires microscopiques (quelques microns) dont l’abondance
détermine la fertilité d’une région océanique.
Dans l’océan, l’eau ne manque évidemment pas ; le gaz
carbonique, source de carbone, non plus : il y est partout abondant. Le Soleil, source exclusive de lumière pour la production
primaire, inonde la surface de la mer ; mais l’eau absorbe rapidement le rayonnement solaire, si bien que cette production
est forcément limitée aux couches superficielles de l’océan : les
sombres profondeurs de l’océan au-delà de la centaine de mètres
sont peu propices au développement de la vie. Seules les oasis
entourant les sources hydrothermales profondes, et qui font appel
à d’autres sources d’énergie, échappent à cette contrainte.
Reste, pour assurer la fertilité des océans, la disponibilité en
nutriments. Or ceux-ci sont beaucoup plus importants en profondeur qu’en surface, et cela se comprend aisément. Le monde
vivant est un système renouvelable qui se nourrit sans cesse de
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
153
sa propre mort : la décomposition de la matière organique morte
rend au monde minéral les éléments que, vivante, elle lui avait
empruntés : l’eau, le gaz carbonique, les nutriments, qui se retrouvent à nouveau disponibles pour une nouvelle incursion dans le
monde vivant. Ainsi peut-on arriver à des écosystèmes proches
de l’équilibre, où la vie et la mort sont quantitativement presque
à égalité. Mais nul n’échappe à la pesanteur, et les organismes
marins, privés à leur mort de leur capacité natatoire, sont inexorablement entraînés vers le fond, se décomposant et se minéralisant
au cours de leur chute. Ainsi restituent-ils l’essentiel de leurs
composés minéraux non pas dans la couche de surface propice
à la photosynthèse, mais dans les couches profondes à l’abri de
la lumière.
Pour assurer sa fertilité, l’océan doit donc résoudre cette
difficulté : amener les nutriments des couches profondes vers
celles, bien éclairées, de surface. Il le fait par divers processus
dynamiques d’enrichissement : ce sont donc les mouvements de
l’océan qui finalement contrôlent la productivité océanique. La
« couleur » de l’océan est un indicateur de la fertilité d’une région
océanique, mais l’homme ne peut d’un simple coup d’œil en
déceler les variations subtiles qui lui permettraient de discriminer
les écosystèmes océaniques. Il a donné délégation aux « yeux »,
plus performants, que sont les instruments d’observation qu’il a
embarqués sur satellite.
La couleur de l’océan dépend d’abord des propriétés optiques de l’eau, qui est sélective dans sa capacité d’absorption du
rayonnement solaire : elle laisse beaucoup plus facilement passer
le bleu que les autres couleurs, ce bleu marine qui caractérise
l’océan du large.
Mais ce bleu qui fait rêver les poètes peut être altéré par les
« impuretés » que contient l’océan, qu’il s’agisse, dans les régions
côtières, des apports terrigènes charriés par fleuves et rivières, ou
tout simplement des êtres vivants que l’océan recèle – et particulièrement le plancton végétal qui, riche en chlorophylle, tend
à le colorer en vert. Plus il y a dans l’océan de phytoplancton,
donc de chlorophylle, plus celui-ci paraît vert. En analysant la
lumière issue de l’océan (sa couleur) et en calculant le rapport de
l’intensité lumineuse aux longueurs d’onde caractéristiques de la
chlorophylle (bleu pour l’absorption maximale, vert pour l’absorption minimale), on obtient une mesure de la concentration
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
en chlorophylle de l’océan, donc de sa richesse. C’est ce que l’on
fait depuis l’espace avec des radiomètres embarqués sur satellite,
qui mesurent l’intensité lumineuse reçue de l’océan aux longueurs
d’onde caractéristiques de la chlorophylle.
Les images de la figure 28 représentent les teneurs
moyennes en chlorophylle de l’océan mondial en 1998 et 2003.
Elles ont été construites à partir des mesures du satellite Seawifs
et permettent d’établir un inventaire des végétations marines.
On voit qu’en mer il y a aussi des contrastes importants d’une
région à l’autre, analogues à ceux que l’on peut observer sur les
continents : du bleu des zones les plus pauvres, au cœur des anticyclones, au jaune puis au rouge des régions les plus riches, en
passant par le vert.
Ces différences observées entre les régions océaniques
sont le reflet des mécanismes physiques d’enrichissement à
l’œuvre, qui varient d’un système à l’autre. Aussi, pour définir
les biomes en milieu océanique, est-il plus judicieux de les
caractériser par ces différents types de mécanismes plutôt qu’à
partir d’un type de végétation caractéristique, comme on le fait
pour les systèmes statiques terrestres. En milieu pélagique, la
végétation océanique limitée aux algues phytoplanctoniques
ne présente pas un contraste suffisant pour servir de critère de
définition.
C’est ainsi que procéda Alan R. Longhurst (1998) pour
présenter la première « géographie écologique » des océans jamais
réalisée à partir de l’analyse des mécanismes contrôlant la dynamique de la couche mélangée de surface. L’océan a spontanément
tendance à s’organiser en un système stable à deux couches :
l’une, superficielle, est chaude grâce à l’énergie reçue du Soleil et
homogène grâce au mélange induit par le vent ; l’autre, sous la
première, est froide et s’étend jusqu’au fond. Ces deux couches
sont séparées par une zone où la température décroît rapidement
avec la profondeur : la thermocline.
La thermocline, qui est aussi nécessairement une pycnocline (augmentation rapide de la densité avec la profondeur),
fait obstacle au mélange entre les deux couches, et notamment au passage des nutriments vers la couche de surface bien
éclairée, limitant de ce fait la production primaire et la fertilité
du système. Il est donc logique de définir les biomes d’après
les mécanismes physiques qui contrôlent la dynamique de cette
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couche de mélange et de ce frein à la production biologique que
constitue la thermocline. Les paramètres à prendre en compte
sont le rayonnement solaire, qui apporte la chaleur, le vent, acteur
principal du mélange, et les précipitations et apports d’eau douce
– donc légère –, qui peuvent créer une stratification près de la
surface.
L’intensité du rayonnement solaire dépend de la latitude :
l’énergie reçue est plus élevée dans les régions intertropicales
qu’aux hautes latitudes, c’est une évidence. Moins évidente, mais
non moins réelle, est l’influence de la latitude sur l’action du
vent océanique. C’est encore la force de Coriolis qui est ici en
jeu. La force de Coriolis n’est active que s’il y a mouvement, et,
croissant avec la latitude, elle introduit une inertie des courants
qui augmente avec la latitude. À l’équateur, la force de Coriolis
est nulle et l’inertie minimale, si bien que les variations du vent
ont un effet très rapide sur les courants. Par exemple, dans le
Pacifique équatorial, le phénomène El Niño correspond à une
inversion du courant en réponse rapide à un affaiblissement ou à
un renversement des alizés. De même, le courant des Somalies,
le long de la corne de l’Afrique, dans l’océan Indien, s’inverse-t-il
en quelques semaines au rythme des moussons. Aux plus hautes
latitudes, la force de Coriolis est active tant qu’il y a mouvement,
qu’elle contribue ainsi à entretenir même si le vent s’arrête. L’affaiblissement notable des vents d’ouest en été aux moyennes latitudes est pratiquement sans effet sur le Gulf Stream. Il faudrait
des années pour qu’une inversion des vents d’ouest dans l’Atlantique Nord vienne à bout du Gulf Stream. Dans ces régions,
les variations du vent combinées à des variations saisonnières
importantes de l’ensoleillement contrôlent la dynamique de la
couche de mélange, mais ont un faible impact sur les courants.
Dans les régions proches de l’équateur, c’est l’inverse : un ensoleillement important aux faibles variations saisonnières joint à une
réponse rapide des courants aux variations du vent maintiennent
une stabilité relative de la couche de mélange, dont l’épaisseur
varie en fonction des courants.
À partir de cette analyse, Longhurst définit quatre biomes
primaires :
•le biome des vents d’ouest aux moyennes latitudes, où la profondeur de la couche de mélange est asservie au vent local et
au rayonnement solaire ;
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
•le biome des alizés, où la couche de mélange dépend de
l’ajustement des courants en réponse à des variations de
vent à l’échelle du bassin océanique ;
•le biome polaire, où la couche de mélange est contrôlée par
la couche d’eau douce qui se forme chaque printemps à la
fonte de la banquise ;
•le biome côtier, sur les pentes et plateaux continentaux, où,
outre les éléments précédents, interviennent des particularités locales : morphologie et orientation de la côte, topographie des fonds, etc.
Il s’agit là de biomes de base qui ne sont évidemment pas homogènes, et, pour tenir compte des particularités induites par les
continents et les courants marins qui perturbent cette classification latitudinale, Longhurst a introduit pour chacun des biomes,
dans chaque océan, des « provinces » (figure 29).
Si l’on considère le Gulf Stream dans sa version mythique
et populaire la plus large, du détroit de Floride au courant de
Norvège et aux confins de l’Arctique, il appartient dans la classification de Longhurst à deux biomes – polaire et vents d’ouest – et
à trois provinces – SARC (Atlantic Subarctic Province), NADR
(North Atlantic Drift Province), GFST (Gulf Stream Province).
En fait, le Gulf Stream et ses extensions, dans les diverses
étapes de leur parcours, prennent en écharpe l’Atlantique : ils sont
des éléments dynamiques perturbateurs qui viennent troubler le
bel ordonnancement latitudinal idéalisé des biomes définis par
Longhurst.
Le courant de Floride
On s’en rend compte dès le départ, puisque la première étape ou le
premier tronçon du Gulf Stream, le courant de Floride de la pointe
de Floride au cap Hatteras, n’entre dans aucune des provinces
définies par Longhurst. À l’est, la province NAST (North Atlantic
Subtropical Gyral Province), qui appartient au biome vents d’ouest,
est limitée sur ses bords ouest et nord-ouest par le Gulf Stream,
qu’elle n’inclut pas. À l’ouest, la province côtière NWCS (Northwest
Atlantic Shelves Province) se limite à la pente et au plateau continentaux de l’Amérique, de la pointe de la Floride à Terre-Neuve ;
elle exclut donc le Gulf Stream. Enfin, au nord, la province Gulf
Stream proprement dite va du cap Hatteras aux Grands Bancs de
Terre-Neuve. Exit, donc, le courant de Floride.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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On peut et doit considérer ce courant comme une extension de la province Caraïbe de Longhurst, qui inclut la mer des
Caraïbes et le golfe du Mexique, bordés à l’est par l’arc antillais
de Trinidad aux Bahamas et une intrusion vers le nord du biome
alizés. La carte de température de surface de la figure 30 trace
bien le parcours du Gulf Stream le long de la pente continentale.
Ruban d’eau chaude (24-28 °C) de 30 km de large et 300 m de
profondeur, avec un débit de 30 Sv à son débouché du détroit de
Floride, il double son débit au cap Hatteras du fait de la recirculation décrite dans un chapitre précédent. À ce point, il atteint
1 000 m de profondeur et une largeur de 50 km. Cette portion
du Gulf Stream relève bien davantage du biome alizés que de
celui des vents d’ouest, en ce sens que les variations locales du
vent ont peu d’influence sur la structure thermique verticale du
courant, déterminée principalement par l’ajustement des courants
équatoriaux Nord et Sud qui l’alimentent.
Extension des espèces tropicales – la pêche sportive
Transporteur d’eau chaude issue de la région Caraïbe, le courant
de Floride est pauvre en éléments nutritifs, qui sont relégués sous
la thermocline, à plusieurs centaines de mètres de profondeur
– bien au-delà de la couche euphotique. La production biologique
y est donc très faible, comme le montre la carte de chlorophylle
de la figure 30, où le courant ne laisse aucun sillage significatif – à
la différence de ce que l’on observe sur la carte de température.
Partout, sauf dans les régions côtières, les teneurs en chlorophylle
sont au plus bas sur toute la zone. Le courant de Floride n’en est
pas pour autant vide de vie : incursion vers le nord d’eaux tropicales, on y trouve les espèces qui les caractérisent, notamment les
grands poissons qui font le bonheur des amateurs de pêche sportive ; ceux-ci trouvent de fait dans le Gulf Stream, non loin des
côtes, un terrain extrêmement propice. Ainsi Ocean City, au nord
du cap Hatteras, s’est-elle proclamée capitale du marlin blanc.
La zone de reproduction de l’espadon s’étend, grâce au Gulf
Stream, jusqu’au nord du cap Hatteras. En 1934-1935, Ernest
Heming­way, grand amateur de pêche sportive et fin connaisseur
de la région, fut un collaborateur occasionnel et éclairé de l’Academy of Natural Sciences de Philadelphie, qu’il guida pour initier
des recherches destinées à combler les lacunes concernant les
marlins, voiliers, thons et autres proies des pêcheurs sportifs.
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
Upwelling dynamique le long du talus continental
Le biome alizés se caractérise par deux éléments : la permanence,
au-dessus de la thermocline, d’une couche de surface homogène
et chaude maintenue par un ensoleillement important toute
l’année, et une réponse rapide des courants aux variations du
vent. Comme on l’a vu, dans l’hypothèse géostrophique, on peut
décrire les courants avec une très bonne approximation en faisant
l’hypothèse que, à un niveau donné, la force de Coriolis équilibre
la force de pression. Il en résulte que, dans ce cas, l’intensité du
courant entre deux points de latitudes voisines est proportionnelle
à la différence des pressions entre ces deux points. Réciproquement, de la différence de pression entre deux points, on peut
déduire le courant.
À tout courant correspondent des différences effectives du
niveau de la mer. Pour le Gulf Stream, on observe des variations
du niveau de la mer de 1 m sur quelques dizaines de kilomètres. Concernant les courants de surface, dans les systèmes à
thermocline permanente, les variations de pression sont principalement le reflet de l’épaisseur de la couche homogène ou,
inversement, de la profondeur de la thermocline. Les variations
de la profondeur de la thermocline traduisent les variations de
pression, donc les courants. Ainsi, figure 31, une section du
champ de température opérée à travers le système des courants
équatoriaux de l’Atlantique montre que la thermocline ondule
au gré des courants. Les points bas et les points hauts, qui sont
des extremums du champ de pression, correspondent aussi à
des changements de courant. Par exemple, la séparation entre
le courant Équatorial Sud, qui porte à l’ouest, et le contrecourant Équatorial, qui coule en sens inverse, est marquée par
un creux de la thermocline (couche homogène épaisse et haute
pression) vers 2-3°N. Reprenant l’hypothèse géostrophique qui
nous sert de guide, c’est assez facile à comprendre. Imaginons
un observateur qui se trouve sur ce point haut du niveau de la
mer (maximum de pression) : il devra voir le courant s’écouler
vers la droite de la force de pression, c’est-à-dire vers l’est s’il
regarde vers le nord – c’est le contre-courant Équatorial –, et
vers l’ouest si, au contraire, il regarde vers le sud – c’est le
courant Équatorial Sud. Le même raisonnement s’applique si
l’on se met au contraire au niveau de la crête que fait la thermocline vers 12°N, minimum de pression entre le courant ÉquaLe Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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torial Nord et le contre-courant ­Équatorial. Cette modulation
de la profondeur de la thermocline par les courants marins
est capitale pour la production biologique, car, nous l’avons
vu, la thermocline n’est pas seulement « pycnocline », elle est
aussi « nutricline », c’est-à-dire barrière pour la diffusion de sels
nutritifs essentiels à la production biologique vers la couche de
surface. Plus la thermocline est profonde, plus la production est
faible – par exemple, au centre des circulations anticycloniques
et, notamment, dans la mer des Sargasses. On parle de convergence lorsque, à la limite de deux courants, la thermocline s’enfonce, et de divergence dans la situation inverse. La pente de
la thermocline est en première approximation proportionnelle
à l’intensité du courant.
Comment cela se traduit-il pour le courant de Floride ?
En surface, sur son bord gauche (nord et ouest), le Gulf Stream
est marqué par une variation extrêmement forte et rapide de la
température : ce que l’on appelle couramment le cold wall, qui
donne l’image d’une véritable barrière entre les eaux du plateau
et du talus continental et les eaux chaudes du courant lui-même.
Barrière superficielle, car – et cela peut sembler paradoxal au
premier abord –, en profondeur, le courant de Floride est un
pourvoyeur en éléments nutritifs du plateau continental. Du fait
de l’équilibre géostrophique, les couches de la thermocline riches
en nitrates de l’eau centrale Nord-Atlantique, qui se trouvent à
1 000 m de profondeur dans la mer des Sargasses, sont amenées
au niveau du talus continental à quelques centaines de mètres
de profondeur (figure 32) : une remontée induite par la simple
dynamique du courant, et d’autant plus forte et rapide que le
courant est intense. Canalisé le long de la pente continentale,
le courant sinue sans que ses ondulations prennent l’importance
des méandres qui le caractérisent au-delà du cap Hatteras. Ces
ondulations se propagent comme une onde, avec une longueur
d’onde de l’ordre de 200 km et une vitesse de 30 km/jour. À
chaque ondulation, le courant de Floride s’écarte du talus continental (figure 33), il y a « appel d’eau » et amorce de formation
de petits tourbillons froids cycloniques à la rupture de pente
entre le courant et un filament chaud résiduel sur le plateau
continental. C’est le coup de pouce final qui amène l’eau sousjacente, riche en nitrates, jusque dans la couche euphotique
de l’espace ainsi créé. En simplifiant, on peut dire que le Gulf
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
Stream va « piller » les réserves profondes de nutriments de la
mer des Sargasses pour les amener dans la couche euphotique
au niveau de la rupture du plateau continental. On verra plus
loin que, avec les tourbillons froids qu’il génère au-delà du cap
Hatteras, le Gulf Stream a la courtoisie de rendre à la mer des
Sargasses l’emprunt qu’il lui a fait.
On a observé, correspondant à cet upwelling dynamique,
des floraisons (blooms) phytoplanctoniques importantes s’étendant sur plus de 1 000 km2. C’est un phénomène courant qui
intervient au sud du cap Hatteras, et qui explique que toute
cette région à la rupture du talus continental soit une zone de
reproduction pour le menhaden (Breevortia tyrannus) et le bluefish (Pomotamus saltatrix), ressources importantes sur le plateau
continental nord-américain. Le menhaden est une espèce pélagique de la même famille que le hareng, celle des clupéidés,
dont la longueur ne dépasse pas 50 cm. On en pêche environ
400 000 tonnes par an en Amérique du Nord. Espèce pélagique
également et de haute valeur commerciale, le bluefish peut
dépasser 1 m et atteindre 14 kg. On en pêche annuellement
environ 50 000 tonnes.
En termes de flux de sels nutritifs vers la surface et de
production biologique, ce phénomène n’a pas l’ampleur de ce
que l’on appelle plus couramment les « upwellings côtiers », qui
se manifestent de l’autre côté des grandes circulations anticycloniques, sur le bord est des océans : le long des côtes de Californie
et du Pérou dans le Pacifique, de celles du Maroc/Mauritanie
et de l’Afrique du Sud dans l’Atlantique. Là, ce sont les alizés
qui, soufflant régulièrement parallèlement à la côte, entraînent les eaux de surface vers le large sous l’action de la force de
Coriolis, conformément au schéma d’Ekman, et créent sur le
plateau continental une véritable pompe à eau profonde riche
en sels nutritifs. Dans ces zones, la production biologique est
bien supérieure à ce que peut donner l’« upwelling dynamique »
du courant de Floride. On pêche plus de 10 millions de tonnes
par an d’espèces pélagiques au Pérou et autour de 5 millions de
tonnes sur les côtes de Maroc/Mauritanie et d’Afrique du Sud. Il
n’en reste pas moins que ce courant, quoique lui-même pauvre,
semble bien être le principal pourvoyeur des sels nutritifs dont a
besoin l’écosystème de ce que l’on appelle la South Atlantic Bight,
de la Floride au cap Hatteras.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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La « province Gulf Stream »
Nous entrons ici dans le biome des vents d’ouest de Longhurst.
Au sein de ce biome, Longhurst a bien été obligé d’introduire
une province particulière Gulf Stream, tant l’impact de la dynamique du courant sur le fonctionnement de l’écosystème est forte,
perturbant la simple action des vents dominants sur la dynamique
de la couche de mélange caractéristique du biome. Cette province
s’étend du cap Hatteras aux Grands Bancs de Terre-Neuve. Elle
est bordée à l’ouest par le plateau continental nord-américain.
Alors que le courant de Floride était assez étroitement canalisé par la pente continentale, le Gulf Stream, à partir du cap
Hatteras, s’en éloigne et prend sa liberté, qu’il manifeste par la
formation de méandres et de tourbillons contrastant (figure 9)
avec le parcours quasi linéaire du courant de Floride dans la
South Atlantic Bight. Entre le bord nord du courant et la pente
continentale s’ouvre un espace de liberté que l’on appelle la Slope
Sea, royaume des tourbillons chauds.
La formation des tourbillons :
le Gulf Stream « échangeur »
Le Gulf Stream apparaissait comme un fleuve sur la carte de
Franklin. Tel n’est évidemment pas le Gulf Stream fantasque,
tourmenté, voire déséquilibré, que l’on découvre sur la figure 34. Il
est beaucoup plus complexe que ne l’avaient imaginé les premiers
qui l’ont décrit. Cette complexité fait du Gulf Stream moins la
barrière symbolisée par le cold wall, qui avait tant impressionné
les premiers observateurs comme Lescarbot, qu’un « échangeur »
assurant des transferts réciproques entre la mer des Sargasses et
la Slope Sea, entre lesquelles il semblait dresser au premier abord
une frontière difficilement franchissable.
À un méandre du Gulf Stream vers la droite (figure 13)
correspond une poussée des eaux froides de la Slope Sea vers
la mer des Sargasses. Pour peu que le méandre s’étire, il finira
par s’« étrangler » et se détacher du flux du Gulf Stream, pour
devenir une inclusion d’eau froide issue de la Slope Sea dans la
mer des Sargasses. À l’inverse et symétriquement, un méandre
vers la gauche pourra finir comme un tourbillon d’eau chaude
de la mer des Sargasses au milieu des eaux froides de la Slope
Sea. Ainsi fonctionne l’échangeur Gulf Stream que la figure 34
illustre. On y voit, précisément formés, trois tourbillons froids
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
au sud du courant bien individualisé, et au nord, trois tourbillons chauds.
Les tourbillons froids, fertilisateurs
de la mer des Sargasses
Du schéma de leur formation, il découle qu’obligatoirement les
tourbillons froids tournent dans le sens cyclonique (sens inverse
des aiguilles d’une montre). Ils sont donc le siège d’une remontée
de la thermocline et de la nutricline qui lui est associée. Véritables pompes à nutriments vers la couche euphotique de la mer
des Sargasses, qui en est totalement dénuée, ils vont apporter
la fertilisation minimale nécessaire au maintien du fonctionnement de son écosystème si particulier. Une section faite à
travers le tourbillon « Bob », en 1977 (figure 35), montre qu’il
fait remonter l’isotherme 15 °C (au sein de la thermocline) de la
profondeur de 600 m jusqu’à la surface, sur une distance d’une
centaine de kilomètres. L’isoligne de nitrates 4 µmol/kg passe
de 500 m à la surface. Spectaculaire ascenseur ! Ainsi le Gulf
Stream, qui, on l’a vu, puisait dans les eaux profondes de la mer
des Sargasses pour fertiliser la pente continentale de la South
Atlantic Bight, lui restitue-t-il, par un juste retour des choses,
dans les couches de surface productives cette fois, et grâce aux
tourbillons froids, une partie de ce qu’il avait prélevé. Le chemin
pour ce faire n’est évidemment pas le plus direct, et illustre bien
la complexité de la dépendance des écosystèmes vis-à-vis de la
dynamique ­océanique.
Les tourbillons froids ont des diamètres de 100 à 300 km.
On peut en observer une dizaine simultanément. Leur durée
de vie est d’un à deux ans. Ils se déplacent vers le sud-ouest à
une vitesse d’environ 5 km/jour. Ils sont généralement repris
par le Gulf Stream au niveau du cap Hatteras. Ils occupent 10 à
15 % de la surface de la mer des Sargasses, dont ils accroissent la
productivité de 10 % environ et la biomasse de zooplancton de
10 à 15 %. Ce sont eux qui garantissent à la mer des Sargasses
l’alimentation en nutriments « frais » indispensables au fonctionnement de tout écosystème. C’est ce que l’on appelle la
« production nouvelle », par opposition à la production dite
« de régénération », qui fonctionne en consommant en circuit
fermé les nutriments régénérés sur place à partir des excrétions
des organismes vivants.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Les anguilles, filles du Gulf Stream ?
L’anguille est un poisson migrateur amphihalin : il naît dans
l’Atlantique, se reproduit et meurt en mer des Sargasses, mais
passe l’essentiel de sa vie dans les eaux douces ou saumâtres des
rivières et des marais d’Amérique ou d’Europe. Sa migration est
un aller-retour unique de la naissance à la mort.
La reproduction des anguilles de l’Atlantique est pourtant
encore mystérieuse. Au début du xxe siècle, J. Schmidt a dressé
méticuleusement une carte des larves (leptocéphales) d’anguilles
capturées pendant vingt ans de pêches opiniâtres. Il en conclut
logiquement que la mer des Sargasses – région où l’on trouvait, à
l’exclusion de toutes les autres, les plus petites larves (inférieures
à 10 mm) – était la zone de reproduction des anguilles. Résultat
admis bien que l’on n’y ait jamais trouvé de mâles sexuellement
matures ni d’œufs fécondés. On estime que la maturation finale
des adultes et l’éclosion des œufs se font entre 400 et 600 m de
profondeur, dans des eaux de température voisine de 17 °C : les
plus petites larves jamais trouvées l’ont été entre 200 et 500 m
de profondeur et mesuraient 6 mm. Elles montent ensuite en
surface, où, se nourrissant de microplancton, elles profitent
des bouffées de fertilité apportées par les tourbillons froids du
Gulf Stream. Elles se laissent ensuite porter par les courants, et
le Gulf Stream est la première étape d’un vaste périple qui les
poussera vers les côtes américaines pour l’espèce dite… américaine, Anguilla rostrata, ou les côtes d’Europe pour l’espèce dite…
européenne, Anguilla anguilla – que l’on trouve de l’Islande à la
Méditerranée.
On a longtemps pensé que l’existence d’une aire commune
de reproduction induisait nécessairement un brassage génétique
tel qu’il n’existait qu’une seule espèce. Les études génétiques ont
montré qu’il n’en était rien, et que les espèces européenne et
américaine étaient réellement différentes. Cette spéciation est
sans doute la conséquence de la différence de trajet à parcourir de
la mer des Sargasses natale aux habitats continentaux américains,
très proches, ou européens, beaucoup plus lointains. Il en résulte
nécessairement des cycles biologiques différents (plus courts
pour l’américaine que pour l’européenne) pour s’y adapter. Les
leptocéphales « européens », entraînés par le Gulf Stream, puis
par la dérive Nord-Atlantique, mettent plus d’un an à se métamorphoser en civelles de 80 mm, avant de remonter les estuaires
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
164
Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
où, du moins en France, elles auront à affronter la rapacité des
pêcheurs qui les y attendent. Les rescapées, anguilles jaunes,
croîtront dans leur nouveau milieu pendant plusieurs années,
jusqu’à la métamorphose finale : anguilles argentées bien grasses
et parées pour la navigation océanique au long cours et la reproduction. Elles redescendront alors la rivière, gagneront l’océan,
où elles nageront à grande profondeur, vivant sur leurs réserves,
pour rallier la mer des Sargasses. Du moins le suppose-t-on, car
on perd leur trace, et nul n’a encore vu d’anguilles adultes en plein
océan. On sait simplement qu’en mer des Sargasses apparaîtront
en profondeur de toutes petites larves prêtes pour un nouveau
cycle. Le trajet des larves américaines est beaucoup plus court,
mais sans doute plus problématique, car, à la différence des européennes qui suivent logiquement et passivement les courants,
elles doivent, pour atteindre les côtes américaines, quitter le Gulf
Stream qui les emporte. Sans doute y sont-elles aidées par les
tourbillons chauds qui injectent de l’eau de la mer des Sargasses
porteuse de larves sur le plateau continental américain.
Comment les larves d’anguilles choisissent-elles leur route
en fonction de l’espèce à laquelle elles appartiennent, compte
tenu de leurs très faibles capacités natatoires ? Sans doute ne
choisissent-elles rien du tout et laissent-elles le hasard faire le
tri. La capacité de reproduction de l’anguille est exceptionnelle :
chaque femelle produit environ 1,5 million d’ovocytes. Ce sont
ainsi des millions de larves qui sont entraînées par le Gulf Stream
et aiguillées au hasard sur l’une ou l’autre route ; seules celles qui
sont sur la voie correspondant à leur espèce pourront survivre.
L’anguille est un vieux poisson : les plus anciens fossiles
connus datent d’il y a cent millions d’années. Il est vraisemblable
que les deux espèces de l’Atlantique ont un ancêtre commun, qui
existait il y a soixante millions d’années, lorsque l’Atlantique s’est
formé. L’aire de reproduction commune s’étant alors trouvée à
l’ouest de la dorsale médio-océanique, l’expansion continue des
fonds océaniques depuis cette époque a fait que le trajet migratoire de l’anguille européenne n’a cessé de croître – et croît encore
– de quelques centimètres par an.
Ainsi le cycle biologique des anguilles de l’Atlantique est-il
lié au Gulf Stream et à ses prolongements dans la dérive NordAtlantique. Nul doute que leur répartition en Europe ne suive les
fluctuations de ces courants. Si d’aventure l’évolution du climat
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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débouchait, comme certains le craignent, sur un ralentissement,
voire un arrêt de la circulation thermohaline et de la dérive
Nord-Atlantique, alors les anguilles disparaîtraient des rives de
la Baltique, de la mer de Norvège et de la mer du Nord.
Les Sargasses, jungle flottante, et le Gulf Stream
La mer des Sargasses entre dans l’histoire et la légende avec
Christophe Colomb, qui la traverse avant d’atterrir aux Bahamas
sur l’île de Guanahani, qu’il rebaptisera San Salvador. D’abord
porteuses d’espoir, les premières « herbes flottantes » rencontrées sont interprétées comme des signes d’une terre proche ;
elles deviendront quelques jours plus tard source d’angoisse pour
les marins lorsque, devenant plus abondantes, elles leur feront
craindre une sorte d’engluement dans une mer « prise comme elle
l’eût été par la glace ». Cette mauvaise réputation ne quittera plus
la mer des Sargasses, et Jules Verne exploitera le mythe dans son
roman Vingt Mille Lieues sous les mers. Il fera correspondre la mer
des Sargasses avec la partie immergée de l’Atlantide, suggérant
même que les sargasses sont des herbes arrachées aux prairies de
cet ancien continent.
Les sargasses sont des algues. Dans la classification taxonomique, elles constituent un genre comprenant notamment
les deux espèces Sargassum natans et Sargassum fluitans, que l’on
trouve dans la mer des Sargasses et qui ont la particularité d’être
flottantes – à la différence de leurs congénères, benthiques, qui
sont fixées sur le fond. On suppose qu’elles dérivent d’ancêtres benthiques dont on a trouvé des traces fossiles, datant de
quarante millions d’années, dans des sédiments de l’ancienne mer
Téthys. Ces algues, d’une longueur voisine de 1 m, sont dotées de
vésicules gazeuses (oxygène principalement, azote et gaz carbonique) assurant leur flottabilité. Ce sont des espèces stériles, qui
se propagent par fragmentation végétative. Elles s’assemblent
par paquets et constituent un écosystème très particulier, parfois
qualifié de « jungle flottante ». Elles constituent l’habitat d’environ 145 espèces d’invertébrés (crabes, crevettes, mollusques) ;
on a dénombré une centaine d’espèces de poissons associés aux
sargasses à un stade ou un autre de leur vie (œufs, larves, juvéniles, adultes) et cinq espèces de tortues qui s’y développent après
l’éclosion ou y trouvent nourriture dans leur migration. Une telle
diversité dans une mer aussi bleue, pauvre en éléments nutritifs
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
et si peu productive, est a priori surprenante. On estime entre
800 et 2 000 kg/km2 la biomasse des sargasses, soit un total de 4
à 11 millions de tonnes.
En fait, un écosystème aussi complexe et diversifié n’a pas
besoin d’une grande quantité d’éléments nutritifs frais (production nouvelle) pour se maintenir. Les sargasses sont comme le
phytoplancton des producteurs primaires, elles ont donc besoin
d’éléments nutritifs pour vivre ; elles les trouvent d’abord dans le
recyclage, par reminéralisation sur place de la matière organique
issue des excrétions des nombreux organismes qu’elles abritent.
Le système proche de l’équilibre fonctionne presque en circuit
fermé. Pour compenser les inévitables pertes – la matière organique morte qui sédimente et sort du système –, les sargasses
disposent de bactéries épiphytes qui ont la propriété de fixer
l’azote de l’air. Les sargasses n’ont donc pas besoin d’attendre que
des tourbillons froids viennent mettre à leur disposition, issus des
profondeurs, les nutriments indispensables à leur survie.
On trouve des sargasses flottantes ailleurs dans l’océan,
mais on ne trouve nulle part l’équivalent de l’écosystème si particulier de la mer des Sargasses. Il est le résultat de la recirculation
anticyclonique du Gulf Stream, qui la ceinture complètement,
qui la ferme en quelque sorte, qui en fait une mer fermée sans
rivage. Dans un tel système, sous l’action de la force de Coriolis,
les eaux et ce qu’elles contiennent ont tendance à converger vers
le centre : il y a, grâce à la dynamique océanique, confinement
naturel permettant à l’écosystème de prospérer (figure 11).
Les tourbillons chauds, fournisseurs de nutriments
On les trouve au nord du Gulf Stream : ils font passer de l’eau
chaude de la mer des Sargasses dans la Slope Sea, entre le Gulf
Stream et le plateau continental américain. Ce sont des tourbillons anticycloniques qui tournent dans le sens des aiguilles
d’une montre : la thermocline y est donc profonde. Atteignant
2 km de profondeur, ils ne peuvent pas déborder sur le plateau
continental, dont la profondeur est inférieure à 200 m, et restent
confinés dans la Slope Sea (figure 36). Disposant de moins d’espace, ils sont moins nombreux – rarement plus de trois simultanément – et durent moins longtemps – rarement plus d’un an
– que les tourbillons froids. Leur diamètre varie de 60 à 200 km,
et ils se déplacent vers le sud-ouest, le long de la pente contiLe Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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nentale, à une vitesse d’environ 5-6 km/jour. Ils sont repris par
le Gulf Stream au niveau du cap Hatteras. Leur influence sur la
production biologique est plus complexe que celle des tourbillons
froids dans la mer des Sargasses.
On pourrait penser que, symétriquement et à l’inverse des
tourbillons froids qui enrichissent la mer des Sargasses, les tourbillons chauds, îlots d’eau chaude et pauvre (la couche riche en
nutriments en leur centre est à plusieurs centaines de mètres
de profondeur), se contentent d’appauvrir la Slope Sea où ils se
meuvent. Cela d’autant que, par moments, ils couvrent près de
40 % de la superficie de cette mer. De fait, sur les images de chlorophylle données par satellite (figure 37), on reconnaît aisément
ces tourbillons à leur faible teneur en chlorophylle de surface.
La section de température de la figure 38, à travers un
tourbillon chaud, montre que l’on se trouve dans une situation
voisine de celle analysée dans le courant de Floride : la remontée,
par la simple dynamique géostrophique, des couches froides
et riches en nutriments à la périphérie du tourbillon, donc le
long de la pente continentale. Anticycloniques, les tourbillons
chauds ont tendance à entraîner les eaux de la périphérie vers le
centre. Sur le bord du tourbillon qui jouxte la pente continentale, cette aspiration vers le centre va provoquer, à la rupture
de pente du plateau continental, un appel d’eaux sous-jacentes
et une remontée (upwelling) vers la surface des eaux riches en
nutriments, que la dynamique géostrophique a déjà hissées non
loin de la surface. Ainsi arrive-t-on à ce résultat, qui peut sembler
paradoxal : la production printanière dans la Slope Sea, évaluée
sur les teneurs printanières en chlorophylle de surface mesurées
par le satellite SeaWIFS, est d’autant plus importante que les
tourbillons chauds, intrinsèquement pauvres, mais fournisseurs
de nutriments sur leur bord, ont été nombreux et actifs dans
l’hiver précédent. C’est bien la dynamique du Gulf Stream et de
ses tourbillons chauds qui fait la richesse de la Slope Sea, et non,
comme on l’a longtemps pensé, l’apport d’eaux froides du plateau
continental issues du courant du Labrador.
Les tourbillons chauds « aspirateurs »
Les tourbillons chauds interfèrent avec leur environnement :
leur mouvement tourbillonnaire anticyclonique entraîne les eaux
voisines. Ils ressemblent un peu aux galaxies spirales. Comme
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
elles – on le voit sur les figures 34 et 36 –, ils ont des bras : un
bras d’eau froide sur le bord est, qui entraîne vers le large des
eaux du plateau continental, et, sur le bord ouest, un bras d’eau
chaude vers le plateau continental. En moyenne, le débit d’un
bras froid est de 165 000 m3/s vers le large (avec un maximum
observé proche de 500 000), tandis que celui d’un bras chaud est
de 62 000 m3/s. La moyenne annuelle du débit des bras froids
dans la Slope Sea est estimée à 180 000 m3/s ; c’est à peu près
celui de l’Amazone. Ces « bras » ne transportent pas uniquement
de l’eau, ils véhiculent aussi les espèces planctoniques qu’elle
contient, notamment des larves de poissons, qui risquent ainsi
d’être projetées dans un environnement défavorable à leur développement, au risque de limiter le recrutement et donc l’abondance d’espèces commerciales.
La morue, dans les eaux canadiennes, était sans doute la
pêcherie la plus surveillée et la mieux réglementée du monde :
pêcheurs, gestionnaires, chercheurs étaient constamment à son
chevet. Chaque année depuis 1981, des campagnes systématiques de chalutage scientifique ont été faites en automne pour
évaluer et surveiller l’abondance des stocks. Elles n’ont pas permis
de déceler avant 1991 une diminution de la biomasse, donnant
ainsi confiance aux pêcheurs et aux gestionnaires qui, rassurés ou
voulant l’être, ne voyaient pas de raison de s’alarmer. Et pourtant,
en 1992, le stock s’est effondré. Un moratoire sur la pêche a été
institué, avec l’espoir de voir le stock se reconstituer – ce qui
n’était toujours pas le cas en 2005. Échec des scientifiques, qui
allait lancer une discussion salutaire sur les causes possibles de
tels événements ; échec aussi des gestionnaires, appelés à revoir
leurs méthodes pour diminuer la probabilité d’occurrence de ces
effondrements.
Parmi les causes possibles invoquées, les tourbillons chauds,
exportateurs de larves vers le large, et les eaux chaudes du Gulf
Stream, sans avenir pour elles. L’analyse des campagnes de
recherche menées dans les années 1980, notamment aux ÉtatsUnis, sur les tourbillons chauds a bien montré qu’il existait des
corrélations négatives entre l’activité tourbillonnaire et les stocks
de quatorze espèces démersales, dont la morue, l’églefin et le lieu,
du plateau continental. Corrélation faible, au demeurant, qui
permet de conclure simplement que si, effectivement, le recrutement ne peut être très élevé pour une classe d’âge correspondant
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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à une activité tourbillonnaire forte, rien n’empêche un recrutement suffisant quelle que soit l’intensité de l’activité tourbillonnaire. Autrement dit, les tourbillons chauds ont un effet, mais
ce n’est pas l’effet dominant capable de contrôler les variations
du recrutement et leur impact sur l’état des stocks. L’étude des
caractéristiques hydrologiques des eaux entraînées dans les « bras
froids » permet d’expliquer ce faible impact, en dépit d’un débit
relativement important : elles viennent des bords du plateau
continental, à des profondeurs d’environ 100 m, alors que les
larves de poissons sont généralement concentrées dans des eaux
moins profondes et plus à l’intérieur du plateau continental. On
peut penser que, sur l’autre bord des tourbillons, les bras chauds
qui injectent de l’eau chaude sur le plateau sont les moyens de
transport empruntés par les larves d’anguilles pour aller croître
dans les rivières américaines.
Le Gulf Stream, les tourbillons chauds et les cachalots
Ce sont les cachalots qui ont attiré l’homme vers le Gulf Stream ;
ils sont à l’origine de son exploration scientifique, donc du développement (qui en résulta) de l’océanographie physique. Les
campagnes scientifiques d’observation des cétacés ont confirmé
que ceux-ci avaient une prédilection pour le front froid (cold wall)
qui limite le Gulf Stream sur sa bordure nord, et plus encore pour
les « bras froids » qui ceinturent par l’est les tourbillons chauds.
Mais d’où vient le tropisme des cachalots pour les rives du Gulf
Stream et de ses tourbillons, que savaient si bien exploiter le baleinier Folger et ses confrères ? De l’abondance de la nourriture, et
notamment des calmars, dont ils sont particulièrement friands.
Ce phénomène est l’aboutissement de deux processus. Le
premier est biologique : c’est le résultat du rôle que jouent le
Gulf Stream et ses tourbillons chauds pourvoyeurs de nutriments
qui, on l’a vu, stimulent la production biologique. Le second est
mécanique : en surface, les fronts qui séparent les eaux chaudes du
Gulf Stream et de ses tourbillons des eaux froides environnantes
– et notamment celles des bras froids – sont des zones de faible
mélange horizontal où se concentre tout ce qui flotte, singulièrement le zooplancton dont se nourrissent les calmars, avant
d’être eux-mêmes consommés par les cachalots, qui s’exposaient
ainsi aux chasseurs qui, ne servant de proie à personne, n’avaient
à craindre que le mauvais temps.
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
Gulf Stream et Kuroshio
La dynamique biologique induite par le Gulf Stream se retrouve
quasi à l’identique dans le Kuroshio, son équivalent dans le Pacifique Nord ; Longhurst a identifié dans le Pacifique une province
« Kuro » analogue à celle du Gulf Stream, avec les mêmes caractéristiques tourbillonnaires illustrées, sur la figure 14, par la
grande similitude entre les deux courants. Comme dans le cas
du Gulf Stream, il faut aussi distinguer deux régimes : l’un qui se
rattache au régime tropical – le « début du Kuroshio », équivalent
du courant de Floride – et le régime tourbillonnaire au-delà de
30 °N. Il n’y a pas, du point de vue biologique, de différence entre
l’Atlantique et le Pacifique.
La « province dérive Nord-Atlantique »
La floraison printanière
On entre maintenant véritablement dans le biome vents d’ouest
tel que défini par Longhurst. Les vents d’ouest et les variations
saisonnières de l’ensoleillement y sont les maîtres incontestés
de la dynamique de la couche de surface, sans qu’interfère celle
des courants. Ici, le Gulf Stream se dilue et perd sa personnalité : défini comme courant de bord ouest, sa course s’achève
quand la dérive Nord-Atlantique entraînée par les vents d’ouest
commence. C’est le domaine de la thermocline saisonnière et de
la floraison printanière (bloom).
En été, la longueur du jour et la hauteur du Soleil aidant,
l’énergie solaire est suffisante pour créer une structure quasi
tropicale, avec une couche de surface homogène chaude et
pauvre en nutriments, séparée des couches profondes par une
thermocline très marquée, comme dans le biome alizés. En
automne et en hiver, la couche de surface se refroidit, la stratification verticale faiblit, et le vent qui se renforce accroît les
mélanges verticaux : il n’y a plus d’obstacle à la turbulence pour
amener les sels nutritifs en surface. Et pourtant, la production
primaire reste faible en hiver, en dépit de cette fertilisation de
la couche euphotique. On a pensé, avec une certaine logique,
que c’était l’insuffisance de l’ensoleillement hivernal qui provoquait cette mise en sommeil végétal. En fait, plus que le défaut
de lumière, il semble que les conditions créées par la turbulence, inconfortables pour le phytoplancton, en soient la cause
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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véritable. Les cellules phytoplanctoniques sont passives et se
laissent aller au gré des mouvements de l’eau. En l’absence
de thermocline, les mouvements turbulents les font migrer,
sans le moindre obstacle, de la surface éclairée vers les couches
profondes obscures, où elles n’ont plus les ressources énergétiques suffisantes pour la photosynthèse. Le temps passé hors de
la couche euphotique et les difficultés d’adaptation à des conditions d’éclairement continuellement changeantes se conjuguent
pour inhiber la productivité du phytoplancton.
Au printemps, le Soleil retrouve de la vigueur : il prend
de la hauteur, se lève plus tôt et se couche plus tard. La couche
océanique de surface s’échauffe, et la barrière thermoclinale se
reconstitue d’autant plus facilement que le vent diminue d’intensité : le phytoplancton au-dessus de la thermocline retrouve
des conditions d’éclairement stables, et il bénéficie de la présence
des sels nutritifs que le mélange hivernal a apportés – et qu’il n’a
pu consommer : il peut proliférer et s’épanouir. C’est la floraison
printanière du phytoplancton. La surface de la mer verdit, et les
mesures de couleur de l’océan depuis l’espace permettent de suivre
cette évolution, comme sur les figures 39 illustrant le phénomène
dans l’Atlantique Nord. Le temps passant, les nutriments seront
consommés, la thermocline estivale affaiblira les mélanges turbulents et tarira la source de sels nutritifs ; la production végétale
diminuera, et l’océan retournera à sa léthargie hivernale, régénératrice de sels nutritifs disponibles pour une nouvelle floraison au
printemps suivant. Ainsi le cycle solaire et les variations saisonnières du vent assurent-ils, au moment opportun, à la fois la
disponibilité de l’énergie lumineuse, la fertilisation de la couche
de surface et sa stabilité – toutes conditions nécessaires au développement des prairies marines.
La NAO et les variations interannuelles
Les vents d’ouest de l’Atlantique Nord circulent entre les hautes
pressions atmosphériques des Açores et les basses pressions d’Islande. Plus la différence de pression entre ces deux pôles est
élevée, plus les vents d’ouest sont intenses – et réciproquement :
c’est la NAO (oscillation de l’Atlantique Nord), que l’on caractérise par un indice qui, on l’a vu, est simplement la différence
de pression entre l’anticyclone des Açores et les basses pressions
d’Islande.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
L’écosystème océanique n’est évidemment pas indifférent
aux fluctuations de la NAO : il répond aux variations de l’intensité des vents d’ouest qui lui sont associées. On peut retenir
deux conséquences principales. D’abord, conformément à ce qui
définit le biome vents d’ouest, à un indice NAO fort va correspondre un mélange hivernal plus intense et prolongé, qui retardera l’établissement au printemps d’une couche homogène stable
au-dessus d’une thermocline reconstituée. D’où un bloom printanier tardif, qui pourra avoir un impact sur la séquence trophique
menant au recrutement des poissons. Deuxième conséquence :
pour peu que l’anomalie positive de NAO perdure, la dérive
Nord-Atlantique va prendre de l’ampleur et s’étendre plus au
nord, induisant une augmentation de la température de surface de
l’océan qui modifiera par exemple la structure zooplanctonique de
l’écosystème, donc les conditions de survie des larves de poissons
qui s’en nourrissent.
Le zooplancton de la mer du Nord et de l’Atlantique Nord
fait l’objet d’une surveillance permanente, grâce au Continuous
Plancton Recorder, programme mené sans interruption depuis
1946 par les Britanniques. L’échantillonnage est fait sur les lignes
de navigation par des navires marchands remorquant à 10 nœuds
un engin qui filtre l’eau de mer pour en récolter le plancton. On
dispose ainsi d’une base de données remarquable pour étudier les
variations de l’écosystème de l’Atlantique Nord.
Deux espèces voisines de copépodes ont été particulièrement étudiées : Calanoides finmarchicus et Calanoides helgolandicus. La première est plus à l’aise que la seconde dans les eaux
relativement froides, et elle se développe avant l’autre suite au
bloom printanier, quand les eaux sont encore assez froides. Il y a
une indiscutable corrélation entre l’indice NAO et la composition
planctonique de l’Atlantique Nord. Helgolandicus domine quand
l’indice NAO est élevé, et inversement.
En fait, c’est l’ensemble de la structure zooplanctonique
(espèces, tailles, dates d’occurrence) de l’écosystème qui est modifiée, et cela n’est pas sans conséquence sur l’évolution des stocks
de poissons exploités.
La morue
La morue fut particulièrement abondante entre 1962 et 1983 ; on
qualifie d’ailleurs cette période de Gadoides Outburst (figure 40).
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On attribua, avec quelques raisons, la chute qui s’ensuivit à la
surexploitation du stock. Pourtant, l’état des stocks ne dépend
pas seulement de la pêche, mais aussi du recrutement – donc de
la survie des larves qui se nourrissent du zooplancton et, singulièrement en ce qui concerne la morue, de celle des deux espèces
évoquées précédemment. La pêche, déjà importante à cette
époque, n’a nullement empêché l’explosion du stock au début
des années 1960, quand le recrutement (morue d’un an) a été
très élevé. La survie des larves dépend beaucoup des conditions
trophiques qui leur sont offertes. On peut dire, en termes simples,
qu’il faut que la composition du repas proposé (abondance des
espèces de zooplancton disponibles), sa présentation (taille des
proies) et le moment où il est servi soient bien adaptés au stade
de développement des larves. Les conditions étaient remplies
pendant le Gadoides Outburst, période durant laquelle l’indice
NAO (figure 19) était faible et les eaux de surface relativement
froides. La séquence de développement des copépodes, C. finmarchicus d’abord, au printemps, puis C. helgolandicus, en été,
assurait la continuité alimentaire nécessaire à la survie des larves :
le recrutement était élevé et le stock important. Dans les années
1980-1990, à indice NAO fort dominant, les conditions étaient
beaucoup moins favorables. La substitution dans des eaux plus
chaudes de finmarchicus par helgolandicus se traduisait aussi pour
les larves par un déficit de proies jusqu’à l’été, lorsque helgolandicus prend le relais d’un finmarchicus défaillant. Le recrutement diminua alors sans que l’effort de pêche faiblisse, avec pour
résultat final l’effondrement du stock et la nécessité de prendre
des mesures conservatoires pour ne pas le compromettre définitivement. En combinant les informations sur la biomasse des
copépodes, leur composition spécifique et leur taille, on peut
définir un indice biologique rendant compte des conditions de
développement des larves – donc du recrutement des morues et
de l’état du stock. À condition, bien entendu, que la surexploitation ne vienne pas compromettre définitivement le recrutement
par épuisement dudit stock (figure 40).
Le hareng
D’autres pêcheries de l’Atlantique Nord et de la mer du Nord
sont sensibles aux variations de la NAO : la sardine et le hareng,
notamment. Ils ne naviguent pas dans les mêmes eaux. La sardine,
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
un peu plus frileuse que le hareng, se pêche généralement dans des
régions plus méridionales que ce dernier, qualifié d’espèce arctoboréale. Dans l’Atlantique Nord-Est, la ligne de démarcation,
où les spécimens les plus aventureux des deux espèces peuvent
néanmoins se rencontrer, se situe à la hauteur de la Manche.
Dans cette région, les périodes froides correspondent à des pêches
au hareng fructueuses, alors qu’une température plus clémente
favorisera la pêche sardinière. L’anomalie positive de NAO, favorisant les vents d’ouest, facilite aussi l’extension vers l’Atlantique
Nord-Est des eaux de la dérive Nord-Atlantique, induisant une
anomalie positive de la température de surface des mers du Nord
et de Norvège. Les limites froides et/ou chaudes du hareng et de
la sardine migrent vers le nord : le hareng devient plus abondant
dans le nord de la zone (stock atlanto-scandien), disparaît des
régions méridionales (Manche) au profit des sardines et varie peu
dans la zone intermédiaire (mer du Nord). À l’inverse, en période
froide (anomalie négative de la NAO), le hareng reflue vers le
sud : les captures en mer de Norvège diminuent très sensiblement
au profit des régions plus méridionales, voire de la Manche, d’où
disparaissent les sardines.
La pêche européenne au hareng en Atlantique Nord est
très ancienne et bien documentée. Tous stocks confondus, elle
atteignait près de 5 millions de tonnes par an dans les années
1960. Cela représentait alors 11,5 % des captures mondiales de
poissons. Seul l’anchois du Pérou, avec plus de 10 millions de
tonnes au début des années 1970, dépassait ce chiffre. Cette
longue histoire ne s’est pas déroulée sans à-coups, et, dans
certains cas, notamment pour le stock de la mer de Norvège
(atlanto-scandien), les périodes fastes de pêche alternèrent avec
d’autres où la pêche de hareng s’éteignait presque complètement. On a pu relier ces variations aux fluctuations décennales
de l’indice NAO, indirectement reconstitué jusqu’au début du
xviiie siècle à partir de la durée de la saison de prise par les
glaces des côtes islandaises, de l’étude des anneaux des arbres ou
encore de l’abondance des chutes de neige au Groenland, que les
carottes prélevées sur place ont permis d’estimer annuellement.
Dans les années 1960-1970, tous les stocks (Islande, mer de
Norvège, mer du Nord) se sont effondrés, ignorant le signal
climatique qui aurait dû conduire à une discrimination entre
les régions nord et sud. On était dans une période « froide »
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(anomalie négative de NAO), réputée favorable aux régions
sud. Il n’en fut rien, et l’accroissement considérable de l’effort
de pêche quelle que soit la zone eut un effet général : l’effondrement du stock par surexploitation, masquant complètement
le signal climatique.
Les gestionnaires tirèrent les leçons de l’événement : après
l’interdiction totale de pêche, la reconstitution des stocks fut
surveillée par des campagnes d’évaluation systématiques. La pêche
ne put reprendre qu’une fois les critères d’abondance satisfaits :
au début des années 1980, c’était le cas de la plupart des stocks
de harengs de l’Atlantique Nord. Une réglementation fut mise
en place : établissement de quotas, taille minimale des poissons
capturés, limitation des périodes et zones de pêche, etc. Heureusement, les stocks de harengs, espèce pélagique avec un cycle de
reproduction rapide, sont relativement robustes et peuvent assez
facilement se reconstituer après un moratoire, à la différence des
stocks de morue, dont le cycle de reproduction beaucoup plus
long peut obérer toute possibilité de récupération au-dessous
d’un certain seuil. Les pêcheurs canadiens attendent depuis près
de quinze ans la reconstitution des stocks de morue – qui n’aura
peut-être jamais lieu.
Le Gulf Stream et la NAO
Dans cette province, à la différence de ce que l’on a vu précédemment avec le Gulf Stream, la dynamique du courant NordAtlantique n’a guère d’impact sur celle de la couche de surface,
et donc sur le fonctionnement de l’écosystème océanique. Si le
vent est bien le chef d’orchestre, le courant n’en reste pas moins
un acteur – mais un acteur passif obéissant aux variations de la
circulation atmosphérique. Une anomalie positive de la NAO
accroît et élargit la circulation des vents d’ouest. Si elle persiste
suffisamment, elle aura un impact analogue sur la dérive NordAtlantique : augmentation du flux et extension vers le nord, avec
à la clé une augmentation de la température de surface et ses
conséquences sur la structure de l’écosystème, notamment du
zooplancton. Et réciproquement, en cas d’anomalie négative. Par
ce biais, on a pu trouver une corrélation entre la position du Gulf
Stream (GNSW) et la composition du zooplancton en mer du
Nord, tous deux liés, comme on l’a vu, à la NAO. Mais corrélation ne signifie pas relation déterministe, comme voudraient le
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Le Gulf Stream et les écosystèmes de l’Atlantique Nord
suggérer certains nostalgiques de la toute-puissance de l’influence
du Gulf Stream jusqu’aux confins de l’Arctique.
Il serait aventureux de proposer des scénarios d’évolution
des écosystèmes de l’Atlantique Nord et de leurs ressources dans
la perspective des changements climatiques induits par les activités humaines, d’autant que, à la différence des scénarios climatiques renseignés par la reconstitution des climats anciens sur
de longues périodes, on ne dispose pas d’archives biologiques
permettant une paléoécologie.
Les données satellitaires de couleur de la mer – pour peu
qu’on en assure la continuité – permettent maintenant un suivi
et une analyse de l’évolution des écosystèmes marins. Ainsi, par
exemple (figure 28), la comparaison entre 2003 et 1998 fait apparaître un double mouvement : une diminution des teneurs en
chlorophylle dans les gyres anticycloniques, déjà bien pauvres, et
une augmentation sur les plateaux continentaux. La diminution
dans les gyres pourrait être due à une montée de la température
de surface qui, augmentant la stratification, diminue les mélanges
verticaux et les flux déjà faibles de nutriments vers la couche
euphotique. Il semble bien, en effet, que, sur la même période, la
température de surface ait augmenté dans ces régions, sauf dans
l’Atlantique Nord, où l’on ne décèle pas d’évolution significative
de la température de surface.
Dans les régions côtières, l’explication est plus problématique. Il peut s’agir de phénomènes climatiques : le renforcement
du vent dans les régions d’upwelling côtier, par exemple ; mais cela
peut être aussi le résultat du ruissellement et de rejets d’engrais
agricoles favorisant les blooms phytoplanctoniques, qui peuvent
conduire à des consommations excessives d’oxygène. Malheureusement, la continuité des mesures satellitaires de couleur de
l’océan dans le futur comme d’ailleurs celle d’autres paramètres
essentiels en océanographie (vent, hauteur de la mer) est loin
d’être assurée.
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Conclusion
Vers une océanographie opérationnelle
Si, au terme de cette excursion, le Gulf Stream a vu quelque
peu pâlir son aura magique, il n’a rien perdu de son importance
dans le système climatique comme transporteur de chaleur vers
l’hémisphère Nord. Mais à la belle assurance de Maury, qui lui
prêtait une constance inébranlable et une indépendance totale
vis-à-vis du reste de l’océan, a succédé l’incertitude sur ses fluctuations et une interdépendance complète avec les autres acteurs
du système climatique. Le Gulf Stream est entré dans le rang :
pour comprendre le système climatique, c’est la totalité de l’océan
qu’il faut connaître, comprendre et prendre en compte.
Platon rapporte qu’à ses juges voulant savoir pourquoi
l’oracle de Delphes l’avait déclaré « le plus sage des hommes »,
Socrate répondit : « Parce que je sais que je ne sais rien. » Manière
de les insulter, en leur faisant comprendre qu’eux-mêmes en
savaient moins que lui, puisqu’ils ne savaient même pas cela
et faisaient pourtant mine de savoir. Bien entendu, Socrate fut
condamné pour impiété – motif plus digne qu’outrage à magistrat. En dépit de l’accusation de scientisme que l’on porte parfois
à leur encontre, il y a une demi-sagesse socratique chez les scientifiques. Certes, ils ne diront pas qu’ils ne savent rien, mais reconnaîtront qu’ils ne savent pas tout et que l’incertitude est au cœur
de la science – du moins celle du climat.
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Conclusion
En témoigne la prudence du rapport scientifique des
experts du GIEC, dont la préoccupation majeure pour le prochain
rapport – le quatrième –, à paraître en 2006, est de « réduire l’incertitude pour une meilleure évaluation quantitative des risques ».
Les scientifiques savent ce qu’il leur manque dans cette optique,
et on en a eu plusieurs exemples avec la NAO et le devenir de
la circulation thermohaline. Il manque assurément encore des
connaissances de base pour améliorer les modèles climatiques :
les interactions nuage/rayonnement et la dynamique couplée
glace/océan, entre autres. Mais, bien souvent, ce qui fait le plus
défaut, ce sont les informations nécessaires pour l’exploitation
des connaissances acquises : les observations et les mesures sur
le milieu. La méthode expérimentale est inapplicable ici : on
ne peut pas mettre la Terre en laboratoire. On crée alors des
laboratoires virtuels : les modèles numériques, avec lesquels on
simule des scénarios d’évolution possible en jouant sur tel ou tel
paramètre. Mais, pour construire ces modèles, il faut connaître
les processus qui interviennent dans la dynamique du système ;
et comment les connaître si on ne les a pas au préalable observés,
mesurés, pour les mettre en équation ?
Les cent cinquante ans d’histoire de la science météorologique illustrent bien la démarche qui, d’observations et de mesures
en modèles, a permis de progressivement réduire l’incertitude
des prévisions à un, à trois, puis à sept voire à quinze jours. Les
modèles eux-mêmes ne peuvent fonctionner que s’ils sont calés
sur des mesures et des observations réelles : le virtuel doit être
ancré dans le réel, les modèles rassemblent et mettent en forme
les connaissances acquises sur le fonctionnement du système
climatique, et les observations sont leur carburant sans lequel ils
sont de belles constructions intellectuelles inopérantes. Et ce sont
encore les observations qui nous diront ensuite ce que valent les
simulations. La démarche est continuellement interactive entre
observations et mesures d’une part, modèles de simulation d’autre
part. La nécessité des mesures se situe donc : en amont, pour
améliorer les connaissances des processus ; dans le présent, pour
caler les modèles et assimiler les données ; en aval, pour valider
les simulations, évaluer les erreurs et les incertitudes résiduelles,
développer les applications. De même que l’évolution du climat
est un processus dynamique continu, le dispositif d’observation
et de mesures à mettre en place pour réduire les incertitudes doit
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être un continuum dans le temps et dans la démarche scientifique : de l’acquisition des connaissances aux applications. Il y a
urgence à garantir la pérennité de la source irremplaçable de nos
connaissances : les systèmes d’observation du « système Terre ».
Le développement durable suppose un savoir durable, donc des
systèmes également durables d’acquisition de connaissances. Où
en sommes-nous concernant l’océan ?
Les programmes de recherche
La recherche scientifique qui alimente le GIEC est un enjeu
majeur pour progresser. Elle s’est organisée depuis une vingtaine
d’années autour de programmes internationaux pluridisciplinaires
sous la houlette des organisations internationales.
• Le programme CLIVAR (climate variability)
Le premier d’entre eux, chronologiquement, a été le Programme
Mondial de Recherche sur le Climat lancé en 1980. Organisé
conjointement par le CIUS (Conseil International pour la
Science, émanation des Académies des Sciences), l’Organisation
Météorologique Mondiale et la COI (Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO), il s’est donné pour
objectif d’établir les bases scientifiques nécessaires à la compréhension des phénomènes physiques qui régissent le fonctionnement du système climatique, pour évaluer jusqu’à quel point il
est prévisible et de quelle manière les activités humaines vont le
modifier. Il doit donc prendre en compte tous les compartiments
du système : atmosphère, océan, cryosphère, surfaces terrestres
et les flux qu’ils échangent. Pour ce qui est de l’océan, il a organisé deux programmes phares dans les années 1980-1990. Le
programme TOGA (Tropical Ocean and Global Atmosphere),
entre 1985 et 1995, pour l’étude de la variabilité interannuelle
du climat et plus particulièrement du phénomène El Niño,
fut l’occasion de mettre en place dans le Pacifique tropical le
premier système quasi-opérationnel d’observations de l’océan. Le
programme WOCE entre 1990 et 2000 s’est intéressé à la totalité
de l’océan dans ses trois dimensions pour évaluer les courants et
les transports de chaleur et de carbone avec la meilleure résolution
possible : première expérience d’océanographie totale tant par son
objectif global que par la variété des moyens mis en œuvre, des
navires de recherche aux satellites.
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Conclusion
Le relais a été pris dans le cadre du programme CLIVAR,
initié en 1995, qui a trois objectifs : 1) mieux comprendre les
processus physiques gouvernant les variations de l’ensemble du
système climatique, de la saison à l’échelle du siècle, de façon à
développer des modèles couplant l’ensemble de ses composantes :
atmosphère, océans, glace, terre ; 2) améliorer, à partir de ces
modèles, les prévisions climatiques aux échelles interannuelles ;
3) comprendre et prévoir la réponse du système climatique à l’accroissement des gaz à effet de serre, et comparer les prédictions
aux enregistrements climatiques passés, afin de tester la qualité
des modèles et d’évaluer le poids de la modification anthropogénique dans le changement climatique. La composante océanique
de ce programme est importante ; elle inclut dans l’Atlantique la
NAO et la circulation thermohaline qui, comme on l’a vu, sont
sources d’incertitude, et par conséquent le Gulf Stream dont on
a vu les relations complexes avec ces deux phénomènes.
•Le programme IMBER (Integrated Marine Biochemistry
and Ecosystem Research)
La physique ne suffit pas à résoudre le problème. Le monde
vivant et l’homme sont des acteurs du climat à travers le cycle
du carbone qui gère les teneurs atmosphériques du gaz carbonique. Ils subissent aussi en retour les conséquences de l’évolution
du climat qui peuvent être dramatiques pour les écosystèmes
et les sociétés humaines. Le Conseil International des Unions
Scientifiques a pris en 1986 l’initiative d’un très vaste programme
pour décrire et comprendre les processus interactifs physiques,
chimiques et biologiques qui régulent le fonctionnement de
la totalité du système Terre, les changements qu’il subit et la
manière dont ils sont modifiés par les activités de l’homme. C’est
le PIGB : Programme International Geosphère Biosphère. Vaste
programme organisé initialement pour deux projets : JGOFS
et GLOBEC. Le programme JGOFS (Joint Global Ocean Flux
Studies) qui s’est déroulé de 1987 à 2003 avait pour objectif de
comprendre et quantifier le cycle du carbone dans l’océan, afin
d’évaluer les flux de carbone (et donc du gaz carbonique, principal gaz à effet de serre produit par l’homme) aux interfaces
avec l’atmosphère et les fonds océaniques, et d’en prévoir l’évolution. Le projet GLOBEC (Global Ocean Ecosystem Dynamics) a
démarré en 1991 et, comme son nom l’indique, a pour ambition
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de comprendre comment le changement global peut modifier le
fonctionnement des écosystèmes marins et affecter l’abondance, la
diversité et la productivité des populations marines aux premiers
niveaux de la chaîne alimentaire : de la production primaire aux
petits pélagiques et aux stades juvéniles des poissons qui sont les
étapes déterminantes, notamment pour le devenir des espèces
exploitées. Le programme IMBER (Integrated Marine Biochemistry and Ecosystem Research) dont le plan scientifique vient
d’être publié (IMBER Science Plan and Implementation Strategy,
IGBP report n° 52, Stockholm 2005), intégrera les problématiques des deux précédents projets et incluera en plus les interactions réciproques qui existent entre les écosystèmes marins et
les sociétés humaines qui les utilisent et les modifient. C’est une
démarche scientifique interdisciplinaire courante pour l’étude
des écosystèmes terrestres qu’il est urgent d’étendre au milieu
marin. Le programme IMBER est un programme décennal
qui s’organise autour de quatre thèmes en forme de questions :
1) Comment les grands cycles biogéochimiques interagissentils avec les dynamiques des réseaux alimentaires dans les divers
écosystèmes marins ? 2) Comment alors les écosystèmes marins
vont-ils répondre au changement global qui affecte les cycles
biogéochimiques ? 3) Comment, en retour, la biogéochimie
marine et les écosystèmes sont-ils capables d’influer sur l’évolution du climat ? 4) Quelles sont les relations entre les écosystèmes marins et les sociétés humaines à qui ils fournissent biens
et services ; comment celles-ci doivent-elles évoluer et s’adapter
pour faire face à l’impact du changement global et à celui des
multiples activités humaines en mer et conserver la qualité du
milieu marin qui lui est indispensable ?
GODAE : un test de l’océanographie opérationnelle
Ces programmes de recherche sont des programmes de longue
haleine qui ont déjà permis au GIEC d’affiner ses projections :
leurs résultats alimentent les modèles de simulation. Leur mise
en œuvre et celle des modèles nécessitent la mise en place de
systèmes d’observations pérennes des océans.
La COI a pris l’initiative de créer un sytème mondial d’observation de l’océan (GOOS) au sein duquel, en liaison avec
le Programme mondial de recherche sur le climat, a été lancé
en 2000 un projet pilote pour faire la démonstration que l’on
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Conclusion
pouvait maintenant prévoir l’océan comme on prévoit l’atmosphère : la distribution de la température et de la salinité, la vitesse
et la direction des courants, le niveau de la mer. C’est le projet
GODAE (Global Ocean Data Experiment), dont le schéma de
principe s’inspire de celui de la prévision météorologique, qui a
fait ses preuves (figure 41). Il est constitué de trois éléments : les
observations spatiales, les observations in situ et les modèles qui
tournent en assimilant ces données.
Au cœur du système : un modèle global d’océan
Il n’y a pas de prévision possible si l’on ne dispose pas de modèles
performants. Plus que la connaissance des processus physiques,
qui a fait des progrès considérables, c’est la puissance de calcul
des ordinateurs qui a longtemps été un facteur limitant pour
le développement de modèles d’océans censés résoudre l’échelle
hectokilométrique des tourbillons, fondamentale de la dynamique
océanique. On dispose maintenant de modèles dont la maille
descend jusqu’au 1/32 de degré, soit un point calculé tous les
2 ou 3 km.
Les mesures depuis l’espace
Les capteurs embarqués sur satellite assurent une couverture
globale de l’océan. Ils peuvent nous donner des mesures sur tous
les océans, avec des pouvoirs de résolution adaptés. Ils peuvent
aussi le faire durablement. Ils permettent donc de résoudre le si
difficile problème des échelles spatio-temporelles imbriquées.
Ils assurent la continuité et la cohérence des systèmes d’observation. Les diffusiomètres embarqués mesurent le principal moteur
de la circulation océanique : le vent à la surface de la mer. Les
radiomètres infrarouges et micro-ondes donnent la température
de surface de la mer et le contenu en vapeur d’eau de l’atmosphère ; à partir de ces paramètres et de la vitesse du vent, on
peut calculer les échanges thermodynamiques entre l’océan et
l’atmosphère : le forçage thermodynamique. Certains radars, sur
des plates-formes satellitaires particulières, ont montré que l’on
pouvait aussi évaluer les précipitations en mer. Les altimètres qui
mesurent le niveau de la mer avec une précision centimétrique
donnent directement accès à la dynamique océanique, courants
et tourbillons. La mesure de la couleur de la mer permet quant
à elle d’évaluer l’intensité de la production biologique dans les
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océans. Entre 2007 et 2009 doivent être lancés deux satellites
– SMOS (Soil Moisture and Ocean Salinity) et Aquarius – capables
de mesurer la salinité de surface des océans. On dispose ainsi, sur
toute la surface de l’océan et de manière continue, d’une évaluation des courants de surface, de leur forçage et de leur impact sur
la production biologique.
Les mesures in situ
D’un point de vue dynamique, la mesure du niveau de l’océan
intègre toute la colonne d’eau ; c’est une mesure de pression
hydrostatique analogue à la pression atmosphérique au sol qui
intègre toute la colonne d’air. Si l’on peut en déduire directement
les courants de surface, pour résoudre la circulation océanique en
fonction de la profondeur, il faut connaître en plus la stratification
en densité des couches d’eau. Compte tenu de l’opacité du milieu
océanique au rayonnement électromagnétique, il n’existe à ce jour
aucun autre moyen de sonder l’océan que la mesure in situ. Il faut là
aussi disposer d’une bonne résolution spatiale. C’était une mission
impossible pour les moyens traditionnels de l’océanographie, et
la solution est venue de l’espace, avec les systèmes satellitaires de
localisation, de collecte et de transmission des données permettant de déployer dans tout l’océan des plates-formes de mesure
fixes (mouillages) ou dérivantes (en surface ou en profondeur).
Chaque plate-forme est localisée et transmet les mesures qu’elle
réalise par satellite. Début mars 2005, dans le cadre du programme
DBCP (Drifting Buoy Cooperative Programme), il existait 983 dériveurs qui mesuraient la température de surface et, pour certains
d’entre eux, la pression atmosphérique, le vent, la salinité et la
pression partielle de gaz carbonique. Le programme ARGO a
pour objectif le déploiement en 2006 de 3 000 flotteurs dérivant
à 2 000 m de profondeur et effectuant périodiquement la navette
vers la surface, destinés à mesurer la température et la salinité sur
toute la colonne d’eau. À chaque passage en surface, le flotteur
transmet par satellite sa position et les mesures qu’il a récoltées. Ce
sont ainsi 100 000 profils qui seront réalisés par an, avec une résolution spatiale d’environ 3°. Chaque flotteur est conçu pour rester
opérationnel plusieurs années. Fin février 2005, 1 671 flotteurs
étaient en activité, soit 55,3 % de l’objectif 2006 (figure 42).
Projet de coopération internationale, le programme
GODAE est aussi une compétition. Si les données récoltées
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Conclusion
appartiennent à tous, leur utilisation est l’affaire de chaque centre
de modélisation et d’assimilation de données – à charge pour
lui de faire la preuve de la qualité de ses prévisions de l’océan.
Six pays sont en course : Australie, États-Unis, France, Japon,
Norvège, Royaume-Uni. L’expérience n’est pas terminée : les
conclusions doivent en être tirées en 2007. Mais, dès maintenant,
on peut affirmer que la prévision opérationnelle de l’océan est
possible au vu des résultats acquis. Ainsi, par exemple, quelques
centres du programme GODAE fournissent-ils quotidiennement
ou sur une base hebdomadaire, en assimilant dans des modèles
d’océan les données satellitaires et in situ, des prévisions océaniques à échéance de quinze jours à un mois : température, salinité, vitesse à plusieurs profondeurs et épaisseur de la couche de
mélange. Deux exemples de prévision sur le Gulf Stream sont
donnés figures 43 et 44.
Et ensuite ?
Le projet GODAE s’achèvera en 2007 ; il aura vraisemblablement fait la preuve de la faisabilité d’une prévision opérationnelle
de l’océan et démontré la qualité des modèles tridimensionnels
de l’océan applicables aux prévisions de l’évolution des climats. Il
serait aberrant et stupide qu’on en restât là, et que tout le savoirfaire acquis se perdît, faute d’avoir pris les bonnes décisions au bon
moment pour assurer la pérennité des systèmes d’observation, faute
aussi d’avoir organisé les structures opérationnelles capables d’assurer la continuité de la production. Car rien n’est acquis : il n’existe
pas de système opérationnel d’observation des océans comparable
à ce qui existe pour la météorologie, sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale, agence des Nations Unies. Dans
la plupart des pays, les systèmes d’observation de l’océan sont mis
en œuvre par des laboratoires de recherche sur des budgets de
recherche, sans la garantie de continuité et de service qui incombe
aux équipes opérationnelles. Les systèmes spatiaux sont particulièrement critiques, d’abord parce qu’ils sont essentiels dans le
dispositif, ensuite parce que, entre la prise de décision d’un projet
satellitaire et le lancement, il faut compter une période de cinq à dix
ans. Le calendrier à tenir est donc crucial, et les décisions doivent
être prises à temps pour éviter les interruptions dans les mesures
de paramètres dont la continuité est essentielle. Ainsi l’altimétrie satellitaire : actuellement, il existe trois altimètres embarqués
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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(Jason 1, GFO et Envisat), mais aucune décision n’était encore
prise début 2006 pour s’assurer qu’il n’y aura pas d’interruption
lorsque ces missions seront arrivées à leur terme vers 2008. Rien
ne le garantit actuellement et rien ne le garantira tant que l’observation de l’océan ne sera pas passée au stade vraiment opérationnel
comme l’est celle de l’atmosphère pour la prévision météorologique.
Rien ne garantit non plus la pérennité du programme ARGO audelà de la même date, pas plus que celle de la plupart des centres
expérimentaux de traitement participant actuellement au projet
GODAE. Tout cela doit être consolidé ; les décisions relèvent du
politique, et il y a urgence.
Géoscopie
L’océan est un exemple, mais c’est toute la planète qu’il faut
considérer : ne soyons pas étroitement « océanocentrés ».
La Terre évolue à toutes les échelles de temps : depuis
celle de la dynamique du manteau, qui « gère » la tectonique
des plaques et modèle continents et océans, jusqu’à celle de
l’atmosphère, qui fait la pluie et le beau temps au jour le jour.
Toutes ces échelles sont interconnectées, et l’on peut remonter
de la météorologie à la tectonique des plaques : les circulations
atmosphériques et océaniques – donc les climats sur terre – ne
seraient pas ce qu’ils sont si océans et continents avaient une autre
configuration. Les études paléoclimatiques l’ont bien montré.
On peut sans doute dire que la Terre est la plus complexe et
la plus « dynamique » des planètes connues, celle qui évolue le
plus rapidement ; la seule aussi où la vie participe activement à
cette évolution. Scientifiquement, c’est donc, objectivement, la
planète la plus intéressante à étudier. D’un point de vue égoïstement anthropocentrique, elle doit avoir la priorité : que l’on
envoie des sondes explorer Mars maintenant ou dans cent ans,
les choses n’y auront pas beaucoup changé, alors que, sur terre,
ces compartiments qui nous concernent directement – biosphère,
atmosphère, hydrosphère – risquent d’être profondément modifiés à notre détriment.
La Terre commence à devenir scientifiquement « planète »
avec l’Année géophysique internationale de 1957-1958, qui tente
pour la première fois d’analyser globalement les inter­actions
entre les enveloppes supérieures de la Terre et le rayonnement
solaire. Coïncidence, le premier satellite artificiel est lancé en
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Conclusion
octobre 1957. L’ère spatiale de l’observation de la Terre va
pouvoir commencer. L’empreinte du pied d’Armstrong sur la
Lune est peut-être moins importante que cette image de la Terre,
que nous voyions pour la première fois de l’extérieur. Observée
comme ses consœurs depuis l’espace, elle peut enfin devenir une
planète à part entière.
L’étude de l’évolution du climat et de ses conséquences
sur l’homme et son habitat nous contraint à étudier le « système
Terre » en privilégiant les échelles temporelles de la décennie à
quelques siècles, comme la dynamique et le couplage de ses enveloppes supérieures : atmosphère, surfaces continentales, océans,
cryosphère, biosphère, ainsi que leurs relations avec la source
d’énergie qui les anime, le rayonnement solaire.
« Après moi, le déluge », aurait dit Louis XV. Ne pas
mettre en place les systèmes pérennes d’observation de la Terre
revient à faire nôtre cette maxime, tant il est certain que, sans
eux, les connaissances feront défaut pour améliorer constamment
les simulations et les scénarios d’évolution. Ils sont nos meilleurs
outils d’anticipation.
Pourquoi pas un projet mondial mobilisateur d’observation
de la Terre : « Géoscopie » ? Cela sera peut-être le résultat du
programme GEOSS.
GEOSS : Global Earth Observation System of Systems
Lors du troisième Sommet sur l’observation de la Terre du
16 février 2005, à Bruxelles, soixante et une nations et qua­rante
organisations internationales ont adopté un plan ­stratégique
décennal pour la mise en place d’un réseau mondial de systèmes
d’observation de la Terre (GEOSS). C’est l’heureuse conclusion
d’une initiative prise aux États-Unis en 2003. Des bénéfices pour
les sociétés sont attendus dans neuf domaines :
•
l’amélioration des prévisions météorologiques ;
•
la protection et la surveillance des ressources marines ;
•la réduction des pertes en vies humaines et en biens dans
les catastrophes naturelles ;
•la prédiction de la variabilité climatique et du changement
global, de manière à prendre les mesures nécessaires pour
en atténuer les effets ;
•la promotion d’une agriculture et d’une exploitation forestière durables, et la lutte contre la dégradation des sols ;
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•la compréhension des effets de l’environnement sur la
santé ;
•
le développement des capacités de prévision écologiques ;
•
la protection et la surveillance des ressources en eau ;
•
la surveillance et la gestion des ressources énergétiques.
La tâche est immense, et les systèmes d’observation nécessaires
d’une grande variété. Certains existent déjà de manière opérationnelle, d’autres sont au stade expérimental – comme on l’a vu
pour l’océan –, d’autres enfin n’existent pas du tout. Il s’agit, dans
le cadre de GEOSS, de compléter les systèmes, de les rendre
opérationnels et de les mettre en réseau, de manière qu’il n’y ait
pas de barrière et que les données d’un système soient accessibles
à tous les systèmes du « réseau de systèmes ». Ainsi disposeronsnous d’une « géoscopie » permanente et des outils nécessaires à la
prévision de l’évolution de la Terre. Les systèmes d’observation
et de modélisation de l’océan seront évidemment de la partie,
et notre connaissance du Gulf Stream – pour y revenir – s’en
trouvera améliorée.
Cette décision est de bon augure : soyons optimistes et
faisons le pari qu’il n’y aura pas loin des intentions à la réalisation
de ce projet.
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Glossaire
Alizés
Vents de secteur est associés aux bords est et équatoriaux des
grandes circulations anticycloniques subtropicales de l’atmosphère. Ils entraînent les courants Équatoriaux Nord et Sud.
Altimétrie
Mesure par radar, au centimètre près, depuis un satellite, de la
distance entre le satellite et la surface de la mer. On en déduit
la topographie de la surface de la mer et les courants géostrophiques.
Année géophysique internationale
Programme international d’étude coordonnée des divers compartiments physiques de la planète (géosphère, atmosphère, océans,
cryosphère) qui s’est déroulé en 1957 et 1958. Ce fut, pour
l’océanographie, le premier programme de coopération internationale.
Anomalie
Écart entre la valeur d’un paramètre à un moment donné et sa
valeur moyenne.
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190
Glossaire
Anticyclone
Zone de haute pression atmosphérique.
Anticyclonique (circulation)
Mouvement horizontal tourbillonnaire dans le sens des aiguilles
d’une montre dans l’hémisphère Nord, en sens inverse dans l’hémisphère Sud, autour des zones de haute pression océanique ou
atmosphérique.
Aquarius
Satellite pour la mesure de la salinité de la surface de l’océan dont
le lancement est prévu en 2008-2009.
ARGO
Expérience liée au programme GODAE de déploiement, dans
tout l’océan, de milliers de flotteurs dérivant à 2 000 m de profondeur et remontant régulièrement à la surface en mesurant les
paramètres hydrologiques (température, salinité). On escompte
3 000 flotteurs en 2006 pour effectuer 100 000 profils hydrologiques par an.
Benthique
Qualifie les organismes ayant un lien avec le fond, par opposition
avec pélagique (en pleine eau).
Biome
Vaste entité biogéographique définie à terre par ses caractéristiques climatiques et ses populations végétales et animales. Dans
l’océan, ce sont les paramètres contrôlant la dynamique de la
couche superficielle qui permettent de les définir.
Bloom
voir Floraison planctonique printanière
Catabatiques (vents)
Les vents catabatiques sont générés par la gravité. L’air très froid
au cœur des glaciers est très dense et s’écoule, sous l’action de son
propre poids, en suivant la pente du glacier vers sa périphérie.
Ces vents peuvent atteindre 200 km/h.
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Cellule (ou circulation) de Hadley
Circulation atmosphérique méridienne marquée par l’ascendance
d’air chaud et humide (convection) au-dessus de la zone intertropicale de convergence et par sa subsidence au-dessus des aires de
haute pression, au cœur des anticyclones subtropicaux.
CIEM
Conseil international pour l’exploration de la mer. Créé en 1902,
le CIEM est la première organisation océanographique internationale. Il a pour objectif la préservation des écosystèmes de
l’Atlantique Nord, des mers adjacentes et de leurs ressources.
Circulation thermohaline
Circulation profonde des océans, dont le moteur est la plongée
d’eaux de surface ayant acquis des densités très élevées du fait de
leur refroidissement et/ou de l’augmentation de leur salinité.
CIUS
Conseil international pour la science (anciennement Conseil
international des unions scientifiques). Ce conseil est une organisation non gouvernementale qui rassemble les Académies des
sciences ou Conseils de recherche nationaux.
Climap
Programme consacré, dans les années 1970-1980, à la reconstitution des conditions océaniques qui régnaient aux précédentes
périodes glaciaire et interglaciaire.
CLIVAR
Climate variability. Programme du PMRC lancé en 1993 pour
une durée de quinze ans. Il est consacré à l’étude des variations
climatiques à toutes les échelles de temps et de la réponse du
système climatique à l’accroissement des gaz à effet de serre. Pour
l’océan, il prolonge les programmes TOGA et WOCE.
COI
Commission océanographique intergouvernementale. Elle est
chargée, au sein de l’UNESCO, des programmes de recherche
sur le milieu marin.
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Glossaire
Contre-courant Équatorial
Courant dirigé vers l’est, situé entre les courants Équatoriaux
Nord et Sud, le long de l’équateur météorologique.
Convection
Phénomène de plongée des eaux de surface ayant acquis de fortes
densités par refroidissement et/ou augmentation de la salinité.
Ce phénomène génère les masses d’eau profondes de l’océan et
constitue le moteur de la circulation thermohaline.
Convergence
Zone, au sein d’un courant ou le plus souvent à la limite entre
deux courants, vers où confluent les eaux de surface et qui génère
un approfondissement de la thermocline.
Conveyor belt
voir Tapis roulant
Coriolis
voir Force de Coriolis
Couche de mélange
Couche de surface, homogénéisée par le vent, qui surmonte la
thermocline.
Couche euphotique
Étymologiquement : couche bien éclairée. C’est la couche de
surface délimitée par la profondeur à laquelle ne parvient que
1 % de la lumière reçue en surface.
Couleur de l’océan
Spectre de la lumière rétrodiffusée par la surface. Elle dépend des
particules et substances contenues dans l’eau, notamment de la
chlorophylle du phytoplancton. On la mesure par satellite, et on
en déduit la richesse en phytoplancton de la mer.
Courant Circumpolaire Antarctique
Courant qui, entraîné par les vents d’ouest, circule autour du
continent Antarctique entre 65 et 45°S.
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Courantomètre à effet Doppler
ADCP (Acoustic Doppler Current Profiler) : instrument permettant de mesurer des profils continus de courant par effet Doppler.
La fréquence du signal acoustique réfléchi par les particules transportées dans le courant dépend de la vitesse du courant dans la
couche où celles-ci se trouvent.
Courants de bord ouest
Courants intenses coulant dans tous les gyres le long des frontières ouest des bassins océaniques.
Courants Équatoriaux Nord et Sud
Courants qui, entraînés par les alizés, traversent les océans Atlantique et Pacifique d’est en ouest, de part et d’autre de la zone
intertropicale de convergence – qui est généralement au nord
de l’équateur. Ce qui fait que le courant Équatorial Sud coule le
long de l’équateur.
Cryosphère
Ensemble du compartiment glace de la Terre, qui comprend les
grandes calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland, les
glaciers de montagne et la banquise.
Cyclonique (circulation)
Mouvement horizontal tourbillonnaire de l’atmosphère ou de
l’océan qui s’effectue dans le sens contraire des aiguilles d’une
montre dans l’hémisphère Nord et inversement dans l’hémisphère Sud, autour des zones de basse pression atmosphérique
ou océanique.
CZCS
Coastal Zone Color Scanner. Instrument de mesure de la couleur
de la mer, mis au point par la NASA et embarqué sur satellite,
qui a fonctionné de 1978 à 1986.
Dansgaard-Oeschger (cycles)
Oscillations climatiques au cours de la dernière période glaciaire,
que les carottes glaciaires ont mises en évidence. Il y correspond
des pics de réchauffement d’un à trois mille ans.
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Glossaire
Densité
On devrait dire « masse spécifique ». C’est la masse par unité
de volume. Elle dépend dans l’océan de la température et de la
salinité.
Diffusiomètre
Radar embarqué sur satellite qui permet d’évaluer vitesse et
direction du vent à la surface de la mer par analyse du signal
rétrodiffusé, dont l’intensité dépend de l’agitation par le vent de
la surface de la mer.
Divergence
Zone de séparation des eaux de surface, au sein d’un courant ou
le plus souvent à la limite entre deux courants, qui génère une
remontée de la thermocline.
D‑O
Pour Dansgaard-Oeschger.
Doppler
voir Courantomètre à effet Doppler
Dryas récent
Brusque refroidissement intervenu il y a douze mille ans, en
pleine période de déglaciation.
Ekman
voir Théorie d’Ekman
ENVISAT
Satellite d’observation de la Terre de l’ESA, lancé le 1er mars
2002. Il a à son bord un radiomètre qui mesure la température
de surface, un altimètre et un instrument de mesure de la couleur
de l’océan.
EPNA
Eau profonde Nord-Atlantique. Masse d’eau formée dans la zone
de convection de l’Atlantique Nord et qui s’écoule dans l’océan
vers 3 000 m de profondeur. Moteur de la circulation thermohaline et du « tapis roulant ».
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Équateur météorologique
voir Zone intertropicale de convergence
Équilibre géostrophique
Hypothèse qui stipule l’équilibre entre la force horizontale de
pression et la force de Coriolis. On en déduit, avec une très bonne
approximation, la circulation océanique.
ERS 1 et 2
Satellites d’observation de la Terre et des océans de l’Agence
spatiale européenne, lancés respectivement en 1991 et 1995.
ESA
European Space Agency – Agence spatiale européenne.
Eulerien
Caractérise la mesure de courant en un point fixe – courantomètre sur un mouillage, par exemple.
Floraison planctonique printanière
Développement très rapide du phytoplancton au printemps,
lorsque les conditions d’éclairement, de stabilité et de disponibilité des nutriments sont remplies.
Foraminifères
Protozoaires pélagiques ou benthiques à squelette calcaire. L’analyse de la composition isotopique du carbone et de l’oxygène de
leur squelette dans les couches sédimentaires océaniques permet
de reconstituer la température de la surface de la mer (espèces
pélagiques) et l’âge des eaux profondes (espèces benthiques) à
l’époque où ils vivaient.
Forçages
Expression qui désigne les éléments extérieurs intervenant dans
la circulation océanique : vent, échanges thermiques avec l’atmosphère, etc.
Force de Coriolis
Traduction de l’effet de la rotation de la Terre sur tout corps en
mouvement. Elle provoque une déviation des courants marins
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Glossaire
vers la droite dans l’hémisphère Nord et vers la gauche dans
l’hémisphère Sud. Nulle à l’équateur, l’intensité de cette force
augmente avec la latitude.
Gaz à effet de serre
Gaz qui ont la propriété d’absorber le rayonnement infrarouge
émis par la Terre et de réchauffer ainsi l’atmosphère. Le plus
abondant d’entre eux est la vapeur d’eau, qui assure ainsi, à la
surface de la Terre, une température moyenne de 15 °C vivable
pour l’homme. Homme qui produit d’autres gaz à effet de serre
(gaz carbonique, méthane, CFC), au risque d’introduire dans le
système une perturbation préjudiciable à l’évolution du climat.
GEOSAT et GFO
Satellites altimétriques de la marine américaine. Le premier a
fonctionné de 1986 à 1990, l’actuel (GFO) a été lancé en 1998.
GEOSS
Global Earth Observation System of Systems. Initiative du G8 pour
mettre en place un réseau mondial des systèmes d’observation de
la Terre. Projet adopté au troisième Sommet sur l’observation de
la Terre à Bruxelles, en février 2005.
Géostrophie
voir Équilibre géostrophique
GIEC
Groupe intergouvernemental pour l’étude du climat. Créé en
1988 pour évaluer, à partir de l’information scientifique disponible, l’évolution du climat, ses impacts et les mesures d’adaptation à prendre, il a publié son troisième rapport en 2001.
GIN
Nom donné à la région de formation d’eaux profondes des
mers du Groenland et de Norvège. Pour Groenland-IslandeNorvège.
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GLOBEC
Global Ocean Ecosystem Dynamics. Programme du PIGB consacré
à l’étude de la dynamique des écosystèmes marins et de leur
­variabilité.
GODAE
Global Ocean Data Assimilation Experiment. Première expérience d’« océanographie opérationnelle ». Elle s’est déroulée de
2003 à 2005, pour tester la faisabilité d’une prévision océanique
­opérationnelle.
GOOS
Global Ocean Observing System. Système d’observation systématique de l’océan en cours de développement sous les auspices de
la COI.
GSA
Great Salinity Anomaly. Apparition en surface d’importantes
masses d’eau peu salée qui circulent pendant plusieurs années
dans l’Atlantique Nord. Ces anomalies sont dues soit à un débordement des glaces de l’Arctique par le détroit de Fram, soit à une
arrivée d’eau douce et de glaces, par l’archipel arctique canadien
et la mer de Baffin, en mer du Labrador.
GSNW
Gulf Stream North Wall. Indice qui permet de repérer les variations de la position en latitude du Gulf Stream.
Gyre
Désigne généralement les grandes boucles de circulation océanique associées aux grands anticyclones subtropicaux des océans
Atlantique et Pacifique.
Heinrich (événements)
Oscillations climatiques de la dernière période glaciaire qui se
sont répétées à intervalles de sept mille à dix mille ans. Ces événements ont été détectés grâce aux débris rocheux amenés par les
icebergs et retrouvés dans les sédiments marins. Y correspondent
les épisodes les plus froids de la période glaciaire.
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Glossaire
Hydrologie
Caractérisation de l’eau de mer par sa température, sa salinité et
sa pression. On parle de station hydrologique : mesure du profil
hydrologique en un point ; ou de section hydrologique : ensemble
de stations effectuées sur un parcours donné.
IMBER
Integrated Marine Biogeochemistry and Ecosystem Research.
Programme du PIGB destiné à comprendre et prévoir les
réponses des écosystèmes marins au changement global, ainsi
que leurs conséquences, en retour, sur le « système Terre » et les
sociétés humaines.
IRD
Ice Rafted Debris. Débris continentaux, transportés par les
icebergs, que l’on retrouve dans les sédiments océaniques. Ils
ont permis d’identifier les événements de Heinrich.
Isopycne
Ligne ou surface d’égale densité.
Jason 1
Satellite franco-américain d’altimétrie lancé en décembre 2001.
JGOFS
Joint Global Ocean Flux Studies. Programme du PIGB consacré à
l’étude du cycle océanique du carbone (1987-2003).
Lagrangien
Caractérise la mesure de courant prise en suivant un flotteur
dérivant.
Leptocéphales
Larves d’anguilles. C’est en mer des Sargasses que l’on a trouvé
les plus petites, ce qui incite à penser que c’est là que les anguilles
se reproduisent.
Milankovitch (cycle de)
Cycle de variation des paramètres de l’orbite de la Terre autour
du Soleil qui rend compte de l’alternance des périodes glaciaires
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et interglaciaires. C’est la théorie astronomique de l’évolution du
climat élaborée par Milankovitch.
MODE, POLYMODE
Programmes internationaux dédiés, dans les années 1970, à
l’étude des tourbillons.
Mouillage
Ligne portant des instruments de mesure ancrée sur le fond.
Mousson
Systèmes de vents alternatifs de l’océan Indien dont la direction
s’inverse, selon les saisons, au rythme des variations de la pression
atmosphérique sur l’Asie centrale.
NAO
NASA
North Atlantic Oscillation. Oscillation qui met en opposition de
phase les variations de pression atmosphérique de l’anticyclone
des Açores et les basses pressions subpolaires (Islande). Elle est
caractérisée par un indice : la différence de pression entre les
Açores et l’Islande. Plus cet indice est élevé et plus la circulation
atmosphérique d’ouest est intense sur l’Europe.
National Aeronautics and Space Administration. Agence spatiale
américaine.
Nutricline
Couche de forte variation de la teneur de la mer en nutriments, en
fonction de la profondeur. Elle est associée à la pycnocline, qui,
limitant le transfert des nutriments vers la couche de mélange,
y limite aussi la production primaire. Dans les situations tropicales typiques à thermocline permanente, la production primaire
– donc les teneurs en chlorophylle – est maximale au sommet
de la nutricline, où la couche riche en nutriment reçoit le plus
d’énergie solaire.
Nutriments
Ensemble des éléments chimiques (hormis le carbone et l’hydrogène) nécessaires à la production de matière vivante. On réserve
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Glossaire
souvent ce terme aux nitrates, phosphates, silicates, qualifiés
parfois aussi de macronutriments, par opposition aux autres
éléments comme le fer, qui interviennent en beaucoup plus faibles
quantités (micronutriments).
OMM
Organisation météorologique mondiale. Agence des
Nations Unies pour coordonner les actions à mener en vue d’une
meilleure prévision météorologique et climatique.
Pélagique
Qualifie le milieu de pleine eau et la vie qui s’y déroule (par
opposition aux espèces benthiques, liées au fond). Le plancton
est pélagique. Le thon, le saumon, l’anchois, la sardine, le hareng
sont des espèces pélagiques.
Photosynthèse
Processus chimique par lequel les végétaux, les algues et certaines
bactéries synthétisent de la manière organique à partir d’eau et
de gaz carbonique en utilisant l’énergie du Soleil.
Voir aussi Production primaire
Phytoplancton
Plancton végétal. C’est l’agent de la production primaire par
photosynthèse.
PIGB
Programme International Geosphere Biosphere. Programme International de recherche sur l’environnement organisé par le CIUS.
Pilot charts
Cartes de navigation sur lesquelles sont portés les vents et les
courants en fonction de la saison.
Plancton
Organismes vivant en pleine eau, dont les capacités de déplacement sont très faibles par rapport aux mouvements de la masse
d’eau.
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201
PMRC
Programme mondial de recherche sur le climat, organisé conjointement par l’Organisation météorologique mondiale, le Conseil
international pour la science et la Commission océanographique
intergouvernementale de l’UNESCO.
POLYMODE
voir MODE
Production primaire
Production de matière vivante à partir d’éléments minéraux et
d’énergie. Ici, l’énergie lumineuse : c’est la photosynthèse.
Production primaire nouvelle
Part de la production primaire alimentée par des apports
­externes de sels nutritifs des couches profondes vers la couche
euphotique.
Production primaire régénérée
Part de la production primaire qui utilise les sels nutritifs régénérés sur place dans la couche euphotique.
Pycnocline
Couche de forte variation de la densité de la mer en fonction
de la profondeur. En général, elle coïncide avec la thermocline.
C’est une couche de grande stabilité, qui limite les mélanges
verticaux et les échanges entre les couches profondes et la couche
de mélange.
Quantité de mouvement
Grandeur vectorielle produit du vecteur vitesse par la masse du
mobile en mouvement.
Rafos
Flotteurs de subsurface munis d’un hydrophone acoustique
qui se positionne par rapport à plusieurs stations émettrices et
retransmet sa trajectoire par satellite en remontant à la surface.
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Glossaire
Recirculation du Gulf Stream
Boucles de circulation, cyclonique au nord du Gulf Stream et
anticyclonique au sud, qui alimentent et renforcent le Gulf Stream
par récupération d’énergie potentielle dans les tourbillons.
Recrutement
En halieutique, on appelle ainsi les poissons qui s’intègrent pour
la première fois à l’ensemble des espèces accessibles à la pêche.
C’est la fraction la plus jeune des poissons que l’on pêche.
Salinité
Masse de sels contenue dans 1 kg d’eau de mer. On l’évalue maintenant en mesurant la conductivité et on l’exprime en ups : unité
pratique de salinité, qui équivaut approximativement à 1 mg/g
de sels. La salinité de l’eau de mer est en moyenne de 35 ups,
soit 35 g/kg.
Sargasses
Algues de plusieurs mètres de long qui flottent par paquets dans
la mer des Sargasses et qui constituent un écosystème très particulier, se maintenant grâce au confinement à l’intérieur de la
boucle anticyclonique de recirculation du Gulf Stream.
SeaWIFS
Satellite de la NASA pour la mesure de la couleur de l’océan.
Sels nutritifs
voir Nutriments
SMOS
Soil Moisture and Ocean Salinity. Satellite capable de mesurer la
salinité de surface des océans, dont le lancement est prévu en
2007.
Subtropical
Caractérise les régions comprises entre les tropiques (~20°) et 40°
de latitude. C’est la région des gyres subtropicaux.
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Surpêche
Pêche excessive au point que le recrutement devient insuffisant
pour maintenir les stocks.
Sverdrup (Sv)
Unité de mesure du débit des courants marins. 1 Sv = 1 million
de m3/s.
Synoptique
Un ensemble d’observations et de mesures visant à décrire un
phénomène océanique ou atmosphérique est considéré ici comme
synoptique si l’on peut considérer que ces informations sont
simultanées par rapport à l’échelle temporelle de variabilité du
phénomène.
Tapis roulant
Représentation schématique de la circulation thermohaline initiée
par la convection dans l’Atlantique Nord et qui transporte, en
profondeur, les eaux de l’Atlantique vers le Pacifique, où elles
remontent pour un retour en surface.
Théorie d’Ekman
Hypothèse qui stipule l’équilibre entre la force d’entraînement
du vent et la force de Coriolis pour expliquer l’angle que font les
courants de surface avec la direction du vent. La spirale d’Ekman
est une représentation des variations du courant entraîné par le
vent en fonction de la profondeur.
Thermocline
Couche de forte variation de la température de la mer en fonction
de la profondeur ; elle sépare la couche de mélange chaude de
surface des couches profondes froides.
Thermohaline
voir Circulation thermohaline
TOGA
Tropical Ocean and Global Atmosphere. Programme de recherche
international mis en place de 1985 à 1995, dans le cadre du
PMRC, pour étudier les processus qui lient les océans tropicaux,
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Glossaire
particulièrement le Pacifique, au climat de la planète aux échelles
pluriannuelles.
Topex-Poseidon
Satellite altimétrique franco-américain, lancé en 1992, qui,
mesurant les variations du niveau de la mer au centimètre près,
permet de déterminer la topographie des océans et d’en déduire
les courants géostrophiques.
Topographie de surface de la mer
Carte du niveau de la mer par rapport à une surface équipotentielle de référence. Les altimètres embarqués sur satellite
permettent d’élaborer de telles cartes. On en déduit les courants
géostrophiques.
Tourbillon
Terme utilisé ici pour désigner les structures tourbillonnaires
caractéristiques de la turbulence océanique à moyenne échelle
(~100 km). Pour les grandes échelles, comme les grandes circulations anticycloniques à l’échelle d’un bassin océanique, on parle
plutôt de « gyre ».
Tourbillon planétaire, tourbillon local
voir Vorticité
Turbulence
Ce terme désigne les fluctuations dans toutes les directions,
autour du mouvement moyen, qui agitent un fluide. La turbulence favorise les mélanges.
Ups
Unité pratique de salinité, mesurée par conductivité. 1 ups est à
peu près égale à 1 mg de sel dissous par gramme d’eau de mer.
Upwelling
Remontée d’eau profonde vers la surface sous l’action du vent,
suivant le schéma d’Ekman. Sur le bord est des océans.
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Vorticité absolue
C’est la somme des vorticités relative et planétaire. C’est une
grandeur qui se conserve.
Vorticité planétaire
Mouvement de rotation de tout corps autour de la verticale du
lieu, en raison de la rotation de la Terre.
Vorticité relative
Tendance à la rotation d’un mobile par rapport à la surface de
la Terre.
WOCE
World Ocean Circulation Experiment. Programme international
du PMRC qui, de 1990 à 2000, a réalisé la première description
mondiale de la circulation océanique.
Zone intertropicale de convergence
Zone où confluent les alizés des deux hémisphères. C’est l’équateur météorologique, qui ne coïncide pas avec l’équateur géographique : il est décalé de quelques degrés vers le nord. C’est le
« pot au noir », zone de convection atmosphérique intense, qui
active la cellule de Hadley.
Zooplancton
Plancton animal qui se nourrit de phytoplancton et de petites
particules.
Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
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Le Gulf Stream – ISBN 978-92-3-203995-8 – © UNESCO 2006
Le Gulf Stream – Bruno Voituriez
Sitôt que l’on évoque le Gulf Stream surgit l’inévitable question :
« Est-ce qu’il risque de s’arrêter ? » Chacun pense alors à une
possible catastrophe climatique qui, en dépit du réchauffement
global, amènerait sur l’Europe des conditions quasi glaciaires.
Cette question embarrasse le scientifique qui, s’il répond
par la négative, dit la vérité, mais ne comble pas l’interrogation
implicite : car l’accident climatique redouté, objet effectif de la
question, n’implique pas l’arrêt du Gulf Stream. D’où la nécessité
d’une explication précise – jugée souvent trop longue et trop
complexe à l’aune des critères médiatiques habituels. Ainsi
perdure la confusion entre deux phénomènes distincts, même
s’ils ne sont pas indépendants l’un de l’autre : le Gulf Stream et
la circulation profonde océanique, dite thermohaline.
« Qu’est-ce que le Gulf Stream ? » est la question à laquelle
répond ce livre : la découverte scientifique du Gulf Stream,
les phénomènes qui en sont la cause, son rôle dans la
dynamique du climat et son impact sur les écosystèmes marins
de l’Atlantique Nord tracent de lui un portrait affranchi des
fantasmes à la mode.
Éditions UNESCO
En répondant scientifiquement aux questions posées par
ce courant réputé grand pourvoyeur de climat tempéré en
Europe, en faisant la part du vrai et du faux, en donnant,
pédagogiquement, toutes les informations permettant de se
faire une idée précise des problèmes et de l’avenir du climat
sur terre, Bruno Voituriez nous livre un outil de réflexion aussi
passionnant qu’éclairant.
)3".
Commission
Océanographique
Intergouvernementale
www.unesco.org/publishing
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