LA CULTURE ET L’IDENTITE DE L’ORGANISATION 1 – Le concept de culture Culture = ensemble de manifestations intellectuelles, de structures, d’idéologies, … qui caractérisent un groupe social. La culture se définit par des contenus (lois, règles) et des comportements. La culture est partagée. La culture est relative (elle existe par rapport à d’autres). Identité = ensemble de caractéristiques qui permettent de reconnaître une personne ou un groupe. L’intériorisation de caractéristiques culturelles confère une identité culturelle à la personne. Plusieurs sources de culture peuvent coexister (nationale, ethnique, religieuse, professionnelle, …). 1.1 – Les cultures nationales. Chaque pays a sa culture, résultant de son histoire. Valeurs partagées (dont règles de fonctionnement social, institutions). La culture nationale s’impose, en particulier, à l’organisation située sur un territoire. Geert HOFSTEDE (né en 1928), psychologue. Distingue 4 dimensions de la culture nationale (étude portant sur 100 000 employés d’IBM dans 50 pays) : - distance hiérarchique (niveau d’acceptation des inégalités de pouvoir) ; - masculinité et féminité des valeurs sociales ; - individualisme et collectivisme (degré d’intégration dans les groupes) ; - relation à l’incertitude (propension à éviter les situations incertaines). Dans certains pays, il existe de même des cultures régionales fortes induisant des particularismes (Espagne, Royaume uni, France notamment). 1.2 – La culture professionnelle La culture professionnelle est la culture d’une collectivité de travail. Renaud SAINSAULIEU (1935 – 2002), sociologue, enseignant L’identité au travail (1977), les relations de travail à l’usine (1982), sociologie de l’organisation et de l’entreprise (1987) Les salariés qui travaillent en commun « élaborent des règles, des valeurs et des pratiques communément admises pour gérer leurs relations de solidarité, d’entraide, de complémentarité technique, de dépendance et d’autorité, de formation et d’information, de contrôle et d’évaluation » : - construction d’une culture ; - l’intériorisation des règles liées à l’exercice d’une profession forge une identité au travail ; - les individus qui partagent une même identité collective constituent une communauté d’action qui génère une stabilité des actions. Sainsaulieu distingue par ailleurs quatre modèles de construction identitaire (d’implication par rapport à l’organisation, voir § 6.2) : - la fusion (caractéristique des emplois peu qualifiés et répétitifs : camaraderie, relations affectives, peu de débat d’idées) ; - la négociation (caractéristique des métiers qualifiés, techniciens et cadres : richesse des relations, collectif démocratique, solidarité et distinction du groupe) ; - l’affinité (caractéristique de la mobilité sociale, affinités sélectives, rapports personnels peu nombreux mais intenses, individualisme, travail = lieu de réussite personnelle) ; - le retrait et la dépendance (caractéristique de l’investissement hors organisation : séparatisme prudent, le travail n’est pas une valeur mais une nécessité économique). Des comportements types issus d’un cadre culturel dominent ainsi certaines catégories d’emplois : Employés de bureau Individualisme (entre retrait et fusion) Techniciens Cadres Entente (négociation tempérée) Affinité (relations personnalisées) Négociation (stratégie) Intégration (dérive vers la fusion) Fondée sur l’industrie des années 60, cette analyse reste valable, mais elle doit être actualisée : - évolution de l’égalité des femmes, intégration des immigrés => retrait ; - crise économique => affinité faute d’opportunités … SAINSAULIEU, FRANCFORT, OSTY, UHALDE (Les mondes sociaux de l’entreprise – 1995) soulignent la réalité de la culture professionnelle. Fondée sur le marché, le métier, la communauté. Reflet d’un passé professionnel commun source de statut, de reconnaissance sociale, de façon de penser et d’agir. La culture de métier peut être accentuée par une culture de secteur (public, privé, pointe, …). 2 – Culture de l’organisation 2.1 – La culture organisationnelle La culture d’entreprise (ou culture organisationnelle) est une notion développée à partir des années 80 (voir § 5.8). La culture d’entreprise est influencée par les cultures nationale, régionale, professionnelle. En tant que groupe humain, l’organisation développe une culture qui influence le comportement de ses membres. La culture organisationnelle est un phénomène collectif : - c’est une construction sociale évolutive résultant d’un apprentissage ; - elle inclut des symbolismes (moyens d’échange parfois peu compréhensibles de l’extérieur) ; - c’est un facteur de continuité (héritage, transmission) et de cohérence interne qui contribue au fonctionnement de l’organisation. Effets de la culture Sources de culture Culture nationale, régionale Culture professionnelle Personnalité des dirigeants et fondateurs Histoire de l’organisation (événements) Améliore la communication et la coordination interne Culture de l’organisation Cohérence du groupe Aide à aller vers l’objectif Edgar H. SCHEIN (né en 1928), psychologue, enseignant. Organizational Culture and Leadership (1985) Pour Schein « La culture (d’entreprise) est l’ensemble des hypothèses fondamentales qu’un groupe donné à inventé, découvert ou constitué en apprenant à résoudre ses problèmes d’adaptation à son environnement et d’intégration interne ». La culture se manifeste à trois niveaux : - artefacts (phénomènes observables : comportements réguliers, climat, …) difficiles à déchiffrer ; - valeurs affichées ; - postulats, hypothèses et croyances (principes puissants, implicites), invisibles mais pouvant se déduire de l’écart entre artefacts et valeurs. Le climat organisationnel est la manifestation de la culture organisationnelle. Pour DESHPANDE et WEBSTER (1989) la culture organisationnelle est un « Modèle partagé de valeurs et de croyances qui permet aux individus de comprendre le fonctionnement organisationnel et ainsi leur transmet les normes de comportement souhaitées au sein de l’organisation ». William OUCHI (voir §7.3), partant d’une comparaison des modèles économiques japonais et occidentaux, propose un modèle culturel de clan comme mécanisme de régulation de l’organisation. Dans la théorie Z d’Ouchi, l’humain est déterminant : - l’occident doit s’inspirer du modèle japonais (intimité des rapports dans l’entreprise, l’emploi doit se concevoir à long terme, avec des promotions plus lentes, une prise en compte de l’expérience, de la sagesse, reconnaissance de la performance collective) ; - les décisions sont participatives et prises par consensus (mais avec une responsabilité unique) ; - les rapports hiérarchiques sont établis sur un pied d’égalité (humain). => Homogénéité culturelle formant un clan, où chacun peut faire comme il souhaite, en autonomie. => Changer le comportement passe par un changement de culture. => Inconvénients : perte de professionnalisme, peur de l’étranger, rejet de l’hétérogénéité. 2.2 – Les attributs de la culture organisationnelle Maurice THEVENET, professeur de management Audit de la culture d’entreprise (1986), La culture d’entreprise (2006) Propose une démarche d’audit culturel de l’entreprise par l’analyse de ses composantes : Composante Mythes et histoires sur l’organisation et ses fondateurs Etapes de l’histoire de l’organisation Métiers Valeurs Croyances et normes Signes, symboles et rites Exemples Personnages, fondateurs, défis, aventures, légendes, convictions, musée Identification, « j’y étais » Evénements, développement, structures, environnement Perception du métier, activités, savoir-faire - Déclarées (officielles), apparentes (choix des héros, des dirigeants, ce qui est jugé réussi), opérationnelles (procédures, évaluations). - Règlement, interdits, système de sanction et récompenses, charte de conduite, … Idées générales sur le milieu, règles de comportement, horaires, … - Langage, tutoiement, cérémonies, habillement, intégration, organisation des bureaux , … Affichage de l’appartenance, communication, instrument de pouvoir 3 – Le management culturel 3.1 – Les enjeux La culture d’entreprise cimente l’organisation, lui donne une identité et peut réduire les conflits internes : - les valeurs, les symboles et les normes de comportement permettent aux membres du groupe de comprendre rapidement les situations et de se coordonner ; - le langage facilite la circulation des informations et la précision des messages, il est aussi un signe de reconnaissance qui favorise le sentiment d’appartenance ; - les mythes, les héros renforcent les valeurs communes et peuvent étayer le pouvoir ; - les rites soulignent l’appartenance au groupe et peuvent renforcer la position des détenteurs du pouvoir. Pour Edgar SCHEIN, la réussite du leadership dépend de la gestion de la culture d’entreprise. Le management peut agir sur la culture d’entreprise et guider son changement. La culture contribue à l’obtention d’un consensus décisif pour atteindre les objectifs et à de meilleures décisions. Le consensus s’appuie sur : - la mission (pourquoi l’entreprise ?) ; - les objectifs (à spécifier pour chacun) ; - les moyens pour atteindre les objectifs (dont incitations) ; - la mesure des progrès (par retour d’information) ; - les stratégies applicables en cas de difficulté. La maîtrise des orientations culturelles de l’organisation est un outil managérial favorisant la mobilisation autour d’objectifs communs. La culture d’entreprise est considérée, depuis les années 80, comme une dimension du management, parfois placée dans les valeurs clés de l’organisation. Les valeurs culturelles sont un guide pour l’action (canalisation des initiatives, compréhension des situations, …). Elles peuvent aider à la performance. La culture peut résulter d’actions conscientes. => Des actions phares et / ou diffuses doivent être menées, de façon continues et soutenues par la direction. Exemple de moyens utilisables pour contrôler l’évolution de la culture organisationnelle : - recrutement de personnes pouvant intégrer la culture souhaitée (acculturation = processus d’assimilation de la culture d’un groupe permettant de s’y intégrer sans conflit) ; - formation ; - incitations et contrôles ; - projet ou concept d’entreprise, officialisation de systèmes de valeurs, comités de suivi ; - gestion des carrières, … Le management pluriculturel (ou interculturel) pose une problématique spécifique. Eviter les conflits et favoriser la communication (composition des équipes, définition d’objectifs communs, affectation de territoires, acceptation des différences, …). Favoriser l’innovation grâce aux différences (différences de point de vue, d’approche des problèmes, apports culturels spécifiques). Exploiter le multiculturalisme générationnel, régional ou national (adaptation aux marchés, échange de cultures, de façons de travailler). 3.2 – Quelques outils du management culturel Projet d’entreprise = construire un système de valeurs partagé et conforme aux besoins de l’activité de l’entreprise. Outil de management participatif et moyen d’exercer le pouvoir. Faire comprendre les finalités de la direction et élaborer un projet commun. Vision prospective, intégrant plusieurs scénarios, si nécessaire. Outil de communication : - formalisation de l’entité, des finalités, des valeurs, d’un système de référence basé sur la culture de l’entreprise ; - clarification de l’entreprise et de ses finalités ; - échange véritable avec le personnel dans un objectif d’adhésion aux valeurs ; - attribution d’une image à l’entreprise, pour l’intérieur et l’extérieur. Le projet doit faire l’objet d’un suivi. Entreprise citoyenne = mener l’activité en assumant sa responsabilité sociale et en contribuant à la bonne marche de la société. Comportement éthique => déontologie (voir §7.2). RSE (voir §3.4). Respect des parties prenantes (voir §3.2). 3.3 – Les limites du management culturel Une culture d’organisation forte peut induire une certaine inertie face aux évolutions : - perte de flexibilité ; - résistance au changement (voir nécessité d’un choc de « dégivrage » ou « décristallisation », §6.3). - persistance de routines culturelles, résurgences. Les cultures basées sur l’échange, le décloisonnement, la participation et la communication acceptent plus favorablement le changement. La culture peut générer des affrontements contre-productifs en cas de regroupement d’organisations (fusion). Voir toutefois la possibilité de phénomènes positifs d’émulation. La culture des hommes et l’identité des salariés peuvent s’opposer à la culture de l’organisation. Voir la qualité du recrutement. Voir les problèmes d’implantation internationale (§ 8.6). Des pressions culturelles excessives peuvent être parfois exercées : - asservissement psychologique des employés, pression abusive, inféodation aux pratiques du métier ou de l’entreprise ; - organisations sectaires (abus d’utilisation de la représentation parentale) ; - adhésion sans frein au courant de pensée libéral et pression de la mondialisation.