Thé vert et Cancer de prostate

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N°2 Juin 2006
ACTUALITÉ DU
Thé Vert et Cancer de Prostate
➢ Dr Nicolas Doumerc, Interne en Urologie,
Service d'Urologie et de Transplantation rénal, CHU Rangueil, Toulouse
E
I. UN PEU D’HISTOIRE
n 2737 avant notre ère, quelque part
en Chine, et plus précisément sous
un arbre, se reposait l’empereur
Shennong, créateur d’une médecine
préventive principalement à base de
plantes : la médecine chinoise de l’époque. Ce jour là, il faisait bouillir de
l’eau afin de la purifier lorsqu’une bise
se leva et fit tomber trois feuilles dans
cette eau frémissante. Il la vit alors
changer de couleur et fut réjoui du parfum qui s’engageait. Il décida de goûter
et découvrit un breuvage à la fois riche
en arômes et aux nombreuses vertus :
le thé.
II. LES DIFFÉRENTS TYPES
DE THÉ
Il existe schématiquement trois grands
types de thé : le thé Noir, le thé Oolong
et le thé Vert. Tous sont issus de la
même feuille : camelia sinensis . La
seule différence se situe dans leur
mode de préparation : fermenté pour le
thé Noir, bouilli pour le thé Vert et l’association des deux procédés pour le thé
Oolong . Le fait de faire bouillir la
feuille induit l’inactivation des enzymes de dégradation des polyphénols,
principes actifs du thé Vert.
III. LES PRINCIPES ACTIFS
DU THÉ VERT
Le thé Vert est riche en polyphénols.
Au sein de cette grande famille d’antioxydants, les flavonoïdes et notamment les catéchines sont majoritairement représentées. Parmi ces catéchines,
l’épigallocatéchine-3-gallate
(EGCG) est le composé majoritaire et le
plus actif du thé Vert.
IV. L’ÉPIDÉMIOLOGIE :
POINT DE DÉPART DES
TRAVAUX DE RECHERCHE
FONDAMENTALE
Comme souvent en médecine, l’épidémiologie a été à l’origine de l’intérêt
scientifique suscité par le thé Vert. En
effet, le simple constat des faibles taux
d’incidence du cancer de prostate
dans les pays asiatiques a conduit à
s’intéresser au thé, qui par delà son
ancrage culturel dans les habitudes alimentaires de ces populations, représentait un excellent modèle d’étude des
facteurs environnementaux en cancérogénèse.
V. LES ÉTUDES
ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Deux grandes études épidémiologiques font référence. Une équipe
canadienne avait initialement pour
objectif d’étudier les relations existant
entre cancer de prostate et alcool
auprès de 617 patients. Un tel lien n’a
bien sûr pas été démontré (OR=0,89
ns). Par contre, les auteurs ont mis en
évidence un effet protecteur du thé vert
vis à vis du cancer de prostate (CaP)
(OR=0,70) (1). Une autre équipe, australienne, s’est intéressée aux habitudes alimentaires de 404 patients du
Sud-Est chinois, répartis en un bras
CaP (n=130) et un bras contrôle
(n=274). L’effet protecteur du thé Vert a
été clairement établi (OR=0,28), ce
d’autant plus que le temps de consommation était supérieur à 40 ans
(OR=0,12) et que la consommation
quotidienne dépassait 3 tasses
(OR=0,27) (2).
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VI. LES ESSAIS CLINIQUES
Il n’existe qu’un seul essai clinique à
ce jour publié. C’est une équipe du
Minnesota qui a mené un essai de
phase II visant à évaluer l’effet de 6 gr
quotidien de thé Vert sur le taux PSA,
auprès de 42 patients asymptomatiques porteurs d’un cancer de prostate
métastatique hormono-indépendant.
Un seul patient a présenté une diminution de 50% du marqueur à 1 mois (3).
VII. LES MÉCANISMES
MOLÉCULAIRES IMPLIQUÉS
L’EGCG est une molécule pro-apototique, inhibitrice de la croissance cellulaire et anti-angiogénique. Les
mécanismes moléculaires impliqués
sont multiples, bien connus et énumérés dans le Tableau 1.
VIII. L’EXPÉRIMENTATION
ANIMALE
Les études expérimentales chez le petit
animal sont nombreuses sur les modèles de mélanome, de cancer colo-rectaux, ovariens, mammaires et bronchiques. Elles confirment les propriétés
anti-tumorales de l’EGCG.
En revanche, on ne retrouve que peu
de travaux sur les modèles animaux de
cancer prostatique. Gupta a montré
une inhibition de la croissance tumorale accompagnée d’une augmentation
significative de la survie chez les souris transgéniques TRAMP (développant spontanément des adénocarcinomes prostatiques après double invalidation de p53 et de erB) traitées par
EGCG par voie orale (4) . Liao a mené
des travaux sur la souris Nude (athy-
ACTUALITÉ DU
MOMENT
Thé Vert et Cancer de Prostate
thématique de recherche suscitant
actuellement un intérêt croissant :
« Nutrition et Cancer » (Figure 4) (7).
Tableau 1. Mécanismes moléculaires
impliqués dans l’action de l’EGCG
MÉCANISMES MOLÉCULAIRES
• Apoptose par fragmentation
Paschka, 1998 (8)
• Anti-prolifératif Arrêt du cycle en G0/G1
Gupta, 2000 (9)
• Inhibition du protéasome, inducteur
d’apoptose (Bax)
Smith, 2002 (10)
• Blocage du cycle cellulaire en phase
G0/G1
Adhami 2003 (11)
• Apoptose par stabilisation de P53 et
régulation négative de Bcl-2
Hastak, 2003 (12)
• Inhibiteur naturel de la fatty acid synthase induisant une apoptose uniquement
chez
les cellules cancéreuses
Brusselmans, 2003 (13)
• Inhibition de COX-2
Hussain, 2005(14)
• Inhibiteur des métalloprotéinases
Adhami 2003(11) Pezzato, 2004(15)
• Inhibiteur du VEGF
Adhami, 2003(11)
• Inducteur de 16 gènes et répresseurs
de 9 gènes en c DNA Arrays
Wang, 2002(16)
mique) en testant l’efficacité de l’EGCG
par voie intra-péritonéale (IP) sur des
xénogreffes hétérotopiques (sous-cutanées) de cellules PC3. A 15 jours de
l’implantation, les souris étaient traitées par injection IP quotidienne
d’EGCG. La régression du volume
tumoral pouvait être considérée
comme totale après 14 jours de traitement (Figure 1). Il n’existe pas d’étude
évaluant les propriétés anti-tumorales
de l’EGCG dans le cadre de xénogreffes
orthotopiques (prostatiques) (5).
IX. L’EXPÉRIENCE
TOULOUSAINE
Les propriétés chimiopréventives de
l’EGCG sur la maladie métastatique
prostatique devaient être mises en évidence sur les modèles murins orthotopiques, modèles se rapprochant le plus
des situations cliniques chez l’homme.
Nous avons pour cela répartis 10 animaux en 2 groupes : le premier traité
par EGCG par voie orale (dilué dans
l’eau de boisson) et le deuxième, groupe témoin, non traité. La xénogreffe
orthotopique a été réalisée 3 semaines
après le début du traitement à l’aide de
N°2 Juin 2006
REFERENCES
1. Jain MG, Hislop GT, Howe GR, Burch JD,
Ghadirian P. Alcohol and other beverage use and
prostate cancer risk among Canadian men. Int J
Cancer 1998;78(6):707-711.
2. Jian L, Xie LP, Lee AH, Binns CW. Protective effect
of green tea against prostate cancer: a case-control
study in southeast China. Int J Cancer 2004 ; 108
(1):130-135.
3. Jatoi A, Ellison N, Burch PA, Sloan JA, Dakhil SR,
Novotny P, Tan W, Fitch TR, Rowland KM, Young
CY, Flynn PJ. A phase II trial of green tea in the
treatment of patients with androgen independent
metastatic prostate carcinoma. Cancer 2003; 97(6) :
1442-1446.
4. Gupta S, Hastak K, Ahmad N, Lewin JS, Mukhtar
H. Inhibition of prostate carcinogenesis in TRAMP
mice by oral infusion of green tea polyphenols.
Proc Natl Acad Sci U S A 2001;98(18):10350-10355.
Figure 1. Tumeur (PC-3)après 14 jours
d’évolution (1) Tumeur (PC-3) après 14
jours de traitement par EGCG intrapéritonéal (2).
cellules PC-3 exprimant de façon stable
la protéine verte fluorescentes GFP. Les
souris Nude ont été sacrifiées 3 semaines plus tard et expertisées par technique de stéréomicroscopie numérisée
de fluorescence, puissant outil de
détection des cellules cancéreuses dans
les organes examinés (Figure 2)
(Pchejetski, 2005 #6). Le poids des
tumeurs primitives ainsi que le bilan
d’extension au sacrifice sont présentés
dans le tableau 2 Figure 3. De manière
synthétique, les souris traitées par
EGCG ont des tumeurs primitives
significativement plus petites et sont
moins métastatiques que les souris
non traitées avec absence de métastadans le groupe
ses viscérales
EGCG (DEA N. Doumerc, en cours de
publication).
X. PERSPECTIVES
Les études des propriétés anti-tumorales du Thé Vert chez l’animal dans les
modèles de xénogreffes orthotopiques
de cancer de prostate semblent souligner la place potentielle de la molécule
d’EGCG dans la chimioprévention de
la métastase du CaP. Au même titre
que l’ail, le soja, la tomate, le raisin, l’étude des propriétés naturelles de ce
composé s’intègre dans une plus large
12
5. Liao S, Umekita Y, Guo J, Kokontis JM, Hiipakka
RA. Growth inhibition and regression of human
prostate and breast tumors in athymic mice by tea
epigallocatechin gallate. Cancer Lett 1995; 96(2):
239-243.
6. Pchejetski D, Golzio M, Bonhoure E, Calvet C,
Doumerc N, Garcia V, Mazerolles C, Rischmann P,
Teissie J, Malavaud B, Cuvillier O. Cancer Res.
2005 Dec 15;65(24):11667-75.
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8. Paschka AG, Butler R, Young CY. Induction of
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tea component, (-)-epigallocatechin-3-gallate.
Cancer Lett 1998;130(1-2):1-7.
9. Gupta S, Ahmad N, Nieminen AL, Mukhtar H.
Growth inhibition, cell-cycle dysregulation, and
induction of apoptosis by green tea constituent (-)epigallocatechin-3-gallate in androgen-sensitive and
androgen-insensitive human prostate carcinoma
cells. Toxicol Appl Pharmacol 2000; 164 (1):82-90.
10.Smith DM, Wang Z, Kazi A, Li LH, Chan TH, Dou
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proteasome inhibitors. Mol Med 2002;8(7):382-392.
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targets for green tea in prostate cancer prevention.
J Nutr 2003;133(7 Suppl):2417S-2424S.
12.Hastak K, Gupta S, Ahmad N, Agarwal MK,
Agarwal ML, Mukhtar H. Role of p53 and NFkappaB in epigallocatechin-3-gallate-induced
apoptosis of LNCaP cells. Oncogene 2003 ;22 (31):
4851-4859.
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Green tea constituent epigallocatechin-3-gallate
selectively inhibits COX-2 without affecting COX1 expression in human prostate carcinoma cells. Int
J Cancer 2005;113(4):660-669.
15.Pezzato E, Sartor L, Dell’Aica I, Dittadi R, Gion M,
Belluco C, Lise M, Garbisa S. Prostate carcinoma
and green tea: PSA-triggered basement membrane
degradation and MMP-2 activation are inhibited
by (-)epigallocatechin-3-gallate. Int JCancer
2004;112(5):787-792.
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ACTUALITÉ DU
MOMENT
Thé Vert et Cancer de Prostate
N°2 Juin 2006
Tableau 2. Bilan d’extension réalisé par Stéréomicroscopie de fluorescence 3 semaines après xénogreffe orthotopique (PC-3)
Nombre de souris
Nombre de
Nombre de métastases
.Groupe
métastatiques
métastases par souris
viscérales par souris
4/4 (100%)
7, 4, 4, 5
3, 3, 1, 2
Témoin
(Total: 18 & Moy : 4.5)
(Total: 9 & Moy : 2.25)
Thé Vert EGCG
4/6 (66%)
0, 3, 2, 2, 0, 2
0, 0, 0, 0, 0, 0, 0
(Total : 9 & Moy : 1.5)
(Total : 0 & Moy : 0.00)
Figure 2. Tumeur prostatique (1) et adénopathie rétropéritonéale (2) observées en Stéréomicroscopie
Numérisée de Fluorescence
Figure 3. Masse de la tumeur primitive dans le
groupe témoin et traité (EGCG) 3 semaines
après xénogreffe (PC-3).
Figure 4. Nutrition et Cancer (Nature Review)
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