Plaie de débroussailleuse sur le tarse

publicité
N 324-EXE_Mise en page 1 13/03/14 17:23 Page34
Chien
Plaie de débroussailleuse sur le tarse - Deuxièmepartie
CAS CLINIQUE
La gestion orthopédique
Cet article concerne la partie orthopédique de notre border collie de 9 ans dont la patte était passée sous une
débroussailleuse (voir l’Essentiel N° 323). Comme détaillé dans la première partie, la gestion des tissus mous jusqu’à
l’obtention d’une cicatrisation cutanée a nécessité près de deux mois d’efforts. Cette seconde partie décrit le
traitement concernant la cicatrisation osseuse des doigts.
L’accident a entraîné une fracture comminutive des doigts
III, IV et V du membre postérieur droit dans le tiers proximal de la diaphyse. Le jour suivant l’accident, les fractures
ont été réparées par un essai de brochage de Dowel. Deux
semaines plus tard, le chien nous a été référé.
À ce stade, la gestion de la cicatrisation osseuse se dessine
et on sait qu’on va devoir faire face à 1) l’infection des tissus, 2) le défaut de vascularisation avec une union pour
le moins retardée voire une non-union.
Déroulement des soins
Un bilan lésionnel
Vue de face du tarse droit le jour de sa
présentation. Les broches n’apportent
pas une stabilité suffisante. On note la
fracture des doigts et la luxation ancienne
de l’os central du tarse.
Sur la vue de profil, on note que la broche
dans le doigt III a transpercé l’os.
3
Vue de la plaie le jour de la présentation après nettoyage et pose du fixateur externe.
La gestion de cette plaie est décrite dans un autre article.
4
Vue de face le jour de la pose du fixateur externe. Pour s’adapter à l’anatomie
des doigts, des hémibroches ont été placées distalement. Le fixateur externe est
donc un type II modifié.
5
Vue de profil montrant la triangulation
réalisée en médiale du fait que les broches
ne soient pas toutes coplanaires.
J+30 : premier contrôle radiographique, le chien utilise
très bien son membre avec le fixateur externe. Aucun suintement n’a été noté jusqu’à quelques jours avant la radiographie. En effet, depuis 3 jours, la broche latérale la plus distale
produit du liquide sérohémorragique. Les vues radiographiques orthogonales montrent une lyse autour de cette
broche au niveau du doigt V. Pour cette même broche, on note
une réaction périostée modérée au niveau du doigt IV mais
pas de lyse : la broche est donc laissée en place (image 6).
N°324 du 20 au 26 mars 2014
34
© Sébastien Etchepareborde
© Sébastien Etchepareborde
© Sébastien Etchepareborde
2
© Sébastien Etchepareborde
1
© Sébastien Etchepareborde
Sébastien Etchepareborde
DMV, MSc, Dip ECVS
Spécialiste en chirurgie
CHV des Cordeliers
29, avenue Joffre
77100 MEAUX
J0 : une première chirurgie a été entreprise. Dans un premier temps, les broches préalablement mises en place sont
retirées. Une culture est réalisée et compte tenu de la nature
septique et de la plaie ouverte, un fixateur externe a été mis
en place. Des broches à filetage positif ont été utilisées.
Trois broches ont été placées dans le calcanéum, l’os central du tarse et la partie proximale des métatarses. En raison
du fait que les métatarses ne sont pas dans le même plan en
partie distale, deux hémibroches filetées ont été placées de
chaque côté dans les doigts II et III puis IV et V. Les broches
n’étant pas parfaitement coplanaires en face médiale, une
triangulation a été utilisée pour joindre les broches entre elles
et réaliser un fixateur de type II modifié (images 4 et 5). Le
soin du fixateur est réalisé tous les deux jours dans un premier temps puis tous les 4 jours au bout de 15 jours.
À son arrivée, le chien ne pose pas son membre, la patte
n’est pas bandée et l’extrémité des doigts est instable. La plaie
dorsale sur le tarse suppure et permet de voir les métatarses
ainsi que le bout des broches posées. Des radiographies de
face et de profil du tarse sont alors prises : on y voit que la
broche dans le doigt III n’est pas introduite dans le fragment proximal et transperce le fragment distal pour ressortir dans les muscles de la face plantaire. Les broches dans
les doigts IV et V se situent dans le foyer de fracture et ne
pénètrent pas jusqu’au fragment proximal. Le diamètre des
broches est environ de 20 à 30 % celui du canal médullaire.
Accessoirement, on note une ancienne luxation de l’os central du tarse (images 1 à 3).
N 324-EXE_Mise en page 1 13/03/14 17:23 Page36
CAS CLINIQUE
6
© Sébastien Etchepareborde
La greffe cutanée a bien tenu. On prend donc la décision
de réaliser une greffe osseuse. Afin de préserver la peau
encore fragile, une technique minimalement invasive est
choisie. La greffe est remplacée par le placement de compresse de collagène imbibée de BMP-2, un ostéoinducteur
puissant (image 9).
J+45 : deuxième contrôle radiographique, le chien utilise
toujours très bien son membre et la broche la plus distale
ne suinte plus. En revanche, les esquilles osseuses visibles
sont toujours très pointues et aucune activité osseuse n’est
visible. À ce stade, on est face à une union retardée. Une
greffe osseuse aurait pu être réalisée. Néanmoins, à ce
moment, la plaie cutanée était encore ouverte sous la forme
d’un tissu de granulation sain et à cette date une greffe de peau
a été réalisée. Afin de ne pas perturber la vascularisation
déjà fragile, la greffe osseuse a donc été retardée (image 7).
9
Présentation des compresses de collagène après imbibition par le BMP-2.
On se sert des canules d’arthroscopie que l’on va insérer
dans une zone distale à la greffe cutanée et faire glisser
le long des métatarses jusqu’au site de fracture (image 10).
J+45 jours.
10
J+60 : sur les radiographies, on commence à voir des signes
discrets d’activité osseuse. On note à quelques endroits la
formation de cals ossifiés (flèches sur l’image 8).
J+60 jours
La canule d’arthroscopie est insérée distalement à la greffe de peau jusqu’au site de
fracture.
© Sébastien Etchepareborde
Puis on insère l’éponge de collagène imbibée de BMP-2
(image 11) que l’on pousse ensuite jusque sur la zone de
fracture (image 12).
© Sébastien Etchepareborde
8
© Sébastien Etchepareborde
© Sébastien Etchepareborde
7
© Sébastien Etchepareborde
J+30 jours.
11
La compresse de collagène est insérée dans la canule.
N°324 du 20 au 26 mars 2014
36
N 324-EXE_Mise en page 1 13/03/14 17:57 Page37
12
© Sébastien Etchepareborde
Chien
On voit sur l’image postopératoire le caractère peu invasif
de l’intervention avec seulement deux incisions de 4 mm
fermées chacune avec un point de suture (image 13).
Durant la même intervention, le fixateur externe a été
dynamisé afin d’augmenter légèrement les contraintes sur
le site de fracture et stimuler la cicatrisation osseuse. La
broche dans le calcanéus a été enlevée car une lyse osseuse
était visible autour d’elle.
La chirurgie n’a nécessité que les deux points de suture les plus distaux. Les autres
points sont ceux de la greffe posée deux semaines avant.
J+75 : 15 jours plus tard, le fixateur externe a été à nouveau dynamisé et a été converti en fixateur externe de type
I. On n’observe pas encore d’ossification liée à l’utilisation du BMP-2 (image 14).
J+90 : on note une calcification importante au niveau du
foyer de fracture. Au niveau des 3 doigts, des cals pontants
sont visibles. Le fixateur externe a été retiré à cette date.
Le chien a été strictement confiné 15 jours de plus avant
une reprise progressive de l’exercice (images 15 et 16).
À propos du brochage de Dowel
La technique tentée le jour après l’accident de ce chien
a été baptisée le brochage de Dowel1,2. Cette technique
s’applique aux fractures des métatarses et des métacarpes
chez le chien et le chat. Elle a même été décrite pour aider
lors des fractures du radius. Cette technique consiste à
insérer la broche par le trait de fracture dans le fragment
le plus long sans traverser l’épiphyse, de couper ensuite
la broche à quelques mm du trait de fracture et insérer
la partie émergeante de la broche dans l’autre fragment
Le fixateur a été converti en type I afin
de stimuler la cicatrisation osseuse.
© Sébastien Etchepareborde
13
14
15
© Sébastien Etchepareborde
La compresse est ensuite poussée jusqu’au site de fracture à l’aide d’un mandrin.
16
On note la production osseuse sur Dorsalement on voit la production osla face latérale du doigt V.
seuse induite par le BMP2.
de l’os en jouant sur l’élasticité des tissus. L’avantage
est d’éliminer le risque de traumatisme des articulations
adjacentes à l’os. Tout comme les embrochages centromédullaires seuls, la taille des broches doit être de 70 à
80 % celle du canal médullaire. Au-delà, la taille des
broches pourrait fracturer l’os, créer un stress protection
et gêner la vascularisation endostée. Trop petites, comme
dans notre cas, elles sont mécaniquement instables et peuvent se plier.
La protéine morphogénétique osseuse 2 recombinée
humaine (rhBMP-2) est l’un des facteurs ostéogéniques
les plus puissants que l’on connaisse3. Ce facteur a démontré ses capacités à entraîner la formation osseuse quel
que soit son site d’administration, aussi bien contre l’os
qu’au milieu d’un muscle. Il est utilisé pour les fractures
osseuses avec un espace de taille critique ou les nonunions4. Une formulation vétérinaire est commercialisée
depuis l’an dernier. Les complications de son utilisation
chez le chien et le chat ne sont pas encore toutes connues.
Néanmoins de la douleur au site d’injection, des démangeaisons, une tuméfaction et le développement exagéré
d’os ont été décrits.
Le fixateur externe a été enlevé il y a maintenant plus de
deux mois. Le chien a repris un exercice normal. Il n’y a
aucune boiterie visible selon les propriétaires. La gestion d’un tel cas n’est possible qu’avec un investissement total du propriétaire. Il est très important de le
prévenir dès le début du traitement de la durée de celuici ainsi que de lui détailler précisément les différentes
étapes et leurs complications associées. Mais même si la
gestion de tels cas est longue et parfois pénible, elle permet
de sauver une patte qui était considérée comme perdue et
est associée avec une très grande satisfaction du client. n
Bibliographie
1. Dowel pinning (Zahn K.,
Kornmayer M., Matis U.
Dowel pinning for feline
metacarpal and metatarsal
fractures, 2007, VCOT,
256-263
2. Kapatkin A, Howe-Smith
R, Shofer F. Conservative
versus surgical treatment
of metacarpal and metatarsal fractures in dogs. Vet
Comp Orthop Traumatol
2000; 13: 123–127
3. Schmoekel HG, Weber
FE, Hurter K et al.
Enhancement of bone healing using non-glycosylated
rhBMP-2 released from a
fibrin matrix in dogs and
cats. J Small Anim Pract
2005; 46: 17–21.
4. Schmokel HG, Weber
FE, Seiler G et al.
Treatment of nonunions
with nonglycosylated
recombinant human bone
morphogenetic protein-2
delivered from a fibrin
matrix. Vet Surg 2004; 33:
112–118.
N°324 du 20 au 26 mars 2014
37
Téléchargement