Rédaction et publication «Groupe Mémoire» du Centre de la Lande - Juin 2004 - 5 € SOMMAIRE - Saint-Jacques à la veille de la 2nde Guerre mondiale - Repères et phases de l’histoire de Saint-Jacques pendant la Deuxième Guerre - Saint-Jacques à l’heure allemande Mémoires de Saint-Jacques 60e anniversaire de la guerre 39 - 45 - Les bombardements - La résistance à Saint-Jacques - L’aérodrome de Saint-Jacques de la Lande - Les terrains militaires - Le Mur de l’Atlantique passait-il à St-Jacques ? - Le Haut Bois - La butte de la Maltière 2 N° spécial GM roupe émoire de Saint-Jacques de la Lande SOMMAIRE 3 Éditorial SAINT-JACQUES DE LA VEILLE DE LA 2 E GUERRE MONDIALE À LA LIBÉRATION Saint-Jacques en 1939 Repères et phases de l’histoire de Saint-Jacques pendant la Deuxième Guerre Saint-Jacques à la fin de la Deuxième Guerre TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS Saint-Jacques à l’heure allemande Les faits majeurs racontés par... Les bombardements La résistance à Saint-Jacques Autres témoignages LES LIEUX DE MÉMOIRE L’aérodrome Les terrains militaires Le Mur de l’Atlantique passait-il à St-Jacques ? Le Haut Bois La butte de la Maltière HISTOIRE ET MÉMOIRE DE LA DEUXIÈME GUERRE T ous nos remerciements à ceux qui ont acheté le premier numéro de notre revue et à ceux qui ont souscrit un abonnement annuel pour trois numéros. Ces adhésions sont pour nous un précieux encouragement et assurent une base solide pour la poursuite de notre projet. A la différence du numéro 1, ce deuxième numéro de « Mémoires de Saint-Jacques » est entièrement consacré à un seul thème : la ÉDITORIAL Deuxième Guerre mondiale. C’est là une période bien courte à l’échelle d’une vie humaine et à fortiori d’une commune. Elle nous paraît d’autant plus courte qu’elle est désormais lointaine. En réalité, ces années de la Deuxième Guerre mondiale ont été interminables pour ceux qui les vécurent car ce furent des années de sang et de larmes, de privations et de souffrances qui se prolongèrent au-delà de la guerre. Ce furent aussi pourtant, des années d’espoir, de résistance et même d’allégresse, lorsque les occupants durent quitter précipitamment le territoire où certains d’entre eux pensaient s’être installés pour mille ans ! Dans ce numéro spécial, le lecteur ne retrouvera pas les rubriques annoncées comme devant être habituelles. Nous leur avons substitué trois autres pour ordonner nos articles sur Saint-Jacques pendant la Deuxième Guerre mondiale. Dans la première, « Saint-Jacques de 39 à 45 », les articles visent à donner une vue globale de la commune et de son histoire, de la veille de la guerre au lendemain de la Libération. Dans la seconde, « Documents et témoignages », nous avons utilisé les archives municipales et surtout les récits recueillis depuis plusieurs années par Renée Thouanel auprès des Jacquolandins contemporains de cette période : plus d’une centaine de témoins ! Enfin, avec les « Lieux de mémoire », ce numéro évoque les principaux sites de la commune concernés par la guerre. Le plus tristement célèbre est celui de la Maltière. Mais il y en eut bien d’autres très importants : l’aérodrome, le Bourg, le Haut-Bois, les camps de la Marne et de Verdun… Nous n’avons pu, bien entendu, citer tous les témoignages ni traiter tous les aspects de la Deuxième Guerre mondiale à Saint-Jacques. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Dans l’évocation de ces années de guerre, ce numéro spécial a cherché à en donner la description la plus fidèle possible, une vue historiquement correcte sans être humainement désincarnée. Et comme le dit la formule classique d’avertissement des productions ciné-matographiques et autres à substrat historique : « toute ressemblance avec des situations actuelles est fortuite » . Auguste Charlou SAINT-JACQUES DE LA VEILLE DE LA 2 e GUERRE MONDIALE À LA LIBÉRATION SAINT-JACQUES EN 1939 A u début du mois de septembre 1939, SaintJacques avait conservé son double visage traditionnel de commune à la fois agricole et résidentielle. Mais les années 30 avaient accentué son éclatement et renforcé l’emprise militaire. Une commune agricole et résidentielle L’agriculture y tenait une place qu’on a peine à imaginer aujourd’hui. On y dénombrait une bonne cinquantaine d’exploitations, parmi lesquelles de « belles fermes » comme celle de la Gautrais, tenue par les Delabouëre ou celle du Haut-Bois, tenue par les Guédard. Près des deux-tiers du territoire étaient cultivés en céréales, plantes fourragères, légumes…ou occupés par des prairies. Les fermes employaient plusieurs centaines de travailleurs, parmi lesquels nombre d’ouvriers agricoles et des « patous », les enfants qui y passaient leurs vacances scolaires à garder les vaches et autres tâches annexes. Ce n’est pas tout à fait par hasard que le maire de Saint-Jacques en 1939, et ce depuis 14 ans, était un agriculteur : Francisque Daniel, qui tenait la ferme de Mi-Voie. Saint-Jacques était aussi une commune résidentielle pour des notables urbains, rennais ou autres, qui y possédaient des maisons d’une dimension 4 et d’un confort bien supérieurs aux habitations ordinaires. La majorité de ces maisons bourgeoises était appelée pompeusement « manoir », à l’exemple du Manoir du Bourg, (la Rivière, la Buhotière, Maloré…) ou même, dans le cas de la Pérelle, du Pèlerinage, de la Reuzerais et bien sûr du Haut-Bois, du qualificatif de « château » ! Une commune éclatée Ce caractère éclaté découlait d’abord de sa ruralité. En effet, selon les critères du recensement de 1936, plus de 4 habitants sur 5 vivaient dans des «villages et des hameaux». C’est dire combien l’habitat était dispersé sur les 12 km2 de son territoire. Même au Bourg ou dans un quartier en voie d’urbanisation comme celui du Pigeon Blanc, il y avait des exploitations maraîchères comme celle des Lanoë, des fermes avec leurs bâtiments d’habitation et d’exploitation, leurs champs : la Croix Verte, la Rablais, le Temple de Blosne… L’éclatement de la commune tenait aussi au tronçonnement de son territoire par les routes nationales de Nantes et de Redon, mais surtout par la voie ferrée. A défaut de passerelle, de pont ou de tunnel, comme aujourd’hui, il y avait des passages à niveau, à la Rablais, au Petit Haut-Bois, à la Calvenais et à proximité de la Rivière. Mais l’éclatement de la commune venait surtout du renforcement du second pôle de concentration de la population, celui de l’ex-Faubourg de Nantes, désormais appelé le Pigeon Blanc. C’est lui qui avait été le principal bénéficiaire du doublement de la population durant l’entre-deuxguerres. Le signe le plus révélateur de la forte croissance de ce pôle était l’existence depuis le début des années 30, d’une école publique, école qu’il avait fallu agrandir en 1935 ! L’emprise militaire renforcée Cette emprise, qui remontait au moins au début du XIXe siècle, était déjà loin d’être négligeable à SaintJacques avant les années 30 : la Courrouze et le Polygone, le camp de Verdun et celui de la Marne. Durant la décennie précédant la guerre, elle s’accrut encore par une création et des extensions. La création, c’était celle d’un camp d’aviation à proximité du Bourg. Les extensions concernaient le Polygone et ce terrain d’aviation. La première avait entraîné les démolitions de l’antique château de la Maltière et de la ferme du Bois-Teilleul. La seconde, qui datait de 1935, avait porté à plus de 100 hectares l’emprise de l’aérodrome. Or cet aérodrome n’avait qu’un trafic SAINT-JACQUES DE LA VEILLE DE LA 2 e GUERRE MONDIALE À LA LIBÉRATION Place de la Mairie, à la veille de la 2nde Guerre Mondiale commercial dérisoire. C’était surtout une installation militaire supplémentaire ! Une commune en mutation Au moment où commence la Seconde Guerre mondiale, Saint-Jacques était donc en pleine mutation. Sa population avait dépassé 2 000 habitants au recensement de 1936. A côté de l’agriculture traditionnelle, se développaient des activités liées à la proximité de la grande ville, de celle des installations militaires et de l’Atelier Rennais ou Arsenal. Le Bourg n’était pas resté à l’écart de ces transformations. Il y avait plusieurs commerces et ateliers : élevage de volailles et de lapins Hélianthis de Beucherie, restaurant Gauthier, boulangerie Piel, menuiserie Demeuré… et même un photographe ! Le long de la route de Redon qui le traversait alors, de nouvelles maisons, avaient été construites grâce à la loi Loucheur. Elles étaient modestes, mais elles aussi témoignaient de l’essor de la commune. Enfin, avec ses environs (Cours-Jouault, Pas-Hubert, Rivière, Gautrais, Calvenais) le Bourg regroupait 40% de la population ! Et il avait fière allure, avec son école-mairie et tout à proximité, le château du Pèlerinage et son grand parc, quelques fermes encore, une gare, une belle Avenue bordée d’arbres partant de la route de Redon vers la Calvenais, son antique Manoir et enfin son église encore pourvue de son clocher. A.C. SAINT-JACQUES DE LA VEILLE DE LA 2 e GUERRE MONDIALE À LA LIBÉRATION REPÈRES ET PHASES DE L’HISTOIRE DE SAINT-JACQUES PENDANT LA DEUXIÈME GUERRE A défaut de pouvoir présenter un récit étoffé et continu de ces années de guerre, voici un tableau comparatif de repères chronologiques et un résumé des faits majeurs survenus à Saint-Jacques durant chacun des trois temps classiques de la Deuxième Guerre mondiale. Repères chronologiques FRANCE RENNES SAINT-JACQUES 1939 Entrée en guerre 1940 10 mai : offensive allemande. 22 juin : armistice. 10 juillet : pleins pouvoirs à Pétain. 24 octobre : Montoire. 17 juin : Bombardement allemand sur la plaine de Baud. 18 juin : Le drapeau à croix gammée sur l’Hôtel de Ville 18 juin au soir : occupation du camp d’aviation 21 juin : occupation du presbytère, de l’école Saint-Luc et des plus belles maisons du Bourg. Juillet-août : réquisition de maisons, de locaux et de terrains. 1941 Sept-octobre : exécution d’otages à Paris, puis Châteaubriant, Nantes. … 17 juin : le Préfet interdit la manifestation en mémoire des victimes du bombardement de la plaine de Baud. 17 avril : décision allemande d’extension du camp d’aviation. 26 mai : ordonnance d’expulsion du Tribunal civil. 21 juin : démolitions au Bourg. 1942 Avril : retour de Laval au pouvoir. Juin : la « Relève » Juillet : rafle du Vel’ d’Hiv. Novembre : invasion de la zone libre. Avril : attentat contre Doriot au théâtre municipal. 15 décembre : début du « Procès des Trente » pour « actes terroristes » devant le tribunal allemand. »; 9 février : le Conseil municipal accepte l’indemnité d’expropriation de la mairie-école démolie en mai 1941. (304 459 F.) 30 décembre : exécution à la Maltière, de 25 condamnés du « Procès des Trente » 1943 Janvier : création de la milice. Février : institution par la loi du S.T.O. pour les garçons âgés de 21 à 23 ans. Mai : création du C.N.R. (Conseil National de la Résistance). Janvier : indemnisations pour les classes installées à la Teillais, Bon mi-février : premier bombardement allié sur la ville. Espoir, la Rablais et au Petit 8 mars- 29 mai: bombardements Laurier et pour la Mairie chez Croyal. très meurtriers ( respectivement plus de 300 et Des Jacquolandins sont envoyés au STO, d’autres se cachent pour ne pas 220 morts.) partir. 1944 5-6 juin : réunion de généraux allemands à la caserne du 6 juin : débarquement en Colombier. Normandie. 31 juillet- 4 août : 6 000 obus 13-25 août : libération de Paris. sur Rennes. 4 août : Rennes libéré. 7-8mai : bombardements anglais sur Saint-Jacques et Bruz. 30 juin : 14 résistants exécutés à la Maltière. Nuit du 2-3 août : déportation d’Honoré .Commeureuc, Frédéric Benoit, Roger Dodin fils. 4 août : Saint-Jacques libéré. 8 mai : capitulation de l’Allemagne. Octobre : double référendum et élections d’une Assemblée constituante. 29 avril : premier tour des élections municipales : 10 élus et 6 postes à pourvoir par un second tour. 19 mai : installation du nouveau Conseil municipal. Jean Pont élu Maire.. 1945 A partir de septembre, afflux de soldats à Rennes et à Saint-Jacques Mai : Yves Milon confirmé au poste de maire. Henri Fréville, premier adjoint. SAINT-JACQUES DE LA VEILLE DE LA 2 e GUERRE MONDIALE À LA LIBÉRATION Les grandes phases La périodisation de l’histoire de Saint-Jacques, comme celle de Rennes et de sa région (ou celle de la France), peut se faire autour de deux tournants majeurs : la défaite de 1940 et le débarquement des Alliés en Normandie le 6 juin 1944. du Nord de la France, les Allemands, après s’être emparé de Rennes le 18 juin, s’empressent d’occuper le soir-même le camp d’aviation, le presbytère et les autres plus belles demeures de Saint-Jacques. l’aterrissage de leurs avions. A partir de février 1943, SaintJacques subit les bombardements alliés qui visent avant tout le site stratégique que constitue le camp d’aviation. • La « drôle de guerre » Cette première phase est marquée à Saint-Jacques par l’afflux de mobilisés qui s’ajoutent aux troupes habituelles et aux réfugiés espagnols fuyant la victoire franquiste. En plus, Saint-Jacques reçoit des troupes alliées : 80 à 90 aviateurs polonais et surtout des Anglais. Ces derniers restent à Saint-Jacques jusqu’à la veille de l’arrivée des Allemands. Ils aménagent une voie ferrée entre l’aéroport et la ligne Rennes-Redon passant par le Pas Hubert et la Rivière. Ils ont des entrepôts de carburants et de vivres dans l’actuel quartier de la Mairie (à l’emplacement de P.B.I et de l’ex-Consortium des grandes Marques). Les casernements ne suffisent pas et une partie des mobilisés s’entasse dans des fermes (la. Gautrais, Chancors…). Selon le livre de paroisse de l’abbé Vallais, plus de 6000 hommes viennent grossir la garnison de Saint-Jacques. • De l’arrivée des Allemands au débarquement A peine 5 semaines après le début de l’offensive allemande sur les frontières du Nord-Est et Occupation allemande L’occupant organise son administration, s’installe dans les maisons, les fermes… Il rebaptise des rues au Bourg en leur donnant des noms allemands : la route de Redon qui traverse le bourg sera la Haupstrasse, la rue de l’église sera la Sedanstrasse et la rue de la Pommerais actuelle sera la Reimstrasse,. Il construit des blockhaus, installe des batteries de D.C.A., recrute de la main-d’œuvre … Durant quatre années, les habitants de la commune, dont une partie a dû fuir, subissent leur présence, leur contrôle, leurs exigences, réquisitions et exactions. La pénurie est générale. Occupation allemande En juin 1941, pour agrandir le camp d’aviation, une trentaine de maisons du Bourg sont démolies, avec des apparences de légalité. Le clocher de l’église est abattu car il gênait Juin 1941, démolition d’une partie du bourg par les Allemands pour agrandir l’aéroport • La libération et la fin de la guerre La dernière phase de la guerre pour Saint-Jacques commence avec le débarquement en Normandie du 6 juin 1944. Les bombardements s’intensifient. Saint-Jacques est aussi touché par les bombes qui firent, dans la nuit du 7 au 8 mai 1944, un abominable carnage (près de 200 morts !) dans la commune voisine de Bruz. La libération de SaintJacques intervient, le 4 août, le même jour que celle de Rennes. Mais la guerre se poursuit encore pendant plusieurs mois. L’aéroport de Saint-Jacques, réparé par les Américains, leur sert de base pour bombarder Brest et Saint-Malo et les poches de Lorient et SaintNazaire, presque jusqu’à la capitulation allemande. Pendant ces mois de fin de guerre, la commune accueille prisonniers et réfugiés, recense ses dommages, aménage des logements de fortune. A.C. SAINT-JACQUES DE LA VEILLE DE LA 2 e GUERRE MONDIALE À LA LIBÉRATION SAINT-JACQUES À LA FIN DE LA DEUXIÈME GUERRE D ans la première décade du mois de mai 1945, au moment où la guerre mondiale s’achève en Europe, enfin, les citoyens de Saint-Jacques participent à la première élection depuis près de 10 ans pour les hommes et les femmes, pour la première fois de leur vie. Il s’agit de désigner les 16 membres du conseil municipal. Le premier tour a lieu le 29 avril 1945. Le procès-verbal des résultats du second tour ne sera signé que le 16 mai. Entre temps, l’Allemagne a capitulé et la guerre commencée depuis près de 5 ans est finie en Europe. Concernée directement par la guerre jusqu’à l’extrême fin des opérations militaires et même au-delà, du fait de son aéroport et de ses camps de prisonniers, la commune ne peut encore que constater l’ampleur des dégâts, du recul démographique et des problèmes de ravitaillement et de reconstruction. Des prisonniers par milliers ! Les prisonniers : c’étaient désormais des milliers de soldats allemands ! Ou plus exactement de P.G.A. (Prisonniers de Guerre de l’Axe). Car à ces soldats s’ajoutaient des civils allemands, des hommes enrôlés dans des régions et pays annexés ou alliés : Alsaciens, Italiens, Tchécoslovaques, Russes, Mongols… Plus de 100000 dans la 11e Région militaire, celle de Rennes, répartis en onze camps dont deux dans la région rennaise : le camp 1101, route de Lorient et le camp 1102 situé à SaintJacques. Ce camp 1102 n’était autre que le camp de la Marne où, durant toute l’Occupation, avaient été retenus les prisonniers de guerre de l’armée française (surtout des « coloniaux »). Les P.G.A. étaient encore sous la garde exclusive des Américains dont le gros des troupes avait pourtant quitté Saint-Jacques dès la fin septembre 1944. Le camp 1102 était tellement bondé qu’il avait fallu établir des annexes à la Ville en Pierre et à la Basse Chevrolais. Ces prisonniers n’étaient pas encore utilisés comme main-d’œuvre pour les besoins de la reconstruction. Seules quelques dizaines d’entre eux avaient été confiées à la Marine ou à l’Aviation françaises pour déminer, avec les baïonnettes que les Américains leur avaient restituées. Les P.G.A, parqués dans le camp de la Marne et ses annexes, vivaient dans des conditions d’alimentation et d’hygiène extrêmement précaires. Les Américains ne transmettront leur garde aux Français que le 20 juin 1945, ne laissant après eux qu’un minimum de matériel et 15 jours de vivres. Une commune sinistrée En ce début de mai 1945, la commune conservait encore tous les stigmates de la période de l’Occupation. Les pénuries et les privations persistaient, en particulier en matière de logements. Aux 31 maisons démolies au Bourg en 1941 s’ajoutaient 50 immeubles sinistrés d’avril à juillet 1944, partiellement ou plus souvent encore, totalement détruits. Le recensement de 1946 constatera un recul de plus de 13% de la population : 1802 habitants contre 2080 au recensement précédent de 1936 ! Et en mai 1945, la population devait être encore sensiblement inférieure à ce chiffre, car les habitants qui avaient été contraints de quitter la commune pendant la guerre n’étaient pas tous rentrés. De plus, à cette date, les prisonniers et déportés du travail n’étaient pas, eux non plus, de retour à Saint-Jacques. Selon une statistique du 20 juillet 1945, 427 personnes avaient quitté Saint-Jacques durant la guerre, soit plus de 1 sur 5. Au Bourg et dans les environs, sur 829 personnes, il n’en restait que 402 : à peine un habitant sur deux ! Une élection à surprises Les dernières élections municipales avaient eu lieu en 1935. A Saint-Jacques, comme dans bien d’autres communes rurales, les autorités de Vichy TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS s’étaient contentées de maintenir le maire dans ses fonctions, malgré sa coloration politique. Ce maire, Francisque Daniel, se représentait en 1945, à côté d’une bonne trentaine d’autres candidats, pour 16 postes à pourvoir. La première surprise de ce scrutin uninominal auquel les femmes participaient pour la première fois de leur existence, vint, plus que du ballottage, du fait que parmi les candidats qui ne furent pas élus au premier tour figurait le maire Francisque Daniel ! Il lui avait manqué une pincée de voix . Le deuxième tour du 6 mai 1945 fut marqué par d’autres surprises : l’élection de la seule candidate en lice au premier comme au deuxième tour et l’échec de Francisque Daniel, maire de Saint-Jacques depuis 1925. Nous ne manquerons pas de revenir, dans un prochain numéro, sur cette élection qui clôture l’histoire de Saint-Jacques pendant la Deuxième Guerre mondiale. Au lendemain de ces élections, il restait à désigner le maire par le conseil municipal. Il restait surtout à effacer les traces de la guerre, à dédommager les sinistrés, à reconstruire les habitations et en particulier celles du Bourg, à remettre en bonne marche l’économie pour subvenir d’abord au ravitaillement qui, avec le logement, devait être pendant plusieurs années encore, la préoccupation majeure de la majorité de la population de Saint-Jacques. A.C. L a deuxième partie de ce numéro spécial est constituée essentiellement d’extraits de documents cités des archives municipales ou des notes du recteur de Saint-Jacques, l’abbé Vallais, dans le Livre de Paroisse. Mais la source essentielle en est plus encore la quantité impressionnante de témoignages recueillis par Renée Thouanel auprès de plusieurs dizaines de Jacquolandins ayant connu cette époque. Chacun de ces récits présente un grand intérêt. Mais il a fallu faire une sélection. Que ceux qui ont participé à ce travail de mémoire et ne re-trouvent pas leurs témoignages cités nous en excusent. Dans la masse de documents et de témoignages, nous avons sélectionné ceux qui nous ont paru le mieux illustrer les thèmes principaux retenus : la vie quotidienne sous l’Occupation, les grands évènements de l’histoire de la commune pendant la guerre, les bombardements et la Résistance. Cette deuxième partie est clôturée par quelques témoignages complémentaires, dont les plus récents recueillis : ceux de résidents actuels du Foyer de la Rablais. SAINT-JACQUES À L’HEURE ALLEMANDE C ette « heure allemande » dura du 18 juin 1940 au 4 août 1944 : plus de 1 500 jours, soit plus de 36 000 heures ! Grâce aux archives et plus encore aux témoignages des Jacquolandins, nous pouvons évoquer divers aspects de la vie quotidienne de la commune durant ces « années noires » où l’occupant régna en maître, théoriquement absolu, sur tout le territoire de la commune et tous ses habitants. Pour donner une idée de la manière dont fut vécue cette étrange cohabitation forcée, il convient de voir les deux faces de Saint-Jacques à l’heure allemande : celle des occupants et celle des assujettis. Les occupants • Des Allemands omniprésents Ils sont présents sur tout le territoire communal : au camp d’aviation et autres installations militaires, au Bourg et dans ses environs immédiats. Ils sont aussi au Pigeon Blanc, dans les « châteaux » (la Pérelle, la Piblais, la Reuzerais...). Un peu partout des barbelés, des guérites et sentinelles, des miradors, des batteries de D.C.A., des dépôts et même, près du Haut-Bois, une ferme modèle ! Le poste de commandement est la Kommandantur. « … Il y avait un bureau de la Kommandantur dans une baraque rue Jules Vallès, TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS côté militaire, entre la maison Vannier et la maison du boulanger Piel. Près de la météo, où il y a une cabine télé-phonique, il y avait une guérite avec un garde allemand à qui il fallait montrer ses papiers chaque fois qu’on passait. L’emprise du terrain militaire était plus grande ; elle allait jusque chez Martiniault, 13, rue Louis Rossel. A la place de son jardin, il y avait une pièce de D.C.A. Le socle en béton est resté dans la terre. A la place du parc du Cours Jouault, il y avait plusieurs guérites pour la surveillance du camp ». Témoignages de Félix Martiniault et Roger Dodin Occupation allemande • Un comportement correct ? Arrivés pratiquement sans opposition, leur comportement fut à ses débuts très correct, conformément à la ligne générale de la politique initiale d’occupation. Mme Vilboux, qui tenait la boucherie de la rue de Nantes, déclare que les Allemands « laissaient [ses clients] tranquilles » et que « au début, quand ils sont arrivés, ils ont tout acheté dans la boucherie, mais corrects ». Plusieurs témoignages indiquent qu’un tel comportement s’est prolongé durant toute la période. « On a vécu l’occupation avec les Allemands, là, dans nos champs, partout. Mais on ne peut pas dire, ils ont été corrects. Je veux parler des gars qui étaient chez nous… » (M. Delabouëre qui tenait la ferme de la Gautrais). Ce même témoin note encore, à propos des services qu’exigeaient les Allemands : « On n’avait pas grand mal. On chargeait là, on allait décharger un peu plus loin. On était payé correctement ». Il raconte encore que lors de l’évacuation de la ferme de la Gautrais en mai 44, ses parents eurent la surprise à leur retour de trouver « sur le coin du buffet l’argent correspondant à ce qu’ils avaient bu comme cidre. Ils n’avaient rien cassé, rien emporté ». Pour autant, il ne faudrait pas s’imaginer que l’occupant eut un comportement sans reproche autre que celui d’avoir été l’occupant. En plus des réquisitions de maisons et de terrains, des démolitions de mai-juin 1941, il y eut d’autres expulsions, des saccages comme celui des arbres du Haut-Bois ou de maisons (mise à feu du château et de la ferme de la Pérelle, de la ferme de la Haie des Cognets, minage de la poudrière de la Courrouze…). Mise à feu du Château de la Pérelle par Les Allemands, en 1941 Leur arrivée suscitait la peur d’une perquisition ou d’une arrestation comme le montre le témoignage de Mme Goupil, rue du Temple de Blosne : « Pendant la guerre, il y avait toujours des soldats allemands qui passaient par là ; on allait souvent coucher dans les champs, avec nos couvertures, dans un fossé parce qu’on avait peur des rafles…On avait ordre de laisser nos maisons ouvertes… Mon mari se cachait pour ne pas partir au S.T.O. A Paris, il s’est échappé. Il est revenu. Il se cachait dans l’atelier à son père... Quelquefois, il y avait des types de la Gestapo qui venaient et demandaient de ses nouvelles. Sa mère disait toujours : vous êtes venu le chercher, il est parti. On n’a pas de ses nouvelles ». Occupation allemande • Un occupant à deux visages Le témoignage de Mme Biheul, qui habitait la Pérelle, illustre les deux visages de l’occupant : « On n’a jamais eu d’ennuis avec les Allemands, au contraire, ils nous ont bien arrangé parce que pour l’eau, il fallait qu’on aille la chercher dans un puits au milieu de la ferme. Eux, ils ont mis un tuyau avec un robinet au bout du château. Comme nous, on était en face, ils nous ont dit : vous prendrez l’eau là. Ils n’étaient pas mauvais. C’était surtout TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS des vieux qui étaient à la cuisine. Quelquefois, pendant une quinzaine de jours, on a eu des S.S., c’était pas marrant. Ils n’ont pas été là longtemps, mais le temps qu’ils ont été là, ils ont volé du beurre, de l’apéritif dans le café de Babelouse. Ils ont été punis, par les Allemands eux-mêmes… ». Ces S.S. représentent le visage le plus hideux de l’occupant : celui des voleurs, des noceurs, des brutes. Madame Roche, fille du tailleur Dalibot, indique que « avant de démolir le château du Pèlerinage, les Allemands y ont fait beaucoup de fêtes ». Les brutes étaient ceux qui faisaient le plus peur. C’étaient, outre les S.S, ceux de la Gestapo, et les gendarmes ou « Feldwebels avec leurs colliers à vaches » dont parle M. Lecointre… et d’une façon générale, les chefs. Le témoignage de Mme Clément porte aussi sur les pratiques brutales de l’occupant : « Mon père a toujours fait des pigeons voyageurs. Ils étaient déclarés en mairie, mais vous savez que pendant la guerre, c’était interdit, les pigeons voyageurs… Les Allemands sont venus très souvent chez nous avec leurs grands colliers et leurs chiens policiers… [ils] sont allés voir ma mère : Vous avez des pigeons voyageurs. Ma mère a dit : oui, mais je ne sais pas si ce sont des voyageurs. Ils ont vérifié. Ils ont dit : vous, colombophile, mais nous aussi ! Ils sont revenus quand mon père était là. Ils ont dit : donnez-nous vos pigeons ! Heureusement, il y avait un mélange avec des communs. Ils ont trouvé 8 pigeons voya- geurs. Mon père a été condamné à 2 jours de prison à Jacques Cartier par pigeon. Il a fait 16 jours. Il est ressorti. Deux jours après, il y avait un départ pour l’Allemagne, il a eu de la chance. C’était l’année de ma communion. Je suis allée voir mon père en communiante. Ma mère est tombée sans connaissance. C’est des choses qui marquent. Mon père ne s’est jamais servi de ses pigeons pendant la guerre, mais c’était toute sa vie ». taire et de guerre et trouvant la maison familiale rasée. Quand il lui déclara, en lui mettant la main sur l’épaule : « Gross malheur la guerre ! », vraisemblablement, sa compassion n’était pas feinte. Mme Diraison, née Galbrun, dont les parents avaient dû quitter en 1938 la ferme du Pignon Blanc, près de la Pitardière, pour celle de la Telhais, en Chartres, mais tout près du Bourg de Saint-Jacques, en donne un autre exemple. Une des traces de l’emprise allemande sur la commune : à gauche de la baraque, figure un numéro peint par les Allemands. Cependant, beaucoup de témoignages, autres que celui de Mme Biheul cité plus haut, notent qu’il y avait aussi des Allemands d’un type bien différent. M. Delabouëre déclare à ce sujet : « Avec la troupe, on n’a jamais eu d’histoire, même si ça changeait souvent d’équipe ». Parmi ces Allemands « corrects », il y avait même des chefs ! Exemple, celui de la Kommandantur qui accueillit Louis Demeuré en 1942, de retour au Bourg de Saint-Jacques « après 3 ans et 47 jours » d’absence forcée pour cause de service mili- « J’étais allée à la Kommandantur avec mon père parce que ma mère avait été menacée par un Allemand avec sa baïonnette. Le chef avait dit que si ça se reproduisait, il fallait le leur dire. Les Allemands étaient punis dans ce cas-là. Un de ces chefs de la Kommandantur à Saint-Jacques était bien vu par les gens parce qu’il a empêché beaucoup de jeunes de partir en Allemagne. Il s’appelait Glad ou Glane. Il s’est fait tuer à Bout de Lande. Je pense que c’est un autre qui l’a tué parce que lui, il se serait rendu. Les gens l’estimaient bien mais, TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS malgré tout, ils se moquaient de lui parce qu’il parlait mal le français. Il n’était pas très jeune ». Benoît, Yves Lemoigne et les résistants, Roger Dodin père, Honoré Commeurec. Les assujettis Ces assujettis, c’est la population de Saint-Jacques qui s’est retrouvée sous la botte de l’Occupant. Ils forment un ensemble très hétérogène, du fait surtout de la grande diversité des conditions de vie des différentes catégories qui le composent. En effet, dans cet en-semble, on trouve, outre les prisonniers des camps de la Marne et de la BasseChevrolais, les réquisitionnés, les expulsés, les menacés par le S.T.O., les fermiers, les ouvriers, les femmes…et, à ne pas oublier, les absents ! • Les absents ! Ce sont d’abord les prisonniers en Allemagne. Ainsi, le futur maire de Saint-Jacques, René Vilboux, jeune marié de 1939, mobilisé puis prisonnier. Sa femme dut tenir la boucherie de la rue de Nantes, pendant toute la guerre, seule avec un ouvrier ! Et vraisemblablement, ce ne fut pas le seul cas de ce genre. Ces prisonniers ne sont pas oubliés. Des chorales chantent pour eux dans les kermesses. On organise des expéditions de colis. « On tuait un cochon, un tous les mois. Des cochons de 150 à 180 kilos Plus de la moitié partait dans les colis pour les prisonniers. On faisait beaucoup de rillettes et on faisait fumer la saucisse. Les Une des traces de l’emprise allemande sur la commune : noms de rues et de quartiers donnés par les Allemands, Archives Municipales de St-Jacques. femmes venaient en chercher pour envoyer à leur mari parce que ça se conservait bien ». (M. Delabouëre) Aux prisonniers de guerre, qui restèrent souvent plus de 5 ans en Allemagne, il faut ajouter ceux qui durent quitter la commune pour échapper au S.T.O comme le mari de Mme Goupil qui dut partir un temps à Paris ou René Lepêcheur qui, menacé par le S.T.O en 1943, gagna Goven pour y travailler dans les fer-mes. Sans omettre les malheureux qui furent déportés comme Frédéric • Les menacés Il s’agit de ceux qui restèrent sur le territoire de la commune mais y vécurent sous la menace d’une perquisition, d’une arrestation, d’une déportation, d’une exécution. Une anecdote racontée par M. Delabouëre illustre bien la peur de la répression, même en dehors de tout acte délictueux ou de résistance. « On était au terrain de la Rivière ; il y avait un petit étang là. Les Allemands nous avaient fait abattre un arbre. Il TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS les gênait il faut croire. Mais il est tombé dans la mare. On a voulu le remonter avec des palans…Tout d’un coup, ça a lâché d’un coup sec et voilà la ligne qui venait de la D.C.A. des Ormeaux qui casse. Les fils sont tombés. Tu sais qu’on est allé les prévenir vite fait. Ils nous ont dit : c’est très bien ! il ne va pas y avoir de représailles. Sinon, toute la population du Bourg pouvait y passer ». Mais les plus menacés, en dehors des résistants, étaient les jeunes susceptibles d’être soumis au S.T.O. Nous ne pouvons savoir combien d’habitants de la commune n’y purent échapper, mais Mme Delabouëre rapporte un exemple étonnant sur la manière dont un habitant du Bourg put éviter de très peu le départ pour l’Allemagne. « Les Allemands avaient amené tout un groupe d’hommes pour les envoyer en Allemagne… Il y avait bien une centaine d’hommes qui partaient pour le S.T.O. Je dis à Maman : « il y a un monsieur que je connais ! » Elle regarde. C’était Emile Grégoire dont les parents habitaient au coin où est la rue Louis Rossel maintenant. Maman va le voir et lui dit : qu’est ce que vous faites là Emile ? Ben, ma pauvre dame ! Je vais partir en Allemagne. Je n’y peux rien. Maman lui dit : ne restez pas là. Moi je vais occuper les Allemands. Rentrez chez vous ! C’est ce qu’il a fait. Elle a discuté avec les Allemands, je ne sais ce qu’elle leur a dit. Emile est parti par la rue de la Pommerais avec son ballot sur le dos. Il se retournait de temps en temps… Mais le pauvre Emile était tout près de chez lui. Après, il est resté là. Il a même dû travailler au camp. Personne ne lui a rien dit ». D’autres Jacquolandins purent échapper au S.T.O., tout en restant à Saint-Jacques, en se faisant embaucher dans les entreprises travaillant au camp et d’une façon générale dans l’organisation Todt. Le moyen le plus original fut probablement celui de Raymond Croyal, du Pigeon Blanc. « Quand j’ai réussi à me faire réformer de l’armée en 1942, je suis revenu à SaintJacques et j’ai repris les courses de vélo. En 43, j’étais désigné pour partir au S.T.O. Je n’ai pas répondu. Je suis passé coureur cycliste professionnel. Avec cette carte, on pouvait passer partout. Les Allemands regardaient la photo, la date. Raoust ! Les gendarmes venaient faire un tour au magasin de mon père, il était maréchal-ferrant et réparateur de machines agricoles. Il n’est pas là Raymond ? Oh non ! disait mon père. Je ne sais pas où il est encore parti ! Il ne fallait pas que je reste à la maison ». • Les expulsés et réfugiés Ce sont tous ceux qui furent contraints de quitter leur domicile pour cause de réquisitions, de démolitions en 1940 et 1941 ou des bombardements, surtout ceux de 1944. Voici deux témoignages illustrant la diversité des situations de ces personnes déplacées. Mme Durand : « Moi, j’habitais à la Gaieté, 2 maisons après Dodin…Mes parents ont été mis à la porte de chez eux… Ils vivaient dans un wagon à côté et les Allemands vivaient dans leurs maisons. Les Boches, c’étaient des femmes ou des couples qui vivaient dans nos meubles… » Elise Guédard : « On est resté durant toute la guerre sauf, à la fin, quand ça bombardait tant ( d’avril à août 1944). Les copains disaient à Papa : Tu vas rester à te faire tuer avec toute ta famille. Il répondait : Mais où voulez-vous que j’aille avec toutes mes bêtes ? C’est le fermier de Bréquigny [Bouget] qui lui a dit : viens chez moi, j’ai de la place. On a emmené notre bétail, une vingtaine de vaches et on y est resté environ deux mois… On n’avait pas le droit de revenir chez nous. C’était la période des récoltes… Les Allemands avaient coupé une partie de nos récoltes et à d’autres fermiers aussi ». • Les fournisseurs Malgré leur ferme modèle et l’utilisation des prisonniers, les occupants avaient absolument besoin de recourir à des fournisseurs de denrées pour leur ravitaillement et de main d’œuvre pour leurs travaux et même pour leurs plaisirs! Pour le premier de leurs besoins, nous avons privilégié le témoignage d’Elise Guédard qui fait bien comprendre que la fourniture de denrées à l’occupant n’a rien à voir avec la collaboration. « Certains Allemands venaient à la maison. On était tenu de leur fournir du lait et certaines denrées (je ne sais plus quoi) mais comme mon père livrait du lait à Rennes, il TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS Indemnités suite aux réquisitions, Archives Municipales de St-Jacques. est allé voir le maire, M. Daniel. Il lui a dit : Moi je ne peux pas leur livrer tout mon lait et laisser mes clients à Rennes. J’ai des enfants… Alors la mairie a décidé que chaque fermier devrait livrer un peu de lait. Donc, chaque jour, les fermiers apportaient leur bidon de lait. Je vois encore M. Benoît (le père de Frédéric Benoît) arriver par le bas du camp directement de la Reuzerais avec son petit bidon de lait ». Les fermiers étaient aussi réquisitionnés pour transporter divers matériaux : en hiver, surtout du charbon, en été, du matériel, du sable, du ciment. Ils étaient aussi réquisitionnés pour aider au comblement des trous creusés sur les pistes par les bombardements. Mais la principale source de maind’œuvre où puisait l’occupant, c’était celle des entreprises qui travaillaient pour la construction de leurs baraquements du Haut-Bois et surtout au camp d’aviation. M. Dugué, de la rue de la Pommerais, se rappelle de la « baraque verte » située près de la Kommandantur, « où étaient embauchés tous ceux qui voulaient travailler au camp ». M. Delabouëre décrit cette main-d’œuvre en ces termes : « Il y avait 3 entreprises : Eblée ou (Eplée) qui s’occupait surtout de la menuiserie, la mécanique, tout ça…Il y avait Ebebrandt qui rebouchait les trous après les bombardements sur les pistes. Et aussi Marens (un Polonais) qui avait fait les travaux sur l’aéroport avant la guerre. Cela faisait du monde à travailler dans ces entreprises… Les ouvriers qui travaillaient dans les entreprises venaient de Rennes, Chartres, Chavagne… Certains venaient à vélo. Il y avait deux trains qui amenaient les ouvriers tous les matins. On les voyait arriver de la gare de Saint-Jacques. L’avenue (boulevard Eugène Pottier) était pleine ; elle n’était pas aussi large que maintenant, remarquez ! C’étaient des Français, quelques Républicains espagnols ». L’occupant recourait aussi à la main-d’œuvre féminine, en particulier dans leurs cantines. Alors que dans le blockhaus du Haut-Bois travaillaient « des femmes allemandes, des femmes militaires…des souris grises … Aux cuisines, c’étaient des femmes françaises qui venaient travailler là, embauchées par les Allemands » (Elise Guédard). Dans les archives municipales, nous avons trouvé un document curieux sur les besoins de l’occupant en main d’œuvre féminine. Il s’agit de la réponse de la Préfecture à une demande d’ouverture d’une « maison de prostitution à Saint-Jacques de la Lande ». En date du 16 septembre 1941, le secrétaire général de la Préfecture informait la demanderesse « que cette maison étant réservée TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS exclusivement à l’Armée allemande, la réglementation instituée par mon arrêté du 15 mars 1941 ne lui est pas applicable à moins d’instructions spéciales des Autorités occupantes ». Nous ignorons le contenu de cette réglementation de Vichy en la matière et les éventuelles « instructions spéciales » des Allemands. Mais le document montre un aspect peu souvent évoqué de ce que fut aussi la vie quotidienne sous l’Occupation. Conclusion : D’autres aspects de cette vie quotidienne, comme le déplacement des écoles, la recherche d’abris au moment des bombardements… auraient pu être encore évoqués. Pour s’en tenir à ce que nous avons abordé, il apparaît que les grandes rigueurs et les drames de l’Occupation furent atténués à Saint-Jacques par les particularités de la commune.D’abord, celle d’être encore agricole, donc très utile pour le ravitaillement de proximité en lait, cidre, épicerie…, pour la restauration, la fourniture de petits moyens de transport et de main-d’œuvre. Saint-Jacques eut aussi pour particularité d’avoir eu pour occupant une majorité de braves gens, souvent âgés, enrôlés par les nazis pour une guerre qu’ils n’avaient pas voulue et dont ils attendaient la fin, relativement heureux d’être à SaintJacques pour ne pas aller au front effrayant de Russie. Ces observations ne doivent pas faire oublier les exactions, les démo-litions, les déportations, les tueries de la Maltière qui ne se limitèrent pas à l’exécution des 25 Fusillés du sinistre 30 décembre1942. LES FAITS MAJEURS DE L’HISTOIRE DE SAINTJACQUES PENDANT LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE RACONTÉS PAR CEUX QUI LES VÉCURENT C et article est constitué d’une sélection de témoignages évoquant les grands évènements que connut Saint-Jacques pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le récit de l’abbé Vallais a la particularité d’avoir été rédigé très peu de temps après les évènements. Les autres sont des récits recueillis par Renée Thouanel. Tous ont en commun d’émaner de personnes qui furent les témoins directs des évènements évoqués. La mobilisation Abbé Vallais : « Septembre nous a donné la guerre, qui nous menaçait comme une épée de Damoclès depuis un an surtout. M. l’abbé Logeais, mon Vicaire, est parti pour le front avec le 47e R.I. La garnison de Saint-Jacques a augmenté considérablement, 6000 hommes. Quelle pagaille ! On en a envoyé dans les camps voisins : Gaël, Dinard… » Elise Guédard : « En septembre 39, quand tous les réservistes français ont été rappelés, il n’y avait pas de place pour les loger, donc, ils étaient logés dans des fermes. Il y en avait dans toutes les fermes de Saint-Jacques. Ils couchaient souvent dans les greniers ou dans les granges. On mettait de la paille sur le sol et des matelas ou des couvertures dessus. » L’afflux des réfugiés M. Delabouëre : « A la ferme de la Gautrais, on a vu passer du monde…On a d’abord eu les Français qui cantonnaient dans la ferme…Après il y a eu la débâcle ; on a eu les réfugiés du Nord, les pauvres vieux. On a hébergé dans la grange (celle qui est en dehors de la ferme) au mois 40 à 50 personnes. Ils couchaient là une nuit. Le lendemain matin, Maman leur a dit : vous n’allez pas partir comme ça. Elle leur a préparé un petit déjeuner. Elle a fait du café autant comme autant…En souvenir elle leur a donné un petit mouchoir. Ils sont repartis, je ne sais où… » L’arrivée des Allemands Abbé Vallais : « Le 18 juin, vers 15 h, l’armée allemande est arrivée victorieuse sans opposition ici comme dans les autres environs de Rennes. Ils ont occupé le camp d’aviation dès le 18 au soir, et le presbytère le vendredi 21 courant. » Maurice Beucherie : « Je me souviens de l’arrivée des Allemands à Saint-Jacques. D’abord une moto avec un TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS side-car et d’autres à pied. Ils sont passés sous les fenêtres du bureau de mon père. Ils sont arrivés comme ça sans combat, sans rien, puisque les Français et les Anglais. étaient paris et le peu qui restait, ils n’avaient que des bâtons pour se battre. » Elise Guédard : « … Quand les Allemands sont arrivés en 40, il y a un régiment de Français qui était resté là, qui n’avait pas voulu partir. Il y a eu de la bagarre. Quand les Français ont vu qu’ils étaient battus, ils ont jeté toutes leurs armes dans la mare près de la route, où c’est remblayé maintenant. Les Français ont été faits prisonniers. » Les démolitions de 1941 Ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal civil de Rennes, en date du 26 mai 1941 : Expropriation des immeubles bâtis pour l’extension du camp de Saint-Jacques de la Lande. …Vu la requête de M. Le Préfet…vu les décrets-lois de…1935, vu…l’ordre d’évacuation émanant de l’Autorité militaire allemande en date du 17 avril 1940…vu la lettre de M. le Trésorier Payeur Général…, vu la liste des propriétaires expropriés. Déclarons expropriés immédiatement les terrains et bâtiments situés en la Commune de Saint-Jacques de la Lande, dont la prise de possession a été décidée par l’Autorité allemande le 17 avril … 1°) Liste des propriétaires dont les maisons ont été démolies : (23 noms dont Beucherie, Dufil, Fraleu, Galbrun Pierre, le Manoir, la Mairie-Ecole, Fouchard Joseph, La Pilate, Goupil Victor, 191, rue de Nantes). 2°) Liste des propriétaires dont les maisons sont en cours de démolition : (10 noms dont Mme Vve Chevrier, Closel, Chalois Pierre, Cours Jouault). Maurice Beucherie : « … On avait huit jours pour partir. On a vu un officier allemand arriver et nous dire : « Monsieur, Madame, gros malheur, vous partir, nous casser maison. » C’était un drame pour tout le monde, mais ça l’était surtout pour tous ceux qui avaient construit avec la loi Loucheur dans les années 30... » Les fusillés du 30 décembre 1942 Madame Jouan née Lerenard : « Mon père travaillait à la Courrouze. Il a assisté à la fusillade des 25 de la Maltière. Il est revenu en pleurant. Il disait ; « C’est atroce, j’ai assisté à tout. J’entendais les cris Vive la France à chaque fois qu’il y en avait un qui tombait. » Pierre Lefaix : « Une autre fois… je voulais absolument aller dans les hangars…Ce jour-là, je ne pourrai pas l’oublier. C’était le jour des 25 Fusillés. Je suis ressorti des hangars. J’ai voulu passer par devant le cimetière, j’ai pu passer. Il y avait les cercueils alignés devant le cimetière et les Allemands autour. On avait entendu la fusillade le matin mais on ne pouvait pas savoir ce que c’était. .. » Abbé Vallais : « 25 Fusillés : le 30-12-1942. Le 15 décembre, au Palais de Justice de Rennes, le tribunal militaire allemand condamne à mort 19 français pour acte de franctireurs et 6 pour intelligence avec l’ennemi…[ Suit la liste nominative des 25 avec pour chacun, la profession, l’âge et le domicile.] Ces condamnés à mort étaient tous détenus à la Prison Départementale ; l’Aumônier …les a tous vus, je le sais de lui-même. Ces condamnés ont été exécutés au château de la Maltière en ruine, adossés à un mur. Les dames Josse de la Ville en Pierre les voyaient descendre des camions par groupe de 4 ou 5, mais ne les voyaient pas tomber sous les balles, comme elles avaient vu passer devant leur maison les 2 camions des condamnés, suivis d’une voiture de policiers français avec un aumônier et une voiture d’officiers et de policiers allemands : ils furent mis en bière par les noirs prisonniers des Allemands et conduits aussitôt au cimetière de Saint-Jacques. Le sang coulait de certaines bières m’ont dit ces voisines. 2 fosses communes les attendaient : 12 furent déposés dans la fosse à gauche de l’entrée et parallèle à la route et 13 dans la fosse au fond du cimetière, côté sud-est. » TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS Le départ des Allemands Jean Guédard : « On avait laissé beaucoup de choses à la ferme… 60 à 70 barriques de cidre dans la cave. Quand on est revenu, les Allemands étaient tout juste partis ; on a trouvé le cidre partout à courir qui recouvrait la cour, le chemin. Ils avaient défoncé toutes les barriques… On est allé voir dans le château. Ils étaient partis précipitamment. Le potage était servi dans les assiettes, les entrées étaient prêtes à servir. Ils ont tout laissé comme ça. Ils avaient des jambons, des confitures… » M. Guilloret : « Dans les Allemands, il y avait les vieux qui n’étaient pas mauvais. Ils gardaient les réserves d’essen- ce. Avant de partir, ils avaient l’ordre de mettre le feu. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont dit aux gens de venir se servir. Tous les gens du coin y sont allés…. » L’arrivée des Américains Elise Guédard : « Il y a eu 2 vagues d’Américains. Il y a d’abord eu ceux qui passaient. Ils avaient leurs tentes. C’étaient surtout des Noirs… Après sont venus ceux qui se sont installés. Mais le château n’a pas longtemps été occupé par eux. C’est l’aviation militaire qui est venu s’installer. Mais il y avaient des femmes françaises qui venaient coucher avec les Américains, de véritables « grues »…Elles venaient même l’après-midi le long des murs de terre (avenue Léon Blum); C’étaient surtout des Noirs, de véritables armoi- res à glace. » M. Delabouëre : « C’était des troupes de choc. Un soir, un Américain est venu, il nous a payé un fût de cidre de 4 barriques. Vous vous rendez compte ! Les gars, ils prenaient ça dans leur casque, ils buvaient ça. Ah ! ils étaient chouettes ! Ah ! On avait des cigarettes,bon d’la !… Ils étaient pourris de fric. Et puis, ils partaient se battre, ils n’étaient pas sûrs de revenir… Les Américains, on ne les entendait pas marcher, ils avaient tous des semelles en caoutchouc. Ce n’était pas comme les bottes des Allemands. ». A.C. Américains à Saint-Jacques, autour d’un P-47. TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS LES BOMBARDEMENTS S aint-Jacques étant, pendant la guerre, largement occupée par les Allemands, est très souvent victime des bombardements alliés. Les occupants l’avaient prévu et avaient entouré leurs installations militaires. M. Delabouëre qui habitait à la Gautrais raconte : « Il y avait des DCA partout autour de l’aéroport, dans le terrain de sports actuel de la Gautrais… Dans l’espace vert de la rue Louise Michel, il y a une butte, c’était un socle de DCA… taillement sentait et disait : « benzine ! benzine ! ». On lui disait : « non ! non ! pas benzine ! ». On avait creusé un abri, comme tout le monde ; on se cachait dedans quand il y avait une alerte. Mais une partie de la maison a été démolie par le bombardement ». Mme Delabouëre née Lemoine raconte à son tour : « On habitait à peu près où est l’Aire Libre maintenant. Il est tombé une bombe sur le café Gautier, à côté de chez nous. C’était une bombe soufflante. Bombardements Et puis, ils avaient des miradors pour les projecteurs et les mitrailleuses en même temps. Quand ils prenaient un avion dans leurs projecteurs, ça lui pétait au derrière !… Nous, on avait réussi à faucher de l’essence aux « Chleux ». On avait enterré le bidon dans le jardin. Mais une bombe est tombée à côté, ça sentait l’essence. Un Allemand qui était là pour le ravi- Le café a été démoli et toute la toiture de notre maison a été soulevée et elle est retombée. Il y avait des dégâts, bien sûr ». Les souvenirs s’égrènent chez les anciens de la commune : « On a connu les forteresses volantes. On reconnaissait le bruit. Même les chiens les reconnaissaient. C’étaient de gros bombardiers américains, des avions énormes. - Je me souviens d’un bombardement de nuit sur les pistes. Les avions avaient d’abord lâché des petits parachutes avec des lumières (des fusées éclairantes), si bien que le camp était tout éclairé… Après ils repassaient ou d’autres arrivaient derrière et bombardaient tout. Cela a été terrible en 1944. - Moi, je me souviens des combats aériens. Ah ! on n’était pas fier, ça pouvait nous tomber dessus. - On a été bombardé en 1943, mais le plus fort a été en 1944, d’avril au 4 août, quand les Alliés voulaient appuyer le débarquement et empêcher les Allemands de monter en Normandie. La plupart des gens qui étaient restés là pendant la guerre ont été obligés de partir à ce moment-là ». Si les bombardements sur Saint-Jacques n’ont pas été aussi meurtriers que ceux sur Rennes qui firent des milliers de morts, il suffit de voir la liste des immeubles sinistrés pendant cette période pour comprendre combien ils furent nombreux. Tous les villages autour de l’aéroport et des terrains militaires ont été touchés. Quatre habitations du boulevard Jean Mermoz ont été en partie démolies, dont la maison de Honoré Commeurec. Dans les archives anglaises, le général Chesnais a noté, entre autres, 2 bombardements importants sur l’aérodrome de Saint-Jacques, l’un dans la nuit du 27 au 28 mai 1944 avec 83 quadrimoteurs anglais et l’autre dans la nuit du 9 au TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS Bombardements de l’aérodrome de Saint-Jacques 10 juin 1944 avec 71 quadrimoteurs. Le plus important dans la région pendant cette période est sans aucun doute le bombardements de Bruz le 8 mai 1944. (Pour parler de cette tragédie qui endeuilla une commune voisine mais marqua toute la région, nous nous appuierons sur un travail du général Chesnais pour la société archéologique d’Ille et Vilaine. Il s’est servi des archives de la Royal Air Force). « Parmi les bombardements qui ont endeuillé Rennes et sa région pendant la dernière guerre mondiale, celui de Bruz, dans la nuit du 7 au 8 mai 1944, est resté, dans la mémoire des survivants, comme l’un des plus terribles car il raya pratiquement de la carte, le bourg de cette commune, le soir d’une communion solennelle, anéantissant des familles entières, alors qu’aucun objectif militaire allemand ne semblait atteint… Le rapport final de bombardement… fait ressortir qu’il y avait, en fait, deux objectifs cette nuit-là, dans la région de Rennes : - un dépôt de munitions situé à Bruz au nord du bourg, bombardé par 51 avions. - l’aérodrome de SaintJacques de la Lande bombardé par 49 avions… Les bombardiers lourds anglais, volant indépendamment les uns des autres, de nuit, faisaient leur visée de bombardement, individuellement, mais sur les indications d’un « Path Finder » (littéralement « trouveur de cheminement, de chemin »), appelé aussi « Master Bomber » (maître de bombardement) ou encore plus vulgairement « Master of Ceremonies » (maître de cérémonies)… Il s’agissait d’équipages très confirmés, c’est-à-dire ayant survécu à de nombreuses missions. Equipés de bombardiers légers rapides, des Mosquitos la plupart du temps, ils étaient chargés d’aller, à très basse altitude, reconnaître l’objectif, de le marquer à l’aide de feux de couleur au sol et de diriger sur ces feux les flots des bombardiers lourds qui arrivaient, eux, à haute altitude. Par radio, ils indiquaient alors « bombardez sur le marqueur rouge » (ou le marqueur jaune)… » On sait que ce bombardement sur Bruz fut une terrible erreur de visée qui, s’il ne produisit pas de dégâts sur les installations allemandes, détruisit une grande partie du bourg de Bruz en tuant des centaines de civils. Reprenons le travail du général Chesnais : « Pour l’aérodrome de Saint-Jacques, il semble TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS que les visées aient été plus efficaces. On peut lire dans un rapport : « Le premier marqueur lancé tomba très près du point à viser central. Des incendies se développèrent dans les hangars avec un feu spectaculaire dans la zone de stockage d’essence. Au point à viser Nord, deux grosses explosions ont, semble-t-il, résulté de deux coups directs sur des dépôts de munitions… Reconnaissance de jour : Le terrain d’aviation a énormément souffert de l’attaque. La principale concentration de bombes est tombée sur la zone de dispersion du sud-ouest, endommageant sévèrement onze abris à avions. Six des dix-huit hangars ont été détruits et six autres endommagés. Dix baraques, six autres bâtiments et deux ateliers ont été endommagés ou détruits. 43 cratères ont été faits sur les pistes et deux avions endommagés au sol ». L’abbé Vallais qui a été chassé du presbytère par les Allemands dormait dans la sacristie. Il raconte comment il a vécu cette nuit-là : « Dans la nuit du 7 au 8 mai 1944, Saint-Jacques fut copieusement bombardé. Tous les vitraux de l’église tombèrent sous la pression de l’air… L’imposte [partie vitrée] de la porte de la sacristie tomba au pied de mon petit lit. Je ne me levai pas, je me serrai dans mes couvertures contre le vestiaire. J’en fus quitte pour la peur. Je me rendormis et me levai à mon heure ordinaire. Je vis les dégâts, je sonnai l’angélus puis je célébrai ma messe. Je fis une action de grâce… Je fis un tour et vis les dégâts sur le camp et à la Calvenais…. A Chartres, j’appris l’écra-sement de Bruz, surtout de l’église et de ses environs… A partir de ce jour, tous les habitants de SaintJacques, autour de l’église, cherchèrent un alibi, un refuge. Mon abri était tout trouvé : le presbytère de Chartres. Les 6 ou 7 personnes qui fréquentaient l’église chaque matin disparurent peu à peu. Je vins encore quelques dimanches, ma dernière messe fut le dimanche de la Trinité ; il ne restait plus que la Teillais et la Bouvrais. Pendant 3 mois, je célébrais la messe à Chartres… Maintes fois, je revenais jardiner à la Rivière chez M. Rialland, les gens revinrent aussi, mais c’était périlleux. J’étais mal abrité dans le chemin de la Thélais quand la maison d’habitation de la Gautrais fut écrasée en partie. Les laboureurs revinrent aussi affrontant le danger, firent leurs gros travaux… Le doryphore eut beau jeu et dévora les pommes de terre… Les foins et les céréales furent récoltés mais en retard, volontairement, afin que les Allemands ne les emportent pas.» A cette époque du printemps 1944, les bombardements étaient si fréquents et les pistes si abîmées que les Allemands ne trouvaient plus assez de main d’œuvre pour boucher les trous faits par les bombes. Il faut dire que les Français réquisitionnés y mettaient de la « mauvaise volonté ». Ils sentaient la fin de la guerre arriver et la défaite des Allemands ne faisait plus guère de doute. Plusieurs n’hésitaient pas à saboter le travail exigé par les Allemands. Les trous de bombes étaient tellement profonds qu’ils y lançaient pelles et brouettes avec les cailloux. Ensuite, ils ne pouvaient plus rien faire. C’est aussi grâce à des gestes comme ceux-là que le Débarquement du 6 juin 1944 a pu réussir et conduire à la Libération. Renée Thouanel Référence Le livre de paroisse écrit par tous les prêtres de Saint-Jacques au cours du 20e siècle, nous a été prêté par l’abbé Pouriel, recteur de la paroisse « Bienheureux Marcel Callo ». TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS LA RÉSISTANCE À SAINT-JACQUES Q uand on pense à la Résistance à SaintJacques, on pense généralement aux Fusillés de la Maltière et plus particulièrement aux 25 Fusillés du 30 décembre 1942. C’est vrai que ce fut un événement important qui a beaucoup marqué les habitants de la commune et qui continue à être commémoré chaque année, 62 ans après le drame. Toutefois, ils ne furent pas, malheureusement les seuls à être fusillés à cet endroit et des Jacquolandins, parfois oubliés, s’engagèrent eux aussi, dans la Résistance. C’étaient souvent des gens sans engagement politique affirmé, que rien ne prédestinait à un rôle particulier dans la vie de la nation mais qui refusaient tout simplement la présence et la suprématie des Occupants sur notre territoire. Pierre Lefaix Comme beaucoup d’autres habitants de la commune, il est requis pour travailler sur l’aérodrome. Il doit transporter, entre autres, bois et charbon dans les baraquements où travaillent les Allemands à l’entretien des avions. Il en profite pour noter des renseignements sur tout ce qu’il peut voir. Il transmet ces notes à un réseau de résistance qui l’a contacté par l’intermédiaire de Marcelle Sallou, la tante du général Chesnais. Il réussit également à mesurer la longueur de la piste secondaire du terrain d’aviation. Pour cela, il longe cette piste avec sa charrette en comptant le nombre de tours de roues. Il multiplie par le périmètre de la roue et obtient ainsi la longueur parcourue. Ces renseignements, envoyés à Londres, sont utiles pour les bombardements. Il obtiendra la carte de Combattant Volontaire de la Résistance. Références Témoignages de Pierre Lefaix luimême et du Général Chesnais. de la Résistance. Références Témoignages de Joseph Biheul et de son épouse. Joseph Boussin Ses parents habitent alors Bd Jean Mermoz. Il est ouvrier à l’Arsenal. Avec sa jeune épouse, ils sont adhérents des Jeunesses Communistes. Dès la fin de l’année 1940, il diffuse des tracts et des journaux clandestins. Vers la mimai 1941, c’est le premier pas vers des actions de résistance plus importantes. Lors de son procès, les Allemands lui reprocheront deux sabotages de câbles de lignes allemandes, l’une à Ste Foix, le 12 mai 1942 et l’autre Bd Jean Mermoz le 20 mai 1942. Il est arrêté le 31 juillet et sera fusillé à la Maltière le 30 décembre 1942. Référence bibliographique Joseph Biheul Au moment de la guerre, il est agriculteur à la ferme de la Morinais. Il peut se déplacer avec sa charrette et son cheval, muni de son laissez-passer. Il habite alors à la Pérelle et travaille pour un entrepreneur de carrière de sables et graviers. Il est chargé de surveiller les installations de dragage la nuit. Cela lui donne l’occasion de se faufiler près des constructions allemandes et d’observer. Il a été recruté par le groupe CND Castille et communique avec le réseau de Mordelles. Il a reçu la carte de Combattant Volontaire Mémoire de Granit, édité par la Ville de Rennes. Roger Dodin (père) Il habite avec sa famille à la Gaieté en SaintJacques. Il travaille à la SNCF et fait partie du groupe de Résistance TÉMOIGNAGES ET DOCUMENTS du Front-National, proche du Parti Communiste, formé par des cheminots rennais. Sur dénonciation, il est arrêté le 9 décembre 1943, avec son fils, par la SPAC (Spéciale Police Anticommuniste de la police française). Ils sont emmenés à la prison Jacques Cartier, mais ils sont séparés. Roger Dodin père part pour Laval puis Compiègne. De là, il est déporté à Oranienburg Sachenhausen. Devant l’avancée des Soviétiques, les Allemands emmènent les Déportés à Mauthausen. Il y meurt le 1er avril 1945. Son fils sera déporté par le « train de Langeais », dernier convoi partant dans la nuit du 2 au 3 août 1944 alors que les Américains sont aux portes de Rennes. Le 28 juillet 1944, les Allemands encerclent le bourg de Guignen. La veille, deux soldats allemands ont été tués et un officier a été blessé dans un attentat. Les occupants rassemblent sur la place 60 à 70 hommes qu’ils ont sortis de chez eux. Après 2 ou 3 heures d’attente, ils choisissent 20 otages parmi les plus jeunes. Parmi eux, il y a Frédéric Benoît. Ils resteront au camp Margueritte à Rennes jusqu’au 3 août 1944, veille de la libération de Rennes, où ils seront embarqués dans un train à destination de l’Allemagne (c’est « le train de Langeais »). Il est déporté au camp de Neuengamme où il meurt d’épuisement le 1er avril 1945, quelques jours avant l’arrivée de l’armée américaine. Références - Mémoire de Granit - Souvenirs et recherches de sa nièce Mme Coutel. - René Chesnais, La guerre et la Résistance dans le sud de l’Ille et Vilaine, éd. ? - Témoignage de Roger Dodin fils. - Mémoire de Granit, édité par la Ville de Rennes. Références Frédéric Benoît Honoré Commeurec Il n’est pas un résistant mais il a payé de sa vie l’occupation nazie et la lutte contre l’envahisseur. Ses parents habitent dans une ferme à la Reuzerais près du château du même nom. Il fait des études de notaire à Rennes. Après plusieurs stages, il se trouve dans l’étude de Maître Melun à Guignen à qui il doit succéder. Il habite au 51 Bd Jean Mermoz et est le fondateur d’une imprimerie coopérative ouvrière, « les Imprimeries Réunies », rue de Nemours à Rennes. Il a été conseiller municipal socialiste à Rennes de 1908 à 1935. Il fait partie du mouvement de Résistance « Libération Nord » apparu en Ille et Vilaine dès 1941. Son activité d’imprimeur lui permet de faire de faux papiers, des tracts et des journaux clandestins. Il est arrêté dans son bureau par la Gestapo le 8 février 1944. Incarcéré à la prison Jacques Cartier, torturé, il ne parle pas. Il fait partie, lui aussi, d’un des derniers convois quittant Rennes en août 1944. Envoyé au camp de Neuengamme, il y meurt d’épuisement le 18 février 1944. Références - Mémoire de Granit. - documents et souvenirs de son neveu M. Chalois. Yves Le Moigne Il habite au 274 rue de Nantes, dans cet immeuble appelé par les habitants la « Cour des Miracles ». Début 1941, alors qu’il a tout juste 15 ans, il est recruté pour faire des actions contre l’Occupant nazi par Guy Faisant, élève, comme lui, à l’Ecole d’Industrie, Bd Laënnec. Ils dépendent de l’OS (Organisation Secrète, mouvement de résistance proche du Parti Communiste clandestin). Cinq élèves font partie de ce groupe et participent à différentes actions hostiles à l’armée d’occupation. Ils sont infiltrés par un étudiant en médecine impliqué par les Allemands dans un trafic d’or. Ils sont arrêtés le 2 mars 1942, incarcérés à la prison Jacques Cartier après avoir subi des interrogatoires « musclés », 10 rue de Robien, siège du service de sécurité de l’armée allemande. Après un séjour à la prison du Cherche Midi à Paris, ils sont déportés en Allemagne sous la dénomination « N.N » soit Nacht und Nebel, c’est-à-dire « Nuit et Brouillard » : ils doivent disparaître… Yves Le Moigne fait plusieurs camps, tous plus durs les uns que les autres. Il est libéré par les Soviétiques le 8 mai 1945 et rapatrié en France début juin. On imagine les marques laissées sur un corps d’adolescent, en pleine croissance, par trois années de déportation, de privations et de souffrances. Des 5 jeunes déportés avec lui, trois autres reviennent des camps : Gilbert Anquetil, Guy Faisant et Michel Goltais. Trois personnes ne reviendront pas : Jacques Tarrière, Pascal Lafaye ainsi que sa mère Marie Lafaye. d’ouvriers chez Lanoë… ». Ils sont en relation avec Emile Gernigon de Goven, avec Andrée Récipon de Laillé. Ils hébergent pendant un temps Louis Pétri et son équipe. C’est là qu’ils préparent leur attaque sur la prison de Vitré pour libérer des Résistants. Gabriel et Marie Lanoë seront tous deux décorés et honorés après la guerre. Référence - Témoignage de Guy Faisant, Président du Comité de Coordination des Mouvements de la Résistance. Gabriel et Marie Lanoë Ils sont maraîchers au 52 rue du Temple de Blosne, à l’endroit où est maintenant l’école de la Croix Verte. Ils habitent alors cette grande maison qui fut de 1956 à 1965 la mairie de Saint-Jacques. Ils emploient plusieurs ouvriers, des journaliers. Cela leur permet, pendant la guerre, d’héberger des résistants, des réfractaires au STO, parfois des parachutistes anglais. Il est alors impossible de savoir qui est journalier ou clandestin. Les voisins se disent tout de même : « Ils changent souvent A gauche, Gabriel et Marie Lanoë. Un acte de résistance important à l’aérodrome C’est Guy Faisant qui nous le raconte : « Cette tentative aurait été importante si elle avait abouti totalement. Tout débute en avril 1944. Le camp d’aviation est depuis longtemps aux mains des Allemands… De là, ils lancent des raids pour bombarder le Royaume Uni. L’intérêt stratégique de reprendre l’aéroport aux troupes ennemies n’a, bien sûr, pas échappé au groupe des FrancsTireurs. Ce constat amène, le 15 avril exactement, le colonel Versini à désigner 4 de ses hommes, déjà remarqués lors de diverses missions, afin qu’ils neutralisent tout le personnel « volant » ou « rampant » de la base. S’ils réussissent, les parachutistes britanniques pourront reprendre, non seulement le camp mais aussi tous les avions qui s’y trouvent. Léandre Leborgne, Fernand Aubrée, Henri Bourges et Fernand Blondeau infiltrent le site, le premier comme barman, les deux suivants comme serveurs, le dernier comme cuisinier. Le 8 mai 1944, ils reçoivent l’ordre d’empoisonner toutes les personnes présentes avec un produit à base de strychnine. Le liquide est versé dans les fûts de bière, mais, trop dosé, son effet se fait ressentir alors que les convives sont encore regroupés. L’alerte est donnée. Henri Bourges sera abattu. Ses camarades auront plus de chance et pourront, malgré les poursuites, échapper aux Allemands... ». Référence - Ouest-France du 5-11-97. Nous ne pouvons citer tous les petits actes de résistance commis par les uns ou les autres et ils furent nombreux et importants… R.T.